Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 12h00

Résumé de la réunion

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  • diversité
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La réunion

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La mission d'information procède à l'audition, ouverte à la presse, de Mme Laëtitia Hélouet et M. Boris Janicek, co-présidents du Club XXIe siècle et de Mme Samira Bougrara, membre.

La séance est ouverte à 12 heures 15.

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Mesdames, Monsieur, mes chers collègues, les travaux de notre mission nous conduiront à remettre un rapport à nos collègues afin de proposer un état des lieux, des mesures et des pistes de réflexion pour rendre plus effective la lutte contre le racisme en général dans notre société. Nous avons d'abord reçu des universitaires de différentes disciplines, et nous poursuivons nos travaux en entendant des associations et des acteurs de terrain sur cette question très large. Votre association est très engagée dans la question de l'égalité des chances, de la méritocratie républicaine, et par certains égards, dans la lutte contre les inégalités de destin et les discriminations qui peuvent subsister, parfois en nombre, notamment dans le monde du travail ou de l'éducation.

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. Nous sommes heureux de pouvoir entrer dans le concret, après beaucoup d'auditions qui nous ont éclairés sur le fonctionnement et les mécanismes du racisme. Vous semblez avoir posé un objectif et vous y être consacrés totalement, tout en gardant l'universalisme des associations de lutte contre le racisme bien connues. Nous aimerions vous entendre sur les actions très concrètes que vous mettez en œuvre.

Votre travail pose la question des modèles de réussite. A-t-on besoin de modèles de réussite pour tirer « vers le haut » des personnes issues de l'immigration ou qui appartiennent à des minorités ethniques ? Faut-il des modèles pour démontrer à ceux qui auraient des préjugés racistes que toute personne est méritante et que les croyances qui fondent ces préjugés sont erronées ? J'aimerais connaître votre avis sur la discrimination positive, savoir comment vous construisez les actions que vous mettez en œuvre, et savoir si vous pensez aux effets « boomerang ». Le législateur, qui est plein de bonnes intentions, prend parfois des prises de position qui peuvent entraîner, des décennies plus tard, de tels effets. Je ne lie pas nécessairement l'effet « boomerang » à la discrimination positive, mais il arrive qu'il y ait des conséquences imprévues.

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Laëtitia Hélouet, co-présidente du Club XXIe siècle

. Le Club XXIe siècle est une association loi 1901 dont le combat est de faire de la diversité une force pour la France, en proposant des projets et des actions concrets. Nous sommes 300 dans ce collectif, avec des profils de réussite extrêmement variés. Certains membres sont issus de la diversité, d'autres n'en sont pas issus mais pensent que ce sujet est important et souhaitent apporter leur contribution. La question de la diversité recoupe des champs assez multiples, et nous avons la conviction que toutes les diversités (égalité femmes-hommes, handicap) doivent s'épanouir. Nous constatons néanmoins que le domaine de la diversité socioculturelle progresse moins vite que les autres, quand on le compare par exemple avec le domaine de l'égalité femmes-hommes, qui, grâce à des dispositions et un vrai volontarisme, a beaucoup avancé. La diversité d'origine est une question sur laquelle les besoins restent manifestes et les avancées moins nombreuses. Voilà où se situe notre cœur d'intervention.

Ce cœur d'intervention se structure autour de deux axes. Le premier est celui de l'égalité des chances dans le monde de l'éducation, puisque c'est là que se cristallise la capacité à développer les perspectives et les opportunités de chacun, et qu'il faut éviter de les figer à une étape du parcours. Le second axe est celui du monde du travail. Sur ces deux axes, nous agissons à deux niveaux : les projets concrets, et les représentations collectives. Quand un collectif de travail change – que ce soit dans une grande entreprise ou dans une petite – des parcours individuels et des personnes en bénéficient, mais c'est aussi toute une représentation que l'on modifie. Nous sommes particulièrement soucieux qu'à tous les étages, et pas seulement pour les publics en difficulté, mais aussi au plus haut sommet des entreprises ou de la fonction publique, la France puisse être représentée dans toute sa diversité. C'est une manière de donner des exemples concrets de réussite, et, ce faisant, de créer une dynamique et de faire évoluer les représentations.

