Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Mardi 9 novembre 2021
La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.
(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)
Cette commission d'enquête a été créée à la demande du groupe Les Républicains, dont je suis membre, en vue d'identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française, constatés de longue date mais que les pouvoirs publics peinent à les corriger. Nous nous sommes fixé un vaste cadre d'investigation qui vous a été communiqué. Nous en avons expressément exclu les établissements gérés par la protection judiciaire de la jeunesse – PJJ.
Il nous a en revanche semblé essentiel de vous entendre au sujet de votre mission éducative en milieu pénitentiaire. Votre audition marque le début d'une séquence consacrée aux détenus mineurs. En effet, nous rencontrerons ensuite des directeurs d'établissements pénitentiaires accueillant des mineurs. Le sujet de l'accueil des mineurs a déjà été abordé lors de multiples auditions et visites de terrain. Les membres de cette commission examinent et travaillent sur la question du milieu pénitentiaire depuis de nombreuses années. La thématique qui nous intéresse aujourd'hui revêt une grande importance étant donné l'enjeu que représente la réinsertion de cette population spécifique.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. À l'appel de votre nom, je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Charlotte Caubel et Mme Anne Coquet prêtent successivement serment.)
De manière générale, on ne peut pas se satisfaire de la présence d'un mineur en prison. Par définition, cette situation doit rester une exception. Le nombre de mineurs détenus en France est relativement stable et s'élève à environ 700 individus à ce jour. Ce nombre reste faible par rapport à la population pénale totale et par rapport à la population suivie par la PJJ dans le cadre de la justice pénale des mineurs. Il est intéressant de noter que cette proportion est stable, alors même que l'imaginaire collectif considère que la délinquance des mineurs s'est aggravée, à la fois en quantité et dans la gravité des faits perpétrés.
La grande majorité des mineurs incarcérés le sont dans le cadre de la détention provisoire, régime insatisfaisant pour de nombreuses raisons. Contrairement à une détention classique, il ne permet pas d'installer un travail avec le mineur détenu. En effet, il est impossible de déterminer à l'avance la durée de la détention. Les mineurs détenus sont par définition présumés innocents, ce qui complique les modalités de leur prise en charge.
La PJJ travaille depuis longtemps avec la direction de l'administration pénitentiaire – DAP. La création des établissements et des quartiers pour mineurs – EPM et QM – ainsi que le retour de la PJJ dans les espaces carcéraux ont fait évoluer les pratiques éducatives en prison. Des améliorations restent bien sûr toujours possibles, mais la coordination entre la DAP et la PJJ est bien installée et fait l'objet de travaux réguliers. Le travail de ces derniers est parfois nourri par un regard extérieur apporté par l'inspection générale de la justice – IGJ.
Je souhaiterais également évoquer le nouveau cadre posé par le code de la justice pénale des mineurs – CJPM –, récemment créé par le Parlement. Notre objectif, grâce à ce texte, est de limiter les placements de mineurs en détention provisoire, dont il restreint les conditions. Le second but poursuivi consiste à redonner du sens à la peine, y compris à la peine de prison le cas échéant, en faisant intervenir beaucoup plus rapidement la décision de culpabilité et la sanction.
Notez que, jusqu'à présent, le bloc peine prévu dans la loi de programmation judiciaire ne s'applique aux mineurs qu'en de très rares occasions. En effet, ils exécutent leur peine en détention provisoire. Le tribunal pour enfants intervenant longtemps après les faits et la prise en charge éducative, la peine de prison prononcée couvre généralement la détention provisoire. Par conséquent, le bloc peine n'est pas appliqué et le mineur ne comprend pas pourquoi sa peine de prison est allongée sans pour autant être mise à exécution, puisqu'elle a déjà été exécutée. La réforme de la procédure pénale avait pour mission de s'attaquer à ce problème en se fixant pour objectif de limiter la détention provisoire et de redonner du sens à la peine – qu'il s'agisse d'une peine de prison ou d'une peine d'alternative à l'incarcération – en mettant en œuvre le bloc peine tel que prévu par la loi de programmation et de réforme pour la justice.
