Mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate

Réunion du jeudi 11 avril 2019 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • sortie du glyphosate

La réunion

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L'audition débute à neuf heures dix.

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Mes chers collègues, notre mission d'information commune sur la stratégie et le suivi de la sortie du glyphosate a le plaisir d'accueillir aujourd'hui Madame Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Cette mission d'information instituée le 27 septembre dernier a, depuis cette date, déjà effectué un certain nombre d'auditions.

Je commencerai par vous demander de bien vouloir excuser notre président, Monsieur Julien Dive, ainsi que Monsieur Jean-Baptiste Moreau, co-rapporteur de la mission, qui ne pouvaient être présents ce matin.

Je rappelle que la présente audition est ouverte à la presse et enregistrée. Nous allons procéder en trois temps. Je vais d'abord donner la parole à Madame la secrétaire d'État pour un propos liminaire, avant de l'interroger sur certains points. Les autres membres de notre mission pourront ensuite à leur tour lui poser des questions.

Vous avez la parole, Madame la secrétaire d'État.

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Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Monsieur le président – et co-rapporteur –, mesdames et messieurs les députés, je suis sincèrement très heureuse d'être ici avec vous ce matin pour parler de cette question essentielle qu'est la sortie du glyphosate – je ne peux d'ailleurs pas faire un déplacement en France sans qu'on me parle des avancées de la recherche en matière d'alternatives au glyphosate et, plus largement, du plan de sortie du glyphosate. Je vous suis donc très reconnaissante de me donner l'occasion de faire un point sur ce sujet important.

Je veux aussi vous remercier d'avoir mis en place cette mission d'information qui me semble répondre aux attentes très légitimes des Français. Il me paraît tout à fait justifié que vous soyez mobilisés sur un sujet comme celui-ci, qui réunit les attentes des Français en matière de santé, de protection de l'environnement, mais aussi de niveau de vie des agriculteurs. En d'autres termes, et si je peux me permettre d'employer une expression un peu familière, je comprends que vous ne lâchiez rien, d'une part pour que le plan d'action que nous avons annoncé soit bien mis en oeuvre – cela nous donnera l'occasion de faire le point à ce sujet, six mois après la première audition du ministre de l'agriculture et de l'alimentation et du ministre de la transition écologique et solidaire – et, d'autre part, pour que les objectifs sur lesquels nous nous sommes engagés devant les Français soient atteints.

Une telle mission laisse apparaître toute son importance quand on la regarde à la lumière de la restitution du grand débat, dans le cadre duquel les Français nous ont clairement dit qu'ils voulaient de la transparence, de la responsabilité et de la clarté dans l'action, notamment en matière environnementale, afin qu'on ne puisse plus leur faire des promesses sans qu'ils soient en mesure de vérifier si celles-ci sont tenues ou pas.

Comme vous le savez, le Président de la République a assigné dès 2017 un objectif très clair au Gouvernement, consistant à sortir du glyphosate en trois ans pour une majorité des usages, et d'ici à 2022 pour l'ensemble des usages. De toute l'Europe, notre pays est le seul à s'être fixé un tel niveau d'ambition, mais aussi à avoir commencé à travailler très concrètement en vue de la réalisation de son objectif.

Je suis sincèrement convaincue qu'en matière de politiques publiques environnementales, la méthode pour atteindre des objectifs est aussi importante que les objectifs eux-mêmes. En effet, l'un des écueils des politiques publiques de l'environnement, c'est qu'on a trop longtemps cru pouvoir se fixer des objectifs sans se donner les moyens de les atteindre. Je crois donc en notre réussite parce que je crois en notre méthode, qui consiste à s'appuyer sur la mobilisation des acteurs.

Je ne crois pas utile de rappeler les grands enjeux relatifs à la sortie du glyphosate dans le cadre de cette audition, car il y a déjà eu de nombreux débats publics sur ce point et je sais que vous en avez tous une vision très claire. Nous savons qu'en la matière, les attentes sociétales sont fortes, et que le glyphosate est vraiment un symbole de la transition agricole que nous devons réaliser, en accélérant la transition du système agricole français vers un système d'agro-écologie afin de répondre à une triple exigence de protection : celle des agriculteurs, celle de la santé des Français, mais aussi celle de l'environnement de la planète.

Je vais donc plutôt m'efforcer de faire le point sur la situation, six mois après l'audition de Monsieur François de Rugy et de Monsieur Didier Guillaume, en montrant que les mesures annoncées par le Gouvernement pour accompagner la sortie du glyphosate ont été mises en oeuvre et qu'au-delà du plan de sortie stricto sensu, le Gouvernement a une stratégie déterminée en matière de réduction de l'usage des produits phytosanitaires. Comme je l'ai dit, nous devons accélérer la transition du modèle agricole français vers un modèle plus durable et, pour cela, plusieurs actions structurantes en faveur de la réduction de l'usage des produits phytosanitaires concourent aussi à la sortie du glyphosate – les deux aspects sont liés.

Les actions auxquelles le Gouvernement s'était engagé dans le cadre du plan de sortie du glyphosate annoncé en juin 2018 sont d'ores et déjà mises en oeuvre, grâce à sept mesures principales que je vais vous détailler.

La première mesure consiste en une gouvernance renforcée. Le préfet Pierre-Étienne Bisch, nommé délégué interministériel au plan de sortie du glyphosate et au plan de réduction des pesticides, et que j'ai vu hier à l'occasion du comité « Écophyto », a déclaré qu'il voulait travailler en mode « projet ». Nous avons ainsi créé une task force où sont regroupés les administrations, les réseaux consulaires et les organismes techniques professionnels, et dont le pilotage opérationnel est confié au préfet Bisch, chargé de coordonner, d'impulser, et de contrôler la mise en oeuvre des actions prévues sous l'autorité des ministres et des administrations.

Lors du comité « Écophyto » qui s'est tenu hier, il n'y avait pas moins de six ministres autour de la table, à savoir Monsieur François de Rugy, Monsieur Didier Guillaume, Madame Agnès Buzyn, Madame Emmanuelle Wargon et Madame Frédérique Vidal – car la recherche est fondamentale dans l'action que nous menons – et moi-même : c'est dire l'importance que nous accordons au contrôle de la mise en oeuvre de ce plan !

