Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • SPIP
  • insertion
  • prison
  • probation
  • pénitentiaire
  • récidive
  • réinsertion
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

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La réunion

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Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Jeudi 25 novembre 2021

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)

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Cette commission a été créée à la demande de du groupe Les Républicains en vue d'identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française. Ces difficultés sont constatées de longue date, mais les pouvoirs publics peinent à les corriger. Mme la rapporteure vous rappellera l'ensemble des thématiques que nous avons abordées ces dernières semaines sur toutes les questions liées à l'univers pénitentiaire.

Nous faisons le point ce matin sur l'insertion et la probation. Ce sujet constitue un des fils rouges de nos travaux, et a été évoqué lors des multiples auditions déjà effectuées et de nos visites de terrain. Nous avons vu comment certains centres pénitentiaires abordaient cette question de l'insertion et de la probation. Les membres de cette commission sont convaincus qu'un système carcéral intelligent et efficace doit rendre possible la réinsertion d'un maximum de détenus une fois leur peine purgée, et ce qu'elle qu'en soit la durée. La réinsertion constitue en outre un instrument de lutte contre la récidive. J'ajoute que nous avons déjà reçu l'ensemble des organisations syndicales de l'administration pénitentiaire, y compris celles représentant les différents corps de métier de l'insertion et de la probation.

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Nous souhaiterions dans un premier temps comprendre les raisons qui vous ont poussés à créer la Conférence nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation – CNDPIP.

Cette commission d'enquête s'est fixé un large cadre d'investigation. Nous avons pu évoquer des sujets en lien avec la surpopulation, le parc pénitentiaire ou encore les ressources humaines, notamment celles mises à disposition pour encadrer, surveiller et aider à la réinsertion des détenus. Nous savons que ces derniers sont en surnombre par rapport à la capacité d'accueil de nos établissements. Nous avons aussi parlé de l'accès au soin, à l'éducation, à l'activité, à la formation professionnelle et à la religion, ainsi que du traitement de la radicalisation et de l'accueil des mineurs en détention. Ce matin, nous nous intéressons plus particulièrement à l'insertion. Je souhaiterais établir un état des lieux tant quantitatif que qualitatif de la situation. Nos conseillers de probation ont-ils les moyens de travailler ? Nous avions été informés que le nombre de dossiers attribué aux conseillers était parfois impossible à traiter. Est-ce toujours le cas ? Quelles sont les méthodes de travail employées ? Comment voyez-vous l'avenir de vos services au sein de l'administration pénitentiaire ?

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L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(M. Alain Montigny et M. Édouard Foucaud prêtent successivement serment.)

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de probation

L'association que nous représentons est très récente. Elle rassemble des professionnels, des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation. Nous avons en effet souhaité nous réunir pour réfléchir et exprimer des idées sur notre champ professionnel, que nous avons vu évoluer au cours des dernières années. Cette initiative est née cet été, à la suite d'affaires très médiatisées durant lesquelles nos services ont été mis en cause. Nous pensons que l'administration pénitentiaire est bien trop souvent assimilée exclusivement à la prison. Pourtant, elle prend en charge environ trois fois plus de personnes en dehors des établissements pénitentiaires qu'à l'intérieur.

Ces dernières années, nous avons connu plusieurs tentatives de mise en place de véritables peines de probation, totalement déconnectées de la prison. Toutes ont malheureusement échoué, alors que nous sommes convaincus, en tant que professionnels, de l'efficacité des peines en milieu ouvert. La peine de prison ne constitue pas la seule et unique peine possible. Nous devrions sans doute davantage expliquer notre action auprès du public, pour que les citoyens soient mieux informés quant aux différentes peines qui existent. L'administration pénitentiaire devrait également rééquilibrer son discours, afin de changer la façon dont elle est perçue. En effet, à chaque fois qu'elle est mentionnée, la discussion se tourne vers la prison et le milieu fermé. Peut-être vous en êtes-vous rendu compte lors des auditions de ces dernières semaines. Bien sûr, ce domaine nous intéresse, nous y intervenons et avons beaucoup à en dire, notamment en ce qui concerne la surpopulation.

