La commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires a entendu le général de brigade aérienne Philippe Adam, commandant la brigade aérienne des opérations.
L'audition débute à neuf heures cinq.
Nous accueillons le général Philippe Adam.
Le général Philippe Adam commande la brigade aérienne des opérations (BAO) qui est basée à Lyon et qui est l'une des deux brigades du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes. Cette brigade a pour mission de garantir l'aptitude permanente de l'armée de l'air à planifier, programmer, conduire ou coordonner ces opérations aériennes, qu'elles soient permanentes ou de circonstance, intérieures ou extérieures, dans un cadre national, interministériel ou international.
Les responsabilités de la BAO couvrent notamment la surveillance et la protection des installations sensibles par l'intermédiaire de la police du ciel. Toutefois, dans la chaîne de commandement propre à l'exécution des opérations de police aérienne, le commandement de la BAO n'exerce pas de responsabilités particulières, les décisions d'interception relevant directement du Gouvernement.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées de déposer sous serment. Elles doivent jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite, général, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Le général Philippe Adam prête serment.
Je vais maintenant vous donner la parole pour un exposé liminaire que je vous propose de limiter à une dizaine de minutes.
Je donnerai ensuite la parole à Mme la rapporteure qui vous posera un certain nombre de questions, puis les autres membres de la commission d'enquête pourront également vous interroger.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je suis particulièrement honoré d'être devant vous aujourd'hui. J'ai souhaité présenter un propos liminaire pour préciser l'organisation complexe de la défense aérienne.
Je suis un officier général de l'armée de l'air. J'ai commencé ma carrière de pilote de chasse comme pilote de la défense aérienne. Le sujet qui nous réunit aujourd'hui m'était particulièrement proche alors. Je servais à Cambrai aux commandes de Mirage F1 et de Mirage 2 000. La seconde partie de ma carrière a été très variée et très différente de ce premier métier ; elle s'est poursuivie en France et à l'étranger.
Je suis revenu à la défense aérienne en servant à Bruxelles, à l'OTAN, à l'état-major international. J'étais chargé de ce dossier pour l'OTAN qui traite également de défense aérienne pour l'Alliance entière. Depuis que je suis à Lyon au commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes, j'ai commandé dans un premier temps le Centre national des opérations aériennes dont c'est le métier et qui conduit au quotidien la protection et la défense du territoire dans les airs. Je sers en tant que général opérations et commandant la brigade aérienne des opérations depuis septembre dernier.
La sûreté aérienne au sens large est placée sous la haute direction du Premier ministre. C'est donc à lui que reviennent les grandes décisions, notamment les décisions les plus engageantes et les plus impactantes, d'autant que, même si nous traversons des crises et sommes confrontés à des menaces, notre pays est aujourd'hui en temps de paix, ce qu'il ne faut pas oublier. Une partie de la sûreté aérienne revêt une dimension interministérielle, dont le ministère de la défense n'est pas seul en charge. La partie active est confiée au ministère des armées, car il dispose de moyens dont ne bénéficient pas les autres ministères.
La mission confiée à l'armée de l'air est permanente, qui l'exerce depuis des dizaines d'années. Elle comporte deux volets : d'une part, la protection du territoire et des populations afin de s'opposer à une agression potentielle ; d'autre part, l'action aéronautique de l'État, que l'on appelle aussi « police du ciel », laquelle consiste à faire respecter dans l'espace aérien français les règles de notre État. Dans le cadre de cette mission, nous traquons les contrevenants. Le parallèle avec la police est entièrement justifié, mais la frontière avec la défense aérienne est parfois ténue, dans la mesure où ces deux missions peuvent parfois se nourrir l'une de l'autre ou s'enchaîner très rapidement au cours d'une même opération.
La question des menaces est une question à laquelle il convient de bien réfléchir. Nous avons un devoir particulier d'appréciation de la menace, qui forme un large pan de nos missions. Mais cette mission n'est pas confiée en totalité au ministère des armées ; elle se nourrit d'un dialogue interministériel extrêmement riche et varié et fait entrer en ligne de compte un nombre très élevé d'intervenants. Il convient de distinguer une vraie menace d'agissements de simples contrevenants ou d'une multitude de situations problématiques qui ne sont pas à proprement parler des menaces.
Dans le cadre de la sûreté aérienne, le commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes occupe une place spécifique puisqu'il est placé directement dans la chaîne d'engagement, c'est-à-dire au titre des actions à conduire sous l'autorité du Premier ministre, en lien direct avec le commandant de la défense aérienne, le général Zimmermann. Le général Zimmermann, ou son délégué, commande directement les actions engagées dans les airs.
Monsieur le président, dans vos propos liminaires, vous avez rappelé qu'en ma qualité de commandant de la brigade des opérations aériennes, je n'ai aucun rôle au quotidien dans l'engagement des avions au-dessus de la France. En revanche, en tant que commandant du Centre national des opérations aériennes (CNOA), j'ai la responsabilité des services opérationnels.
La chaîne passe directement du Premier ministre au commandant de la défense aérienne, puis au pilote de l'avion de chasse. Elle est extrêmement courte et il faut qu'il en soit ainsi pour répondre rapidement à des événements inquiétants.
Nous sommes en liaison permanente avec les autres ministères, notamment celui en charge des transports par l'intermédiaire de la direction générale de l'aviation civile (DGAC), mais aussi du ministère de l'Intérieur. Nos liaisons sont nombreuses avec les forces de sécurité intérieure, la police et la gendarmerie car tout ce qui se passe dans les airs finit toujours par une action sur terre. En effet, la suite de nombreuses actions se déroule au sol. Bien que nous n'en soyons pas chargés, des liens opérationnels directs nous lient avec les forces de police et de gendarmerie.
Vous vous intéressez aux sites sensibles qui forment une petite partie, mais une partie essentielle, des sites que nous protégeons. Ils appellent une attention particulière au quotidien. Dans ce cadre, la protection des sites sensibles relève des deux volets de notre mission : une mission de discipline générale dans l'espace aérien et une mission d'opposition à une agression potentielle sur l'un de ces sites, ce qui serait une catastrophe si elle devait se produire.
Général, nous apprécions votre venue. Vous avez présenté vos missions, notamment de protection des territoires et des populations. Pouvez-vous préciser la procédure d'alerte aérienne de la chasse française en cas d'intrusion d'un avion dont la trajectoire serait jugée suspecte ? Combien de bases sont en permanence en alerte, en quels points du territoire ? Combien de pilotes, combien d'appareils sont en permanence en alerte ? Quels types d'appareils sont utilisés ?
J'ai préparé des réponses écrites un peu générales au questionnaire transmis. Ces réponses sont classifiées « diffusion restreinte » ce qui, sans être un niveau de secret très élevé, marque cependant la nécessité d'être attentif à la diffusion de ce type d'informations qui pourraient être largement commentées et interprétées dans des sens différents. Les réponses sont relativement générales, mais elles répondent, pour l'essentiel, aux questions. Je vais avoir la possibilité de vous fournir ici quelques détails. Certains sont classifiés. Il serait préférable que les éléments que je vais vous livrer ne quittent pas cette salle.