La deuxième mesure consiste en la création d'un centre de ressources rendant accessible à la profession agricole les solutions existantes pour sortir du glyphosate. Le site, déjà en ligne et régulièrement enrichi, est destiné à la fois aux agriculteurs et aux acteurs de l'accompagnement et du conseil, et il présente de manière pédagogique, pour les différentes cultures, les alternatives listées par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et les autres instituts techniques impliqués. Il me paraît très important de partager l'information, afin d'en faire en quelque sorte un bien public.

La troisième mesure consiste en la mobilisation des réseaux territoriaux des chambres d'agriculture, de l'enseignement agricole et des filières, pour faire connaître et pour promouvoir les alternatives. Une instruction sera adressée aux préfets dès la semaine prochaine pour mobiliser les acteurs locaux, les services de l'État, les agences de l'eau, les collectivités et, bien sûr, tous les acteurs du monde agricole, dont les chambres d'agriculture. Un enjeu fort en la matière sera de coordonner davantage les financements de l'État, des agences de l'eau et des collectivités, pour apporter un soutien simple et cohérent aux agriculteurs.

Nous sommes bien conscients que ce qui est demandé aux agriculteurs, à savoir sortir du glyphosate d'ici maintenant moins de trois ans, représente un vrai défi. Pour les aider à le relever, il nous appartient de leur simplifier au maximum la tâche, et c'est ce que nous entendons faire, notamment en matière de coordination des financements : à cet effet, nous souhaitons qu'un guide des financements soit élaboré dans chaque région.

Par ailleurs, nous voulons travailler en lien étroit avec les initiatives portées par les professionnels eux-mêmes, qui sont aussi force de proposition, notamment dans le cadre du contrat de solutions et des démarches de filière ; les filières seront d'ailleurs réunies d'ici fin avril pour faire le point sur l'avancée de leur plan de filière en matière de réduction des pesticides en général et du glyphosate en particulier.

La quatrième mesure consiste à instaurer une transparence renforcée sur le suivi des quantités vendues et utilisées des produits qui contiennent du glyphosate. Nous voulons de la transparence sur les données : il faut qu'on sache de quoi on parle, qui utilise le glyphosate et comment. Cela dit, il n'est pas question de retenir un niveau de granularité qui permettrait de faire du name and shame en ciblant certains agriculteurs, mais simplement de partager des données. Vous le savez, nous vivons dans un monde où la donnée est essentielle pour analyser et guider les politiques publiques, mais aussi en ce qu'elle permet à des organisations tierces de pouvoir contribuer au débat et à l'élaboration d'actions concrètes.

Lors du comité « Écophyto » d'hier, le Gouvernement a annoncé, notamment par la voix du ministre d'État Monsieur François de Rugy, qu'il ouvrirait le 1er juillet prochain la base de données d'achat et de vente de pesticides, dont le glyphosate, à l'échelle de la commune. Nous nous entourerons de toutes les précautions en matière de protection de l'anonymat des acheteurs, c'est-à-dire des agriculteurs, puisque les données pour les communes possédant moins de cinq agriculteurs seront occultées – nous retenons juste le niveau de granularité qui nous est utile pour extraire des données intéressantes, mais pas celui qui pourrait servir à dénoncer tel ou tel agriculteur. Passer à l'échelle de la commune est une avancée majeure car, à l'heure actuelle, ces données ne sont disponibles qu'à l'échelle du département. Comme je l'ai dit, il est important d'instaurer la plus grande transparence, mais en protégeant l'anonymat autant que faire se peut. Pour disposer de données plus récentes et suivre plus finement l'évolution des usages, une enquête flash va être lancée avant l'été auprès des agriculteurs.

La cinquième mesure est la mise en ligne en avril d'une nouvelle version du site glyphosate.gouv.fr, ayant pour objet de valoriser l'avancée du plan de sortie en toute transparence, en permettant à chacun de consulter une information grand public.

La sixième mesure consiste en la révision des autorisations de mise sur le marché des produits contenant du glyphosate : avec la ministre des solidarités et de la santé, le ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de l'agriculture et de l'alimentation ont saisi l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) afin qu'elle procède, avec l'appui de l'INRA, à la révision des autorisations de mise sur le marché des 69 produits autorisés contenant du glyphosate.

J'appelle votre attention sur ce qui est également un point de méthode très important : si le processus de réévaluation va se poursuivre jusque dans le courant de l'année 2020, dès les prochaines semaines, les premières filières vont recevoir une présentation de l'analyse des alternatives existantes, notamment sur le plan financier, avant que l'ANSES ne fasse l'annonce de l'interdiction – le cas échéant, décalée dans le temps – de certains usages du glyphosate.

Enfin, la septième mesure est la participation de la France, par le biais de l'ANSES, au consortium qui réévaluera d'ici 2022 le glyphosate au niveau européen, aux côtés de trois États, à savoir les Pays-Bas, la Suède et la Hongrie.

Si le plan de sortie du glyphosate que je viens de vous détailler est crucial, on ne peut s'arrêter là : il faut avoir une approche plus large visant à accélérer la transition agricole, afin de répondre à la demande forte des Français de réduire l'utilisation des produits phytosanitaires. Le plan d'action de sortie du glyphosate s'accompagne donc d'un ensemble d'autres mesures à fort impact décidées par le Gouvernement pour réduire la consommation des produits pesticides au-delà du glyphosate. Lors de la campagne de l'élection présidentielle, Monsieur Emmanuel Macron avait plaidé en faveur de la séparation de la vente et du conseil de produits phytosanitaires, une orientation qu'il a confirmée une fois devenu Président de la République et qui s'est trouvée concrétisée dans le cadre de la loi (1) dite « ÉGALIM ». Cette mesure va mettre fin au conflit d'intérêts qui existait jusqu'à présent, et permettre aux agriculteurs de bénéficier d'un conseil indépendant sur l'usage des produits phyto et des alternatives existantes : l'ordonnance correspondante sera prise avant la fin du mois d'avril 2019.

