Mardi 30 avril 2019
L'audition débute à dix-sept heures cinquante.
Présidence de Mme Nathalie Sarles, vice-présidente de la commission d'enquête
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La commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005, procède à l'audition conjointe de Mme Elka Parvanova, vice-présidente de l'Association des professionnels d'Accompagnement du Handicap dans l'Enseignement supérieur (APACHES), et Mme Marie Coutant, membre du conseil d'administration, et M. Hervé Christofol, secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP-FSU), et Mme Laurence Rasseneur, membre de la commission administrative.
Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions relatives à la situation des personnes en situation de handicap dans l'enseignement supérieur par celles de l'Association des professionnels d'accompagnement du handicap dans l'enseignement supérieur (APACHES) et du syndicat national de l'enseignement supérieur de la Fédération sociale unitaire (SNESUP-FSU).
À ce titre, nous recevons : Mme Elka Parvanova, vice-présidente de l'association APACHES, par ailleurs responsable du service Accueil handicap de l'université Paris 8, et Mme Marie Coutant, ancienne présidente d'APACHES, membre du conseil d'administration et par ailleurs responsable du service de l'accompagnement des étudiants en situation de handicap et directrice adjointe du programme « Handicap et sociétés » à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) ; M. Hervé Christofol, secrétaire général du SNESUP-FSU, et Mme Laurence Rasseneur, membre de la commission administrative.
Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue.
Créée en 2012, l'association APACHES a vocation à fédérer les structures d'accompagnement des étudiants et des personnels en situation de handicap de l'enseignement supérieur, afin de leur permettre de mieux répondre aux obligations qui leur incombent au titre de la loi du 11 février 2005.
Le SNESUP syndique les enseignants de tout statut exerçant dans les établissements publics d'enseignement supérieur et relevant tant du ministère de l'Éducation nationale que d'autres ministères. Lors de l'élection des membres du comité technique des personnels enseignants titulaires et des stagiaires de statut universitaire de décembre 2018, le SNESUP est arrivé en première position avec 32 % des voix.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Mme Elka Parvanova, Mme Marie Coutant, M. Hervé Christofol et Mme Laurence Rasseneur prêtent successivement serment.
Je suis à l'origine, avec mon groupe parlementaire, de la création de cette commission d'enquête. Si nous avons considéré comme pertinent de réunir une commission d'enquête sur l'important sujet de l'inclusion des jeunes, des enfants aux jeunes adultes, en situation de handicap en milieu scolaire, c'est que nous pensions qu'il y avait des obstacles à franchir, des marges de progression à exploiter et qu'il existait des difficultés de mise en oeuvre des droits formels proclamés dans la loi de 2005.
Lors de l'audition précédente, quelqu'un a prononcé une phrase qui entre en résonance avec les objectifs de la commission d'enquête : on ne progresse que sur ce qu'on mesure bien L'objectif de la commission d'enquête est aussi, grâce à vous, d'établir un diagnostic partagé le plus objectif possible de la situation réservée aux étudiants en situation de handicap dans l'accès à l'enseignement supérieur.
Je vous invite donc à nous dire ce qui va bien, à mettre l'accent sur les dispositifs innovants qui vous semblent devoir être développés, mais aussi à souligner ce qui ne va pas et plus encore à formuler des propositions de correction de trajectoire, en termes de moyens humains, financiers et législatifs, en vue de faire en sorte – le Défenseur des droits nous y a incités fortement – que la France, qui n'est pas bonne élève dans ce domaine, améliore sa position.
Madame la présidente, comme vous l'avez précisé, l'Association des professionnels d'accompagnement du handicap dans l'enseignement supérieur (APACHES) existe depuis l'année 2012. Son objectif premier était de fédérer les professionnels de l'accompagnement du handicap dans l'enseignement supérieur. Nous avons choisi, dans nos statuts, de n'ouvrir l'association qu'aux établissements publics. Nous comptons aujourd'hui environ cent adhérents représentant soixante établissements publics d'enseignement supérieur.
En 2018, une enquête ministérielle recensait 28 000 étudiants en situation de handicap. Cela veut dire que les représentants d'APACHES touchent 90 % des étudiants recensés.