Il nous semble que c'est lorsqu'il propose des actions concrètes que le positionnement du club est le plus pertinent. En matière d'égalité des chances, citons des projets comme les entretiens d'excellence, qui ont permis d'accompagner plus de 60 000 élèves depuis leur création en 2005. Nous conduisons également des actions très fortes en matière d'accompagnement et d'accélération de la diversité dans le monde du travail, sur lesquelles nous pourrons revenir.

Il existe enfin dans notre projet une dimension de pédagogie. Vous nous demandiez ce que nous pensons des mesures de lutte contre les discriminations. Notre point de vue est que s'arrêter à la lutte contre les discriminations revient à ne pas prendre le sujet dans sa globalité, alors qu'il ne peut progresser que lorsqu'il est pris dans son entièreté. Par exemple, si nous mettons en place un CV anonyme et que le candidat intègre une entreprise, cela permet de lever certains biais, mais si le chef d'entreprise n'est pas convaincu de l'intérêt de la diversité, le risque est que la personne qui vient de franchir un premier plafond de verre ne se voie bloquée par un deuxième ou un troisième. Notre conviction est que la diversité doit être étendue, en termes d'intérêts, de projets et de réalisations concrètes, à tous les niveaux. La focalisation sur l'enjeu social est très importante, et à juste titre, mais il existe aussi un enjeu de rentabilité économique, de levier de performance, sur lequel mettre fortement l'accent. Il s'agit de faire comprendre, y compris à ceux qui n'en sont pas convaincus au départ, que les efforts pour la diversité ne relèvent pas seulement de l'abnégation, d'un sacrifice social, ou d'une volonté de garder une cohésion au sein de l'équipe, mais que c'est aussi un vrai levier de performance. Nous pourrons revenir sur ce sujet.

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Boris Janicek, co-président du Club XXIe siècle

. Nous sommes des acteurs de la société civile et de la cité – tous bénévoles, au Club XXIe siècle. Notre approche est résolument positive, mais dans un sens pragmatique, concret. Si nous lançons un baromètre pour mesurer la diversité dans les entreprises, c'est pour montrer ce qui se fait de bien, pour mesurer et pour aller vers une évolution qui mènera à des partages de bonnes pratiques. Notre approche est résolument tournée vers la démonstration que la diversité qui sera un « mieux » pour la France ; cela dépasse cette approche altruiste, très humaniste, cette volonté très « RSE » de faire avancer les choses.

Quand nous parlons de performance, nous nous situons en dehors de toute subjectivité puisque nous travaillons sur des éléments mesurables de la performance de l'entreprise. Ce n'est pas un hasard – et nous citons souvent cet exemple – si une très grande banque d'investissement a décidé, dès la fin de l'année dernière, de n'accompagner en bourse, à partir de juillet, que les entreprises qui auraient au sein de leur comité exécutif des personnes issues de la diversité. On parle ici de la diversité d'origine, de genre. Les sociétés qui comptent des personnes issues de la diversité au sein de leur comité exécutif voient une progression de 44 % de leurs résultats en quatre ans, tandis que celles qui n'en comptent pas n'affichent qu'une progression de 13 %. Nous sommes donc dans une approche très pragmatique, qui, nous l'espérons, devra pousser les entreprises et tous les acteurs des secteurs public et privé à aller dans cette direction.

