Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 8 octobre 2020 à 10h30

Résumé de la réunion

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  • ONPE
  • avère
  • confinement
  • enfance
  • préoccupante
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La réunion

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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 8 octobre 2020

La séance est ouverte à dix heures quarante-cinq.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

La Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse procède à l'audition de Mme Violaine Blain, directrice générale du Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED).

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. Nous accueillons Mme Violaine Blain, que je remercie d'être parmi nous. Vous êtes directrice générale du Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED). Financé à parité par l'État et les départements, le GIPED compte deux entités. En premier lieu, le service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger (SNATED), avec son numéro gratuit, le 119, répond aux appels concernant des situations d'enfants en danger ou en risque de l'être : ses écoutants conseillent, orientent les appelants et, si nécessaire, transmettent les informations au département. En second lieu, l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) a pour objectif d'améliorer les connaissances en matière de protection de l'enfance par le recensement des pratiques de prévention, de dépistage et de prise en charge des enfants en danger, ainsi que par le recueil et l'analyse des données sur la protection de l'enfance : nous savons tous qu'en partageant ces données, nous pourrons mieux travailler collectivement sur chaque enfant en tant qu'individu.

Je précise que vous nous avez transmis, en amont de votre audition, deux documents établissant un premier bilan de l'activité du 119 pendant le confinement, ainsi que quelques premières observations sur la gestion de la crise sanitaire en protection de l'enfance. Ces documents qui s'avèrent très précieux nous permettent de constater la force hausse des appels auprès du 119 pendant le confinement, et du nombre d'informations préoccupantes transmises, par comparaison avec la même période en 2019, ainsi que l'augmentation de la proportion des appels de la part des voisins.

Le rapport établi par l'ONPE dresse les premiers constats sur la protection de l'enfance, notamment les tensions contrastées et constatées dans certains départements, sur les offres d'accueil et les difficultés rencontrées au titre des droits de visite et d'hébergement.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de jurer de ne dire que la vérité et toute la vérité. Je vous propose donc de commencer par ce serment.

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Violaine Blain, directrice générale du Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED)

Je jure de dire la vérité lors cette audition.

En préambule, je vous remercie pour cette invitation. Je tenais à excuser Mme Michèle Berthy, présidente du GIPED, retenue par ses obligations de vice-présidente du conseil départemental du Val d'Oise.

Je vais asseoir mes propos de ce matin sur des travaux qui s'appuient à la fois sur l'expérience des services (et plus particulièrement du numéro national de l'enfance en danger, le 119) durant la période du confinement et même au-delà, et sur l'initiative prise par l'ONPE dès le début du confinement : il fallait en effet récolter des connaissances et étudier cette période inédite, s'agissant notamment des enfants confiés aux services de protection de l'enfance. L'ONPE a donc d'emblée engagé un travail qui constitue désormais un retour sur expérience. Il a fait l'objet d'une première publication en mai 2020 et un deuxième rapport, qui viendra la compléter, devrait paraître d'ici la fin de l'année, l'objectif étant notamment d'élargir le cercle des acteurs qui dans la première publication, n'avaient pu être interrogés (magistrats, directeurs territoriaux de la protection judiciaire de la jeunesse…).

Cette période a été particulièrement complexe à traiter, parce qu'il s'est agi de mettre en place, en très peu de temps, l'organisation à distance d'un service qui existe depuis près de trente ans. En effet, le SNATED a dû, d'une manière extrêmement rapide, réorganiser son service qui fonctionne 24 heures sur 24, sept jours sur sept et s'avère, en principe, localisé à Paris. En l'espèce, lorsque le confinement a été décidé, nous faisions face à un énorme problème technique : les écoutants n'étaient pas dotés de matériel nomade permettant la mise en place de la continuité du service. Dans un réel élan de solidarité, les professionnels ont été réunis et ont accepté d'organiser la prise des appels à domicile, sur la base de leur matériel personnel, soit un téléphone portable et un ordinateur portable personnel, sachant qu'il existe une nécessité de traçage des appels pour ouvrir des dossiers susceptibles d'être transmis au département, au travers de fiches d'informations préoccupantes.