Nous pensons notamment être passés à côté d'une occasion historique d'endiguer ce problème. En raison de la crise sanitaire et d'un effort commun des magistrats, des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation – CPIP – et de tous les acteurs impliqués, le nombre de détenus s'était fortement approché du nombre de places en prison l'année dernière. Nous espérions tirer des leçons de ce chiffre historique, réfléchir à des moyens de tenir la surpopulation à distance. Pourtant, nous constatons que nous nous rapprochons progressivement des records historiques de surpopulation carcérale un an plus tard. Malgré la jeunesse de notre association, nous souhaitons formuler quelques propositions à ce sujet.

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de la Conférence nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion

L'association que nous représentons est très récente. Elle rassemble des professionnels, des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation. Nous avons en effet souhaité nous réunir pour réfléchir et exprimer des idées sur notre champ professionnel, que nous avons vu évoluer au cours des dernières années. Cette initiative est née cet été, à la suite d'affaires très médiatisées durant lesquelles nos services ont été mis en cause. Nous pensons que l'administration pénitentiaire est bien trop souvent assimilée exclusivement à la prison. Pourtant, elle prend en charge environ trois fois plus de personnes en dehors des établissements pénitentiaires qu'à l'intérieur.

Ces dernières années, nous avons connu plusieurs tentatives de mise en place de véritables peines de probation, totalement déconnectées de la prison. Toutes ont malheureusement échoué, alors que nous sommes convaincus, en tant que professionnels, de l'efficacité des peines en milieu ouvert. La peine de prison ne constitue pas la seule et unique peine possible. Nous devrions sans doute davantage expliquer notre action auprès du public, pour que les citoyens soient mieux informés quant aux différentes peines qui existent. L'administration pénitentiaire devrait également rééquilibrer son discours, afin de changer la façon dont elle est perçue. En effet, à chaque fois qu'elle est mentionnée, la discussion se tourne vers la prison et le milieu fermé. Peut-être vous en êtes-vous rendu compte lors des auditions de ces dernières semaines. Bien sûr, ce domaine nous intéresse, nous y intervenons et avons beaucoup à en dire, notamment en ce qui concerne la surpopulation.

Nous pensons notamment être passés à côté d'une occasion historique d'endiguer ce problème. En raison de la crise sanitaire et d'un effort commun des magistrats, des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation – CPIP – et de tous les acteurs impliqués, le nombre de détenus s'était fortement approché du nombre de places en prison l'année dernière. Nous espérions tirer des leçons de ce chiffre historique, réfléchir à des moyens de tenir la surpopulation à distance. Pourtant, nous constatons que nous nous rapprochons progressivement des records historiques de surpopulation carcérale un an plus tard. Malgré la jeunesse de notre association, nous souhaitons formuler quelques propositions à ce sujet.

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Édouard Foucaud, membre de la CNDPIP

Le nouveau directeur de l'administration pénitentiaire est un professionnel issu de notre corps. Il s'agit d'une véritable chance pour nous, car il connaît en effet l'importance du milieu fermé et du milieu ouvert. Cette nomination est peut-être le signe qu'il est temps que les responsables des services pénitentiaires d'insertion et de probation – SPIP – prennent la parole et deviennent force de proposition auprès de notre administration. Cette mobilisation importante des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation – DPIP – témoigne de leur volonté d'adopter une posture proactive.

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Comment expliquez-vous ces échecs du processus de réinsertion ? Comment, selon vous, peut-on assurer le succès d'un parcours d'insertion et de probation ? Quel en serait le paradigme ? Je souhaiterais connaître votre avis personnel.

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Alain Montigny

Nous avons créé cette association pour nous permettre une certaine liberté de ton que le directeur de l'administration pénitentiaire comprend. Nous restons fonctionnaires et sommes soumis au devoir de réserve. En nous exprimant dans ce cadre associatif, nous faisons le choix de dire ce que nous pensons. Je suis fier d'être directeur et d'appartenir à cette administration, et je souhaite l'accompagner dans sa réflexion sur ces différentes thématiques.