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Laëtitia Hélouet, co-présidente du Club XXIe siècle

. La comparaison avec le domaine de l'égalité femmes-hommes, qui a soulevé un certain nombre de réticences, est fréquente. Certains ont pu diffuser le sentiment qu'il fallait agir par obligation, injonction, ou par imitation. Les chefs d'entreprise ont toutefois constaté, en agissant, que l'obligation de redéfinir leurs process a entraîné la mise en place une organisation de travail plus efficace, laquelle a débouché sur une meilleure rentabilité économique. Le même parallèle peut s'opérer dans le domaine de la diversité.

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. Vous parliez d'entretiens d'excellence ; pouvez-vous préciser de quoi il s'agit ? Pourriez-vous nous citer des actions concrètes ? Vous avez évoqué ces entretiens d'excellence, « révèle@her », et « talents des cités ». J'ai lu dans votre éditorial, au moment de votre prise de présidence, que vous notiez des progrès mais que ces derniers n'étaient pas nécessairement à la hauteur de vos ambitions. Disposez-vous d'outils de mesure qui puissent nous éclairer ? Cela peut être le nerf de la guerre.

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Laëtitia Hélouet, co-présidente du Club XXIe siècle

. Vous nous avez interrogés sur la fonction de role model, ce qui me donne aussi l'occasion de revenir sur le collectif qu'est le club. Avec ses 300 membres extrêmement engagés, le club s'inscrit dans une dynamique de role models. Cela est utile car elle offre une possibilité de discuter et de partager des expériences, y compris autour de moments qui ne correspondent pas à des réussites. Certains connaissent des parcours fulgurants, d'autres des parcours moins linéaires. Cette dimension est importante et constitue l'organisation et le fonctionnement même de notre vivier de membres.

La question de la diversité constitue dans le fond un sujet systémique. Ce qui signifie que les réponses, y compris en termes de projets, doivent être systémiques. Pour avancer, savoir ce que l'on fait et opter pour des choix éventuellement pertinents, il faut savoir se situer : d'où le baromètre. La diversité d'origine, sujet au cœur du club, est finalement très peu mesurée en France. Il existe toutefois quelques mesures, notamment l'étude « Trajectoires et origines » menée par l'Institut national d'études démographiques (INED) et par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), qui donne des éléments de mise en perspective pour faire le lien entre trajectoires et origines.

Le monde du travail est l'un des piliers de ressources d'épanouissement personnel. C'est aussi un axe majeur en termes de représentations dans la société. Dans le monde de l'entreprise aujourd'hui, il n'existe pas de mesure de la diversité, en dehors du baromètre qui a été initié par le club. Nous allons en parler, mais nous profitons d'être entendus à l'Assemblée nationale pour soulever cette réflexion : il existe pourtant des outils simples et respectueux du cadre républicain. Le Club XXIe siècle est résolument porté et animé par des valeurs républicaines. La capacité à mesurer constitue un point de départ incontournable pour dépasser le stade des perceptions.

Dans les petites comme dans les grandes entreprises, savoir « où l'on en est » est un préalable indispensable au changement. Le baromètre peut être adossé à des éléments de performance – comme nous l'avons évoqué tout à l'heure dans le domaine de l'égalité femmes-hommes – et nous pouvons aussi l'adosser à une logique de progression. Il ne s'agit pas de se contenter d'un baromètre à un instant « T » mais de poser un socle et s'inscrire dans une logique de progression. Le fait de nommer est aussi une manière d'identifier le sujet, voire de le prioriser.

Le dernier baromètre réalisé par le club date de 2017. Il en ressort un constat assez simple. Le chiffre le plus parlant est le suivant : 1 % des administrateurs des conseils d'administration du CAC 40 et des comités exécutifs sont d'origine non européenne. Nous n'entrons pas dans la distinction entre « occidentaux » ou « non occidentaux », mais ce chiffre montre la faible diversité de ce que l'on estime être le sommet ; et nous insistons sur le sommet parce qu'il est révélateur de l'importance accordée à la question. Ce qui se produit au sommet produit un effet d'entraînement qui permet de faire bouger les choses.