En outre, nous avons dû réaménager complètement nos procédures de travail pour permettre l'accueil des appels, qui ont été massifs puisque plus de 56 % d'appels entrants supplémentaires ont été enregistrés pendant la période du confinement. Cette augmentation était en partie liée à d'importantes campagnes de communication. Les écoutants ont donc dû à la fois s'adapter à une nouvelle organisation de travail et à une hausse de leur activité.

De plus, un important travail d'articulation entre le 119 et les Cellules de recueil d'informations préoccupantes (CRIP), soit les services opérationnels en charge du recueil des situations d'enfants en danger ou en risque de l'être, dans les départements, a immédiatement été initié, afin de s'assurer que les appels transmis seraient accueillis et traités et donc, que les enfants seraient protégés.

Enfin, il était essentiel pour nous de comprendre comment le dispositif français de protection de l'enfance avait été impacté et avait dû s'adapter à cette crise. C'est pourquoi, dès les premiers jours du confinement, l'ONPE a activé des contacts avec les directeurs Enfance Famille, en charge de la mission de protection de l'enfance dans les départements. Or il est très rapidement devenu nécessaire de soutenir ces professionnels, assez isolés du fait d'une très forte charge de travail. Il était donc important de pouvoir travailler en réseau, avec eux et auprès d'eux, en lien avec d'autres acteurs, afin d'accompagner la pensée et la réflexion dans une période de crise qui faisait la part belle à l'immédiateté.

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. Merci beaucoup. Marie-George Buffet va vous poser ses premières questions.

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Je souhaiterais connaître votre appréciation du taux de connaissance de ce numéro d'appel par les enfants eux-mêmes. L'obligation d'affichage dans les écoles est-elle suffisante ? Existe-t-il d'autres voies ? Des associations nous ont par exemple parlé de son inscription dans les carnets scolaires.

Par ailleurs, qui appelle ? Vous avez parlé d'un afflux d'appels, ce qui nous a un peu étonnés, car lors d'une précédente audition, une période de sidération nous a été signalée sur les trois premières semaines. Ces appels viennent-ils d'adultes de la famille, d'adultes voisins, etc. ? Quelle est la part d'enfants dans ces appels ? Comment accompagne-t-on la prise de parole de ces enfants au téléphone ? Quelles sont les démarches des personnes qui reçoivent ces appels ?

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Violaine Blain, directrice générale du Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED)

L'augmentation des appels n'a effectivement pas été immédiate ; pour autant, elle a été relativement rapide. Au cours de la première semaine de confinement, beaucoup d'appels étaient en lien avec la compréhension de ce qui se passait. Nous étions repérés comme un numéro national et il s'agissait d'accompagner les enfants privés d'école et les parents qui avaient besoin d'aide. J'en profite pour rappeler que le 119 est un numéro de téléphone à la fois ouvert aux enfants et aux parents, et au-delà, à tous les adultes. Il est important de comprendre que le 119 oriente presque la moitié de ses appels vers des actions de soutien et d'accompagnement des parents ou de l'entourage, par rapport à une situation donnée. L'autre moitié des appels fait l'objet d'informations préoccupantes transmises aux départements. Le 119 a donc été repéré comme un lieu de soutien et de conseil, à un moment où beaucoup de services médico-sociaux étaient fermés.

Par ailleurs, les campagnes massives de communication ont aussi fait monter en flèche la charge d'activité, nécessitant d'ailleurs une augmentation du personnel écoutant grâce à des recrutements, d'une part, et à l'augmentation des heures complémentaires, d'autre part. Le repérage du 119 s'avère relativement bon parmi les enfants. La Fondation pour l'Enfance avait opéré un sondage il y a trois ans, selon lequel le 119 était la première ligne téléphonique citée par les enfants. Le code de l'action sociale et des familles prévoit en effet un affichage obligatoire du 119 dans tous les lieux qui reçoivent habituellement des mineurs, de sorte que très tôt, un partenariat avec l'Éducation nationale a été conduit. Tous les ans, près de 100 000 affiches sont adressées dans les 60 000 établissements scolaires du territoire national et ultra-marin.

