Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 17h15

Résumé de la réunion

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  • souveraineté

La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), et de M. Jean Cattan, conseiller

La séance est ouverte à 17 heures 20.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

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Mes chers collègues, nous auditionnons M. Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP). Il est accompagné de l'un de ses conseillers, M. Jean Cattan. Cette audition s'inscrit dans le cadre des réflexions que nous menons sur la souveraineté numérique, notion qui recouvre les enjeux relatifs à la régulation des infrastructures et des plateformes numériques.

Monsieur le président, nous sommes très heureux d'échanger avec vous sur ces questions. Nous souhaitons que vous partagiez votre expérience à la tête de cette autorité administrative indépendante.

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Merci de votre présence parmi nous, monsieur Soriano. Je me réjouis moi aussi que nous ayons la possibilité d'échanger avec l'ARCEP.

Je souhaite évoquer, à titre liminaire, plusieurs enjeux sur lesquels nous aimerions vous entendre.

D'abord, quel sens revêt pour vous la notion de souveraineté numérique ? Ce concept, que l'on rapproche parfois de celui d'autonomie, désigne une forme d'indépendance, de capacité à maîtriser son destin numérique, sans devoir se soumettre aux contraintes imposées par certains acteurs publics – y compris des États – ou privés, tels que Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM). Que pensez-vous de la montée en puissance de cette thématique dans le débat public ? Quelles seraient, selon vous, les questions prioritaires à aborder dans ce domaine ?

Ensuite, j'aimerais revenir avec vous sur le déploiement des réseaux fixes et mobiles : la souveraineté numérique recoupe directement la question de l'accès aux réseaux de communications électroniques. Notre objectif est de nous assurer que chacun dispose d'un accès de qualité et qu'aucun risque systémique ne vienne entraver le bon fonctionnement des réseaux. Nous aimerions donc que vous dressiez un état des lieux du déploiement, en lien avec le plan France très haut débit, le « New Deal mobile » et la 5G, mais aussi que vous évoquiez les différents risques de sécurité susceptibles d'affecter nos infrastructures, et les moyens prospectifs propres à nous en prémunir.

Enfin, il me semble important d'évoquer avec vous la dimension européenne et internationale de la souveraineté numérique, comme le rappelle l'intitulé même de notre mission d'information. Dans cette perspective, j'aimerais connaître votre avis sur les projets européens de régulation des acteurs du numérique. Je pense en particulier au Digital Services Act (DSA), qui a été présenté par la Commission européenne, et aux discussions qui se poursuivent concernant la fiscalité du numérique, notamment dans le cadre de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il nous semble utile, de même, de faire un point ensemble sur les enjeux du quinzième Forum sur la gouvernance de l'internet, qui avait pour thème cette année « Un internet pour la résilience et la solidarité humaines ».

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Sébastien Soriano, président de l'ARCEP

C'est un plaisir de répondre à vos questions.

Qu'est-ce que la souveraineté numérique ? Je vais essayer de vous proposer une réponse personnelle, car c'est un exercice d'interprétation.

Je ne voudrais pas vous effrayer avec des références gauchistes, mais il se trouve que, l'été dernier, j'ai lu le cours au Collège de France de Pierre Bourdieu consacré à l'État. Le rôle d'un État, écrit-il, est d'être la banque centrale du capital symbolique accumulé par une nation. Cette définition me semble très parlante : l'État, c'est l'endroit où une communauté humaine centralise le symbolique, c'est-à-dire un ensemble des normes et de lois, mais également de choix dans divers domaines. Cela implique également des nominations et un certain nombre de processus démocratiques.

La souveraineté, selon moi, renvoie à cet ensemble de conditions qui permettent à l'État de jouer son rôle de banque centrale du capital symbolique. Excusez-moi de faire un peu de théorie, mais votre question était fondamentale ; cela m'amène assez loin.

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Sébastien Soriano, président de l'ARCEP

Le tout est donc de savoir si, dans le numérique, ces conditions sont remplies, et si tel n'est pas le cas, lesquelles font défaut.