Nous ne siégeons pas à huis clos. Mais vous pouvez le demander ; je ne peux vous l'imposer. Préférez-vous le confort du huis clos au regard des questions qui vous ont été transmises ?
Je ne pense pas que ce soit nécessaire. J'éviterai donc d'entrer trop avant dans le détail. Il vous appartiendra de me dire si vous souhaitez de plus amples précisions.
Vous pourriez nous transmettre les réponses les plus sensibles par écrit ; elles resteraient ainsi dans le cadre du huis clos.
Certes, mais il faut savoir que la classification imposerait un processus de diffusion et de transmission particulier, qui risquerait de compliquer les choses.
Certaines réponses qui nous sont faites à « huis clos » sont incluses dans les dossiers de la commission d'enquête, mais ne figurent pas au rapport.
Avez-vous des éléments à fournir en réponse à ma première question ?
Aujourd'hui, s'agissant des seuls moyens aériens, nous tenons en permanence en alerte huit chasseurs, cinq hélicoptères, un avion AWACS et un avion ravitailleur.
Les postures d'alerte varient selon les moyens dont on dispose. Les intercepteurs, c'est-à-dire les avions de chasse et les hélicoptères, sont en alerte « à quelques minutes » : quelques minutes sont nécessaires entre le moment où les pilotes reçoivent l'ordre et le décollage. Une telle configuration réclame une organisation particulière. Les avions sont préparés spécialement dans des lieux particuliers pour décoller rapidement. Les équipages et les mécaniciens vivent en permanence à proximité de leur appareil.
On compte un équipage par hélicoptère ou chasseur. Pour les chasseurs, il s'agit généralement d'un pilote unique, parfois deux pour les biplaces qui répondent à l'alerte, en particulier à Saint-Dizier.
Pour les hélicoptères, l'équipage est composé de quatre personnes : deux pilotes et deux membres des commandos positionnés à l'arrière – un tireur d'élite et un chef d'équipe. Les hélicoptères que nous utilisons, de type Fennec, sont légers. Ils ressemblent à des hélicoptères de type civil, mais sont équipés d'une caméra thermique et les équipages sont dotés d'un matériel de vision nocturne. L'intérêt de l'appareil tient à la présence des deux membres des commandos qui sont armés et prêts à tirer. Leur cible serait plutôt des plastrons lents, des ballons, des objets de ce type. Il ne faut pas que la cible soit trop rapide car un hélicoptère ne vole pas très vite.
Les huit chasseurs sont des Mirage 2 000 de défense aérienne, de type 2 000 C ou 2 000-5. Nous utilisons aussi des Rafale qui sont multirôle, peu importe leur type. Ils sont tous capables d'assurer la mission. Ce qui importe est l'armement que nous y accrochons.
Les intercepteurs sont répartis sur six bases. Les chasseurs sont basés à Mont-de-Marsan, Orange, Saint-Dizier et Lorient, qui est une base aéronautique navale. Les hélicoptères sont basés à Bordeaux, Orange, Saint-Dizier, Villacoublay. Confrontés à un incident susceptible de survenir n'importe où, au-dessus de n'importe quel point du territoire, une telle configuration permet une réactivité maximale. Les chasseurs font l'objet d'une répartition géographique. Pour les hélicoptères, c'est un peu plus compliqué, ils volent moins vite, vont moins loin ; ils ont donc été positionnés à proximité des sites sensibles que nous cherchons à protéger, notamment les sites nucléaires, mais aussi Paris avec un positionnement à Villacoublay.
Grâce à ce dispositif, réussissez-vous à couvrir toutes les installations nucléaires, les centrales notamment ? Existe-t-il des zones blanches ?
Il n'existe pas de zones blanches. L'emplacement géographique des bases en atteste. Chaque intercepteur couvre environ un quart de la France. Je parle des chasseurs, les hélicoptères étant un moyen de défense supplémentaire. D'ailleurs, nous avons souvent à faire face à des scénarios qui combinent les deux modes d'interception. Dans un premier temps, nous faisons appel à un chasseur, l'hélicoptère termine la mission. Toutes les zones sont couvertes, la zone la plus excentrée du territoire métropolitain étant la Corse où il n'y a pas de centrale nucléaire.
Nous essayons de déterminer si les dispositifs de protection de nos installations nucléaires sont efficaces, par exemple, dans l'hypothèse, que l'on peut redouter, d'un avion qui quitterait sa route pour s'écraser sur une installation nucléaire.
Selon d'autres personnes auditionnées, nous savons que les opérations doivent intervenir dans un temps très rapide dans la mesure où un avion qui sort de sa trajectoire peut descendre extrêmement rapidement. En dix minutes, un avion peut quitter sa trajectoire et atteindre son but. Selon votre expérience, est-il possible d'intercepter un avion en dix minutes ?
C'est tout à fait possible, mais cela dépend du moment et de l'endroit où naît l'incident. Le délai d'interception dépend de nombreux paramètres. L'interception n'est pas impossible, mais je ne puis vous garantir qu'elle sera assurée dans tous les cas. À propos des quelques minutes que vous évoquez, je vous invite à analyser ce qui s'est passé lors du vol de Germanwings.
Nos interrogations portent en particulier sur l'usine de La Hague et l'EPR de Flamanville, dans la Manche. Le temps de décollage et d'arrivée sur site – ou à proximité – dépasserait les dix minutes.
Je vais entrer davantage dans le dispositif.
Les intercepteurs ne sont pas la seule composante de la sûreté aérienne. Pour intercepter, il faut avant tout avoir détecté l'incident. Le système de surveillance est donc l'élément central du dispositif de défense aérienne. Il est essentiel que nous disposions de moyens de détection qui permettent de savoir à quelle menace nous avons à faire face. À cette fin, nous surveillons au-delà des limites du territoire français, en particulier au-dessus de la mer. Nos radars sont déployés sur les côtes de sorte à surveiller en mer le plus loin possible et ainsi obtenir le préavis dont nous avons besoin. Nous verrions un agresseur qui viendrait par la mer de suffisamment loin pour l'intercepter dans les temps. S'il arrivait par le territoire d'un de nos États voisins, nous ferions jouer les accords qui nous lient pour utiliser leurs services. Si un danger venait par la frontière belge, nous serions prévenus par notre voisin qui aurait sans doute déjà lancé des mesures de sûreté aérienne. Dans une telle hypothèse, les Belges peuvent agir efficacement, y compris ramener l'avion sur une route normale ou le contraindre et l'empêcher d'atteindre son objectif.
Plusieurs services travaillent en collaboration, sans laquelle nous n'aurions aucun préavis de menaces traversant les frontières. Notre dispositif est robuste et repose sur des partenariats performants selon le principe du donnant-donnant : ce que nos voisins font pour nous, nous le faisons pour eux. Tous les accords sont parfaitement symétriques. Pour ce qui concerne la Manche, si les avions venaient de Grande-Bretagne, nous compterions sur nos amis britanniques qui sont extrêmement vigilants et avec qui nous entretenons des contacts réguliers.