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Boris Janicek, co-président du Club XXIe siècle

. Mesurer, c'est effectivement ce que nous avons fait avec ce premier baromètre, fin 2017. Une deuxième version de ce baromètre, que nous élaborons avec un grand cabinet de conseil, sera présentée le 27 novembre à l'occasion d'un événement que nous préparons en collaboration avec le Musée national de l'histoire de l'immigration. Vous avez reçu ici même Sébastien Gokalp, qui est venu présenter le Palais de la Porte Dorée.

Mesurer est important. Nous disposons aujourd'hui des outils légaux pour pouvoir avancer dans cette mesure de la diversité. Il convient de mobiliser le vivier, ces membres volontaires qui s'engagent en tant que role models, et de s'engager dans la cité par des actions. Vous l'avez très bien dit tout à l'heure, madame la rapporteure, le monde de l'éducation et le monde du travail sont différents. Je ne citerai pas l'ensemble de nos actions parce que nous sommes, comme j'aime à le dire, une sorte de « station Elf » de la diversité. Certaines actions ont été initiées par le club et ont pris leur envol ; c'est le cas des entretiens d'excellence. Il existe aussi des actions portées par d'autres associations, mais dont la cause nous parle. Ainsi, nous sommes partenaires de l'association « Article 1 » ; nous assurons du mentorat auprès de jeunes avant ou après le bac. Nous travaillons avec « each One », une association qui vient en aide aux migrants arrivant sur le sol français, en particulier des migrants qualifiés qui n'ont pas de repères et qui ne parlent pas la langue française. Nous nous faisons fort de mobiliser nos membres pour soutenir ces actions qui sont importantes pour nous.

Les entretiens d'excellence ont été créés il y a une bonne dizaine d'années et ont apporté à quelque 60 000 élèves (collégiens, lycéens) cet éclairage sur les possibilités de suivre un parcours d'excellence. Ces élèves issus de quartiers difficiles, notamment de quartiers prioritaires de la politique de la ville, n'ont pas nécessairement, dans leur entourage proche ou à l'école, la possibilité d'accéder à la connaissance de ces parcours d'excellence, qui feront d'eux, demain, des avocats, des médecins ou des députés. Nous sommes là pour les aiguiller, les aider et les accompagner, dans une pure logique d'altruisme et de mentoring. C'est une belle action qui a pris son envol. Les entretiens d'excellence perdurent ; ils sont déclinés dans toutes les régions de France avec succès, et même à l'étranger.

Depuis trois ans existe au sein du club une association, suite à un mouvement lancé par plusieurs membres, qui s'appelle « révèle@her ». Cette association vient en aide à des femmes issues de la diversité, et qui se heurtent donc à un double plafond de verre dans les entreprises. Il s'agit de femmes qui ont déjà de beaux parcours en entreprise, qui ont réussi, mais qui n'ont souvent pas les codes pour aller plus loin. Ce qui est intéressant, c'est qu'ici aussi nous sommes dans la mesure. Nous avons parlé de ce baromètre, qui sera un outil très important pour les entreprises que nous accompagnerons. Parlons aussi de la mesure de « révèle@her », et de l'existence d'un avant et d'un après. Toutes les femmes qui sont passées par ce programme très efficace de coaching et de mentoring, obtiennent des résultats assez saisissants. Pour 87 % d'entre elles se produit une réelle prise de conscience et la compréhension que, finalement, tout est possible. Ces limites que l'on perçoit dans la société auprès des présidents des grandes entreprises, auprès des Comex, existent parfois au sein même des populations qui pourraient avancer mais qui entretiennent des croyances auto-limitantes. Nous sommes là pour casser ces barrières, pour dire que c'est possible, et nous le faisons par des actions très concrètes. Laëtitia Hélouet et les autres mentors de « révèle@her » passent du temps avec ces femmes tous les mois, et leur donnent des clés de lecture pour avancer et être performantes. C'est très concret, nous le mesurons.

