L'audition débute à dix heures dix minutes.
Nous recevons Mme Anne-Lise Deloron Rocard, directrice adjointe de Plan Bâtiment Durable et Mme Marie Gracia, chargée de mission. Depuis 2009, Plan bâtiment Durable réunit les acteurs du bâtiment et de l'immobilier pour réfléchir aux meilleurs moyens d'atteindre les objectifs d'efficacité énergétique et émettre des propositions à cette fin.
Quels sont les moyens les plus efficaces pour parvenir à massifier la rénovation énergétique ? Quelle appréciation portez-vous sur le dispositif CEE et sur sa part visant la précarité énergétique ? Où en est-on de la rénovation du parc tertiaire ? Telles sont notamment les questions auxquelles vous pourrez répondre dans votre exposé liminaire.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure. »
(Mme Anne-Lise Deloron Rocard et Mme Marie Gracia prêtent successivement serment.)
Premier point, vous l'avez évoqué mais cela mérite d'être rappelé, le Plan bâtiment durable est un OVNI dans le paysage institutionnel puisque, depuis dix ans, il accompagne, sous la présidence de Philippe Pelletier, les pouvoirs publics, la représentation nationale et l'ensemble des collectivités territoriales dans la mise en œuvre des objectifs de transition énergétique et environnementale des bâtiments. Notre rôle est de favoriser les relations entre les acteurs et de veiller à la bonne compréhension des enjeux de manière à ce que les dispositifs soient conformes aux attentes de la filière du bâtiment et de l'immobilier mais aussi à celles des collectivités territoriales. Votre commission d'enquête s'intéressant notamment à l'acceptabilité sociale des politiques publiques, il nous semble important de vous en dire davantage sur la méthode de conduite de l'action. Depuis de nombreuses années, les questions de rénovation énergétique font l'objet d'un dialogue permanent entre la filière et les acteurs exerçant des responsabilités. Ces deux dernières années, cette collaboration a été renforcée et nous pourrons répondre à vos questions sur l'acceptabilité des politiques publiques.
Le second point concerne la conduite de l'action par le gouvernement en matière de rénovation énergétique. À l'issue d'une vaste concertation à laquelle a pris part madame la députée Meynier-Millefert, la rénovation énergétique fait l'objet d'un plan qui s'adresse à l'ensemble des secteurs des bâtiments : résidentiel, tertiaire, public et privé. Ce plan a été complété par un ensemble d'actions qui n'avaient pas été imaginées lors du lancement du plan en avril 2018, c'est notamment le cas des offres portées par le dispositif des certificats d'économie d'énergie et du rôle accru de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Cet ensemble fonde l'ensemble de la politique publique de rénovation énergétique dans notre pays. Il est important de ne pas opposer le dispositif imaginé par le gouvernement en avril 2018 et ceux qui se sont succédé ensuite : il s'agit d'une approche institutionnelle. Ce qui doit guider notre action, c'est la perception qu'ont nos concitoyens de la politique publique de rénovation énergétique. Les différents dispositifs doivent fonder un large plan de rénovation énergétique, peu importent les acteurs qui le promeuvent.
L'actuel plan et l'ensemble de la politique publique s'attachent particulièrement à trois sujets. Le premier est de donner à nos concitoyens envie et confiance dans la rénovation énergétique. Vous le ressentez peut-être dans le dialogue avec vos administrés, la confiance est un vrai sujet. Le plan doit améliorer et simplifier le parcours de rénovation énergétique des bâtiments, spécialement celui des logements, en le rendant plus simple afin de favoriser le passage à l'action. Le deuxième élément qui caractérise la politique publique de rénovation énergétique des bâtiments, c'est la volonté de mieux articuler cette politique nationale avec les territoires au plan régional comme infrarégional. Les différents ministères concernés ont besoin de s'appuyer sur les collectivités territoriales. La bonne articulation de la politique publique et du rôle dévolu à chaque niveau de collectivité territoriale est encore à trouver, c'est un nœud gordien. Enfin, le plan de rénovation énergétique et l'ensemble de la politique publique se caractérisent par une volonté affirmée de renforcer les collaborations avec l'initiative privée pour ne pas faire de la rénovation énergétique des bâtiments un sujet uniquement de politique publique portée par un, deux ou trois ministères. Plus ce sujet sera partagé par l'ensemble des acteurs économiques – qu'ils soient publics ou privés – plus nous parviendrons à la massification que vous avez évoquée, monsieur le président. Le sujet de la rénovation énergétique de nos bâtiments doit devenir un sujet de société et s'imposer comme l'ont fait le tri des déchets ou des piles il y a quelques années.
