L'audition débute à dix-sept heures dix.
Nous accueillons M. Bruno Ferreira, qui est directeur général de l'alimentation au ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Vous êtes inspecteur général de la santé publique vétérinaire. La direction générale de l'alimentation (DGAL) a la responsabilité de la sécurité et de la qualité des aliments tout au long de la chaîne alimentaire, ainsi que de la santé et de la protection des animaux et des végétaux. Il s'agit d'une direction importante par ses missions et les effectifs qui concourent à leur réalisation. Après avoir présenté les principales missions de la DGAL, je vous remercie de préciser la manière dont cette dernière s'intègre dans le dispositif général des politiques publiques de santé environnementale.
(M. Bruno Ferreira prête serment).
La DGAL est chargée d'assurer la sécurité sanitaire tout au long de la chaîne alimentaire, du végétal à l'animal vivant et aux produits transformés depuis la production jusqu'à la consommation. Son action est orientée vers la performance sanitaire, laquelle consiste à apporter aux citoyens la garantie de disposer d'une alimentation saine, sûre et de qualité en s'intéressant à tous les aspects de la chaîne alimentaire, en production primaire végétale et animale, incluant la protection des animaux et la qualité de la transformation et de la distribution, jusqu'à la consommation et la gestion des alertes sanitaires.
S'agissant de la santé environnementale, la DGAL inscrit son action dans le cadre plus large du concept « One Health, une seule santé », pour lequel la dimension de la santé environnementale est importante, au même titre que la santé végétale, animale et humaine. Il s'agit de mettre en avant la maîtrise des risques sanitaires tout au long de la chaîne alimentaire et dans toutes leurs composantes, qu'il s'agisse de dangers physiques, chimiques et biologiques, à l'interface de l'ensemble de ces « santés ».
Notre action vise à assurer un continuum sanitaire entre la santé animale, humaine, environnementale et végétale. Cette approche, qui date du début des années 2000, est désormais portée par nos partenaires européens et internationaux. L'action de la DGAL pour l'amélioration de la santé environnementale passe principalement par la mise en place de trois politiques publiques importantes, à savoir :
– la réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques, notamment avec le plan Écophyto II+ qui est sous pilotage de plusieurs ministères ;
– la réduction de l'usage des antibiotiques en élevage avec le plan Écoantibio ;
– la mise en œuvre de la politique nationale de l'alimentation via le programme national de l'alimentation qui est articulé avec le programme national Nutrition Santé (PNNS) au travers du plan national Alimentation Nutrition.
Le programme national de l'alimentation (PNA) vise à assurer à la population l'accès à une alimentation sûre, saine, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante, produite dans des conditions économiquement et socialement acceptables par tous, favorisant l'emploi, la protection de l'environnement et des paysages, et contribuant à l'atténuation et à l'adaptation aux effets du changement climatique.
L'objectif du plan Écopyto II+ est de réduire les usages des produits phytopharmaceutiques de 50 % d'ici 2025 et de sortir de l'utilisation du glyphosate d'ici fin 2020 pour les principaux usages, et au plus tard d'ici 2022 pour l'ensemble des usages de ce produit.
Le plan Écoantibio vise à diminuer sensiblement l'exposition des animaux d'élevage aux antibiotiques de manière à limiter l'apparition, via l'élevage, de phénomènes d'antibiorésistance dans l'environnement.
La stratégie poursuivie par la DGAL s'articule fortement avec les orientations européennes. Au niveau européen, la stratégie « Farm to Fork, de la ferme à la fourchette », présentée par la Commission fin mai 2020 dans le cadre du Green Deal, comprend de forts axes relatifs à la santé environnementale, en particulier la transformation des systèmes de production et une alimentation plus durable, afin de limiter les impacts négatifs de la chaîne alimentaire sur l'environnement et de répondre aux enjeux de santé publique et à l'évolution des attentes des consommateurs.
Cette stratégie est construite autour des trois grands objectifs suivants :
– atteindre un impact environnemental neutre ou positif de la chaîne alimentaire ;
– assurer la sécurité alimentaire, la nutrition et la santé publique ;
– maintenir les denrées alimentaires à un prix abordable pour le consommateur tout en générant des rendements économiques plus équitables tout au long de la chaîne agroalimentaire.
