L'audition débute à onze heures.
Nous auditionnons aujourd'hui des représentants de l'Union de l'industrie de la protection des plantes (UIPP) : Mme Eugénia Pommaret, directrice générale, M. Julien Durand-Réville, responsable santé, et M. Ronan Vigouroux, responsable environnement.
L'utilisation des produits phytopharmaceutiques, la surveillance des expositions qu'elle engendre et le souci de ses impacts marquent l'attention croissante portée aux préoccupations de santé environnementale et à la préservation de la biodiversité. La mise sur le marché et l'utilisation des produits phytopharmaceutiques fait l'objet d'un encadrement, harmonisé à l'échelle européenne par les règlements et directives du paquet sur les pesticides de 2009. En France, le choix d'une moindre utilisation des produits phytopharmaceutiques trouve sa formalisation dans les plans Écophyto 1, 2 et 2+. Dans ce contexte, il nous a paru opportun d'entendre les représentants des entreprises de la protection des plantes.
(Mme Eugénia Pommaret et MM. Julien Durand-Réville et Ronan Vigouroux prêtent serment.)
L'UIPP, créée en 1918, est une association professionnelle qui rassemble les entreprises qui mettent sur le marché des produits phytopharmaceutiques à usage agricole. Comme vous l'avez mentionné, Madame la Présidente, ce périmètre est encadré à la fois par le code rural et le règlement n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009.
L'UIPP compte dix-neuf entreprises adhérentes qui représentent, en valeur, 96 % du secteur de la protection des plantes. Celui-ci emploie environ 5 500 salariés en France, dans diverses fonctions de production, puisqu'il existe des sites de production en France et des fonctions d'encadrement pour les besoins du monde agricole. Comme notre activité concerne le secteur de la chimie pour le domaine agricole, nous sommes affiliés à l'organisation professionnelle des entreprises de la chimie France Chimie. Nous sommes également membres de l'Association européenne pour la protection des cultures (ECPA), qui représente le secteur auprès de la Commission européenne et du Parlement européen. Douze des dix-neuf membres de l'UIPP sont également adhérents à l'Association internationale des fabricants de biocontrôle (IBMA). L'UIPP a une équipe de dix personnes et un réseau constitué d'experts des entreprises qui contribuent à la vie de l'association sur des sujets techniques.
Il existe en France vingt sites de production dans le secteur, et c'est un secteur qui consacre 10 % de son chiffre d'affaires à la recherche et à l'innovation, ce qui s'explique par le fait que l'agriculture est en perpétuelle évolution, au niveau mondial, européen ou français, en réponse aux évolutions qui surviennent sur différents marchés. Nos produits sont destinés à tout type d'agriculture. Ainsi, plus de 40 % des produits utilisables dans l'agriculture biologique proviennent en France des adhérents de l'UIPP. Dans le champ du biocontrôle, dont la France est le seul pays à avoir donné une définition légale, plus de la moitié des produits proviennent de nos adhérents. Les entreprises du secteur adoptent de plus en plus une approche combinatoire d'éléments associant la chimie naturelle, la chimie de synthèse et les produits de biocontrôle. Elles adoptent également des outils numériques qui permettent de remplacer des produits ou d'améliorer les traitements avec des produits plus anciens.
Nous sommes très intéressés par la démarche « une seule santé », mise en avant par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), et nous portons cette approche, qui a du sens face aux enjeux planétaires. La santé humaine et la santé animale sont très liées, et la santé du végétal est un socle, puisque le végétal fournit des aliments aux animaux et aux humains. Face aux enjeux démographiques, la FAO estime qu'il faut continuer à augmenter la production agricole pour accompagner les besoins des populations. La dimension globale de la démarche « une seule santé » nous semble importante, et c'est aussi la dimension qu'il faut donner aux investissements et à l'offre d'innovation. La santé des plantes en est un maillon à part entière.
Nous avons en tête un grand nombre d'exemples sur le lien entre santés humaine et animale, comme nous le rappelle malheureusement l'épidémie actuelle, mais le phénomène est le même avec les végétaux. Nous faisons face à une augmentation de l'impact qu'ont, globalement, les bioagresseurs, c'est-à-dire les maladies des plantes, les insectes ravageurs et les mauvaises herbes. La FAO estime que, sans solution phytosanitaire de protection des plantes, environ 40 % des récoltes sont perdues au niveau mondial : l'impact des bioagresseurs sur l'offre alimentaire est donc très important.