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Laëtitia Hélouet, co-présidente du Club XXIe siècle

. L'association « révèle@her » fournit un exemple concret d'un projet qui utilise la dimension de role model. Je suis marraine de jeunes professionnelles, mais d'autres parrains et marraines ne sont pas forcément d'origine étrangère. Il s'agit de mettre en mouvement les expériences des uns et des autres, et de pouvoir faire évoluer les représentations. J'accompagne ainsi une jeune fille d'origine sénégalaise, brillante, occupant un poste d'audit dans une grande banque et qui, si la question de la diversité n'est pas traitée, peut se créer des limites qui ne seront pas dépassées.

Cette prise en charge extrêmement concrète met l'accent sur une lacune. Être une femme en entreprise et vouloir avancer professionnellement est un sujet pris en compte ; être une femme issue de la diversité ne l'est pas. Nous offrons une réponse très concrète qui peut être déclinée par toutes les entreprises. Notre approche vise à mettre en place des outils qui « parlent » aux grands groupes. Quand des grands groupes « s'y mettent », on observe un effet de visibilité et d'entraînement. Notre objectif, ce sont les grands groupes, mais aussi les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) qui regroupent l'essentiel de l'emploi en France et qui sont essentielles dans la représentation du collectif que nous sommes. Ce projet est emblématique. Nous travaillons à petite échelle, à raison d'une trentaine de personnes suivies, mais cet échantillon est très révélateur. 87 % de ces femmes acquièrent, entre le début et la fin du programme, le sentiment et la conviction qu'elles possèdent désormais les atouts pour dépasser ce double plafond de verre. Ce n'est pas rien. Ces initiatives peuvent être dupliquées. Si nous comparons à une « station Elf », c'est parce que nous entendons tester des effets et faire en sorte que d'autres acteurs puissent s'en emparer.

J'aime le projet qu'a cité Boris Janicek, « each One ». Sur la question des migrants, on peut entendre beaucoup de points de vue, de partis pris – que l'on peut aussi appeler préjugés. Nous partons d'une approche pragmatique. Ces migrants ont un passé professionnel. Plutôt que de prendre le sujet sous l'angle de difficulté, nous nous focalisons sur les ressources qu'ils possèdent, la langue ou la connaissance du marché du travail ; et cela fonctionne. C'est une manière concrète de répondre à des questions parfois épineuses lorsqu'elles sont posées en termes géopolitiques ou sociétaux, qui réduit parfois bien des écarts et dénoue bien des tensions sur des sujets compliqués.

Le premier maître-mot était « mesurer » : le second est « engager ». Nous finalisons au sein du club un pacte d'engagement, adaptable à toutes les entreprises et à tous les employeurs, publics ou privés, grandes ou petites entreprises, en identifiant des sujets clés pour lesquels des actions se traduisent par une accélération de la diversité. Il nous reste à rencontrer les entreprises, ce qui sera bientôt le cas, puisqu'un événement est prévu en partenariat avec le Mouvement des entreprises de France (MEDEF).

Nous ne citerons pas tous nos outils, bien qu'ils ne soient pas si nombreux. Il nous importe avant tout de cibler des outils à impact, et de faire en sorte qu'ils soient dupliqués.

Nous lancerons bientôt un projet qui nous tient à cœur, concernant l'éducation. La période du Covid a jeté une lumière plus crue sur l'écart existant en termes de ressources éducatives selon les enfants. Le positionnement du Club XXIe siècle lui permet de repérer, au sein des territoires, des projets innovants portés par des structures associatives.

