Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du mercredi 5 janvier 2022 à 11h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • BRI
  • GIGN
  • attentat
  • brigade
  • entraînement
  • préfecture
  • terroriste
  • unité
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La réunion

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MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mercredi 5 janvier 2022

La séance est ouverte à onze heures trente

(Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la mission d'information)

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Monsieur le commissaire, vous êtes à la tête de la brigade de recherche et d'intervention (BRI) de Paris, unité longtemps connue sous le nom de brigade antigang, dont la mission est notamment de parer aux attaques terroristes sur le territoire national. En 2015, la BRI a connu un tournant dans son histoire. Elle s'est retrouvée en première ligne lors des attentats terroristes contre le journal Charlie Hebdo, le magasin Hypercacher et le Bataclan. Nous serons heureux de vous entendre sur les enseignements opérationnels que vous avez tirés de ces interventions. Quels sont les scénarios auxquels vous travaillez en cas de crise majeure combinant des attaques de diverse nature et quelle est votre propre résilience dans ces cas extrêmes ?

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Simon Riondet, chef de la brigade de recherche et d'intervention de Paris

La BRI est une unité créée sur le mode de la proaction. En 1964, le commissaire François Le Mouël, confronté à une vague importante de vols à main armée, propose d'inverser la logique. Il ne s'agira plus de travailler sur les auteurs des faits, mais sur des individus susceptibles de commettre des vols à main armée, des prises d'otages, des séquestrations et des demandes de rançon, de manière proactive. L'ADN de la BRI est sa capacité à anticiper et à réagir face à certaines situations. Ce fonctionnement a perduré dans le domaine judiciaire, principalement dans la lutte contre la criminalité. En 1972, après les attentats des Jeux olympiques de Munich, la préfecture de police a souhaité créer une réaction policière face à ce type d'événement. En effet, on s'est alors aperçu que les formations militaires n'étaient pas adaptées pour répondre à des prises d'otages par des commandos terroristes. Une unité est alors créée au sein de la préfecture de police, la brigade antigang, qui dispose de capacités à négocier avec les preneurs d'otages. Avec la compagnie des moniteurs sportifs de la préfecture de police, une compétence sportive lui est adjointe, donnant ainsi naissance à la brigade anti-commando, appellation consacrée à cette époque. Cette brigade a vocation à lutter contre les événements de nature terroriste. Elle est la première unité d'intervention créée en France. Peu après fut fondé le groupe d'intervention de la police nationale (GIPN) dont la création précède celle du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) en 1974 ; puis celle de l'unité de recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) en 1985. Une partie importante des effectifs du RAID provient des membres de la BRI.

La BRI n'a cessé d'évoluer dans la prise en charge des deux aspects de son métier. Le premier aspect correspond à un volet judiciaire de proaction, comprenant la surveillance et l'interpellation de criminels organisés et de terroristes. Dans ce cadre, nous effectuons l'ensemble des filatures, des surveillances et des interpellations de terroristes sur la voie publique. Le volet intervention, dont le paroxysme fut l'opération menée au Bataclan en 2015, constitue le second aspect du métier de la BRI. Ces deux missions requièrent des valeurs communes en termes de discrétion, de rapidité et de capacité à intégrer une communication d'ensemble – si l'information ne circule pas au sein d'une colonne d'assaut, l'échec est possible. Ces deux missions se nourrissent entre elles. Elles constituent la particularité de la BRI et expliquent le succès de ses missions au cours de ces dernières années.

La BRI a été confrontée à de nombreuses situations que nous pourrions qualifier de « classiques » au regard de ses compétences : prises d'otages, forcenés et autres. L'intervention emblématique du Bataclan représente, avec l'attaque de l'Airbus à Marignane, la situation la plus complexe. Dans l'un et l'autre cas, il s'agissait de prise d'otages de longue durée menée par des individus extrêmement armés. Ces interventions présentaient un risque important de blessures pour les opérateurs et les otages. Elles furent des réussites. Au Bataclan, seul un fonctionnaire de la BRI a été grièvement blessé à la main, dont il a malheureusement en partie perdu l'usage. Aucun otage n'a été blessé, les deux terroristes ont été neutralisés.