Quant aux maladies des plantes, il n'en existe pas qui soit directement liée à la santé humaine, mais le fait que les plantes soient attaquées par des champignons peut déclencher des problèmes de toxicité. Nous avons tous en tête le cas de l'ergot, de la patuline, des fusarioses qui induisent des mycotoxines pouvant affecter la santé humaine. Cela doit être suivi, tout comme la présence de plantes toxiques telles que le datura ou la morelle qui sont une préoccupation importante dans la chaîne alimentaire.
L'impact du réchauffement climatique sur les activités agricoles est majeur. Les phénomènes climatiques actuels favorisent la progression de maladies ou d'insectes, comme l'augmentation accélérée des populations de ravageurs, ainsi que leur installation à des endroits de la planète où ils n'étaient pas présents et leur développement. Ces signaux nous montrent qu'il nous faut accentuer la surveillance.
L'approche privilégiée est de plus en plus combinatoire, avec des éléments de solution provenant de produits phytopharmaceutiques, ainsi que le développement de l'agriculture numérique, qui fait l'objet d'investissements importants. D'autres éléments importants se trouvent dans la boîte à outils dont dispose l'agriculteur : le raisonnement agronomique, ou encore les variétés résistantes. Nous avons ainsi un ensemble de solutions.
Le secteur phytopharmaceutique est très encadré au niveau réglementaire, par le biais des autorisations de mise sur le marché (AMM). En France, l'AMM date de 1948 et a fait l'objet d'un certain nombre de lois. Au niveau européen, le secteur est encadré par une directive de 1991 et un règlement de 2009 qui fait partie du paquet sur les pesticides. La délivrance des AMM se fait au niveau national, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) ayant un rôle important qui a été renforcé en 2015. Depuis 2015, en plus d'évaluer les conséquences des produits sur la santé humaine des utilisateurs, des riverains, des promeneurs et des consommateurs et sur la biodiversité, l'ANSES délivre aussi les autorisations de mise sur le marché.
Les principes de base n'ont pas trop évolué : l'innocuité est contrôlée, les risques devant être maîtrisés avant la mise sur le marché. Le service agronomique rendu, c'est-à-dire l'efficacité et l'utilité du produit, doit être démontré. Un produit arrive sur le marché uniquement si ces deux principes sont respectés, après une phase d'évaluation très complète. En moyenne, il s'écoule plus de dix ans entre le moment où des propriétés sont observées en laboratoire et le moment où le produit arrive, formulé à la vente, pour les utilisateurs professionnels, dont les agriculteurs.
L'encadrement de la mise sur le marché est réalisé par le règlement n° 1107/2009 déjà mentionné. L'Europe s'est également dotée, par la directive-cadre qui fait partie du paquet sur les pesticides, d'éléments qui concernent l'utilisation des produits en vue d'une harmonisation de la réduction des risques et des impacts. Cette directive contient des éléments sur lesquels les Français ont été précurseurs, tels que le contrôle des pulvérisations, la mise en place de plans nationaux comme Écophyto, plan exigé par cette directive, la formation, la mise en place de bandes tampons, etc.
Vient s'ajouter à ces dispositifs la phytopharmacovigilance, que la France est la première à mettre en place. Comme pour la pharmacovigilance humaine ou animale, un dispositif robuste est coordonné par l'ANSES. Il recense toutes les données provenant des différents organismes pour assurer la surveillance des milieux, des impacts sur la santé et l'environnement. Les AMM étant renouvelées tous les dix ans, une nouvelle phase de réévaluation est réalisée à chaque fois que les substances et les produits sont en cours de renouvellement d'AMM. Les éléments de phytopharmacovigilance sont intégrés dans cette évaluation. Lorsque des éléments ont été constatés lors de l'application ou de l'utilisation normale de ces produits par les utilisateurs, nous pouvons les prendre en compte et l'agence les intègre dans son processus de réévaluation. C'est pour nous un processus important, et la responsabilité des entreprises ne s'arrête donc pas au moment où les AMM sont délivrées.