Notre coeur de métier est de veiller à la mise en oeuvre de la loi de 2005. Des services handicap préexistaient dans les établissements d'enseignement supérieur, mais la loi a renforcé le dispositif et 100 % des établissements sont aujourd'hui dotés d'une structure handicap. L'objectif est de veiller à l'inclusion des étudiants handicapés à tous les niveaux, non seulement par l'obtention du diplôme, mais aussi par l'inclusion dans la vie de campus, la vie étudiante, la vie sociale, et de les accompagner vers l'emploi. Il ne s'agit pas de créer un dispositif différent de celui qui existe déjà pour tous les étudiants.
Notre métier consiste essentiellement à mettre en place des aménagements pédagogiques. Nos principaux collaborateurs sont les médecins des universités, qui sont tous habilités par les commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), mais tous les aménagements sont mis en place en concertation avec les enseignants. Nous agissons au travers de plans d'accompagnement individualisés. Tous les étudiants, reconnus ou non par les MDPH en tant que personnes en situation de handicap ont les mêmes droits à l'université, tandis que dans le secondaire, où seuls les élèves ayant un PPS ont droit à des aménagements qui engagent des dépenses. À l'université, chaque maladie, temporaire ou permanente, ouvre droit au statut d'étudiant handicapé, aux mêmes aménagements et aux mêmes aides humaines.
Parmi les aides humaines les plus fréquentes, nous mettons en place des interprètes en langue des signes et des tuteurs d'accompagnement. Nous veillons également aux aideds techniques : elles permettent parfois de remplacer des aides humaines. Ainsi, nous avons été sollicités par le concepteur du logiciel Ava, qui a été aussi présenté au ministère de l'Enseignement supérieur. Ce logiciel est destiné à faciliter la vie des étudiants sourds, dans leur vie quotidienne comme dans leur vie étudiante, en leur permettant de communiquer beaucoup plus facilement avec les enseignants, leurs camarades et le personnel administratif. Cependant, pour ce qui est de l'enseignement, de l'accès au savoir pendant les cours et les travaux dirigés, la langue des signes reste incontournable.
Parmi les chantiers que l'association a menés, ces dernières années, en collaboration avec un certain nombre de partenaires, avec pour objectif l'inclusion – c'est-à-dire faire du droit commun et non du droit spécifique –, nous avons beaucoup travaillé à l'éclosion du métier de référent handicap dans les établissements d'enseignement supérieur et à mettre en place une formation professionnelle pour tous nos collègues chargés de l'accompagnement des étudiants en situation de handicap.
Cette année, en lien étroit avec la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP), nous avons aussi élaboré un guide d'évaluation des besoins proposant une grille unique d'évaluation des besoins individuels de l'étudiant au regard de la formation et du niveau de formation qu'il a choisi, et permettant des comparaisons d'un établissement à un autre. Citons aussi des chartes de collaboration avec nos collègues des services intérieurs de médecine préventive qui fixent les responsabilités, les droits et les devoirs de chacun d'entre nous dans l'accompagnement, l'inclusion et l'accessibilité de nos établissements. Je mentionne enfin la rédaction en cours d'un vademecum sur l'autisme.
Faute de temps pour vous présenter l'état des lieux et les difficultés rencontrées par les étudiants handicapés dans le cadre de leurs études, nous avons choisi de mettre en avant le projet de plateforme Numérique et handicap développé à l'université de Strasbourg, que va vous présenter Laurence Rasseneur.
Comme l'a indiqué la représentante de l'association APACHES, il y a actuellement quelque 28 000 étudiants handicapés à l'université. Depuis la loi de 2005, leur nombre croît de 15 % par an. On aurait aimé que les moyens de l'université croissent au même rythme.
Depuis 2007-2008, des chartes étudiants université-handicap et grandes écoles-handicap ont été mises en place dans toutes les universités, ainsi que des missions handicap. Malheureusement, on peine à obtenir des moyens suffisants pour mettre en place une vraie politique d'accueil et d'accompagnement de l'ensemble des étudiants handicapés. Nous souhaiterions, par exemple, qu'il y ait au moins un personnel pour 80 à 100 étudiants en situation de handicap – ce n'est pas partout le cas.