Le debriefing et le retour d'expérience (RETEX) de cet attentat ont permis l'évolution de la BRI. À la suite des attentats de janvier 2015, les effectifs de la BRI ont doublé. La brigade a également bénéficié de l'agrégation de nouvelles compétences avec l'arrivée, parmi les effectifs, de piégeurs d'assauts et de démineurs sélectionnés au sein du laboratoire central de la préfecture de police. Ces derniers ont pour mission de neutraliser des engins explosifs et de permettre une progression des effectifs même en leur présence. Ils sont aussi chargés d'effractions chaudes, c'est-à-dire d'user d'explosifs pour permettre d'entrer dans certains endroits.

La BRI a également évolué sur le plan médical. Elle était déjà médicalisée à l'instar des autres groupes d'intervention, disposant de médecins qui avaient vocation à soutenir les opérateurs des colonnes. À la suite des attentats de 2015, nous avons intégré la nécessité de procéder simultanément à l'exfiltration des otages blessés. C'est d'ailleurs ainsi que nous avons procédé lors des attentats du Bataclan. Nous avons travaillé, théorisé et professionnalisé nos méthodes avec l'aide de la brigade des sapeurs-pompiers du général Jean Gontier et les groupes d'extraction professionnalisés. Ces derniers sont équipés d'éléments de protection balistique. Nous les entraînons à intervenir au plus près de l'action, sans se mettre en danger ni créer de difficultés supplémentaires, afin d'extraire les blessés et les otages.

Depuis 2015, nous bénéficions donc d'une augmentation des effectifs et d'équipements supplémentaires plus adaptés, tout en menant une réflexion sur les modalités tactiques. Nous avons aussi entrepris des réflexions sur le plan humain. Les mentalités ont évolué. L'ensemble des opérateurs de cette intervention très particulière ont été débriefés ; les risques de stress post-traumatique ont été évalués, accompagnés et suivis avec beaucoup d'attention et une volonté forte de la part des intéressés. Cette démarche est très satisfaisante, car, en dehors de mutations classiques en province, tous les fonctionnaires qui servaient au sein de la BRI lors de ces attentats demeurent dans nos effectifs et sont totalement opérationnels à ce jour. Certains ont bénéficié de promotions. Ces éléments démontrent que, confrontée à une situation particulière, la BRI a réussi à maintenir une résilience forte au sein de ses effectifs.

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La notion de résilience en elle-même est-elle abordée de manière théorique ? Est-elle élaborée ? Constitue-t-elle un axe de réflexion en amont ? S'agit-il davantage d'un élément tiré des retours d'expériences ?

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Simon Riondet, chef de la brigade de recherche et d'intervention de Paris

La résilience constitue pour nous une réelle question opératoire que nous considérons de manière native. Au-delà du debriefing, nous réfléchissons à notre adaptation et au maintien de notre capacité à faire face à tous types de crises d'ampleur plus ou moins limitée. Nous menons une démarche de fond pour prévenir le stress post-traumatique. Nous disposons de techniques d'optimisation du potentiel pratiquées par nos membres avec l'aide de formateurs. Nous testons actuellement des protocoles innovants, dont un protocole israélien dénommé 6C. Son objectif est d'éviter l'installation d'un traumatisme. Il s'agit de procédures d'auto-entraînement pour les personnes qui ont été placées dans une situation de stress. Nous avons mené un test lors de la prise d'otages rue d'Aligre le 21 décembre. Nous testons cette procédure avec les unités que nous entraînons et le dispositif d'intervention intégré au sein de la préfecture de police, c'est-à-dire les unités de niveau 1 et de niveau 2 ainsi que les sapeurs-pompiers. Nous pratiquons des entraînements communs et souhaitons que les primo-intervenants de niveau 1 et de niveau 2 bénéficient de cette procédure. Nous faisons appel à des spécialistes extérieurs : des psychiatres, des psychologues. Certains d'entre eux sont rattachés à la brigade.

La communication est également importante. Il s'agit de rassurer la population et d'être connu par cette dernière. Ainsi nous mettons en avant nos interventions, nos entraînements, la préfecture de police et ses unités d'intervention ainsi que les unités de niveau 1 et 2 afin de démontrer notre proactivité. Cette communication passe par des publications dans les médias et sur les réseaux sociaux. Enfin, nous avons pris part à des reportages.