En matière carcérale, la PJJ agit en tant que partenaire de la DAP. Les équipes éducatives intervenant en prison sont liées aux équipes du milieu ouvert qui suivent le mineur de manière continue. Toutes sont censées travailler ensemble. Toutefois, cette tâche ainsi que l'accompagnement éducatif pendant et après la sortie de prison sont rendus difficiles par le caractère bref et imprévisible de la durée de la détention. Nous attendons beaucoup de la réforme à venir afin de pouvoir stabiliser les travaux éducatifs en cours.
La crise sanitaire a mis à l'épreuve la capacité des équipes de la PJJ et de la DAP à prendre en charge les mineurs. Nous avons globalement traversé cette période sans difficulté, à l'exception de quelques établissements qui ont moins bien fonctionné, notamment en raison de la suspension de certaines activités.
Contrairement aux quartiers pour majeurs, les QM ne connaissent pas de problème de surpopulation carcérale. Cette situation nous permet d'appliquer l'emprisonnement en cellule individuelle, droit reconnu aux prisonniers.
L'incarcération des mineurs constitue en effet l'un des sujets de préoccupation majeurs de la sous-direction des missions de protection judiciaire et d'éducation. Actuellement, 733 mineurs sont concernés. Dans le cas de la justice des mineurs, la détention constitue toujours la dernière réponse pénale apportée. Cette problématique concerne à la fois le dedans, à travers l'incarcération des mineurs, et le dehors, à travers l'élaboration de projets sportifs et de travaux éducatifs. En effet, le projet de sortie se prépare dès le premier jour d'incarcération du mineur.
Les directions de la PJJ et de la DAP partagent une histoire commune. Auparavant en effet, la direction de la PJJ était une sous-direction de la DAP avant d'en être détachée. La PJJ n'est plus intervenue en détention à la suite d'une décision politique prise en 1978 et mise en œuvre en 1979. L'objectif consistait à limiter la détention des mineurs, et cette décision a conduit à mettre provisoirement fin à l'intervention de la PJJ en établissement pour mineurs. Le rôle institutionnel de la PJJ en détention a été réaffirmé dans une circulaire fondatrice datant du 24 mai 2013. Cette dernière consacre toutes les modalités d'intervention et de prise en charge des mineurs en détention, et réinstaure le partenariat de la PJJ avec la DAP. Elle définit notamment une intervention pluridisciplinaire impliquant quatre partenaires : la PJJ, la DAP, l'éducation nationale et la santé. Nous construisons depuis une culture commune. Il s'agit d'un rapprochement entre deux entités du ministère de la justice – la DAP et la PJJ – dont les identités s'étaient parfois construites en opposition, mais aussi d'un rapprochement interministériel avec l'éducation nationale et la santé. Si le rapprochement avec l'éducation nationale s'est déroulé très naturellement, celui avec la santé s'est avéré un peu plus délicat. Nous nous sommes en effet heurtés à la question du secret professionnel et à la difficulté de construire un secret partagé dans l'intérêt de la prise en charge des détenus. Cette articulation autour d'un travail pluridisciplinaire guide notre action depuis le retour de la PJJ.
La généralisation de l'intervention éducative en détention ainsi que sa continuité, ont permis aux professionnels de la PJJ d'opérer en quartiers pour mineurs et dans les établissements pénitentiaires. Cette généralisation a été renforcée par l'ouverture des EPM, en 2007-2008, qui a conduit à un travail conjoint entre la DAP et la PJJ. Nous avons effectivement contribué à élaborer et à façonner ce partenariat à quatre dans le cadre de la construction des EPM. Ces derniers ont servi de laboratoires et nous ont permis d'étendre notre action aux quartiers pour mineurs.