Les accords que nous avons signés nous amènent tous les ans à réaliser quatre exercices avec chacun de nos voisins afin de tester les procédures et nous assurer de la fiabilité des dispositifs.
Si la menace arrivait par la mer et par les espaces internationaux, nous la percevrions de relativement loin. Il ne vous aura pas échappé que nos amis russes nous rendent visite régulièrement ; ils sont interceptés largement au-delà de la limite des eaux territoriales françaises.
Nous avons été alertés au sujet de La Hague et de Flamanville par plusieurs voies. Les bases où sont disposés les chasseurs ne leur permettent d'arriver que dans un délai de dix minutes ; or, dans un tel délai, l'avion a déjà eu le temps de s'écraser. Au surplus, il faut un moment avant de déterminer la présence d'une menace, de constater que l'avion s'est détourné de sa trajectoire habituelle. Au cours des auditions, il nous a été indiqué qu'il avait fallu trois ou quatre minutes entre le moment où l'avion de Germanwings s'était détourné de sa trajectoire et une première réaction efficace. Il faut réaliser ce qui se passe, essayer de contacter l'avion, puis alerter. Pendant trois ou quatre minutes, rien n'est entrepris concrètement pour empêcher l'avion de progresser.
Nous ne voulons piéger personne, mais seulement proposer éventuellement le remplacement d'une méthode peu efficace par une autre.
Bien sûr, nous ne pouvons vous garantir que cela fonctionne à chaque fois. Pour Germanwings, les temps de réaction, dans mon souvenir, ont été extrêmement rapides et largement inférieurs aux délais que vous mentionnez. Le contrôleur civil qui a détecté que l'avion quittait sa trajectoire a pris contact avec le pilote ; en l'absence de réponse, il a prévenu immédiatement l'armée de l'air, et ce dans des délais inférieurs à ceux que vous avez cités.
La DGAC nous a fourni les temps suivants : une minute a été nécessaire pour détecter la sortie de l'avion de sa trajectoire et ensuite quatre minutes ont été nécessaires pour avertir le groupement militaire après des tentatives d'entrée en contact avec l'avion.
Dès que nous en avons eu connaissance, nous avons fait décoller en quelques minutes l'avion le plus près, basé à Orange. Le temps que le chasseur décolle, l'avion de Germanwings était au sol. Le temps de décollage a été celui de la chute de l'avion de Germanwings.
Il faut entrer un peu plus avant dans le dispositif. Après la surveillance, il y a la détection d'une menace potentielle et son analyse. Germanwings était une vraie mauvaise surprise. Tout allait bien et aucun indice n'annonçait une catastrophe. L'incident est né instantanément sur le territoire national, il était imprévisible, a surpris tout le monde et tout s'est passé très vite. L'enjeu est de faire en sorte que les avions qui survolent le territoire national ne posent pas de problème. Un travail est mené en amont, dans un cadre interministériel. Nous n'intervenons qu'en cas d'échec des autres dispositifs de sécurité. Voilà pourquoi je ne peux pas garantir un bon fonctionnement systématique du dispositif, car tout dépend de l'endroit où s'est manifesté le premier élément anormal et de l'objectif du terroriste ou de l'assaillant. Un avion peut changer de direction très rapidement.
Ce que je peux vous garantir, c'est que notre dispositif est le plus robuste d'Europe. Aucun pays, même de taille comparable, ne met autant d'avions en alerte que la France, aucun pays n'utilise cette combinaison entre avions et hélicoptère qui permet de poser des barrières supplémentaires, aucun autre pays n'assure autant de décollages que nous. Nous décollons au moindre doute. La plupart du temps, nous réussissons à obtenir le contact radio, à recueillir les éléments nécessaires le temps du décollage, à lever le doute et donc à tout arrêter. Si l'avion est en vol alors que le doute est levé, l'avion poursuit sa mission. C'est un bon entraînement pour l'ensemble de la chaîne. Le nombre des décollages est extrêmement élevé. Sur un événement réel, on compte en moyenne un décollage par jour, que ce soit d'un avion ou d'un hélicoptère. Tous les jours, deux ou trois avions décollent, la différence est donc le fait des missions d'entraînement. En cas d'incident, nous profitons de ces cibles d'opportunité pour entraîner l'ensemble de la chaîne et essayer de garantir le niveau de réactivité.
Mais le terroriste qui arrivera à prendre le contrôle d'un avion au-dessus de Paris et qui décidera de s'écraser ne nous laissera guère de temps d'entreprendre quoi que ce soit.
Un décollage a lieu quotidiennement. Vous êtes donc bien entraînés.
Vous dites que quelques minutes sont nécessaires avant le décollage. Les pilotes ne sont pas à demeure installés dans leur avion en attendant ; sans doute demeurent-ils dans un bâtiment attenant. J'imagine que vous avez calculé le temps moyen nécessaire à partir du moment où vous êtes alertés et le décollage.
Absolument. À chaque entraînement et à chaque décollage réel, nous vérifions que le temps prévu a bien été tenu. D'ailleurs, le temps écoulé est souvent inférieur au temps prescrit. Nous disposons alors d'une marge étroite. C'est ainsi qu'en cas de difficulté avec un avion, le pilote dispose du temps nécessaire pour en changer, et même dans ces cas-là, le plus souvent, les temps sont tenus. Cela dit, il est rare que ce cas de figure se produise.
Tout dépend des indices dont nous disposons. Si un indice nous laisse penser qu'une situation est en train de dériver, sans que rien toutefois soit encore déclaré, nous pouvons abaisser ce temps de réaction. En pleine journée, le contrat est de sept minutes. Ce délai fait partie des éléments que nous dévoilons rarement car plus nous sommes précis, plus nous suscitons des réflexions approfondies sur nos modes d'action.
Les pilotes sont situés dans un bâtiment à proximité de l'abri de l'avion ou de l'hélicoptère, leurs affaires sont à l'intérieur, l'avion est prêt. A la sirène, les mécaniciens posent l'échelle, l'équipage monte dans l'avion, les mécaniciens enlèvent l'échelle, retirent les dernières sécurités pendant que le pilote et l'équipage se harnachent. Les moteurs se mettent alors en route, l'avion roule et décolle.
Si nous voulons gagner du temps en raison des indices dont nous disposons, l'avion est alors contraint d'attendre. En effet, dans le cas de figure d'une situation critique qui semble se développer, nous ne souhaitons pas faire décoller l'avion trop tôt avant d'avoir procédé aux vérifications nécessaires.
Nous pouvons mettre en alerte les équipages sous deux minutes. Ils sont assis, attachés dans l'avion, le pilote prêt à appuyer sur le bouton du démarreur. De sept minutes, nous passons à deux minutes suivant les avions. L'avion le plus long à décoller est le Rafale, un excellent avion, dont les capacités sont phénoménales, mais dont la mise en route est plus longue : il faut trois minutes en raison de la présence de deux moteurs. En général, nous abaissons grandement les délais de réaction. Quand on est dans le feu de l'action, c'est quasiment instantané : l'équipage est dans l'avion en deux minutes. Le temps de deux ou trois coups de téléphone, l'avion est dans les airs.
