Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Réunion du mercredi 17 juin 2020 à 15h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • indépendance
  • juridiction
  • magistrat
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La réunion

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La séance est ouverte à 15 heures 40.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président

La Commission d'enquête entend M. Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques.

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux en accueillant M. Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques, qui a notamment dirigé la rédaction du rapport intitulé Quelle indépendance financière pour l'autorité judiciaire ? paru en juillet 2017.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Michel Bouvier prête serment.)

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Je suis très honoré d'être ici, et je suis ravi que vous vous intéressiez à l'aspect financier de l'indépendance de l'autorité judiciaire, car cet intérêt n'est pas toujours très développé en ce qui concerne les finances publiques en général et les finances appliquées à certains services publics ou à certaines institutions.

Je vais vous présenter le sujet tel que je le conçois.

Que ce soit pour un individu ou une institution, il n'existe pas d'indépendance réelle sans moyens matériels suffisants. C'est une vérité première. Or si de très nombreux écrits juridiques ou politiques concernent l'indépendance de la justice et ses implications au regard de la séparation des pouvoirs, ou plus encore l'existence même d'un pouvoir judiciaire, sa mise en relation avec les finances publiques n'est généralement abordée que sous l'angle quantitatif. Autrement dit, elle n'est abordée qu'à travers des constats mettant en évidence le manque de moyens ou la nécessité d'augmenter les moyens de la justice.

Il s'agit là d'un premier obstacle, de méthode, qui doit être surmonté. Il consiste à limiter la question de l'indépendance financière, voire de l'autonomie financière, à un manque de moyens. Certes, il s'agit d'une question importante et même cruciale, mais se borner à cet aspect ne peut à mon sens que maintenir l'autorité judiciaire dans une relation de dépendance. Ce n'est pas la voie la plus sûre pour que cette autonomie ou cette indépendance financière soit solide, donc pour que l'autorité judiciaire soit au moins relativement indépendante de ce point de vue.

Cette manière d'aborder le sujet de l'indépendance de la justice ne participe pas, par ailleurs, de la logique qui est ou qui devrait être celle du mode de gouvernance des systèmes financiers publics. Je pense à la logique portée par la réforme budgétaire issue de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Cette réforme a pour élément stratégique la responsabilisation des acteurs concernés – aussi bien les acteurs politiques, que les acteurs chargés de la gestion des fonds publics.

Cela renvoie à un enjeu majeur, celui du niveau d'autonomie financière des institutions. Nous nous trouvons face à un autre obstacle, car le concept d'autonomie financière est brouillé. De nombreux concepts des finances publiques se sont d'ailleurs trouvés brouillés depuis une trentaine voire une quarantaine d'années.

Ce concept manque de précision et comporte une pluralité de sens. Il engendre donc des quiproquos. L'on ne peut pas parler d'autonomie financière sans d'abord s'entendre sur le sens à lui donner. Il s'agit d'une question de méthode, qui doit être posée. Il est primordial pour effectuer un diagnostic, puis pour faire des propositions solides, pertinentes, de pouvoir utiliser des clés de lecture – autrement dit une définition claire, partagée, un sens commun du concept d'autonomie financière de l'autorité judiciaire.

Définir le concept d'autonomie financière en général, et celui de l'autonomie financière de l'autorité judiciaire en particulier, conduit à distinguer deux aspects de cette autonomie, plus ou moins intégrés.

La première composante est l'autonomie de décision financière à l'égard de l'allocation des crédits, ce qui suppose la possibilité pour l'institution de détenir en tout ou en partie la capacité de définir et de décider de son budget. Cela n'implique pas forcément une indépendance totale, qui supposerait des ressources propres – tirées par exemple d'une fiscalité propre, ou de produits d'un domaine public ou privé, ou d'une tarification des services.

L'autorité judiciaire est très dépendante des choix effectués par le pouvoir exécutif, dans le cadre des projets de lois de finances, notamment des arbitrages interministériels. Dans une moindre mesure, elle est aussi tributaire des amendements parlementaires. De plus, les discussions budgétaires portent sur la mission Justice dans son ensemble et ne sont pas focalisées sur les programmes concernant spécialement l'autorité judiciaire.

La deuxième composante de l'autonomie financière, la deuxième partie de cette clé de lecture, est l'autonomie de gestion. Il y a là beaucoup de confusion. On entend souvent assimiler l'autonomie financière à l'autonomie de gestion. On parle aussi d'autonomie budgétaire. L'autonomie de gestion des crédits consiste à transférer à l'institution la gestion de son budget. Elle nécessite, pour être effective, non seulement une législation qui responsabilise les gestionnaires mais également l'utilisation par eux d'outils de gestion, donc leur formation à cette utilisation. La formation aux instruments de gestion financière est très faible au sein de la justice.

L'autonomie de gestion est une condition essentielle à la légitimation d'une autonomie de décision. On ne peut pas vous conférer un pouvoir de décision si l'on considère que vous n'êtes pas capable de gérer les crédits qu'on vous confie. Par conséquent, sans autonomie de gestion financière solide de la part des gestionnaires de l'institution, je ne crois pas qu'on puisse légitimement réclamer une autonomie de décision. Ce n'est pas crédible.

L'autonomie de gestion constitue l'ossature de l'action budgétaire de l'institution judiciaire. Elle est le socle sur lequel doit reposer l'autonomie de décision. Elle en est un préalable.