Ces structures sont souvent fragiles mais présentent un double intérêt. D'une part, elles proposent des solutions d'éducation sur mesure qui sont le complément indispensable des méthodes génériques de l'Éducation nationale. D'autre part, ces associations sont souvent l'un des derniers piliers de la République ou de la sociabilité dans le quartier. Il s'agit donc de repérer, au sein de notre territoire national, dans les quartiers populaires et dans les territoires ruraux, les initiatives les plus innovantes, ou celles qui ont l'impact social le plus fort ; de leur donner un financement et un équipement – puisque nous avons vu pendant la crise du Covid que la question de l'équipement n'était pas réglée.

Mais il ne s'agit pas que de cela : il faut aussi accompagner ces structures sur le moyen terme (18 à 24 mois) en leur proposant des parrains et des marraines, en débloquant des stages, en les aidant dans leur modèle économique, ou en tout cas dans la stabilisation de leur projet – c'est un savoir-faire dont beaucoup des membres du club disposent. L'objectif est que les associations puissent prendre le relais après le départ du club, et venir elles-mêmes en aide à d'autres structures. Enfin, ce projet « Education XXI » favorise une logique d'observatoire qui est intéressante, et contribue à ce que les initiatives les plus percutantes soient dupliquées sur les territoires où elles seraient pertinentes.

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Boris Janicek, co-président du Club XXIe siècle

. J'ajouterai un mot sur ces actions et sur la question des représentations et de la déconstruction des préjugés, qui est au cœur de notre action et des objectifs du Club XXIe siècle. S'agissant des « représentations » dans le secteur privé, nous sommes en train d'élaborer une nouvelle version de l'annuaire des administrateurs indépendants issus de la diversité et qui auraient toute leur place dans des conseils d'administration et dans les comités exécutifs. C'est pour nous un temps fort, un élément très important.

J'en viens à la représentation de la diversité dans les médias, qui est une question essentielle. Nous avons rencontré les patrons de différentes chaînes et de différents canaux d'information. Le sujet est présent dans les esprits, mais nous nous sommes souvent entendu dire : « Nous voulons bien, mais nous ne savons pas comment faire ».

C'est pourquoi nous créons la deuxième version de l'annuaire des experts médias issus de la diversité. Nous poursuivons l'objectif de la finaliser d'ici la fin de l'année pour faire en sorte qu'enfin, à la télévision, à la radio, dans la presse écrite, sur internet et partout où ce sera possible, il y ait des représentants de cette diversité. Il s'agit d'un sujet sensible, « sans masque », puisque nous parlons de médias audiovisuels. Le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), Roch-Olivier Maistre, que nous avons reçu en petit-déjeuner virtuel, est également très sensible à la question. Nous notons tous – le CSA comme le Club XXIe siècle – que l'évolution est très lente. C'est un sujet dont nous nous sommes saisis.

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. Vous vous êtes intéressés à la diversité dans le monde de l'entreprise et dans les médias. Nous sommes ici à l'Assemblée nationale, et c'est pourquoi je vous pose la question : vous êtes-vous intéressés à la diversité dans le monde politique ? La loi sur la parité a marqué un moment important pour apporter ce changement dans la vie politique. Avez-vous une observation ou au moins des informations à partager sur la diversité dans le monde politique, quels que soient la collectivité territoriale ou le niveau auxquels l'on souhaite s'intéresser ?

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Laëtitia Hélouet, co-présidente du Club XXIe siècle

J'en profite pour répondre à l'une de vos remarques antérieures. Vous disiez que le club avait observé des progrès en matière de diversité. Les progrès en termes de représentation et de composition sont indéniables à l'Assemblée nationale par rapport aux précédentes élections. Nous nous réjouissons que la ministre chargée de l'égalité femmes-hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, qui est membre du club, soit issue de la diversité. En revanche, nous regrettons qu'il y ait si peu de talents issus de la diversité dans le gouvernement, lequel est la représentation ultime de la Nation. Les talents de la diversité sont nombreux ; la composition du club en est la traduction très concrète. Nous regrettons de ne pas retrouver la même variété de profils au gouvernement, le même souci de l'image de la Nation au plus haut niveau.

