Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Réunion du mercredi 17 juin 2020 à 14h30

Résumé de la réunion

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  • JIVAT
  • attentat
  • expert
  • expertise
  • indépendance
  • magistrat
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La réunion

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La séance est ouverte à 14 heures 35.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président

La Commission d'enquête entend Mme Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes, accompagnée de MM. Benoît Legrand, chef du pôle Amélioration des dispositifs d'aide aux victimes, et Abdel-Akim Mahi, chef du pôle Coordination de la politique d'aide aux victimes.

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Mes chers collègues, nous accueillons cet après-midi Mme Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV), qui est accompagnée de MM. Benoît Legrand, chef du pôle Amélioration des dispositifs d'aide aux victimes, et Abdel-Akim Mahi, chef du pôle Coordination de la politique d'aide aux victimes.

Cette audition est diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale et sera consultable en vidéo. Elle fera également l'objet d'un compte rendu écrit qui sera publié.

Madame, messieurs, je vous propose de vous laisser la parole pour une présentation liminaire, qui précèdera notre échange sous forme de questions et de réponses.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relatif au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite à lever la main droite et à dire « je le jure ».

(Les personnes auditionnées prêtent serment)

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Magistrate depuis 33 ans, j'exerce la fonction de déléguée interministérielle à l'aide aux victimes depuis trois ans.

Les décrets du 24 mai 2017 et du 7 août 2017 ont donné pour mission à la DIAV, tout d'abord de coordonner l'action des différents ministères – intérieur, des solidarités et de la santé et de la justice –, en matière de suivi, d'accompagnement et d'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme, d'accidents collectifs, de catastrophes naturelles, de sinistres sériels et d'autres infractions pénales. Elle doit également accompagner les victimes dans leurs relations avec les associations de victimes et d'aide aux victimes – je pense en particulier au réseau France Victimes.

Chaque ministère dispose d'un référent Victimes qui nous aide à actionner les différentes directions pour résoudre des problèmes individuels rencontrés par les victimes, ou faire avancer des textes pour lesquels une concertation interministérielle est nécessaire. La DIAV est rattachée à la garde des Sceaux et a pour caractéristique de recevoir les victimes. J'ai en effet considéré, dès ma prise de fonction, qu'entendre les victimes nous permettrait de ne pas être hors-sol, et de bénéficier de leurs récits de manière plus dense.

Notre feuille de route a été définie par un plan interministériel adopté en novembre 2017. Outre les actions que nous avons menées dans la droite ligne de celle-ci, des retours d'expérience nous ont poussés à agir au-delà du périmètre déterminé. Trop nombreux pour tous vous les citer, je ne mentionnerai que les axes principaux :

- Amélioration de la prise en charge psychologique et psychiatrique des victimes, notamment avec la création du Centre national de ressources et de résilience (CN2R) – dix centres régionaux sont susceptibles aujourd'hui de prendre en charge les victimes ;

- Recrutement pour les victimes d'accidents collectifs de six personnes mobilisables à tout moment. Après le crash d'Ethiopian Airlines, deux coordonnateurs ont ainsi été mobilisés en 24 heures ;

- Création du juge de l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme (JIVAT) ;

- Développement, sur l'ensemble du territoire, de 105 comités locaux d'aide aux victimes (CLAV), présidés par les préfets de département et les procureurs de la République du tribunal judiciaire du chef-lieu du département ;

- Mise au point d'un système d'information interministériel sur les victimes d'attentats et de catastrophes (SIVAC) chargé de recenser les victimes – bientôt finalisé ;

- Attribution rétroactive de la Médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme, créée à la suite des attentats de 2015. Nous considérons en effet que l'un des premiers attentats commis sur le sol français à dimension internationale est celui du drugstore Publicis à Paris, perpétré par Carlos, en 1974 ;

- Instauration pour la première fois cette année du11 mars comme journée nationale d'hommage aux victimes du terrorisme ;

- Remise, le 10 mars dernier, au Président de la République, du rapport de la mission de préfiguration d'un musée-mémorial des sociétés face au terrorisme, présidée par l'historien Henry Rousso.