Concernant l'évaluation du déploiement du plan de rénovation énergétique, de nombreux chantiers sont actuellement engagés et il est sans doute compliqué pour la représentation nationale d'avoir une perception juste de l'avancée des travaux, d'autant que les actions de communication n'ont pas encore été engagées à propos de ces dossiers techniques. Les chantiers font généralement l'objet d'une communication lors leur lancement ou de leur achèvement. Je peux toutefois vous assurer du grand nombre de chantiers engagés autour de la stabilisation du diagnostic de performance énergétique, de la publication de textes réglementaires ou du carnet numérique du logement, par exemple.
Il ne faut pas omettre d'évoquer les difficultés et elles sont connues. Il s‘agit de la difficulté à disposer d'indicateurs, donc d'un suivi fin de la mise en œuvre des politiques publiques qui pourrait prendre la forme d'un observatoire de la rénovation énergétique. Ce serait l'occasion à la fois d'avoir une meilleure connaissance et de disposer d'un outil de pilotage des politiques publiques.
Nous avons également quelques angles morts relatifs à la rénovation du parc locatif privé. Certains de vos collègues parlementaires se sont penchés sur ce sujet mais on a vraiment besoin de dispositions pour les locataires du parc privé.
Avant que la représentation nationale soit saisie du projet de loi de finances pour 2020, je souhaite appeler votre attention sur la double nécessité, pour que cette politique publique soit un succès, de s'appuyer sur la stabilité des dispositifs réglementaires et, surtout, sur la stabilité des dispositifs incitatifs, dont la volatilité est une des raisons de l'inertie.
Dernier point de vigilance : le nombre important d'acteurs peut diluer les prises de responsabilité ou, a minima, la prise de décision. Or, plus la prise de décision est retardée plus les dispositifs tardent à s'installer.
Le cinquième point de mon propos liminaire porte sur le parc tertiaire. Après un feuilleton d'une dizaine d'années, la question du parc tertiaire – qui a démarré avec la loi Grenelle II – est aujourd'hui principalement régie par une obligation de rénovation énergétique réinscrite dans la loi du 23 novembre 2018 sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN. La publication du décret relatif au tertiaire, qui a fait l'objet d'une large concertation avec les acteurs, est attendue dans les prochains jours, de même que celle d'un arrêté. Le chemin réglementaire pourra donc bientôt être suivi et une première étape est fixée pour 2030 avec une diminution de 40 % de la consommation d'énergie. L'enjeu de ces textes réglementaires est qu'ils vont s'appliquer aux bâtiments de plus de 1 000 mètres carrés, tant pour les acteurs publics que pour les acteurs privés. Si ces derniers sont assez bien sensibilisés à ces questions, il y faudra probablement sensibiliser les collectivités territoriales.
Le dispositif des certificats d'économie d'énergie est monté en puissance ces dernières années. Aujourd'hui les CEE sont partie intégrante des incitations et de l'équation financière de la rénovation énergétique, ce n'était pas le cas il y a encore quelques années. il convient encore d'améliorer la confiance dans les offres qui sont faites. Les offres à un euro sont beaucoup critiquées. Elles ont fait exploser la demande d'information de nos concitoyens en matière de rénovation énergétique. Notre enjeu est d'amener de la sorte les Français à s'engager dans un parcours de rénovation plus global qui les conduira à réduire durablement leurs charges et permettra à notre pays de répondre à ses ambitions énergétiques.
Vous avez suivi avec intérêt la transformation partielle du CITE (crédit d'impôt pour la transition énergétique) en prime. À ce stade, quelles sont vos inquiétudes, vos alertes ou vos recommandations relatives à la réforme du CITE ?
