Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 16h25

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MISSION D'INFORMATION SUR L'APPLICATION DU DROIT VOISIN AU BÉNÉFICE DES AGENCES, ÉDITEURS ET PROFESSIONNELS DU SECTEUR DE LA PRESSE

Mercredi 29 septembre 2021

La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq.

(Présidence de Mme Virginie Duby-Muller)

La mission d'information auditionne M. Fabrice Fries, président-directeur général, et M. Christophe Walter Petit, directeur juridique de l'Agence France-Presse (AFP).

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Nous sommes dans un contexte mouvant pour les agences de presse dont le nombre baisse depuis des années. Pouvez-vous nous fournir des éléments de contexte sur l'AFP, sur les spécificités du secteur des agences de presse et sur l'impact des GAFA sur votre activité ? Vous pourrez bien sûr nous transmettre une contribution écrite au gré de l'actualité future puisque notre mission d'information s'étalera sur plusieurs mois.

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Fabrice Fries, président-directeur général de l'AFP

. Je vous remercie de nous entendre. Vous avez reçu la Fédération française des agences de presse et ses dirigeants vous ont expliqué qu'ils n'avaient pas eu les moyens de se porter partie devant l'Autorité de la concurrence. Ce rôle a été joué par l'AFP et il est consommateur d'énergie et de moyens, notamment de frais d'avocats.

L'AFP s'est beaucoup mobilisée dans ce combat pour la valeur de l'information. Au moment de l'élaboration de la directive, nous avons veillé, auprès des services de la Commission européenne, à ce que les agences soient pleinement éligibles au droit voisin. Nous nous sommes également mobilisés au moment du vote de la directive au Parlement européen, vote qui a été serré. Les acteurs du dossier reconnaissent le rôle joué par l'AFP, notamment à travers la tribune publiée par notre chef de bureau à Bagdad, Sammy Ketz, qui a réveillé les consciences. Il a fait le lien entre la paupérisation des rédactions et le coût du journalisme de terrain, ce que le vice-président de Google News m'a reproché quand je l'ai rencontré à Moutain View. Enfin, nous nous sommes portés partie plaignante, aux côtés de l'APIIG et du SEPN, devant l'Autorité de la concurrence. Notre argumentation juridique a été intégralement retenue par l'Autorité. Pour construire notre argumentaire, nous sommes appuyés sur les travaux parlementaires. Ils ont permis d'éclairer le débat et d'asseoir la décision de l'Autorité de la concurrence.

Par rapport aux autres agences, l'AFP dispose d'un périmètre mondial. Nous avons ouvert des discussions avec Google avec l'objectif de conclure un accord global. Ces négociations ont démarré avant l'été 2020 comme celles des éditeurs. Dès l'automne 2020, nous aurions pu signer un contrat dont le montant nous convenait, mais c'était un contrat purement commercial. Certains éditeurs de presse ont accepté ce type de contrat mais nous n'avons pas souhaité poursuivre, parce qu'il ne reconnaissait pas le droit voisin de l'AFP. Des discussions constructives se sont poursuivies tout au long du premier semestre 2021. Nous sommes parvenus à un pré-accord qui a fait l'objet d'une communication la veille de la décision de l'Autorité de la concurrence. Nous nous sommes mis d'accord sur une architecture d'ensemble du contrat et sur un montant.

Le contrat comporte une composante commerciale et une composante de droits voisins qui couvre l'ensemble de l'Union européenne. Il était cependant mélangé à un autre contrat d'images et c'est la raison pour laquelle il n'a pas encore été signé. Quand nous le signerons prochainement, nous serons les premiers à disposer d'un contrat de droits voisins avec un montant associé.

Google a déposé un recours contre la décision de l'Autorité de la concurrence, ce qui complique le bouclage des négociations, même si la décision de l'Autorité a conforté les positions de l'agence. Il a voulu détourer le contrat de licence de contenu de sa partie images et nous proposer de nous adresser des données afin que la négociation soit comparable à celles qu'il mène avec d'autres acteurs. Nous avons récusé cette proposition parce que nous considérons que nous ne ressemblons à aucun autre acteur de l'écosystème français. Nous sommes les seuls à avoir une présence mondiale et ce que nous négocions ne peut pas être un élément de comparaison.