Il existe un risque. Dans le cas de Germanwings, techniquement et humainement, il était impossible d'intercepter l'appareil, l'avion s'étant déjà écrasé au moment où vos appareils ont décollé. Selon vous, installer des missiles sol-air à proximité des installations nucléaires les plus sensibles serait-elle une bonne idée ?
Oui, nous procédons ainsi régulièrement. C'est un moyen extrêmement utile qui ne couvre qu'une petite portion du territoire dans la mesure où notre stock ne nous permettrait pas d'agir ainsi en permanence. Pour ce faire, il faudrait déployer une batterie de missiles sol-air sur chacun des sites que nous cherchons à protéger. Mais nous le faisons régulièrement dans le cadre de dispositifs particuliers ou à l'occasion d'alertes spécifiques, lorsque le niveau de danger ou de menace s'élève, notamment s'agissant de dispositifs particuliers de sûreté aérienne qui sont déployés sur ordre du Premier ministre pour couvrir des événements ou des sites dès lors que la situation l'exige. Nous procédons de cette manière au moins une fois par an, le 14 juillet. La vulnérabilité est alors élevée : le Gouvernement et une bonne partie du Parlement sont rassemblés sur la Place de la Concorde et personne n'a envie qu'il arrive quelque chose.
Notre dispositif particulier de sûreté aérienne est totalement transparent, qui comprend chaque année le déploiement de missiles sol-air autour de Paris. Le nombre de missiles sol-air dont nous disposons n'autorise pas un déploiement permanent, ni à Paris ni ailleurs. Les missiles sol-air sont performants pour atteindre une cible à courte portée mais les conséquences d'un tir sont extrêmement violentes, très rapides et le processus est peu interactif. Une fois le missile parti, on ne peut le rappeler. Les temps de vol des missiles sont plus courts et l'intelligence de la chaîne assez différente de celle des chasseurs.
Tirer un missile sol-air dans un environnement de trafic très dense engendre des conséquences. La menace à laquelle nous serions potentiellement confrontés étant dissimulée dans le trafic civil., il faut prendre garde à ce que nos actions ne mettent pas en danger nos concitoyens. La discrimination reste délicate dans un environnement de paix tel que nous le connaissons actuellement, qui connaît un essor du trafic aérien. Or, les missiles sol-air restent des engins extrêmement puissants et poseraient des problèmes de sûreté nucléaire en raison des grosses masses d'explosifs et des radars qui les accompagnent. Je ne suis pas certain qu'EDF accepterait que nous les déployions sur le site d'une centrale nucléaire. Pour l'ensemble de ces raisons, nous ne tirons pas. Il convient de toujours mesurer les enjeux aux risques que nous prenons ; en la circonstance, nous estimons que la protection rapportée au niveau de menace ne justifie pas le tir.
Pour répondre à votre question, nous n'avons pas suffisamment de moyens pour assurer un tel dispositif en permanence.
Nous disposons d'un moyen de défense de dernier recours des sites sensibles qui, certes, ne permettrait pas de s'opposer à l'écrasement d'un avion. Les procédures en place sont destinées à informer le site visé qu'un incident est en train de se produire et à lui permettre de prendre des mesures de sécurité.
Tout cela se fait en temps réel, l'appréciation des situations est parfois compliquée. Il faut comprendre l'objectif de l'intrus et avoir la garantie solide qu'il est déterminé à s'écraser. Tout cela est complexe et m'empêche de vous livrer une réponse définitive et précise en vous répondant par oui ou par non.
L'état de nos stocks ne permettrait donc pas de positionner des missiles sol-air sur chaque centrale ou installation nucléaire. En tout état de cause, si nous voulions le faire, cela représenterait un investissement.
Un investissement considérable. Il faut acheter le matériel et ensuite disposer des hommes qui l'utiliseront. Aujourd'hui, 400 personnes sont nécessaires à un instant T pour tenir l'alerte de défense aérienne – les avions et le dispositif que je viens d'évoquer – soit en permanence un total de 2 000 personnes. Si nous devions ajouter des missiles sol-air pour protéger 19 sites nucléaires, les chiffres seraient bien plus élevés. D'ailleurs, il s'agit d'effectifs dont nous ne disposons pas. Chaque poste tenu en permanence dans la chaîne d'alerte nécessite cinq personnes. Et les postes sont nombreux qui concernent les radars, la surveillance, les avions, la mécanique.
Merci beaucoup pour ces éléments.
Ma question sort un peu du champ de l'échange que nous venons d'avoir. Nous avons largement évoqué la menace liée à l'aviation civile. Qu'en est-il de la question des drones et des risques de charge qu'ils seraient susceptibles de transporter ?
Le problème a surgi brutalement et l'explosion des drones de loisirs a été une surprise pour tous. Depuis trois ans, et à tous les niveaux, la question est prise très au sérieux. C'est ainsi qu'un cadre réglementaire est en cours de mise en place ; des mesures techniques devront également s'appliquer, mais nous ne disposons pas encore de réponses techniques à ce type d'intrus susceptibles de devenir une menace.
J'ai évoqué la nécessité de discriminer la menace dans un environnement extrêmement dense. Avec les drones, la situation est aiguë, notamment en raison des petits drones qui sont susceptibles de décoller quasiment à l'endroit où ils veulent attaquer. La question des délais se pose donc avec acuité. En outre, leur taille les rend virtuellement indétectables par les moyens dont nous disposons actuellement. Ces moyens, qui sont d'importance, sont destinés à couvrir l'ensemble du territoire français et à rechercher des avions plutôt que des engins de petite taille. Cela dit, nous avons agi en instaurant une série de mesures ; un cadre réglementaire est donc en cours de mise en place. Parmi ces mesures, je citerai les obligations d'immatriculation des drones d'une certaine taille.
Pour que le drone soit réellement dangereux, il faut qu'il ait la capacité d'emporter une charge utile importante. Il ne s'agit pas de drones de loisirs que l'on fait voler dans son salon, mais d'engins de plus grande ampleur. Je n'entrerai pas dans le détail des mesures que je ne connais pas bien ; il convient de retenir l'obligation d'immatriculation, de déclaration afin de recenser les appareils et de s'assurer que les pilotes de drones ont connaissance du cadre réglementaire.
Les moyens techniques sont en cours de développement. Pour des questions de réactivité, parce que la défense est extrêmement locale, nous défendons point par point. Pour les raisons que j'évoquais, l'armée est totalement incapable de prendre en charge cette protection à elle seule, sans compter qu'elle n'est pas forcément légitime à le faire. Une note signée par la directrice de cabinet du Premier ministre en mai 2016 précise que les ministères sont responsables des points sensibles situés dans le périmètre de leur ministère ; chaque point sensible doit organiser sa protection contre les menaces potentielles.