En 2018, le ratio était entre 0,5 et 0,7 équivalent temps plein pour 100 étudiants.
Un budget est « fléché ». Malheureusement, il ne vous a pas échappé que de nombreuses universités ont rencontré des difficultés budgétaires et ce fléchage est souvent passé à la trappe.
Concernant l'accessibilité des locaux, lorsqu'il était secrétaire d'État, M. Thierry Mandon avait estimé que la mise aux normes, non seulement au handicap mais également thermique, de l'ensemble du patrimoine immobilier universitaire aurait nécessité un budget d'environ 1 milliard d'euros par an pendant dix ans. On en est loin. À Strasbourg, par exemple, l'accessibilité programmée de l'université nécessiterait un budget de 10 à 12 millions d'euros par an. Or l'État ne finance aucune dotation à cette fin.
En outre, les financements au titre du contrat de plan État-région (CPER) sont en baisse pour cette mandature, alors qu'ils avaient permis la mise en construction des nouveaux locaux dans la plupart des établissements universitaires. On relève aussi un important retard dans ce domaine.
Notons aussi que l'investissement par étudiant de la nation baisse au cours des dix dernières années, compte tenu de la croissance démographique, ce qui se répercute sur les missions handicap.
Trop souvent, faute de moyens, l'essentiel des dispositifs est concentré sur l'aménagement des examens, avec le tiers-temps. Or si le tiers-temps est assez bien adapté à l'examen terminal, il l'est moins au contrôle continu, que l'on développe de plus en plus. Si celui-ci est globalement bénéfique, il crée un obstacle pour les étudiants en situation de handicap. En outre, à l'université, on fait souvent appel aux vacataires, personnels souvent peu formés aux besoins des étudiants handicapés, ce qui génère un nouveau sur-handicap – par exemple, ils ne sont pas toujours informés de la nécessité du tiers-temps supplémentaire pour les examens.
Globalement, l'état du financement de l'université pénalise parfois les étudiants handicapés par des sur-handicaps. Je rappelle que la France se situe au quinzième rang des pays de l'OCDE pour l'investissement dans l'enseignement supérieur.
J'ai une expérience d'enseignante chercheur à l'université de Strasbourg et de responsable de formation – j'ai été responsable d'une licence, pendant quelques années. Je suis enseignante en sciences du sport, dans une section « activité physique adaptée et santé » (APAS), où l'on forme des éducateurs sportifs qui prennent en charge des personnes en situation de handicap en utilisant l'activité physique comme outil éducatif, rééducatif et thérapeutique. Dans ce type de formation, on connaît bien la question du handicap. Moi-même issue de cette filière, je commence à avoir une expérience dans ce domaine.
Pendant de nombreuses années, j'ai aussi été référente handicap dans mon université, où je travaillais étroitement avec la mission « handicap ». Enseignante chercheur, je mène des travaux sur la mobilité des personnes handicapées, en particulier des déficients visuels pour lesquels est développée à l'université de Strasbourg une application numérique permettant aux étudiants de trouver leur bâtiment, qu'ils soient déficients visuels ou primo-entrants. J'aime à dire à mon vice-président patrimoine : « Il est bien que ton bâtiment soit accessible, encore faut-il le trouver sur le campus ». Le campus de Strasbourg, c'est un peu comme les hôpitaux parisiens : avec des bâtiments partout, il n'est pas facile de trouver le sien et surtout sa salle de cours. C'est parfois un vrai combat de trouver à chaque rentrée pour trouver sa salle de cours. L'université de Strasbourg présente aussi la particularité d'accueillir beaucoup d'étudiants étrangers. Quand on vient d'un pays étranger, comprendre la langue et la signalétique peut représenter un vrai handicap. Cette application dénommée Navi-Campus devrait être déployée d'ici à 2020 sur le campus.