Je pense aussi à la rénovation de la redevance pour pollutions diffuses (RPD) : s'appliquant aux ventes de produits phytosanitaires et votée dans le cadre de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, cette taxe va devenir plus incitative pour les substances les plus dangereuses. Ainsi la taxation sur le glyphosate va-t-elle augmenter d'un euro le kilo, ce qui représente une hausse de 50 % : cela va permettre de financer à hauteur de 50 millions d'euros par an le développement de l'agriculture biologique, en plus des 71 millions d'euros déjà consacrés chaque année au programme « Écophyto » en faveur de la réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques.

Je pense encore au renforcement de la protection des riverains et des pollinisateurs sauvages. Suite au rapport remis par l'ANSES et les inspections sur le sujet, des groupes de travail ont été mis en place avec l'ensemble des parties prenantes. Leurs conclusions sont attendues avant l'été, dans l'objectif d'un renforcement de la réglementation.

Je pense, enfin, au renforcement de la recherche sur les alternatives. Le programme national « Écophyto » permet de financer la recherche d'alternatives, que ce soit à l'INRA ou dans des instituts techniques. Pour accélérer et approfondir cet effort, le Gouvernement a décidé de lancer un programme prioritaire de recherche piloté par l'agence nationale de la recherche (ANR) et l'INRA et doté de 30 millions d'euros pour développer des systèmes agricoles moins dépendants aux pesticides. L'appel à projets sera formellement lancé avant l'été, en juin 2019. Par ailleurs, nous devons renforcer la recherche et le déploiement sur les produits de biocontrôle et, à cette fin, une stratégie française en matière de biocontrôle va être mise en consultation en juin 2019.

Pour conclure, je rappelle que la France agit aussi au niveau européen pour partager son ambition et pour renforcer le processus d'évaluation des substances. C'est un travail très important car, à défaut de mener le combat au niveau européen, nos efforts en France ne sont pas maximisés. Agir au niveau européen est donc essentiel pour deux raisons principales : premièrement, éviter les distorsions de concurrence entre agriculteurs – ils expriment souvent, et de manière extrêmement légitime, des craintes à ce sujet –, deuxièmement, nous assurer de la qualité sanitaire des produits que nous importons, dans un souci de cohérence – si l'agriculture française nous permet de disposer de produits alimentaires de qualité, ceux que nous importons en provenance d'autres pays européens doivent être qu'une qualité similaire…

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C'est valable pour les pays situés au-delà de l'Europe !

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Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Vous avez tout à fait raison, monsieur le député.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, pour ce qui est du niveau européen, la France, représentée par l'ANSES, participera aux côtés des Pays-Bas, de la Suède et de la Hongrie, au consortium qui réévaluera d'ici à 2022 le glyphosate au niveau européen. Je veux souligner qu'il aurait été facile pour la France de refuser de s'impliquer dans le processus d'évaluation européen, en argumentant sur le fait que le plan national de sortie dont nous disposons suffisait. Or, nous avons fait le choix de nous investir pleinement dans le processus de réapprobation grâce à la participation de l'ANSES, en considérant que ce combat doit être mené au niveau européen : nous le devons à nos agriculteurs, aux Français et à la planète.

Pour la même raison, la France défend le renforcement du dispositif européen d'évaluation des produits phytosanitaires, au moyen de différentes actions. Je pense par exemple à la visite que Madame Nathalie Loiseau – alors ministre chargée des affaires européennes – et moi-même avons faite à l'Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) en mai 2018, ou encore aux échanges réguliers entre les services du ministère de la transition écologique et solidaire et ceux de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA). C'est grâce à l'action de la France qu'a pu être révisée la réglementation européenne General Food Law, qui sera votée par le Parlement européen la semaine prochaine et renforce substantiellement la transparence et l'indépendance du processus européen d'évaluation des substances pesticides.

C'est un combat que nous continuons de mener, même si nous avons d'ores et déjà obtenu des avancées, comme la publication sur le site de l'EFSA de l'ensemble des données utilisées pour l'évaluation : auparavant, ces données n'étaient pas accessibles. Nous avons également obtenu la mise en place d'un registre des études programmées par les industriels, afin d'éviter qu'ils occultent la mention d'études qui leur seraient défavorables.

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Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Désormais, ce ne sera plus possible, et je suis ravie de constater que vous y voyez, vous aussi, un progrès, même si nous devons rester vigilants.

La troisième des avancées obtenues est la possibilité pour l'EFSA de mener des études complémentaires indépendantes dans les cas où les dangers des substances donnent lieu à une controverse, ce qui était le cas pour le glyphosate.

Comme vous le voyez, le Gouvernement est à pied d'oeuvre et actionne différents leviers qui nous permettront d'atteindre les objectifs clairs et ambitieux que nous nous sommes fixés. Nous allons continuer à avancer en concertation avec l'ensemble des parties prenantes, et nous devons constamment accompagner les agriculteurs dans la transition rapide que nous leur demandons d'accomplir. Parallèlement, nous devons régulièrement informer nos concitoyens des progrès réalisés, comme nous avons eu l'occasion de le faire en présentant quelques aspects de notre action lors du comité d'orientation « Écophyto » qui s'est tenu hier – et comme je le fais aujourd'hui lors de cette audition, que je vous remercie d'avoir organisée.

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Pour reprendre l'expression que vous avez employée, madame la secrétaire d'État, nous ne lâchons rien : nous sommes vigilants, nous ne perdons pas de vue l'objectif qui a été fixé, et nous ne souhaitons pas non plus lâcher nos agriculteurs. Comme vous l'avez dit, certains d'entre eux se trouvent dans une situation assez délicate ; depuis le début de cette mission d'information, nous avons auditionné de nombreux acteurs de la recherche et des organisations professionnelles – parfois les agriculteurs eux-mêmes, qui présentent d'ailleurs différents types d'approche dans leurs pratiques. Tous les collègues ici présents peuvent témoigner du fait qu'il y a chez les agriculteurs à la fois la volonté d'avancer sur cette question des produits phytosanitaires et une certaine inquiétude, que l'on peut comprendre. Si nous n'avons jamais rencontré d'agriculteurs satisfaits d'utiliser ces produits phytosanitaires, la transition vers la sortie est parfois très compliquée et certains ont même le sentiment de se trouver dans une impasse – je pense en particulier à ceux pratiquant l'agriculture de conservation des sols.