Les EPM et les quartiers pour mineurs ne relèvent pas du même cadre d'intervention et ne disposent pas des mêmes moyens humains et matériels. Pourtant, ces deux modèles tendent à se rapprocher sur le plan de la prise en charge des mineurs, du cadre de référence et de la commission pluridisciplinaire unique dans les deux types d'établissements. Une mission de l'inspection générale de la justice sur la détention des mineurs est d'ailleurs arrivée à cette même conclusion en 2017. Elle a également constaté que même si les quartiers pour mineurs ne disposaient pas de moyens aussi importants que les EPM, ils pouvaient être tout aussi efficaces pour raccrocher les mineurs aux apprentissages et aux activités, quand cela n'avait pas été possible auparavant dans un cadre moins contraint.
Parallèlement à cette mission d'inspection, les administrations de la PJJ et de la DAP ont lancé un groupe de travail interne composé de directeurs d'EPM et de directeurs intervenants en quartiers pour mineurs ; il s'agit le plus souvent de directeurs adjoints dédiés à l'intervention en quartiers pour mineurs. L'objectif de ce groupe de travail consistait à refixer le cadre de la prise en charge dans une logique de labellisation des quartiers pour mineurs, en travaillant notamment sur les problématiques de l'accueil, du déroulement de la prise en charge et de la préparation à la sortie. Je répète que les activités sont essentielles.
Les EPM ont été construits et conçus comme de petites structures n'obéissant pas à une logique pénitentiaire, y compris sur le plan architectural. Depuis lors, des mesures de sécurité ont été mises en place et les rapprochent davantage de certains quartiers pour mineurs. À l'origine, un EPM était une sorte de petit foyer. On y trouve une école, des espaces pour les activités, un pôle santé et des îlots composés d'unités de vie structurées autour du temps collectif. En effet, l'idée est de raccrocher le mineur à cette vie en collectivité dans le but de lui permettre de sortir de la logique de délinquance et de s'insérer scolairement ou professionnellement. La question des activités et de l'enseignement est très importante. Nous constatons que le volume horaire de l'enseignement et des activités varie selon les établissements. L'administration centrale et l'administration pénitentiaire ont d'ailleurs pour objectif de développer ces activités au maximum en vue d'occuper les jeunes, de les raccrocher à des dispositifs de droit commun et de les réinsérer.
Le partenariat mis en place avec la DAP et l'éducation nationale est très actif. Nous organisons tous les ans des comités de pilotage autour de la détention des mineurs. Nous participerons également au comité de pilotage sur l'enseignement en milieu pénitentiaire le 10 décembre prochain. En outre, l'élaboration d'une circulaire commune de travail avec la direction générale de l'enseignement scolaire – DGESCO – pour la prise en charge scolaire des mineurs détenus ou placés en centres éducatifs fermés figure parmi nos actions prioritaires pour l'année prochaine. Nous avons en effet constaté une similitude entre le profil des mineurs suivis et les problématiques scolaires. Nous avons donc prévu de travailler ensemble au renouvellement des cadres de notre intervention.
Un grand nombre des mineurs accueillis sont des mineurs non accompagnés, ou MNA. Ils sont même parfois majoritaires dans certains établissements. Ce public présente des besoins spécifiques tant sur le plan de la santé que de l'école et de la préparation du projet de sortie. Nous travaillons en étroite collaboration avec la DAP dans le but de ne pas créer de lieux de surconcentration de ces jeunes. Nous nous assurons ainsi qu'ils soient accueillis dans des établissements permettant une prise en charge adaptée à leurs besoins spécifiques. Nous travaillons notamment à leur répartition géographique, en particulier en région parisienne. Nous avons en effet constaté qu'une surconcentration de ces jeunes pouvait les mener à adopter des comportements préjudiciables. Nous préparons ainsi un dispositif permettant de les relocaliser dès le début de leur détention afin de favoriser la continuité de leur prise en charge et d'éviter les ruptures provoquées par d'éventuels transferts. En effet, les quartiers pour mineurs arrivent à saturation. Ce projet fait suite à l'une des préconisations de la dernière mission d'inspection interministérielle pour la prise en charge des MNA.