Dans le même temps, nous travaillons sur les moyens techniques de détection et de neutralisation, soit du drone lui-même, soit de son pilote. Contrairement ce que l'on entend souvent, les drones ne sont pas des avions sans pilote, ils sont pilotés ; il faut simplement trouver le pilote qui n'est pas dans l'avion. Si nous localisons le pilote, nous avons une bonne chance de neutraliser l'attaque, si attaque il y a.
Au quotidien, à l'instar de ce qui est entrepris envers les pilotes de l'aviation légère, il convient de s'assurer que les utilisateurs de drones sont informés de l'interdiction de vol sur certains sites. C'est une action de pédagogie. La mission de police consiste à faire la chasse aux contrevenants et à déterminer les raisons pour lesquelles ils ont contrevenu aux interdictions.
Chaque ministère ou chaque opérateur de zone est responsable de la protection de ses propres sites. Qu'il s'agisse de la présence supposée ou avérée de drones, l'ensemble des informations remontent au Centre national des opérations aériennes, à Lyon, qui les centralise, s'assure du suivi, de la levée de l'alerte. Bien souvent, ces incidents n'ont pas une grande portée. Il n'en reste pas moins que nous procédons à un suivi statistique des événements au titre de la surveillance et du renseignement afin d'estimer le niveau de menace et des risques.
Nous pourrions être confrontés à des attaques de très grande ampleur, voire à des attaques simultanées sur l'ensemble des sites. Dans cette hypothèse, centraliser les informations pour être en mesure de fournir une réponse coordonnée et intelligente est une condition d'efficacité. Je ne peux vous garantir que le dispositif serait efficace à 100 % et que nous arriverions à contrer l'ensemble des attaques, mais l'efficacité impose une réponse coordonnée.
Pour ce qui concerne les armées, le programme en cours s'appelle « Moyen intermédiaire de lutte anti-drone » (MILAD). Un marché a été attribué l'année dernière à la société Communication et Systèmes en vue de déployer les premiers systèmes dans l'armée de l'air à la fin 2018. Le principe repose sur un système de détection et un système de neutralisation. La neutralisation n'est pas forcément dynamique, on ne tire pas toujours sur le drone ; il existe d'autres moyens, par exemple, la neutralisation de la télécommande ou le brouillage du GPS. Cependant, la détection reste un problème, à partir du moment où l'on s'intéresse à des zones qui sont relativement restreintes, nous disposons d'options autres que des gros radars de défense aérienne.
Lors de leur audition, les responsables de la DGAC nous ont indiqué disposer de radars primaires. Nous leur avons demandé si l'ensemble du territoire était couvert par l'addition des deux couvertures, civile et militaire. Ils nous ont demandé d'interroger la défense aérienne. Général, je vous pose donc la question.
La DGAC dispose d'un certain nombre de radars. Le contrôle aérien civil repose essentiellement sur des radars dits coopératifs ou secondaires. Les avions qu'ils contrôlent sont interrogés à distance, ils renvoient une réponse qui permet leur localisation dans l'espace. Le système est très précis et très efficace. Les liaisons de données nous permettent de récupérer de multiples paramètres. Le système est coopératif. Un avion qui ne serait pas coopératif – il en va ainsi des avions de nos amis russes – n'est pas détecté par les radars civils mais la DGAC dispose d'un certain nombre de radars dits primaires dont la détection repose sur une autre technique. En l'occurrence, on envoie une onde qui est réfléchie par la cible dès lors que celle-ci est de taille suffisante. Nous sommes capables de la détecter en fonction de la puissance du radar, de la distance et de plusieurs autres paramètres. La DGAC met à notre disposition les données obtenues par certains radars.
Les radars militaires sont essentiellement des radars primaires. Nous disposons aussi de radars secondaires, mais notre principe de détection et de couverture du territoire est réalisé par les radars primaires militaires. Plus nous disposons d'informations, mieux nous gérons la situation. Tant que leurs radars, tant primaires que secondaires, sont connectés et nous envoient des informations, nous utilisons leurs données.
Le maillage militaire excluant les aides extérieures est dimensionné, organisé pour ne reposer que sur les radars militaires, actuellement au nombre de 78. Les radars sont en cours de renouvellement, ce qui pose, par ailleurs, un certain nombre de problèmes. La détection est un élément important en matière de sûreté aérienne. Le fondement de nos processus repose sur la possibilité de détecter un intrus ou un agresseur.
Notre réseau de radars a souffert ces derniers temps, il souffre encore et nous nous battons pour le préserver.
La technologie radar et les problèmes de masques terrain ne permettent pas toujours de repérer des engins de petite taille qui circulent très bas. À partir de 2001, nous avons complété notre couverture par le déploiement de radars basse altitude. Le système n'est pas encore parfait car plus les engins volent bas, moins c'est parfait. Au surplus, il faut entretenir le matériel. Un radar coûte très cher. Lorsque nous étions riches et que nous pouvions nous offrir des réseaux extrêmement denses, nous dotions chaque site de deux radars de technologie différente. Lorsque l'un était en panne, l'autre prenait le relais. Pour des raisons économiques, là où il y avait deux radars, il n'y en a plus qu'un aujourd'hui. Aussi, lorsque le radar est en panne, y a-t-il souvent un blanc – pas toujours, mais souvent. Nous sommes attentifs à notre couverture, mais tout est question de moyens.
Un radar n'est pas dédié à un site ; les radars couvrent l'espace aérien qui surplombe les centrales nucléaires. Le territoire français est entièrement couvert. J'ai précisé qu'il existait des trous en basse attitude mais les sites où sont implantées les centrales nucléaires sont attentivement surveillés. Ces sites font partie de ceux où nous avons choisi, dans les années 2000, de déployer des radars basse altitude pour compléter la couverture, notamment dans la vallée du Rhône, qui est quelque peu accidentée.
Ces sites font l'objet d'une attention particulière. Si un problème technique nous empêche de couvrir les zones des centrales, l'information remonte sans délai pour une correction immédiate.
Général, c'est au pilote que je m'adresse. Vous avez été pilote de Mirage 2 000. En la circonstance, nous parlons d'aviation civile, de gros-porteurs. Techniquement, selon vos connaissances en aérologie et en aéronautique, est-il techniquement possible à un aéronef civil, en fonction de l'altitude de croisière des avions civils, de percuter une centrale nucléaire, plus précisément une piscine, sans que vous ayez eu le temps de déclencher le dispositif que vous nous avez décrit ?