Par le biais de la planification, c'est-à-dire une démarche proactive qui rassemble toutes les directions de la préfecture de police, nous intégrons l'ensemble des menaces. Elles peuvent être liées aux manifestations, à des actes de terrorisme… Nous travaillons sur des sites particulièrement exposés tels que les théâtres ou les musées. Nous travaillons avec les services de sécurité locaux. Nous analysons les méthodes d'intervention préventive, les contacts et les plans d'intervention. Cette démarche permet de diminuer la pression au niveau de ces équipes locales qui sont habituées à gérer des menaces de faible intensité. Nous avons effectué des exercices à la Sorbonne, à la Cour des comptes, ou encore à la Banque de France. Il est important que les Français comprennent notre dispositif parisien, qui est à la fois dense et dynamique.

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Pourriez-vous nous décrire votre périmètre d'intervention sur le territoire national ? Vos interventions peuvent-elles également concerner l'étranger ? Quel est votre contrat opérationnel ? Quel est votre objectif en termes de délai d'intervention et de nombre d'intervenants ?

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Simon Riondet, chef de la brigade de recherche et d'intervention de Paris

Notre périmètre, défini par le schéma national d'intervention, correspond au retour d'expérience des attentats de 2015. Ainsi, nous sommes compétents sur le territoire parisien intra muros. Si ce territoire peut paraître petit, il n'en est pas moins dense et sensible. Il s'agit de notre compétence en tant qu'unité menante. Nous sommes concourants à toute demande émanant de la direction générale de la police nationale (DGPN) auprès du RAID. En pareil cas, nous pouvons intervenir dans la petite couronne, c'est-à-dire dans les départements du 91, 92, 93 et 94. Nous pouvons également intervenir en renfort dans les départements de la grande couronne, voire en province si nécessaire. Cette situation demeure hypothétique. Lors de la traque des frères Kouachi, auteurs de l'attentat terroriste contre le journal Charlie Hebdo, la BRI a accompagné le RAID et le GIGN. Cette traque s'est déroulée en partie dans la grande couronne parisienne. Notre zone de compétence directe est relativement peu étendue géographiquement. Elle demeure très dense et dispose de particularités qui supposent une connaissance importante des lieux, des cheminements et des circulations. Nous avons développé nos capacités de déplacement avec la brigade fluviale. Nous utilisons des guidages et des motos de la préfecture de police.

Dans notre contrat opérationnel, nous disposons de vingt minutes pour nous rendre sur site à compter de notre activation. Ce délai relativement court se justifie par la sensibilité de Paris, sachant que la capitale est relativement bien dotée en unités de niveau 1 et de niveau 2. Nous jouons notre rôle d'unité de niveau 3. Notre permanence est constituée de vingt-quatre opérateurs y compris le commissaire de permanence. Ceux-ci se projettent avec l'ensemble des outils à notre disposition, à savoir : les colonnes d'assaut, les tireurs de haute précision, les négociateurs, les varappeurs, les dépiégeurs d'assaut, les chiens d'assaut, les psychologues, etc. Cette projection est complète et rapide, y compris de nuit. Notre mode de fonctionnement est inspiré des unités israéliennes. Les opérateurs d'astreinte partent avec leur équipement – des fusils d'assaut. Le regroupement s'effectue sur place. Il s'agit d'un gain de temps puisque, contrairement à d'autres unités, nous ne repassons pas par un point central pour nous équiper avant de repartir. Au cours d'une journée ouvrée, les personnels sont sur place puisqu'ils sont généralement en entraînement. De nuit, ils se rejoignent sur site déjà équipés, tandis qu'un complément de moyens spéciaux est envoyé sur les lieux.

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Il existe à la fois la BRI de la préfecture de police (BRIPP) et d'autres BRI ? Avez-vous des liens fonctionnels ?

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Simon Riondet, chef de la brigade de recherche et d'intervention de Paris

La BRI de la préfecture de la police n'est pas liée aux BRI de la direction centrale de la police judiciaire. Il existe quatorze BRI en province, elles constituent des unités d'intervention de niveau 2. Elles n'interviennent pas lors de crises définies. Leur mission première est celle de la police judiciaire, elles n'ont pas de mission d'intervention. Il ne s'agit pas du même type d'unité. Je n'ai pas d'autorité fonctionnelle sur elles.

À Paris, nous disposons des trois niveaux d'intervention pris en compte par le schéma national d'intervention des forces de sécurité (SNI). Il s'agit d'une très bonne analyse de ce que représentent une crise et sa gestion. Le niveau 1 correspond aux policiers qui patrouillent. Leurs tâches demeurent limitées. En province, le niveau 2 est constitué de brigades anticriminalité (BAC) et de pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG). Dans la capitale, ce niveau 2 comprend la compagnie de sécurisation et d'intervention (CSI), la BAC, la BAC de nuit, ainsi que la brigade d'intervention de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC). Ces unités sont nombreuses. Enfin, le niveau 3 comprend le RAID, le GIGN et la BRI de Paris. La gradation est liée à la rapidité d'intervention nécessaire.