L'échec que j'ai mentionné faisait référence aux tentatives de création d'une peine de probation autonome, et non aux parcours de réinsertion. Il est impossible de parler d'échec, même si nous savons que l'accompagnement des publics placés sous main de justice n'est jamais linéaire, et que tout ne se passe pas toujours aussi bien que nous le voudrions, la récidive pouvant même faire partie du parcours. Malheureusement, tous les condamnés ne sortent pas aussi vite de la délinquance que nous le souhaiterions. Les besoins des personnes que nous accompagnons ne sont pas les mêmes. Les programmes que nous mettons en place, nos manières de les accompagner, diffèrent. Notre mode d'action consiste à prendre le temps d'évaluer les besoins des publics, les risques qu'ils représentent, avant de nous engager dans une modalité d'intervention qui peut être diversifiée, entre programmes de prévention de la récidive – PPR –, groupes de parole, travail individuel, etc.

Nous travaillons depuis longtemps au sein de l'administration pénitentiaire et avons vu naître les SPIP. Notre expérience du passé nous permet d'adopter une vision qui se veut très différente d'une posture syndicale. Le directeur de l'administration pénitentiaire, après s'être interrogé sur notre démarche, a bien compris notre envie de participer à la réflexion du moment. Les États généraux de la justice, ainsi que votre commission d'enquête, nous ont conduits à accélérer notre réflexion. Nous sommes portés par l'envie d'apporter des propositions et des perspectives, et de parler de ce que nous vivons au quotidien.

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Édouard Foucaud, membre de la CNDPIP

On demande souvent à l'administration pénitentiaire de s'exprimer sur l'insertion. Elle n'est pourtant pas seule à porter cette question, qui relève de l'ensemble de la collectivité : les services de l'État, les collectivités territoriales, etc. Ne faisons pas porter la responsabilité de l'insuccès de la réinsertion aux seuls SPIP, là où tous les autres acteurs ont échoué avant nous, à commencer par la famille, l'école ou l'entreprise.

Créés assez récemment, les SPIP ont une compétence départementale, qui n'est pas assez reconnue par notre administration ni par l'extérieur. Les élus savent l'importance de l'échelon départemental. La CNDPIP souhaite transmettre le message que cet échelon est pertinent dans le cadre de notre mission de prévention de la récidive. Il permet de décliner les politiques nationales selon les spécificités locales. Il s'agit certainement de ce qu'attendent nos concitoyens : une action plus claire et plus réaliste. Un CPIP ne fera pas le même métier selon qu'il travaille au quartier des prévenus de Fleury-Mérogis ou en milieu ouvert à Vannes, par exemple. Ce sont deux contextes de travail très différents. Si cet échelon départemental est reconnu par nos partenaires, ce n'est pas tout à fait le cas au sein de notre organisation pénitentiaire. Peut-être faudrait-il changer le nom des SPIP pour y ajouter la notion de service départemental ? Nous sommes souvent sollicités par les préfets, les directions de l'emploi, les finances publiques, les CAF – caisses d'allocations familiales. Cet échelon départemental est tout à fait pertinent, et j'aimerais qu'il soit retenu comme un axe d'amélioration possible. Analyser notre public à l'échelle départementale pourrait en outre apporter une aide aux politiques, aux élus ainsi qu'aux responsables de service dans leurs prises de décisions.

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Vous lancez des pistes de réflexion méritant d'être approfondies. Les effectifs des SPIP ont été multipliés par cinq ces quinze dernières années. Sont-ils à présent suffisants pour assurer votre mission ? Cette montée en puissance des SPIP a-t-elle permis une meilleure réinsertion ? Bien sûr, la récidive peut faire partie du parcours de réinsertion, elle relève de la désistance. Il est difficile d'arrêter de « délinquer » du jour au lendemain. Pour autant, la récidive reste un indicateur important. Elle doit diminuer petit à petit, individuellement, et cette diminution doit se voir sur le plan statistique. Vous est-il possible d'affirmer que l'augmentation de vos effectifs et la professionnalisation de vos conseillers ont permis d'entraîner une baisse de la récidive ?