Sans déclencher le dispositif, non, avec toutes les limitations que nous avons évoquées. Cela dit, la réaction pourra produire un effet ou non. Quant à savoir si une attaque par la voie des airs – un avion qui s'écraserait sur un site sensible – produit un effet, je suis bien embarrassé pour répondre. Je peux tenter de le faire sur l'aspect contrôle, pilotage. Un petit avion ou un chasseur extrêmement maniable, très agile, peut s'écraser très proprement sur une cible donnée, à condition de connaître le point de vulnérabilité. C'est ce qui justifie que nous soyons discrets ; il ne convient pas de dévoiler les vulnérabilités. Si l'on sait exactement où se situe le point vulnérable, il convient de choisir l'angle d'attaque. L'avion ne peut arriver à très basse altitude, mais d'un peu haut pour éviter les masques du relief, de la végétation, etc. Viser la cible nécessite de la voir suffisamment tôt ; il convient donc qu'il fasse beau. S'il fait nuit, des dispositifs de vision nocturne s'imposent, mais ils engendrent nombre de problèmes. Utiliser de tels dispositifs nécessite des entraînements ; n'importe qui ne peut pas piloter avec des jumelles de vision nocturne, cela s'apprend et se travaille. Et si l'on ne s'est pas entraîné, on se tue avant d'atteindre l'objectif.
Le ciblage consiste à déterminer l'endroit où l'avion doit s'écraser et suppose une grande précision. L'opération est réalisable avec un petit avion, un chasseur, par exemple. Ce qui nous inquiète le plus, c'est que plus gros sera l'avion, plus l'énergie qu'il déploiera à l'impact sera élevée. Cela dit, ces gros avions sont difficiles à piloter en raison de leur grande inertie et parce qu'ils ne sont pas conçus pour des pilotages extrêmement précis.
Si l'avion arrive à basse vitesse, l'énergie à l'impact sera diminuée d'autant. L'avion est également plus vulnérable à une interception et a de fortes chances de se faire contraindre. Si, au contraire, l'avion arrive très rapidement, les problèmes de contrôle et de pilotage sont élevés et ne garantissent pas la précision de l'impact. Ce n'est pas une certitude non plus ; même les terroristes ne sont pas à l'abri d'un coup de chance ! Nous pensons aux attaques réussies des tours du World Trade Center le 11 septembre 2011. On parle de ciblage. Les tours ne sont pas difficiles à repérer dans un grand ciel bleu. Il suffisait que l'avion percute la tour n'importe où. Le pilote n'avait pas de problème pour atteindre son objectif. Le premier impact a été peu filmé ; je ne sais pas précisément quelle a été l'approche de l'avion. Le second avion a opéré une correction tardive. Il y avait du vent ce jour-là, on voit bien sur les images les fumées déportées par le vent. Le pilote, qui n'est pas très expérimenté, a opéré une correction au dernier moment ; l'avion est arrivé de façon très inclinée, une position très inhabituelle pour un avion. Il tape quand même en plein milieu. Sans cette ultime correction, il aurait pu passer à côté, ou en tout cas l'impact aurait pu ne pas avoir du tout le même effet.
Quant à l'effet d'un avion s'écrasant sur une centrale, je ne peux me prononcer ; il est fonction de l'endroit heurté.
Je ne vous demandais pas le résultat d'un heurt contre une piscine. Nous avons eu l'occasion d'échanger avec d'autres interlocuteurs, même si, sur cette question, nous n'avons pas forcément reçu de réponse.
Un autre paramètre m'intéresse. Nous avons compris le dispositif destiné à intercepter un avion civil potentiellement menaçant transportant 200 à 300 personnes par un ou deux Mirage 2 000 prêts à faire feu. Nous sommes confrontés à une responsabilité morale. Vous êtes militaire, on vous demande d'agir, vous agissez. Mais à quel moment sera-t-on assuré que cet avion est menaçant ? Imaginons que le terroriste à son bord ait pour objectif une centrale nucléaire, voire une piscine. Pouvez-vous nous préciser comment cela se passe ?
À quel moment est-on sûr de faire face à une agression terroriste ? Au moment de l'impact ! C'est désolant, mais dans bien des cas, c'est ainsi que cela se passe et c'est ce qui s'est produit le 11 septembre. Je pense que la disparition des avions des écrans a été notée, mais personne n'a su ce que les terroristes voulaient faire jusqu'au moment où l'avion s'est écrasé. Nous savons désormais que le mode d'action existe ; si cela se reproduisait, peut-être serions-nous un peu plus prudents et arriverions-nous un peu plus rapidement à une prise de décision, mais, comme vous le relevez, elle est extrêmement difficile s'agissant d'un avion civil. Même si elle n'est pas très claire, la Convention de Chicago n'encourage pas la destruction d'un appareil civil. C'est ainsi que les Allemands ont fait le choix constitutionnel de ne jamais tirer s'ils devaient être confrontés à une telle situation. Peut-être, à la suite d'un premier impact, modifieraient-ils leurs règles. Mais, pour l'heure, ils ont fait le choix d'appliquer strictement les règles internationales et la Convention de Chicago. Le reste relève de l'appréciation de situation. Nous sommes extrêmement interconnectés, le travail est interministériel et la décision ultime, sur un cas comme celui-là, serait prise par le Premier ministre qui a la responsabilité de la chaîne. Sur un cas aussi précis que celui que vous évoquez, il n'y aura pas de délégation de la décision.
Reprenons le scénario que vous évoquez de façon concrète. L'avion survole la France, il suit son plan de vol ; brutalement, il quitte sa route, ne répond plus à la radio et se dirige vers Flamanville. Il est détecté. Nos intercepteurs sont là. Il commence à descendre. Sommes-nous sûrs qu'il s'écrasera sur Flamanville ? Sans éléments supplémentaires, nous ne le saurons jamais. Pour autant, cela n'empêche pas de prendre la décision.
Selon la procédure que nous avons déroulée, pendant que le Mirage décolle pour intercepter l'avion, qu'il essaie d'entrer en contact avec l'équipage, de comprendre ce qui se passe, qu'il nous transmet des renseignements, que nous cherchons à comprendre ce qui a pu se produire au moment de l'embarquement, du décollage, que nous recherchons des éléments qui ne nous auraient pas été signalés, nous essayons d'obtenir les informations qui nous amèneraient à conclure qu'il se passe quelque chose. Le scénario le plus simple, c'est que l'avion soit détourné, que le terroriste prenne le micro et nous annonce ce qu'il veut faire, mais il ne faut pas trop compter dessus – même si l'on peut soit douter de sa sincérité, soit penser qu'il va prendre peur et que nous allons arriver à le convaincre de ne pas passer à l'acte. Bref, nous allons tenter quelque chose. Nous attendrions donc assez longtemps avant de l'abattre. Pendant tout ce temps, il faut expliquer au Premier ministre ce qui se passe pour lui permettre de prendre sa décision. Et tout cela dans le temps dont nous disposons et qui peut être potentiellement plus court que les dix minutes évoquées.
Comment pourriez-vous qualifier la vulnérabilité aérienne de nos centrales nucléaires, compte tenu des menaces ambiantes et des dispositifs de réponse dont vous disposez ?
Sur la vulnérabilité technique, j'ai déjà répondu : je ne sais pas exactement dire quel serait l'effet de l'impact d'un avion sur une centrale. Aujourd'hui, les centrales ne disposent pas en propre de dispositifs particuliers, si ce n'est de leur défense passive destinée à se prémunir contre le risque.