Nous avons également constaté que si, grâce aux agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP), un travail de diagnostic a été réalisé sur l'accessibilité du cadre bâti, les enseignants et les étudiants en situation de handicap restent quotidiennement confrontés aux difficultés d'accessibilité des contenus de formation, des cours et des documents supports. On fait beaucoup d'efforts pour aménager les conditions d'examen. C'est parfois compliqué : il y a des tiers-temps qui ne le sont pas vraiment – l'étudiant commence avant la promo, puis la promo arrive, ou bien le tiers-temps aura lieu à la fin de l'examen, pendant que sortent les étudiants de la promo – mais qui sont quand même mis en place, en sorte que l'on ne peut rien reprocher à l'institution. Dans les faits, cela sur-handicape les étudiants, notamment les étudiants dyslexiques, qui ont besoin de concentration et auxquels la moindre petite perturbation peut faire perdre le fil de leur examen.
J'enseigne l'anatomie et la physiologie et je fais de jolis diaporamas. Mais un jour, un étudiant est venu me dire à la fin d'un cours : « Vos diapos, avec la couleur orange, je ne les vois pas ». Comme je suis sensibilisée à la question, j'ai modifié mon diaporama et choisissant d'autres couleurs. Quand j'étais référente handicap, j'ai vu beaucoup d'enseignants désemparés face tel étudiant « dys » ou à tel autre ayant un besoin spécifique qui nécessitait d'adapter leur cours ou leurs présentations. Pourtant les solutions existent. Elles sont dans les missions handicap un peu partout en France. En 2017, grâce à un reliquat de financement du ministère, nous avons pu réaliser un état des lieux. Nombre de solutions techniques, numériques, trucs et astuces ont été développés dans les missions handicap. Les étudiants apportent aussi leurs propres solutions, leurs trucs et astuces, mais ils restent confidentiels, confinés dans la mission handicap et, quand un étudiant s'en va, la solution part avec lui. On ne partage pas les solutions. D'où cette étude dont je vous remettrai les résultats, qui propose la création d'une plateforme « Numérique et handicap » destinée à collecter les bonnes pratiques, les trucs et astuces et à les diffuser à la communauté étudiante, aux associations, aux lycéens et futurs étudiants, et même plus largement. Ce document propose aussi une prévision de coût à trois ans et ce qu'il faudrait faire pour faire émerger cette plateforme.
Madame Coutant, madame Parvanova, j'ai eu l'impression que vous brossiez un portrait quelque peu idéalisé de la situation de l'enseignement supérieur au regard de l'inclusion des personnes en situation de handicap. Au sein de votre association, avez-vous établi une classification des universités sur le critère de l'inclusion, car il existe d'importantes disparités territoriales ? Ce serait une façon de désigner les bons et les mauvais élèves.
Merci pour la clarté et la concision du propos. Merci de partager l'idée de cette plateforme numérique qui enrichira les propositions de notre commission d'enquête.
La formation des enseignants et des intervenants a été beaucoup évoquée pour le premier degré et pour le second degré. Quelle est votre opinion à ce sujet ? Considérez-vous que la sensibilisation et les formations aux problématiques du handicap sont suffisantes dans les modules de formation destinés aux professeurs de l'enseignement supérieur ? Quelles propositions pouvez-vous formuler ?
Quelle est votre appréciation sur le rôle des services interuniversitaires de médecine préventive et de promotion de la santé ? D'évidence, une articulation est indispensable. La médecine scolaire est-elle au rendez-vous ? Dispose-t-elle de moyens suffisants ? L'égalité territoriale est-elle assurée ?
Vous avez évoqué les difficultés d'investissement pour l'accueil des étudiants, dans les années passées et pour les années à venir. Si le code de la construction et de l'habitation est clair en matière de construction et de réhabilitation au regard de l'accessibilité aux personnes handicapées, des informations nous parviennent sur certaines incohérences par rapport à la loi handicap dans la réhabilitation des résidences universitaires. Avez-vous les moyens d'intervenir ? De quels leviers disposez-vous pour alerter sur les problématiques de réhabilitation de résidences étudiants ? Êtes-vous autorisés à avoir un regard d'accompagnement dans la mise en oeuvre des Ad'AP ?
Visiblement, les outils ne manquent pas pour aider les étudiants en situation de handicap, ne serait-ce que l'application Navi Campus pour mieux se repérer dans les bâtiments. Comment faire essaimer sur le territoire national l'application Navi Campus ou les autres applications numériques que vous avez évoquées pour en faire profiter un maximum d'universités ?