Les négociations se poursuivent et l'équipe de négociation tient bon. Nous avons le souci de respecter l'engagement de nombreux parlementaires européens et nationaux sur l'idée qu'il fallait un contrat de droits voisins et non un contrat au contenu mal défini. J'espère que ces négociations aboutiront dans les prochains jours, même si tous les sujets sont prétextes à rediscussion et appellent une vigilance constante.

Vous avez évoqué les difficultés des agences. De nombreux observateurs considèrent que les agences ont un modèle économique complexe qui est remis en question mais l'AFP se porte bien. Elle a redressé ses comptes, c'est ce qui lui permit de tenir bon pendant les négociations. Nous aurions pu conclure un accord commercial en octobre 2020 et nous l'aurions sans doute fait si nos pertes avaient été importantes. Je n'ai pas besoin de ce contrat de droits voisins pour afficher de la croissance et des résultats positifs dans la durée.

L'AFP se bat pour des principes. Pour autant, cet argent nous permettra d'accélérer notre désendettement et de redistribuer, comme le prévoit la loi, une partie de cette valeur auprès des journalistes et peut-être au-delà. Enfin, je suis conscient que le monde des médias traverse une période très difficile. Notre santé dépend de celle de nos clients, qui souffrent et qui sont exposés à la crise de la publicité. Notre négociation est totalement distincte de celle des éditeurs mais nous avons intérêt à ce que l'écosystème de la presse puisse en bénéficier.

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J'ai noté que vous étiez en phase de finalisation d'un contrat de droits voisins. L'option de l'organisme de gestion collective (OGC) vous paraît-elle avantageuse ?

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Fabrice Fries, président-directeur général de l'AFP

L'organisation n'était pas encore en place quand nous avons démarré nos discussions. L'AFP aurait voulu privilégier une approche unitaire mais cela n'a pas été possible. Dès lors que cet OGC sera installé, nous serons prêts à le rejoindre, comme je l'ai dit, il y a déjà plusieurs semaines, à Jean-Marie Cavada, sous réserve que les statuts et la gouvernance nous conviennent, à l'exception des négociations avec Facebook et avec Google.

Les négociations avec Google vont bientôt aboutir et nous avons déjà une relation très structurée avec Facebook. Nous disposons d'un programme de fact-checking très ambitieux, financé par Facebook. En revanche, pour les négociations avec les autres acteurs, principalement Microsoft et Twitter, nous sommes prêts à rejoindre l'OGC. Je me réjouis donc de cette approche unitaire, malgré quelques réserves qui sont très bien comprises par Jean-Marie Cavada.

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Pouvez-vous réexpliquer la base de l'accord que vous êtes en train de mettre en place avec Google ? Pensez-vous que cet accord pourra servir de modèle de négociation pour les autres acteurs ?

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Fabrice Fries, président-directeur général de l'AFP

Les éditeurs n'ont pas besoin de l'AFP mais pour les autres agences, nous créons un mouvement vertueux. Pour autant, ce que nous négocions ne peut pas être utiles aux autres parce que nous sommes les seuls à disposer d'un périmètre mondial. Nous avons négocié un forfait, sans partir de critères particuliers, notamment parce que Google nous a dit qu'il n'était pas en mesure de nous fournir ces données. Cet accord comprend un volet de droits voisins purs et un volet commercial. Les montants sont clairement répartis sur les deux volets. La partie commerciale porte essentiellement sur le fact-checking. L'AFP est devenue un leader de la lutte contre la désinformation et Google financera la formation de journalistes au fact-checking. Le volet de droits voisins est extrêmement simple, il reconnaît le droit voisin de l'AFP dans l'Union Européenne.

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Par le passé, vous avez déjà eu des accords commerciaux avec Google. Pouvez-vous retracer les différentes périodes.