L'association rassemble des projets en ce qui concerne le domaine non concurrentiel : sécurité des applicateurs, délivrance et préconisations de bonnes pratiques, gestion des déchets avec la société anonyme Agriculteurs, distributeurs, industriels pour la valorisation des déchets agricoles (ADIVALOR). Nous avons été pionniers sur les emballages des produits phytosanitaires, et ce dispositif s'applique maintenant à tout type de déchet sur les exploitations, que ce soient des emballages de produits, de semences ou d'engrais.
Nous avons travaillé sur l'agriculture raisonnée et produit des formations avant même que la directive de 2009 intègre des obligations de formation. Depuis les années 2010, nous avons mis l'accent sur la réduction des risques et des impacts avec des campagnes pour les équipements de protection individuelle (EPI), des démonstrations de pratiques agricoles et la création de guides sur les étiquettes. Ces actions vont dans le sens de la cohérence avec le paquet sur les pesticides. Si l'évaluation du produit conduit à une précision sur les conditions d'emploi indiquées sur l'étiquette, il est de la responsabilité des entreprises de s'assurer que les utilisateurs professionnels se sont bien appropriés le fait. Les entreprises doivent aussi être capables de traiter toute donnée de santé ou d'environnement pour améliorer le profil des produits et leur application.
Nous avons commencé à collecter des statistiques sur les tonnages de matières actives utilisées en France avant même la mise en place de la base nationale des données de vente (BNDV), qui est la base de référence aujourd'hui notamment pour Écophyto. Nous voyons une baisse importante des tonnages de matières actives depuis le début des années 2000, avec une réduction de plus de 40 %. La part des substances actives utilisables en agriculture biologique est en augmentation, sans surprise, puisque des politiques incitent au développement des surfaces en agriculture biologique. La part de l'agriculture biologique atteint maintenant presque 30 % des substances actives, et le biocontrôle progresse aussi, jusqu'à atteindre 23 % des substances actives, tandis que la part du conventionnel diminue. Cette évolution est tout à fait logique compte tenu des politiques publiques qui encouragent l'agriculture biologique et le biocontrôle. C'est l'un des axes du plan Écophyto et de la feuille de route du Gouvernement.
Notre secteur est totalement encadré par des politiques européennes. Nous sommes très attentifs aux évolutions de la réglementation qui nous concerne et plus largement à la stratégie « De la fourche à la fourchette » et au pacte vert pour l'Europe. Nous souhaitons être partie prenante des solutions apportées au niveau européen. Notre association européenne, l'ECPA, a communiqué voici un peu moins d'un mois sur trois types d'engagements.
Je souhaitais souligner cet aspect combinatoire car les enjeux de santé végétale sont très prégnants et le seront peut-être demain encore davantage. Nous réaffirmons notre capacité à apporter une partie des solutions dont a besoin le monde agricole pour continuer à produire en qualité et en quantité tout en respectant les cadres de la protection de l'environnement et de la santé humaine.
Quelle définition donnez-vous de la santé environnementale ? Comment l'UIPP participe-t-elle à l'élaboration des politiques de santé environnementale ? Quelles sont les positions que vous avez prises ? Quelles sont vos propositions ?
Comme ces produits sont destinés à être utilisés en agriculture, tous leurs impacts sont étudiés dans le cadre de leur évaluation, en particulier environnementaux et sanitaires. Notre association a participé à toutes les discussions sur le plan Écophyto et sur le plan national santé environnement (PNSE). Nous participons également à toutes les discussions qui ont lieu sur la façon de faire mieux, dans un cadre européen déjà assez robuste en termes de réglementation. Nous menons aussi, de notre propre initiative, des actions qui nous semblent prioritaires pour réduire les risques et les impacts potentiels de ces produits à la fois sur la santé et sur l'environnement.
Comment travaillez-vous concrètement ? Vous dites avoir participé au PNSE : de quelle manière ? Est-ce une participation à un groupe de travail du groupe santé-environnement (GSE) ? Sur quelle thématique ? Quelles positions avez-vous défendues ? Quelles sont vos propositions pour l'amélioration de la santé environnementale ?