Si nous pensons que le risque qu'un avion s'écrase sur une centrale est extrêmement élevé, nous préviendrons les responsables de la centrale en question, pour qu'ils prennent des mesures permettant de mettre globalement la centrale en sécurité, ou en tout cas d'atténuer les conséquences qui serait liées à l'écrasement. Pour le reste, tout le monde sait où sont les centrales, elles ne sont pas faciles à camoufler ; elles se voient même de très loin, puisque les aéro-réfrigérants permettent de naviguer facilement à vue. Quand on côtoie une grosse colonne de fumée blanche, on sait de quelle centrale il s'agit ; cela permet de recaler sa navigation quand on s'est un peu perdu. Ce système est d'ailleurs souvent utilisé par nos amis de l'aviation légère qui aiment à se déplacer de gros points de repère à gros points de repère. Quand ils prennent une centrale nucléaire comme point tournant, évidemment, nous n'apprécions pas beaucoup, ni la centrale d'ailleurs.
La centrale reste vulnérable dans le sens où c'est une cible offerte. Permettez-moi un commentaire, sans rapport avec mes fonctions, sur l'appréciation que peuvent avoir les terroristes des dommages qu'ils seraient susceptibles de causer en touchant un site nucléaire ou de l'impact psychologique sur la population : pour eux, ce serait une réussite majeure. Cependant, nous n'avons pas d'indications selon lesquelles ils chercheraient à cibler particulièrement de tels sites. Ils veulent mener des actions, dont ils maximisent les effets mais en utilisant de préférence la presse et les réseaux sociaux. Ils ne cherchent pas à se compliquer la vie. Nous comptons un peu là-dessus.
Vous parliez camouflage, il semble que les Allemands ont mis en place un système de brouillard susceptible d'être diffusé rapidement pour masquer potentiellement une centrale nucléaire
Avez-vous déjà eu été avisé de ce type de dispositif ? Pensez-vous qu'il serait d'une réelle efficacité ?
J'en ai entendu parler. Il s'agit d'un fumigène. La solution retenue est liée au sujet du contrôle et de la précision évoqué précédemment. Si l'avion devait s'écraser, les Allemands ne s'y opposeraient pas par la force, ils ne prendraient pas le risque de tuer inutilement 250 passagers. L'idée consiste donc à diminuer les conséquences en déviant la trajectoire de l'avion afin que le pilote tape au hasard ; avec un peu de chance, il toucherait autre chose que le point vulnérable.
Le brouillard est une aide pertinente et intéressante qui, selon moi, n'est pas très onéreuse. Il faut évaluer son efficacité au regard de son coût. Si le coût est très bas, nous devrions pouvoir mettre en place de tels dispositifs sans trop de difficulté, mais l'efficacité, selon moi, est faible. Ce dispositif nécessite un certain préavis : nous devons être informés et puis alerter les personnels de la centrale afin qu'ils déclenchent le système au moment adéquat. En effet, le temps d'usage du fumigène est, selon ce que j'en ai compris, limité. Par ailleurs, en fonction du temps et du vent, le fumigène perd de son efficacité.
Dans la mesure où aujourd'hui la plupart des sites nucléaires ne sont pas floutés sur Google Earth, que les terroristes ont des GPS, j'ai vraiment l'impression que ce ne serait pas très utile.
Quand bien même n'auraient-ils pas l'image devant eux, ils sont en mesure de cibler leur objectif.
Le GPS n'est pas d'une grande aide. Dans le cas que nous évoquons, les dernières manoeuvres se feraient manuellement. Le pilote amènera à vue son avion sur la centrale, il n'utilisera pas le GPS.
La nuit, le risque d'atteindre la cible est faible. Le pilote doit voir l'objectif, il faut qu'il fasse relativement beau. S'il fait beau, la centrale se voit de très loin. Le fait qu'elle ne soit pas floutée sur Google Earth ne changera pas grand-chose. Éventuellement, il pourra mieux préparer son axe d'arrivée, mais le GPS ne l'aidera pas forcément à conduire son avion à l'endroit qu'il aura choisi, au mètre près, voire à dix mètres près. C'est la raison pour laquelle je dis que le système mériterait d'être étudié. J'en ai entendu parler à l'occasion de la présentation des travaux présentés par EDF sur la protection passive de ses centrales. J'ignore si EDF a poursuivi en ce sens. J'ai l'impression que, pour elle, le rapport coûtefficacité est insuffisant. Je la laisse juge de cette appréciation.
Nous avons évoqué les gros-porteurs. Est-ce l'armée qui intervient lorsque sont en cause des ultralégers motorisés, des parapentes, des paramoteurs, ? Un Mirage 2000 est-il en capacité d'intercepter un ULM qui doit voler à 100 ou 150 kilomètres par heure ? La différence, ne serait-ce que de vitesse, entre les engins est grande.
Souvent, nous combinons chasseurs et hélicoptères, notamment pour traiter la problématique des avions lents. Le premier qui parvient à intercepter est souvent le chasseur. L'hélicoptère n'arrive en premier qu'en cas de configuration extrêmement favorable. L'idée est d'amener le chasseur, d'identifier, de réaliser les premières mesures, de marquer sa présence, de montrer que l'on a réagi, éventuellement de faire peur, de dissuader, d'identifier.
Lire l'immatriculation n'est jamais très simple. Ces avions volent assez bas alors même que nous évoluons nous-mêmes à des vitesses très basses, ce qui nécessite de garder le contrôle. Généralement, nous ne parvenons pas à lire l'immatriculation en une seule fois, ce qui impose plusieurs passages. Pendant que l'ULM vole, le chasseur orbite autour. C'est délicat. C'est pourquoi nous essayons de faire intervenir rapidement un autre intercepteur dont la gamme de vitesse est plus compatible. Le chasseur est utilisé pour contraindre l'intrus à s'engager dans la direction que nous souhaitons. Normalement, un Rafale qui passe à proximité d'un pendulaire impressionne la personne qui le manoeuvre. Le Rafale mènera l'avion léger jusqu'à un domaine accessible à un hélicoptère qui, ensuite, a tout loisir de poursuivre les mesures, de le contraindre, voire de l'abattre si nécessaire. Voilà comment nous procédons avec les avions légers.
Les parachutes obéissent au même dispositif de défense que celui des drones : des engins très localisés, à proximité des zones nucléaires. Souvent, il est un peu tard quand nous les voyons. Nous comptons sur la défense propre des sites, sachant que ces engins sont très légers et que leur capacité de nuisance est peu importante. Qu'ils s'écrasent directement n'aura aucune conséquence ; s'ils transportent une charge, elle sera relativement limitée. Les centrales, à mon sens, ont les moyens de s'en prémunir.
Il faut être attentifs car nous avons, en général, beaucoup de mal à identifier de qui il s'agit et de déterminer s'il s'agit véritablement d'une agression. Il nous arrive d'être confrontés à des attitudes irresponsables, par exemple, des militants qui entrent dans des centrales pour démontrer qu'il est possible de s'y introduire. Ils se mettent en danger.