Conformément à un engagement qui remonte à la campagne présidentielle, il est aujourd'hui acté que le crédit d'impôt pour la transition énergétique sera transformé en prime, d'abord à l'attention des ménages les plus précaires. Ces dernières heures, des réunions d'arbitrage se sont tenues pour décider de l'avenir de l'enveloppe restante pour les ménages non précaires. Il nous semble que la transformation du CITE en prime est une très bonne chose puisqu'elle permet aux ménages de bénéficier directement de l'incitation, là où le mécanisme du crédit d'impôt avait un effet retard sur l'obtention de la prime. Le Plan bâtiment est composé de différents acteurs aux intérêts parfois divers et il n'y a pas de position et de doctrine Plan bâtiment sur cette question. Ce que je peux porter à votre connaissance c'est la crainte de certains acteurs de voir la part du CITE uniquement réservée aux ménages modestes alors que les déciles les plus élevés sont constitués de citoyens qui ont une capacité de décision parfois plus grande que les ménages en situation de précarité énergétique.
Sans remettre en cause la pertinence de la transformation du CITE en prime, cette évolution confirme mon inquiétude relative à la stabilité du dispositif. Le CITE sera transformé en prime en cours d'année ce qui entraînera une certaine instabilité en 2020 ainsi qu'une absence de visibilité pour les années suivantes. On se dirige vers une aide forfaitisée et nous appelons votre attention sur la concordance des équipements éligibles avec les autres dispositifs que sont les certificats d'économie d'énergie, l'éco-prêt à taux zéro et, éventuellement, les aides des régions. N'oublions jamais que l'on fait tout cela pour que la rénovation énergétique des logements paraisse plus simple à nos concitoyens : les Français doivent comprendre facilement quel équipement est éligible et à quelle aide.
Nous avons des choses qui s'en rapprochent quand même. Le CITE global était plutôt un outil avec une logique de crédit d'impôt destiné aux ménages avec des revenus, puisque le crédit d'impôt permet de réduire le montant de l'impôt à payer : c'est un peu de l'optimisation fiscale et ce n'est pas vraiment fait pour les précaires. L'Anah est en revanche un outil à la disposition des personnes en situation de précarité. Or, il me semble que l'Agence sort de plus en plus de sa zone pour aller vers des publics moins précaires. On a également un CITE destiné à des personnes qui ont davantage de moyens. Les CEE sont quant à eux un outil d'aide immédiat piloté par le gouvernement et qui peut soutenir certains gestes par un effet programme ou un effet coup de pouce. Faudrait-il donc lier CITE, CEE et Anah pour faire quelque chose de logique ?
Votre observation porte en elle la diversité des aides et la difficulté à y voir clair. Aujourd'hui, il est acté que le CITE se transformera en une prime qui sera distribuée par l'Agence nationale de l'habitat, qui sera ainsi conduite à repenser son système d'aide. Vous avez sans doute entendu récemment le ministre de la ville et du logement ainsi que la présidente et la directrice générale de l'Anah exprimer leur volonté d'en faire une grande agence de la rénovation énergétique.
Sur la question de savoir s'il faut ou pas aider les déciles les plus riches de nos concitoyens, Plan Bâtiment n'a pas mené d'études économiques suffisantes pour trancher et vous apportez un éclairage.
Les certificats d'économie d'énergie représentent un levier qui, en dehors des programmes spécifiques, s'adresse à l'ensemble des concitoyens quels que soient leurs revenus. Vous avez évoqué trois dispositifs différents et on mesure la difficulté à y voir clair. Toutefois ce qui me semble important, ce n'est pas d'aller chercher une aide plus globale. Je veux ici vous sensibiliser au fait qu'une réforme qui remettrait à plat toutes les aides actuelles pour les remplacer par une aide unique ne serait pas le Saint Graal. Le temps de construction d'une telle aide mettrait à l'arrêt la dynamique de travaux pour au moins les deux prochaines années. Entre la construction d'un dispositif, son lancement et son appropriation par nos concitoyens et par les acteurs de la filière travaux, il y a un temps long et des moments d'errance, au cours desquels on met à l'arrêt l'ensemble des dispositifs. On l'a vu dans le passé avec les programmes de lutte contre la précarité énergétique : l'annonce d'ajustements avait stoppé toute la dynamique.