C'est moi qui me suis chargé de la participation de l'UIPP au GSE et aux différents PNSE ; nos propositions sont quasiment systématiquement en cohérence avec les positions de France Chimie. L'UIPP n'a pas de position spécifique sur ces sujets mais s'implique avec les autres filières sur l'ensemble de ces thématiques. La santé environnementale est évidemment un point clef pour nous, parce que ces sujets font partie des éléments d'évaluation des produits. Les produits phytosanitaires figurent aujourd'hui parmi ceux pour lesquels il faut fournir, lors de la constitution du dossier de mise sur le marché, le plus d'informations quant à leurs impacts sanitaires et environnementaux.
Forts de ces connaissances, de ce niveau de détail, nous pouvons apporter une expérience que d'autres secteurs n'ont pas toujours, et c'est ainsi que nous participons. Nous apportons aussi des exemples du passé, puisque les éléments de prévention qui sont un des piliers de la politique actuelle sont des points historiques au sein de l'UIPP. Nous avons été précurseurs que ce soit en France par rapport au niveau européen ou en France par rapport à d'autres secteurs. Les actions que nous avons menées sont parfois de bons étalons de comparaison.
L'UIPP n'a donc pas de position officielle en santé environnementale et s'aligne sur la position de France Chimie. Concrètement, quelles sont vos actions ? Vous me parlez de précautions. N'y a-t-il pas un paradoxe à produire des solutions qui sont connues pour être potentiellement dangereuses et à se positionner en même temps sur des questions de santé environnementale ? Comment conciliez-vous ces éléments contradictoires ?
Toute substance active, quel que soit le domaine, a une efficacité et donc présente un certain nombre de risques. Cette dichotomie est toujours présente et cette réflexion doit être menée. L'idée de l'encadrement européen est de faire une évaluation des risques et des dangers. Nous sommes l'un des seuls secteurs ayant une évaluation intrinsèque de danger. Quel que soit l'usage des produits, en cas de dépassement de certains seuils de danger pour la santé ou l'environnement, les produits ne seront pas mis sur le marché. Ce premier niveau n'existe pas dans de nombreux secteurs.
Le deuxième élément concerne les conditions d'emploi. L'autorisation de mise sur le marché n'est pas accordée sans un certain nombre de conditions d'emploi, en termes d'usages et de dosage. Nous menons une action de prévention dans l'accompagnement de ces conditions d'usage. Les éléments de prévention visent à réduire le risque lié à l'utilisation des produits, que ce soit pour les opérateurs agricoles, les promeneurs, les riverains ou l'environnement. L'école des bonnes pratiques, qui existait historiquement, se poursuit maintenant par des programmes de formation en ligne, des éléments d'affichage, des affiches de bonnes pratiques qui permettent de détailler vis-à-vis des agriculteurs, de manière simple, les différents éléments réglementaires et extra-réglementaires, que ce soit sur la santé ou l'environnement.
Le deuxième axe majeur de notre action concerne l'information. L'autorisation de mise sur le marché impose des conditions d'utilisation. Il faut les faire comprendre, qu'elles soient lisibles et compréhensibles par les agriculteurs. Je travaille sur cet enjeu majeur depuis 2017 avec l'ensemble des parties prenantes, telles que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l'ANSES, les ministères concernés, et l'ensemble des structures agricoles représentatives.
Nous avons fait des tests grandeur nature avec des agriculteurs représentatifs de la diversité des agriculteurs pour mieux comprendre la manière dont ils lisaient les étiquettes, et comment ils pouvaient mieux les comprendre. Cela a conduit à la publication en 2017 d'un projet inédit au niveau international, qui vise à homogénéiser les étiquettes des produits phytopharmaceutiques. Le but est que, quelle que soit la marque du produit, l'agriculteur trouve les mêmes informations au même endroit, présentées de la même manière, avec non seulement les éléments réglementaires mais aussi des recommandations supplémentaires. Ce travail a été conduit main dans la main avec les agriculteurs.
Par exemple, sur les équipements de protection individuelle, trois pages de texte issues des autorisations de mise sur le marché ont été traduites par un tableau visuel permettant de savoir, en fonction des différentes tâches agricoles, du type de produit et du type de matériel agricole, quels sont les équipements qui doivent être portés, à quel moment.