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Alain Montigny

Si l'augmentation de nos effectifs est une réalité, elle s'accompagne d'une augmentation massive des effectifs du public pris en charge. Nous n'avons pas encore atteint le taux d'encadrement reconnu comme norme internationale d'un conseiller pour soixante personnes suivies. Toutefois, l'administration pénitentiaire a fourni un important travail de réflexion sur les organigrammes de référence, et nous savons que ce taux fait figure d'objectif et que nous sommes sur la bonne voie. Nous pouvons être rassurés sur cette question. Ces dernières années, d'autres efforts ont été menés pour faire évoluer les modalités de prise en charge du public et professionnaliser les personnels.

La question de l'évaluation constitue un problème propre à la France. En effet, nous ne pouvons nous appuyer que sur des études parcellaires, et peu nombreuses, ou sur des convictions acquises au regard d'études internationales. Une des demandes de notre association est effectivement de nous doter d'outils d'analyse qui nous permettraient de disposer d'informations claires à transmettre lors de nos réunions départementales par exemple. Nous pourrions ainsi informer le préfet, ou encore le procureur de la République, en leur fournissant de véritables cartographies. L'administration pénitentiaire dispose encore d'une marge de progression importante sur ce sujet, notamment en ce qui concerne la récidive. En effet, nous sommes toujours sceptiques face aux chiffres mis en avant, car nous ne comprenons pas toujours sur quels éléments ils s'appuient.

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Édouard Foucaud, membre de la CNDPIP

Les services se sont structurés, mais nous sommes encore au milieu du gué. Les SPIP sont pluridisciplinaires. Actuellement, les postes d'assistants sociaux, de psychologues ou encore d'assistants culturels ne sont toujours pas internalisés à nos services. Nous devons formuler des propositions très concrètes à ce sujet : ces postes doivent faire partie de nos effectifs, et ne plus dépendre de marchés publics, ou de budgets contractuels. Nous devons stabiliser nos équipes afin de pouvoir réaliser une analyse pertinente de notre public qui devient de plus en plus complexe. Nous avons besoin de regards croisés.

Je tiens par ailleurs à souligner une démarche portée par notre nouveau directeur de l'administration pénitentiaire, fortement soutenue par la CNDPIP : la professionnalisation des personnels administratifs à travers la création de greffes, à la fois dans les établissements pénitentiaires et dans les SPIP. Cette démarche revêt deux intérêts. Elle permet une valorisation du travail effectif et une évolution statutaire des personnels administratifs, qui ne sont souvent pas assez reconnus, et présente également un intérêt en matière d'exécution des peines et leur efficacité. Plus nos greffes seront performants, plus nous aurons la capacité de prendre en charge rapidement les peines en provenance du service des exécutions des peines – SEP – des tribunaux. C'est une réalité. Nous serons en mesure de procéder de façon très professionnelle. Il existe pour cela des pistes, par exemple rapprocher l'École nationale d'administration pénitentiaire et l'école des greffes. Il est nécessaire de soutenir cette démarche pertinente. Un important recrutement a été réalisé au niveau des CPIP, qui s'est accompagné d'une évolution statutaire en catégorie A. C'est une bonne chose. Toutefois, au sein de la CNDPIP, nous considérons que l'encadrement de tous ces personnels nécessite des compétences extrêmement techniques, les DPIP sont en difficulté. En effet ils sont soumis à de nombreuses contraintes juridiques, sociales, de management. Une revalorisation de leur statut est nécessaire. Si cette revendication ne relève pas de la CNDPIP, nous attendons un travail important des organisations syndicales et de la nouvelle direction des SPIP.

Pour ce qui est de l'évaluation des retombées de notre travail, l'enjeu réside dans la stabilisation des postes. Des millions d'euros ayant été investis pour renforcer les SPIP, il est légitime que nous rendions compte de leur utilisation. Nous sommes actuellement en train de réfléchir à la mise en place de pôles d'évaluation et de communication dans chaque SPIP, autrement dit dans chaque département. Ces pôles accueilleront des personnels différents, des attachés présentant par exemple des profils de statisticiens ou de sociologues, afin de réaliser des suites de cohorte de personnes prises en charge par le SPIP selon la façon dont elles sont prises en charge, bénéficiant par exemple d'un programme de prévention de la récidive. Nous pourrions ainsi constater les incidences de notre travail sur la récidive au bout de quelques années. Il n'est pas normal que ce type d'outils ne soit toujours pas mis en place. Je voudrais par exemple pouvoir me rendre à un Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance – CLSPD – et informer les élus du nombre de personnes suivies par le SPIP, du nombre de personnes sortant de détention, et des actions déployées auprès d'elles. En France, nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur des chercheurs, je pense notamment à l'université de Rennes qui pourrait nous accompagner dans la création d'outils de suivis destinés à ces pôles.