Dans nos sociétés démocratiques modernes, la première souveraineté à laquelle il faut être attentif, c'est celle des individus, en particulier leur capacité à faire des choix. Le citoyen, dans nos institutions, doit pouvoir jouer son rôle, exercer son libre arbitre, dans la sphère réelle comme dans la sphère virtuelle. Or, dans le numérique, cette souveraineté des individus est, selon moi, gravement entravée par le fait que l'on est passé d'un espace public et ouvert à un espace privatisé et cloisonné.

Parfois, j'entends dire qu'il faudrait réguler le « Far West du numérique ». Mais le numérique, c'est justement tout, sauf un Far West : la plupart des problèmes tiennent au fait que l'espace virtuel a été mis en coupe réglée par quelques grands acteurs. Sous leur impulsion, le réseau, qui était extrêmement décentralisé, a connu une recentralisation : alors que, dans les premiers temps d'internet, le pouvoir avait été donné aux individus – c'est à cette époque-là, à la limite, que l'on aurait pu parler de Far West –, les grands acteurs d'internet ont installé de véritables gares de triage. Certes, ils ont permis à chacun de se repérer dans cet espace, ce qui est très important, et de mettre en relation différents acteurs grâce aux plateformes, mais, ce faisant, ils ont pris le pouvoir et recentralisé.

Mon premier souci est là : comment redonner le pouvoir aux individus, notamment par la régulation ? Dans le domaine économique, la logique même de la concurrence conduit à éviter la constitution de monopoles, pour que le seul arbitre soit, in fine, le consommateur. Or, dans le numérique – et même si l'enjeu dépasse l'aspect économique –, force est de constater que le consommateur n'a pas vraiment la possibilité de choisir entre divers acteurs.

Par ailleurs, un certain nombre d'instruments permettant l'expression de la souveraineté sont potentiellement remis en cause par le numérique – cela renvoie notamment à des enjeux de cybersécurité, question qui ne relève pas directement de ma compétence.

Je trouve intéressantes les prises de position récentes du Quai d'Orsay en la matière. Ainsi, l'ambassadeur chargé du numérique a publié un texte dans lequel il pose les bases d'une diplomatie française s'appuyant sur les communs numériques. Il s'agit de renouer avec l'idée d'un numérique dans lequel il n'y aurait pas de contrôle, ni de la part des Big Tech ni de la part des États, d'essayer de se neutraliser mutuellement et de recréer un espace partagé. Le fait que l'on puisse concevoir cela comme un objectif diplomatique m'a beaucoup interpellé. C'est très intéressant, particulièrement à un moment où deux grands modèles s'affrontent : d'une part, le modèle des États-Unis, qui consiste, comme je l'indiquais, à privatiser l'espace numérique ; d'autre part, le modèle de la Chine qui est bâti à partir de l'État, potentiellement synonyme de censure et de surveillance. Le fait que la France et l'Europe – car nous ne réussirons pas seuls – travaillent, au niveau diplomatique, à faire en sorte que le numérique redevienne un espace partagé et ouvert, me semble essentiel pour garantir la souveraineté numérique.

En ce qui concerne le déploiement des réseaux, les progrès sont tout à fait notables. Quand j'ai pris la tête de l'ARCEP, il y a six ans, la France était dernière au classement européen du très haut débit et avant-dernière pour la 4G. Depuis lors, la relance de l'investissement a été extrêmement puissante. L'ARCEP n'a pas ménagé sa peine pour le stimuler, à travers un jeu d'incitations, parfois aussi de contraintes pour les opérateurs. L'investissement dans le secteur des télécoms est passé de 7 milliards d'euros en 2014 à 10,5 milliards d'euros en 2019, soit une augmentation de 50 %.