Je souhaite vous demander un certain nombre de précisions, notamment en ce qui concerne les négociations à l'échelle européenne. Au stade actuel de ces négociations, êtes-vous en mesure d'identifier les pays disposés à se rallier à une position proche de celle de la France ?

Par ailleurs – je souhaite vous poser cette question même si elle concerne peut-être davantage le ministre de l'agriculture et de l'alimentation –, les négociations de la future politique agricole commune (PAC) englobent-elles la question des produits phytosanitaires en général et du glyphosate en particulier ?

Au-delà des négociations qui s'effectuent au niveau européen, les ministres de l'environnement de l'Union européenne ont-ils l'occasion d'évoquer régulièrement entre eux le sujet du glyphosate, et le cas échéant sous quel angle ?

Enfin, pouvez-vous nous donner quelques précisions sur les instructions données aux préfets – je ne pense pas au préfet Bisch, chargé de la coordination, mais à l'ensemble des préfets –, notamment sur le rôle des agences de l'eau dans la stratégie de sortie des produits phytosanitaires ? Puisqu'un comité d'orientation « Écophyto » s'est tenu hier – ce sont les hasards du calendrier –, il est permis d'espérer que vous ayez des éléments d'information récents à nous communiquer sur ce point.

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Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

En espérant que vous n'y verrez aucun paternalisme de ma part, je veux vous dire que vous avez raison de ne rien lâcher, car votre mission est d'une importance fondamentale, et nous devons continuer à travailler main dans la main, dans le souci de la plus grande transparence possible.

Pour ce qui est des négociations entre les différents États européens, il y en a eu d'officielles et d'autres beaucoup plus informelles. Ne nous voilons pas la face, pour la France, la défense d'une position très ambitieuse en matière de sortie du glyphosate a été un vrai combat au niveau européen.

Je tiens tout d'abord à rappeler que la France n'a jamais changé de position. Nous avons toujours été le seul pays à exprimer systématiquement une position favorable à une autorisation inférieure à cinq ans : notre ligne n'a jamais varié depuis le début.

Je veux également souligner que cette position a été défendue de manière unanime et transversale au sein du Gouvernement : plusieurs ministres, dont le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation et moi-même, n'ont cessé d'échanger avec leurs homologues européens pour faire connaître la vision et les objectifs de la France. Il faut bien dire que, pour nombre de pays, la position de la France en matière de sortie du glyphosate était difficilement compréhensible, car le glyphosate est un produit très utilisé par les agriculteurs européens, et je mentirais en vous disant que la position française a été accueillie dès le départ avec beaucoup d'enthousiasme et que nous avons réussi à rassembler rapidement des alliés autour de nous.

En fait, les positions des États membres se sont précisées au fur et à mesure des différents votes qui se sont tenus. En effet, l'évolution s'est faite par étapes, entre la première proposition de réapprobation du glyphosate pour quinze ans présentée par la Commission en 2016 et le volet en comité d'appel du 27 novembre 2017 pour le renouvellement de l'autorisation de la substance active glyphosate pour cinq ans. Finalement, ce sont huit États membres qui ont adopté et défendu la même position que la France en Europe, à savoir la Belgique, la Grèce, la Croatie, l'Italie, Chypre, le Luxembourg, Malte et l'Autriche – le Portugal s'étant pour sa part abstenu.

Si la France et l'Italie ont soutenu la même position tout au long des débats, pour ce qui est de l'Allemagne, elle a fini par adopter une position assez proche de la nôtre à l'issue d'un gros travail de négociation, entrepris grâce à une importante mobilisation de nos partenaires européens – une mobilisation que je vois comme un grand succès pour la France.

Partant de la proposition initiale d'une autorisation pour quinze ans, nous avons soutenu une position visant à une autorisation pour moins de cinq ans, pour obtenir finalement, de haute lutte, une autorisation pour cinq ans. Nous avons désormais pour objectif de convaincre les autres États européens et c'est ce que nous faisons. À chaque fois que j'ai l'occasion de me rendre à Bruxelles – c'est souvent à l'occasion d'un conseil des ministres de l'environnement européens –, j'organise la veille au soir, de façon informelle, un dîner au cours duquel je fais en sorte que nous parlions systématiquement de la sortie du glyphosate et de la transformation du modèle agricole européen. Nous sommes animés par une triple motivation : premièrement, éviter la concurrence déloyale en Europe afin de protéger nos agriculteurs et leurs revenus ; deuxièmement, protéger la santé des Français et, plus largement, des Européens, en faisant en sorte qu'ils puissent bénéficier d'une alimentation saine ; troisièmement, enfin, nous assurer que la nature est préservée.

C'est là un combat permanent mené par la France au niveau européen, comme l'a confirmé le Président de la République dans sa tribune du 4 mars dernier, dans laquelle il affirmait sa volonté que soit réduite de moitié la quantité de produits phytosanitaires utilisés d'ici à 2025. C'est également une position extrêmement ambitieuse et difficile à tenir au niveau européen, car il n'est pas toujours aisé de convaincre nos partenaires de l'Union.

Pour ce qui est de la politique agricole commune après 2020, je vous confirme que la réduction du recours aux produits phytopharmaceutiques est l'une des priorités du Gouvernement, qui considère que la PAC a vocation à constituer un levier essentiel pour récompenser les comportements vertueux, c'est-à-dire les pratiques de ceux qui produisent en utilisant moins de pesticides, voire pas du tout – à l'inverse, il faut à tout prix éviter que les plus vertueux puissent se trouver pénalisés.

Les autorités françaises souhaitent que la PAC s'engage clairement en faveur de cette réduction par des objectifs ambitieux – on se bat aussi pour que les objectifs soient quantifiés, le Président de la République ayant insisté sur ce point dans sa tribune du 4 mars. La France défend donc la nécessité de mesures adaptées et partagées au niveau européen, notamment par un renforcement de la conditionnalité et des moyens budgétaires adaptés. Notre objectif est que le niveau d'exigence en termes de conditionnalité soit fixé au niveau le plus haut possible à échelle européenne pour pas créer de distorsions de concurrence entre les pays.