Nous produisons également un travail technique important et passionnant sur les équipements qui permettent de réduire les risques liés à ces produits. Au niveau européen, cet engagement porte sur les systèmes de transfert en circuit fermé (CST), systèmes qui permettent d'emboîter directement les bidons. Cela permet de ne pas avoir de contact entre le produit concentré, l'environnement et le corps de l'opérateur, comme lorsque vous mettez une capsule de café dans votre machine : vous n'êtes à aucun moment en contact avec le café moulu. Ces systèmes intègrent aussi un système de rinçage qui permet, lors du retrait du bidon, qu'il soit vidé et rincé et, donc, qu'il n'existe pas de risque de contamination. Un autre travail important, à saluer car la France est en pointe dans ce domaine, porte sur les équipements de protection individuelle. Ce n'est évidemment qu'une petite partie de la prévention. La prévention primaire consiste à ne pas utiliser les produits s'ils ne sont pas nécessaires. L'hygiène et l'organisation du travail sont d'autres piliers importants.
Jusqu'à présent, les normes de protection suivaient les normes internationales sur la protection chimique, écrites pour protéger un ouvrier en usine. Un agriculteur est très loin d'être dans ce cas, ce qui conduisait à porter des équipements de protection assez inconfortables, peu adaptés au métier d'agriculteur et aux mouvements à réaliser. En France, le ministère chargé de l'agriculture, le bureau chargé de la santé au travail et l'ensemble de l'industrie ont travaillé à l'émergence de normes spécifiques destinées aux agriculteurs afin qu'ils disposent d'équipements mieux adaptés à leur métier, en travaillant sur leur conception et leur adaptation. Ces équipements ressemblent à des vêtements de travail, mais ont des qualités suffisantes pour la protection de l'agriculteur en termes d'effet barrière. Les équipements de protection étaient jusqu'à présent plutôt adaptés à des ouvriers masculins en usine et nous avons maintenant des équipements avec des coupes spécifiques pour les hommes et pour les femmes. Notre industrie s'est beaucoup impliquée pour susciter ces innovations techniques.
Votre participation à la politique de santé environnementale consiste donc essentiellement à donner des informations sur les produits pour qu'ils soient utilisés au bon dosage, par substance. Qu'en est-il de l'effet cocktail ?
C'est un sujet dont l'évaluation scientifique a une quinzaine d'années. Il est prévu dans la réglementation sur les pesticides. Pourquoi la recherche s'est-elle penchée sur l'effet cocktail en ce qui concerne en particulier les produits phytopharmaceutiques ? C'est parce que nous avions dans nos dossiers d'évaluation un niveau de détail suffisant pour rentrer dans cette question. Au niveau européen et au niveau national, les agences concernées – l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l'ANSES – ont décidé de travailler sur des méthodologies d'évaluation des cocktails, en prenant l'exemple des produits phytosanitaires puisque les données brutes disponibles le permettaient.
Depuis 2008, des travaux sont en cours au niveau européen et au niveau français, avec deux philosophies différentes. Au niveau européen, l'objectif est de faire une évaluation par type de toxicité plutôt que substance par substance. Il n'est pas possible de faire une évaluation de tous les cocktails ou de toutes les combinaisons possibles. L'idée est donc d'évaluer ensemble toutes les substances qui ont un effet sur tel organe ou tel chemin métabolique. Les seuils de santé sont alors déterminés par groupe de substances, sur des critères liés à la toxicité et non à la substance, l'objectif étant de s'assurer que l'exposition des consommateurs ou des agriculteurs ne dépassera pas ces seuils sanitaires transversaux en cas d'exposition à plusieurs substances. L'EFSA a publié voici quelques mois une deuxième évaluation de cette méthodologie sur deux tests grandeur nature.
Ma question portait sur votre propre participation et non sur ce que font les agences. Comment, dans le dispositif d'information destiné aux utilisateurs, avez-vous pris en compte les risques liés à l'effet cocktail ?
Nous participons d'abord en donnant aux agences l'accès à nos données, ce qui leur permet d'évaluer l'effet cocktail et, ensuite, en agissant au niveau des bonnes pratiques agricoles pour réduire le risque.
Comment introduisez-vous l'effet cocktail dans les recommandations que vous donnez dans vos documents de bonnes pratiques ?