S'agissant de la fibre optique, environ 16 millions de prises ont été installées au cours des cinq dernières années. Selon les chiffres publiés récemment par l'IDATE DigiWorld, la France est, en valeur absolue, le pays d'Europe où la fibre se déploie le plus. Des pays comme l'Allemagne, le Royaume-Uni ou l'Italie sont quasiment au niveau zéro ; l'Espagne est plus avancée. Parmi les grandes nations européennes, la France fait figure de leader dans le déploiement des réseaux. Cela montre qu'une belle dynamique a été enclenchée.

De la même manière, notre pays a connu un accroissement très fort de la couverture 4G par les quatre opérateurs qui en sont chargés. En surface – nous avons cessé de mesurer la couverture en pourcentage de la population, car les élus locaux nous disaient que cela ne voulait rien dire, et ils avaient raison –, nous sommes passés de 46 % en 2018, au moment de la signature du « New Deal mobile », à 76 % au milieu de l'année 2020. La progression est donc spectaculaire : notre pays était classé vingt-sixième sur vingt-huit, il se situe maintenant en milieu de tableau.

La 5G donne lieu à un débat intense quant à l'intérêt de cette technologie. Le déploiement est désormais engagé. Nous avons invité les opérateurs à travailler en bonne intelligence avec les maires, y compris ceux qui s'opposaient au déploiement, pour avancer dans la concertation, ce qu'ils ont fait. Les difficultés sont en train de se dénouer : en dépit des réticences initiales, notre pays me semble bien engagé dans la 5G. Il n'en faudra pas moins rester à l'écoute des inquiétudes de nos concitoyens. La 5G sera déployée dans les zones denses et dans les zones périurbaines ou rurales accueillant des industries : tel est le schéma que nous avons construit dans les cahiers des charges. En parallèle, le réseau 4G connaîtra un double mouvement dans les zones rurales : d'abord, il continuera à s'étendre grâce au « New Deal mobile » : des milliers de sites seront construits ; ensuite, il montera en capacité avec l'arrivée de la 4G +, qui quadruplera le débit réglementaire. Pour dire les choses simplement, la 5G des villes et la 4G + des champs offriront un service quasiment équivalent dans toute la France. Nous avons ainsi veillé à éviter l'apparition de fractures territoriales.

Quels sont les risques pesant à moyen terme sur ces infrastructures ?

Le réseau mobile a été la cible d'un certain nombre d'attaques, souvent par amalgame avec la 5G. Un réseau de télédiffusion a même été attaqué pour cette raison, alors qu'il n'avait évidemment rien à voir avec cette technologie. Il faut donc être vigilant sur ce point, mais je ne suis pas en mesure de formuler devant vous des préconisations précises à ce propos, monsieur le rapporteur. Sans doute les opérateurs devront-ils sécuriser davantage leurs sites.

S'agissant des réseaux de fibre optique, le risque tient au fait qu'ils ont été construits par une pluralité d'acteurs, contrairement à ce qui s'est passé pour le réseau téléphonique qui s'est développé dans le cadre d'un monopole. Nous soutenons ce modèle pluraliste, car il a produit une saine émulation, permettant de combiner les énergies pour couvrir autant de territoire que possible. Toutefois, il soulève deux questions.

Premièrement, les règles d'ingénierie utilisées pour la construction des premiers réseaux de fibre mériteraient peut-être d'être revues. À cet égard, le secrétaire d'État Cédric O a confié à Benoît Loutrel une mission portant notamment sur les réseaux d'initiative publique. Cela permettra de faire remonter des problèmes éventuels.

Deuxièmement, à moyen terme, on peut s'interroger sur les capacités d'intervention en cas d'accident. Quand des inondations détruisent une route, emportant avec elle l'ensemble des infrastructures, France Télécom est en mesure de mobiliser ses équipes, y compris en les faisant venir d'autres territoires. Pour réparer un réseau purement local, on ne peut compter que sur les équipes d'intervention attachées à sa maintenance. La solidarité entre les réseaux est donc un enjeu essentiel : il faut créer des mécanismes d'intervention permettant de faire face aux crises. Nous interpellons régulièrement le Gouvernement, sans avoir obtenu, jusqu'à présent, un réel suivi de ce problème.