La doctrine d'intervention sur les tueries de masse, qui incluent les attentats terroristes, a évolué au cours des dernières années. Jusqu'à la tuerie de Colombine en 1999, elle consistait à boucler le périmètre dans l'attente de l'unité d'intervention – le SWAT aux États-Unis. Or cette doctrine représentait un risque énorme puisque, durant cet intervalle, la tuerie continuait. Les procédures ont été particulièrement renforcées par le schéma national d'intervention. Désormais, les unités de niveau 1 et 2 interviennent au mieux de leur capacité pour mettre fin à la tuerie ou à tout de moins pour fixer la situation. Dès lors qu'il existe une confrontation avec les policiers, les terroristes ou les tueurs de masse se retranchent. C'est dans ce cadre que l'unité d'intervention apporte quelque chose. Cette évolution tient compte de ce que les chercheurs appellent la « théorie des sept minutes ». La plupart des tueries de masse durent sept minutes. Si l'on attend l'intervention des unités spécialisées, ce sera trop tard.

Le dispositif de la préfecture de police est intégratif. Il ne s'agit pas de mettre en danger les intervenants moins formés ou moins équipés. Toutefois, il existe des niveaux d'équipement différents. Ainsi, les unités de niveau 1 sont équipées de pistolets Sig-Sauer simples et de gilets par-balles. Les intervenants de niveau 2 disposent d'un équipement proche du nôtre puisqu'ils ont des fusils d'assaut. Par conséquent, ils peuvent répondre à une menace plus élevée et plus complexe.

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Vous nous avez indiqué que vous disposiez de moyens médicaux. Disposez-vous également de moyens de soutien propre tel que du carburant ? Jouissez-vous d'une autonomie de communication ? Votre contrat opérationnel prévoit un délai de vingt minutes pour l'arrivée sur site et vous favorisez une sensibilisation des primo-intervenants. Avez-vous conceptualisé une intervention dans la durée ? Disposez-vous d'un mécanisme de relève ? Dans le cas d'une intervention sur plusieurs jours, seriez-vous en mesure de vous auto-relever ?

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Simon Riondet, chef de la brigade de recherche et d'intervention de Paris

Nous nous appuyons sur l'écosystème de la préfecture de police. Sa particularité est de fonctionner de manière globale. Nous avons recours aux points d'accès de carburant dédiés de la préfecture. Il en est de même pour les drones que nous utilisons, qui appartiennent à la direction de l'ordre public et de la circulation. Notre écosystème s'avère extrêmement robuste. La direction de l'innovation, de la logistique et de la technologie (DILT) de la préfecture nous apporte ce soutien.

Notre système de communication est particulier. Il s'agit de PCStorm. Nous y travaillons avec de la 4G classique. Si cette dernière devait ne plus être accessible, nous pourrions créer des bulles LTE ou utiliser directement des modes radio. Nous disposerons toujours de ressources pour communiquer, y compris si le système global de communication ne fonctionne plus.

Nous disposons du H+1, c'est-à-dire du reste des effectifs de la BRI qui peuvent nous rejoindre et nous relever en une heure. La BRI est composée d'une centaine d'effectifs. Nous avons une capacité de relève et de gestion du multisite avec des ressources qui ont doublé depuis 2015. Nous avons utilisé ces moyens de relève lors de la prise d'otages de la rue d'Aligre, qui a duré 17 heures. En outre, nous pouvons faire appel à la brigade anti-commando de la préfecture de police, une unité de niveau 2 qui peut nous soutenir et nous relayer en partie. Cela représente une montée en puissance de 100 à 300 effectifs. Nous les formons en ce sens. La brigade anti-commando changera de nom prochainement pour devenir l'unité de contre-terrorisme de la préfecture de police. Elle nous permet d'agréger des moyens supplémentaires. Dans ce cadre, nous travaillons à la prise en compte native du risque de surattentat. Il s'agit de savoir comment traiter une zone dans laquelle s'effectue une prise d'otages lorsqu'une autorité politique souhaite se rendre sur les lieux. Nous cherchons à purger tous les risques.

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Qu'en est-il de l'articulation avec les autres forces spécialisées de niveau 3, avec les unités de niveau 1 et 2 et avec les citoyens ? Paris dispose de la BRI, du RAID et du GIGN – ce dernier peut également être déployé sur les territoires d'outre-mer. Il existe aussi des forces d'intervention spécialisées parmi les pompiers militaires à Paris et à Marseille. Dans « ce jardin à la française » comment se justifie cette approche particulière de Paris intra muros ? Cette variété est-elle source de résilience ? Compte tenu de ces éléments, la situation actuelle vous semble-t-elle stabilisée ? Peut-on envisager certaines fusions sur la partie Île-de-France ou bien des articulations spécifiques des forces d'intervention spécialisées ?

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Simon Riondet, chef de la brigade de recherche et d'intervention de Paris

L'articulation entre trois unités d'intervention est historique. Nous disposons de trois unités différentes : la préfecture de police, la police nationale et la gendarmerie nationale. L'étude du député Stéphane Mazars a démontré la pertinence de ce système. Les menaces et les contraintes auxquelles nous faisons face sont différentes. Nous sommes déployés sur un petit territoire extrêmement sensible, où les interventions doivent être rapides. Nos collègues du RAID et du GIGN sont confrontés à une diversité de lieux qui peut être problématique. Les enjeux sont différents. Toutes les agglomérations capitales ont une unité d'intervention particulière qui n'est pas nationale. Il existe, dans les métropoles, un besoin de proximité. L'intervention lors d'une crise représente une partie de la gestion de cette crise. Nous évoluons dans des systèmes très intégrés, voire symbiotiques. Nous pourrions difficilement imaginer que le GIGN intervienne dans Paris avec la même intégration au sein de la préfecture de police.

Nous bénéficions également d'une connaissance et d'un positionnement géographique uniques – nous sommes le seul service à demeurer au 36 quai des Orfèvres. La protection de Paris ne peut reposer sur des unités qui se trouvent à 20 kilomètres. Toutefois, ce fonctionnement n'a pas d'impact réel sur les unités, elles disposent toutes du même nombre d'opérateurs formés à l'intervention. Nos réflexions et approches sont communes et interopérables, elles sont partagées. La BRI fait face à des menaces extrêmement urbaines et mon unité n'a pas besoin de disposer de plongeurs ou de chuteurs. En cas de besoin, nous ferions appel à eux. Mes tireurs de haute précision s'entraînent pour des distances d'engagement qui au regard de la proximité des façades des immeubles, s'étendent de 7 à 55 mètres. Le GIGN, lui, travaille sur des distances de plusieurs centaines de mètres. En milieu urbain, le camouflage s'effectue en retrait de la fenêtre avec des chambres noires. Nos savoirs sont différents. Nous échangeons beaucoup et organisons des entraînements communs. Nous disposons d'unités qui répondent à des besoins différents. Le GIGN couvre des territoires vastes, contrairement à la BRI.

Le travail avec les unités de niveaux 1 et 2 et avec les citoyens demeure crucial. Notre travail de formation et d'information des unités de niveaux 2 et 3 est au cœur de nos objectifs. Nous organisons au moins deux entraînements par mois avec les unités de niveau 2. Nous disposons de formations avec les unités de niveau 1 pour expliquer notre fonctionnement, nos périmètres, les réflexes à avoir. L'équipement et l'armement ont évolué ces dernières années. Les concepts de niveau 1, 2 et 3 ont été clairement établis par le SNI, entraînant des équipements matériels et balistiques très importants.

Le lien avec les citoyens est abordé par la planification. Les responsables de la sécurité de certains sites travaillent avec nous. Nous mettons en place de nombreuses sessions de découverte de la BRI dans différentes écoles. Lors de nos interventions, nous transmettons des messages d'information. En cas d'attaque terroriste, nous pouvons diffuser des messages sur les téléphones portables. Nous essayons de prendre en compte l'implication du citoyen dans la crise.

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Il n'est effectivement pas nécessaire de changer régulièrement les modes d'organisation. Toutefois, la gestion de différents modes opératoires au sein d'une organisation est envisageable. Dans la gendarmerie par exemple, la zone montagne est gérée de manière différente. Le GIGN dépend également du ministère de l'intérieur. Dès lors, nous pourrions envisager une certaine articulation.