Cette clé de lecture – autonomie financière égale autonomie de décision plus autonomie de gestion – qui distingue autonomies de gestion et de décision, conduit à évaluer le degré respectif de chacune de ces autonomies, duquel découlera ensuite l'importance de l'autonomie financière entendue globalement.

L'autonomie de gestion n'est pas concevable sans une responsabilisation des gestionnaires publics. Pour cela des crédits globaux et des crédits fongibles doivent être mis à disposition des gestionnaires. Dans ce cadre, les crédits fléchés disparaissent à chaque niveau de responsabilité. À chaque niveau de responsabilité est confié un budget comportant des objectifs à atteindre – ce sont ce que l'on appelle des budgets opérationnels de programme (BOP) déclinés en unités opérationnelles (UO). Les moyens accordés sont utilisables librement. Les crédits sont fongibles – sauf pour les crédits de personnel, qui sont soumis à une fongibilité asymétrique.

Il est demandé à ceux qui disposent de ces crédits d'en faire un usage certes régulier mais également efficace. Le gestionnaire d'un BOP ou d'une UO est un petit chef d'entreprise à son niveau, qui a des objectifs à atteindre. La logique en place dans le cadre de la nouvelle gestion publique est une logique d'entreprise. Tous ces mécanismes procèdent du monde de l'entreprise.

Cependant, la traduction concrète de cette responsabilisation n'est pas au rendez-vous. Elle se trouve très limitée, et l'on observe un retour en force des crédits fléchés. Nous avons organisé des colloques sur ce sujet. Par ailleurs, la déresponsabilisation ne fait qu'empirer lorsque les crédits sont gelés, par exemple dans le cadre de la réserve de précaution, ou annulés en cours d'année du fait des régulations budgétaires.

À ce déficit de responsabilisation s'ajoute l'incertitude quant à la disponibilité des crédits. Une telle situation va à l'encontre de la mise en place d'une autonomie de gestion et même, simplement, d'une bonne gestion. On ne gère pas correctement dans l'incertitude. Gérer suppose, par exemple, d'être en mesure de développer une stratégie, autrement dit de programmer des actions pour réaliser des projets, ce qui n'est pas possible lorsque prédomine cette incertitude.

Au regard de la question de l'autonomie financière de la justice judiciaire, il s'agit là d'un obstacle majeur. J'ai pu le constater lors de l'élaboration du rapport du groupe de travail que j'ai eu l'honneur de présider. Une telle situation constitue un obstacle majeur au développement d'une gestion efficace, qui permettrait de conférer une réelle légitimité aux juridictions pour être associées aux processus de décision concernant ses crédits – donc pour prétendre évoluer vers une autonomie financière par le biais d'une autonomie de décision.

C'est pourquoi la sécurisation des crédits est un point important. La sécurisation des crédits alloués à la justice judiciaire est primordiale. Elle constitue même une condition préalable de l'autonomie de décision financière comme de l'autonomie de gestion.

Afin d'aller dans ce sens, des mesures favorisant une responsabilité managériale devraient être mises en œuvre. Tout d'abord, même si l'on en connaît la portée relative, il conviendrait de sécuriser les crédits par une loi de programmation qui serait entièrement et exclusivement consacrée aux finances de l'autorité judiciaire – et qui intégrerait une dispense de régulation budgétaire sur la durée d'une législature.

Par ailleurs, une plus grande clarté de l'architecture du budget de la justice est nécessaire. La mission Justice comprend six programmes : justice judiciaire, administration pénitentiaire, accès au droit et à la justice, protection judiciaire de la jeunesse, conduite et pilotage de la politique de la justice et Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Or je ne crois pas qu'il est forcément logique d'associer ces programmes dans un seul ensemble. Ils ne sont pas de même nature. Ce ne sont pas les mêmes fonctions.

Nous pouvons par exemple nous demander s'il est vraiment justifié d'y inclure les crédits de l'administration pénitentiaire. Il serait peut-être plus pertinent de séparer cette mission en deux missions indépendantes qui resteraient rattachées au ministère de la justice. Il n'est pas question de détacher l'administration pénitentiaire du ministère de la justice. Ce sujet est très discuté, et a été très discuté dans le cadre du groupe de travail. Depuis 1911, l'administration pénitentiaire participe de la justice. Il n'est pas question de remettre cela en cause pour l'instant, car je ne crois pas que ce soit la bonne méthode pour faire passer des réformes.

Une première mission qui serait qualifiée de justice judiciaire pourrait comprendre les trois programmes concernant directement le fonctionnement des juridictions judiciaires : le programme 166 « justice judiciaire », le programme 335 portant sur le CSM et le programme 101 sur l'accès au droit et à la justice – tout au moins une partie de ce programme, une autre partie pouvant passer dans l'autre mission, consacrée l'administration de la justice.

Outre une meilleure répartition des crédits, l'autorité judiciaire deviendrait ainsi visible. Elle ne l'est pas car elle est mélangée à d'autres fonctions, et se perd dans la masse de la mission Justice. Elle est un programme parmi d'autres.

Une seconde mission qualifiée d'administration de la justice regrouperait les programmes touchant aux politiques publiques périphériques et à l'activité des juridictions : le programme 107 « administration pénitentiaire », le programme 182 « protection judiciaire de la jeunesse » et le programme 310 « conduite et pilotage de la politique de la justice ». Nous pourrions aménager ces programmes, mais je ne vais pas entrer dans les détails.