Il faut revenir au principe même de l'autorisation de mise sur le marché. Une discussion est en cours pour savoir comment prendre en compte l'effet cocktail dans les évaluations, c'est donc encore en voie d'exploration, et l'EFSA et l'ANSES y travaillent. Lorsque les entreprises déposent un dossier, elles déposent un dossier qui répond aux exigences de l'évaluation à l'instant donné. Lorsque les entreprises déposent des dossiers aujourd'hui, elles le font en fonction des critères objectifs encadrés par le règlement, selon les bonnes pratiques des laboratoires, en respectant les exigences des principes uniformes de l'homologation.
À ce jour, nous pouvons mettre en avant que la gestion du risque pour l'applicateur est contenue dans l'AMM. Si les conditions d'emploi et le risque sont jugés maîtrisés par les agences, le produit obtient une AMM. Notre rôle en tant qu'entreprise est de nous assurer que, dans les phases amont, dans l'évaluation, nous avons bien répondu avec les études engagées par les entreprises et rempli les critères des principes uniformes exigés à l'instant donné. Sinon le produit ne reçoit pas la validation de l'ANSES et n'est pas mis sur le marché. Je rappelle de plus que, au cours de la vie du produit, durant les dix ans pour lesquels l'AMM est délivrée, si des éléments de phytopharmacovigilance apparaissent, l'AMM peut être revue, voire supprimée.
La référence pour vous est donc l'AMM. En l'absence de travaux suffisamment avancés de la part des agences, vous continuez à donner des conseils d'utilisation substance par substance, sans tenir compte des effets cocktail possibles.
La responsabilité des entreprises ne s'arrête pas au moment où l'AMM est délivrée. Nous connaissons tous, pour les produits parfois un peu dangereux que nous utilisons dans notre quotidien, le fait de passer un peu vite sur les étiquettes. Les agriculteurs ont une formation adaptée, spécifique à l'utilisation des produits et il est de la responsabilité des entreprises de s'assurer que ces messages ont été bien compris.
Non, ce n'est pas de la responsabilité des utilisateurs. C'est de la responsabilité des entreprises, de nos entreprises, de s'assurer que les utilisateurs ont bien compris les étiquettes. Il faut que les agriculteurs se posent avant tout la question de la nécessité d'une intervention phytosanitaire face à un problème de santé végétale, sachant que la solution peut être l'utilisation de variétés résistantes, une gestion agronomique, une intervention mécanique, ou encore une intervention chimique naturelle ou conventionnelle.
Ce sont les systèmes de conseil des agriculteurs. Quant à nous, nous respectons les critères qui permettent que le produit arrive sur le marché et que l'AMM soit délivrée. Nous intervenons à notre niveau dans le cadre de la directive, avec les personnels du machinisme pour l'adaptation des machines, et avec les fabricants de vêtements. À chaque fois qu'il est possible d'aller plus loin, nous le faisons. Je souligne par ailleurs que, dans tous les exemples où la France est précurseur, cela remonte au niveau européen parce que les autres pays n'ont pas le même encadrement et que le contexte de l'expérience française a incité à la réduction des usages, des risques et des impacts. Nous nous sommes engagés dans ce processus dans le cadre du plan Écophyto. Sachons tirer profit de cette dynamique de collaboration entre les différents intervenants. C'est capital au moment où la France se positionnera sur les enjeux du pacte vert européen et de la stratégie « De la fourche à la fourchette ».
Sur quelles bases scientifiques vous appuyez-vous pour élaborer vos recommandations de bonnes pratiques ?
Nous prenons en compte les derniers résultats publics à notre disposition, au nombre desquels figurent bien entendu les études des différentes agences, mais aussi les publications universitaires, sur lesquelles nous assurons une veille. Nous menons également nous-mêmes des études avec des clubs d'utilisateurs de manière à mieux comprendre la manière dont les produits sont utilisés et la manière dont ils pourraient être améliorés. Nous capitalisons donc à la fois sur cette expérience de terrain, et sur les enseignements des études scientifiques. L'objectif des programmes que nous mettons en place est de faire se rencontrer les deux.
Comment l'UIPP travaille-t-elle avec le monde de la recherche et les grandes agences scientifiques de santé environnementale ? Quel jugement portez-vous sur leur fonctionnement ?