À quel niveau d'études la prise en charge des handicaps vous paraît-elle la moins développée ? Est-ce le niveau licence ou le niveau master ? Cela dépend aussi de la détection de certains handicaps psychiques ou troubles de l'apprentissage comme les « dys ».
Qu'en est-il de la formation initiale et continue des enseignants quant à la prise en charge du handicap et des handicaps dans l'enseignement supérieur public ?
En vous écoutant parler, je me disais que si j'avais 18 ans et si j'étais en situation de handicap, je ne saurais pas comment faire en arrivant à la fac. J'ai compris que vous souhaitez davantage de référents handicap et qu'il faut former les enseignants au handicap. Mais il y a aussi la vie sociale du campus : vous avez évoqué le sport, j'y ajoute les soirées étudiantes et la vie des associations. Comment les étudiants en situation de handicap peuvent-ils y avoir accès ?
Vous avez raison de dire qu'il faut laisser aux universités la liberté de développer les outils dont ont besoin les étudiants en situation de handicap et les essaimer. Qu'attendez-vous de nous ? Les trucs ou astuces, les bonnes pratiques, c'est vous qui les connaissez. Qu'est-ce que l'État peut faire, non pas pour imposer, mais pour les reprendre le mieux possible ?
Je vous interrogerai sur la qualité et le niveau des accompagnateurs – en dehors des enseignants –, qu'il s'agisse des auxiliaires de vie scolaire handicap (AVSH) ou des traducteurs en langue des signes. On ne traduit bien que ce que l'on connaît, on n'accompagne bien que lorsqu'on comprend. Vous est-il difficile de trouver des personnels adéquats, bien formés et au bon niveau ?
Avant de vous permettre de répondre, je vous poserai une dernière question. Je connais votre appréciation générale sur Parcoursup, mais quel est votre regard sur le sujet « Parcoursup et handicap » ?
Vous avez parlé d'un tableau idyllique. Nous avons uniquement voulu de mettre en avant nos activités associatives.
Vous me posez une question très directe sur un classement des bons et des mauvais élèves. Ce n'est pas ainsi que nous travaillons, d'abord, parce que nos métiers sont jeunes et que nous nous sommes construits au fil des dernières années dans l'harmonisation de notre capacité à accueillir les étudiants en situation de handicap. Il ne s'agit pas de désigner des bons et des mauvais établissements, ni des bons et des mauvais collègues, ni des bonnes ou des mauvaises directions, si tant est qu'un président puisse être bon pour le handicap et, quatre ans après, un autre serait moins bon ou meilleur. Désigner les bons ou les mauvais établissements ne nous semble guère productif et de nature à favoriser l'inclusion des étudiants. Il ne s'agit pas de désigner des établissements plus à même d'accueillir des étudiants en situation de handicap, puisque nous visons l'inclusion. Avant d'être handicapé, un tel jeune est un étudiant, qui doit faire un choix de formation à l'endroit où il le désire, là où il le souhaite, là où Parcoursup l'a dirigé. L'idée n'est pas de recréer des établissements spécialisés dans l'enseignement supérieur, mais d'être vraiment inclusif sur le territoire. Il n'y a pas de black list.
En ce qui concerne la formation des personnels d'accompagnement des étudiants, je suis bien placée pour répondre puisque c'est dans mon établissement, l'École des hautes études en sciences sociales, qu'est organisée depuis quatre ans la formation des référents. Elle se structure et sa reconnaissance officielle est en cours. La jeunesse de nos métiers fait qu'ils sont marqués par une culture cumulative. Bien entendu, les professionnels n'arrivent pas tout formés à l'université. Ce n'est pas comme que cela se construit pour la dizaine d'années à venir. Ce sont des gens qui ont une appétence pour le sujet, qui ont souvent un passé associatif, une expérience personnelle ou des enfants en situation de handicap et qui se sont formés eux-mêmes. D'où l'importance de notre réseau qui s'est constitué progressivement. Néanmoins, ces dernières années, de plus en plus de référents ont été formés à l'accompagnement grâce aux outils que nous avons mis en place et souhaitent s'orienter vers une professionnalisation. Le ministère est en train de faire valider la fiche métier « référent handicap » qui représente pour nous le fondement de nos métiers à l'université.