Concentrons peut-être nos efforts sur les dispositifs d'accompagnement afin que les Français ne soient pas des experts du montage financier de la rénovation énergétique de leur logement. Nos concitoyens doivent savoir qu'une ressource peut les accompagner et mettre à leur disposition une ingénierie technique et financière.
Si je comprends bien, le monde de demain, c'est un monde où nous aurons les CEE pour tout le monde, avec un petit volet précarité, et des aides de l'Anah sous forme de primes plutôt destinées à des publics fragiles. Pour des gens qui payent des impôts, il ne reste donc, pour faire financer leurs travaux, que les CEE et l'éco-prêt à taux zéro. J'ai rencontré des personnes âgées de 70 ans qui ne peuvent bénéficier de l'éco-prêt à taux zéro car on refuse de leur prêter sur une durée de dix ans. Il existe donc des phénomènes d'exclusion liés à la distorsion du milieu bancaire. Vous êtes-vous penchés sur ce point ?
Ne mélangerait-on pas la politique de promotion de l'efficacité énergétique avec la politique de lutte contre la précarité énergétique ? Cette dernière vise à faire des économies d'énergie. L'autre est une politique sociale qui vise à lutter contre l'habitat indigne ou à permettre à des gens qui ont peu de moyens de bénéficier aussi de rénovations. J'ai l'impression que les politiques publiques se concentrent de plus en plus prioritairement sur les publics fragiles. Je n'ai rien contre ces publics mais, pour régler le problème de deux, trois ou quatre millions de ménages, ne serions-nous pas en train de passer à côté du reste de la population qui par ailleurs finance les politiques publiques et n'en est que très peu récipiendaire ? Cela ne risque-t-il pas de poser un problème d'acceptabilité de ces politiques ?
Aujourd'hui, les gens qui payent les CEE sont ceux qui consomment de l'énergie. En revanche ceux qui les utilisent sont ceux qui ont les moyens de faire des travaux dans leur maison. Est-ce que ce n'est pas antisocial ? En s'occupant prioritairement des publics les plus fragiles avec certains outils ne serions-nous pas en train prendre l'argent aux pauvres pour le redistribuer aux riches, ce qui serait un comble ?
Le problème de la sédimentation des outils, sans compter celui des doublons, c'est qu'il n'y a pas de cohérence et seuls ceux qui ont compris les dispositifs parviennent à faire leur miel. Il y a un filtre à la connaissance et je vous trouve très optimiste quand vous dites que l'Anah se chargera de distribuer les aides. Pour les demandes auprès de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), je constate que certains maires ne savent pas remplir les dossiers ! Ne faudrait-il pas pour accompagner cette politique de la rénovation énergétique faire entrer chez M. et Mme Dupont quelqu'un en qui ils ont confiance et qui va, non pas leur proposer un diagnostic énergétique, mais servir d'intermédiaire entre eux et les sachants ? J'aimerais vous entendre sur ces trois sujets.
Nous vous rejoignons tout à fait quant à ce besoin d'un dispositif dans lequel M. et Mme Dupont seraient accompagnés par quelqu'un qui se chargerait de l'ingénierie technique et financière.
Aujourd'hui le débat est ouvert et la loi de transition énergétique a posé le principe d'un service public de la performance énergétique. La question de son financement fait débat.
Vos litotes me font parfois penser à Bercy ! On a créé des plateformes mais cela ne fait pas entrer les gens chez M. et Mme Dupont. Une fois que vous avez votre plateforme régionale ou subrégionale, hormis les fonctionnaires de la région et les gens qui travaillent dans le bâtiment durable, peu de gens connaissent leur existence.