Enfin, l'administration pénitentiaire doit pouvoir contrôler la communication autour de la délinquance afin d'éviter les éventuelles instrumentalisations politiques. La dimension départementale de ces pôles se révélerait très pertinente à l'occasion d'un état-major de sécurité élargi. Dans notre conception, l'administration pénitentiaire y aurait toute sa place et apporterait une valeur ajoutée aux éléments fournis habituellement uniquement par la gendarmerie et la police.

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Nous avons fréquemment entendu, lors de nos auditions, que si la prison s'est largement ouverte, elle ne dispose toujours pas de la place qu'elle devrait occuper dans la cité. Tisser ce lien pourrait consister à informer les maires. En effet, je constate au quotidien dans mon travail de député que les maires n'ont pas connaissance du nombre de personnes de leur commune qui sont suivies, détenues, délinquantes, auteures de violences conjugales, etc. En effet, comment se mobiliser sur ce sujet alors qu'on ignore que la population de sa propre ville produit de la délinquance ?

Vous n'avez pas parlé des conseils départementaux. Faut-il également établir un lien avec eux ?

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Alain Montigny

Les conseils départementaux sont des partenaires réguliers sur plusieurs thématiques. Nous aimerions voir naître un jour des commissions d'évaluation des politiques de probation et d'insertion coprésidées par le préfet et par nous-mêmes. De cette façon, nous pourrions rendre visible la totalité des programmes que nous mettons en place. La création de telles commissions impliquerait sans doute une réflexion autour de l'habilitation des associations qui œuvrent dans notre champ. Nous sommes convaincus que nous devrions passer à ce que la protection judiciaire de la jeunesse – PJJ – appelle un « secteur habilité ». Ce secteur devrait être habilité, financé et contrôlé par le SPIP.

Les associations qui œuvrent dans notre champ sont extrêmement compétentes, mais les relations avec elles sont parfois compliquées par le fait que nous n'intervenons pas dans la phase d'habilitation et que nous ne sommes par le service systématiquement saisi pour la mise en place d'une peine alternative, au même titre que la prison est systématiquement saisie pour appliquer une peine ferme. Il faudrait réfléchir à un parallélisme des formes entre la peine de probation – si elle est vraiment créée un jour – et la peine de prison. En effet, cette dernière est mise en œuvre par l'administration pénitentiaire et par l'établissement d'accueil, alors que les mesures alternatives ne sont pas systématiquement mises en place ou suivies par le service public. Cette discussion avec certaines associations s'annonce difficile, mais nous sommes convaincus de la nécessité de réfléchir à cette question de secteur habilité. Nous devons et sommes prêts à faire figure de responsables, y compris dans le cadre d'une commission d'évaluation qui associerait le préfet, le président du conseil départemental et l'ensemble des partenaires, de la même manière que les commissions de surveillance des établissements pénitentiaires associent tous ces partenaires.

Cela implique qu'une peine de probation soit vraiment créée, ce qui figure d'ailleurs parmi les propositions de modification et de simplification des réponses pénales que nous avons formulées. Il y a beaucoup à faire autour de ce sujet pour que le public et les condamnés puissent comprendre les différentes peines, ce qui n'est pas toujours le cas pour l'instant.

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Je préside l'association Territoires et Prisons, dont l'objectif est de mettre en relation l'administration pénitentiaire et les élus locaux. Nous endossons par exemple le rôle de médiateur dans le cadre de la création de la nouvelle prison de Magnanville, dans les Yvelines. Nous avons constaté que les maires et les agriculteurs ne sont pas informés, alors que des terres vont être préemptées. Cette association a pour but de remettre les élus locaux, maires, conseillers départementaux ou régionaux, au cœur des dispositifs dont vous parlez. Ils n'ont pas souvent droit à la parole, alors que je pense qu'ils pourraient être d'une grande aide sur ces questions.