Parmi les autres mesures, nous pouvons citer la limitation des crédits fléchés, la création d'un budget opérationnel de programme par cour d'appel, et la mise en œuvre ou le renforcement des instruments de gestion – comme le contrôle de gestion ou la mise en place d'une comptabilité d'exercice, et non plus seulement d'une comptabilité budgétaire qui ne considère que les flux, et d'une comptabilité analytique pour mieux connaître les coûts de chaque politique.

Une formation à la gestion est nécessaire pour mettre en œuvre ces outils de gestion. Mettre en place des instruments de gestion sans une telle formation serait stupide. L'acquisition d'un savoir financier permettrait par ailleurs de faciliter le dialogue entre les représentants de l'autorité judiciaire et les budgétaires. Une méfiance s'observe en effet entre eux, liée à mon sens à une différence de langage. Ils ne se comprennent pas, car ils ne parlent pas le même langage et ne mettent pas le même sens sous les concepts qu'ils emploient. Cela ne facilite pas les rapports entre ces deux catégories d'acteurs.

À partir du moment où une autonomie de gestion est effective, elle peut logiquement se prolonger vers une certaine autonomie de décision. Pour ce faire, il est indispensable d'identifier les dispositifs permettant d'aller vers une participation de l'institution judiciaire aux prises de décision budgétaires nationales qui la concernent. Il serait utile d'instaurer ce que nous avons appelé dans le cadre du groupe de travail un « dialogue de décision ». Il existe un dialogue de gestion, qui concerne l'exécution. L'idée serait d'instaurer un dialogue de décision entre le ministère de la justice et les conférences de chefs de cour et de juridiction. Nous pourrions aussi penser, comme le CSM l'avait lui-même suggéré, que le CSM, compte tenu de son autorité, soit fortement impliqué dans ce processus.

Ce dialogue de décision pourrait porter sur les orientations budgétaires envisagées par le Gouvernement pour le financement de la justice judiciaire. L'idéal serait qu'il ait lieu au moment du dépôt de la lettre de cadrage du Premier ministre, car il serait alors possible de discuter pertinemment des orientations annoncées.

Dans le même sens, le CSM pourrait être doté d'une compétence d'avis sur les aspects concernant la justice figurant dans les projets de lois de finances. Cet avis pourrait être requis au stade de l'élaboration du budget, par exemple au moment du débat d'orientation budgétaire portant sur le budget de l'État, et également au moment de l'exécution de la loi de finances. Il n'y a pas de raison que le CSM ne donne pas son avis sur la loi de finances, comme le fait le Conseil d'État.

Les propositions qui viennent d'être évoquées favoriseraient, je crois, une consolidation des éléments contribuant à l'autonomie de décision financière de la justice judiciaire et permettraient d'ouvrir la voie de manière pragmatique et progressive. Je n'essaie pas d'imposer un point de vue théorique. Je crois qu'il faut avancer progressivement. Pour avoir vécu pendant un an les débats que nous avons eus dans le cadre du groupe de travail, j'ai constaté qu'il fallait « chevaucher le tigre », selon le concept taoïste, et non l'imposer ou le brusquer au risque de provoquer des effets inverses de ceux recherchés.

Nous pourrions nous inspirer de modèles existants en France : le Conseil d'État, ou les juridictions financières comme la Cour des comptes. La LOLF organise un traitement budgétaire particulier pour ces institutions. Elle prévoit aussi un régime spécifique pour les pouvoirs publics, sans définir cette notion. Ces pouvoirs publics déterminent les crédits dont ils ont besoin et perçoivent des dotations votées par le Parlement. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, toutes les autorités visées par la Constitution ne peuvent pas nécessairement se voir reconnaître la qualité de pouvoir public. Ainsi, le CSM, qui demande cette qualité depuis longtemps, ne l'a pas obtenue.

Néanmoins, on peut estimer possible de reconnaître au CSM le statut de pouvoir public, ce qui lui permettrait de bénéficier à l'égal du Conseil constitutionnel ou de la Cour de justice de la République d'une autonomie budgétaire complète.

Le traitement budgétaire fait à la justice varie selon les juridictions. Les juridictions administratives et financières – le Conseil d'État, la Cour des comptes – disposent d'un programme propre qui fait partie de la mission Conseil et contrôle de l'État, directement rattachée au Premier ministre.

Si nous regardons à l'extérieur, et singulièrement du côté des préconisations du Conseil de l'Europe, nous voyons qu'il existe des cours suprêmes et des conseils de justice – c'est-à-dire un modèle d'administration de la justice centré sur la cour suprême, clé de voûte du système juridictionnel, et un autre modèle comportant un conseil de justice, organe collégial extérieur à l'ordre juridictionnel et composé de magistrats et de personnalités extérieures. Le CSM comporte d'ailleurs de même huit membres extérieurs. Ces deux modèles sont très éloignés du modèle français.

Ils pourraient assurer une autonomie financière à la justice judiciaire, qui pourrait être quasi-totale s'ils discutaient directement de leurs crédits avec le Parlement sans passer par le ministère. Le modèle du conseil de justice, proposé par le Conseil de l'Europe, est celui qui va le plus loin dans le sens de l'indépendance financière. La réforme d'ampleur que constituerait l'évolution de l'institution judiciaire française vers un conseil de justice supposerait un changement radical d'approche, s'ouvrant implicitement sur la reconnaissance d'un pouvoir judiciaire.

L'histoire a montré à plusieurs reprises que les finances publiques pouvaient jouer un rôle majeur dans le déclenchement des transformations profondes des institutions. Elles sont toujours en première ligne, car elles relèvent tout à la fois du droit, de l'économie et de la gestion. Elles sont toujours en première ligne des questions de société car elles concernent tous les aspects de cette société. La crise le montre de manière évidente. Les finances publiques sont au cœur de cette question, et nous le sentirons de plus en plus dans les années à venir.

Dans les années qui viennent des chocs d'une ampleur inédite – sanitaires, mais aussi d'autres natures – pèseront, avec des effets cumulatifs, sur les finances publiques et par conséquent sur celles de l'institution judiciaire. Tout cela forme système, tout cela s'interpénètre. Chaque élément de ce système est en relation avec les autres. Il est urgent de se préoccuper de cela et de resituer la question qui est la vôtre dans ce cadre. Sinon, nous allons « bricoler » et raisonner avec les concepts d'une société qui est en train de disparaître.

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Le rapport rendu en 2017, dont vous avez repris l'économie générale, contenait 21 propositions. J'ai un regard particulier sur le sujet, ayant été chef de plateforme Chorus au ministère de l'intérieur. J'ai été surpris de constater que la plupart des propositions du rapport relevait de ce qui est censé être l'état actuel d'application de la LOLF – comptabilité analytique, cartographie budgétaire correspondant aux décideurs, etc. – mais qui ne se retrouvait pas totalement non plus, il est vrai, au ministère de l'intérieur.

Les principales propositions de bonne gestion que vous portez sont la scission de la mission Justice en deux missions distinctes et l'instauration d'un avis du CSM. C'est ce qui a fait consensus dans le groupe de travail. Cependant, au-delà de ce rapport, faut-il selon vous aller plus loin sur l'autonomie budgétaire et financière de l'autorité judiciaire ?

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

L'idéal est d'avoir une indépendance de la justice. Tout le monde le souhaite dans un système démocratique. Il s'agit d'un problème délicat à plusieurs titres : du fait tout d'abord de la complexité du système judiciaire, qui s'est construit « de bric et de broc » depuis des années – carte judiciaire, dyarchie. Interfère dans le système judiciaire un ensemble d'intérêts et de points de vue ou de conceptions extrêmement hétérogène. Cela a été d'ailleurs la grande difficulté du groupe de travail. Les participants au groupe ont eu beaucoup de mérite à accepter de discuter calmement et de façon non idéologique de ces questions.

La remise en ordre de ce système hétérogène constitue un fil rouge important. La carte judiciaire est assez floue – chevauchements, BOP à cheval sur deux régions, etc. C'est invraisemblable ! On y perd son latin. Le premier élément de ce fil rouge est d'harmoniser le système sur les plans territorial et fonctionnel. Il existe en effet des services administratifs régionaux (SAR) et des délégations interrégionales. Tout cela fait désordre, c'est mon sentiment personnel.

Le deuxième élément du fil rouge, c'est la sécurisation des crédits. Il se pose ici un vrai problème, que les présidents de juridiction que vous avez auditionnés ont certainement soulevé. Immédiatement, une partie de leurs crédits est gelée, ce qui n'est pas vrai pour les pouvoirs publics ni pour les juridictions administratives ou financières. Même si la réserve de précaution a été limitée par la dernière loi de programmation des finances publiques, ce problème demeure. Comment peut-on demander à des gens de gérer correctement s'ils n'ont pas une sécurité sur leurs crédits, s'ils sont gelés soudainement, ou annulés, ou si des dotations complémentaires arrivent en fin d'année ? Cela aussi fait désordre. L'autonomie de gestion n'est pas au rendez-vous.

Un important effort est à mener en matière de sécurisation. Cette sécurisation ne concerne pas seulement la décision – j'ai mentionné plus haut une loi de programmation qui porterait sur les finances de l'autorité judiciaire et particulièrement de la justice judiciaire, et non sur le financement de la justice dans son ensemble. Il faut aussi une sécurisation de l'autonomie de la gestion. Il faut sécuriser la capacité de gestion de ces gestionnaires, par des instruments efficaces et par une formation. On n'est pas sécurisé si on ne sait pas utiliser les instruments de gestion dont on dispose.

J'ai travaillé pendant des années au ministère de l'économie et des finances pendant mes études. Si je n'avais pas été formé pour telle ou telle action que l'on me demandait de mener, j'aurais été dans l'insécurité la plus totale. Je n'aurais pas fait mon travail, j'aurais fait le gros dos, et rien ne se serait passé ! S'il s'agissait de réformes, les réformes ne seraient jamais passées. Je peux vous le dire donc non seulement en tant qu'universitaire mais aussi en tant qu'ancien fonctionnaire d'un ministère : la formation est importante. Elle est un élément stratégique. On la met toujours au second rang. Or il s'agit d'un élément stratégique au même titre que beaucoup d'autres.

Il faut donc une sécurisation et une remise en ordre du système. Il faut également aller plus loin dans l'autonomie de décision concernant l'allocation des crédits. C'est là qu'un lieu de participation serait utile. Il s'agirait du dialogue de décision que j'ai mentionné précédemment entre le ministère et les magistrats représentés par la conférence ou le CSM – tout ceci est à discuter.

Vous m'avez demandé quel était le niveau de crédits requis pour la justice. Là encore, il s'agit d'une question de méthode. On ne peut pas répondre à cette question ! Je ne peux pas vous répondre en me référant, par exemple, à l'augmentation des crédits proposée dans le cadre de la loi de programmation, pour proposer 3 à 4 % d'augmentation. Ce serait malhonnête de ma part. Vous ne pouvez pas dire que « tant » de crédits sont nécessaires à l'administration de la justice. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il ne faut pas les augmenter ! Il faut d'abord mener une étude très sérieuse sur tous les besoins de la justice. Or ce travail ne peut être mené par une commission. C'est un travail de professionnel, qui requiert à mon sens une année pour pouvoir aboutir à un diagnostic solide et à des propositions sérieuses. Ce milieu est trop compliqué pour que l'on puisse produire une estimation « à la louche » et dire « il faut tant ». C'est impossible. Je ne peux pas répondre à votre question de cette façon. Je ne serais pas honnête si je le faisais.

Je peux vous recommander en revanche de conduire une étude, qui prendra probablement du temps. Il n'est pas utile de monter une énième commission sur le sujet. Il existe déjà des propositions, qui sont celles du groupe de travail, mais il manque une étude de fond permettant de mettre à plat les besoins de la justice.

Mon avis personnel est qu'il faut aller plus loin. L'idéal serait le conseil de justice. Toutefois, cela soulève un problème analogue à celui qui se pose entre partisans de la décentralisation et partisans de la recentralisation. Les uns disent qu'une trop grande décentralisation ouvrirait une boîte de Pandore et risquerait de faire éclater le système, les autres objectent que la recentralisation prive les collectivités territoriales de toute autonomie et les empêche de répondre correctement aux problèmes immédiats – car on sait bien que plus on est proche des problèmes, mieux on les résout. Il faut arriver à trouver un compromis entre ces deux positions. Je ne crois pas que l'on puisse affirmer qu'une indépendance financière totale est nécessaire. L'indépendance financière implique des ressources entièrement propres. Il faut assumer cela. Or je ne crois pas que la justice puisse le faire. Je ne crois pas que l'État puisse laisser ceci se produire.

Il vaut peut-être mieux d'abord consolider la base, commencer à introduire des éléments de participation dans le système, pour éventuellement mener d'autres évolutions plus tard. Nous fonctionnons avec de la pâte humaine, il ne s'agit pas d'un système scientifique – bien que même les systèmes scientifiques soient pleins d'incertitudes. La science n'est jamais tout à fait exacte. C'est encore plus vrai avec les sciences humaines.

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Vous avez mentionné l'importance de la formation pour acquérir de réelles capacités de gestion – au-delà du seul paiement des factures. En pratique, ce n'est même pas une dyarchie qui est à la tête des juridictions, mais une triarchie si l'on tient compte du directeur de greffe qui fait office de responsable des fonctions support.

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Bien sûr ! C'est l'une de ses fonctions.

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Selon votre rapport, les greffes ne se donnent pas ou n'ont pas les moyens d'une bonne gestion financière. Faudrait-il renforcer la fonction de greffe ? Faudrait-il que les directeurs de greffe aient davantage de poids dans la gestion des juridictions ? Les magistrats souhaitent garder la main sur leurs juridictions et ne sont pas très favorables à une prise de décision des directeurs de greffe, qui pourrait pourtant se justifier du point de vue d'une bonne gestion.

Qu'en est-il des attachés d'administration et des administrateurs civils, qui sont a priori formés pour les fonctions support et pour la gestion des administrations ? Les attachés d'administration et les administrateurs civils sont très peu nombreux au ministère de la justice. Ne s'agit-il pas d'une carence ?

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Le ministère de la justice compte très peu de financiers.

La question de la formation concerne la formation à la gestion. Cependant, fort de mon expérience dans un ministère, je peux vous dire que si l'on ne comprend pas le sens des techniques que l'on utilise, on les applique mal. Ce qui m'a aidé lorsque je travaillais au ministère c'était d'être en même temps à l'université. Je comprenais mieux le sens de ce que je faisais. Cela m'est toujours resté. Il faut que la formation associe la technique au sens des techniques employées. Il faut que l'on comprenne pourquoi l'on fait ceci ou cela, pour pouvoir le faire bien.

Par conséquent, un plan de formation est nécessaire pour les greffiers et les magistrats. Ce plan doit commencer par expliquer le sens de la réforme budgétaire introduite par la LOLF. Pourquoi a-t-on fait cela ? Sur quelle base ces concepts s'appuient-ils ? D'où viennent-ils – des institutions internationales, des entreprises, etc. ? J'ai participé à cette histoire à l'époque, pour tout vous dire.

La LOLF repose sur une logique. Les gens de ma génération la comprennent pour avoir vécue le changement. En revanche, les jeunes générations qui travaillent au ministère de la justice, au budget ou dans d'autres ministères n'ont pas vécu ces débats et n'ont pas été sensibilisées au sens de cette réforme. Ces techniques leur tombent donc dessus sans qu'elles en comprennent le sens. Je l'ai remarqué. C'est un manque important.

Un plan de formation doit comprendre une formation au sens de ces techniques, ainsi qu'une formation à tous les instruments de gestion très sophistiqués que l'on utilise. Le degré d'apprentissage de ces instruments doit varier cependant selon les fonctions auxquelles on s'adresse. Un magistrat n'a pas à savoir comment s'effectue le contrôle interne, entendu au sens du monde de l'entreprise.

Quant à savoir qui dirige, je suis favorable à des participations. On ne peut pas, dans un système complexe – c'est-à-dire un système composé d'acteurs en relation les uns avec les autres, et non forcément compliqué – se passer de la participation des uns et des autres aux actions menées et aux décisions prises, sans quoi les corporatismes jouent et font éclater le système.

Depuis les premiers chocs pétroliers, il y a presque 50 ans, les États se sont transformés et les sociétés sont devenues de plus en plus complexes, et comportent une multitude d'acteurs qui rétroagissent les uns sur les autres. Cela est particulièrement vrai dans les finances publiques. De nombreux acteurs des fonds publics passent ainsi dans le privé puis repassent du privé au public au cours de leurs carrières, par le biais des sociétés d'économie mixte et des autres structures existantes.

Il faut l'avoir en tête. C'est une question de méthode. Une méthodologie systémique est indispensable sur ce point, pour éviter de raisonner en « silos », ce qui revient à séparer les décisions prises et ne fonctionne jamais – d'autant moins dans des sociétés qui ne cessent de gagner en complexité du fait du développement de la mondialisation, de l'intelligence artificielle, etc. Ce système peut donner le vertige si l'on n'a pas de méthode pour l'analyser. Or le manque de méthode est un grand défaut que nous avons.

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Cela ne fait pas partie des propositions du rapport, mais plaidez-vous pour l'instauration de conseils de juridiction, susceptibles de prendre des décisions collectives sur les orientations budgétaires et financières locales ?

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Il existe des conférences des responsables de juridiction. Il ne s'agit pas de formations institutionnalisées dotées d'un statut juridique, mais nous pouvons imaginer une association du CSM – à condition de lui donner les moyens matériels, humains et de formation nécessaires.

La justice est très imprégnée d'une culture juridique. Je suis moi-même juriste. Les finances publiques sont classées dans la catégorie juridique, puisqu'elles font partie du droit public.

Si nous creusons cet aspect, nous devons déboucher sur des solutions acceptables pour les uns et les autres. Pour l'avoir constaté dans le cadre du groupe de travail, nous avons affaire à des gens de bonne volonté, non à des personnes obnubilées par leurs propres intérêts – ces gens ont tous une culture, ils ont un sens du service public et de la qualité de la justice.

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Pourquoi proposez-vous de mener le dialogue de décision au moment de la lettre de cadrage et non au moment de l'élaboration du projet annuel de performance ?

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Vous avez raison, c'est à discuter. J'ai proposé cela, car la lettre de cadrage comprend les grandes orientations du Gouvernement. Cependant, c'est peut-être un peu tard. Nous pourrions imaginer que le dialogue de décision intervienne en amont de cette étape. Nous n'avons d'ailleurs pas inscrit cette proposition dans le rapport, où ce sujet a été laissé ouvert.

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Je vous remercie, car vous rendez intelligible un sujet qui ne l'est pas nécessairement.

Je vous ai adressé des questions qui venaient pour une large part de votre rapport, lequel constitue une source importante de renseignements pour nous. Il existe peu de documents de cette qualité susceptibles de nous éclairer.

Au départ de nos auditions je n'étais pas persuadé du lien entre indépendance et questions budgétaires, mais j'y viens progressivement.

Vous avez répondu dans une large mesure à toutes les questions écrites qui vous avaient été posées, et je vous en remercie.

L'institution judiciaire est confrontée à une forme de lourdeur. Je l'ai vécu personnellement à plusieurs reprises. Elle souffre d'un manque d'autonomie, de décision, de gestion. Toutefois, s'agit-il d'un frein réel à l'indépendance de l'exercice de la justice ?

Vous avez évoqué l'indépendance comme une sorte de paradigme. Pouvez-vous mieux l'expliquer ? L'autonomie de gestion, l'autonomie de décision sont facteurs d'indépendance pour le service public de la justice en direction de nos concitoyens.

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Ce que je vais vous dire vous paraîtra tout à fait banal. Si, comme les magistrats, l'on n'est pas capable de gérer son budget, on se débrouille très mal dans la vie ! Il en va de même pour une famille, qui va vite à la déconfiture si elle n'est pas capable de gérer son budget, ou pour une entreprise qui peut déposer son bilan rapidement.

Les magistrats chargés de la gestion des crédits n'ont pas la possibilité de gérer correctement leurs fonds pour les raisons que j'ai évoquées plus haut – va-et-vient des crédits, régulation budgétaire, autant de facteurs qui font obstacle à une bonne gestion. Le service de la justice ne peut être correctement rendu sans une gestion qui soit, a minima, correcte.

Par ailleurs, les magistrats n'ont pas, de ce fait, de poids dans les discussions avec le ministère ni même avec la direction du budget. Si on ne parle pas le même langage, on ne se comprend pas. Ainsi, si j'ai le pouvoir de décider, je vais vous dire n'importe quoi, vous ne saurez pas si cela est vrai ou faux, entre ou non dans mon intérêt, etc. Je caricature, bien entendu, mais je souhaite vous donner une image la plus forte possible de cette situation.

Il existe une grande méfiance entre les ministères dépensiers et le ministère des finances. Les magistrats ont du mal à entamer un dialogue avec le contrôle budgétaire, car ils ne possèdent pas les concepts employés, et ne parlent pas la même langue.

Par ailleurs, ceux qui ont une certaine connaissance des finances publiques ont pu l'acquérir avec des concepts qui ne sont plus d'actualité. Depuis la LOLF, tout cela a changé. Nous utilisons des termes qui n'ont plus le même sens. De même, la notion d'autonomie financière des collectivités locales n'a plus le même sens qu'au moment des lois de décentralisation de 1982-1983. Il faut en être conscient.

Il faut donc apprendre le langage. Même la comptabilité est un langage. Nous ne parlons pas le même langage comptable à Londres et à Paris.

Par ailleurs, l'autonomie budgétaire est un facteur de crédibilité pour les magistrats. Si un magistrat parle un langage comptable à des budgétaires, ils seront d'abord surpris, mais il sera ensuite possible d'entamer un dialogue et de supprimer la défiance qui existe entre ces deux corps.

La formation dont je parlais plus haut pourrait permettre d'établir cette confiance. Les agents du ministère, les magistrats, les greffiers, ne pourront en effet pas être formés aux techniques financières publiques uniquement par le personnel de la justice, car les formateurs ne seraient pas assez nombreux. Il faudra aussi mobiliser des personnes de la direction du budget et de la direction générale des finances publiques. Un plan de formation doit être mis en œuvre, prévoyant la mobilisation de membres du ministère des finances. Il faut que les gens se rencontrent.

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Vous avez évoqué la nécessité de remettre en ordre le système, en particulier l'organisation territoriale et fonctionnelle. L'organisation territoriale est effectivement extrêmement complexe – 16 BOP, 36 cours d'appel, UO, etc.

Cette nécessité se heurte à une première difficulté politique que nous avons rencontrée dans la loi du 23 mars 2019, certains élus risquant de redouter la présence d'un « loup » derrière le mouvement général engagé et de considérer que les regroupements effectués le sont sur de mauvaises bases. Toutefois, ce débat nous revient et ne vous appartient pas.

Selon vous, des synergies sont-elles possibles au plan financier entre l'évolution de l'organisation des cours d'appel et l'organisation administrative – qui a été grandement simplifiée s'agissant des régions, sans doute trop ?

Vous avez dit que la complexité d'un système n'excluait pas la simplicité. Or le système actuel n'est pas simple. La méthode que vous préconisez suffirait-elle à simplifier les modes de décision, ou faudrait-il simplifier le système lui-même par l'instauration d'une forme de gestion unique ?

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Tous les systèmes sont, par essence, complexes, mais nous sommes dans un système complexe compliqué. Pour le rendre plus clair, plus transparent, plus harmonieux, l'on doit d'abord – et cela a été bien accepté par le groupe – faire coïncider l'organisation administrative avec l'organisation territoriale. Cela simplifierait considérablement les choses.

Un autre aspect important a trait aux imbrications entre les SAR – pour les cours d'appel – et les délégations interrégionales. Au départ, en 1995, les SAR devaient aider à la gestion et à la formation, quand les délégations interrégionales concernaient les autres aspects, dont l'informatique.

Augmenter les connaissances des magistrats en matière de gestion aboutira forcément à une réorganisation des rapports. Actuellement, on peut se demander qui prend les décisions ! Les magistrats font face à des SAR qui détiennent un savoir qu'ils n'ont pas – même si leur personnel fait l'objet de rotations fréquentes. Il en va de même avec les délégations interrégionales. Nous pouvons rééquilibrer les choses à l'aide de la formation.

Vous me direz : je suis obsédé par la formation…

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Oui.

Des actions volontaristes sont à mener, qui entraîneront automatiquement certains processus. Un rééquilibrage peut ainsi se faire naturellement, à partir du moment où une décision est prise sur la formation et la communication, qui aura des conséquences sur les rapports entre le ministère et les magistrats. C'est une dynamique à mettre en œuvre.

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Pourriez-vous préciser la notion de conseil de justice ?

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Le conseil de justice est un organisme totalement indépendant du ministère qui traite directement avec le Parlement et est composé de magistrats et de personnes représentant des acteurs extérieurs à la justice. Il n'existe pas d'État ayant véritablement institué une telle structure. C'est une proposition du Conseil de l'Europe. Certains États comme le Danemark ou les Pays-Bas s'en approchent.

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Pour vous, la notion de transparence dans les critères d'attribution financiers est-elle un point important à retenir ? À quel niveau faudrait-il placer cette transparence ? Comment s'exercerait la transparence si on devait l'améliorer ?

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Le système instauré par la LOLF a permis de gagner en transparence. Autrefois, le budget de l'État était un système très compliqué comportant plus de 1 000 chapitres. Son organisation en missions, programmes et actions est un facteur de transparence important.

Il faut tenir compte ensuite de la déclinaison des programmes au niveau des BOP et des UO. Dans le cadre actuel, on ne peut pas dire qu'il y ait une transparence absolue, du fait de la nature complexe et compliquée du système. En revanche, à partir du moment où l'organisation gagne en transparence, et où les magistrats participent à la décision, le système dans son ensemble devient plus transparent.

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Avez-vous assisté à des réunions entre la direction des services judiciaires (DSJ) et le contrôleur budgétaire et comptable ministériel en vue de la rédaction du rapport du groupe de travail ?

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Le groupe de travail se réunissait environ une fois par semaine. Dans un premier temps, nous avons discuté entre nous pour essayer de mettre au point le même langage et de s'entendre sur la notion d'autonomie financière. Le groupe rassemblait des procureurs, des présidents de cour, etc. Tout ceci nous donnait des informations, mais il nous fallait des informations extérieures. Nous avons donc auditionné de nombreuses personnes : un ancien directeur du budget aujourd'hui conseiller d'État, le contrôleur budgétaire du ministère, la directrice de l'administration judiciaire, etc. Après chaque audition nous réfléchissions à ce qui avait été dit.

Progressivement, nous avons avancé, en réglant les questions internes au groupe et en confrontant les points de vue que nous pouvions avoir par rapport à tel ou tel sujet. Nous étions mus par la volonté d'aboutir à des propositions.

Nous avons invité des personnalités extérieures à nous dire comment elles voyaient les choses. J'avais demandé à un membre de la Cour des comptes de participer au groupe. Le groupe comptait aussi deux universitaires. J'avais souhaité qu'il soit représentatif de différents points de vue. Il fallait ensuite auditionner d'autres personnes.

Les discussions que nous avons pu avoir en interne ont été aussi importantes pour approfondir certains points. J'avais besoin aussi de cela. C'est pour cela que je vous disais qu'une étude de professionnel était nécessaire sur ce point. Je ne sais pas si vous avez les moyens de le faire ici.

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Nous aurions éventuellement les moyens à travers le comité d'évaluation et de contrôle, mais cela nécessiterait de mobiliser aussi des moyens ministériels.

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Pourriez-vous agir en collaboration avec la commission des finances ?

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Cela m'interpelle que l'on ne sache pas quels sont les besoins de chaque ministère.

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Paradoxalement, de nombreuses études sont menées sur des pays étrangers, d'Afrique, d'Asie ou du Maghreb, pour établir un diagnostic et faire des propositions. Or on ne travaille pas comme cela ici. C'est quand même étonnant ! La crise sanitaire est un bel exemple de cette contradiction. Nous pouvons faire ce travail, et mettre à plat les besoins de la justice. Nous savons le faire, et disposons des compétences nécessaires, y compris au sein des ministères. Pourtant, nous fonctionnons avec des commissions.

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Avez-vous constaté concrètement une différence de langage entre la DSJ et la direction du budget, au cours d'un dialogue de gestion auquel vous auriez été associé ?

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Je n'ai pas participé à un dialogue de gestion.

Le dialogue de gestion n'est pas un vrai dialogue de gestion, comme le souligne le rapport. Normalement, un dialogue de gestion a pour but de définir une stratégie, des moyens et des indicateurs. Or les dialogues de gestion qui sont menés n'entrent pas dans ce cadre et ne suivent pas la logique de la LOLF.

Celle-ci reposait sur les notions de transparence et de responsabilisation. Or la responsabilisation implique une discussion sur les crédits à attribuer, à tous les niveaux. Vous pourriez, en tant que députés, modifier à la marge certains programmes à l'intérieur d'une mission, mais le fait majoritaire s'applique en France et constitue sur ce point un handicap. L'introduction des missions dans la LOLF avait toutefois aussi pour but de vous accorder un supplément de droit d'amendement. L'avant-projet de la LOLF ne comportait que des programmes, à l'image des systèmes anglo-saxons. Henri Emmanuelli avait souligné la nécessité de donner aux parlementaires un pouvoir supplémentaire d'amendement sans que cela n'augmente les dépenses publiques. Des missions ont donc été prévues au-dessus des programmes. La mission constitue l'unité de vote au sein de laquelle s'applique votre droit d'amendement.

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Le système est déconcentré, mais appuyé sur des crédits centralisés. Le groupe de travail a-t-il discuté de la possibilité de transformer les juridictions en établissements publics, dotés d'une comptabilité propre ?

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Non, nous ne sommes pas allés jusque-là. Nous sommes partis du principe qu'on ne pouvait pas « chambouler » les choses. C'est inacceptable.

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Les magistrats du groupe ont-ils fait état de difficultés concrètes de gestion susceptibles d'avoir un impact sur le traitement judiciaire de leurs dossiers – impossibilités de réunir des audiences, de mener des expertises, etc. ?

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Directement, non. Cependant, tous ont le sentiment que, du fait de leurs difficultés à programmer leurs dépenses et de la question des frais de justice – depuis l'origine de la LOLF, ils plaident pour des crédits évaluatifs et non limitatifs –, la justice est moins bien rendue. Toutefois, nous n'avons jamais évoqué une affaire particulière.

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Une forme d'autocensure budgétaire est-elle à l'œuvre ?

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Michel Bouvier, professeur des universités, président de l'association pour la Fondation internationale de finances publiques

Oui, comme un peu partout. Nous suivons une logique du chiffre, non de la qualité. Le nouveau premier président de la Cour des comptes a d'ailleurs indiqué dans son discours d'intronisation qu'il avait deux axes : la soutenabilité de la dette publique et la qualité de la dépense. Il n'a pas dit cela par hasard. Cela est lié à la crise du coronavirus. Nous sommes dans une logique de gestion beaucoup trop sophistiquée – comme l'ont montré les critiques adressées aux agences régionales de santé. Je l'ai écrit dans une tribune publiée dans Le Monde récemment. Pour certains services rendus au public nous ne pouvons raisonner uniquement à travers des indicateurs chiffrés. C'est impossible.

Nous traversons une crise sanitaire, mais il se produit aussi une crise de la justice. La justice manque de moyens. Cependant, si nous raisonnons uniquement à partir de ce manque, nous n'en sortirons pas. Il faut soigner le fond et non seulement les symptômes.

La séance est levée à 17 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Didier Paris