Nous partageons pleinement ce diagnostic et c'est la raison pour laquelle l'ensemble des conseillers pour la rénovation énergétique ont été placés sous la bannière commune FAIRE. Une large campagne de communication médiatique autour de ce réseau FAIRE a été lancée et nous avons travaillé avec les acteurs privés, les grands énergéticiens, les industriels du bâtiment, les acteurs du négoce, les grandes surfaces de bricolage comme Leroy Merlin et les organisations professionnelles du bâtiment pour qu'ils soient les relais de la communication et de l'information. Collectivement, chaque énergéticien s'est engagé à dire – lorsqu'il est sollicité pour de la rénovation énergétique – qu'il existe des lieux d'informations et de conseils pour réaliser cette ingénierie financière ou technique.
Pour emmener les ménages non précaires vers la rénovation énergétique, je crois qu'on doit mieux s'intéresser à eux en leur parlant davantage de valorisation patrimoniale, de plus grand confort ou d'adaptabilité de l'habitat. Les ménages qui ne sont pas précaires représentent une cible qui doit être mieux travaillée tout comme la question du parc locatif privé qui est l'un des angles morts du plan de rénovation. Les bailleurs privés peinent à voir l'intérêt qu'ils ont à mener une opération de rénovation énergétique. Du côté du Plan bâtiment durable nous ne laissons pas sur le bord du chemin une partie de nos concitoyens car la rénovation énergétique est un sujet de société qui transforme profondément nos façons d'habiter.
Lorsque vous bâtissez votre communication, effectuez-vous préalablement un travail de réflexion sociologique afin d'étudier la manière adaptée pour faire passer des messages ? Parce que quand on va chez Leroy Merlin, c'est que l'on se dit qu'on va faire des travaux. Or, la septuagénaire qui vit dans une maison des années soixante qui n'a pas été revisitée ne va pas chez Leroy Merlin ; elle ne dispose pas du même canal d'information que le jeune couple qui vient de s'installer. Le problème de ces messages c'est qu'ils sont très globaux alors que les gens veulent du sur-mesure.
S'agissant de la communication de la signature commune FAIRE, un gros travail a été accompli pour faire évoluer les messages par rapport aux précédentes campagnes. Jusqu'à présent on s'adressait à nos concitoyens de manière technique ou on leur parlait de sauvegarde de la planète. Pour cette campagne, nous nous sommes fondés sur les questions du quotidien : inconfort, chaleur en été, froid en hiver, humidité. L'enjeu d'une campagne de communication nationale est de trouver des messages qui s'adressent au plus grand nombre et qui peuvent ensuite être déclinés par cible en fonction des situations.
Sur la question des parcours qui varient selon les publics auxquels on s'adresse, l'action actuelle se concentre beaucoup sur la lutte contre la précarité énergétique, les passoires thermiques occupées par les ménages modestes. Cela répond en effet à un double enjeu, celui de l'efficacité énergétique mais aussi un enjeu sanitaire et social. On a pour objectif global d'avoir un parc rénové au niveau BBC (bâtiment basse consommation) en 2050. Aujourd'hui, nous sommes très loin d'atteindre ce niveau dans la plupart des rénovations. La première urgence est d'en finir avec les passoires thermiques mais il ne faut pas oublier d'aller beaucoup plus loin, vers des rénovations globales. Ce sont deux politiques qui peuvent s'articuler.
Tout dépend de l'objectif. Effectivement, il y a de nombreuses passoires thermiques mais les personnes qui ont moins de revenus peuvent moins consommer d'énergie. En revanche, des gens qui ont beaucoup de revenus peuvent être très dispendieux en termes d'énergie. Dire que les gens doivent vivre dignement et que l'on va soutenir leur pouvoir d'achat, c'est un autre objectif.
S'agissant ensuite de la massification, on est dans une démarche passive. Or, aller chez les gens, l'État sait faire. Quand on faisait le recensement tous les ans, quelqu'un venait sonner chez vous. Il n'est donc pas totalement farfelu d'envisager que, dans ce grand service de rénovation énergétique, quelqu'un vienne sonner chez vous pour faire votre diagnostic et vous donner la liste des artisans. On aurait très bien pu avoir une solution semi-publique semi-privée. Celui qui rentre chez les Français, c'est le facteur. La Poste, qui a des dizaines de milliers de facteurs, fait face à une diminution du volume de courrier. Or, à qui la septuagénaire en milieu rural ouvre-t-elle sa porte ? Au médecin, au facteur ou au maire. C'est cette confiance qu'il faut créer. Je m'étonne toujours de l'existence de ces organismes qui coûtent cher en moyens humains alors que, tant que l'on ne fera pas de la dentelle, on ne parviendra pas à massifier.