Pour autant, il est important de renforcer cette obligation d'affichage, la loi la prévoyant dans tous les lieux qui accueillent des mineurs. À ce titre, le 119 s'avère engagé dans plusieurs types de conventionnement avec diverses instances, dont récemment avec le ministère des Sports, particulièrement sensibilisé à la question des violences sexuelles. Nous avons également signé un partenariat avec l'Ordre des médecins et un autre est en cours de construction avec l'Ordre des pharmaciens. Enfin, nous multiplions les envois auprès des départements. Tout ce travail est à l'œuvre, mais nous pourrions peut-être imaginer être davantage aidés au titre de ce déploiement, afin d'assurer une visibilité du 119 la plus forte possible. En effet, le caractère obligatoire de cet affichage n'est pas forcément aisé à mettre en œuvre sur un plan opérationnel : nous disposons ainsi d'un budget de communication relativement restreint pour éditer ces affiches. Afin de le renforcer, nous pourrions faire en sorte que des ministères ou institutions puissent mobiliser une partie de leurs crédits sur la diffusion du 119.

Nous participons en outre à des actions de formation, car il est important de pouvoir expliquer ce qu'est le 119. En effet, derrière l'obligation d'affichage, il s'avère également nécessaire de porter les missions de ce service, pour permettre de libérer la parole sur des sujets qui peuvent être très complexes et dont les personnes ne s'autorisent pas toujours à parler. Bref, il convient de faire en sorte que le 119 soit bien intégré en tant qu'acteur du dispositif de protection de l'enfance susceptible d'être sollicité, de manière confidentielle, quelles que soient les situations. En effet, ces psychologues sont soumis au secret professionnel.

S'agissant du type d'appelants, le 119 reçoit, en temps normal, 12 % d'appels d'enfants qui appellent pour eux-mêmes, ce total atteignant 16 % si l'on inclut les mineurs qui appellent pour des camarades. Or, pendant la période du confinement, ce chiffre est monté à plus de 21 %. Nous pouvons souligner l'effet positif des campagnes de communication qui, pour certaines, étaient vraiment destinées aux enfants, afin qu'ils rompent l'isolement dans lequel ils pouvaient se trouver. En effet, il ne s'agissait pas seulement de prendre en charge des violences physiques, mais aussi d'offrir un soutien psychologique à des enfants qui ne s'autorisaient pas forcément à parler de leurs difficultés.

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. Pouvez-vous nous préciser de quoi souffraient ces enfants et ce qu'ils évoquaient ? Il y avait sans doute beaucoup de solitude pendant cette période. Quelles étaient leurs questions et quelles étaient les réponses ?

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Violaine Blain, directrice générale du Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED)

En temps normal, les enfants en difficulté du fait de violences physiques ou psychologiques adoptent des stratégies de contournement et à ce titre, recherchent des relais à l'extérieur (école, amis, clubs de sport, associations). Ces relais représentent des formes de soupape pour eux, des lieux où ils se posent face à des climats familiaux extrêmement tendus et compliqués à supporter.

Pendant toute la période de confinement, les appels ont porté sur des situations d'enfants qui pour certains, présentaient des symptômes dépressifs, notamment en raison de la perte des repères de leurs routines habituelles. Il pouvait aussi s'agir d'enfants qui vivaient très mal le discours initial porté sur eux en tant que vecteurs de maladie, voire de mort pour leurs grands-parents. Ces discours qui les présentaient comme de mauvais objets ont été très impactants. Ensuite, nous avons également eu affaire à des enfants qui exprimaient des situations de violences réelles.