Quant aux enseignants, je suis toujours mal à l'aise avec l'idée qu'il faudrait les former aux différents handicaps. Depuis quelques années, l'action des universités ne se fonde pas sur la nature du handicap, même elle est encore utilisée à des fins statistiques. On ne dit pas : « Aujourd'hui, j'accueille M. Untel qui est paraplégique, puis je recevrai M. Untel qui est sourd ». Notre approche vise à prendre en compte les besoins individuels de nos étudiants, pas seulement en fonction de leur déficience mais de leur situation de handicap : par exemple, un étudiant en master de littérature n'a pas forcément les mêmes besoins ni le même accompagnement qu'un étudiant avec la même déficience en licence d'anglais. Nous tentons de répondre aux besoins. On informe, sensibilise, éduque les enseignants de nos établissements à cette manière de fonctionner, parce qu'elle est inclusive non seulement pour les étudiants en situation de handicap mais aussi pour tous les autres : les étudiants étrangers, ceux qui ont des problèmes de santé, qui ont des difficultés d'écriture, qui travaillent plus de quinze heures par semaine. On est beaucoup plus inclusif en prenant – avec les enseignants, mais aussi les personnels administratifs – comme point d'entrée les besoins des étudiants en matière pédagogique et en matière d'accompagnement. Prendre comme point d'entrée le type de handicap me semble contre-productif si on veut se conformer à l'esprit de la loi et favoriser l'inclusion.
Je répondrai à la question sur le niveau d'études le plus difficilement accompagné. Nous nous débrouillons assez bien de la licence au master. Le taux d'étudiants handicapés en licence est exactement égal au taux moyen : ce n'est pas parce qu'ils sont en situation de handicap qu'ils sont plus nombreux en licence et moins nombreux en master. La situation est plus difficile pour les doctorants, à cause de leur statut mixte et peu clair entre celui de l'étudiant et celui de salarié. Certains ont des contrats de doctorant et d'autres n'en ont pas. Le ministère attribue très peu de contrats de doctorants chaque année. Les écoles doctorales des universités n'ont pas l'obligation de prévoir des contrats universitaires de doctorants.
Les services de santé sont nos principaux collaborateurs. Les médecins sont bien plus souvent en sous-effectif que nous. Il y a régulièrement dans la semaine des journées sans médecin. Les services handicap sont parfois implantés dans des zones différentes des services médicaux et la gestion des situations individuelles peut alors nécessiter plusieurs échanges de données confidentielles. Par ailleurs, les services de santé ont beaucoup plus de missions que les services handicap : ils s'occupent aussi des étudiants étrangers, prennent en charge la prévention de la tuberculose et les personnels en situation de handicap. Un étudiant handicapé doit souvent attendre longtemps pour obtenir un rendez-vous avec le médecin. On doit parfois mettre en place des aménagements pendant un semestre avant d'obtenir la confirmation du statut de personne handicapée. En effet, vous le savez, nous sommes des personnels administratifs et nous n'avons pas le droit d'interroger l'étudiant sur la nature de son handicap. Le sujet est strictement confidentiel et seul le médecin en a connaissance. Nous pouvons évoquer avec les étudiants les problèmes liés au handicap, tels que la fatigabilité ou les difficultés de concentration, mais en aucun cas la maladie. Face à une situation de handicap « invisible », nous mettons parfois en place des aménagements coûteux ; il serait bon que le handicap soit préalablement caractérisé par le médecin.
Concernant le logement étudiant, nous n'avons aucune influence sur les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS). Les critères sont simples : si l'étudiant a une reconnaissance MDPH, la limite d'âge n'est plus applicable et il peut être boursier même s'il l'a dépassée, mais il n'est pas prioritaire pour l'octroi des logements adaptés. Ainsi, il peut n'y avoir que quatre chambres adaptées par résidence de CROUS et on ne peut loger tous les étudiants qui en ont besoin. En outre, il n'y a pas suffisamment de place pour les personnels qui les accompagnent. Or, en cas de handicap lourd, il peut y avoir besoin d'une tierce personne à temps plein, ce qui n'est pas possible.