Le deuxième volet porte sur la stratégie biodiversité avec la mise en avant de la protection et de la restauration de la biodiversité, ainsi que le bon fonctionnement des écosystèmes.
Il s'agit de leviers essentiels qui animent les politiques que nous avons à conduire. La stratégie Farm to Fork intègre des objectifs assez forts en matière de maîtrise des intrants agricoles, notamment des produits phytopharmaceutiques ou des antibiotiques qui font écho au plan précédemment évoqué.
Bien qu'orientée vers la sécurité sanitaire de l'aliment, l'action de la DGAL doit intégrer l'ensemble des aspects présentant un impact sur l'environnement dans une logique interministérielle, mais également dans la logique « Une seule santé » qui doit permettre aux différents compartiments de la santé de conduire une action aussi intégrée que possible dans l'action publique.
Nous venons d'auditionner la représentante de la direction de l'eau et de la biodiversité qui relève du ministère de la transition écologique, laquelle expliquait que son service intervenait également sur le plan Écophyto et était associé au plan Écoantibio.
Quelles actions concrètes mettez-vous en place en collaboration avec la direction de l'eau et de la biodiversité ? Vous faites part de votre mission de sécurité sanitaire des produits alimentaires. Comment se fait-il que nous constations des traces de pesticides dans l'organisme lors de prélèvements comme l'indiquent les deux scientifiques que nous venons d'auditionner ? Comment parvenez-vous à vous organiser et à obtenir de vrais résultats ?
Nous travaillons étroitement avec la direction de l'eau et de la biodiversité sur plusieurs sujets. La DGAL et la direction de l'eau et de la biodiversité sont les deux directions opérationnelles de pilotage du plan Écophyto II+, depuis de nombreuses années.
Nous travaillons concrètement à la préparation des mesures proposées au gouvernement et aux orientations budgétaires. Dans le cadre de la maquette Écophyto, une enveloppe prévue dans le code de l'environnement est destinée au financement d'un certain nombre d'actions qui permettent d'engager la transition agroécologique pour la réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques. Nous travaillons au jour le jour sur la définition de ces mesures afin d'identifier les leviers, de définir les actions et de les calibrer avec les moyens dont nous disposons, de piloter et suivre ce plan, et d'en rendre compte au gouvernement. Les actions de la DGAL sont largement tournées vers le secteur agricole. La direction de l'eau et de la biodiversité est orientée vers les jardins, les espaces verts et les zones non-agricoles, s'agissant de l'usage des produits phytopharmaceutiques.
Effectivement, des traces de pesticides peuvent être retrouvées dans l'organisme. Je rappelle que l'utilisation des produits phytopharmaceutiques est encadrée par des autorisations de mise sur le marché, délivrées par l'agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). L'objectif du plan Écophyto est de travailler avec les organismes de recherche et les instituts techniques pour identifier des méthodes alternatives à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et les promouvoir par de la communication ou au moyen des démarches de groupe. Je citerai, en particulier, le réseau de Fermes Dephy, lesquelles sont engagées dans une démarche de réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques avec l'objectif de diffuser ces bonnes pratiques et dans une approche permettant de démontrer que la réduction de cet usage dans des systèmes culturaux est possible sans dégradation de la performance économique des systèmes de production.
Nous travaillons à un ensemble d'actions, en déclinaison de ce plan Écophyto. Nous travaillons également sur d'autres sujets, notamment avec la direction de l'eau et de la biodiversité dans la tutelle de l'office français de la biodiversité (OFB. L'ex-office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), qui est désormais intégré à l'OFB, assure pour le compte de la DGAL des missions de surveillance de la faune sauvage, notamment vis-à-vis de maladies transmissibles à l'homme ou au bétail, comme la tuberculose qui est présente dans les populations sauvages de cervidés ou de blaireaux et l'influenza aviaire qui est hautement pathogène. Ces dispositifs de surveillance active sont pilotés par l'OFB en lien entre la DGAL et la direction de l'eau et de la biodiversité.
Comment évaluez-vous la participation de votre direction à la mise en œuvre du PNSE3 ? Les actions dont vous êtes pilotes ou partenaires ont-elles atteint leur objectif ?
À quel montant évaluez-vous l'enveloppe budgétaire consacrée à votre direction pour la mise en œuvre du PNSE3 ? Des effectifs travaillent-ils exclusivement à ces questions ?