J'en viens à la dimension européenne, qui est évidemment essentielle dès lors que l'on évoque les enjeux numériques. Que penser des projets européens de DSA (Digital Services Act) et de DMA (Digital Markets Act) ? Il importe, au préalable, de bien distinguer les deux.

Pour ce qui est du DSA, la direction choisie est la bonne. Elle consiste, pour la gestion des contenus – notamment sur les réseaux sociaux –, à construire quelque chose à côté des procédures judiciaires. Celles-ci visent à traiter les contenus illicites ; cela doit continuer. Le Gouvernement a d'ailleurs annoncé une augmentation des moyens affectés à cet effet, avec le recrutement de magistrats supplémentaires et le renforcement des équipes de la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS), chargée des interventions administratives sur les contenus. Mais on voit bien que ce n'est pas suffisant : il reste beaucoup de contenus « gris », qu'il n'est pas facile de juger, notamment quand il s'agit de caractériser le discours de haine.

Par ailleurs, l'enjeu n'est pas seulement d'interdire certains contenus : il faut aussi, potentiellement, limiter leur viralité. Pour cela, il ne suffit pas d'édicter un règlement ; on doit également s'appuyer sur l'intelligence des plateformes. Celles-ci doivent être des régulateurs de premier niveau, au-dessus desquels il y aurait un régulateur de second niveau, à savoir une autorité publique s'assurant que le travail a été bien fait au premier niveau. On appelle parfois cela « régulation-supervision ». C'est un peu ce qui existe dans le domaine bancaire : les acteurs ont leur propre modèle de gestion du risque, contrôlé par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Telle est la voie choisie par le DSA. L'ARCEP soutient depuis longtemps cette démarche.

Un point, toutefois, mérite notre vigilance. Un débat va avoir lieu à l'échelon européen pour savoir quels types de contenus doivent faire l'objet de cette supervision. Or il peut y avoir, à cet égard, des différences de culture entre le nord et le sud de l'Europe. Si on se limite aux contenus illicites, le dispositif ne servira à rien : la réponse doit d'abord être judiciaire. Il faut donc élargir le cercle des contenus visés. Il conviendra d'être vigilant sur ce point lors des négociations.

Le deuxième volet, le DMA, vise à renforcer la régulation économique et la concurrence. Je dois partager avec vous ma grande inquiétude sur ce texte : en l'état, il n'apporterait qu'un progrès limité en faisant de la réglementation plutôt que de la régulation. Il viserait à imposer aux grandes plateformes certaines règles pour les empêcher d'écraser les petites et moyennes entreprises (PME) qui travaillent avec elles. Il s'agirait par exemple d'éviter que Google, dans sa plateforme publicitaire Adwords, change les règles de gestion des contenus et des délais de préavis pour le déréférencement de certains acteurs, ou encore d'obliger Amazon à faire preuve de loyauté dans sa relation avec les PME. Tout cela est nécessaire, mais c'est totalement insuffisant pour changer le paysage numérique : on limite la casse en encadrant les interactions des monopoles avec le reste de l'économie, mais on ne règle pas le problème de fond, à savoir l'existence de monopoles.

Pour ce faire, il faut créer des instruments proactifs, comme on l'a fait dans les télécoms il y a vingt-cinq ans. Il faudrait se doter d'un régulateur, d'une agence européenne qui serait chargée de casser les monopoles en établissant des règles de séparation et d'interopérabilité, afin de passer d'un système centralisé à une véritable concurrence entre différentes entités. Le DMA n'en prend pas le chemin, d'où mon inquiétude.

Pour ce qui est des discussions sur la fiscalité du numérique dans le cadre de l'OCDE, ce n'est pas un sujet que je suis de près. La clef se situe aux États-Unis. On peut espérer qu'avec l'arrivée de Joe Biden, les négociations progressent et permettent enfin d'envisager l'adoption d'une fiscalité assise sur la réalité économique locale de l'activité et de ses acteurs.