Nous avons toutefois pu noter que finalement, la diversité des contenus d'appels n'a que peu évolué : les appels signalant des violences psychologiques ont certes légèrement augmenté, mais les campagnes de communication avaient beaucoup incité les voisins à appeler ; or les écoutants critérisent ce type d'appels dans les violences psychologiques. Les appels pour violences physiques sont restés à peu près au même niveau. Les appels en lien avec des violences sexuelles et des négligences ont quant à eux diminué. En effet, le 119 n'est pas un numéro de téléphone auprès duquel la question des violences sexuelles est fréquemment exposée : ces appels représentent 6,5 % des appels que nous recevons et là, nous sommes tombés à 4 % environ, d'autant que dans la promiscuité du confinement, il s'avérait encore plus difficile de libérer la parole sur ces questions-là. Ces situations devraient se révéler maintenant, au travers d'un certain nombre d'acteurs tels que les unités d'accueil médico-judiciaires pédiatriques et les écoles. Quant aux négligences, elles sont souvent repérées par l'entourage extérieur, lorsque l'enfant évoque un manque autour de ses besoins fondamentaux (nourriture, vêtements adaptés) ; or là, nous n'avions pas d'observateurs extérieurs permettant de capter ce type de situation.

S'agissant ensuite des appels des adultes, je tiens à souligner l'augmentation du nombre d'appels des voisins de 10 à 16 %, sous l'effet pédagogique des campagnes de communication qui incitaient les voisins à s'inscrire dans une posture citoyenne de protection que tout un chacun doit aux enfants dans une société digne de ce nom. Ces appels nous ont permis de constater que quand les communications sont précises, elles sont efficaces, mais ils ont aussi conforté l'un de nos constats estivaux : ainsi, chaque été, les voisins appellent davantage qu'en temps normal, tout simplement parce que les uns et les autres se côtoient beaucoup plus en période de congé, et parce que les fenêtres sont ouvertes.

Pendant la période du confinement, nous avons transmis quelque 30 % d'informations préoccupantes supplémentaires aux départements. Les situations s'avéraient très hétérogènes.

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. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets, quand vous parlez d'informations préoccupantes ? Lesquelles ? Quels signaux ?

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Violaine Blain, directrice générale du Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED)

Certaines de ces informations préoccupantes nous étaient transmises par les services de l'Éducation nationale. Certes les écoles étaient fermées, mais dans un certain nombre de départements, les services sociaux scolaires ont continué leur travail à distance et nous ont signalé des situations qui déjà avant le confinement, les avaient particulièrement inquiétés.

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. Qu'appelez-vous « situations » ? J'aimerais que vos propos soient très concrets.

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Violaine Blain, directrice générale du Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED)

Il s'agit par exemple d'enfants qui exprimaient déjà, avant le confinement, des faits soit de maltraitance, soit de détresse psychologique, qui se sentaient stigmatisés et isolés dans leur famille, qui témoignaient d'un certain abandon au sein de leur famille et donc, d'une non-prise en compte de leurs besoins. Souvent, ces enfants trouvent, par le biais des assistantes sociales scolaires ou des infirmières scolaires, un lieu pour exprimer leurs difficultés qui en général, débouchent sur des problèmes scolaires. Comme le rapport de l'ONPE le confirme, je tenais également à souligner que le service social scolaire a largement accompagné, pendant le confinement, des élèves en difficulté scolaire, qui présentaient de vrais signaux de décrochage scolaire, voire étaient complètement absents (ils font partie des 8-10 % d'élèves qui ont complètement décroché au niveau scolaire pendant le confinement) et voulait donc alerter sur la nécessaire vigilance à avoir. C'était une façon de coordonner l'action autour de ces enfants-là.

Parmi les informations préoccupantes, nous avons fait face à un nombre très important de situations que nous avons qualifiées d'urgentes, car elles nécessitaient pour nous une transmission en urgence aux départements, voire une intervention en urgence des services de police ou de gendarmerie. Nous avons ainsi constaté une hausse de 113 % des appels aux services de première urgence. Au regard de l'âge de l'enfant, du type de violences vécues, du contexte et notamment de la question de l'isolement, les écoutants ont identifié des cas de violences physiques avérées graves, d'enfants tenant des propos suicidaires ou parlant de fugues (assez peu nombreuses pendant le confinement) ou encore de jeunes enfants en situation de négligence ou de maltraitance grave. Des coups étaient portés, mais aussi des paroles consistant par exemple à dire que l'enfant va être jeté par la fenêtre parce qu'il devient insupportable. Alors les écoutants contactaient immédiatement les services de police et de gendarmerie, selon un protocole élaboré avec le ministère de l'Intérieur, afin qu'une patrouille puisse se déplacer au domicile.