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Quelles sont vos propositions au sujet de la peine de probation ?

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Alain Montigny

Cette question relève d'une réflexion autour de la visibilité de notre action. Nous sommes convaincus qu'il est nécessaire de nous diriger vers une simplification des réponses pénales, en ne proposant que trois types de peines : l'amende, la peine de probation et la peine de prison. Chacune de ces peines pourrait être assortie d'un sursis. De cette façon, le fait qu'une peine peut se purger ailleurs qu'en prison serait peut-être plus lisible. Dans l'idéal, ce système devrait également prévoir le temps nécessaire après le prononcé de la peine pour évaluer les besoins et les risques que présente la personne condamnée, afin de proposer un contenu qui serait ensuite validé par l'autorité judiciaire. La peine de probation pourrait consister à réaliser du travail d'intérêt général – TIG – et être soumise à une surveillance électronique sans doute appelée « assignation probatoire ». En effet, le nom des peines a souvent une incidence sur la façon dont elles sont prononcées. On pourrait imaginer du sursis probatoire, du sursis probatoire renforcé, une prise en charge collective, individuelle.

Nous nous appuierions bien sûr sur l'évaluation que nous sommes en mesure de réaliser pour déterminer les conditions de prise en charge. Les personnels sont aujourd'hui formés à l'évaluation, et ces dernières années ont démontré que les CPIP sont tout à fait à même de déterminer quels partenariats actionner selon les situations. Si nous étions un service travaillant avec un secteur habilité, nous pourrions proposer différentes interventions avec nos divers partenaires dans le contenu de la peine après cette phase d'évaluation.

Nous savons que cette démarche a été initiée par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. La création de la détention à domicile sous surveillance électronique – DDSE peine – témoigne d'une volonté d'affirmer que certaines peines peuvent être purgées à l'extérieur de la prison. Pourtant, la DDSE peine est très peu prononcée, ce qui prouve que cette idée a du mal à prendre sa place. Comment se fait-il que les lois aient tant de mal à s'appliquer ? Il existe sans doute des explications. Peut-être les magistrats ont-ils encore besoin de s'habituer à la prononcer, et les avocats à la plaider. L'appellation « DDSE » ne constituait peut-être pas le meilleur choix car c'est également le nom de l'aménagement de peine sous surveillance électronique, ce qui a généré une grande confusion. En effet, depuis que ces deux peines existent, il ne se passe pas une semaine sans qu'elles soient confondues.

Par ailleurs, la mise en œuvre de la LPJ à quelques jours du démarrage de la crise sanitaire et du premier confinement n'a sans doute pas permis à tous les personnels concernés de se lancer dans son application. Il s'agissait d'une période où nous nous réunissions pour y réfléchir. Je pense notamment au département de l'Isère, où les magistrats, le SPIP, et les établissements pénitentiaires cherchaient à trouver le public adapté à cette nouvelle peine. L'arrivée de la crise sanitaire a mis un frein à toute cette phase de réflexion, même si nous avons pu la poursuivre un petit peu grâce aux outils de réunion à distance. Toutefois, nous n'avons pas pu aller au bout.

Nous nous demandons si la DDSE peine est en train de prendre le même chemin que la contrainte pénale, précédente peine de probation. Nous serions les premiers à regretter que la seule peine identifiée comme étant détachée de la prison n'arrive pas à être appliquée. Souvent, une question revient quant à ces peines alternatives : comment sont-elles sanctionnées si elles ne fonctionnent pas ? Il s'agit là d'un véritable paradoxe. En effet, on ne se pose jamais cette question au sujet de la prison. Il reste beaucoup de travail sur ces questions.

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Édouard Foucaud, membre de la CNDPIP

Pour conclure, nous devons garder en tête que la probation française reste à construire. Cet objectif sera atteint le jour où les professionnels du droit, tels que les avocats ou les magistrats, prononceront des peines de probation sans faire référence à la prison. Il s'agit un bel objectif à poursuivre pour les années à venir.

La réunion se termine à dix heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Philippe Benassaya