Pourriez-vous nous donner davantage de précisions sur le profil des mineurs détenus et les peines purgées ?
Au 1er octobre 2021, nous comptions 733 mineurs écroués, soit 1 % de la population carcérale totale et 2 % du public suivi par la PJJ. Cela démontre bien le caractère exceptionnel du recours à l'incarcération de manière générale pour les mineurs sous main de justice. Cette population est composée à 95 % de garçons et 90 % sont âgés de 16 à 17 ans. Deux tiers d'entre eux sont détenus en QM, et un tiers en EPM. 85 % sont sous le coup de procédures correctionnelles. Par ailleurs, 80 % étaient suivis par un service éducatif avant l'incarcération, 20 % avaient fait l'objet d'un placement judiciaire dans un des établissements de la PJJ avant l'incarcération, dont 40 % dans un CEF – centre éducatif fermé. Enfin, 40 % d'entre eux en sont à leur seconde incarcération, et 10 % sont incarcérés pour la quatrième fois ou plus. Il convient de préciser que nous comptons 80 % de détention provisoire, chiffre très important. La proportion de MNA atteint les 20 % dans certains établissements.
À l'instar des jeunes qui nous sont confiés dans les CEF ou dans certaines unités d'hébergement, les mineurs en détention sont fréquemment déscolarisés depuis très longtemps. Il s'agit d'une population souvent paupérisée, ayant connu un certain nombre d'accidents familiaux et venant principalement de zones urbaines. Les mineurs détenus pour des charges criminelles sont pour la plupart incarcérés pour agression sexuelle. Les jeunes filles étant très peu nombreuses, la question de leur prise en charge en milieu carcéral a connu des évolutions. D'abord accueillies dans les quartiers de femmes, nous avons réalisé différentes tentatives afin de les intégrer aux quartiers dédiés aux mineurs. Proposer des activités mixtes leur permet de bénéficier de la même offre éducative que les jeunes hommes.
J'ai la sensation qu'il existe une sorte de parcours pénal ayant pour conséquence d'envoyer les mineurs en détention plutôt que dans un CEF une fois qu'ils ont atteint un certain âge, le confirmez-vous ? Existe-t-il des critères plus précis justifiant la prise en charge de ces 733 jeunes par l'administration pénitentiaire en plus de la PJJ ?
J'ai siégé 0 l'Observatoire de la récidive et de la désistance, que vous connaissez sans doute. Selon vous, les leviers de désistance sont-ils les mêmes chez les mineurs que chez les majeurs ?
En effet ? les critères d'incarcération ne sont pas les mêmes pour les 13 à 16 ans et pour les 16à 18 ans, l'approche de ces deux tranches d'âge étant juridiquement différente. La prise en compte de l'âge est une réalité naturelle dans la décision de l'incarcération. Nous recherchons d'autres réponses pénales pour les mineurs les plus jeunes.
Il est nécessaire de prendre en compte le temps de la jeunesse ainsi que le problème de la réitération. La plupart des mineurs sont incarcérés en détention provisoire, le plus souvent au titre d'infractions correctionnelles. Il s'agit là du sujet principal que nous entendons résoudre avec la réforme du CJPM, et qui démontre l'essoufflement de l'ordonnance de 1945.
