Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 16h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • discours
  • festival
  • influenceur
  • internet
  • quartier
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La réunion

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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 19 novembre 2020

La séance est ouverte à seize heures vingt.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

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Mes chers collègues, nous achevons nos journées d'auditions sur les conséquences de l'épidémie de Covid pour les enfants et la jeunesse en abordant le thème du numérique et en étudiant sa place dans l'univers des jeunes, de façon générale et de façon particulière dans le cadre de la crise sanitaire actuelle. Nous ne mesurons pas encore l'étendue du choc qui a pu se produire pendant cette période étonnante.

Nous recevons M. Thomas Rohmer, directeur de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (OPEN), Mme Anne-Manuèle Hébert, organisatrice du festival Tubecon réunissant des influenceurs du web et M. Séraphin Alava, professeur en sciences de l'éducation à l'Université Toulouse - Jean Jaurès. M. Alava a récemment donné une intervention sur le thème de la radicalisation et des médias sociaux, mettant en avant le rôle des « colporteurs du web » et de l'éducation pour faire face à la haine. Il est également rapporteur du projet radicalisation et médias sociaux à l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO).

L'usage du numérique s'est développé de façon exponentielle chez toutes les générations au cours des dernières années mais singulièrement chez les enfants et les adolescents, aussi bien pour le divertissement que l'accès à l'information ou les relations sociales. La crise sanitaire a encore accentué la place du numérique dans le quotidien des jeunes, tout d'abord par son usage pour assurer la continuité pédagogique, et ensuite du fait de la restriction des activités et des contacts sociaux dans le cadre du confinement. Les personnes que nous avons auditionnées ont souligné la hausse de l'usage des écrans pendant la crise sanitaire chez les jeunes et les risques de dépendance associés. Les jeunes ont quant à eux exprimé que le numérique les avait sauvés car il leur a permis de continuer à avoir une vie sociale à travers la visioconférence notamment.

Nous souhaiterions vous entendre sur l'évolution des usages du numérique chez les jeunes et sur les enjeux de l'accompagnement parental en la matière. Que fait cet éducateur qu'est le numérique dans le dos du parent et du professeur ? Vous allez nous aider à nous expliquer ces phénomènes. Comment le numérique a-t-il nourri les jeunes pendant cette période particulière ? Quels sont les nouvelles opportunités et les nouveaux risques – le cyber-harcèlement, les fake news, les théories du complot, la radicalisation ?

Je vous invite à prendre la parole pour une intervention d'une durée de cinq à dix minutes. Cette intervention précédera un échange sous forme de questions-réponses. Avant de vous donner la parole, je précise que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre d'une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je propose à chacun des interlocuteurs, en préambule, de lever la main droite et de dire « Je le jure. »

(M. Rohmer prête serment.)

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Thomas Rohmer, directeur de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (OPEN)

Je souhaite revenir très succinctement sur l'histoire de l'Observatoire, qui résume la démarche qui nous anime et les postulats que nous tenons. Cette association, que j'ai fondée et que j'ai l'honneur de présider depuis maintenant cinq ans, est le fruit d'un constat issu d'une précédente histoire associative débutée il y a une quinzaine d'années. Cette première expérience a consisté à rencontrer environ quatre millions et demi d'adolescents pendant une douzaine d'années partout en France sur le thème des « dangers d'internet » – car nous avons tendance, en France, à présenter internet et les espaces numériques comme une seule et unique source de dangers. À l'issue de ces douze années, le constat était sans appel : j'ai noté un manque d'efficacité des politiques d'accompagnement et de prévention en faveur des jeunes dans les espaces numériques, qui s'expliquait souvent par une démarche très stigmatisante par rapport à leurs pratiques numériques et par un manque d'implication de la « Communauté éducative » – avec une majuscule – au sein de laquelle j'inclus parents, éducateurs, enseignants et tous les référents adultes qui accompagnent les enfants.

J'ai fondé cette association il y a cinq ans et j'ai la chance d'être entouré par un certain nombre d'experts. Nous menons plusieurs actions. Nous avons, par exemple, réussi à lancer une proposition de loi sur les enfants influenceurs qui a été adoptée au Parlement et promulguée récemment. Nous avons également lancé une modification du code pénal en matière de protection des enfants face à leur exposition à la pornographie en ligne. Ce qui nous anime, au sein de l'association, est de remobiliser la parole éducative et les enjeux éducatifs autour du numérique, et de faire en sorte qu'il ne soit plus un frein au lien entre les générations mais bien un outil facilitateur.

Pour répondre aux questions que vous vous posez sur la crise, nous essayons de voir les choses de manière positive – ne serait-ce que parce que la crise a permis d'agir comme un accélérateur et un formidable révélateur de certains dysfonctionnements. C'est comme cela que nous préférons voir les choses. Cela implique une nécessaire remise en question sur plusieurs sujets, dont la continuité pédagogique, la possibilité de numérisation, la fracture numérique encore malheureusement trop présente, la protection des enfants au sein des espaces numériques ou encore le soutien à la parentalité.

Nous avons constaté pendant le confinement que la continuité pédagogique était de qualité inégale, aussi bien pour les enfants que pour ceux qui avaient la charge de leur éducation pendant cette période. Cela a permis de mettre en exergue un certain nombre de dysfonctionnements plus ou moins importants, au niveau étatique et ministériel mais aussi en matière de maîtrise du numérique par les enseignants, les élèves et leurs parents ou de soucis dans les services techniques numériques promus par le ministère. Mais le confinement fut également une période riche en matière de créativité. Je suis admiratif du travail fourni par tous les enseignants pendant cette période, qui ont su s'adapter, faire fi des difficultés techniques et du manque de formation qu'ils rencontraient et être très créatifs. Ainsi, une enseignante de Bretagne a mobilisé ses élèves sur YouTube et réussi à capter leur attention ainsi que celle de nombreux jeunes outre-Manche grâce à une approche didactique très efficace, ce qui lui permet d'être suivie aujourd'hui par plus de 100 000 personnes sur sa chaîne YouTube.

Vous évoquiez le cyber-harcèlement. Nous abordons ce sujet avec beaucoup de prudence. Même si les signaux et les chiffres fournis par les lignes d'écoute spécialisées conduisent à l'alarmisme, nous essayons de prendre du recul pour rapport à cela. Il est somme toute logique que ces chiffres aient pris une ampleur considérable pendant le confinement puisque tous les autres systèmes de signalement étaient à l'arrêt. Cela a conduit – il me semble – à un jeu de vases communicants. Nous assistons à une augmentation de ces phénomènes qui s'explique en partie par une augmentation significative des usages et des utilisations du numérique, ainsi que de l'équipement de manière générale, des enfants et des adolescents dans notre pays. Une étude menée en février dernier par notre association avec Médiamétrie et l'Union nationale des associations familiales (UNAF) a donné lieu à la publication d'un livre blanc sur la parentalité numérique que je tiens à votre disposition si vous souhaitez le parcourir. Elle constatait que l'âge moyen d'équipement d'un smartphone se situait avant 10 ans. Ce rajeunissement perpétuel a forcément une incidence sur l'échantillon d'utilisateurs représentatifs en matière de comportements déviants. Nous regrettons un manque de statistiques du ministère sur le cyber-harcèlement. La dernière étude sur ce sujet date de 2017 et a été conduite dans le cadre d'une étude du réseau Canopé sur le climat scolaire. Un travail d'étude approfondi est nécessaire. Pour pouvoir bien combattre un phénomène, il faut d'abord bien l'analyser. D'une manière générale, je constate et je regrette un manque d'efficacité sur ces sujets en France. Nous ferions bien de nous inspirer des pays anglo-saxons et des pays nordiques pour atteindre une plus grande efficacité des politiques de prévention.

Je conclurai par l'accompagnement et les difficultés rencontrées par les parents. Évidemment, cette période particulière est venue renforcer la fracture numérique, exacerbant les inégalités sociales en matière d'équipement et de continuité pédagogique en fonction des lieux et des familles. Cela a révélé de nombreuses injonctions contradictoires que rencontrent régulièrement les parents et contre lesquelles l'OPEN se bat beaucoup. Cela porte notamment sur des campagnes d'information et de sensibilisation, souvent remplies d'injonctions négatives telles que : « Ne mettez pas vos enfants devant un écran avant tel âge ! ». Ces injonctions ont été percutées par la crise et ont été forcément remises en question. Je cite pour exemple les messages passés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les jeux vidéo : avant la crise, l'OMS classait les jeux vidéo comme étant potentiellement addictifs puis a appelé, pendant la crise, toutes les familles à jouer aux jeux vidéo. Les institutions elles-mêmes sont bousculées par cette période particulière.

D'une manière générale, nous militons pour plus de cohérence en matière d'accompagnement et de prévention. Cela suppose nécessairement une mobilisation de la société dans son ensemble – y compris les plus faibles et les plus démunis, qui souvent pâtissent le plus de ces phénomènes. Pour ce faire, il serait possible de s'appuyer sur la responsabilité sociétale des entreprises. Nous encourageons le recours à ce levier d'innovation, par exemple en menant des expérimentations de soutien à la parentalité sur le lieu de travail grâce aux budgets de formation, parfois dormants, qu'il pourrait être très intéressant pour certaines familles de mobiliser pour être accompagnées sur ces sujets complexes.

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Merci beaucoup, vous pourrez revenir en détail sur ces sujets dans les questions pour concrétiser vos propos. Nous pourrions imaginer que ces publics précaires deviennent les premiers à s'emparer de nouveaux outils, depuis un bidonville ou un squat – cela pourrait presque inverser la donne sociale. Cela est peut-être utopique, mais l'outil le permettrait.

Je donne la parole à Anne-Manuèle Hébert, organisatrice du festival Tubecon. Je vous laisse décrypter pour nous le paysage des influenceurs, dont font partie Enjoy Phoenix, Norman et Cyprien, Hugo Décrypte ou Thibault InShape. Cette piste est particulièrement intéressante car nous, politiques publiques, n'arrivons pas à transcrire la parole de ces jeunes et eux non plus n'arrivent pas à nous parler, certainement en raison du mauvais choix de medium.

( Mme Hébert prête serment.)

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Anne-Manuèle Hébert, organisatrice du festival Tubecon

Je suis en charge de la filiale événementielle du groupe de presse La Dépêche du Midi et j'ai, dans ce cadre, lancé en 2019 un festival des influenceurs, ou talents du web, le Tubecon. Ce nom est la contraction de YouTube Convention, à savoir en français la convention des YouTubeurs. Plus largement, il s'agit d'un festival des talents du web puisque nous accueillons les influenceurs des différents réseaux sociaux ( TikTok, YouTube, Instagram, etc.).

En 2020 devait être organisée la deuxième édition du festival, qui a été empêchée par la Covid. Nous avons repensé le festival pour en faire une version, selon nos propres termes, « 100 % Covid-proof », puisqu'il était impensable d'accueillir 5 000 jeunes dans un Zénith pendant tout un week-end. Plutôt que de proposer une version ersatz édulcorée du festival, nous avons souhaité mettre sur pied une version complètement repensée. Nous avons reformaté l'événement pour accueillir pendant 48 heures douze influenceurs dans une villa et leur donner l'opportunité de créer du contenu qu'ils ont pu relayer auprès de leurs communautés.

Ce festival s'adresse aux jeunes – les 10-17 ans – et souhaite profiter d'un format divertissant pour transmettre des messages porteurs de sens. Il est très important pour nous de ne pas diaboliser le réseau social et la dimension numérique dans son ensemble. Il s'agit, au contraire, de promouvoir le fait que les réseaux sociaux peuvent être une source de motivation. Si un jeune fait du sport et le partage auprès de sa communauté sur les réseaux sociaux, cela peut donner envie à ses amis de faire la même chose. Cela crée une source de motivation par un effet d'entraînement. Pour être un bon joueur professionnel de jeux vidéo et un expert e‑sport, il faut d'abord être bon en sport. Pour être efficace dans l'univers numérique, il est important de pouvoir bouger. Le festival met ainsi en avant la prévention en matière de santé.

Je rejoins l'angoisse des parents qui s'inquiètent de l'accessibilité des profils de leurs enfants depuis l'extérieur. Cela recouvre la dimension du cyber-harcèlement. Pendant les 48 heures de Tubecon 2020, nous avons organisé des sessions « chill chat » : elles invitent au « chill », à être cool en français, et au « chat ». À cette occasion, des influenceurs se sont mis à disposition de leur communauté pour parler de sujets qui les touchent. Deux thématiques ont été abordées cette année, dont une sur le cyber-harcèlement. Nous avons invité l'influenceur Vargas 92, qui a collaboré avec l'association L'Enfant Bleu, active contre la maltraitance envers les enfants. Cette association a, à l'occasion du premier confinement, créé un personnage bleu sur Fortnite auquel les enfants en situation de souffrance pouvaient venir parler. Les enfants en difficultés émotionnelles peuvent avoir des difficultés à parler avec leurs parents ou avec des adultes. L'association a souhaité créer un personnage sur Fortnite pour être l'interlocuteur privilégié de ces enfants. Cette initiative a été soutenue par Avas Sport et Entertainement, qui accompagné L'Enfant Bleu et cet influenceur pour promouvoir les initiatives de ce genre. Nous avons évoqué cette initiative à l'occasion de l'une de ces sessions « chill chat ». Nous avons également présenté l'application Bodyguard qui filtre tous les mauvais commentaires que l'on peut recevoir. Il constitue une sorte de bouclier pour se préserver de la violence sur les réseaux sociaux.

Beaucoup d'outils existent aujourd'hui, qui s'adressent aux jeunes et utilisent leurs codes. Nous avons voulu en parler, dans un format divertissant, à l'occasion d'un festival. Nous remarquons que les influenceurs souhaitent de plus en plus utiliser leur notoriété pour accompagner la jeunesse qui les suit. Il est extrêmement important d'observer cela. De nombreux influenceurs travaillent sur différents sujets qui les touchent. Récemment, le sportif Thibault InShape a publié, à l'occasion de la commémoration de l'armistice, une story sur les poilus. Il s'adresse à une communauté très jeune et s'exprime aussi sur l'histoire.

Il est important de capitaliser sur les réseaux sociaux ( TikTok, Snapchat, Instagram, Twitch ) et les influenceurs qui les utilisent, en tirant profit de leur capacité à engager les jeunes, à transmettre des messages positifs ou à être des interlocuteurs de cette jeunesse. En ce sens, ces influenceurs peuvent être des alliés du monde adulte.

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Merci ! Nous aurons l'occasion de reparler des contenus toxiques, positifs ou constructifs. Je donne la parole à Séraphin Alava, avec qui nous avons déjà travaillé sur la prévention de la radicalisation il y a quelques années. Comment, et avec quels acteurs et quelles ressources, travailler pour ou contre internet et les réseaux sociaux, vecteurs de discours toxiques, de fausses informations, qui nourrissent la théorie du complot et stigmatisent les boucs émissaires ? Quelle éducation pour faire face à la haine sur le web ?

( M. Alava prête serment.)

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Séraphin Alava, professeur en sciences de l'éducation à l'Université Toulouse – Jean Jaurès

J'interviens sous un angle très particulier qui traite des phénomènes de radicalisation et d'extrémisme violent auprès des jeunes sur internet, sur la population des 15-28 ans dont on sait qu'elle peut, de façon privilégiée, basculer dans le terrorisme.

Je suis chercheur universitaire et je vais donc vous livrer les savoirs de la recherche. J'utilise des méthodes particulières que sont les méthodes anthropologiques. Je travaille dans les quartiers, dans les situations les plus tendues, en relation avec le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation.

Je vais évoquer les quartiers Nord de Marseille, de Toulouse, de la banlieue parisienne, c'est-à-dire des lieux dans lesquels le confinement est arrivé comme une fermeture totale à l'autre. L'on pourrait s'imaginer qu'internet est le lieu de la rencontre à l'autre. Cela peut être le cas pour des jeunes très actifs, qui peuvent y rencontrer la différence. Toutes les recherches montrent qu'internet ne crée pas la mixité sociale mais crée l'entre‑soi. En créant de l'entre‑soi, il isole les individus dans leur classe, dans leur groupe, dans leurs idées, dans leurs appartenances. La notion de « fausse information » fait réagir une grande partie de la jeunesse. La personne qui prononce les mots de « fausse information » devient une menteuse, puisqu'elle induit que ces jeunes n'ont pas la vraie information – alors qu'ils sont persuadés qu'ils la détiennent. Ils en sont tellement persuadés qu'ils la diffusent.

Sous l'angle d'approche de la mixité sociale, que s'est-il passé dans les quartiers populaires ? La mixité sociale a disparu. L'école républicaine est le lieu de la mixité sociale. L'école a couru derrière les jeunes, a eu du mal à les contacter, a parfois été submergée. Les jeunes se sont retrouvés isolés dans leur bâtiment, dans leurs espaces. Ils se sont retrouvés isolés pendant le premier confinement, privés des activités de loisirs qui les faisaient sortir du quartier. Ils se sont retrouvés face à un ordinateur qui leur demandait de s'éduquer. Les trois quarts des jeunes ont abandonné ce programme éducatif et ont utilisé internet pour faire autre chose. Qu'ont-ils fait sur internet ? D'abord, ce qu'ils savent faire : non pas être actifs, mais être passifs, aller regarder. Ils ont alors été mis face à une offre de discours radicaux très importants. La pandémie a connu une explosion de discours racistes, xénophobes, violents, antisémites, islamophobes, terroristes, accompagnés par le cheval de Troie des théories du complot et du conspirationnisme. Les jeunes ont ainsi approuvé Raoult, héros luttant contre les grandes sociétés pharmaceutiques, puis approuvé Trump, mettant au jour un complot profond de l'État, et ainsi pour d'autres théories du complot. Cela constitue le réel dans les quartiers. Le premier puis le deuxième confinement ont causé un arrêt des activités de loisirs et de mixité dans les quartiers. En tant que jeune, je ne peux plus aller dans la salle de sport où je pourrais rencontrer d'autres personnes ; je ne peux plus aller draguer seul loin du quartier. Je ne peux plus le faire. Je me retrouve enfermé. Bien sûr, les parents sont éducateurs. Parfois, et on le comprend, ils sont éducateurs de leur propre vérité – pas de celle que les valeurs de la République voudraient énoncer. La contradiction, l'échange d'idées, n'a pas été et n'est pas possible.

Je travaille avec des jeunes dans les quartiers, ce que l'on appelle en sciences des « poissons-pilotes ». À l'arrêt du premier confinement, à la demande du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, nous avons conduit l'évaluation de l'avancée de ces discours dans cinq villes : Marseille, Aubervilliers, Lille, Grenoble et Lyon. Nous constatons chez les jeunes une montée du discours extrême, une fermeture de la possibilité de converser et de se contredire, de pouvoir accéder à l'échange. Nous faisons face à une difficulté de plus en plus grande des jeunes à admettre que l'école ne ment pas. À la question « L'école ment-elle aujourd'hui ? », plus de 85 % de jeunes de ces quartiers répondent que l'école ment. Nous sommes face à une difficulté civique. Les enseignants se sont pris en pleine face cette réalité lors de la réouverture des écoles.

Ces jeunes ont été nourris par un dispositif éducatif déviant qui s'appelle internet. Non pas parce que les personnes l'ont elles-mêmes décidé, mais en raison du simple enfermement algorithmique. Le web que vous visitez tous les jours n'est pas le mien. Pourquoi ? Car vous n'avez pas les mêmes goûts que moi. Progressivement, mes visites sur le web alimentent mes goûts. Quand mes goûts sont conspirationnistes ou radicaux, je ne reçois en permanence que cela. Il faudrait réellement discuter avec les géants d'internet pour enlever cet enfermement algorithmique et laisser au citoyen le libre choix d'accéder à l'altérité. Les jeunes ne s'en rendent pas compte, et progressivement, ils ne sont toujours mis face qu'à la même vérité.

Les réseaux d'adolescents ont vu leurs discours de haine progresser. Qu'un jeune dise à un autre « Fais pas ton juif ! » parce que celui-ci ne dit pas comment il a réussi à gagner à un jeu vidéo est très important car c'est antisémite. C'est un délit et le jeune ne le sait pas ! Il pense que cela est naturel. Les discours de haine, les discours sexistes ont fait leur apparition. En plus de discours djihadistes, nous constatons l'arrivée en France de discours dangereux. Le mot « suprémaciste » existait dans le contexte des Etats-Unis ; on le retrouve aujourd'hui également en Europe. Je travaille sur des projets européens. Nous retrouvons ce terme dans les discours des groupes identitaires. Ces discours se diffusent notamment dans des réseaux de fans d'équipes de sport ou dans des forums de jeux vidéo. S'agissant du sexisme – nous connaissions peu le masculinisme – aujourd'hui, des groupes font du trolling masculiniste violent envers toute femme qui affirme une opinion. Les personnes du renseignement sont mobilisées sur ce sujet.

Face à cette éducation négative, il faut renforcer l'Éducation nationale. Il faut qu'elle puisse prendre sa place sur internet. Les enseignants ont un travail disciplinaire à mener car il faut inculquer des savoirs. Mais il faut renforcer le rôle du conseiller principal d'éducation, des assistants d'éducation, des infirmiers et infirmières : toutes ces personnes sont présentes dans le vivant, elles doivent également l'être sur le net. Nous devons nous décider à mettre en œuvre une éducation numérique qui soit proprement une éducation aux valeurs républicaines. C'est la seule condition pour que la haine recule. La haine peut être portée par tous les individus. Ce qui garantit que la paix existe, c'est la loi ! Vous devez faire votre travail de renforcer les lois. Rappelons-nous que le changement passe non pas parce que nous avons gagné, mais parce que nous avons réussi à convaincre. Pour convaincre, nous avons besoin d'éducateurs. Aujourd'hui, je suis les expériences européennes des patrouilleurs du net aussi bien que l'expérience française des promeneurs du net mise en place par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Il faut renforcer de telles initiatives. Il faudrait que le service civique ait une dimension numérique. Nous devons mettre en place un service civique numérique qui puisse démontrer aux jeunes que la rencontre avec l'altérité peut se faire en paix et de manière positive.

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Tous vos propos constituent un appel à l'éducation. Cette éducation passe par la relation humaine, par le présentiel, mais doit aussi emprunter le chemin du distanciel, du numérique. Nous avons reçu tout à l'heure les représentants du CNED. Ils nous disaient que le CNED, jusqu'alors réservé aux enfants empêchés, est devenu, à travers cette crise, un partenaire de l'Éducation nationale. Cela est très important ! Le CNED pourrait être un instrument de formation et de formation au numérique en particulière. Je partage complètement les conclusions de M. Alava. Nous devons faire entrer l'éducatif dans le numérique, au lieu de culpabiliser, comme vous le disiez, monsieur Rohmer, tous les jeunes qui approchent leur téléphone portable ou leur ordinateur. Essayons d'utiliser ces outils, que les jeunes utilisent, pour faire passer un message éducatif.

Vous avez parlé, monsieur Rohmer, d'une politique de prévention beaucoup plus efficace dans les pays anglo-saxons. Pouvez-vous nous donner quelques pistes sur les méthodes employées dans ces pays ?

Madame, quelle appréciation avez-vous de la loi sur la protection des mineurs influenceurs ?

Vous avez relevé, monsieur Alava, que des jeunes des quartiers se sont retrouvés enfermés face à l'ordinateur et ont été nourris de discours radicaux. Cela appelle aussi au développement de lieux de rencontre dans les quartiers, dans les cités, pour ces jeunes, qui vont au lycée, au collège ou qui sont décrocheurs. Nous devons développer des zones éducatives complémentaires. Je ne sais pas si cela peut être fait à travers les centres sociaux ou à travers d'autres activités propres aux jeunes. Je partage la proposition très intéressante de former les parents au numérique au sein des entreprises.

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Thomas Rohmer, directeur de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (OPEN)

J'observe notamment les campagnes de prévention étrangères. Dans les pays anglo-saxons, je constate que l'on étudie les phénomènes et que l'on essaye d'agir sans se mettre d'œillères. Je suis étonné qu'en 2020, en France, pour parler des phénomènes de harcèlement, nous en soyons toujours réduits à appeler une campagne de prévention « Non au harcèlement ! ». Je ne connais personne qui soit pour le harcèlement. Nous évoluons dans une naïveté qui manque de pragmatisme et d'efficacité ! D'aucuns vont s'emparer de phénomènes à la mode, comme l'éducation par les pairs. J'observe ce phénomène – et je le trouve très intéressant –, mais je ne suis pas favorable à l'éducation par les pairs à la française. Je suis critique envers mon pays mais je l'aime profondément. C'est pourquoi j'aimerais qu'il agisse de manière plus efficace pour protéger ses enfants. L'éducation par les pairs se résume souvent à « passer la patate chaude ». Je préfère parler de co-réflexion et de co-construction. Associer les adolescents, les influenceurs et tout l'écosystème est primordial – à la condition également que les adultes ne soient pas fuyants sur leur posture d'accompagnement et ne cherchent pas à se débarrasser du sujet. La radicalisation cristallise tout un tas de tensions au sein de la société. Les échanges de courriels du défunt Samuel Paty ont été publiés dans la presse : cet homme était également par moments soumis à une pression institutionnelle qui le faisait se sentir jugé par l'institution et par ses pairs. Sur tous ces phénomènes – qui sont pour certains nouveaux, pour d'autres connus depuis longtemps –, il serait temps de basculer dans un modèle plus efficace et moins naïf. Nous devrions tous nous asseoir autour de la table et prendre le temps de la discussion. Je rejoins pleinement ce que disait Séraphin Alava sur le piège des algorithmes, qui nous enferme dans une instantanéité permanente. Reprenons le temps de la réflexion, de l'éducation, et remettons de l'éducatif au cœur de ces phénomènes en y associant l'ensemble de la société.

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Séraphin Alava, professeur en sciences de l'éducation à l'Université Toulouse – Jean Jaurès

Les associations dans les quartiers ont énormément de mal à vivre. Elles sont souvent remplacées par des associations à mono-focale, comme l'association de musique, et n'agissent pas en tant qu'associations d'éducation populaire, qui ont une véritable volonté éducative. Il faut renforcer ce tissu civique, qui tenait l'ensemble des éléments en tentant de travailler sur la mixité des âges.

En même temps, il ne faut pas oublier qu'un jeune passe plus de temps dans son monde virtuel que dans son monde réel. Il faut qu'il puisse retrouver sur le net des grands projets, des choses qui l'emportent. En ce sens, les influenceurs jouent un rôle très important. Dans les quartiers, un jeune m'a montré la web-série Et tout le monde s'en fout sur la laïcité. J'étais très étonné ! Il aimait l'humour, la façon d'aborder ce sujet. Les industriels doivent alimenter les contre-discours. Les chaînes doivent produire des outils. Il faut pouvoir développer le lien entre les influenceurs et les programmes, car cela pourrait avoir un impact très fort.

Il est très important de pouvoir aussi travailler sur la population des adultes, des parents, qui sont perdus devant un ordinateur. Ils ont perdu le droit de parler car c'est l'ordinateur qui parle, c'est lui qui est sachant, lui qui est sérieux. Il faut redévelopper une école des parents citoyens pour qu'ils reprennent la parole. Beaucoup d'expériences ont lieu à ce sujet. Je suis un projet, conduit avec l'Union française des œuvres laïques d'éducation physique (UFOLEP) d'Île-de-France, qui a pris un très bon titre : « D'abord dans la rue ». Il faut d'abord réinvestir la rue. C'est ce que nous faisions à l'époque quand nous visitions les cages d'escaliers pour les œuvres laïques financées par l'État. C'est fondamental !

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Anne-Manuèle Hébert, organisatrice du festival Tubecon

Nous avions, lors de la première édition du festival, travaillé sur toute une série de programmes à destination des parents. Cela devait leur permettre de comprendre ce qu'étaient les réseaux sociaux ou bien comment, éventuellement, limiter l'accès aux profils de leurs enfants. Beaucoup de parents qui se sont rendus à l'événement m'ont dit leur bonheur, au-delà de ce qu'ils avaient appris, de partager un moment avec leurs enfants. Ils ont parlé ensemble des réseaux sociaux et ont partagé un même sujet d'intérêt. Je suis tout à fait d'accord avec la nécessité de créer des formules pour sensibiliser les parents aux codes des réseaux sociaux.

Je remercie Séraphin Alava d'avoir relevé l'enjeu des influenceurs. L'influenceur est peut-être aujourd'hui la personne qui se rend dans les cages d'escaliers virtuelles. Il s'adresse à sa communauté et est capable de lui faire passer des messages parce qu'il parle la même langue. L'événement de 2020 a totalisé plus de 12 millions de vues en 48 heures. Cela a été rendu possible par quinze jeunes. Grâce à eux, nous avons touché 12 millions de personnes. L'impact de ces réseaux sociaux, et la caisse de résonance qu'ils représentent, sont considérables. Si l'on arrive à en faire quelque chose de positif, cela peut être formidable.

Enfin, j'ai appris récemment que le cerveau humain fonctionnait beaucoup grâce aux messages positifs. Les messages positifs sont une source de motivation. Diaboliser et faire peur, en revanche, n'entraîne souvent pas de réaction. En l'occurrence, nous devrions réfléchir à comment donner envie plutôt que de faire peur : donner envie de laïcité, de démocratie, donner envie de vivre ensemble, d'accéder à une information vérifiée. Nous devrions capitaliser sur ces valeurs positives et sur les démarches positives des influenceurs. L'influenceuse Léna Situations se bat au quotidien pour l'acceptation de soi, en faveur d'une meilleure place des femmes et des filles. Beaucoup d'initiatives positives existent. À nous, à vous, à la société civile et au public de créer des projets.

Il est toujours compliqué de savoir par où commencer ; chacun doit pouvoir agir à son niveau. Les réseaux sociaux font peur aujourd'hui – nous avons parlé des algorithmes. Au‑delà de cela, nous pouvons nous demander comment capitaliser sur les forces existantes pour en faire des forces positives. Cela peut être une piste intéressante. Des activations telles que les influenceurs, les festivals, des événements heureux peuvent, à leur échelle, y contribuer.

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Tout à fait. Le moteur de la jeunesse est l'optimisme, il est de se tourner vers le futur. Les enjeux de notre société se rejoignent à l'intérieur et à l'extérieur du web : est-ce que l'on trouve encore du sens à sa vie, est-ce que l'on trouve l'envie de s'engager ? Toutes ces grandes questions sont probablement identiques à l'intérieur et à l'extérieur des espaces numériques. Nous sommes absolument prêts à recueillir vos préconisations concrètes, vos exemples concrets d'initiatives qui fonctionnent.

Voulez‑vous ajouter une remarque ?

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Anne-Manuèle Hébert, organisatrice du festival Tubecon

J'apporte un exemple. Tubecon est un festival né en Finlande il y a six ans. Je me suis rendue, il y a deux ans, au festival finlandais. J'y ai vu la représentation finlandaise de la Commission européenne. Ils m'ont expliqué qu'avec les montées du populisme et une vraie défiance vis-à-vis de l'Europe, ils souhaitaient aller à la rencontre des très jeunes pour parler de l'Europe. Ils ont voulu utiliser des ambassadeurs parmi la jeunesse, qui sont des influenceurs, pour parler de l'Europe.

Monsieur Alava, vous parliez tout à l'heure d'éducation. Je travaillais précédemment dans l'industrie musicale. Au début des années 2000, l'on s'étonnait que les jeunes aient pris l'habitude de ne plus payer pour accéder à de la musique. On ne leur avait pas expliqué que la musique existe grâce au travail des artistes et qu'il est normal de le rémunérer. L'éducation auprès des jeunes doit avoir lieu le plus tôt possible. Cela recoupe votre question, madame la ministre, sur les mineurs influenceurs. Il est nécessaire de protéger quiconque, mineur ou majeur. Il faut utiliser les réseaux sociaux pour éduquer les jeunes – car c'est probablement de cette façon qu'ils écouteront – en complément des parents et l'école.

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Merci ! La Commission européenne a souvent beaucoup d'avance sur les sujets de société, et elle est souvent trop peu entendue.

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Le jeune, dans son rapport à internet, construit de plus en plus un rapport avec la formation d'un groupe. Il faut faire en sorte que le jeune puisse connaître une plus grande diversité dans ses rapports sociaux – c'est le sens des propos de M. Alava. Il faut que l'on aide à ouvrir la vie des jeunes vers les associations, les clubs sportifs et tous les lieux qui peuvent contribuer au brassage social. Je suis contre les terrains de proximité qui font que les jeunes font du sport dans leur cité et n'en sortent pas. Il faut développer la vie du jeune dans les espaces publics, lui permettre de rencontrer d'autres jeunes dans d'autres quartiers. Il faut à la fois entrer dans le net et en faire un outil éducatif, et faire en sorte que d'autres espaces de sociabilité existent pour le jeune.