Or au titre de ces situations-là, nous avons pu, pendant le confinement, dresser un bilan très positif de la coordination des services autour de la question de l'urgence. En effet, la réaction doit être immédiate, c'est-à-dire dans l'heure, et dans ces cas-là, nous avons toujours un retour des services de police et de gendarmerie qui nous informent de leur présence sur place et de la mise sous protection de l'enfant. Par la suite, le département nous confirme très souvent que l'enfant est bénéficiaire d'une mesure de placement provisoire, de la part du procureur de la République. La chaîne des acteurs de l'urgence (119, services de police et de gendarmerie, procureur de la République, CRIP et services sociaux de secteur) s'est donc réalisée d'une manière vraiment efficace.

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Vous avez donc une vision positive de la capacité de réaction des forces de police et de gendarmerie, suite à vos saisies après un appel préoccupant, soit une tonalité un peu différente de ce que nous avons entendu précédemment. Quelle appréciation portez-vous ensuite sur les suites données par la justice ?

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Violaine Blain, directrice générale du Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED)

Je ne peux pas me prononcer en l'état, parce que dans le cadre de la convention constitutive qui a créé le GIPED, les départements se sont engagés à nous apporter un retour des suites données à nos envois, dans les trois mois qui suivent la réception de l'information préoccupante. Or en l'espèce, nous n'avons, pour le moment, reçu que 25 % de ces retours : sans doute mobilisés sur d'autres actions, les départements ne nous ont pas encore fait part des suites données dans leur intégralité. Toutefois, dans le cadre du rapport au gouvernement et au parlement que l'ONPE publie chaque année, nous savons qu'environ 300 000 mineurs sont concernés par une mesure ou par une prestation. Or, qu'elles soient en milieu ouvert ou en accueil, 80 % des mesures s'avèrent judiciaires, ce qui montre bien la part importante de la justice.

De son côté, le 119 travaille peu en lien direct avec les parquets, puisqu'en général, ses interlocuteurs correspondent à la police ou aux CRIP. Cependant, le retour d'expérience de l'ONPE vis-à-vis des départements (25 départements ont été contactés) indique qu'au niveau des parquets, la prise en charge des situations était effective. En revanche, je ne peux me prononcer à propos des juges des enfants.

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. Considérez-vous que l'ONPE s'avère suffisamment entendu par toutes les parties prenantes ? Que faut-il mettre en œuvre pour améliorer la collaboration autour de l'enfant ? Par ailleurs, parce que vous faites de la prévention en termes de soutien et de conseil à la parentalité, que dites-vous concrètement pour désamorcer les violences ? Quelles initiatives proposeriez-vous pour améliorer le signalement ? Je pense notamment à la voix des 0-3 ans. Enfin, existe-t-il d'autres exemples plus performants à l'étranger ? Bref, comment s'améliorer sachant que cette crise est plutôt un révélateur qu'une fin ?

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Violaine Blain, directrice générale du Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED)

En réponse à votre première question autour de l'ONPE, il s'avère effectivement fondamental de rappeler la nécessité de se raccrocher aux connaissances scientifiques autour de la question de la protection de l'enfance. En effet, les travaux de l'ONPE sont adossés à une production d'études et à une animation de la recherche, en lien avec son conseil scientifique. Vous parliez ainsi des 0-3 ans, or l'ONPE a publié il y a un an une étude « Penser petit », qui consiste justement à penser la place des enfants de 0 à 6 ans au sein des institutions : à partir de travaux de recherche étrangers et d'études cliniques, l'ONPE montre ainsi combien cette prise en charge doit être pensée et structurée au travers du prisme des besoins fondamentaux de l'enfant.

Je soutiens donc que les travaux de l'ONPE doivent être mieux diffusés en vue d'une meilleure appropriation, ce qui nécessite tout un travail de portage et de soutien des professionnels de la protection de l'enfance, afin que l'amélioration des pratiques permette une meilleure prise en charge des besoins des enfants en milieu ouvert (qui bénéficient d'un accompagnement éducatif) comme des enfants confiés. Cette amélioration des pratiques doit aussi assurer un meilleur repérage des situations dans lesquelles la mise en danger de l'enfant doit régulièrement être questionnée. Il est donc certain qu'il existe, en protection de l'enfance, un fort enjeu autour de la diffusion des connaissances et de leur appropriation par les professionnels.