Pour l'instant, il faut attendre plus de quinze mois pour que les premiers faits soient jugés, laissant le temps au mineur de réitérer les infractions commises. Au bout de trois ou quatre affaires, le parquet finit par solliciter et obtenir la détention provisoire au prétexte d'éviter la réitération de l'infraction. De fait, la détention provisoire émane directement de la réitération. En offrant la détention provisoire comme réponse naturelle à la réitération, les jeunes qui commettent de nouvelles infractions en sortant de prison sont amenés à y retourner. Nous nous retrouvons alors face à un cercle vicieux entraîné par la détention provisoire comme réponse à la réitération. En fin de compte, très peu de peines sont mises à exécution, puisque la prison est exécutée par le mineur sous le régime de la détention provisoire. Je crois que cela explique pourquoi les 16-18 ans sont davantage incarcérés. Ils ont davantage réitéré. Les mineurs de 14 ou 15 ans sont certainement envoyés en détention en raison d'une forme d'exaspération.
Il convient d'ajouter une catégorie entre les mineurs et les majeurs que j'appellerais les jeunes majeurs ou vieux mineurs. Les mécanismes de résilience chez les majeurs et les mineurs diffèrent, ne serait-ce que parce qu'ils n'ont pas la même maturité, le même rapport au temps ou au risque. Nous avons pu constater que l'incarcération n'a pas la même incidence chez un majeur que chez un mineur. Ce dernier ne dispose pas nécessairement de la même liberté d'aller et venir et de décider de sa vie qu'un majeur. Au contraire, certains mineurs incarcérés trouvent en détention un cadre de vie inexistant chez eux. Ils suivent un rythme quotidien du lever au coucher, ne subissent pas de violences physiques et se trouvent en présence d'adultes qui s'occupent d'eux. Ce mécanisme sera moins utile dans le cas d'un majeur.
Pour un mineur, la détention a parfois encore plus d'effets contre-productifs que chez un majeur, surtout lorsqu'elle est très courte dans le cadre de la détention provisoire. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, elle n'aboutit pas toujours à stopper la pratique délinquantielle. Le mineur en ressort en effet avec une sorte d'aura liée à son séjour en prison. C'est pour cela que nous considérons par principe et par méthode éducative que la détention doit rester une exception et reprendre du sens.
Nous avons été informés que la règle consistant à séparer les mineurs des majeurs était relativement bien respectée, sauf dans le cas des jeunes filles. Avez-vous porté une attention particulière à cette question dans le cadre de vos programmes de travaux prochainement envisagés ?
Je m'étonne et me réjouis que l'encellulement individuel puisse être respecté pour les mineurs, quand ce n'est malheureusement pas le cas pour les adultes. Existe-t-il un mécanisme conduisant le magistrat à décider de l'incarcération d'un mineur en fonction de la disponibilité des cellules ? En effet, je m'étonne de la constance du nombre de mineurs détenus et du fait que l'encellulement individuel soit respecté.
Enfin, l'insuffisance de la prise en charge éducative des mineurs détenus est dénoncée depuis longtemps. En effet, 25 % des jeunes détenus reçoivent moins de sept heures de cours hebdomadaires, 70 % moins de douze. Dans les prisons d'Île-de-France accueillant près d'un quart des mineurs, il peut s'écouler un mois avant que les jeunes rencontrent un professeur, alors que la durée moyenne de détention est de trois mois. Comment améliorer la prise en charge éducative des mineurs, essentielle à la question de la réitération ?
Nous disposons de suffisamment de structures bâtimentaires pour séparer les mineurs des majeurs. Les quartiers pour mineurs ne sont pas situés dans le même bâtiment ou au même étage que les quartiers pour majeurs. Nous avons conscience qu'ils ne sont parfois pas assez éloignés et que des communications verbales peuvent avoir lieu. Toutefois, le parc immobilier demeure globalement satisfaisant. L'exception dont je parlais concerne en effet les jeunes filles incarcérées à la maison d'arrêt de femmes de Fleury-Mérogis. Les futurs projets prévoient un secteur filles séparé de celui des garçons dans la partie réservée aux mineurs.