S'agissant de l'instruction aux préfets, nous poursuivons deux objectifs.

Premièrement, il convient de mobiliser les acteurs locaux et l'ensemble des parties prenantes, parce que la sortie du glyphosate se fera au plus près du terrain, chez les acteurs et les agriculteurs qui savent quelles sont les alternatives potentielles, quelles pratiques et quelles quantités de produits phytosanitaires ils peuvent utiliser.

Deuxièmement, il faut mieux accompagner financièrement les agriculteurs. Les agences apportent un financement à de nombreuses actions de transition agricole : plus de 200 millions d'euros par an, dont 30 millions dans le cadre du plan « Ecophyto », et plus d'un milliard d'euros sur la période 2019-2020 dans le cadre du onzième programme des agences. Il conviendra de mieux coordonner les financements des agences et des collectivités. Il faut simplifier, coordonner, faciliter la vie des agriculteurs. C'est ce que nous faisons, entre ministères concernés.

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Vous avez dit qu'il était indispensable de rassurer les agriculteurs et de communiquer en direction de la population. Pour ma part, je tiens à vous livrer mon témoignage. Dans le cadre du grand débat, j'ai organisé dans mon territoire treize séquences, dont une en présence de M. le ministre d'État François de Rugy. Lors de ces débats, la question du glyphosate est souvent revenue. Des échanges ont eu lieu entre des agriculteurs qui n'utilisent pas ce produit et ceux qui l'utilisent, notamment l'agriculture de conservation. L'une des vertus du grand débat, c'est d'avoir permis à des gens de se rencontrer et de discuter. Il m'a semblé, sans vouloir rendre les choses idylliques, qu'il y avait eu des convergences en ce qui concerne la compréhension des situations, ce qui est rassurant. C'est un peu aussi ce qui se passe ici, puisque l'on essaie de comprendre les différents points de vue et de converger vers le même objectif qui est d'avoir une agriculture ayant le moins d'impacts sans pour autant la mettre en difficulté.

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Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de nous avoir présenté les mesures du plan de sortie du glyphosate. Certaines choses avancent, et c'est très bien. Comme l'a rappelé Monsieur Jean-Luc Fugit, ce sujet, qui est revenu à de nombreuses reprises dans le grand débat, est un des marqueurs essentiels de l'ambition écologique de ce quinquennat.

Ma première question porte sur les moyens financiers d'accompagnement des agriculteurs. Considérez-vous que les moyens actuels pour les accompagner sont suffisants ? Pour ma part, je pense que non. On aurait tout intérêt à consacrer 100, 200, 500 millions d'euros supplémentaires pour accompagner nos agriculteurs dans ces changements de pratiques, y compris avec des modalités innovantes, assurantielles par exemple. Le renforcement des moyens financiers en direction de nos agriculteurs, au moins pendant deux ou trois ans, serait un choix gagnant pour notre pays. Vous l'avez dit, beaucoup ont envie de sortir de l'utilisation du glyphosate. Pour ce faire, il convient sans doute de leur donner davantage de moyens. Je ne suis pas persuadé qu'une mise à plat des financements les guide, même si c'est très bien.

Nos discussions sur le glyphosate et l'inscription dans la loi de l'interdiction de ce produit ont commencé il y a onze mois. Alors que les débats étaient un peu passionnés à l'époque, ils sont désormais un peu plus sereins, et c'est heureux. Certains ministres avaient proposé une inscription dans la loi si les progrès n'étaient pas suffisants dix-huit mois plus tard. On a vu quel était l'intérêt d'inscrire dans la loi l'interdiction des néonicotinoïdes, avec des exceptions très limitées qui ont été définies et cosignées par trois ministères. S'agissant de l'interdiction du glyphosate, il y aura davantage d'exceptions – on parle de 15 % à 20 % des surfaces.

Un an après, où en êtes-vous ? Comment sera prise la décision d'une inscription ou non dans la loi, et sur la base de quel bilan du plan ? Ces discussions peuvent-elles avoir lieu de façon sereine ? En tout cas, tel est l'esprit de la mission et de nos discussions de ce matin.

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Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

En ce qui concerne l'inscription dans la loi de l'interdiction du glyphosate, nous avons toujours été très clairs. Si nous n'avons pas voulu le faire, c'est parce que nous avions identifié que la profession agricole était soumise à trop de normes. Aussi, notre objectif n'était-il pas de rajouter des normes à la norme dans le cadre d'un projet de loi qui concernait les agriculteurs.

Très paradoxalement, je pense que c'est une occasion de faire davantage. Bien souvent, l'un des écueils des politiques publiques environnementales en France c'est de penser que dès lors qu'une mesure est inscrite dans la loi, elle va se concrétiser comme par magie. Or on sait que ce n'est pas le cas. Le fait de ne pas inscrire dans la loi l'interdiction du glyphosate a mobilisé et continue de mobiliser tous les acteurs. On a toujours dit que si, à terme, et notamment au bout de trois ans, on estimait que la situation n'était pas satisfaisante, on aurait éventuellement recours à la loi. Mais j'ai envie de dire que le problème demeurerait potentiellement entier. Ce qui compte, c'est de sortir très concrètement de l'utilisation du glyphosate. C'est ce sur quoi nous travaillons et qui rejoint la question du financement. Vous avez indiqué qu'il pourrait ne pas y avoir de solution dans les trois ans pour 20 % des surfaces. Il y aura peut-être quelques exceptions, mais nous ferons le maximum pour sortir du glyphosate partout où cela ne pénalise pas trop les agriculteurs. Comme l'a dit le Président de la République à plusieurs reprises, l'objectif est de sortir du glyphosate dans les trois ans.

Les moyens d'accompagnement sont suffisants. Nous avons pleinement conscience de l'effort que nous demandons aux agriculteurs. Il est important de simplifier, de faciliter la vie des agriculteurs, parce que cela leur permet d'avoir accès à davantage de financements. Le système doit être au service des agriculteurs et non l'inverse, comme c'est parfois le cas en matière de procédures administratives.