Il s'agit en effet de parvenir à une meilleure détection, à un meilleur ciblage et d'être plus proactif pour aller à la rencontre des ménages. Vous citiez la Poste, plusieurs expérimentations ont déjà été menées. On a formé des facteurs pour aller chez les gens, pour distinguer rapidement si le logement a besoin d'être rénové. Les conclusions sont assez positives. Maintenant, ce dont nous avons besoin c'est de moyens pour déployer ces outils.
Différents acteurs travaillent à une meilleure utilisation des données. On dispose de nombreuses données : l'état du parc, les ménages, leur composition, leurs revenus. Cela permet de mieux cibler les ménages auxquels nous pouvons proposer des rénovations prioritairement. Ce sont des outils que les collectivités commencent à regarder de près. Plus largement, c'est un sujet bien identifié qui nécessite des moyens. Le volet de la détection initiale et de cette première approche plus proactive fait partie des discussions relatives au financement du service public mais nous ne savons pas si nous parviendrons à les financer. Si nous souhaitons réellement entrer dans une action de massification, il va falloir aller chercher de nouveaux ménages parce que les premiers convaincus, ceux que l'on pouvait atteindre facilement, ont déjà rénové leur logement.
Notre enjeu est d'être plus proactif pour déclencher la massification et de veiller à ne pas confondre massification et standardisation. Chaque opération de rénovation est unique, chaque ménage a un profil particulier et il faut parvenir à un dispositif qui satisfasse aux particularités de chacun et puisse être déployé à grande échelle. Pour cela nous avons vraiment besoin de constituer un ensemble d'acteurs engagés, que ce soit du côté de la Poste ou des médecins. Certains d'entre eux, dans le cadre d'expérimentations, participent à la détection des ménages en précarité. La Caisse d'allocations familiales peut aussi prendre sa part au dispositif. On a besoin de diversifier les manières de détecter ces ménages parce que connaître la typologie des ménages est l'enjeu premier pour apporter des réponses.
Vous avez évoqué la pertinence de disposer d'observatoires. Il en existe déjà à l'échelle régionale. Les informations collectées par ces différents observatoires le sont-elles selon le même format ? Peuvent-elles être connectées, partagées et compilées pour parvenir à une forme d'observatoire national ?
Nous avons plusieurs types d'observatoires. Dans chaque région, les observatoires pilotés par les cellules économiques régionales de la construction qui ont un GIE national ont un cahier des charges identiques. Nous avons là plutôt des chiffres liés au nombre d'artisans formés autour des dispositifs incitatifs au plan local des bâtiments rénovés ou des bâtiments construits. L'Observatoire BBC Effinergie comptabilise en outre les rénovations BBC. À tout ceci s'ajoutent les observatoires des opérateurs privés.
L'enjeu c'est de construire un observatoire national qui permettra d'agréger toutes ces données régionales éparses et de disposer d'un double pilotage : aux niveaux infranational et national. Il existe parallèlement de nombreuses bases de données : celles des DPE, du CITE, des audits du parc tertiaire. Il faut trouver le moyen de faire parler toutes ces données ensemble et, surtout – et c'est le message que nous faisons passer à nos collègues de l'administration qui travaillent sur cette question – qu'un observatoire dynamique utilise toutes les potentialités du numérique. Demain, un bon observatoire, bien pensé, peut vraiment être la clé de voûte d'un certain nombre de dispositifs ou de politiques d'information, de détection, de sensibilisation. L'accès à la donnée est donc un enjeu essentiel.
L'audition s'achève à onze heures cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique
Réunion du mercredi 24 juillet 2019 à 10 h 15
Présents. - M. Julien Aubert, Mme Jennifer De Temmerman, Mme Marjolaine Meynier-Millefert
Excusés. - M. Christophe Bouillon, Mme Véronique Louwagie