À l'exception de la rénovation de certaines prisons et du centre des jeunes détenus – CJD – de Fleury-Mérogis, nous ne faisons pas partie des priorités du plan pénitentiaire. En effet, nous ne connaissons pas de problème de surpopulation carcérale, et enregistrons même un taux d'occupation inférieur à 100 % dans certaines régions. Nous disposons ainsi d'une forme de marge de manœuvre sur les places disponibles.
Il est parfois difficile de maintenir le lien avec la famille, et le sujet de la proximité du lieu de détention avec les proches et le territoire de retour du mineur est essentiel. Cette question peut compliquer le travail des éducateurs qui préparent la sortie et de ceux en prison. Je ne dispose pas des chiffres mais, lors de ma visite à l'EPM de Porcheville, j'avais été étonnée par le nombre de mineurs ne recevant pas de visites de leurs parents. Cela s'explique à la fois par la complexité de la procédure, le temps bref de l'incarcération, l'état de saturation de certains parents qui souhaitent punir leurs enfants en ne venant pas les voir, mais aussi la distance entre le lieu de l'incarcération et le domicile familial.
L'encellulement individuel ne pose pas de difficulté compte tenu de nos taux d'occupation. Il arrive que la DAP et la PJJ se mettent d'accord pour ne pas respecter la règle de l'encellulement individuel en cas de risque de suicide. Nous mettons alors en place un système de protection avec un autre mineur.
Je comprends bien votre question quant à la constance du nombre de mineurs détenus et à un éventuel mécanisme de régulation. Je pense que ce mécanisme de régulation n'est autre que la PJJ. Par ailleurs, les mineurs sont incarcérés sous le régime de la détention provisoire, et donc selon des règles très limitatives dans le temps. En effet, la détention provisoire des mineurs correspond au temps d'incarcération le plus court. Par conséquent, le turn-over est beaucoup plus important que chez les majeurs. Pour la PJJ, la détention reste une exception, que certains éducateurs considèrent même comme un échec. Lorsqu'un mineur entre en détention provisoire, le mécanisme naturel consiste à chercher à le faire sortir le plus vite possible.
Le CJPM va nous conduire à revisiter la question de l'incarcération des mineurs, à limiter davantage la détention provisoire. Cela aura un certain nombre de conséquences : la détention sera en effet tellement brève que nous n'aurons plus le temps de préparer la sortie. Nous devrons être très vigilants afin d'éviter les sorties sèches de détention provisoire. Nous attendons également d'observer les conséquences du CPJM sur le prononcé des peines, qui sera plus rapide, sur la capacité de la PJJ à proposer des alternatives à l'incarcération, et enfin sur la façon dont les juges des enfants et les tribunaux pour enfants prendront en compte le bloc peine de la loi de programmation judiciaire. Pour le moment, tout cela n'est pas acquis. En effet, des peines couvrant la détention provisoire sont encore prononcées. Avec le CJPM tous ces équilibres seront revisités. J'espère que cela ne conduira pas à une sur-incarcération des mineurs, et nous constaterons alors si ce taux constant d'incarcération se maintient.
La mission de l'inspection générale de la justice a constaté le faible nombre d'activités scolaires proposées. Elle considère que ce nombre est inférieur aux possibilités offertes par les moyens alloués aux établissements. Elle a également souligné une grande hétérogénéité au niveau national. Parmi les hypothèses pouvant expliquer ce phénomène, l'inspection estime notamment que les logiques de gestion de la détention prennent parfois le pas sur les incidents. Par exemple, en cas de conflit ou d'incident provoqué par un mineur, ce dernier n'a plus accès aux activités et à la scolarité. Pourtant, les professeurs qui interviennent en détention sont habitués à gérer la difficulté scolaire. L'éducation nationale et la PJJ considèrent qu'un incident constitue un objet de travail et ne doit pas conduire à l'exclusion du mineur.