La gendarmerie assure la protection des institutions au quotidien. En cas d'attaque importante contre une institution, qui seraient les primo-intervenants ? Lors d'une attaque massive à Paris, comment s'organiserait le renfort avec des moyens extérieurs à la BRI ? Quelle serait l'articulation avec les forces armées ? Des RETEX ont-ils eu lieu après l'attaque du Bataclan pour connaître les modalités d'intervention en dehors de la BRI ?

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Simon Riondet, chef de la brigade de recherche et d'intervention de Paris

Les palais dits militaires relèvent en effet de la compétence de la gendarmerie. Ils constituent une zone d'intervention du GIGN. Le SNI a précisé la procédure d'urgence concernant ces institutions. Elle permet à l'unité la plus proche d'intervenir. L'intervention commence avec des personnels de niveaux 1 et 2, soit les gardes républicains. Ces derniers disposent d'unités d'intervention de niveaux 2 : les pelotons d'intervention. Ensuite, si nous sommes plus rapides, nous interviendrons par mesure d'urgence. Nous serons relevés par le GIGN, qui deviendra menant puisqu'il s'agit de sa zone de compétence. Cette procédure est fluide. Le 36 quai des Orfèvres constitue un lieu mixte, car une partie dépend de la préfecture de police, l'autre de la Cour d'appel et de la Cour de cassation. Je suis en contact quotidien avec les commandants militaires des palais de justice. Si, demain, nous devions faire face à un attentat, nous n'attendrions pas l'arrivée du GIGN. Nous interviendrons. Si la crise n'est pas résolue, le GIGN interviendra et nous deviendrons concourants. Ce type d'intervention est à la fois logique et symbiotique. Nous avons abordé ce sujet avec le général Ghislain Réty. Il n'existe ni querelle d'egos ni questionnement quant à ce type d'intervention.

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Malgré la bonne volonté humaine et la relation vertueuse entre les équipes, ce processus pose question. Vous êtes dimensionnés pour agir en moins de vingt minutes. Pourtant certains lieux de la capitale ne relèvent pas de votre compétence. J'entends que la préparation de vos interventions vous conduit à mener des exercices et vous oblige à connaître les plans des lieux. En dépit de la bonne volonté, j'imagine que la diversité serait source de frottements dans la primo-intervention. La relève pourrait induire un temps de flottement. En tant que maire, j'ai connu des interventions des sapeurs-pompiers volontaires. Lorsque les sapeurs-pompiers professionnels arrivent, cela donne lieu au passage des consignes. Les nouveaux arrivants doivent reprendre en compte la situation.

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Simon Riondet, chef de la brigade de recherche et d'intervention de Paris

Dans les faits, cette procédure ne soulève pas de questions, car nous reprenons les unités de niveau 1 et de niveau 2. À notre arrivée, il existe déjà un contact avec la menace, qu'elle soit fixée ou non. Lorsque le GIGN part à 3 000 kilomètres, il existe une relève. Les palais protégés par la gendarmerie permettent au GIGN de demeurer proactif. Cette relève est travaillée à tous les niveaux.

Les effectifs ne sont pas mélangés, car nous devons travailler nos modes de fonctionnement et connaître nos opérateurs. Nous remplissons des fonctions. Chaque unité conserve la main sur la mise en place de chaque mission. En cas d'attaque de grande ampleur, on donnerait un axe à la BRI, un axe au RAID et un autre au GIGN. Le choix s'effectue au poste de commandement entre les chefs, puis la déclinaison opérationnelle s'établit rapidement entre opérateurs qui se connaissent et travaillent ensemble depuis des années.

Les RETEX de 2015 nous ont amenés à travailler davantage en collaboration avec les militaires qui participent aux missions de sécurité intérieure. Nous recevons les cadres de l'opération Sentinelle lors de leur prise de fonction. Nous les briefons sur nos modes de fonctionnement. Un de leur membre est toujours présent au poste de commandement. Nous travaillons sur la manière dont nous agirions avec eux en cas d'intervention. Ils nous accompagnent parfois lors de nos exercices. Nous leur montrons nos modalités d'action. Les unités militaires nationales et étrangères ont assisté au RETEX que nous avons mené suite aux attentats du Bataclan. Nous échangeons régulièrement. La semaine prochaine aura lieu un échange avec le commando parachutiste de l'air n° 10, les forces spéciales de l'armée de l'air. Nous participerons à un entraînement de libération d'otages. Nous partageons des expertises dans le domaine du contre-terrorisme. Il s'agit de cadrer le rôle de chacun, d'être conscient des compétences de tous et de communiquer de manière très efficace.