Votre commission d'enquête a été créée, je crois, à la suite de la diffusion d'un reportage sur Arte montrant des personnes qui entraient de nuit sur un site pour tirer un feu d'artifice afin de prouver qu'il était possible et aisé de s'introduire dans une centrale et que personne ne les en a empêchées. Ajoutons qu'elles portaient de grandes banderoles qui les identifiaient. Nos gendarmes savaient très bien à qui ils avaient à faire. Heureusement qu'ils n'ont pas tiré.
Nous disposons des moyens techniques, tout repose sur des renseignements fiables, sur une bonne évaluation de la situation et surtout sur une défense multicouche : chacun assure sa part, en traitant le problème le plus en amont possible pour aboutir à une solution rapide.
S'agissant des avions légers, il y a environ deux ans, nous avons failli abattre un drone au-dessus de la France. Depuis cinquante ans, nous n'avions jamais été aussi près d'ouvrir le feu sur un intrus. Il s'agissait d'un drone qui avait échappé à son pilote en Belgique. Les accords internationaux se sont appliqués efficacement : n'ayant pas eu le temps d'envoyer un chasseur, les Belges nous ont prévenus et le drone a été intercepté par notre Rafale.
Il s'agissait d'un drone de quatre mètres d'envergure, un peu plus qu'un drone de loisirs. Par chance, un hélicoptère était en vol qui a reçu l'ordre de l'abattre. Le drone est tombé dans le champ au moment où l'hélicoptère arrivait. La chaîne a parfaitement bien fonctionné. Cela a pris un certain temps car le drone avançait lentement. Encore une fois, le binôme constitué par l'avion de chasse et l'hélicoptère, ajouté à l'application des accords internationaux, a prouvé son efficacité. Les différentes phases du dispositif, quant à elles, se sont succédé très rapidement.
Le drone était en cours d'évaluation par les armées belges ; apparemment, le prototype n'était pas très au point. Nous ne nous moquerons pas parce que cela peut arriver à n'importe qui ! Encore une fois, cela s'est très bien passé entre les deux armées : les Belges ont été très transparents, très clairs, ils nous ont fourni tous les éléments. C'était très efficace.
Préconiseriez-vous un élargissement longitudinal ou vertical des zones d'exclusion autour des centrales pour améliorer la sécurité ?
Nous avons également beaucoup parlé des centrales nucléaires. J'aimerais que vous confirmiez que les autres sites nucléaires, tels que les piscines de stockage de La Hague, sont également couverts par le même processus.
Pour finir, je suppose qu'en France les cibles potentielles sont plus ou moins classées par ordre d'importance. Comment sont classifiés nos sites nucléaires ?
Tous les sites sensibles, qu'ils soient nucléaires ou non d'ailleurs, sont répertoriés ; ils font l'objet d'une zone interdite. Les zones interdites sont quasiment toutes permanentes. Je crois qu'il en reste quatre non permanentes pour des raisons réglementaires qui m'échappent un peu.
Les sites répertoriés comprennent les centrales nucléaires, tous les sites nucléaires, d'une façon générale, tels que les centres d'études – Cadarache les centres de recherche du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – également quelques sites industriels, comme Fos-sur-Mer, et puis la ville de Paris, bien évidemment, qui est zone interdite. Au total, on dénombre 49 ou 50 sites ; chacun de ces points sensibles est couvert.
Les zones sont de dimensions relativement réduites. Elles ont surtout un objectif pédagogique, car elles sont insuffisantes pour permettre un préavis. Nous avons largement évoqué les délais. On s'aperçoit qu'un avion léger est en infraction au moment où il entre dans la zone ; tant qu'il est à l'extérieur, il fait ce qu'il veut. Ce serait un grand coup de chance si l'on parvenait à intervenir avant qu'il atteigne son objectif. Notre dispositif couvre des menaces plus sérieuses, des avions plus gros, susceptibles d'infliger des dommages bien supérieurs. Encore une fois, un avion léger ne serait pas particulièrement inquiétant à cet égard. Bien sûr, la chute d'un avion sur une centrale ou sur un site sensible au milieu de Fos serait une mauvaise nouvelle.
Faudrait-il élargir les zones ? Si l'on considère la notion de sécurité dans un sens absolu, oui, plus la zone est grande, plus il est aisé d'assurer la sécurité. Élargir les zones autoriserait un temps de préavis plus long, nous verrions plus de choses. Nous compterions également plus d'interventions et nous contraindrions beaucoup plus l'utilisation de l'espace aérien par les usagers qui n'ont rien à se reprocher. L'équilibre est délicat. Nous nous en servons largement à titre pédagogique pour trier au maximum entre les utilisateurs imprudents ou inconscients d'agresseurs potentiels. Aujourd'hui, nous intervenons souvent dans les aéroclubs et ailleurs pour faire passer le message. Il faut être très attentif et respecter scrupuleusement les mesures de sécurité pour que le dispositif de protection soit efficace et que nous ne réagissions pas systématiquement alors qu'il ne se passe rien. Toute action de pédagogie que nous pouvons entreprendre est essentielle. J'en profite pour ajouter que nous aimerions que les actions de pédagogie soient prolongées par le ministère de la justice, un interlocuteur avec lequel nous ne travaillons pas vraiment sur ces affaires de sûreté.
S'introduire dans une zone interdite est un délit ; l'acte est ainsi qualifié. Un délit devrait être jugé au niveau où il doit être jugé. Chaque contrevenant est signalé, identifié et auditionné par les forces de police ou de gendarmerie. Le dossier est transmis au parquet ; la plupart du temps, le juge classe l'affaire sans suite ou procède à un simple rappel à la loi, ce qui nous semble parfois un peu léger, car nous aimerions plus de fermeté dans le message. Mais il y a des objections juridiques et même si les faits sont matériellement constitutifs, le délit n'est pas constitué, faute d'être en mesure de prouver l'élément intentionnel. En général, nous avons affaire à des personnes qui se sont perdues, qui se sont trompées ou qui ne disposaient pas de la bonne carte.
Nous essayons d'appeler l'attention sur les autres infractions qui sont commises par ailleurs mais notre action pédagogique se trouverait facilitée si la Justice était un petit peu plus ferme.
Merci, général, merci des informations et des précisions apportées à notre commission. Elles seront profitables à la rédaction de notre rapport.
Je n'ai pas été obligé de dévoiler des éléments confidentiels. La complexité du dispositif impose la discrétion. Vous aurez noté les risques.
Nous restons preneurs de vos réponses écrites aux questions qui vous ont été transmises. Il me reste à vous remercier pour la sincérité et la clarté de vos propos.
L'audition s'achève à dix heures quarante.
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Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 17 mai 2018 à 9 heures :
Présents. – M. Anthony Cellier, M. Paul Christophe, M. Grégory Galbadon, M. Claude de Ganay, Mme Perrine Goulet, Mme Sonia Krimi, M. Patrice Perrot, Mme Claire Pitollat, Mme Barbara Pompili, M. Jean-Pierre Pont, M. Raphaël Schellenberger.
Excusés. – Mme Bérangère Abba, M. Philippe Bolo, Mme Émilie Cariou, Mme Isabelle Rauch.