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Christophe Walter Petit, directeur juridique de l'AFP

Nous avions en effet conclu, aux États-Unis, un accord commercial se rapprochant du droit voisin après un précontentieux initié contre Google sur la base du droit d'auteur. Nous avons donné à Google un certain nombre de prestations qu'ils n'ont jamais utilisées et il nous a versé une somme d'argent. Au bout de 4 ans, Google a décidé de résilier ce contrat de manière unilatérale. Nous avons tenté avec nos avocats américains de reprendre le combat sur le terrain judiciaire, mais la jurisprudence ne nous était plus favorable et nous avons dû abandonner le combat aux États-Unis.

C'est à ce moment-là que la Commission européenne a annoncé son intention de mettre en place un droit voisin au profit des éditeurs de presse. Nous nous sommes battus pour que ce projet soit étendu aux agences de presse et nous avons mené une campagne de lobbying pour que cette directive soit adoptée et le droit voisin reconnu au bénéfice des éditeurs et des agences de presse.

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Avez-vous connaissance d'accords conclus entre Google et les autres agences de presse mondiales comme Reuters ?

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Christophe Walter Petit, directeur juridique de l'AFP

Nous savons qu'il existe un accord avec Reuters mais nous pensons qu'il est de nature commerciale. À ma connaissance, il n'y a pas d'accord entre Google et Associated Press.

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Avez-vous une idée de l'articulation possible entre le droit voisin et le droit d'auteur des journalistes ?

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Christophe Walter Petit, directeur juridique de l'AFP

Aujourd'hui, notre combat est d'essayer d'obtenir un droit voisin pour l'agence et nous ne sommes pas encore entrés dans le détail de sa répartition avec les journalistes. La direction juridique de l'AFP n'est composée que de 7 personnes alors que l'agence est présente dans 165 pays. Seuls Fabrice et moi négocions avec Google et nous changeons en permanence d'interlocuteur. C'est un dossier qui mobilise depuis deux ans une énergie considérable. Nous sommes proches d'un accord mais celui-ci n'a toujours pas été signé. Nous ne discuterons du partage avec les agents qu'une fois le droit voisin acquis.

Nous avons saisi l'Autorité de la concurrence, nous avons obtenu une décision favorable et des négociations ont démarré avec Google. Google a ensuite fait appel de cette décision. Nous sommes intervenus dans l'appel, tout en continuant à négocier. Nous avons gagné cet appel, Google a formé un pourvoi en cassation mais nous avons poursuivi nos discussions.

Nous avons à nouveau poursuivi Google pour non-respect des mesures conservatoires imposées par l'Autorité de la concurrence. Ces poursuites ont donné lui à une nouvelle décision dont Google a fait appel, remettant en cause les décisions du législateur, de l'Autorité de la concurrence et de la Cour d'appel. Nous travaillons donc sur cette dernière procédure, tout en continuant les négociations.

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Que pouvez-vous souffler au législateur pour avancer plus vite et pour que ce droit voisin soit enfin reconnu à sa juste valeur ?

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Fabrice Fries, président-directeur général de l'AFP

Nous avons bon espoir d'aboutir à un accord. Les négociations auraient sans doute été plus rapides avec un mécanisme d'arbitrage ou de médiation. Nous avons vu que cette approche avait été efficace en Australie, mais je ne pense pas qu'elle soit transposable en France en l'état.

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Christophe Walter Petit, directeur juridique de l'AFP

Nous sommes confiants sur la signature de notre accord avec Google, mais s'il devait ne pas aboutir, nous vous soufflerons des idées pour que cette loi puisse enfin être appliquée.

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Une des personnes que nous avons auditionnées faisait le parallèle avec la loi sur la modernisation de la distribution de la presse dans laquelle l'ARCEP devient l'arbitre. Si vos négociations bilatérales n'aboutissent pas, pensez-vous que l'intervention d'un arbitre pourrait être pertinente ?