Par ailleurs, les comportements de ces jeunes incarcérés sont connus de l'éducation nationale dans le cadre de l'enseignement spécialisé ou du décrochage scolaire. Malgré cette expertise, on constate des exclusions de cours et des activités, alors même que cette sanction est proscrite. Nous travaillons actuellement avec l'administration pénitentiaire et l'éducation nationale à élaborer une filière commune permettant de favoriser une meilleure prise en charge scolaire et un accès au maximum des possibilités de scolarisation offertes au sein des quartiers pour mineurs et des EPM.
La plupart des mineurs incarcérés ne seraient pas capables de tenir vingt heures à l'école ou de suivre un programme complet, même si nous pouvons bien sûr toujours accroître le nombre d'heures d'activités. Nous travaillons à un réapprentissage, qui commence par s'asseoir à une table et écouter l'adulte présent.
De quel accès à la santé disposent les mineurs incarcérés, y compris en ce qui concerne la santé mentale ?
Le choix a été fait de s'appuyer sur les établissements médicaux existants et de ne pas internaliser entièrement la fonction santé. Un partenariat existe donc entre la DAP et l'ensemble des établissements médicaux. La prise en charge de la santé physique ou mentale représente une priorité, et souvent une nécessité. En effet, la plupart des mineurs arrivant en milieu carcéral présentent un état de santé physique qui mérite d'être évalué. Ils présentent de plus en plus souvent des problèmes de dents, de dos, de douleurs, et bien sûr certains d'entre eux souffrent de problèmes d'addiction, psychiques, voire psychiatriques. Nous rencontrons les mêmes difficultés que la DAP, et faisons parfois face à des déserts médicaux selon l'emplacement des établissements. Nous sommes par ailleurs confrontés à la question de la pédopsychiatrie, spécialité encore plus en difficulté que la psychiatrie.
Nous avons également besoin de l'accord de l'autorité parentale pour un certain nombre d'actes médicaux. Ce problème est encore différent dans le cas des MNA, pour lesquels nous devons susciter une décision de justice, ce qui peut aussi ralentir la prise en charge alors que les détentions sont assez courtes. La DAP est organisée au mieux compte tenu de la situation du réseau médical, et les difficultés que nous rencontrons sont liées à notre système de santé. Les mineurs incarcérés ont plus facilement accès aux soins que les mineurs placés dans nos établissements, car nous travaillons dans le cadre de partenariats locaux beaucoup plus artisanaux. L'administration pénitentiaire bénéficie d'une relation plus établie avec les ARS – agences régionales de santé – et le système de soin.
Concrètement, le mineur reçoit toujours la visite d'un médecin en plus de l'éducateur et du surveillant pénitentiaire dans les premières heures de son incarcération. Nous sommes particulièrement vigilants au choc carcéral. Nous accueillons parfois des mineurs non-profilés PJJ, incarcérés par exemple dans le cadre d'une rixe, d'un passage à l'acte brutal et ponctuel les surprenant eux-mêmes. La prévention du suicide et l'accompagnement à l'incarcération sont très importants. Les unités médicales sont globalement très attentives aux mineurs incarcérés.
Un axe d'amélioration pourrait consister à faire participer les équipes médicales aux commissions pluridisciplinaires hebdomadaires. L'éducation nationale est toujours présente, alors l'unité sanitaire n'est pas toujours représentée. Il existe des établissements où le lien fonctionne très bien, comme dans des quartiers pour mineurs déshérités au niveau des locaux et des moyens. C'est notamment le cas de la maison d'arrêt de Villepinte qui doit bientôt déménager. Malgré des difficultés et un manque de moyens, nous jouissons d'un excellent partenariat avec le secteur sanitaire. Ce n'est pas le cas partout, pourtant la question de leur participation et de ce dialogue est fondamentale, et ne doit pas se limiter à de bonnes relations interpersonnelles selon les établissements.
La réunion se termine à dix-huit heures dix.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Philippe Benassaya, M. Sacha Houlié, Mme Cécile Untermaier
Excusés. - M. Alain Bruneel, Mme Séverine Gipson, M. Jacques Krabal, M. Stéphane Trompille