Le Club XXIe siècle a réalisé un baromètre, ce qui est bien, mais il nous semble que le sujet mérite une prise en compte nationale. Vous avez parlé tout à l'heure de nos actions en matière d'égalité femmes-hommes. Notre association est obligée de prioriser ses sujets, si bien que nous travaillons sur les Comex et les Conseils d'administration du CAC 40, et si possible du SBF 120.

Pour autant, le sujet de la diversité est à considérer dans l'ensemble du monde du travail, et seul le Parlement peut mettre en place certaines mesures. Nous entendons parfois dire que l'approche est compliquée. Il me semble pourtant que vous avez reçu ici des spécialistes des études démographiques, qui ont montré qu'il existait des options pragmatiques et simples, tout à fait compatibles avec le cadre constitutionnel qui est le nôtre ; utilisons-les.

En outre, si l'on souhaite réellement une action globale et impactante, c'est à tous les niveaux d'employeurs que le sujet doit s'imposer. On nous questionne souvent sur ce qui peut être fait dans les petites entreprises. D'un point de vue pratique, il est par exemple envisageable de mettre en place des seuils – en veillant à fixer un seuil d'effectif suffisant pour permettre de procéder à une analyse dans le respect de l'anonymat des personnes.

Un autre levier important serait que les branches professionnelles se saisissent de cette question. Nous nous réjouissons que la représentation au Parlement se soit améliorée. C'est important. Mais de par sa composition, le gouvernement nous semble en décalage avec le pays réel. C'est l'un des sujets sur lesquels la représentation, du point de vue du club, n'avance pas autant qu'elle devrait, l'autre étant celui de la capacité à agir par la voie législative.

S'il n'y a qu'un seul sujet que nous pouvions mettre en avant aujourd'hui, ce serait la mesure. Celle-ci peut aussi faire avancer les choses d'un point de vue économique. Nous insistons sur cette notion de mesure parce qu'elle recèle une dimension positive. Souvent, l'on parle de la diversité à l'occasion de tensions, de difficultés et de luttes contre les discriminations. Bien évidemment, il le faut. Mais si Boris Janicek et moi-même devions porter un seul message, ce serait le suivant : la diversité ne progressera que si le sujet avance dans sa globalité. Si nous mettons en œuvre des actions très fortes de lutte contre la discrimination mais que les patrons de grands groupes ou de collectifs de grands groupes ne représentent pas cette diversité, que donne-t-on à voir comme perspective aux personnes qui en sont issues ?

En outre, quelle représentation donnons-nous de ce que nous sommes ? Nous n'avons pas parlé de l'affaire George Floyd. Nous nous sommes prononcés de manière très simple : notre sujet, ce sont les représentations. Nous observons également des attentes très fortes de Français qui ne sont pas issus de la diversité, et qui estiment qu'il n'est plus possible de continuer ainsi. Notre point de vue est que tout ce que nous accomplissons en matière de diversité ne concerne pas que les personnes qui en sont issues. C'est un sujet qui nous concerne tous. C'est un sujet de concorde sociale, mais c'est aussi un levier de performance à tous points de vue, et évidemment un sujet de vivre-ensemble.

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. Je suppose que vous êtes à l'aise avec le terme de discrimination positive. Dans votre esprit, cela va-t-il jusqu'à une politique de quotas assumée et revendiquée, que ce soit dans les entreprises et en politique, dans la sphère publique ? Quels en seraient pour vous les indicateurs et le mode de prise en compte pour juger de qui est issu de la diversité et qui ne l'est pas ? Cela dépendrait-il de l'apparence, du lieu de naissance, ou de la génération ?