Concernant les classements d'université, tout n'est pas lié aux moyens. J'en veux pour preuve les grandes écoles qui ont des dotations par étudiant très conséquentes mais qui ne font pas toujours beaucoup d'effort pour l'adaptation et l'inclusion des étudiants handicapés. Elles mettent en exergue quelques étudiants au parcours particulièrement réussi, mais force est de constater qu'on le doit davantage à la persévérance de l'étudiant qu'à l'adaptation réalisée dans l'école. Tout n'est pas question de moyens mais en termes de dotations, il y a de très fortes inégalités entre universités : entre 2 000 et 20 000 euros par étudiant – en ordre de grandeur – et les moyens consacrés à l'accompagnement suivent la même dispersion.
En ce qui concerne la formation, nous avons obtenu récemment que les maîtres de conférences néo-recrutés aient une formation initiale au cours des deux premières années, avec 32 heures de décharge statutaire par an. Dans ce cadre, il nous paraîtrait opportun que soit présentée la mission handicap, faute d'une formation spécifique – on ne peut pas former à tous les types de handicaps mais il y aura au moins une connaissance. Ce pourrait être l'occasion d'un accueil et d'une meilleure sensibilisation de l'ensemble des étudiants. Il y aurait aussi un effort à faire dans les ESPE. De plus, force est de constater que le recours aux contractuels se développe. Au cours des quatre dernières années, les universités ont perdu 2 000 enseignants-chercheurs titulaires alors qu'elles accueillent 200 000 étudiants de plus, au profit des contractuels et des vacataires, qui n'ont pas le même niveau de qualification et n'ont pas non plus de formation. On assiste à une précarisation des personnels qui ne va pas dans le sens d'une meilleure formation.
Le passage du lycée à l'université n'a pas encore été évoqué. Au lycée, sont mis en oeuvre des moyens d'accompagnement qu'on ne retrouve pas toujours, voire très rarement, au même niveau dans les missions handicap, pour toutes les raisons de moyens humains et financiers qui ont été évoquées.
Les logements étudiants relèvent de la responsabilité des CROUS qui ont leurs propres problèmes et obligations. N'oublions pas non plus qu'un étudiant lourdement handicapé a besoin d'un accompagnant dans la vie de tous les jours. Nous avons eu à Strasbourg le cas d'un étudiant qui avait un logement CROUS adapté mais son aidant n'avait pas accès à un logement, sauf à un coût rédhibitoire. Ma collègue de Strasbourg a remué ciel et terre pour trouver les moyens de payer le logement de l'accompagnant. Au-delà du cadre bâti, le handicap lourd, infirmité motrice cérébrale ou autre, nécessite souvent une présence importante – non d'un accompagnant mission handicap mais d'un aidant au quotidien. C'est un aspect non négligeable à prendre en compte.
Il faut former les enseignants à l'université, les futurs enseignants à l'ESPE et les cadres qui travaillent dans les missions handicap. L'EHESS propose des formations ; nous formons aussi, dans la filière STAPS APA-S dont j'ai parlé, des professionnels du handicap sous l'angle de l'activité physique. Cela reste une source de futurs collaborateurs pour les missions handicap, rapidement employables. Former des étudiants, pourquoi pas, mais nous n'avons pas beaucoup de temps. Nous croulons sous les tâches diverses, administratives et autres. Bénéficier d'une formation serait vraiment pertinent au moment où il faut faire face à une situation précise. Nous n'avons pas accès au dossier médical – ce qui est bien –, mais nous n'avons pas les compétences et les ressources pour trouver des solutions. Or il se trouve que les ressources existent. Le projet de plateforme dont nous vous avons brièvement parlé pourrait répondre en partie à ces attentes.
Je vous remercie. Il nous aurait certainement fallu un peu plus de temps pour avoir un échange plus complet. Merci de vos interventions.
L'audition s'achève à dix-huit heures quarante.
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Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 30 avril 2019 à 17 heures 30
Présents. – Mme Géraldine Bannier, M. Bertrand Bouyx, Mme Blandine Brocard, Mme Danièle Cazarian, Mme Jacqueline Dubois, Mme Marianne Dubois, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Olivier Gaillard, M. Sébastien Jumel, Mme Béatrice Piron, Mme Nathalie Sarles
Excusés. – M. Christophe Bouillon, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel