La réunion débute à 9 heures 30.
Présidence de Mme Naïma Moutchou, vice-présidente.
La Commission examine la proposition de loi pour garantir l'égalité et la liberté dans l'attribution et le choix du nom (n° 4853) (M. Patrick Vignal, rapporteur).
Nous examinons ce matin la proposition de loi pour garantir l'égalité et la liberté dans l'attribution et le choix du nom, déposée le 21 décembre par Patrick Vignal et les membres du groupe La République en marche. Le 27 décembre, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée ; le texte sera examiné en séance publique le 26 janvier.
La proposition de loi simplifie, pour un citoyen, la possibilité de choisir, pour nom d'usage ou pour nom de famille, le nom du parent qui ne lui a pas été transmis. Il ne s'agit pas de revenir sur les modalités de dévolution du nom de famille, de déconstruire la famille et encore moins, comme j'ai pu l'entendre, d'effacer la place des pères, mais de répondre aux attentes de milliers de Français. Afin d'éviter toute équivoque, je souhaite préciser la portée de chacun des articles.
L'article 1er porte sur le nom d'usage, qui peut être utilisé dans les rapports avec l'administration mais qui n'est pas inscrit à l'état civil et ne peut se transmettre aux enfants. Le nom d'usage à raison de la filiation, consacré par la loi du 23 décembre 1985 relative à l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux, ne figure pas dans le code civil, contrairement au nom d'usage à raison du mariage. Il vous est proposé de le codifier, afin d'en garantir l'accessibilité. Par cohérence avec ce qui est déjà possible en matière de nom d'usage à raison du mariage, ou de nom de famille, l'article 1er prévoit que toute personne majeure peut porter à titre d'usage le nom de l'autre parent, par substitution ou adjonction.
L'article 2 porte sur le nom de famille, qui est inscrit à l'état civil et se transmet aux enfants. Il vous est proposé d'ouvrir une nouvelle procédure simplifiée de changement de nom, qui s'ajoutera à la procédure prévue aux articles 61 à 61-4 du code civil. Celle-ci suppose de saisir le ministre de la justice, de témoigner d'un intérêt légitime et d'accomplir des formalités, payantes, de publication au Journal officiel. Il faut attendre au minimum deux ans l'admission de la requête, qui demeure incertaine. Certes, la mise en œuvre de la procédure n'est pas aussi restrictive qu'il y a trente ans, les pratiques ayant évolué sous la pression de la Cour européenne des droits de l'homme. Alors que seuls quelques motifs étaient recevables – changer un nom ridicule ou difficilement prononçable, empêcher l'extinction d'un nom ou relever celui d'un illustre ancêtre –, le Conseil d'État reconnaît depuis 2012 qu'un motif affectif peut être légitime. C'est une avancée.
Mais est-ce au ministère de la justice d'apprécier la douleur d'une personne qui ne souhaite plus porter le nom d'un parent violent ou qui l'a délaissée, et qui, notamment, ne veut pas le transmettre à ses propres enfants ? Faut-il imposer à cette personne une procédure longue et payante ? Je ne le pense pas.
Je propose de simplifier la procédure dans le seul cas où il s'agit, pour une personne, de prendre, par adjonction ou substitution, le nom du parent qui ne lui a pas été attribué. Le texte prévoit qu'elle peut en faire la demande devant l'officier d'état civil de son lieu de naissance. Je vous proposerai un amendement visant à prévoir qu'il peut s'agir de l'officier de l'état civil du lieu de résidence. Cette procédure est réservée aux majeurs et ne peut être utilisée qu'une seule fois au cours de la vie ; le choix du nom est limité aux noms issus de la filiation. Cette procédure demeure inscrite dans le cadre familial et ne permet en aucun cas de choisir un nom fantaisiste.
Comme dans le cadre de la procédure administrative de changement de nom, le changement de nom acquis sur le fondement de cette procédure simplifiée s'étend de plein droit aux enfants du bénéficiaire lorsqu'ils ont moins de 13 ans, et sous réserve de leur consentement au-delà.
Il n'est pas prévu de procédure d'opposition semblable à celle figurant à l'article 61 du code civil. En revanche, les deuxième à cinquième alinéas de l'article 61-3-1 étant applicables, en cas de difficultés, l'officier de l'état civil peut saisir le procureur de la République, lequel peut s'opposer à la demande ou y faire droit.
Le changement de nom sera systématiquement inscrit dans le registre de naissance. Un avis de mention sera transmis aux officiers de l'état civil détenteurs des autres actes de l'état civil concernés – ceux du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité (PACS) et des enfants.
Cette procédure simplifiée s'inscrit dans le cadre du choix du nom issu de la filiation. Les autres demandes devront continuer d'être formulées sur le fondement de l'article 61 du code civil.
L'article 3 supprime la représentation obligatoire du majeur protégé par son représentant légal aux fins de déposer devant l'officier de l'état civil la demande de changement de prénom. Cette mesure permet de mieux garantir l'autonomie des majeurs protégés pour les prises de décisions relatives à leur personne.
L'article 4 prévoit de différer au 1er juillet 2022 l'entrée en vigueur de la proposition de loi afin de permettre à l'administration et aux services de l'état civil de prendre en compte les nouvelles procédures.
Depuis le dépôt de cette proposition de loi, je reçois chaque jour de nouveaux témoignages. Des milliers de personnes attendent une procédure simple et non coûteuse qui leur permette d'effectuer ce changement de nom, qui touche à l'intime, plus librement. C'est ce que contient cette proposition de loi, inspirée par un idéal de liberté et d'égalité.
Le nom de famille est doté d'une double nature – institution de police civile et droit subjectif –, reflet de sa double fonction sociale et privée. Le corpus juridique qui l'encadre, miroir de l'évolution de notre société, a subi de nombreuses modifications depuis les années 2000. Référence patriarcale hier, le nom est devenu en 2002 un marqueur de l'égalité dans le couple lorsqu'il a été possible d'attribuer le nom de la mère seul ou accolé au nom du père. Cette égalité peut encore être renforcée en donnant à l'enfant la liberté de manifester son attachement à l'un de ses parents ou de s'émanciper d'une histoire douloureuse. C'est ce que propose ce texte, qui vise à élargir les conditions du port du nom non transmis à la naissance, soit comme nom d'usage, soit comme nom de famille.
Les parents, séparés ou non, se retrouvent trop souvent dans des situations délicates lorsque l'enfant ne porte pas leur nom : lors de l'inscription à l'école ou aux activités, de l'admission à l'hôpital, on leur pose des questions, on leur demande des justificatifs. Cela pollue la vie quotidienne de nombreux Françaises et Français. Il nous est proposé de codifier la procédure qui permet aux parents de choisir que leur enfant porte, à titre d'usage, le nom de l'autre parent, par adjonction ou par substitution.
Il nous est aussi proposé de simplifier la procédure de changement de nom, prévue à l'article 61 du code civil. La requête présentée au garde des Sceaux doit être fondée sur la démonstration de l'existence d'un intérêt légitime. Ce n'est que récemment, en 2014, que la jurisprudence du Conseil d'État, influencé par la Cour européenne des droits de l'homme, a évolué : l'enfant devenu adulte peut désormais évoquer un motif affectif. Cependant, la procédure demeure longue – deux ans entre le dépôt de la demande et la décision –, et coûteuse.
L'article 2 prévoit une procédure simple qui donne à l'enfant devenu adulte le choix d'ajouter à son nom celui de l'autre parent ou de porter le seul nom de l'autre parent, en lieu et place de celui qui lui a été donné à la naissance. La procédure consiste en la saisine de l'officier de l'état civil, qui portera le nom en marge de l'acte de naissance. Il ne sera pas nécessaire d'évoquer un motif, ce qui permet d'embrasser toutes les possibilités – volonté de ne pas voir s'éteindre le nom de l'autre parent, marquer un attachement et une reconnaissance ou, à l'inverse, se détacher symboliquement, pour des raisons liées à la maltraitance, par exemple.
Le groupe La République en marche, convaincu de la nécessité de cette proposition de loi, basée sur des principes d'égalité et de liberté, votera en sa faveur.
Cette proposition de loi n'est pas anodine. Il ne s'agit pas simplement de faciliter la vie quotidienne d'un certain nombre de nos concitoyens confrontés, lors de leurs relations avec les services publics pour l'accomplissement de démarches anodines à des difficultés liées par exemple au fait que leur nom de famille est différent de celui que porte leur enfant. La société a changé, la composition des familles a évolué, et la lourdeur de certaines procédures peut conduire à des situations ubuesques, qui s'apparentent même à une forme de violence administrative. Nous avons tous reçu dans nos permanences des mères ou des pères élevant seuls un enfant portant le nom de leur ancien conjoint, ce qui entraîne pour eux des difficultés considérables. Il faut avoir ces situations à l'esprit, et mon groupe est évidemment favorable à ce que l'on remédie aux difficultés rencontrées par ces personnes. Toutefois, il ne faut pas oublier non plus certains grands principes d'organisation de notre société.
Dans nos permanences, nous recevons également des personnes en quête d'identité, à la recherche de leur filiation – car, parfois, notre société cherche aussi ses racines. Or, en matière de nom de famille, les règles juridiques ont été construites sur le grand principe du droit romain en vertu duquel seule l'identité de la mère est certaine – mater semper certa est. Parfois, dans des discussions comme celle-ci, il est bon de rappeler certaines évidences. Cette locution, que nombre de spécialistes de droit civil ont rencontrée au cours de leur carrière, est de celles qui servent à figer des principes, en l'occurrence la capacité à se souvenir d'où l'on vient. Il n'en demeure pas moins qu'il faut aussi apporter des réponses aux personnes pour lesquelles la filiation est synonyme de violence, parfois même d'inceste. Notre société n'accepte plus de tels faits. Il importe de trouver des solutions pour ces cas individuels.
Du fait du vecteur juridique qui est proposé, à savoir une proposition de loi, le texte n'est accompagné ni d'une étude d'impact ni d'un avis du Conseil d'État. Or c'est un pan important du droit de la filiation qu'il est proposé de modifier. L'approche retenue nous paraît donc fragile. Qui plus est, le droit de la filiation et les règles de transmission du nom ont déjà beaucoup évolué au cours des dernières années. Modifier les règles d'attribution du nom de famille, c'est toucher à ce qui constitue le cœur du droit de la filiation.
Nous partageons la préoccupation consistant à faciliter la vie administrative des gens, comme le propose l'article 1er. C'est une nécessité. Nous partageons également la volonté de simplifier la procédure de changement de nom dans un certain nombre de cas difficiles, notamment pour permettre le choix du nom du parent qui n'est pas synonyme de violence ou de maltraitance. Pour autant, il faut se garder de faire preuve d'une trop grande légèreté, comme celle qui consiste à confier la procédure à un simple officier de l'état civil. Si les grandes collectivités ont des services de l'état civil importants, il arrive que, dans les petites communes, le maire soit seul pour effectuer ces missions et se trouve confronté à des situations qu'il connaît personnellement, dans lesquelles il ne lui est pas facile d'apporter une réponse ou de trancher.
Lors de la discussion des articles, nous défendrons plusieurs dispositions. À l'issue de l'examen du texte, la position de mon groupe dépendra de l'équilibre qui aura été trouvé entre la préservation de certains grands principes en matière de filiation et la nécessité de faciliter la vie de nos compatriotes.
Un nom de famille, c'est bien plus que quelques lettres écrites sur un morceau de papier : c'est une identité, un lien qui nous ancre dans une histoire, entre le passé et l'avenir ; c'est un héritage, avec le poids qu'il comporte, et une responsabilité qui incombe à l'enfant avant même que celui-ci en ait conscience.
On a longtemps parlé de « patronyme » ; désormais, il est question de « nom de famille ». Alors que l'automaticité de l'attribution du nom du père était voulue, dans le but d'attacher un sujet à sa lignée en l'inscrivant de façon visible dans une continuité généalogique, il est désormais possible pour les parents, depuis la loi de mars 2002, de choisir entre le nom du père et celui de la mère, voire d'accoler les deux. Si le choix est désormais libre, 80 % des parents donnent à leur enfant le nom du père, et celui de la mère seul n'est choisi que dans 1 % des cas. Bien souvent, il est admis, consciemment ou non, que la mère donne naissance et que le père donne son nom. Cela n'est pas vécu comme un sacrifice, mais comme un équilibre dans le rapport à l'enfant.
Si le groupe MODEM n'est pas défavorable à la présente proposition de loi, il nous apparaît nécessaire, en parallèle, de travailler à une meilleure connaissance et application de la loi de 2002. En effet, si le combat pour l'égalité femmes-hommes est multiple concernant l'enfant, cette égalité est davantage à aller chercher du côté du rôle de chacun des parents plutôt que dans le choix du nom de l'enfant.
Nous avons déposé un amendement visant à modifier le titre de la proposition de loi afin que celui-ci soit davantage en adéquation avec l'objet du texte. Elle serait ainsi « relative au choix du nom issu de la filiation ». En effet, il s'agit ici non pas d'égalité entre les sexes mais d'identité à travers le choix d'un nom – et pas n'importe lequel : l'un de ceux issus de la filiation.
Les dispositifs relatifs à l'attribution du nom conviennent à une majorité des Français. Lors des auditions menées dans le cadre de la préparation de l'examen de la proposition de loi, plusieurs experts ont d'ailleurs clairement indiqué que le texte visait à répondre à des situations spécifiques et qu'il fallait se garder d'en faire une règle générale. Il ne paraît pas pertinent de présenter cette proposition de loi comme une nouvelle liberté qui serait offerte, car si l'on en faisait une règle générale, celle-ci irait à l'encontre de la règle de l'immutabilité du nom de famille, à laquelle les Français sont très attachés.
Toutefois, il existe de vraies difficultés, par exemple lorsqu'une mère a la garde de son enfant et que celui-ci a pour unique nom celui du père. Si ce dernier refuse que le nom de la mère soit au minimum accolé au sien, cela provoque des difficultés : la mère doit sans cesse prouver sa maternité. Cela vaut également pour un père ayant la garde d'un enfant portant seulement le nom de la mère. Il est donc nécessaire de faire évoluer la loi pour faire face à de telles situations.
À cet égard, l'article 1er, qui codifie les règles relatives au nom d'usage pour les mineurs, représente une réelle avancée. Néanmoins, nous avons quelques interrogations et remarques. Comment le consentement des enfants de plus de 13 ans sera-t-il recueilli ? Selon nous, la procédure doit être précisée. Pourquoi ne pas envisager que l'enfant se rende devant l'officier de l'état civil ou qu'il puisse donner son consentement par écrit ?
Concernant l'article 2, relatif au changement du nom de famille, nous sommes attachés au fait que celui-ci ne puisse se faire qu'une seule fois au moyen de la procédure simplifiée. Il convient en effet de ne pas trop s'éloigner de la procédure renvoyant à un motif légitime.
Nous avons une petite réserve quant au fait de faciliter la substitution du nom de famille, car cela heurte le principe d'immutabilité. Par ailleurs, il convient de faire attention à l'impact que le changement de nom pourrait avoir sur des enfants, notamment de moins de 13 ans, qui, sans avoir donné leur libre consentement, se retrouveraient prisonniers d'une décision qui concerne leurs parents. Un enfant ayant changé de nom avant ses 13 ans sans avoir eu à donner son consentement pourra-t-il utiliser la même procédure à sa majorité s'il s'avère que ce choix ne lui convenait pas ? Enfin, que se passerait-il si, dans une fratrie constituée de deux enfants, le premier, âgé de 11 ans, n'avait pas à donner son consentement, tandis que l'autre, âgé de 14 ans, refusait le changement de nom ?
Cette proposition de loi vise à assouplir les règles relatives au nom d'usage pour les enfants, sur décision des parents. Elle vise surtout à assouplir la procédure de changement de nom pour les enfants devenus majeurs, par simple déclaration devant un officier d'état civil. Il est des lois qui changent les choses et ouvrent des perspectives, il en est d'autres qui accompagnent le changement et répondent à l'expression de besoins ; assurément, ce texte ressortit à la seconde catégorie.
Dans notre pays, pendant très longtemps, l'enfant légitime portait exclusivement le nom de son père. Celui de la mère pouvait seulement être ajouté, à titre d'usage, mais n'était pas transmissible. La loi du 4 mars 2002, sous le gouvernement Jospin, a supprimé la transmission automatique et exclusive du nom du père à l'enfant, en vigueur depuis la loi du 6 fructidor an II. Elle a permis aux parents de choisir le nom de famille de l'enfant : soit celui du père, soit celui de la mère, soit leurs deux noms accolés, dans l'ordre choisi par eux.
La loi du 17 mai 2013 est allée un peu plus loin : depuis ce texte, en cas de désaccord entre les parents, l'enfant peut porter les noms des deux parents, accolés par ordre alphabétique. Initialement, il était prévu que les deux noms de famille accolés soient la règle, non seulement en cas de désaccord entre les parents, mais aussi lorsque ces derniers négligeaient d'indiquer expressément à l'officier de l'état civil leur volonté de ne transmettre qu'un des deux noms de famille.
En la matière, la tradition reste donc forte, et elle produit des effets pour nos concitoyens.
Aujourd'hui, si l'on veut changer de nom de famille, on doit apporter la preuve d'un motif légitime. La proposition de loi va modifier cette donne.
L'article 1er permet à toute personne majeure de porter à titre d'usage le nom de famille du parent qui ne lui a pas transmis le sien, par substitution ou adjonction à son propre nom – dans l'ordre qu'elle choisit et dans la limite d'un nom de famille pour chacun des parents. Cette faculté est ouverte aux enfants mineurs et elle sera mise en œuvre par le titulaire de l'autorité parentale. C'est une bonne chose.
L'article 2 ouvre la procédure simplifiée de changement de nom par déclaration devant l'officier de l'état civil dépositaire de leur état civil aux personnes majeures qui souhaitent substituer ou adjoindre à leur propre nom, le nom de famille du parent qui n'a pas été transmis. C'est une bonne avancée. L'article 3 prévoit les conditions d'exercice de cette faculté pour les majeurs protégés.
Cette proposition de loi va dans le sens de la responsabilité et de la liberté des parents, et elle s'inscrit dans un mouvement législatif auquel les députés du Groupe socialistes et apparentés ont contribué de longue date. Ils voteront donc en faveur de ce texte.
Cette proposition de loi concerne un sujet qui est rarement abordé dans le débat public, mais qui pose pourtant des problèmes récurrents à nombre de nos concitoyens. Je salue pour commencer le travail du rapporteur.
En droit français, il existe une certaine sacralisation du nom de famille. Il constitue en effet notre identité administrative, ce qui nous rattache à la société. C'est la raison pour laquelle il est si difficile d'en changer. Le nom est aussi ce qui relie à la famille, et le plus souvent à la branche paternelle. C'est un héritage du code civil napoléonien, lequel était le reflet d'une époque où les femmes n'avaient pas les mêmes droits que les hommes. La société en porte encore l'empreinte, même si le droit consacre désormais l'égalité.
La proposition de loi comprend deux avancées principales.
La première consiste à simplifier le quotidien des familles, et en particulier des mères et des enfants, en indiquant dans le code civil qu'il est possible pour l'enfant d'utiliser le nom de sa mère en plus de celui du père, ou inversement. Le texte va même plus loin que la pratique en permettant de substituer le nom de la mère à celui du père, ou inversement. Il ne s'agit pas de revenir sur les règles de dévolution du nom de famille, mais bien de faciliter l'usage du nom du parent qui n'a pas transmis son nom à l'enfant au moment de la naissance.
La question du nom de famille se pose quasi systématiquement lors d'un divorce. Dans de nombreux cas, l'enfant porte depuis sa naissance le nom de son père, alors que la mère reprend l'usage de son nom patronymique. Elle ne porte dès lors plus le même nom que son enfant et se retrouve dans une situation où elle doit continuellement justifier le lien de filiation pour les activités du quotidien. Beaucoup de mères m'ont expliqué combien il est fatiguant de prouver que leur fils est bien leur fils. Cela crée de fait une situation d'inégalité par rapport à l'autre parent.
À l'adjonction du nom d'usage, désormais codifiée, s'ajoutera la possibilité de la substitution. En pratique, soit les deux époux seront d'accord pour le nouveau nom d'usage de l'enfant, soit ils ne le seront pas et la décision reviendra au juge aux affaires familiales. L'enfant devenu majeur pourra également décider de faire usage du nom de sa mère.
La seconde avancée de la proposition de loi réside dans la création d'une procédure simplifiée de changement de nom parmi les noms issus de la filiation. Chaque personne majeure pourra décider de changer de nom une fois dans sa vie, en s'adressant directement à l'officier de l'état civil. Quand on porte un nom, on porte aussi une histoire. Il y a de très belles histoires ; il y en a beaucoup qui sont plus difficiles, voire sombres. Je pense par exemple à l'enfant qui n'a pas connu son père et qui en a dû porter le nom sans connaître la personne qui le lui a transmis. Je pense aussi aux enfants qui ont été victimes de violences de la part d'un de leurs parents et qui doivent porter le nom du coupable comme un fardeau. C'est une forme de double peine qui est infligée à la victime. Aussi est-il de notre devoir de permettre à ces personnes, devenues majeures, de tirer un trait sur ce passé en changeant de nom, sans qu'elles aient à s'engager dans d'éprouvantes démarches, trop complexes et interminables. Selon un reportage diffusé sur TF1, chaque année au moins 2 000 Français veulent changer de nom, mais seulement un tiers d'entre eux y parviennent.
Même si la procédure de changement de nom est simplifiée, elle fera toujours l'objet d'un encadrement strict pour ménager le principe de stabilité de l'état civil. Le recours à cette procédure sera donc limité à une utilisation au cours de la vie d'adulte, avec pour seul choix possible le nom du parent qui n'a pas été transmis – par substitution ou adjonction.
Pour conclure, cette proposition de loi offrira de nouveaux droits et libertés à nos concitoyens, ainsi que davantage d'égalité entre les femmes et les hommes. C'est pourquoi le groupe Agir ensemble la soutiendra.
Les révolutionnaires avaient en leur temps innové en prévoyant que le nom légal des femmes ne serait plus celui de leur mari mais celui de leur père, et ce pour toute leur vie. C'était peut-être une avancée à l'époque, mais totalement insuffisante aujourd'hui.
Le nom relève de l'intime. Beaucoup de personnes sont venues dans ma permanence car elles souhaitaient changer de nom, parce qu'elles avaient été maltraitées ou abandonnées. Cette proposition de loi bienvenue permettra de simplifier les procédures pour ceux qui ont du mal à porter le nom de leur géniteur – passer devant un tribunal est lourd.
En tant qu'enseignant, j'ai pu mesurer combien cela peut être compliqué lorsque l'enfant ne porte pas le même nom que le parent qui exerce l'autorité parentale.
Il faut assouplir tout cela et c'est la raison pour laquelle le groupe Libertés et territoires soutiendra cette proposition de loi.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutient également cette proposition de loi, qui s'inscrit dans une évolution du droit à l'œuvre depuis maintenant plusieurs décennies. On a beaucoup évoqué la loi de 2002 depuis le début de notre discussion. Elle avait déjà permis aux parents qui le souhaitaient de choisir le nom du père, de la mère ou des deux.
La proposition de loi va plus loin. Elle correspond à une évolution de la famille et répond à beaucoup de souffrances, comme l'ont évoqué de nombreuses associations dont notamment le collectif Porte mon nom. Derrière ce désir de changement on trouve un père absent, inconnu ou violent. Il ne s'agit donc pas de répondre à un caprice ou à une coquetterie, mais à une douleur de l'enfant ou de l'enfant devenu adulte. D'une certaine manière, ne pas pouvoir changer de nom équivaut presque à une condamnation à perpétuité.
L'évolution proposée est selon nous très positive. Souvent la loi ne précède pas l'évolution de la famille et de la société, mais elle s'y adapte. C'est le cas avec cette proposition de loi et nous l'approuvons pleinement.
Cette proposition de loi est présentée comme un texte de simplification, mais il ne s'agit pas que de ça – vous en convenez d'ailleurs. Elle suscite des interrogations et est loin d'être anodine, car elle aura des conséquences importantes.
Si l'on s'en tient aux quelques cas qui ont été le plus souvent cités ici ou dans la presse, les choses paraissent évidentes. Nous sommes touchés par les exemples de cette femme qui a divorcé et qui doit prouver en permanence qu'elle est bien la mère de ses enfants, parce qu'elle ne porte plus le même nom. Ou par ceux de personnes qui ont été brutalisées, violées ou tout simplement abandonnées par un père dont elles ne veulent plus porter le nom. Et l'on se dit qu'on pourrait faire évoluer la législation.
Pour autant, votre proposition de loi pose également de vraies questions, pour lesquelles les réponses sont beaucoup moins évidentes puisqu'il n'y a pas eu d'étude d'impact – et pour cause. Je me méfie toujours un peu des nouvelles lois qui sont guidées par l'émotion. Le nom de famille remplit une double fonction : il contribue à la construction des identités individuelles, mais il constitue aussi un outil de police générale.
Cette loi va-t-elle permettre à des débiteurs de se soustraire plus facilement à leurs obligations, ou à des délinquants d'échapper aux poursuites judiciaires ? D'un point de vue plus philosophique, le nom du père est un moyen de reconnaître ce dernier dans la filiation, et ce n'est pas neutre. La proposition de loi ne va-t-elle pas bouleverser encore un peu plus la construction de l'identité ? Sylviane Agacinski elle-même s'interroge et déplore « un terrible démontage du droit civil », en relevant que « L'état civil, c'est l'institution de la personne dans son identité sociale, son inscription symbolique dans une généalogie, un ordre qui ne dépend pas d'elle, et chacun ne peut pas décider de la loi commune. » En 2020, 4 293 demandes de changement de nom ont été déposées et seulement 44 % d'entre elles ont été acceptées. Savez-vous pourquoi ? Pour ma part, je n'ai pas trouvé la réponse.
La proposition de loi risque de donner le sentiment d'un état civil à la carte. Quelles seraient les conséquences sur l'organisation de l'État si les Français changeaient massivement leur nom de famille ?
Cette proposition part évidemment d'une bonne intention, mais elle soulève des questions qui sont loin d'être mineures et dont les conséquences pourraient n'apparaître que dans plusieurs années. C'est pourquoi j'attends d'avoir des réponses à mes questions avant de me prononcer.
Cette proposition de loi va au-delà d'une simplification des procédures et soulève un certain nombre de questions. Contrairement aux apparences, le sujet traité n'est pas anodin : je regrette donc que nous ne disposions ni de l'étude d'impact ni de l'avis du Conseil d'État qui accompagnent les projets de loi.
Le nom de famille ne relève pas uniquement de la sphère privée. Il compte énormément dans la sphère publique, et ce n'est pas un hasard si François Ier a, dans l'ordonnance de Villers-Cotterêts, fondé l'état civil sur le principe de l'immutabilité du nom. Certes, le droit actuel admet le changement de ce dernier dans certaines circonstances particulières – notamment s'il est perçu comme ridicule ou lourd à porter en raison de l'histoire ou de faits personnels –, et nous convenons tous qu'il existe d'autres situations récemment mises en avant, déjà évoquées ce matin, qui justifient un changement de nom permettant d'échapper au poids d'une histoire familiale qui peut être terrible. Cependant, le nom n'est pas un élément accessoire de l'identité : il inscrit l'individu dans une lignée, dans une famille, dans une fratrie.
L'article 1er n'appelle pas de remarque particulière et ne pose aucune difficulté : la loi prévoit déjà la possibilité de porter un nom d'usage, et il me paraît opportun d'inscrire ce dernier à l'état civil. En revanche, le nom dépasse l'identité individuelle dans la mesure où il renvoie aussi à une identité familiale. Aussi le droit individuel d'en changer prévu à l'article 2 aura-t-il pour effet de déstructurer des fratries. Pour des raisons diverses n'ayant rien à voir avec l'objectif recherché par la présente proposition de loi – protéger des personnes ayant vécu des situations familiales très particulières, notamment de violences –, les membres d'une même fratrie pourront porter des noms tout à fait différents, ce qui posera de véritables difficultés. Voir son frère ou sa sœur changer de nom peut être vécu comme un drame et troubler la relation affective avec les parents.
L'état civil à la carte que vous voulez instituer n'apporte pas toutes les réponses souhaitées et suscite de véritables interrogations. Ce droit généralisé de changer de nom me paraît aller trop loin : il affecte l'ensemble de la société et peut-être même l'ordre public. Pour ma part, j'attends que l'on apporte un certain nombre de réponses à nos questions et que l'on propose une limitation de ce nouveau droit.
Vos questions sont légitimes ; nous nous les sommes nous-mêmes posées.
Nous avons auditionné Mme Adeline Gouttenoire, professeure agrégée de droit privé et de sciences criminelles à l'Université de Bordeaux ; Mme Irène Théry, sociologue, directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) ; Mme Caroline Bovar, docteure en sociologie ; Mme Frédérique Le Doujet-Thomas, maîtresse de conférences à l'Université de Lille ; M. Jean Latizeau, président de l'association SOS Papa ; M. Cédric Dolain, président, et M. Gérald Postansque, secrétaire général de Généalogistes de France ; M. Arthur Gachet, directeur conseil chez DGA Interel, conseil de Généalogistes de France ; Mme Marine Gatineau-Dupré, fondatrice et porte-parole du collectif Porte mon nom, et Mme Alicia Ambroise-Follet, avocate de ce collectif ; M. Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice, M. Pierre-Calendal Fabre, adjoint à la cheffe du bureau du droit des personnes et de la famille, et Mme Raphaëlle Wach, rédactrice au sein du même bureau.
Je peux comprendre que vous vous interrogiez sur l'absence d'une étude d'impact, mais la direction des affaires civiles et du sceau nous a confirmé que les dispositions de la proposition de loi étaient bien bordées juridiquement.
Non, madame Ménard, cette proposition de loi n'a pas été rédigée sur le coup de l'émotion. Elle vise à prendre en compte certaines souffrances mais n'enlève rien à personne. Elle vise seulement à redonner de la liberté dans une relation de couple.
Monsieur Gosselin, les membres de certaines fratries portent déjà des noms différents. Dans le cadre des familles recomposées, il arrive que des enfants portent des noms différents par exemple. Il n'y a donc rien de nouveau.
Madame Luquet, l'article 61-3 du code civil dispose que « tout changement de nom de l'enfant de plus de 13 ans nécessite son consentement personnel lorsque ce changement ne résulte pas de l'établissement ou d'une modification d'un lien de filiation ». Nous ne voulons pas déroger à ce principe ; dès lors, il est impossible d'imposer le même nom à tous les enfants d'une fratrie.
Mes chers collègues, nous avons jusqu'à samedi, dix-sept heures, pour déposer des amendements en séance. Nous sommes tout à fait ouverts à vos propositions visant à améliorer cette proposition de loi.
Article 1er (art. 225-1 et 311-24-2 [nouveau] du code civil et art. 43 de la loi n° 85‑1372 du 23 décembre 1985 relative à l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs) : Codification du nom d'usage à raison de la filiation et ouverture dans ce cadre du choix de la substitution de nom
Amendement CL12 de M. Patrick Vignal.
Il s'agit de préciser que seuls les parents exerçant l'autorité parentale peuvent décider du nom d'usage d'un enfant mineur. Nous voulons ainsi éviter qu'une personne exerçant l'autorité parentale par délégation puisse procéder au changement du nom d'usage. Comme vous pouvez le constater, nous souhaitons que les dispositions de notre proposition de loi soient bien bordées juridiquement.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'amendement rédactionnel CL13 de M. Patrick Vignal.
Amendement CL14 de M. Patrick Vignal.
Cet amendement vise à aligner la rédaction de l'article 1er sur celle de l'article 60 du code civil.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'article 1er modifié.
Article 2 (art. 61-3-1 du code civil) : Création d'une procédure simplifiée de changement de nom parmi les noms issus de la filiation
Amendement CL24 de M. Patrick Vignal.
Imaginez que vous êtes né dans la belle ville de Montpellier ou de Béziers et que vous travaillez en Martinique ou dans une autre collectivité d'outre-mer. Si vous voulez déposer une demande de changement de nom, doit-on vous obliger à revenir dans votre commune de naissance ? Afin de simplifier le dispositif, nous proposons que cette demande puisse être déposée auprès de l'officier de l'état civil du lieu de naissance ou du lieu de résidence.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'amendement rédactionnel CL15 de M. Patrick Vignal.
Elle adopte l'article 2 modifié.
Article 3 (art. 60 du code civil) : Consentement des majeurs protégés à leur changement de prénom
La commission adopte l'amendement rédactionnel CL16 de M. Patrick Vignal.
Elle adopte l'article 3 modifié.
Article 4 : Entrée en vigueur de la proposition de loi
La commission adopte l'article 4 non modifié.
Titre
Amendement CL10 de Mme Aude Luquet.
Comme je l'ai déjà expliqué et comme nous avons pu le constater lors des auditions, cette proposition de loi ne relève pas de l'égalité entre les sexes mais de l'identité des personnes à travers le choix de leur nom. C'est pourquoi nous proposons qu'elle soit intitulée « relative au choix du nom issu de la filiation ».
Je vous remercie d'avoir déposé cet amendement, auquel je donne un avis favorable. En effet, le titre actuel de la proposition de loi pourrait laisser croire qu'une personne aurait la possibilité de changer de nom comme elle le voudrait.
La commission adopte l'amendement et le titre est ainsi rédigé.
La commission adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
La réunion se termine à 10 heures 20.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Erwan Balanant, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, M. Éric Ciotti, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Camille Galliard-Minier, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Philippe Latombe, Mme Alexandra Louis, M. Fabien Matras, Mme Emmanuelle Ménard, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, Mme Naïma Moutchou, Mme Valérie Oppelt, M. Didier Paris, M. Stéphane Peu, M. Jean‑Pierre Pont, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, M. Patrick Vignal.
Excusés. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Ian Boucard, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, M. Philippe Dunoyer, Mme Lamia El Aaraje, M. Jean-François Eliaou, Mme Isabelle Florennes, Mme Paula Forteza, M. Mansour Kamardine, M. Guillaume Larrivé, M. Olivier Marleix, M. Ludovic Mendes, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. Pacôme Rupin.
Assistait également à la réunion. - Mme Aude Luquet.