Au niveau territorial, quelle est l'appui de votre direction aux services déconcentrés en ce qui concerne les plans régionaux santé-environnement ?
Nous conduisons plusieurs actions concrètes qui permettent de contribuer au PNSE3 et à la préparation du PNSE4. Une articulation existe entre les différents plans sectoriels, notamment entre le programme national de l'alimentation qui concourt à l'évolution de l'offre alimentaire comme y contribuent les plans Écophyto, Ambition Bio 2022, Protéines végétales et le PNSE. Dans son volet alimentation, ce dernier porte sur des enjeux liés aux contaminants de l'alimentation, aux nanomatériaux et aux perturbateurs endocriniens qui ne sont pas abordés dans le plan national Alimentation Nutrition.
Le nouveau plan PNSE4 2024, qui sera intitulé « Mon environnement, ma santé » sera un plan « chapeau » dans lequel se concentreront les questions « environnement ». En conséquence, il ne traitera pas des sujets alimentaires qui font l'objet de plans ou de stratégies sectorielles. Pour autant, ces plans se correspondent et sont coordonnés. Normalement, aucun chevauchement ne doit exister entre le PNSE et le PNA et aucune action du PNSE4 ne ciblera l'alimentation, qui est déjà couverte par le PNA ou le PNNS. Néanmoins, certains sujets comme les nanomatériaux ou les perturbateurs endocriniens qui sont traités dans le PNSE sont transverses et irriguent tous les secteurs, y compris celui de l'alimentation. De la même manière, la question de la protection de la biodiversité, qui constitue un élément important du PNSE, conduit à trouver une articulation avec les sujets relatifs à la transition agroécologique.
Dans la construction de ces plans nationaux, nous essayons d'éviter la redondance afin de ne pas évoluer vers une action contradictoire, mais dans le souci de couvrir l'ensemble des sujets concernés et de veiller à la bonne articulation des plans en question.
S'agissant des nanomatériaux, des perturbateurs endocriniens ou de la biodiversité, un bureau à la DGAL est en charge du suivi et assure la coordination avec les autres administrations, mais également en interne afin que toutes les politiques que nous conduisons et qui peuvent contribuer à cet objectif puissent être intégrées avec les finalités poursuivies dans le PNSE. La DGAL participe au groupe de travail du PNSE et siège aux réunions plénières. Cette organisation est suivie par le comité interministériel de la santé qui est présidé par le Premier ministre et auquel participent tous les membres du gouvernement.
En revanche, s'agissant de l'identification des moyens financiers correspondant à ces actions, la maquette de performance du programme 206 piloté par la DGAL est construite autour de l'objectif de performance sanitaire. Nous ne disposons pas d'éléments financiers permettant de documenter complètement les opérations qui contribuent aux objectifs de santé-environnement dans les actions conduites par la DGAL. Certaines actions peuvent être identifiées : elles ne figurent plus dans le programme 206 du budget, ayant été affectées à un programme des interventions territoriales de l'État (PITE), notamment le PITE Chlordécone. Pour documenter le volume financier consacré par le programme piloté par la DGAL aux objectifs de santé-environnement, il faudrait revoir complètement la maquette de performance et les indicateurs associés.
Vous évoquiez vos difficultés à évaluer les résultats en termes de performance sanitaire. En ce qui concerne la protection des agriculteurs, la mutualité sociale agricole (MSA) a identifié un certain nombre de maladies professionnelles liées à l'usage des pesticides et les a déclarées comme donnant ouverture à des droits et des aides sociales. Quelles sont vos statistiques épidémiologiques ? Il semble qu'il s'agisse d'un critère très objectif d'amélioration de vos politiques en matière d'épandage et de consommation des pesticides, avec un impact direct sur la santé humaine.
J'aimerais connaître votre position et vos actions éventuelles quant aux publicités qui passent sur les écrans, à destination des jeunes enfants, sur les aliments gras, sucrés et salés. Comment vous positionnez-vous par rapport à ces nécessaires interventions puisque votre direction traite à la fois d'agriculture et d'alimentation ?
La question des statistiques sur les maladies professionnelles ne relève pas du champ d'action de la direction générale de l'alimentation, mais du secrétariat général du ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Bien évidemment, nous échangeons, mais je ne dispose pas de chiffres précis sur cette question dans la mesure où le suivi populationnel des agriculteurs ne relève pas de la compétence de la DGAL.
Depuis plusieurs années, a été mis en place un système de phyto-pharmacovigilance, piloté par l'ANSES, lequel était initialement financé par le ministère de l'agriculture. Je rappelle que le programme 206, qui est piloté par la DGAL, contribue pour 60 % à la subvention pour charge de service public de l'ANSES. L'objectif est de repérer les signalements et l'ensemble des données permettant de disposer d'informations sur un niveau d'imprégnation des populations, vis-à-vis des produits phytopharmaceutiques, comme sur d'autres contaminants chimiques de l'environnement, que l'on peut retrouver via les aliments.
L'ANSES intègre ces données dans ses évaluations sur les orientations transversales en matière d'utilisation des produits phytopharmaceutiques, mais également lorsqu'il s'agit de délivrer ou de revoir une autorisation de mise sur le marché. Ce volet ne relève pas non plus du champ de compétences de la DGAL. Nous contribuons à cette action, mais n'avons pas de vision complète, ni de leviers particuliers sur le sujet.
Le sujet de la publicité à destination des jeunes enfants a été intégré au programme national pour l'alimentation dès son origine avec, en premier lieu, une action conduite avec l'ensemble des annonceurs et le CSA visant à établir une charte permettant des engagements de l'ensemble des acteurs en matière de publicité sur les aliments, notamment à destination des jeunes enfants. Cette charte a été revue à plusieurs reprises et le sujet a été remis en débat, à l'occasion de la Convention citoyenne pour le climat. Un certain nombre de mesures a été proposé par les citoyens dans cet objectif. Au mois de septembre, ces mesure ont fait l'objet, de concertations thématiques ne relevant pas uniquement du champ de la DGAL. Nous travaillons étroitement sur ce sujet avec la direction générale de la santé et le ministère de la culture.
L'action conduite jusqu'à présent de concert avec la direction générale de la santé a consisté à amener l'ensemble des annonceurs et des diffuseurs à conduire une politique permettant de limiter ou de restreindre fortement la publicité sur les aliments défavorables aux enfants dans les créneaux horaires où ces derniers pourraient y être exposés. Cette démarche a été conduite en accord avec les orientations du plan national Nutrition Santé et les recommandations établies par Santé publique France relatives à l'alimentation des jeunes enfants.
À ce stade, nous ne disposons pas d'autre outil que de tenter de créer ce consensus autour d'engagements volontaires de la part des annonceurs et des diffuseurs. Nous examinerons les dispositions qui pourront sortir sur ce sujet des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. Il appartiendra également au législateur de s'emparer de cette question.
Le législateur s'est déjà positionné dans la loi Egalim. Vous faites mention de cette charte qui devait être signée. Nous avions reporté le vote d'un amendement visant à contrôler ces publicités extrêmement nocives pour les enfants puisque le diabète et l'obésité augmentent en France. Il était convenu que cette charte ferait l'objet d'un travail très rapide avec le CSA. Cette raison sine qua non avait conduit la majorité des députés à accepter de voter la loi Egalim.
Le délai est désormais passé. Vous faites part de l'intervention d'un grand nombre de personnes et de la minoration de votre responsabilité dans cette dynamique. Quels sont les délais que vous vous êtes fixés pour réellement passer aux actes vis-à-vis de la loi Egalim ?
Je ne minore pas le rôle de la DGAL. Plusieurs directions générales sont impliquées sur le sujet. Nous avons eu de nombreux échanges liés à des points de blocage sur un certain nombre d'engagements que nous jugions insuffisants dans la charte, signée par les parties prenantes le 30 janvier 2020, après les discussions visant à durcir certains engagements au regard des recommandations émises par Santé publique France sur cette question. Les ministères, qui se sont mobilisés dès l'adoption de la loi afin d'avancer sur ce point et ne pas transiger sur notre niveau d'exigence vis-à-vis des annonceurs et des diffuseurs, ont finalement décidé de ne pas signer ce texte.
Aujourd'hui, le débat prend une autre forme à travers les recommandations de la Convention citoyenne pour le climat avec des mesures proposées visant des interdictions plus dures.
Quelles actions spécifiques pourraient être menées à destination des enfants et des jeunes ? Dans votre champ de compétences, conduisez-vous des partenariats avec l'Éducation nationale ?
Nous menons plusieurs actions à destination des enfants puisqu'il s'agit de l'une des priorités du programme national pour l'alimentation. Nous travaillons avec le ministère de l'éducation pour introduire des obligations à l'éducation à l'alimentation, mais également à travers un ensemble d'actions, comme la mise en œuvre du programme européen « Fruits et lait à l'école », dont nous avons rénové le dispositif, afin de permettre l'accès des enfants à des produits laitiers et des fruits frais à l'occasion du petit-déjeuner, du déjeuner ou du goûter, au moyen de subventions versées aux cantines et aux mairies permettant l'acquisition de produits frais à destination des jeunes enfants.
Des actions plus médiatiques sont conduites au travers d'opérations, comme la « Semaine du goût », qui visent à rapprocher les enfants de ce qu'est l'aliment et son origine, tout en orientant vers les aliments frais. Dans le plan de relance, une action est engagée à destination des petites cantines, notamment en milieu rural, afin de les aider à former leur personnel, à acquérir du matériel ou à améliorer leur circuit d'approvisionnement pour atteindre plus rapidement les objectifs fixés dans la loi Egalim, soit 50 % de produits de qualité durable, dont 20 % de bio dans la restauration collective.
Nous jouons sur plusieurs tableaux : des mesures de nature incitative et, avec le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, des dispositions visant à améliorer l'éducation des enfants sur l'alimentation et à les rapprocher des conditions dans lesquelles elle est produite.
Que faudrait-il améliorer en matière de prévention pour accroître l'efficacité de la politique en santé-environnement ?
Votre question porte-t-elle sur les enfants ou est-elle générale ?
L'une des actions fondamentales visant à favoriser la prévention consiste à connaître. Il est nécessaire de travailler sur la surveillance dans une approche intégrée et complète. La DGAL a travaillé dans ce sens en mettant en place des plateformes d'épidémiosurveillance sur la santé animale, végétale et la sécurité de la chaîne alimentaire. Il s'agit de plateformes collaboratives au sein desquelles nous collectons un maximum de données afin de les étudier et de travailler avec des biostatisticiens à la détection d'un certain nombre de phénomènes.
Nous travaillons avec le ministère de la transition écologique à la connexion de nos systèmes de surveillance en matière de biodiversité afin d'améliorer la détection de signaux d'impact sur l'environnement qui affecteraient la santé végétale, animale, la biodiversité ou la santé humaine.
Le concept One Health se fonde sur cette approche intégrée avec l'appui de la surveillance en faveur d'une détection et d'une action précoce. Certains phénomènes sont facilement visibles, mais d'autres, en matière de santé-environnement, ne pourront être détectés avant que le problème s'aggrave faute de disposer des dispositifs de surveillance adaptés.
Je suis perplexe lorsque j'entends votre discours. Qu'entendez-vous par biosécurité alors que des mesures pour lesquelles des réponses rapides sont attendues atermoient sans cesse ? Les échéances sont constamment repoussées. J'ignore si des intérêts économiques et des formes de lobbying sont en jeu, mais les résultats sont visibles sur la santé environnementale. Vous vous faites les promoteurs de la biosécurité et de la prévention. Or les mesures sur lesquelles des scientifiques ont établi des faits précis, puisque nous disposons d'études statistiques absolument imparables montrant la nécessité de changer de mode de fonctionnement, sont insuffisamment prises en compte.
Dans ma circonscription, je suis confrontée à des problématiques locales concernant la santé environnementale et la direction de l'agriculture. Nous constatons une invasion d'ambroisie qui fait l'objet de recommandations de mesures inapplicables dans les faits. La carte des cours d'eau concernant les zones non traitées (ZNT) a été adaptée en fonction des cartes IGN. Dans mon département, nous sommes passés de 4 000 à 14 000 kilomètres de cours d'eau en l'espace de quelques secondes.
Je cite des exemples pour montrer l'incohérence, voire l'inapplicabilité dans les faits, et le caractère parfois absurde des mesures préconisées dans la façon dont elles sont amenées et imposées. Je mentionnerai l'obligation d'information de toxicité et de dangerosité des plantes qui est faite aux horticulteurs, laquelle représente un travail considérable pour cette filière extrêmement impactée par la crise. Face à un danger quasi inexistant, nous constatons une réactivité très forte alors que l'on prend son temps pour d'autres sujets dont l'impact est réel et peut-être beaucoup plus difficile à contrer sur le long terme, comme la forte croissance de l'obésité et du diabète des jeunes enfants.