Cet accompagnement passe par la séparation entre les activités de vente et de conseil d'ici à la fin du mois, par la proximité avec les agriculteurs pour les guider, travailler avec eux par le biais des chambres locales et par la mobilisation du grand plan d'investissement dont le volet agricole est doté de 5 milliards d'euros. La Cour des comptes estime que ce sont 400 millions d'euros par an qui sont consacrés aux produits phytosanitaires. Enfin, un travail et des négociations pied à pied ont été engagés sur la politique agricole commune pour qu'elle soit plus encore destinée à aider et à soutenir les comportements vertueux.

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En matière de toxicité des substances actives, c'est le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui fait référence. Pour autant, ce n'est pas lui qui fait les législations européennes. D'ailleurs, on constate des disparités importantes dans les pays européens en ce qui concerne la traduction des recommandations du CIRC dans les législations nationales, et je note que la France n'est pas la plus ambitieuse dans la transposition de ces avis dans la législation. Un pays comme Malte, par exemple, a interdit toutes les préparations commerciales à base de glyphosate. N'y a-t-il pas là un champ de progrès que vous n'avez pas exploré au regard de l'ambition que vous affichez ?

Que ferez-vous quand Bayer arrivera dans quelques années, à l'aube de l'interdiction de cette substance active qu'est le glyphosate, avec une nouvelle substance active qui aura été homologuée par l'EFSA. Est-ce que ce sera pour vous une alternative au glyphosate ? Comment le Gouvernement entend-il anticiper ce qui va se produire ?

S'agissant de la recherche, je voudrais remettre en perspective quelques ordres de grandeur. Aujourd'hui, ce sont un peu plus de 6 milliards d'euros qui sont offerts aux entreprises privées dans le cadre du crédit impôt recherche. Vous avez parlé d'un plan ambitieux de 30 millions d'euros pour un programme prioritaire de recherche de l'INRA. Or celui-ci ne représente finalement que 3,5 % du budget de l'INRA qui est de l'ordre de 850 millions, Pensez-vous sérieusement que c'est un objectif ambitieux, alors qu'il s'agit de sortir de l'utilisation des pesticides ? Cela me paraît largement en dessous de l'urgence qu'il y a à changer de modèle et à ce que la recherche publique s'empare de cette question.

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Madame la secrétaire d'État, merci pour votre présence aujourd'hui.

Notre mission a pu auditionner le préfet Bisch, peu après sa nomination au poste de coordinateur interministériel au plan de sortie du glyphosate et de réduction des pesticides. Il nous avait alors fait part d'un appel à projet lancé en 2018 sur les impasses en matière d'alternatives au glyphosate. Les réponses étaient attendues au mois d'avril 2019. Avez-vous connaissance à ce jour des réponses à cet appel à projet ? J'ai cru comprendre dans votre propos liminaire que c'était le cas.

Par ailleurs, les représentants de l'Association de coordination technique agricole (ACTA) que nous avons auditionnés ont mentionné l'intérêt de favoriser la recherche appliquée pour tester et aboutir à des solutions dans de brefs délais, trois ans notamment. Les moyens sollicités par la recherche appliquée sont modestes au regard de ceux qui seront nécessaires pour accompagner les agriculteurs. Ainsi, 4 millions d'euros ont été évoqués, qui permettraient de développer un large réseau d'expérimentations associant des combinatoires et des typologies de sols variées. Pouvez-vous nous indiquer si les moyens attendus par la recherche appliquée pourront leur être effectivement accordés ?

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Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Monsieur Prud'homme, en ce qui concerne la question spécifique de la recherche, il convient de regarder attentivement les chiffres : il s'agit de 41 millions d'euros par an dans le cadre du plan « Ecophyto » au niveau national pour trouver des alternatives, et de 30 millions d'euros dans le cadre du programme prioritaire de recherche. Au total, 71 millions d'euros permettront de développer des alternatives et la recherche fondamentale et appliquée. Je le répète, nombre de solutions en matière de sortie du glyphosate passent aussi par des changements en profondeur de pratiques pour aller vers l'agro-écologie. Certes, il faut continuer à investir dans la recherche d'alternatives, et le faire également au niveau européen dans le cadre de la PAC et du programme d'investissements agricoles, mais on doit aussi accompagner les agriculteurs à modifier leurs pratiques parce qu'on connaît souvent les réponses à apporter.

En ce qui concerne l'indépendance de la recherche au niveau européen, vous savez aussi bien que moi qu'il y a, en Europe, deux agences principales : l'ECHA pour les produits chimiques et l'EFSA pour les pesticides. Une fois n'est pas coutume, nous avons pris exemple sur les États-Unis qui ont créé un fonds destiné à la recherche sur les substances les plus controversées, pour avoir une réponse et parvenir à un degré d'indépendance qui permet d'aiguiller par la science les décisions de politiques publiques.

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Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Bien sûr ! C'est dans le cadre de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Au niveau européen, nous avons des agences qui guident l'élaboration des politiques publiques. C'est aussi pour cela d'ailleurs que l'ANSES est très impliquée au niveau européen. Nous voulons continuer à avoir voix au chapitre.

Notre priorité, c'est de favoriser les alternatives non chimiques. Il ne faut pas qu'une substance en chasse une autre. Mais il ne faut pas être naïf : on aura encore besoin, à terme, de certains produits phytosanitaires. Toutefois, il faut réduire drastiquement la quantité utilisée. C'est d'ailleurs l'objectif très ambitieux du plan « Ecophyto » qui prévoit leur réduction de moitié d'ici à 2025 et de 20 % à 25 % d'ici à 2020, afin d'accélérer les changements de pratiques, de comportements et d'habitudes en matière agricole.

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Je vous remercie, Madame la secrétaire d'État, pour votre exposé et vos réponses.

Je poserai deux questions auxquelles j'associe mon collègue Monsieur Gilles Lurton qui ne peut assister à notre réunion puisqu'il préside actuellement une autre mission.