Il nous arrive de faire des études nous-mêmes, en particulier des études de bonnes pratiques ou d'évaluation de l'exposition. Il nous est arrivé de cofinancer des projets de recherche qui nous semblaient pertinents, notamment sur la santé des agriculteurs. Nous mettons, lorsque cela est possible ou nécessaire, des données de société ou d'interprofession à la disposition des chercheurs.
Tout à fait, il est assez ancien. Ce code de déontologie porte sur le respect des réglementations et le respect des règles en lien avec les parties prenantes. Il porte aussi sur l'encadrement de la communication sur nos produits, qui est strictement réglementée, et sur le respect des règles de la concurrence. En tant qu'association professionnelle, nous ne nous positionnons que sur des actions dans le domaine non concurrentiel ou pré-concurrentiel.
Nous sommes présents dans le consortium public-privé sur le biocontrôle. Les entreprises investissent et participent à ce consortium avec l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) pour faire émerger des solutions. L'UIPP et d'autres associations professionnelles interviennent en appui pour diffuser les éléments issus du travail de ce consortium. Il s'agit plutôt de trouver des solutions que de traiter des aspects purement sanitaires. À ma connaissance, il n'existe pas de consortium spécifique pour les questions traitées par votre commission. J'insiste sur le rôle des associations qui peut être moteur, mais uniquement sur des aspects transversaux et non concurrentiels.
Dans une tribune dans Le Monde, 450 scientifiques ont appelé à appliquer le principe de précaution sur les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI) et à arrêter d'utiliser ces pesticides en milieu ouvert. Quelle est la réponse de l'UIPP ? Quelle est votre définition du principe de précaution ?
Nous suivons évidemment le sujet des SDHI. Nous avons mis à disposition les données sur ces substances et nous avons suivi l'évaluation. Par quatre fois, l'ANSES s'est positionnée sur ce sujet. Nous avons apporté également des données en termes d'usages. Cette famille de substances représente actuellement 2 % des usages, proportion stable dans le temps.
Ce n'est pas à nous de juger de l'alerte. Des instances ont été sollicitées sur le sujet, notamment un groupe sur les alertes et l'ANSES. La question est également montée au niveau européen. Il faut faire l'évaluation scientifique de l'alerte et des données qui sont à disposition. Je souligne encore la place de la phytopharmacovigilance. Ce système permet un travail d'évaluation des différents signaux et d'apporter des crédits pour financer des études supplémentaires. La phytopharmacovigilance et le volet recherche du plan Écophyto ont lancé des études complémentaires.
Quel est votre positionnement de principe par rapport à la notion de principe de précaution ?
Notre positionnement est celui d'acteurs économiques qui respectent une réglementation considérée, notamment au niveau européen, comme la plus robuste quant à l'utilisation et à la mise sur le marché de ces produits.
Cette réglementation a déjà fait l'objet d'évolutions importantes. La dernière a eu lieu dans le cadre de la législation alimentaire générale (GFL) sur l'accès aux études ; elle peut en partie répondre à votre question. Elle a été adoptée l'année dernière et est en cours d'application.
Les entreprises de mon secteur, que cela concerne des produits conventionnels, des produits de biocontrôle ou des produits pour l'agriculture biologique, doivent avoir des solutions adaptées respectant les deux critères d'efficacité et d'innocuité.
Les critères conduisant à la délivrance des AMM deviendront probablement plus stricts et l'évolution de la science nous montrera les éléments à regarder davantage. Les entreprises ont besoin de visibilité et de prédictibilité. Elles investiront sur des créneaux moteurs qui vont au-delà de la chimie de synthèse comme le biocontrôle et le numérique. La logique est toujours la même : résoudre le problème de la santé des végétaux, pour tout type d'agriculture, en mettant sur le marché des produits sains qui répondent aux enjeux.
Les entreprises évoluent dans un cadre réglementaire qu'elles doivent respecter, sur lequel elles n'interviennent pas, avec l'intervention d'agences scientifiques et de politiques publiques. Pour les produits potentiels dangereux soumis à AMM, seules la réduction de l'exposition au risque et la maîtrise du risque peuvent conduire à une AMM. Même lorsque l'AMM a été délivrée, des améliorations de la maîtrise du risque ou des quantités peuvent encore arriver dans une logique de responsabilité.
L'audition s'achève à onze heures cinquante-cinq.