La biosécurité consiste en l'ensemble des mesures visant à protéger les élevages vis-à-vis de l'intrusion de maladies animales, ce qui est également valable pour des maladies végétales. Cette notion, qui a pris une importance considérable suite à la crise influenza aviaire que nous avons connue entre 2015 et 2017, a conduit à un pacte avec la filière visant à mettre en place un ensemble de mesures destinées à protéger les élevages de l'introduction d'agents pathogènes qui diffuseraient des maladies dans les élevages ou les fragiliseraient.
La peste porcine africaine, qui est mortelle pour les suidés et qui est très présente en Europe de l'Est, en Chine et sur le continent eurasien, a fait son apparition en Allemagne depuis quelques semaines. Elle nécessite la mise en place d'un ensemble de dispositions dans les élevages afin d'éviter les contacts entre les porcs et les sangliers sauvages qui pourraient diffuser la maladie. Si un seul cas de peste porcine africaine survenait sur le territoire, l'ensemble du marché et de la filière serait privé de la possibilité d'exporter, ce qui engendrerait des conséquences importantes.
La biosécurité consiste à raisonner l'organisation de son exploitation, avec des mesures adaptées pour protéger l'élevage de l'introduction d'un agent pathogène, en les axant sur la prévention. Toutes les études conduites au niveau national et européen montrent que l'investissement d'un euro dans ces mesures de prévention génère entre quatre et cinq euros d'économies par rapport à des mesures d'indemnisation ou d'éradication lorsqu'un foyer apparaît sur le territoire.
Dans les années 2015-2017, lors de la double crise survenue au sein de la filière volaille avec deux vagues successives d'influenza aviaire dans les élevages, nous avons constaté combien il était nécessaire de raisonner les pratiques. Les mesures de biosécurité correspondent quasiment aux gestes barrières s'agissant de la COVID-19. Il s'agit de mettre en place des mesures permettant de protéger les élevages de ces agents pathogènes et d'éviter l'éradication ou le recours aux antibiotiques pour faire face à des maladies bactériennes qui s'y introduiraient.
Les politiques que vous citez n'entrent pas toutes dans le champ de compétences de la DGAL. Tel est le cas de l'ambroisie et de la définition des cours d'eau, même si des impacts nous concernent quant à la manière d'appliquer d'autres politiques. Certaines politiques sont parfois complexes à mettre en œuvre, en raison de choix politiques orientés vers la concertation, laquelle prend du temps. Je comprends l'impatience qui peut se manifester vis-à-vis de l'atteinte de résultats, mais l'administration ne dispose pas toujours des leviers nécessaires.
Le sujet de l'ambroisie renvoie à la question de la surveillance, l'enjeu étant de pouvoir intervenir au plus tôt lors de la survenue d'un problème environnemental impactant la santé et la qualité des milieux et de l'environnement. Il s'agit d'un élément essentiel pour éviter les situations nécessitant une intervention plus lourde ou moins efficace faute de disposer des moyens nécessaires pour agir immédiatement.
S'agissant de la dangerosité des plantes, je concède qu'il existe peu de cas de décès, mais chaque année, sont constatées des consommations de plantes dont le consommateur ignore la toxicité ou la nocivité. Il est important de rappeler que toutes les plantes ne sont pas sans danger. Une traçabilité est imposée aux horticulteurs et aux pépiniéristes, au niveau européen, pour protéger le territoire de l'introduction et de la circulation d'agents pathogènes. Tel est le cas de la bactérie Xylella fastidiosa qui est présente dans le Sud de la France et en Corse, et qui a causé des ravages dans les productions d'oliviers en Italie. La traçabilité des végétaux est importante car la santé végétale est tout aussi importante que la santé animale dans la mesure où des productions et des équilibres de biodiversité peuvent être compromis en présence d'attaques sur les végétaux conduisant à la disparition d'un certain nombre d'espèces au sein des écosystèmes. La santé végétale est l'une des illustrations les plus parfaites de l'impact et de la relation entre la santé et l'environnement, notamment par ses liens avec la biodiversité.
Quels sont les moyens dont dispose votre direction pour intervenir sur les processus de fabrication des produits alimentaires provenant de l'alimentation industrielle ?
Les conclusions de la mission d'information portant sur l'alimentation industrielle sont extrêmement critiques vis-à-vis des produits mis à disposition sur le marché alimentaire. Quels sont les moyens d'intervenir, de réguler, voire d'interdire des produits potentiellement nocifs pour la santé ? Il s'agit de produits complètement trafiqués et remplis de substances chimiques, voire de perturbateurs endocriniens, ce qui relève complètement du champ de la santé environnementale. Je souhaite connaître votre politique d'intervention et de régulation de la production et des process.
Les moyens dont nous disposons pour réguler les produits mis sur le marché découlent essentiellement de la réglementation européenne en matière d'autorisation de mise sur le marché d'un certain nombre de produits. Je pense aux additifs qui peuvent être ajoutés, dans des proportions plus ou moins importantes, aux produits transformés.
La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la DGAL s'assurent conjointement de la conformité des produits mis sur le marché à cette réglementation, avec une obligation d'étiquetage des produits contenant des additifs. Notre mode d'action doit s'appuyer sur la réglementation. L'action de la DGAL à l'égard de ces aliments vise à s'assurer que le process mis en œuvre permet de garantir la sécurité sanitaire du produit au regard de ces données et des risques biologiques ou chimiques qui ne sont pas forcément liés à l'incorporation volontaire d'additifs ou d'auxiliaires technologiques, mais à des contaminations pouvant être apportées par l'environnement de fabrication ou les matières premières utilisées.
Le socle s'appuie essentiellement sur la réglementation européenne qui permet la mise ou non d'un produit sur le marché. Aujourd'hui, l'administration n'a pas le pouvoir d'interdire la mise sur le marché d'un produit au motif qu'il serait trop riche en sucre ou en graisse. Dès lors que l'étiquetage nutritionnel du produit est conforme aux exigences réglementaires, nous n'avons pas les moyens d'empêcher sa mise sur le marché.
La démarche Nutri-Score a fait l'objet de plusieurs évaluations conduites par la direction générale de la santé. Des évolutions sont prévues pour l'adapter et s'assurer de la prise en compte des composantes nutritionnelles afin de donner la meilleure information possible. Le gouvernement soutient fortement le Nutri-Score, notamment au niveau européen. Des débats sont actuellement conduits, sous la présidence allemande du conseil de l'Union européenne, afin de parvenir à un étiquetage harmonisé des caractéristiques nutritionnelles, en face avant, des produits alimentaires.
Nous encourageons les entreprises à intégrer la démarche du Nutri-Score que nous portons au sein des instances européennes et qui emporte de plus en plus d'adhésions. Plusieurs États membres ont rejoint cette démarche, notamment l'Allemagne, qui a proposé trois types d'informations nutritionnelles, dont le Nutri-Score, lequel a été plébiscité par la population comme étant le plus compréhensible. Nous continuons à en faire la promotion au niveau européen afin que les évolutions prévues du règlement, notamment quant à l'information du consommateur, permettent de faire valoir les éléments constitutifs du Nutri-Score en faveur de son adoption à ce niveau. Il s'agira d'une démarche volontaire ou obligatoire en fonction des négociations. Actuellement, tous les États membres ne sont pas d'accord. L'Italie défend d'autres systèmes, mais nombreux sont ceux qui se rallient à cette démarche pour en faire la référence au niveau européen en matière d'information nutritionnelle du consommateur.
Si vous aviez une suggestion à formuler pour améliorer la sécurisation alimentaire des consommateurs français, que proposeriez-vous ? Quels sont les obstacles auxquels vous êtes confronté pour améliorer l'encadrement des risques et sécuriser l'alimentation de la population française ?
Du point de vue des risques sanitaires en tant que tels, j'évoquerai les dangers biologiques et microbiologiques ou chimiques en ce qui concerne les aliments. Les aspects nutritionnels ne relèvent pas tout à fait du même levier.
Dans le domaine de la sécurité sanitaire chimique, microbiologique et biologique des aliments, nous disposons d'un arsenal permettant d'empêcher la mise sur le marché de produits non conformes susceptibles d'être nocifs pour la santé. Conformément à la réglementation européenne, le professionnel est responsable de la sécurité sanitaire du produit qu'il met sur le marché et doit tout mettre en œuvre pour la garantir.