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. Que manque-t-il ? Les informations existent et l'Observatoire dispose d'une masse de données, alors pourquoi, sur une cause aussi essentielle que celle de l'enfant, les connaissances déjà disponibles ne sont-elles pas davantage empoignées collégialement ? Existe-t-il une concurrence entre la protection de la femme et la protection de l'enfance ?

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Violaine Blain, directrice générale du Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED)

Je ne pense pas que l'on puisse parler de concurrence. Je ne le perçois pas comme cela. Cependant, une question de portage politique se pose à mon sens : il faut que les départements, et notamment les vice-présidents en charge de cette politique publique, s'emparent de la nécessité de doter les professionnels en outils et en temps de formation et donc, leur réservent des moyens entre autres financiers. Je pense notamment au référentiel d'évaluation en protection de l'enfance : l'ONPE a justement contribué à la création de cet outil, que la moitié des départements utilise désormais. Je pense qu'il faudrait imposer ce type d'outil.

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. Vous devriez préciser ce qu'est cet outil, qui n'est pas forcément connu de tout le monde et s'avère pourtant très demandé.

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Violaine Blain, directrice générale du Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED)

Ce référentiel invite les départements à former leurs professionnels d'une part grâce à des apports théoriques (sur la théorie de l'attachement, les approches psychanalytiques, les besoins fondamentaux de l'enfant, etc.) et d'autre part, en les mobilisant sur une approche participative de l'évaluation avec les familles, qui permet d'avoir un prisme plus large de compréhension de la situation, de faciliter la co-construction de solutions familiales et d'accompagner au mieux les parents. Ce travail demande un investissement en temps de formation et de mobilisation de professionnels. En termes de moyens, il faut aussi prendre en compte le nombre de professionnels dédiés à la prise en charge des enfants confiés ; des travaux relatifs au taux d'encadrement de ces enfants sont d'ailleurs en cours.

Il convient en effet de prendre en compte ce problème qui certes, relève de la santé publique, mais constitue avant tout un problème de société, au sens où il interroge la place laissée à l'enfant dans notre société. Nous parlons beaucoup de la problématique de l'invisibilisation de l'enfant, que ce soit au travers de propos dénigrants tenus sur les enfants (comme récemment à propos des mineurs non accompagnés) ou du fait que l'on ne pense pas la place de l'enfant. Ainsi, lors de la crise du confinement, nous n'avons pas toujours pensé la place de l'enfant ; à titre personnel, je pense que sur l'aspect de la santé mentale comme sur l'aspect éducatif, l'enfant n'a pas été pris en considération comme il aurait dû l'être. Ces sujets ne doivent pas être oubliés dans nos discussions ni dans les programmes et projets pilotés par les départements.

Par ailleurs, les appels en matière de soutien à la parentalité s'avèrent extrêmement diversifiés. Nous recevons par exemple des appels d'ordre juridique : comment faire, dans le cadre d'une procédure de séparation, si tel parent ne voit pas son enfant à la faveur du refus de l'autre parent ? Nous recevons également des questions d'ordre psychologique de la part de parents qui ont besoin de décrypter le comportement de leur enfant (mon enfant est très replié, mon enfant est hyperactif, mon enfant mord son frère et sa sœur, il vole, il fugue, etc.) : nous menons donc un travail de réassurance des parents et de décryptage de leur fonction ou mission. Nous réalisons également tout un travail d'orientation : les écoutants ont accès à un carnet d'adresses nationales et territoriales, leur permettant d'orienter les familles vers les bons services. En situation de crise notamment, les services de protection maternelle et infantile (PMI) constituent pour eux de très importants partenaires, notamment pour la tranche d'âge des 0-6 ans, particulièrement sensible en protection de l'enfance. Ces appels doivent toujours être pris en considération avec beaucoup d'attention, parce que très souvent, les parents appellent en indiquant que leur enfant ne veut rien écouter ou ne se concentre pas ; or, au bout d'un certain temps, les professionnels parviennent à faire émerger d'autres problématiques beaucoup plus graves et leur mission de conseil et d'accompagnement bascule parfois vers une information préoccupante, lorsqu'ils considèrent que les parents ne pourront, seuls, assurer la protection de l'enfant. Ils passent donc le relais aux CRIP, afin qu'une évaluation plus approfondie des capacités parentales, mais aussi de l'environnement de l'enfant puisse être réalisée.