Notre mission a conduit beaucoup d'auditions et recueilli de nombreux témoignages. Nous n'avons pas trouvé d'agriculteurs heureux d'utiliser le glyphosate. Malheureusement, même si nous ne lâchons rien, au fur et à mesure que nous avançons il nous paraît difficile que les engagements du Président de la République soient respectés d'autant qu'il nous reste aujourd'hui un peu plus de deux ans et qu'il n'existe pas de véritables solutions alternatives à l'arrêt du glyphosate, du moins à moyen terme.

Certes, il faudra modifier les pratiques, les usages. Toutefois, ce ne sera pas possible du jour au lendemain mais à plus long terme. Pour ce faire, il conviendra d'aider financièrement les agriculteurs. Ce qui me gêne, c'est que vous avez dit qu'on récompensera les plus vertueux. Je ne voudrais pas que cela se traduise, pour les autres, par une punition. Il faudra donc aider aussi ceux qui sont malheureusement obligés d'utiliser le glyphosate.

Ma deuxième question porte sur les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale dans le cadre de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « PACTE », qui prévoient d'autoriser les entreprises françaises de continuer à produire des produits phytosanitaires considérés comme dangereux, destinés à être exportés dans les pays étrangers, hors de l'Union européenne. Monsieur Gilles Lurton et moi-même avons réagi sur ce sujet en nous opposant à cette décision, la loi EGALIM ayant permis de trouver un juste équilibre. Quel est votre point de vue et celui du Gouvernement ?

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J'aurai deux questions, la première étant très ciblée sur ma pratique et mes observations d'élue. Je souhaite rebondir sur ce que vous nous avez expliqué au sujet de la gouvernance et des modalités de financement. Nous avons bien entendu la volonté réaffirmée de ce gouvernement d'accompagner les agriculteurs dans leur mutation. Ce que j'observe sur le terrain, c'est que souvent ces financements ne parviennent pas à atteindre véritablement leur cible. Cela renvoie à un problème d'organisation de la représentation du monde agricole. Le plus souvent s'expriment des agriculteurs bien organisés, qui ont une force de frappe économique et sont considérés comme les interlocuteurs privilégiés de nos différents ministres. Or je rencontre sur le terrain de petits agriculteurs modestes, souvent isolés et qui n'ont pas forcément droit à la parole dans les instances locales. On parle beaucoup des chambres d'agriculture comme des interlocuteurs officiels et les plus efficaces. Je m'interroge sur la possibilité de mobiliser les petits agriculteurs via ce genre d'instances et je suis perplexe sur l'efficacité et la pertinence de la gouvernance actuelle. Quand nous parlons du monde agricole, je crains que nous ayons tendance à parler surtout des producteurs céréaliers, beaucoup plus organisés que les petits maraîchers locaux qui peinent à trouver les financements, à être accompagnés et surtout à obtenir les informations les plus pertinentes.

Ma seconde question est d'ordre macroéconomique et porte sur la problématique des grands équilibres économiques. On nous oppose souvent la préoccupation de voir la France perdre sa force de frappe économique dans la balance des échanges, la production céréalière et l'agriculture françaises étant fortement représentées sur les marchés internationaux. On entend dire que si l'on change de modèle agricole, si l'on réduit le recours aux produits phytopharmaceutiques, on va mettre en danger notre balance des échanges. Comment sortir de ce paradoxe de la nécessité de maintenir une certaine rentabilité pour conserver la force de frappe économique de la France sur le marché agricole et en même temps obtenir la qualité que nous appelons tous de nos voeux, pour la santé des êtres humains et l'environnement ?

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Avant de laisser Madame la secrétaire d'État répondre, je rappelle que nous avons choisi d'auditionner tous les acteurs. S'agissant de la représentation des agriculteurs eux-mêmes, nous avons auditionné aussi bien les syndicats agricoles les plus connus que des associations qui peuvent avoir des démarches sensiblement différentes. Je pense par exemple à l'Association pour la promotion d'une agriculture durable (APAD) ou au réseau des centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (CIVAM). Dans le cadre de cette mission parlementaire, nous auditionnons tous les acteurs sans exclusive, de manière à pouvoir nous faire une idée précise de l'évolution des pratiques et de l'accompagnement des pouvoirs publics et avoir une vision la plus objective possible de ce qui se passe dans le pays, dans la perspective d'une stratégie de sortie, qui en inquiète certains. Nous agissons dans ce cadre avec exigence mais aussi avec une forme de bienveillance envers tous les acteurs.

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Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Merci pour ces précisions. Je sais à quel point vous faites votre travail avec rigueur au sein de cette mission absolument essentielle, qui guide notre travail dans le cadre du plan de sortie du glyphosate et des produits phytosanitaires en général.

Monsieur Bony, loin de nous l'idée de ne récompenser que ceux qui seraient déjà les plus vertueux. Il s'agit au contraire de la recherche d'un équilibre faisant en sorte que plus on est vertueux et plus on est récompensé, et plus il est difficile d'être vertueux plus on est accompagné. Tel est l'objectif pour élever le niveau général et aller vers plus de vertu collective. C'est comme cela que nous construisons nos éléments de politique publique. J'ai eu l'occasion de revenir sur différents éléments concernant les financements ainsi que sur notre approche des négociations autour de la PAC.

S'agissant de l'interdiction de production en France des produits phytopharmaceutiques interdits en Europe, sur laquelle un amendement au projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) est revenu, c'est une décision que j'ai publiquement regrettée. Mais j'ai dit aussi que c'était une décision qui à certains égards pouvait se comprendre. Je comprends le choix des députés qui ont souhaité défendre l'emploi, qui est un des éléments clés du programme du Président de la République, pour lequel nous avons tous fait campagne. C'est aussi un message que nous ont envoyé les « gilets jaunes », qui veulent un travail qui paye bien et qui ait du sens. J'ai donc dit que c'était une décision qui pouvait s'expliquer mais que je la regrettais, et je maintiens ce que j'ai dit.

