Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 15h45

Résumé de la réunion

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  • arbitrage
  • droit voisin
  • voisin
  • éditeur
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MISSION D'INFORMATION SUR L'APPLICATION DU DROIT VOISIN AU BÉNÉFICE DES AGENCES, ÉDITEURS ET PROFESSIONNELS DU SECTEUR DE LA PRESSE

Mercredi 29 septembre 2021

La séance est ouverte à quinze heures quarante.

(Présidence de Mme Virginie Duby-Muller)

La mission d'information auditionne Mme Laurence Franceschini, conseillère d'État, présidente de la Commission paritaire des publications et agences de presse, auteure de deux rapports sur le droit voisin des éditeurs de publications de presse présentés au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA)

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la présidente

Virginie Duby-Muller. Vous êtes une spécialiste des sujets médias et nous avons déjà eu le plaisir de vous auditionner. Vous pourrez nous fournir des éléments de contexte sur le modèle de la presse, qui a été profondément modifié au cours des 10 dernières années par l'arrivée des plateformes. Elles ont capté les revenus des agences, des éditeurs et des professionnels de la presse. Sur tous ces sujets, nous souhaitons vous entendre.

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Laurence Franceschini

J'ai rédigé deux rapports en 2016 et en 2017 au moment de la négociation de ce qui va devenir la directive 2019/790 du 17 avril 2019. Je ne sais pas si je serai en mesure de vous apporter de nouveaux éléments.

Comme vous m'y invitez, je vais m'efforcer de remettre ce sujet du droit voisin des éditeurs de presse en perspective. Il est né au tout début des années 2010 avec la multiplication des plateformes, des réseaux sociaux et des moteurs de recherche, captant non pas l'intégralité des publications de presse mais des extraits.

Dès 2013, une réflexion a été lancée sur le droit voisin des éditeurs de presse. Cette question ne s'est pas posée pour les publications papiers, les éditeurs étant cessionnaires des droits d'auteur des articles pour l'ensemble de la publication. Elle est née avec l'intensification de l'utilisation délinéarisée des articles de presse et aurait pu aboutir à un projet de loi sur le droit voisin des éditeurs de presse. Ce texte n'a pas prospéré car les éditeurs ont négocié directement avec Google une enveloppe de 60 millions d'euros sur 3 ans pour financer un certain nombre d'investissements, le Fonds Google.

Le droit voisin des éditeurs de presse est la contrepartie, dans le droit français de la propriété littéraire et artistique, des investissements consentis pour la rédaction des articles, mais aussi pour des investissements techniques, liés à la création des sites de presse en ligne. Les producteurs de phonogrammes et les producteurs audiovisuels bénéficient déjà de ce droit voisin.

Je m'exprime ici à titre personnel. La volonté d'inscrire dans les textes ce droit voisin est revenue parce que les éditeurs de presse se sont finalement sentis floués par l'accord négocié en 2013, tant sur son montant que sur son principe, puisque le Fonds Google s'est transformé en fonds européen, avec beaucoup plus de bénéficiaires.

J'ai rédigé deux rapports, le premier sur le principe même du droit voisin, le second sur le traitement des extraits et des titres des articles de presse.

Vous connaissez parfaitement la chronologie des négociations des éditeurs de presse avec Google ou Facebook et les recours devant l'Autorité de la concurrence. Le droit voisin a prospéré tant dans l'article 15 de la directive européenne que dans la loi française. Vous êtes les mieux placés pour savoir que la France a été la première à transposer la directive et qu'à ce jour peu de pays l'ont fait. La Commission européenne a envoyé une mise en demeure à 23 pays en juillet dernier pour absence de transposition de cette directive. Cette situation interroge l'implication de nos partenaires.

Vous avez reçu la SACEM et vous avez pu constater que la mise en place de l'organisme de gestion collective (OGC) était délicate et qu'elle ne traduit pas l'unité des différentes familles de presse sur la manière d'appréhender ce droit voisin.

Enfin, se posent la question du partage de ce droit avec les journalistes et celle de l'implication des agences de presse que les décisions récentes de l'Autorité de la concurrence ont confortées.

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Pensez-vous que les négociations conduites en direct par certains éditeurs de presse sont de nature à freiner les discussions à venir avec l'OGC ?

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Laurence Franceschini

Si les négociations individuelles sont transparentes au sein d'une même famille de presse, elles peuvent cohabiter avec celles menées par l'OGC. En revanche, si elles sont opaques, si un éditeur cherche à jouer sa propre partition, elles peuvent fragiliser les négociations globales.

Par ailleurs, il n'est pas facile d'appréhender l'accord signé en janvier 2021 entre l'APIG et Google avant les décisions de l'Autorité de la concurrence et les accords individuels conclus par certains titres. Face aux plateformes, il est indispensable que les éditeurs fassent bloc.

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Laurence Franceschini

Je relisais les dispositions adoptées dans la loi de 2019 pour que le droit voisin prenne corps. Je sais à quel point l'Assemblée nationale a joué un rôle essentiel et je me demandais ce que le législateur pouvait encore apporter. Je suis encore membre, pour quelques semaines, de l'HADOPI et je me demande si une instance d'arbitrage de dernier recours pourrait être utile dans les relations entre les familles de presse et les plateformes, les réseaux sociaux et les sites d'actualité. Il est toutefois indispensable que cette autorité d'arbitrage dispose d'un véritable pouvoir d'injonction, ce qui implique une décision du législateur. Il me semble que l'Italie a adopté un dispositif de ce type.

Une telle instance doit disposer d'une certaine taille critique. Vous avez créé l'ARCOM, une instance de régulation aux compétences élargies sur le monde de l'internet et la manière dont les contenus y sont exposés. Vous pourriez envisager de la doter, à moyen terme, d'une compétence d'arbitrage et d'injonction.

L'ARCEP est une autre piste, peut-être moins cohérente en termes de compétences sur les contenus de la presse. Vous lui avez confié la régulation de la distribution physique de la presse en révisant la loi Bichet en 2019. Vous pourriez la doter d'une compétence de régulation dans l'univers numérique.

Ces deux schémas comportent des avantages et des inconvénients. Rattacher cette fonction d'arbitrage à une instance forte est important dans le rapport d'autorité avec les plateformes. Elle aurait plus de poids qu'une instance exclusivement dédiée à ce sujet.

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Comment envisagez-vous cette autorité, sa composition ?

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Laurence Franceschini

Je n'ai pas encore suffisamment réfléchi à ces détails. Le rattachement de cette comission à une instance existante pourrait se traduire par la création d'une sous-commission pour instruire les dossiers, les décisions étant prises par l'instance plénière. L'ARCOM sera composée de 9 membres et l'ARCEP dispose de 7 membres. Ce ne sont donc pas des instances pléthoriques. Cette idée est récente et je n'en ai pas encore discuté avec d'autres personnes que vous pour imaginer le schéma organisationnel précis.

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Nous aurions pu interroger les juristes que nous avons reçus sur la procédure applicable en cas d'échec des négociations.

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Laurence Franceschini

Le législateur devra déterminer quelle sera l'instance de recours, le Conseil d'État ou la Cour d'appel de Paris.

Quand vous avez confié la régulation de la distribution de la presse à l'ARCEP, celle-ci a dédié un de ses membres à ce sujet mais les décisions restent prises par l'ensemble du collège.

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Nous venons d'entendre la SACEM qui prône l'arbitrage d'une autorité indépendante. Quel est votre point de vue sur les snippets et les photographies incluses dans les articles ? La législation actuelle répond-elle aux enjeux posés par ces contenus particuliers ou suggérez-vous une évolution ?

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Laurence Franceschini

Nous avons beaucoup réfléchi au moment de la discussion parlementaire aux différents termes à utiliser. La loi pourrait être plus précise sur les snippets et les courts extraits mais cela créerait des effets de bord difficilement gérables. Se placer dans les mains du juge et de la jurisprudence crée une forme d'aléa. C'est la raison pour laquelle, après avoir tenté des rédactions alternatives, nous nous sommes arrêtés à cette idée, retenue par l'Allemagne et par l'Italie, que les snippets entraient dans le champ de l'article 16. Enfin, s'il me paraît utile de couvrir explicitement la photographie pour les agences de presse, peut-être un peu moins pour les éditeurs de presse, je ne sais pas si la loi doit être plus précise

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Considérez-vous que la majorité des pays européens sont réticents à transposer la directive sur le droit voisin ?

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Laurence Franceschini

Pour la rédaction de mon second rapport, je me suis rendue à Bruxelles et j'ai rencontré le rapporteur du texte de la directive, la Commission européenne et la Représentation permanente ainsi que les représentants de plusieurs pays. Ce retard de transposition dans 23 Etats membres montre qu'ils n'ont pas la même sensibilité que la France sur ce sujet. Il obéit peut-être aux mêmes ressorts que d'autres sujets portés par la France, parfois un peu seule, sur le thème de la diversité culturelle. La directive relative à la fourniture de services de médias audiovisuels (SMA) de 2018 et celle sur les droits d'auteur de 2019 sont la marque de l'investissement de notre pays.

Je me souviens que quelques semaines encore avant l'adoption de la directive sur le droit voisin, les positions étaient encore fragiles, même celle l'Allemagne qui a fini par se rallier à la position française.

Enfin, il m'a semblé que le schéma de gouvernance de la société de gestion collective à dimension européenne envisagée par certaines familles de presse était moins avancé que la société envisagée par le syndicat de la presse magazine et la SACEM.

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Nous vous remercions pour la clarté et l'exhaustivité de vos propos.

La réunion se termine à seize heures dix.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 15 h 45

Présents. – Mme Virginie Duby-Muller, M. Laurent Garcia, Mme Souad Zitouni

Excusé. - Mme Catherine Daufès-Roux