S'agissant des PMI, le retour sur expérience de l'ONPE a montré que dans la plupart des départements, elles ont en grande partie poursuivi leurs activités pendant le confinement. Après la période de sidération des premiers jours, les PMI ont très rapidement assuré notamment la pesée des bébés de petit poids, ainsi que les vaccinations. Dès lors qu'elles ont été dotées de matériels de protection individuelle, elles ont repris les visites à domicile et certaines structures ont même été rouvertes.

Dans le cadre des travaux menés par l'ONPE, une réflexion visait à observer la manière dont ces questions avaient été traitées à l'étranger. Je pourrai donc vous adresser des éléments complémentaires autour de la façon dont certains pays se sont positionnés en termes d'articulation entre la crise sanitaire et la protection de l'enfance. L'ONPE intervient en effet en tant qu'organisme national représentant la France, en matière de protection de l'enfance, dans les réseaux européens et internationaux.

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Nous entendons beaucoup parler d'une recrudescence de la prostitution des mineurs, voire des très jeunes mineurs, via des réseaux internationaux. Recevez-vous des appels de ces jeunes filles et jeunes hommes, et comment les orientez-vous ?

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Violaine Blain, directrice générale du Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED)

Le 119 a effectivement rédigé un focus, que je pourrais vous transmettre, autour de cette question qui a commencé à émerger de manière très visible il y a deux ans. Le 119 a pris en charge l'ensemble des appels relevant de cette problématique, afin d'essayer de comprendre les profils (âge, type de situation familiale, etc.). Toutefois, il n'est pas forcément facile pour les victimes de se considérer comme telles ; d'ailleurs, le terme de prostitution s'avère souvent banni de leur vocabulaire. Par ailleurs, le repérage de ce phénomène s'avère très complexe. Tel est donc l'objet des travaux de recherche que l'ONPE soutient actuellement. Je pourrais vous adresser, de manière exhaustive, tous les travaux en cours. L'ONPE participe en effet à un groupe de travail initié par le ministère de la Justice et par le ministère des Affaires sociales, visant à mieux comprendre, à prévenir et à prendre en charge ces enfants et leurs familles. Il s'agit de situations particulièrement complexes, au titre de la construction d'identité dans laquelle se trouvent ces mineurs, mais aussi de la relation avec les parents, qui peut être transgressive, d'où la nécessité de mener un travail éducatif et un travail d'accompagnement des parents.

Enfin, une partie de ces enfants étant susceptibles de relever de la protection de l'enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse, il convient aussi d'accompagner les professionnels en charge de leur suivi, tout comme les établissements et services, au titre de leur repérage et de leur prise en charge qui doit être globale (santé mentale, santé physique, éducation, scolarité, etc.). Ces enfants se trouvent souvent en décrochage scolaire, ils sont souvent soumis à des addictions, soit une multiplicité de problèmes à traiter nécessitant une mobilisation de tous les acteurs.

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. Ce phénomène, plutôt récent, surprend les professionnels. Or il est banalisé sur les réseaux sociaux, d'où la pertinence de la question s'agissant de la période de confinement. Il est donc grand temps, sans panique ni déni, de s'attaquer à la question de la prostitution des mineurs.

Nous vous remercions pour votre venue. Nous préconisons vraiment que l'ONPE soit mieux saisi. N'hésitez pas à nous alerter et à nous fournir des préconisations d'ici la mi‑novembre. Nous tenons beaucoup à être force de propositions.

La réunion se termine à onze heures quarante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 8 octobre 2020 à 10 heures 30

Présentes. – Mme Marie-George Buffet, Mme Sandrine Mörch