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La variété des organisations constitue une source de résilience. Elle permet de fournir un back-up réciproque en cas d'impossibilité d'intervention pour une unité.

De manière générale, la BRI n'est pas un outil d'intervention de masse. En quoi la BRI apporte-t-elle à la résilience du pays ? Nous pourrions considérer qu'une intervention dans un cas critique représenterait une sorte de prévention pour que les événements ne dégénèrent pas plus largement. Quel serait le rôle de la BRI dans un environnement très dégradé ? Certains pays imaginent des scénarios de guerre totale et y associent les forces de sécurité intérieures. Si la France était confrontée au chaos qu'il soit d'ordre climatique ou dû à un accident industriel majeur, ou en cas de crue centennale de la Seine, quelle serait votre action ?

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Simon Riondet, chef de la brigade de recherche et d'intervention de Paris

Concernant la capacité d'intervention de la BRI dans un environnement très dégradé, nous disposons d'un savoir-faire particulier. Nous pouvons intervenir face aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). Du reste, nous formons actuellement les forces libanaises à l'intervention en milieu NRBC. Nous échangeons régulièrement avec le Liban, qui subit une crise profonde. Cette situation modifie ses modalités d'intervention, notamment face au risque terroriste. Par ailleurs, ce pays connaît une migration importante. Cette expérience nous permet de réfléchir à différents scénarios de crises économiques, politiques ou sociales. Nous travaillons sur ces sujets de manière proactive. Nous disposons d'une capacité d'adaptation très forte. Nous sommes en mesure de nous adapter à la menace.

Avant 2015, le protocole indiquait qu'il était nécessaire de s'intéresser d'abord aux terroristes et non aux blessés. Nous nous sommes rendu compte que cela n'était pas humainement réalisable et nous avons autorisé l'intervention des groupes d'extraction spécialisés des sapeurs-pompiers. Nous demeurons continuellement en capacité d'adaptation face à une nouvelle menace. Dans l'hypothèse d'une crue de la Seine, nous travaillons de manière hebdomadaire sur des scénarios d'assaut nautique qui nous permettraient d'intervenir dans toute l'agglomération parisienne. Nous travaillons également sur des interventions héliportées. Nous pouvons modifier nos fonctionnements en fonction des besoins. Nous restons particulièrement malléables. Notre mission de police judiciaire, c'est-à-dire la recherche de renseignement, la proaction quant aux agissements éventuels de criminels de haut niveau, contribue à cet état d'esprit. Notre recherche-développement sur les matériaux et les processus est particulièrement intéressante. Il s'agit de notre contribution à la résilience parisienne et nationale. Nous partageons notre savoir-faire avec d'autres unités lors des RETEX et des formations. Ces dernières sont de notre responsabilité. Elles contribuent à la création d'un ensemble résilient. Par exemple, nous disposons actuellement d'un alternant qui travaillera sur nos dossiers pendant un an. Il s'agit d'un échange permettant de montrer ce qu'est la BRI. Ces alternants deviennent des capteurs et diffusent notre état d'esprit.

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Estimez-vous disposer de suffisamment de moyens, notamment en temps d'entraînement ? Pensez-vous être en capacité de vous préparer convenablement au regard des enjeux ?

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Simon Riondet, chef de la brigade de recherche et d'intervention de Paris

Nous disposons de plus de 500 heures de formation par opérateur, en groupe et après la formation initiale. Nous tirons de manière hebdomadaire, entre cinq et six fois plus que ce que tire un policier par an. Notre niveau d'entraînement est important. L'astreinte, soit un quart de la BRI chaque semaine, passe ce temps en entraînement. Le reste des effectifs disposent d'entraînements hebdomadaires modulables en fonction des activités opérationnelles. Ces éléments sont issus des RETEX qui ont suivi les attentats du Bataclan, bien que le travail réalisé lors de ce tragique événement se passe de commentaires puisqu'il a été exceptionnel. Les opérateurs disposent d'une séance d'entraînement sportif par jour, outre les 500 heures d'entraînement tactique, de tir de haute précision, d'hélicoptère, de varappe.

La réunion se termine à douze heures trente.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. – M. Alexandre Freschi, M. Thomas Gassilloud, Mme Sereine Mauborgne

Excusé. – Mme Carole Bureau-Bonnard