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Boris Janicek, co-président du Club XXIe siècle

. Notre approche est pragmatique et positive. Culturellement, la France n'a jamais été tout à fait favorable à ces politiques de quotas. De plus, il existe aujourd'hui un arsenal contraignant, avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), et la Constitution. Toutefois, le cadre légal permettant de mesurer existe. Certaines mesures ne sont pas faites à ce jour alors qu'elles sont autorisées ; investissons ce champ. Nous ne sommes pas dans une volonté de contraindre, mais de montrer par l'exemple – quand nous parlons d'exemple, nous parlons de la mobilisation des membres, qui ont des parcours exemplaires – et d'expliquer par la performance que chacun a intérêt – institutions publiques ou privées – à privilégier la diversité et à la mettre en œuvre.

La coprésidence du Club XXIe siècle que vous avez devant vous est une coprésidence diverse par ses origines, par ses parcours (secteur public, secteur privé), parce que c'est la France que nous imaginons et que nous souhaitons pour demain. Avant d'arriver aux quotas, qui seraient en quelque sorte la solution dure, rude, législative – l'on pourrait presque dire en un sens « la solution de facilité » –, nous estimons qu'il existe un grand nombre d'outils à exploiter. Il est dans l'intérêt commun du secteur public et du secteur privé d'encourager la diversité.

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Laëtitia Hélouet, co-présidente du Club XXIe siècle

J'ai travaillé quelques années en Seine-Saint-Denis sur les questions de la politique de ville. En ce qui concerne les quotas, je dirais qu'il convient d'adapter les outils à la culture du pays. Nous voyons déjà que le baromètre suscite des problématiques. La question de l'acceptabilité de ce que l'on propose est importante pour réussir. Quelle est la priorité ? Quelle est la mère des batailles ? Pour nous, c'est d'abord de savoir « où l'on en est ». La politique des quotas est porteuse du risque de diminuer la portée des efforts effectués en matière d'égalité des chances, puisqu'un nombre de places est attribué.

Les quotas sont comparables aux CV anonymes : lorsqu'un candidat est recruté par quota et que les mesures de lutte contre les inégalités des chances se sont relâchées, il existe un risque de suspicion d'incompétence, ce qui a pour conséquence de recréer un plafond de verre.

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. Je vous remercie pour ces échanges. Nous avons noté que vous vous battez pour faire évoluer les comportements en délivrant la bonne information aux bonnes personnes, et au bon moment de la vie. Vous intervenez auprès d'un jeune lorsqu'il est au collège, qu'il a son avenir devant lui, en lui expliquant que grâce à votre mentorat, il sera apte à identifier les petits « ascenseurs » qui lui permettront de monter dans les échelons de la République. De la même manière, vous informez les entreprises des chances que représenterait pour elles la diversité au sein de leurs conseils d'administration, et du fait que leur compétitivité y gagnerait. C'est là une logique d'information qui est très pédagogique, à l'image de cette audition.

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Laëtitia Hélouet, co-présidente du Club XXIe siècle

Nous sommes d'accord avec cette dimension pédagogique, mais l'idée est également de donner à chacun les moyens de faire avancer le sujet. Nous enjoignons les personnes que nous accompagnons à s'emparer de la question, parce qu'elle a un intérêt, en nous engageant à leur donner des outils adaptables à leur personnalité, et qui peuvent leur permettre d'accélérer leur parcours.

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. Vous responsabilisez les personnes, considérant que chacun doit être acteur de la lutte contre les discriminations. Nous vous remercions beaucoup pour ce temps d'échange, et nous vous félicitons pour vos actions. J'ai noté qu'un événement était programmé en date du 27 novembre : sera-t-il ouvert au public ?

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Boris Janicek, co-président du Club XXIe siècle

. Le 27 novembre se tiendra l'université du Club XXIe siècle au Palais de la Porte dorée, avec le Musée de l'histoire de l'immigration. Ce moment d'échange sera ouvert au public. Vous y serez les bienvenus.

La séance est levée à 13 heures 10.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 12 h 15

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Bertrand Bouyx, M. Robin Reda