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Christophe Walter Petit, directeur juridique de l'AFP

Quand deux parties ne parviennent pas à s'entendre, l'intervention d'un tiers peut être utile. Il faut cependant faire très attention aux modalités et nous vous communiquerons notre point de vue si vous décidez d'avancer dans cette voie.

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Fabrice Fries, président-directeur général de l'AFP

Nous espérons que nous n'aurons pas à recourir à cette extrémité. Le compte à rebours pour parvenir à un accord avec Google se compte désormais en jours.

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Christophe Walter Petit, directeur juridique de l'AFP

Je souhaite revenir sur la notion de publications de presse. Au début des négociations, Google considérait que les agences n'étaient pas éligibles au droit voisin parce qu'elles ne faisaient pas de publications de presse. La Cour d'appel est intervenue pour dire que l'AFP disposait d'un droit direct sur le droit voisin. Google a alors estimé que les publications de presse de l'AFP ne concernaient que son site BtoC et que l'activité BtoB n'était pas concernée par le droit voisin. Or l'AFP n'a que des activités BtoB. Notre raison d'être est de produire des contenus journalistiques et de les licencier auprès des éditeurs, qui les publient. Nous avons alors expliqué à Google que la notion de publication de presse était polysémique et que son acception matérielle devait l'emporter. Mis à part le site afp.com sur lequel elle publie quelques dépêches et quelques photos et qui a une audience très faible, l'AFP n'a aucune activité BtoC.

Par ailleurs, dans sa décision rendue le 13 juillet dernier, l'Autorité de la concurrence précise que : « Google a refusé aux agences de presse le bénéfice d'une rémunération de leurs contenus repris par les éditeurs en contradiction avec la loi, la décision de l'Autorité et l'arrêt de la Cour d'appel de Paris. » Sa position était donc claire et nous avons pu renégocier avec Google. Pour autant, Google a fait appel de cette décision et remet en cause cette acception décidée par le législateur, par deux fois par l'Autorité et par la Cour d'appel.

Vous avez évoqué l'aménagement des dispositions législatives. Nous vous suggérerons peut-être de préciser cette notion de publication de presse pour que les agences puissent avoir droit à la rémunération au titre du droit voisin.

La directive prévoit un partage équitable de la valeur et le droit voisin vise à rétribuer les investissements des acteurs. L'AFP est la seule agence internationale à être présente en Afghanistan. Au moment de la prise de pouvoir par les talibans, c'était la seule à pouvoir fournir des photos et des vidéos au monde entier, au prix de lourds investissements financiers. Avoir un bureau à Kaboul coûte très cher en termes d'investissement humain et d'investissement en risque. Ce sont bien des contenus des publications de presse des journalistes de l'agence qui ont été repris par les journaux du monde entier. Ce sont ces investissements que Google doit rétribuer et la valeur que l'agence apporte au monde entier.

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Fabrice Fries, président-directeur général de l'AFP

C'était l'objet de la tribune de Sammy Ketz qui a permis de faire basculer certains indécis dans le bon camp.

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Christophe Walter Petit, directeur juridique de l'AFP

Google considère que la rémunération des agences équivaut à double paiement. Il ne s'agit pourtant pas de payer deux fois. Le droit voisin des éditeurs rémunère les contenus journalistiques qu'ils produisent et celui des agences les contenus journalistiques publiés par les éditeurs mais produits par les agences. Les photos de l'Afghanistan doivent être rémunérées lorsqu'elles sont reprises par tel ou tel éditeur.

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Fabrice Fries, président-directeur général de l'AFP

Comme Google a fait appel de la décision de l'autorité, c'est un débat qui va perdurer, même si nous signons un contrat. Est-ce que nous l'aurons avec d'autres plateformes ? J'espère que cet appel n'aura pas d'effet d'entraînement et il est essentiel que l'AFP rappelle sa position sur ce sujet.

La réunion se termine à dix-sept heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 16 h 30

Présents. – Mme Émilie Cariou, Mme Virginie Duby-Muller, M. Laurent Garcia

Excusé. - Mme Catherine Daufès-Roux