Le Forum sur la gouvernance d'internet est une enceinte extrêmement utile en ce qu'elle permet de débattre et de conserver un lien avec la société civile, sans laquelle rien n'est possible dès lors qu'internet est en jeu. Pour notre part, nous y sommes très actifs lorsqu'elle se réunit. Nous avons participé cette année à l'émergence d'une prise de conscience sur les enjeux environnementaux du numérique et sur la manière d'accompagner le secteur numérique vers davantage de sobriété.

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Vous avez laissé entendre que les pays du nord et du sud pouvaient avoir des positions différentes sur le contenu du Digital Services Act et sur la possibilité de l'étendre à d'autres domaines. Le Gouvernement français voudrait transposer quasiment immédiatement le projet de directive, avant même que le trilogue ait donné lieu à un accord. Quelles précautions devrait prendre le législateur pour éviter une éventuelle surtransposition par rapport au texte qui sera finalement adopté au niveau européen ? Doit-on montrer l'exemple en le transposant de façon large, même si une négociation doit intervenir par la suite ? Quelle est la position de l'ARCEP sur cette question ?

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Sébastien Soriano, président de l'ARCEP

Je vous ferai une réponse toute personnelle : si la France veut agir ainsi, elle doit faire amende honorable sur ses errements passés, notamment lors du vote de la proposition de loi « Avia ». Le Gouvernement a envoyé des signaux assez négatifs aux acteurs qui sont sensibles aux enjeux de liberté numérique – sans même parler pas de la proposition de loi relative à la sécurité globale, qui soulève encore d'importantes inquiétudes en la matière.

La proposition de loi « Avia » a été extrêmement mal préparée, puisque l'idée d'une régulation-supervision était déjà sur la table. Mme Avia a tenu absolument à garder la disposition relative au retrait des contenus en vingt-quatre heures, qui était un mélange des genres entre le judiciaire et la régulation. C'est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel l'a censurée : en confiant un rôle de censeur aux plateformes, elle les conduirait immanquablement à surcensurer pour ne pas s'exposer à des sanctions. Il est très important que la France fasse comprendre, en interne comme à l'extérieur, qu'elle a compris comment il fallait gérer ce sujet et qu'elle ne cherche pas à répéter l'erreur de la loi « Avia ». Alors seulement, elle pourra montrer l'exemple. Si, en revanche, elle se contente de ressortir la loi Avia et de lui mettre un coup de peinture, alors elle n'enverra pas le bon signal.

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J'étais dans l'hémicycle, avec M. le rapporteur, lors de l'examen de la proposition de loi « Avia » : autant nous avions trouvé que l'article 2, qui donnait de nouveaux pouvoirs au CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel), était réellement intéressant, autant le cœur même de ce texte ne nous avait pas paru bon, pour les raisons que vous venez d'évoquer.

Je voudrais revenir sur ce qu'il sera possible de défendre au niveau français. Lors des débats sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (DDADUE), l'article 4 bis a été supprimé au motif que ses dispositions seraient adoptées au niveau européen, dans le cadre du futur DMA. Pensez-vous qu'il sera tout de même possible d'adopter certaines mesures au niveau français, dans l'hypothèse où le DMA ne serait pas suffisamment ambitieux ?

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Sébastien Soriano, président de l'ARCEP

Sur le plan de la compatibilité avec la directive e-commerce, il nous paraît possible d'adopter une régulation de type supervision des contenus en retenant un périmètre raisonnablement large. Dès lors que l'existence d'un motif d'ordre public peut être démontrée, par exemple en matière de haine, cela nous paraît jouable. Autrement dit, si la proposition de loi « Avia » s'était limitée à l'article 2 – autrement dit à son périmètre initial, celui de la haine en ligne, avant que des amendements ne viennent y rajouter toute une série d'autres sujets –, elle aurait été compatible avec la directive e-commerce.

De la même manière, les dispositions sur les terminaux et l'interopérabilité contenues dans la proposition de loi « Primas » sont tout à fait compatibles avec la directive e-commerce. D'ailleurs, le Gouvernement s'est opposé à ce texte non pas en raison d'une éventuelle incompatibilité, mais surtout pour une raison d'opportunité, afin d'éviter de transposer par anticipation.