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Anne-Manuèle Hébert, organisatrice du festival Tubecon

Les Déterminés est un mouvement porté par Moussa Camara. Il propose d'accompagner des jeunes, éventuellement en difficulté, dans leurs projets entrepreneuriaux. Il crée des promotions, en Île-de-France et maintenant partout en France, constituée de beaucoup de jeunes issus de la mixité. L'association offre des formations en présentiel dans les quartiers en difficulté, des rencontres entre ces jeunes en difficulté et des mentors issus de la sphère économique ou civique. Ces initiatives émergent et sont très intéressantes. Nous en entendons parler grâce aux réseaux sociaux, qui constituent une source d'information. Il est important de faire résonner les actions du terrain sur les réseaux sociaux, pour amener les jeunes à agir dans la vraie vie.

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Thomas Rohmer, directeur de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (OPEN)

Je remarque que, jusqu'à présent, nous n'avons pas cité un acteur qui a néanmoins son importance : les médias traditionnels. Ils font le lien entre les générations. Il est besoin d'embarquer les médias dans la réflexion. Je suis toujours aussi surpris et déçu de constater le recours, dans les journaux télévisés, à des expressions telles que « La Toile s'enflamme » ou « Les internautes s'indignent ». Cela transforme la masse informe des utilisateurs de Twitter ou de Facebook en une personne anonyme, à laquelle, en même temps, ils accordent parfois un peu trop d'importance en la transformant en l'expression d'une vox populi. Nous sommes, à nouveau, sur le terrain de l'immédiateté. Il est besoin d'associer les médias à cette réflexion. Je trouve cela étonnant que, dans la désormais seule et unique émission politique du service public, les femmes et hommes politiques soient confrontés à la réaction immédiate des chroniqueurs. Le système médiatique a une vraie responsabilité à ce sujet. Nous savons que sa santé économique est mise à mal par les nouveaux médias en ligne, mais en même temps, il se fait complice de ces méthodes. Les médias traditionnels ont encore, à mon sens, un rôle à jouer dans l'accompagnement des familles, dans le maintien du lien entre les parents et les enfants. Il serait nécessaire de remettre de la cohérence dans cet ensemble.

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Merci. Si vous avez une recette pour cela, nous sommes preneurs !

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Thomas Rohmer, directeur de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (OPEN)

Il serait nécessaire de s'asseoir autour de la table et de réfléchir ensemble en étant déconnectés d'un calendrier législatif ou d'une réaction par rapport à une crise. Il faudrait ordonner ce temps de réflexion et y associer tous les acteurs de la société : parents, médias, éducateurs. L'OPEN a essayé de lancer cela au moment où différents challenges se répandaient sur les réseaux sociaux. Nous avions alors remarqué que le traitement médiatique de ces challenges constituait un élément incitatif au passage à l'acte pour certains enfants. Cela était le cas, par exemple, pour le blue eye challenge. Les propos tenus par certaines associations et certains médias ont pu constituer une incitation au suicide. Nous avions, à l'époque, publié une tribune avec une cinquantaine de psychologues dans Mediapart pour appeler à la réflexion à ce sujet. Plus nous pourrons le faire de manière apaisée, sereine et déconnectée d'un calendrier législatif et émotionnel, plus la démarche pourra être efficace.

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Vous avez raison, il reste une émission politique sur France Télévisions, que l'on appelle « l'émission politique de France Télévisions ». Le débat public a disparu. L'on est incapable d'apporter des informations ou de porter une réflexion en cinq minutes. Il est important de donner le temps de comprendre, d'apprendre, de dire, d'expliquer, de donner envie de penser et de réfléchir, et surtout de se contredire, de débattre. Rien n'est plus beau que le débat politique. Or, il a disparu des grands médias. Quelques interviews durent encore un peu sur les radios publiques. La réduction du débat politique et philosophique dans nos sociétés est très inquiétante.

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Séraphin Alava, professeur en sciences de l'éducation à l'Université Toulouse – Jean Jaurès

Curieusement, en observant les jeunes dans les quartiers populaires sensibles aux idées radicales, je constate qu'ils peuvent écouter des vidéos qui durent vingt-cinq minutes voire trente-cinq minutes et qu'ils les connaissent par cœur. Les gens des médias me disent souvent qu'il faut faire court. La chanson la plus connue d'IAM dure douze minutes et elle est connue par cœur par les jeunes partout dans les banlieues. Cette idée selon laquelle il faut faire court est celle de ceux qui ont déjà perdu car ils n'ont pas réussi à capter l'attention. Rappelons que ceux qui bénéficient du temps long sont l'école et la famille. Il faut mettre en place une véritable politique familiale et une véritable politique de l'Éducation nationale. L'école et la famille permettent d'avoir des années pour éduquer une personne.

L'audition s'achève à dix-sept heures trente-cinq.