Pour autant, des contrôles sont nécessaires. L'une des voies consiste à contrôler les entreprises productrices de denrées mises sur le marché. Sur le volet nutritionnel, je citerai l'amélioration de la connaissance pour caractériser les aliments qui contribuent à l'obésité ou aux déséquilibres alimentaires. Pour ce faire, nous finançons régulièrement des études appelées « Alimentation totale » qui sont conduites par l'ANSES et qui permettent de constater diverses dimensions quant aux habitudes de consommation, aux types de produits consommés, aux fréquences et aux quantités, afin de connaître les profils d'exposition des consommateurs ou des groupes de consommateurs à tel ou tel aliment.
Il convient également de travailler à des mesures éducatives en réexpliquant ce qu'est l'alimentation, la façon dont elle est fabriquée et ce qu'elle contient. De par l'évolution de nos modes de consommation, nous avons largement perdu le lien entre la fabrication de l'aliment et sa consommation. Nous constatons de plus en plus d'appels au retour à des aliments bruts et au fait de cuisiner. Le confinement a ramené de nombreuses personnes en cuisine. Pour autant, la part des produits transformés dans l'alimentation et des produits tout prêts ne fait qu'augmenter dans la consommation des ménages pour des raisons de praticité et de rapidité de préparation.
Il est nécessaire de consacrer davantage de moyens à l'explication de ce qu'est l'alimentation et la façon dont elle est fabriquée, et de retrouver des équilibres alimentaires forts. La priorité porte sur les populations défavorisées où le seul repas équilibré de la journée est, pour certains enfants, le déjeuner à la cantine. C'est pourquoi un certain nombre d'actions sont dirigées vers les cantines, qui doivent être un lieu où expliquer l'équilibre alimentaire et la sécurité sanitaire de l'alimentation aux enfants, actions qui visent à rapprocher le consommateur de son alimentation dès le plus jeune âge.
Je souhaiterais vous entendre sur la souveraineté alimentaire. Vous êtes en charge de la qualité des aliments et de la protection des animaux et des végétaux afin de permettre la biosécurité concernant les élevages vis-à-vis des agents pathogènes. Vous avez également largement évoqué la santé végétale qui est absolument essentielle.
La souveraineté alimentaire, par sa composante quantitative, est tout aussi essentielle que la qualité des aliments. Quelles orientations préconisez-vous pour permettre d'assurer cette souveraineté alimentaire ? Elle apportera forcément une meilleure qualité de l'alimentation des individus car elle ne peut être en déphasage par rapport à une augmentation de l'agriculture bio ou au moins raisonnée. En effet, combler simplement par une quantité de production agricole alimentaire ne peut constituer une réponse adaptée au besoin de souveraineté alimentaire.
Votre question est complexe et large. Le sujet de la souveraineté alimentaire comporte un volet quantitatif et qualitatif. La loi Egalim fixe des objectifs en matière de bio permettant de fournir la restauration collective. Le plan Protéines fait l'objet d'un axe dans le plan de relance. Il n'est pas uniquement question de la production de protéines végétales à destination des élevages, puisque cinq millions d'euros visent la diversification de la production de protéines végétales à destination de l'alimentation humaine à travers la redécouverte de légumes anciens ayant quasiment disparu de nos réfrigérateurs et de nos cantines, afin d'offrir des alternatives et des équilibres alimentaires en restauration collective ou dans les foyers. Dans un certain nombre de secteurs, il nous faut orienter les productions quantitativement et qualitativement, en termes d'exigence de niveau de gammes de production, par rapport aux souhaits, aux évolutions et à la demande sociétale qui a été largement exprimée dans les états généraux de l'alimentation et dans la loi qui a suivi.
L'un des leviers principaux est la politique agricole commune, notamment la stratégie portée par la Commission, évoquée en début d'intervention, consistant à orienter les aides de la PAC de manière à intégrer des objectifs de souveraineté alimentaire sur un plan quantitatif, sans oublier le niveau d'exigence qualitative, en matière de bio, de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires et d'usage des antibiotiques. Il convient d'orienter ces aides qui constitueront des signaux forts pour les producteurs dans le choix d'orientations technico-économiques qui s'accompagnent également de conditionnalité permettant d'orienter les modes de production vers la préservation de la santé environnementale.
L'audition s'achève à dix-huit heures cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale
Réunion du mercredi 30 septembre 2020 à 17 heures
Présents. - Mme Annie Chapelier, Mme Élisabeth Toutut-Picard
Excusés. - M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Nathalie Sarles