En revanche, une fois qu'une proposition de texte de la Commission européenne est sur la table, les conditions de compatibilité sont durcies. Chaque État membre ayant un devoir de coopération, il n'est pas censé agir en anticipation. Cela mériterait sans doute une analyse juridique plus fine mais, à partir du 15 décembre, le terrain sera sans doute un peu plus glissant pour la France si elle se retrouve à devoir transposer de façon anticipée le DSA ou le DMA.

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Cela vaut pour la neutralité des terminaux. Mais, s'agissant de l'interopérabilité, peut-on agir tout en restant dans le cadre de la directive e-commerce ? L'interopérabilité est un enjeu de souveraineté et de mobilité déterminant. Comment peut-on l'imposer de façon plus efficace et plus systémique aux plateformes, sachant que de nouvelles techniques rendent cette opération plus facile ?

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Sébastien Soriano, président de l'ARCEP

Nous ne voyons pas d'incompatibilité de principe avec la directive e-commerce.

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Vous avez dit l'essentiel, en particulier sur le rôle que pourra jouer la France. Cela permet de se positionner en connaissance de cause.

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J'aurais une dernière question sans doute connexe – il faudra étudier avec le président la possibilité d'ouvrir un nouveau chapitre sur ce sujet – à propos des nouveaux moyens de communication que représentent les constellations de satellites. Les Américains sont très en avance ; ils ont un modèle un peu particulier, avec des lanceurs privés indirectement subventionnés par l'État par le biais de lancements gouvernementaux, ce qui fait bénéficier les lancements commerciaux de tarifs ultra-compétitifs. Des entreprises privées, comme celle d'Elon Musk, lancent des constellations de satellites pour pouvoir ensuite faire du réseau internet.

L'Europe semble à la traîne, et pourtant le commissaire européen Thierry Breton veut lancer une constellation européenne. Que doit-on faire pour accompagner cette volonté ? Comment garantir que sa construction se fera de façon souveraine ? L'ARCEP a-t-elle un avis ou des préconisations à faire sur ces nouveaux modes de communication ?

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Sébastien Soriano, président de l'ARCEP

Pas vraiment, malheureusement, car nous n'avons qu'une compétence très restreinte en matière de satellites, puisqu'elle se limite à l'autorisation donnée aux équipements au sol de communiquer avec les satellites.

Pour ce qui est de la souveraineté française, il ne me semble pas que ces constellations présentent un réel danger dans la mesure où elles arriveront dans un calendrier trop tardif par rapport à la stratégie de couverture du territoire dans laquelle la France est engagée : autrement dit, notre pays sera quasiment intégralement fibré quand ces satellites commenceront à fournir un service pertinent. Il n'y a donc pas de risque de dépendance de notre pays vis-à-vis de ce type de technologie.

Le risque est plutôt celui d'une perte d'opportunité : ces constellations vont certainement jouer un rôle important pour la connectivité des pays en voie de développement et pour certains usages, maritimes et autres. La prédominance américaine sur le contrôle des communications pose-t-elle question dans l'équilibre géostratégique ? Cela me dépasse assez largement.

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Le rôle de l'ARCEP porte plutôt sur la partie récepteurs, sachant que très peu de récepteurs de ce type sont construits en Europe, la plupart étant d'origine américaine.

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Sébastien Soriano, président de l'ARCEP

Je me réjouis que l'Assemblée nationale se saisisse de ce sujet : nous sommes à votre disposition pour tout éclaircissement ultérieur.

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Ce sera avec grand plaisir ! Je vous remercie pour le temps que vous nous avez consacré.

La séance est levée à 18 heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des Présidents « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 17 h 20

Présents. - Mme Danièle Hérin, Mme Laure de La Raudière, M. Philippe Latombe, M. Denis Masséglia, Mme Nathalie Serre, M. Jean-Luc Warsmann

Excusée. - Mme Frédérique Dumas