Nous travaillons, par ailleurs, aux solutions à apporter à des questions qui sont apparues comme posant problème. Je citerai deux exemples. D'abord, l'annonce des décès, qui est une vraie difficulté pour les familles, les forces de l'ordre et les magistrats ; 18 propositions ont été présentées en la matière. Ensuite, le sentiment d'injustice qu'éprouvent des victimes françaises de ne pas pouvoir se rendre aux procès des auteurs des infractions commises à leur encontre dans un pays tiers. Un texte interministériel a été élaboré visant à apporter une aide financière aux victimes désirant se rendre à l'étranger. Reste à trouver un vecteur législatif qui nous permettra de le faire adopter

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Le projet de loi de finances (PLF) ne peut-il être ce vecteur ?

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Abdel-Akim Mahi, chef du pôle Coordination de la politique d'aide aux victimes

Non, ce serait un « cavalier », car il faut créer aussi une compétence nouvelle pour les juridictions concernées.

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Le Centre d'expertise de l'Union européenne pour les victimes de terrorisme, situé à Bruxelles, a débuté ses activités récemment. Il a pour mission d'assurer la transposition effective et l'application des directives européennes dans la législation nationale et d'aider les États à établir un protocole d'intervention en cas d'attentat ou de tuerie de masse – je pense notamment aux victimes transfrontalières ou françaises dans un pays étranger.

Outre ces échanges d'expertises et de bonnes pratiques, l'idée est, à terme, de nommer un coordonnateur européen en matière d'aide aux victimes, comme il en existe un en matière de lutte contre le terrorisme.

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Lorsque nous avons reçu les associations d'aide aux victimes, le débat s'est tout de suite porté sur la question de l'expertise. Quelle est votre opinion dans ce domaine ?

Par ailleurs, vous nous dites recevoir en personne les victimes. Que retenez-vous de ces entretiens ? Suspectent-elles la justice, par exemple, d'être dans l'inaction pour telle ou telle raison ?

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Il est vrai qu'un certain nombre de questions reviennent régulièrement, lors de ces entretiens. Nous avons noté non pas une remise en cause de l'indépendance de la justice, mais une incompréhension sur son fonctionnement. Il est absolument essentiel d'expliquer le déroulement d'une procédure judiciaire.

Nous avons par exemple constaté que lorsque les juges d'instruction réunissent les parties civiles d'un attentat de masse – comme ceux de 2015 –, ces rencontres portent leurs fruits : les victimes comprennent bien ce qui leur est expliqué ainsi que la nécessité de ne rien divulguer. L'une d'entre elles m'a confié n'avoir jamais imaginé que les investigations étaient aussi poussées. Les parties avaient compris, non seulement le fonctionnement de la justice, mais également les raisons de la supposée lenteur de l'institution, due aux mandats d'arrêt, aux commissions rogatoires, etc. Certaines ont totalement changé d'opinion à son égard.

C'est la raison pour laquelle, lors de mon audition dans le cadre de la mission d'information relative au secret de l'enquête et de l'instruction, j'avais suggéré à M. Paris d'organiser à des moments clés de telles rencontres pendant l'enquête préliminaire afin de fournir des informations aux victimes, qui en manquent cruellement.

À la délégation, nous recueillons les critiques, nous expliquons et nous agissons. Voici un exemple. Procéduralement, après une tuerie de masse, le juge d'instruction a l'obligation de notifier les rapports d'autopsie et les examens externes du corps à toutes les parties. Aujourd'hui, ces rapports sont envoyés par voie dématérialisée. Or des victimes et des familles de victimes nous ont saisis pour nous indiquer que recevoir les rapports d'autopsie et d'examen d'autres victimes était très difficile pour elles – c'est aussi très attentatoire à la liberté des personnes. De sorte que nous avons fait modifier cette obligation dans la loi du 23 mars 2019.

Concernant les expertises, les parties civiles soulignent la pénurie d'experts. Dans la continuité de la création du JIVAT, nous avons rédigé un décret, qui sera publié en septembre, précisant que les experts désignés lors d'un attentat terroriste pourront être, non seulement les experts du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI), mais également les experts inscrits sur les listes des cours d'appel – soit 922 experts. Par ailleurs, une formation relative à la réparation du préjudice corporel leur sera désormais délivrée. Il restera toujours cependant des victimes qui émettront des doutes sur l'impartialité du choix de tel ou tel expert.

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Je comprends bien la nécessité d'informer les victimes sur la procédure et l'instruction. Mais qu'en est-il des demandes qu'elles peuvent formuler et les réponses qu'elles reçoivent ? Sont-elles parfois étonnées que tel ou tel angle du dossier ne soit pas exploité ?

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Je suis régulièrement surprise par le manque de connaissance des procédures par les victimes. Elles ne savent pas, par exemple, qu'elles ont le droit de formuler une demande d'acte ou un recours. Bien entendu, nous les informons, ainsi que leur avocat, quand elles en ont un, tout comme les associations d'aide aux victimes. Mais la délégation ne peut évidemment pas interférer dans la procédure.

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La DIAV est une institution nationale. Comment une victime en arrive-t-elle à vous interroger sur ses droits ? Il y a un « trou dans la raquette » ! On trouve pourtant dans un procès-verbal d'audition toute une série d'informations susceptibles d'aider les victimes : les noms des associations d'aide aux victimes, le droit d'être assisté par un avocat, etc.

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Les victimes qui font appel à nous ont préalablement frappé à de nombreuses portes : elles ont écrit au Président de la République, au Premier ministre, au garde des Sceaux, etc. Elles peuvent aussi nous être envoyées directement par les associations de victimes pour nous exposer un certain nombre de difficultés.

Ce qu'elles cherchent, en venant à la DIAV, c'est sa compétence interministérielle qui permet de résoudre des problèmes concrets. Par exemple, nous pouvons faire appel, directement, à un responsable du ministère des solidarités et de la santé ou saisir le préfet pour qu'il puisse intervenir pour un logement prioritaire. C'est pour cela que j'ai souhaité recevoir les victimes : non seulement pour comprendre leurs problématiques, mais également pour les aider sur des questions très pratiques.

Vous n'êtes pas le seul, monsieur le président, a parlé de « trou dans la raquette » et vous avez raison. Mais quoi que nous fassions, il y aura toujours des victimes qui resteront sur leur faim et qui n'auront pas tout compris.

Nous avons mis en ligne un guide à l'adresse des victimes d'attentat, dans lequel sont répertoriées toutes les informations nécessaires – elles peuvent même commencer à effectuer des démarches en ligne. Et nous sommes en train d'en élaborer un second, pour les autres victimes. Toutes les informations sont validées par les associations de victimes et d'aide aux victimes, et les différents ministères. Pour élargir le faisceau, nous avons créé un groupe relatif aux actes collectifs, et un autre relatif aux abus, aux atteintes physiques et aux atteintes matérielles.

Or je suis persuadée que ce ne sera pas suffisant et que certaines victimes auront toujours des questions à poser ; c'est humain. D'abord, parce qu'une personne traumatisée n'est pas nécessairement capable d'enregistrer l'information donnée. Ensuite, parce que certaines victimes n'ont qu'un seul besoin : être écoutées. Enfin, d'autres victimes encore mettent beaucoup de temps à entreprendre une démarche pour demander réparation. Nous faisons beaucoup, en comparaison avec d'autres pays européens. Et l'on peut faire plus encore. Il ne faut pas s'arrêter en chemin.

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Vous n'avez donc pas identifié de problématique en lien avec l'indépendance de la justice ?

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Non. Il nous est juste arrivé d'expliquer aux procureurs de la République l'utilité de recevoir les victimes pour leur livrer plus d'informations sur la procédure.

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Madame, comme le président, je mesure la difficulté de votre tâche. Il ne doit pas être facile de se trouver face à des victimes.

Notre commission a pour vocation de relever les problématiques qui peuvent exister au regard de l'indépendance de la justice.

J'ai le souvenir des discussions que nous avions eues lorsque j'étais rapporteur de la mission d'information sur le secret de l'enquête et de l'instruction, qui m'avait amené à changer de position, notamment sur le rôle des experts. Disposons-nous de suffisamment d'experts ? Faut-il ouvrir le champ de l'expertise ?

Concernant le JIVAT, la centralisation n'a pas été évidente pour tout le monde. Par exemple, certains considéraient que, l'attentat ayant été commis à Nice, le procès devait s'y tenir. Oubliant un peu rapidement que toutes les victimes n'étaient pas niçoises. Quelle est votre position sur cette évolution, en termes de qualité du rapport à la justice pour les victimes ? Mais aussi de qualité du service rendu et donc de l'indépendance de la justice ?

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Je pose un regard positif sur la création du JIVAT, notamment sur la décorrélation entre l'enquête pénale et l'expertise. Il est aujourd'hui bien entré dans le paysage judiciaire, même si peu de décisions ont été prises – moins de 70.

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Pour les associations de victimes, l'accès à la justice est primordial. C'est un gage d'indépendance.

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

L'une des critiques régulièrement formulées, à propos du JIVAT, concerne l'éloignement de la juridiction par rapport aux domiciles des victimes. Cependant, le fait que nous les orientions vers des experts qui seront choisis sur toutes les listes des cours d'appel répond à cette difficulté. De même, la formation que ces experts recevront sera un gage de professionnalisation et d'indépendance.

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Abdel-Akim Mahi, chef du pôle Coordination de la politique d'aide aux victimes

La loi du 23 mars 2019 a permis de consolider le contentieux, les droits des uns et des autres, et surtout de donner un peu plus de lisibilité aux victimes. De fait, les parties ne font que très peu appel de la décision du JIVAT ; seul le FGTI fait parfois appel.

Par ailleurs, les contentieux sont traités correctement par le JIVAT, avec une sorte d'uniformisation – dans le bon sens du terme – et un certain nombre de droits reconnus. La démarche est très positive. Nous avons même noté que ceux qui décriaient le JIVAT l'année dernière se revendiquent aujourd'hui comme porteurs de l'idée.

S'agissant de l'expertise, le Parlement a mené une réflexion sur son indépendance. Or l'intervention d'experts judiciaires évite toute remise en cause et suspicion.

Par ailleurs, le double recours devant cette juridiction est une nécessité. Avoir prévu un recours portant sur l'éligibilité à la qualité de victime a permis de mettre un terme aux procédures qui tardaient, puisque les victimes devaient attendre le jugement au fond avant de faire une demande d'indemnisation.

Concernant l'accès à la justice, la loi rappelle que l'aide juridictionnelle est de droit devant le JIVAT. Ainsi, les victimes n'ont à payer de frais ni d'avocat ni d'expertise.

Enfin, s'agissant de l'expertise, le décret, qui sera publié en septembre prochain, vise à assurer un meilleur contradictoire. L'expert devra envoyer à la victime un pré-rapport, avec possibilité de le contester ou d'apporter des modifications. De sorte que lorsque le rapport définitif lui sera envoyé, le débat sur le contenu aura été purgé en amont.

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La coordination avec l'Union européenne est une avancée très positive. Cependant, pour un certain nombre d'associations de victimes, elle n'est pas suffisante lorsque les attentats ou les crashs aériens se déroulent dans un pays qui n'a pas le même respect des règles d'indépendance et de qualité de la justice qu'en France. Avez-vous été confrontée à une question d'indépendance de la justice d'un autre pays ?

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Effectivement, nous avons connaissance d'un grand nombre d'exemples de drames qui se sont produits à l'étranger et pour lesquels le magistrat français est soumis au bon vouloir du pays qui ne lui donnera pas forcément satisfaction.

En outre, le temps de l'instruction est particulièrement long et les victimes ne comprennent pas pourquoi les commissions rogatoires ne sont pas satisfaites.

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Le champ de la DIAV est large, vous avez également affaire à des drames du quotidien, comme les accidents de circulation. Avez-vous été amenée à constater des problèmes d'indépendance, soit dans le traitement judiciaire, soit du fait de pressions excessives, de problématiques dans les relations avec les assurances ?

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Je n'ai constaté aucune défiance à l'égard de la justice. En revanche, je peux vous dire que, dans les affaires longues, les victimes supportent très mal le changement fréquent de magistrat. Une association de victimes nous a ainsi saisis de questions liées à des affaires classées. Lorsqu'un magistrat reprend un dossier, les familles ont le sentiment qu'il y a de la déperdition d'informations et vivent douloureusement le temps perdu dans l'investigation. Les critiques portent sur le fonctionnement de la justice, pas sur son indépendance.

Les familles de victimes de la circulation souffrent beaucoup, quant à elles, de se retrouver à l'audience au milieu d'affaires moins importantes et de devoir attendre pendant des heures. Ce sont des éléments que nous expliquons aux magistrats dans le cadre de nos formations. Il serait bon, par exemple, de consacrer un temps spécifique aux victimes qui ont perdu un proche. On pourrait les entendre dès le début de l'audience. Cela changerait la perception de la justice. Tous les dysfonctionnements qui sont pointés n'ont rien à avoir avec son indépendance. Chacun doit se remettre en cause. Cela permettra de restaurer le lien avec la justice. Conscients de tout cela, de nombreux magistrats créent des dispositifs spécifiques. Tous les bureaux d'aide aux victimes dans les juridictions sont également très actifs. C'est une avancée très positive.

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Abdel-Akim Mahi, chef du pôle Coordination de la politique d'aide aux victimes

Il est difficile de parvenir à un équilibre entre le temps judiciaire et le temps d'attente de la victime, qui est perçu comme trop long. En outre, quand le temps de l'enquête est long, les victimes considèrent souvent qu'elle est à décharge pour l'auteur.

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Pensez-vous que certaines associations de victimes et d'aide aux victimes rencontrent des problèmes financiers ? Et si oui, ceux-ci les empêchent-ils de remplir leur rôle ?

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Le budget alloué aux associations, par le ministère de la justice, est de quelque 29 millions d'euros, en augmentation de 174 % en dix ans. Sachant que d'autres financeurs les soutiennent.

Par ailleurs, et c'est un progrès notable, le ministère est désormais en mesure de débloquer des fonds en urgence au bénéfice des associations qui sont, sans cesse, confrontées à des situations inédites. Ce fut le cas à Trèbes, à Millas, notamment.

Nous avons en outre travaillé avec le service de l'aide aux victimes du ministère de la justice, sur un agrément en faveur des associations d'aide aux victimes, avec l'idée, à terme, qu'elles puissent procéder à des conventions pluriannuelles d'objectifs et, ainsi, définir un budget pour trois ans. Cette solution leur permettrait d'être moins dépendantes d'une politique pénale.

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Des victimes sont-elles déjà venues vous trouver pour réclamer l'ouverture d'une enquête ?

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Nous n'en avons pas reçu personnellement, mais cela aurait pu être le cas après l'ouragan Irma.

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Avez-vous reçu des personnes, dont l'affaire faisait l'objet d'une enquête préliminaire et qui souhaitaient qu'elle passe en information judiciaire ?

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Abdel-Akim Mahi, chef du pôle Coordination de la politique d'aide aux victimes

Si le procureur classe l'affaire, un appel peut être interjeté devant le Parquet, et si ce dernier maintient le classement, la possibilité de se constituer partie civile est ouverte ; ainsi les droits sont garantis.

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Oui, je sais bien. Je vous demande si des personnes vous ont sollicités pour intervenir, alors même que l'affaire n'avait pas été classée, mais simplement parce qu'elle était encore au stade préliminaire et qu'elles souhaitaient, notamment pour avoir accès au dossier et qu'un juge d'instruction soit nommé, qu'elle se transforme en information judiciaire.

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Non, ce n'est jamais arrivé.

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La DIAV ne serait-elle pas plus efficace, si elle était rattachée au Premier ministre ?

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Cette question m'a été posée à de très nombreuses reprises, notamment parce que le secrétariat général à l'aide aux victimes était placé sous l'autorité du Premier ministre. Je n'avais pas perçu, lorsque j'ai été nommée à ce poste, à quel point il était important que je sois une magistrate, habituée au vocabulaire judiciaire. Les victimes que nous recevons étant dans le cadre d'une procédure judiciaire, comprendre cette dimension est pour moi essentiel. Être rattachée au ministère de la justice est plutôt une force.

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Je comprends que vos fonctions de magistrate soient un plus. Mais vous auriez pu aussi être rattachée au Premier ministre. Je sais, de par mon statut d'attaché d'administration interministériel de l'État, que le positionnement dans l'organigramme est important pour être efficace.

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Le champ de compétence de ma fonction est le même que celui de la ministre de la justice, s'agissant de l'aide aux victimes ; il y a donc une logique à ce rattachement.

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S'agissant de l'aide aux victimes, pensez-vous qu'il existe des marges de progression ? Pour l'aide juridictionnelle, les avocats sont souvent payés tardivement, ce qui peut les dissuader d'accepter les dossiers.

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Cette question n'est jamais venue jusqu'à nous. En revanche, nous nous sommes mobilisés pour que l'aide juridictionnelle soit de droit pour les victimes qui saisissent le JIVAT au civil. L'aide juridictionnelle est traitée par un bureau spécifique du ministère de la justice.

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Si je résume bien, les problématiques qui peuvent exister ont davantage trait à la communication au sein de la justice avec les justiciables et les moyens qu'ils y investissent – du temps, de l'argent…

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Si nous ne voulons pas qu'il y ait d'amalgames entre la complexité d'un système juridique et l'indépendance des magistrats, nous devons continuer à inciter ceux-ci à réunir les victimes pour leur expliquer la procédure. Nombreuses sont les victimes qui m'ont confié préférer qu'un magistrat leur dise pourquoi il n'avance pas sur une question, plutôt que d'être dans l'incertitude.

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La justice restaurative monte en puissance, en France. S'agit-il, selon vous, d'un axe de travail fort pour les années à venir ?

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Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV)

Lors de ma prise de fonctions, je n'étais pas persuadée que la justice restaurative était une voie d'avenir. Or après avoir lu de nombreuses publications et rencontré ses acteurs, mon opinion a évolué ; c'est un domaine très intéressant. Certes, ce ne sera pas la panacée, mais elle aidera certaines victimes.

Par ailleurs, je suis certaine que cela peut intéresser d'autres ministères, par exemple celui de la santé. Alors que des soignants se font agresser tous les jours dans les hôpitaux, ne serait-il pas préférable, au lieu de porter plainte systématiquement, d'instaurer une justice restaurative ? Les ministères de l'intérieur et des affaires étrangères sont également partants, s'agissant de lieux recevant du public, des consulats…

D'autres acteurs du monde judiciaire considèrent qu'il doit être exclu d'y avoir recours en matière de terrorisme, par exemple. Or, la fille d'Aldo Moro a accepté de rentrer dans un processus de justice restaurative et de rencontrer les agresseurs de son père. De même, le thème « la justice restaurative et le terrorisme basque » fait l'objet de nombreuses études ; une pièce a même été jouée au ministère de la justice. Je sais aussi que certains magistrats en ont fait un projet de juridiction. Il reste que cette pratique, complémentaire au traitement pénal de l'infraction, démarre lentement en France et n'est pas toujours facile à appréhender. Il faut bien en percevoir les limites, la complexité, la lourdeur puisqu'elle fait interagir trois acteurs, les auteurs, les victimes et la société civile. Mais il ne faut pas renoncer à la développer.

La séance est levée à 15 heures 35.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Didier Paris