Je crois surtout que ce type de décision ne doit pas masquer l'action quotidienne que nous menons pour réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques en France. L'objet de notre discussion ici est de travailler ensemble à ce que nous soyons bien sûr la voie pour sortir du glyphosate d'ici à trois ans. Hier encore s'est tenu un comité « Écophyto » dans lequel nous nous sommes posé les questions qui fâchent, à savoir : pourquoi nous utilisons encore en France autant de produits phytopharmaceutiques et comment réduire considérablement l'utilisation de ces produits. Je rappelle que la France est le seul pays à avoir adopté une position aussi ambitieuse. En particulier, pour revenir à l'interdiction des produits phytopharmaceutiques produits en Europe mais qui y sont interdits, nous sommes les seuls à avoir adopté une position aussi ambitieuse. Ce que nous voulons à présent, c'est nous assurer que la production interdite à terme en France ne va pas déménager dans d'autres pays ; ce n'est pas l'objectif.

Il y a eu un décalage de 2022 à 2025 dans le projet de loi PACTE. Nous allons en sortir et l'administration de mon ministère travaille en lien étroit avec les pays africains signataires de la convention de Bamako pour les sensibiliser aux outils juridiques dont ils disposent pour proscrire l'importation sur leurs territoires de produits interdits en Europe. C'est une approche globale, au niveau international, au niveau européen, au niveau français. Même si je regrette la décision prise par voie d'amendement, cela ne doit pas masquer les efforts que nous déployons en matière de lutte contre la surutilisation de produits phytosanitaires.

Madame Toutut-Picard, nous partageons votre constat sur les difficultés pour que les financements atteignent les agriculteurs. C'est pourquoi nous avons donné l'instruction aux préfets de renforcer le déploiement et l'accès aux aides. L'objectif à présent est de travailler encore plus étroitement avec les préfets pour qu'ils continuent de mobiliser sur le terrain. Cela signifie qu'ils doivent aller au-delà des acteurs incontournables et classiques et identifier tous les agriculteurs qui pourraient avoir besoin d'aide. Cela fait partie de la feuille de route des préfets.

C'est la même logique qui nous a conduits à développer un centre de ressources et un site internet. L'objectif est que l'information soit accessible à chacun sans discrimination d'aucune sorte. C'est pourquoi nous voulons une start-up d'État pour mieux toucher tous les agriculteurs.

Je sais, Madame la députée, que vous êtes au service de tous les agriculteurs, y compris des plus petites exploitations, et que vous saurez faire remonter aux préfets et au ministère les difficultés que certains pourraient rencontrer dans votre circonscription. Je vous remercie de votre mobilisation sans faille depuis le début sur cette question.

En ce qui concerne la problématique des grands équilibres économiques, c'est en effet une crainte qui remonte de la part de beaucoup d'agriculteurs. C'est pour cette raison qu'il faut continuer de nous battre en Europe. Ce n'est pas parce que nous avons obtenu un vote sur le glyphosate qu'il ne faut pas poursuivre ce combat au niveau européen, sur le glyphosate comme sur l'ensemble des produits phytosanitaires. Dans le cadre de la PAC, notre objectif est de mettre le niveau d'exigence en Europe en phase avec les objectifs de la France, de façon que notre pays ne soit pas pénalisé mais ait au contraire un avantage compétitif. Je reste convaincue, et c'est la vision du Gouvernement, que l'agriculture française sera d'autant plus compétitive à terme – même si c'est difficile actuellement car nous sommes dans une période de transition – qu'elle sera plus respectueuse de l'environnement ; et plus elle réalisera sa transition rapidement, plus elle sera compétitive à terme car les citoyens français et européens veulent des produits de qualité et une agriculture respectueuse de l'environnement.

Nous voulons aussi édicter, dans le cadre de la PAC, une écoconditionnalité la plus élevée possible au niveau européen et applicable à tous les pays européens. C'est là-dessus que nous nous battons, et nous ne lâchons rien. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, Monsieur Didier Guillaume, dit d'ailleurs qu'il est le ministre de la transition, et je crois qu'il s'efforce de le mettre en application aussi bien dans ses interventions publiques que dans la réalité des actes. Il est accompagné en cela par le ministère de la santé et le ministère de la transition écologique et solidaire. C'est une action coordonnée que nous conduisons aussi sous la pression des députés, et je vous remercie à nouveau d'être présents aujourd'hui et de contrôler l'action que nous menons.

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J'imagine que Monsieur Guillaume se dit ministre de la transition agricole vers une meilleure alimentation.

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Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Transition écologique aussi. Plus c'est transversal, mieux c'est.

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Merci, Madame la secrétaire d'État.

Comme je l'ai indiqué, nous auditionnons tous les acteurs autour de la question du glyphosate. Nous avons même auditionné la SNCF, utilisateur important de ce produit, avec d'ailleurs – je me permets de le dire car nous avons réalisé des calculs en direct avec eux – des concentrations plus élevées sur les voies SNCF que dans l'agriculture.

Je souligne également que nos agriculteurs n'utilisent pas le glyphosate directement sur les produits, directement sur le raisin, dans les vignes, ou directement sur les fruits… Il est important de le préciser pour faire de la pédagogie et transmettre une information rigoureuse.

Notre mission se déplace la semaine prochaine sur le terrain auprès de différentes exploitations agricoles dans la Meuse et dans la Marne, aussi bien des exploitations d'agriculture de conservation des sols que chez des agriculteurs sortis de l'utilisation du glyphosate sans être passés pour autant en bio. Nous visiterons au moins six exploitations, de différentes filières. Nous aurons forcément des échanges avec des chambres d'agriculture locales. Nous tenons à ces visites de terrain pour nous rendre compte au plus près de la réalité des évolutions.

Madame la secrétaire d'État, merci pour la clarté de vos propos ce matin. Nous aurons sûrement l'occasion de vous auditionner à nouveau puisque, comme vous le savez, cette mission durera autant qu'il faudra, jusqu'à ce que nous sortions de l'utilisation de ce produit.

L'audition s'achève à dix heures vingt.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 11 avril 2019 à 9 heures

Présents. - M. Jean-Yves Bony, M. Jean-Luc Fugit, M. Matthieu Orphelin, M. Loïc Prud'homme, Mme Élisabeth Toutut-Picard, Mme Michèle de Vaucouleurs

Excusés. - M. Paul Christophe, M. Julien Dive, M. Antoine Herth, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Jean-Baptiste Moreau

/1 () n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous