La mission d'information organise une table ronde réunissant : M. Patrick Haddad de l'Association des maires de France (AMF), maire de Sarcelles ; Mme Naïma Charaï de l'association Régions de France, conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine ; M. Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF) et Mme Alyssia Andrieux conseillère pour l'action éducative, sportive, culturelle et touristique.
La séance est ouverte à 9 heures.
Je vous souhaite la bienvenue à cette matinée d'auditions de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses que nous pouvons y apporter.
Il s'agit d'un sujet très vaste et la mission d'information a été créée par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale le 3 décembre 2019. Elle a intensifié ses travaux à ce sujet à l'issue de la crise sanitaire.
Lors de nos échanges avec des intellectuels, des sociologues, des universitaires, des statisticiens et des associations, notamment les grandes associations antiracistes, il est apparu que les collectivités territoriales avaient un rôle fondamental à jouer dans la lutte contre le racisme en général et contre les discriminations en particulier. Il importe, en effet, qu'à tous les échelons, elles identifient des problèmes ou situations pouvant donner lieu à des plaintes pour discrimination et mettent en place des dispositifs, en interne ou à l'égard des populations qu'elles administrent, pour lutter contre ce fléau.
C'est pourquoi, avec Mme la rapporteure, nous avons vivement souhaité faire intervenir des représentants des collectivités territoriales et des élus locaux, dans cette mission d'information.
Nous n'avons pas vocation, ce matin, à être exhaustifs sur les dispositifs et innovations existant sur les territoires. Mais à travers la position des intervenants présents, nous disposerons déjà d'un spectre d'actions qui peuvent être menées, de l'implication des collectivités territoriales et de la manière dont elles conçoivent leur rôle dans cette mission sociétale.
À l'issue de nos travaux, nous présenterons un rapport, qui donnera une large place à la description de phénomènes récents dans la société – nous entendons beaucoup parler d'archipellisation, de fragmentation, et je pense que vous le ressentez sur les territoires – et la question « raciale » n'échappe pas à cette partition.
Nos propositions se veulent les plus concrètes possible et pour ce faire, quoi de mieux que d'échanger avec les élus locaux qui, au quotidien, développent des stratégies et mettent en œuvre des actions ?
Merci à tous d'avoir accepté cette invitation virtuelle.
Effectivement, le rôle des collectivités territoriales est régulièrement mis en avant devant cette mission, notamment lorsque de belles initiatives sont conduites sur les territoires.
Avant d'écouter vos propos liminaires, je vous propose d'exposer ce que nous pouvons attendre d'une telle audition, au-delà de l'évocation de cas concrets et de bonnes pratiques qui seraient, selon vous, à généraliser.
Nous souhaitons voir dans quelle mesure nous pourrions contribuer, si nécessaire, à mieux répartir les compétences et si leur répartition entre les différentes collectivités vous semble suffisamment efficace et cohérente pour lutter contre trois formes de racisme que sont le racisme primaire, qui doit être déclaré auprès des autorités policières et relève du code pénal, le préjugé raciste, qui relève davantage de l'éducation et de l'action des associations conjointe à celle des collectivités territoriales, ou la discrimination. Cette dernière n'est pas forcément voulue, n'a en tout cas pas toujours de caractère intentionnel, mais elle peut, par des habitudes et des rouages ancestraux, amener certains concitoyens à ressentir une forme de racisme.
Vos compétences sont-elles, selon vous, réparties efficacement pour répondre à ces trois sortes de racismes ? Estimez-vous disposer de suffisamment de marges de manœuvre pour agir ?
Je vous remercie de me recevoir. Je ne m'attarderai pas sur mon intervention liminaire, afin de garder de la matière pour répondre à vos questions.
La répartition des compétences n'est pas la première question que l'on se pose lorsque l'on a affaire à la problématique du racisme. En effet, en tant qu'élus locaux, nous avons forcément un rôle à jouer, de par la proximité que nous entretenons avec les citoyens, qui nous attendent sur cette question. Dans une ville comme Sarcelles, nous souhaitons nous saisir de cette problématique à bras-le-corps et utiliser toutes les marges de manœuvre dont nous disposons, sans obligatoirement nous interroger sur ce que sont celles des autres.
Ainsi, il y a un an, nous avons lancé un plan de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations, afin de couvrir un spectre assez complet. Nous avons également mené des actions liées aux discriminations subies par les femmes et sur la place de la femme dans une ville comme Sarcelles.
Dans ce cadre, nous nous sommes tournés vers divers partenaires pour pouvoir être appuyés, cofinancés et nous doter d'une méthodologie d'intervention, afin de ne pas fonctionner en cercle fermé. En effet, nous connaissons bien notre ville et nous appuyons sur des acteurs locaux.
Nous avons évidemment travaillé avec la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) et avons obtenu quelques cofinancements de ce point de vue. Nous avons également travaillé avec la communauté d'agglomérations qui chapeaute plusieurs villes pouvant rencontrer des problématiques similaires et est compétente en termes d'emploi et de développement économique. Ceci permet de mener des actions contre la discrimination à l'embauche, notamment. Nous avons enfin sollicité de grandes associations nationales de l'antiracisme, qui peuvent apporter de la visibilité, de la méthodologie et des intervenants.
Dans un premier tour de table, nous avons retenu SOS Racisme, la LICRA et l'Union des étudiants juifs de France (UEJF). Partant, nous sommes à même de mobiliser des acteurs locaux pour construire, ensemble, des actions de proximité qui visent, d'une part, à lutter contre toutes les formes de racisme et, d'autre part, à rapprocher et éclairer les points de vue. C'est important dans une société malheureusement marquée par l'échec scolaire et dans laquelle les gens se structurent – ou se déstructurent – beaucoup sur les réseaux sociaux qui tendent à créer des cercles concentriques comprenant des personnes qui pensent la même chose et peuvent répéter, à l'envi, des discours parfois antirépublicains et complotistes. C'est d'autant plus le cas que, du point de vue de la liberté de parole, les réseaux sociaux sont souvent des zones de non-droit. Nous avons donc un rôle essentiel à jouer dans la connaissance locale des populations, pour travailler avec elles et déployer des actions très concrètes permettant de lutter contre les préjugés et d'expliquer d'où vient le racisme et comment on le combat. L'objectif est de créer un espace commun entre différentes parties de la population.
Pour revenir sur la question des compétences, je pense qu'une ville, de par la connaissance qu'elle a de ses différents quartiers et de ses populations, est le bon maillon pour agir localement. Mais plus l'on est appuyé, mieux l'on se porte, que ce soit en termes de méthodologie d'intervention, de cofinancement d'actions, ou de logiques dites de benchmarking à partir d'actions ayant fait leurs preuves ailleurs et que nous pouvons transférer, moyennant des adaptations au contexte local.
Nous sommes donc extrêmement preneurs de travaux menés en partenariat sur cette question.
. Pour l'Assemblée des départements de France, c'est évidemment une préoccupation centrale et nous menons, au sein des départements, de nombreuses actions de lutte contre le racisme sous toutes ses formes. Elles sont résumées dans une note que je vous adresserai.
Les présidents de département sont coprésidents du Comité opérationnel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme qui existe dans chaque département. L'objectif de ces comités, comme le comité mensuel de sécurité, est de les faire vivre avec flamme et enthousiasme, comme toute structure administrative.
Il peut certes y avoir, ici ou là, des structures qui se contentent de rendre compte, « tranquillement », d'une situation néanmoins brûlante. Il faut donc donner des instructions – c'est notamment le rôle du ministère de l'intérieur – pour que cela soit fait avec une hauteur de mobilisation correspondant à celle des enjeux. Or la multiplication des structures ne vaut pas grand-chose si celles-ci ne sont pas un peu « flamboyantes ».
Nos actions, notamment en matière de lutte contre le racisme, participent d'une approche globale, par le développement de la participation citoyenne. Il existe évidemment un lien profond entre l'antiracisme et le développement. Et c'est sans doute là l'un des meilleurs antidotes de la participation citoyenne et de la démocratie territoriale. Sur ce point, nous avons récemment créé, à l'ADF, une commission de participation citoyenne, présidée par Philippe Martin, le président du conseil départemental du Gers, qui rassemble bon nombre de nos élus.
Par ailleurs, comme les régions et les communes, nous avons développé des budgets participatifs et des conseils consultatifs de citoyens dans plusieurs départements.
Les départements ont un rôle fondamental à jouer pour informer et responsabiliser les citoyens, notamment les collégiens dont ils ont la responsabilité. De plus, nous menons des politiques de jeunesse extrêmement volontaristes, avec une forte implication des corps intermédiaires.
Le département des Bouches-du-Rhône, par exemple, a créé un comité d'orientation de lutte contre les discriminations, qui est animé avec vigueur.
Dans le contexte actuel, la promotion de la laïcité et la lutte contre la radicalisation font partie intégrante de la lutte contre le racisme. De ce point de vue, nous menons également beaucoup d'actions, notamment dans le Haut-Rhin, qui emploie un chargé de mission « relation avec les cultes - dialogue interreligieux ». Les élus rencontrent régulièrement les acteurs du dialogue interreligieux. Enfin, dans ce département, ont été créés un fonds de soutien interreligieux et un carnet citoyen de dialogue intercultuel, ainsi qu'un site internet interreligieux lorrain.
Au sein de l'ADF, nous avons créé un groupe de travail sur la lutte contre la radicalisation, dans l'objectif de savoir comment nous, élus, devons réagir face à une personne radicalisée et dangereuse pour la démocratie et la République. Ceci soulève des questions de formation, de connexion entre nos services, ainsi que de contacts avec le public et les services de police et de gendarmerie, pour les signalements, dont il convient d'améliorer la fluidité. Se pose également la question du secret partagé par rapport à certains comportements qui confinent à des pratiques potentiellement terroristes.
Pour conclure, il est évident que la problématique du racisme, aujourd'hui, a changé de contexte, par rapport à ce qui a, de mon point de vue, totalement déformé la lutte antiraciste, c'est-à-dire l'essentialisation qui ramène chacun à ses origines, à sa religion, à sa couleur de peau, alors même que, par définition, la République, notamment la République française, n'est pas une démocratie comme les autres, car très marquée par la laïcité. En ce sens, c'est un système de vie commune dans lequel la couleur de la peau et l'appartenance à une religion n'existent pas en tant qu'identifiants du citoyen. Bien sûr, fort heureusement, la liberté religieuse existe, mais je ne suis pas d'abord catholique, même si j'ai une culture catholique, mon épouse n'est pas d'abord juive, ma collègue n'est pas d'abord métisse. Cette essentialisation a totalement perverti la lutte antiraciste et brouillé les perspectives.
Vous évoquiez, Monsieur le président, l'archipellisation. Il se trouve que, l'an dernier, nous avons créé, avec Dominique Bussereau, un prix littéraire de l'ADF, qui récompense soit un roman, soit un essai. Et nous avons remis le prix de l'ADF à Jérôme Fourquet. En effet, nous percevons, sur le terrain, dans nos départements, cette terrible archipellisation qui est tout juste le contraire de la République.
Ainsi, aujourd'hui, outre les horribles racismes habituels, antimusulmans, anti-africains, anti-asiatiques, et l'antisémitisme, nous constatons une nouvelle forme de racisme : le racisme anti-Blanc – il faut avoir le courage intellectuel de le dire – et nous avons un antisémitisme qui a totalement changé de dimension, hélas ! Nous le voyons dans le nombre d'Alyas parmi nos compatriotes de la communauté juive. Nous assistons au retour que nous pensions impossible - nous pensons évidemment à Samuel Paty et à tous les enfants juifs qui ont été massacrés durant les dernières années -, à des craintes par rapport à un milieu dans lequel, dans certains établissements, l'on ne peut plus enseigner la Shoah et où l'autocensure a remplacé la liberté de parole.
Tout ceci crée de vastes problèmes, mais n'oublions pas que le principal ennemi des républicains, c'est cette logique d'essentialisation qui ramène les individus à leur « race », à leur origine, à leur culture, alors que le Français, quelle que soit sa couleur de peau et quelle que soit sa religion, est avant tout un citoyen.
Il y a donc là un effort de volonté, de pugnacité à mener, qui doit nous rappeler ceux de nos ancêtres radicaux dans l'histoire de la République, pour reconstituer la Nation.
. Je vous remercie. Rassurez-vous, même si tout le monde ne les emploie pas, ce sont des termes et une position que nous partageons et que nous défendons régulièrement ici, tout en tentant de la confronter à des interlocuteurs qui ne sont pas toujours de notre avis. Mais telle est la richesse du débat et de la mission d'information, qui transparaîtra probablement dans notre rapport final.
Je vous remercie monsieur le président, madame la rapporteure, d'avoir convié l'association Régions de France à cette mission d'information.
Je tenais, dans mon propos liminaire, à rappeler quelques faits communiqués par le ministère de l'intérieur en janvier 2020. Les actes racistes et antisémites ont fortement augmenté sur notre territoire national dans le courant de l'année 2019, mais également dans le monde, notamment chez nos voisins italiens, allemands et même américains.
Les faits antisémites ont augmenté de 27 %, les faits racistes et xénophobes, de 131 %. Nous avons également noté une hausse de l'augmentation des actes antimusulmans, qui s'illustrent par deux faits majeurs : la fusillade devant deux mosquées, l'une à Brest et l'autre à Bayonne, qui ont blessé plusieurs personnes, dont un imam. Les faits antichrétiens ont également augmenté, mais tendent à se stabiliser.
Ce phénomène grave et ces chiffres édifiants posent donc des questions que les régions se posent aussi, pour comprendre comment nous avons pu en arriver là et quelles sont les options possibles pour réduire ces faits d'actes racistes et antisémites.
À mon sens, il est impossible d'en finir avec le racisme sans parler de la lutte contre les discriminations et probablement travailler sur les mentalités, pour prévenir les préjugés racistes.
Les politiques de lutte contre les discriminations en France existent depuis plusieurs années et vous avez reçu, récemment, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) qui mène des politiques spécifiques.
Les régions prennent également leur part dans les politiques de lutte contre les discriminations au travers de leurs compétences en matière de développement économique, de formation, d'enseignement, d'apprentissage, de politique de jeunesse, notamment au sein des lycées.
Néanmoins, nous constatons une persistance de ces discriminations qui, parfois, ne sont pas prises en compte, et parfois, donnent le sentiment de ne pas être sanctionnées.
Lors de vos débats animés, la question a été soulevée de savoir si nous agissons suffisamment dans la lutte contre les discriminations et pourquoi celles-ci persistent tant alors qu'elles viennent à l'encontre de nos promesses républicaines.
Dans le cadre du débat qui a eu lieu, en tant que conseillère régionale, en tant qu'élue de la République, et au vu du travail mené sur le terrain, je considère qu'il n'y a pas de racisme d'État. Il n'y a pas de racisme d'État, mais la persistance de discriminations, comme le contrôle « au faciès », peuvent laisser le contraire à une partie de nos concitoyens, alors même que des outils existent, comme nous l'avons vu en Grande-Bretagne avec les récépissés au contrôle d'identité, qui pourraient probablement apaiser les relations entre la population et la police.
Ces doutes sont alimentés, à mon sens, à la fois par des discours victimaires de plus en plus répandus, notamment sur les réseaux sociaux, mais aussi par des discriminations manifestes, parce qu'elles touchent davantage une partie de la population française : celle des quartiers populaires. Différentes études le prouvent : lorsque l'on a un nom à consonance africaine subsaharienne ou maghrébine, on a 30 % de chances de moins d'accéder à un entretien d'embauche. Il faut donc agir vite pour réduire ces discriminations.
Des outils existent – des associations les ont présentés lors de vos précédentes auditions -, des testings sont envoyés aux entreprises. Dans ce cadre, six entreprises ont été épinglées sur ces faits de discrimination à l'accès aux entretiens. Pour autant, nous n'arrivons pas à agir, malgré une législation française extrêmement outillée. Je pense notamment à l'intégration du critère de discrimination lié à l'origine de résidence ou à l'origine ethnique réelle ou supposée.
Les régions réfléchissent sur ces sujets, notamment au sein d'une commission instaurée au sein de l'association Régions de France, intitulée « égalité et lutte contre les discriminations ». Des expérimentations ont été faites, par exemple concernant le CV anonyme, expérimenté dans la région ex-Aquitaine. Une loi a été promulguée pour les entreprises de plus de cinquante salariés. Mais il ne s'est pas passé grand-chose.
Les régions peuvent, certes, agir, mais pas seules, notamment pour promouvoir l'égalité. Mais des questionnements demeurent, à l'instar de la politique de l'égalité femmes-hommes, qui a été érigée en grande cause du quinquennat. N'y a-t-il pas urgence, au regard de la situation de notre pays, des crispations et de la fragmentation de notre société, à rappeler, dans le débat public, l'un des éléments de notre triptyque républicain qui est la fraternité ?
En effet, nombre de nos concitoyens ont le sentiment de n'avoir rien en commun les uns avec les autres. Ce phénomène s'est accéléré après les attentats de Toulouse, depuis les attentats de 2015. On assiste à des replis identitaires, à la peur, au rejet, au racisme, à une défiance envers ce qui crée la communion et fait concorde.
Il est donc urgent d'agir, notamment sur les réseaux sociaux où l'on assiste à une multiplication des discours haineux et complotistes, qui minent notre pacte républicain.
La loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « loi Avia » a été promulguée, mais ne faut-il pas aller plus loin pour essayer de réguler les réseaux sociaux pour éviter d'alimenter le climat de discorde et de fragmentation de notre société ?
La question de la fraternité ne doit-elle pas, rapidement, faire l'objet d'un débat national ? En effet, il me semble que c'est l'un des éléments de notre paix sociale qui permet de lutter efficacement contre la montée des racismes et des discriminations.
Des actions relatives à l'égalité entre les femmes et les hommes, qui me semblaient intéressantes, avaient été déployées, à savoir les ABDC de l'égalité dès le plus jeune âge. N'y a-t-il pas la possibilité, en lien avec les régions, avec l'ADF, avec l'AMF, de créer un outil sur les ABCD de la fraternité et de la laïcité ?
Monsieur le directeur général, vous l'avez évoqué, il y a également un principe majeur qui est souvent caricaturé, qui fait l'objet de nombreuses confusions et clive le débat national : c'est le principe de la laïcité. Ce principe clé, qui doit être au service de la concorde nationale, a beaucoup été dévoyé. Ne faut-il pas en faire un objet pédagogique pour permettre d'intégrer le fait que, dès le plus jeune âge, le principe de la laïcité est un principe protecteur de nos libertés individuelles ? Ce sont là autant de sujets qui traversent les régions de France. Des actions spécifiques sont menées, notamment au travers de plans régionaux de lutte contre les discriminations et l'inégalité.
Mais nous ne pourrons pas agir seuls si cela n'est pas intégré dans un débat national, dans lequel les collectivités prendront leur part pour le rétablissement de notre cohésion sociale et nationale.
Mon inquiétude est grande. Et après l'assassinat ignoble du professeur Samuel Paty, il y a urgence à rétablir notre pacte républicain. Il faut rappeler des principes fondateurs de notre République, qui sont la laïcité et la liberté d'expression et de conscience.
Les régions sont prêtes à apporter leur contribution.
. Je vous remercie. Avant de laisser la place à l'échange avec nos collègues, j'aimerais poser une première question qui m'est inspirée par votre position très franche, Madame Charaï, concernant l'absence, selon vous, de racisme d'État, même si des discriminations pouvaient subsister ou être ressenties comme telles.
Je m'interroge sur cette défiance envers les institutions, en lien avec le développement d'un discours victimaire, notamment lorsque les collectivités territoriales ont un rôle de contrôle et de répression. Je pense à trois sujets qui vous concernent, les uns et les autres.
S'agissant des communes, je pense au rôle des polices municipales – on parle beaucoup des relations entre la population et la police, souvent en ciblant la police nationale qui a pourtant des consignes nationales et un système de contrôle rodé et souvent sévère, les polices municipales étant plus inégales dans leur pilotage et leur contrôle. Le maire de Sarcelles, représentant de l'AMF, peut-il nous éclairer sur le rôle de la police municipale et ses relations avec les citoyens et éventuellement, les accusations qui peuvent être portées contre elles ? Sa proximité permet-elle, au contraire, d'effacer cette distance et cette tension à l'égard des forces de l'ordre nationales ?
En ce qui concerne des départements et des régions, je pense au contrôle de la fraude au revenu de solidarité active (RSA) ou dans les transports, qui sont toujours des moments de tension et de contacts avec les usagers.
Le développement de ces discours victimaires, de cette essentialisation parfois revendiquée par certaines personnes, empêche-t-il les institutions de faire correctement leur travail de surveillance, de contrôle, de répression ?
Sentez-vous une montée de ces discours et de cette tentation d'échapper au devoir sous prétexte d'une discrimination, qui peut par ailleurs parfois exister ?
. Je me posais des questions d'un autre ordre, notamment sur le racisme que subissent aujourd'hui les élus, particulièrement ceux qui sont issus de la diversité. Nos collègues à l'Assemblée nationale, qui se trouvent dans ce cas, sont fréquemment la cible de courriers et de menaces. Est-ce un sujet que vous parvenez à traiter dans vos différentes organisations ? Que fait-on lorsque l'on sait que quelque chose agrège le racisme à un endroit très précis, en raison d'un patronyme ?
J'ai eu connaissance d'initiatives comme l'appel de l'AMF à des actions symboliques, comme planter des arbres. La symbolique est, certes, importante, et j'aimerais savoir si elle a porté ses fruits. En effet, en vous écoutant, tous les trois, je pensais que l'on agit contre le racisme selon la manière dont on l'appréhende – certains parleront plus des discriminations, d'autres de l'archipellisation – et les sensibilités jouent énormément dans les actions mises en œuvre pour lutter contre le racisme. Elles sont toutes utiles selon moi.
Enfin, j'aimerais savoir ce qui fait qu'une ville se mobilisera contre le racisme ? En effet, certaines villes ne seront peut-être pas confrontées au racisme, car non confrontées à l'altérité, à la diversité. Pour autant, il me semble que c'est peut-être là qu'il faudrait agir. Comment mobiliser les élus locaux qui ne sont pas directement confrontés à ces questions ?
. Avant de répondre à ces questions, je souhaite les replacer dans un contexte plus général et dans celui de ma ville.
Le lien à l'altérité est questionné. À Sarcelles, nous avons la particularité sociologique d'avoir une composition multiethnique, multiculturelle et multicommunautaire, avec des communautés structurées dans la ville autour de la religion et du fait religieux, puisque les trois grandes religions monothéistes y sont très présentes. Cette particularité ne se retrouve pas forcément partout.
Ce lien à l'altérité est intéressant à questionner parce que le racisme, dans sa forme presque intemporelle, signifie le rejet de l'autre, de celui qui est différent de moi de par son apparence physique, son ethnie ou sa religion. Dans une ville extrêmement cosmopolite, le message qui est passé de façon presque implicite, mais que nous essayons de rappeler régulièrement, est que, pour que chacun soit accepté, y compris dans ses différences, encore faut-il qu'il accepte les autres. C'est ainsi que la ville s'est construite dans son caractère cosmopolite que l'on retrouve dans peu d'endroits.
Ce n'est pas voulu, c'est le résultat de la politique de logements, des mouvements migratoires, dans une ville d'accueil des populations fraîchement arrivées sur le territoire national. C'est l'histoire du grand ensemble de Sarcelles depuis la fin des années cinquante. C'est donc un processus ancien qui se poursuit, puisque la ville continue d'accueillir des populations fragilisées d'origine étrangère, avec les difficultés d'intégration que l'on peut connaître. Mais le fait de compter autant d'ethnies différentes est considéré comme une richesse, car le repli sur soi est toujours possible, mais il ne peut pas y avoir, par exemple, de prise de pouvoir d'une communauté qui serait majoritaire, dès lors que toutes sont à la fois présentes et minoritaires.
Cela me fait penser au discours tenu par John Kennedy, dans les années soixante, avant d'être élu président des États-Unis, dans son ouvrage intitulé « A Nation of Immigrants », dans lequel il explique que, comme chacun est un immigré dans un pays, il ne peut pas rejeter les autres immigrés, mais doit au contraire tirer le meilleur parti des capacités des uns et des autres, qui se complètent. Ce message peut s'appliquer à une ville d'immigrés dans laquelle, pour se faire accepter, il faut accepter les autres et éviter le repli.
Le repli se développe autour de l'essentialisation et de l'archipellisation. En effet, aujourd'hui, il ne repose pas uniquement sur des bases ethniques homogènes, endogames ou religieuses. Les groupes identitaires se construisent sur un discours victimaire et chacun se trouve une bonne raison d'être victime. Ainsi, très schématiquement, le Blanc, qui est en France depuis longtemps, se considère victime du « grand remplacement », lorsqu'il constate qu'il y a de moins en moins de blancs dans la ville. Le musulman se dit victime de l'islamophobie et l'on entend beaucoup de propos autour de la France qui serait islamophobe, en ce sens qu'elle provoque, en publiant des caricatures et stigmatise, ensuite, ceux qu'elle a provoqués ; cette position est également constatée chez des personnes « raisonnables », qui ont un travail, qui sont structurées. Et celui qui est de confession juive va se structurer autour du fait d'être victime de l'antisémitisme.
Malheureusement, ceci est étayé par des faits réels et ne relève pas uniquement du fantasme. Et dans le discours qui en résulte, il faut reconnaître la réalité de ce qui se passe, dans sa gravité, sans être dans l'opposition systématique, en évitant les débats clivants.
Ceci vaut également dans d'autres communautés qui voudront émerger dans l'espace public. Je pense à la communauté asiatique, par exemple, qui, pour gagner en visibilité, invoquera le fait d'être victime de racisme, ce qui est une réalité. C'est frappant de voir que c'est ainsi qu'ils se construisent. De la même façon, ceux qui sont d'origine africaine se construisent beaucoup autour de la question de l'esclavage, du colonialisme, des crimes contre l'humanité.
Le passage de cette situation à la notion de racisme d'État existe parmi des gens structurés, qui ont un travail, une famille, qui ne sont pas des marginaux et qui vont basculer en plaquant une réalité historique sur une réalité actuelle, fort différente.
Pour contrer ce phénomène, il faut donc amener du commun et faire en sorte que la mémoire de chacun devienne la mémoire collective. C'est notamment le cas des commémorations diverses qui permettent, à chacun, de se sentir considéré, y compris dans son histoire, et reconnu dans ses souffrances.
L'étape suivante consiste à éviter que chacun ne s'enferme dans sa commémoration, son histoire, sa propre victimisation et ne se construise contre les autres. Le message que j'essaie de faire passer est qu'il est possible d'avoir des composantes de son identité particulière, tout en ayant une identité républicaine et française et que la part minoritaire de son identité – le fait d'être Français de confession musulmane, de confession juive, de confession chrétienne, d'origine africaine – peut se cultiver. En effet, les gens n'ont pas envie de perdre leur identité – et la République le permet, au titre de la liberté de conscience et de la liberté des uns et des autres – mais il n'est nul besoin de se construire en opposition aux autres. Il n'est nul besoin de préserver la partie minoritaire de son identité contre les autres. Ce message n'est pas simple à faire passer, car aujourd'hui, on tend à se construire contre les autres, pour exister en tant que communauté, en tant que minorité.
Sur ce point, la laïcité est aujourd'hui l'objet d'un flou problématique. C'est pourquoi, parmi les actions que nous mettons en place, certaines sont liées à l'explication de la laïcité, de la liberté d'expression, de la lutte contre le complotisme et de la lutte contre la discrimination. Cela nécessite d'agir auprès des jeunes en milieu scolaire, au travers de pièces de théâtre, de films, d'expositions. L'an dernier, dans le cadre de notre plan de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations, nous avons organisé une exposition sur les Justes de France pendant la Seconde Guerre mondiale avec des élèves de CM2 encadrés de professeurs. Cela n'a pas, le moins du monde, réveillé des tensions autour de la difficulté d'enseigner la Shoah. Les enfants étaient au contraire très enthousiasmés et avides de connaissance.
Nous constatons des phénomènes au travers du miroir grossissant des médias et des réseaux sociaux, mais dans la réalité, il y a des gens qui se structurent mal, qui « pensent » mal, qu'il faut ramener vers le giron républicain, mais il y a aussi des jeunes encore largement perméables, heureusement, auxquels nous pouvons inculquer les valeurs de la République, avec les moyens pédagogiques adaptés, par exemple sur les caricatures, sujet que nous peinons à faire évoluer. Nous avons pris l'engagement de travailler avec une association qui s'appelle « Dessinez, Créez, Liberté » (DCL), créée par Charlie Hebdo et SOS Racisme, après les attentats de 2015. Je la ferai intervenir à Sarcelles, car elle propose un programme pédagogique pour expliquer en quoi consiste une caricature, son rôle historique, ses dérives et en quoi les caricatures de Mahomet s'inscrivent dans ce cadre.
Localement, il faut donc faire œuvre pédagogique, montrer que le dialogue interreligieux existe. Ainsi, l'an dernier, une fête de la communauté juive, la fête de Souccot, dite « la Fête des Cabanes », a été expliquée à nos jeunes, au travers d'une action appelée « Souccot expliqué à nos potes », organisée avec l'UEJF, à la grande synagogue de Sarcelles, qui a réuni des jeunes de quartiers différents qui n'étaient jamais entrés dans la synagogue et tout s'est extrêmement bien passé. Les participants ont pu longuement échanger avec des responsables communautaires, avec le rabbin, avec d'autres jeunes. Il se trouve que les gens qui sont venus à la synagogue ce jour-là m'en ont parlé pendant six mois et m'ont remercié de cette initiative.
Localement, au-delà de mes espérances, nous parvenons donc à créer des liens entre les gens, qui, non seulement, ne se créent pas par ailleurs, mais qui, en plus, ont tendance à se distendre par rapport au contexte dont nous parlions tout à l'heure.
À Sarcelles, la police municipale n'est pas spécialement prise à partie, car la population connaît ces agents municipaux. Pour me rendre dans les quartiers régulièrement avec eux, je ne sens pas de tension. En revanche, la situation n'est pas simple vis-à-vis de la police nationale.
Nous avons notamment déploré un accident mortel, lorsqu'il y a un peu plus d'un an, dans la ville voisine de Villiers-le-Bel, un jeune de Sarcelles s'est tué en motocross à proximité d'un barrage de police. Rien n'indique, à ce stade, que la police était impliquée, car le barrage ne le concernait pas : il visait à interpeller une autre personne. Pour autant, depuis, nous déplorons des mouvements extrêmement importants de la famille de ce jeune, en lien avec la famille Traoré, par exemple, le désignant comme une victime supplémentaire des violences policières. Nous parvenons à circonscrire l'affaire au plan local, en indiquant qu'au titre de la liberté d'expression, ils sont libres de penser ce qu'ils veulent, même si nous ne cautionnons pas leurs propos, ce qui permet d'éviter toute situation explosive. En effet, lorsqu'une telle tension se produit, la police présente dans les quartiers, qui réalise un travail extrêmement difficile, n'est pas encline à créer du lien lorsqu'elle entend de tels reproches.
Dans le cadre de telles tensions locales avec la police nationale, nous sommes seuls à agir. Et si je ne prends pas l'initiative de dialoguer avec ces jeunes, j'ignore qui le fera. Mais nous avons le sentiment que cet affrontement est de plus en plus marqué, avec des accidents et des violences policières réelles. Mais nous constatons la présence d'une idéologie autour d'un discours victimaire importé des États-Unis, utilisée sans filtre et plaquée à une réalité qui ne lui correspond pas vraiment. Mais faute d'autre prisme idéologique, c'est ainsi que se structureront des jeunes en recherche des repères, car, quand la République n'offre pas suffisamment de cadres, ils vont en chercher ailleurs, ce que facilite la mondialisation.
Actuellement, les propos d'Erdogan, le trumpisme et le poutinisme n'apaisent pas la situation. Ce sont autant de phénomènes qui donnent des repères qui ne sont pas de nature à créer du commun.
Nous avons donc le sentiment, entre ces phénomènes et les réseaux sociaux qui font des amalgames, d'être seuls sur le terrain à lutter contre ces facteurs qui vont à l'encontre de la promesse républicaine.
L'important, c'est de conduire, ensemble, des actions spécifiques contre le racisme, l'antisémitisme, les discriminations, en partenariat avec les différentes collectivités territoriales, et d'instaurer des politiques plus globales qui créent du commun, permettent à la République d'être présente dans ces quartiers et que ces derniers soient réhabilités, y compris sur le plan de l'urbanisme, à travers l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). En effet, si des quartiers sont à l'abandon, les populations se structurent en opposition. Or on ne lutte pas seulement contre le racisme avec des actions spécifiques, mais avec des actions plus générales, qui ramènent la promesse républicaine de façon extrêmement concrète, dans ces quartiers.
Bien évidemment, dans le cadre du contrôle du RSA, le racisme et l'antiracisme servent d'écran : « si je n'ai pas eu ce poste, c'est parce que je suis blanc, de culture catholique et que j'ai plus de cinquante ans. » « Si je me fais rayer ma jaguar, je suis victime d'un racisme anti-riche. » « Si je ne suis pas recruté, c'est parce que j'ai un nom à consonance étrangère et je serai victime du racisme antimusulman », etc.
À cause du flou qui entoure la laïcité, le racisme devient un écran sur fond d'inculture et de violence. Parce que, quand on a une culture humaniste, cette problématique est complètement différente. En effet, un vrai humaniste – et j'espère en être un - ne voit pas, d'abord, la couleur de peau ou la religion chez un individu. Cela me semble une évidence.
Il nous faut revenir aux valeurs aujourd'hui suspectées, alors qu'elles sont au cœur de la France, c'est-à-dire à l'universalisme de la pensée française et à l'enracinement de notre histoire. Mais encore faut-il avoir la volonté culturelle, intellectuelle de diffuser ce message.
Bien sûr, nous adhérons au devoir de mémoire, mais nous adhérons également au devoir d'histoire. Grâce à Jérôme Guedj, l'ADF a un partenariat officiel avec le Mémorial de la Shoah. La mémoire de la Shoah est évidemment centrale pour comprendre l'antisémitisme.
Mais il y a également le devoir d'histoire qui fait qu'on ne juge pas les civilisations passées à l'aune de nos valeurs actuelles. Je suis historien de formation et c'est là la base même de la formation humaniste. Je n'ai pas à juger le prophète Mahomet en fonction de ses mœurs au moment de l'Hégire. De la même façon, je ne juge pas Louis XIV à l'aune de mes valeurs républicaines, etc.
Il y a donc toute une rééducation à faire – j'emploie volontairement ce mot un peu fort - de notre jeunesse, de nos formateurs, en matière de culture générale. Et il faut s'y atteler avec humilité, mais fermeté et dire à ceux qui font des contresens que, s'il n'y a pas de hiérarchies entre les intelligences humaines, quand les gens disent des sottises contraires à l'histoire, et à ce qu'est la démarche historique, notamment la non-instrumentalisation du passé, il faut le leur faire remarquer.
Le débat public doit laisser parler ceux qui ont cette tradition humaniste chevillée au corps. C'est essentiel pour sortir de ce retour à l'essence, qui est à l'opposé de notre culture française.
Bien évidemment, discrimination et essentialisation sont « les deux mamelles de la bête immonde », pour paraphraser un auteur de théâtre célèbre. Bien évidemment, il y a, d'un côté, les discriminations, et de l'autre, l'essentialisation, sachant que l'une nourrit l'autre. Parce que je suis victime de racisme, parce que je suis musulman, je vais me ramener à mon essence. Ce faisant, en fonction des jeux et enjeux politiques, je peux basculer dans la complicité passive, intellectuelle ou active avec le terrorisme.
Jérôme Fourquet estime, grâce à ses méthodes scientifiques, que 750 000 personnes en France aujourd'hui voient avec sympathie l'égorgement d'un professeur d'histoire. C'est un problème qu'il faut regarder en face et auquel il faut répondre avec précision.
La Seine-Saint-Denis, par exemple, s'agissant des discriminations, a créé un appel « diversité » qui permet de tester la qualité du service public et sa neutralité par rapport aux origines.
Au sein des conseils départementaux, nous n'avons pas de retour concernant le racisme à l'encontre des élus, ce qui ne signifie pas qu'il n'y en a pas. Mais je ne peux pas répondre avec précision sur ce point.
Enfin, monsieur le maire, vous y avez fait allusion : il y a tout de même, derrière la haine qui trouble la raison et fait reculer l'humanisme, un problème de police, notamment des réseaux sociaux. Je suis totalement scandalisé, en tant que citoyen, que Monsieur untel quel que soit son nom, soit, à juste titre, condamné, s'il affirme publiquement et ouvertement qu'Hitler était une personne formidable dont on aurait besoin partout dans le monde, mais qu'il puisse le publier en toute impunité sur les réseaux sociaux.
On ne peut pas d'un côté, « être plus royaliste que le roi » dans le domaine de la police de la pensée en matière de voies mémorielles, etc., et de l'autre, être dans le cloaque de tous les imbéciles du monde qui racontent n'importe quoi en toute impunité et, ce faisant, soufflent sur les braises et mettent le feu à des esprits jeunes et non formés.
La haine nourrit la haine et l'amour nourrit l'amour. Et la République, c'est aussi la connaissance de l'autre. Nous avons donc, devant nous, une immense tâche exaltante de « rééducation » de nos compatriotes.
. Les régions peuvent contribuer à éviter la défiance d'un certain nombre de nos concitoyens vis-à-vis des institutions, mais elles ne peuvent le faire seules.
Durant les vingt dernières années, on a assisté à un désengagement de l'État et des collectivités dans les associations républicaines dans les quartiers populaires. En effet, toutes les associations d'éducation populaire ont vu leurs moyens diminuer et leur place dans les quartiers s'effacer, au détriment d'associations cultuelles, sous couvert d'accompagnement caritatif qui viennent interférer avec nos valeurs républicaines.
Ramener la République sur tout le territoire, c'est aussi ramener les associations républicaines dans les quartiers populaires.
Nous devons également tenir un discours extrêmement fort sur nos valeurs républicaines, et notamment sur le principe de la laïcité. Lorsque nous entendons, sous couvert de clientélisme électoral, des élus locaux s'accommoder de nos principes républicains, notamment celui de la laïcité, mettant ainsi en difficulté les lois de la République – je pense notamment à la loi de 1905 et au port du voile et des signes ostentatoires –, nous devons collectivement porter un discours fort et ferme pour dénoncer ces « coups de canif » au pacte républicain. Nous en entendons de plus en plus, car ils viennent alimenter ce discours victimaire.
Ce discours, nous devons le tenir ensemble, si nous souhaitons remettre de la cohésion sur notre territoire national. C'est là, selon moi, le point essentiel : nous devons réarmer les associations républicaines, pour qu'elles réinvestissent ces territoires qui ne me semblent pas encore perdus de la République. Nous voyons qu'il y a, sur ces territoires, des forces vives qu'il faut probablement davantage mettre en avant.
C'est ce que fait le Centre national de cinématographie et de l'image animée (CNC), avec son fonds « images de la diversité » et l'Agence nationale des territoires, qui promeut une image positive des quartiers populaires et de la diversité via la production audiovisuelle de documentaires et de films. Cela se fait dans les communes, dans les départements et les régions, durant des temps forts qui font l'unité républicaine (commémorations, devoirs de mémoire, travail sur l'immigration). Nous l'avons fait en Nouvelle-Aquitaine qui est une terre d'immigration portugaise, italienne, espagnole, marocaine et algérienne. Nous essayons de réintroduire le fil de notre histoire commune via les actions que nous avons menées, notamment sur la défiscalisation des pensions militaires des anciens combattants des anciennes colonies.
Vous demandiez si les élus de la République issus de la diversité faisaient l'objet d'actes racistes. Les témoignages des dernières semaines montrent qu'il est difficile d'exercer son mandat lorsqu'on est originaire du Maghreb ou d'Afrique Subsaharienne.
Je l'ai constaté à titre personnel, non pas en tant que conseillère régionale, mais lorsque j'ai présidé l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances. En effet, lorsque j'avais une expression publique, qui s'inscrivait dans un débat d'actualité, je recevais des menaces de mort dans mon bureau. J'ai été victime de harcèlement sur les réseaux sociaux, avec des menaces de mort, parce que j'ai pris des positions, par exemple pour le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et que j'ai participé à des manifestations contre des associations catholiques intégristes qui prônaient l'interdiction ou la mise à mal de l'IVG.
Il y a en effet des cibles qui ont été identifiées en tant qu'élus républicains issus de la diversité. Il faut les soutenir et je sais que des associations d'élus et le gouvernement les soutiennent et ont régulièrement un mot pour ces élus victimes de racisme ou de menaces sur les réseaux sociaux, mais également dans l'exercice de leur mandat. Il faut agir sur ce point, car ce sont des modèles positifs de la République qu'il faut promouvoir. Le pacte républicain et la promesse républicaine de l'égalité existent et ces exemples peuvent venir contrecarrer une forme d'institutionnalisation des discriminations, des préjugés et du racisme. Présenter ces modèles de réussite républicaine permet de contrer ces discours victimaires.
En complément des associations, l'Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) existe et je pense qu'il ne faut pas se contenter d'investir dans la pierre ou la réhabilitation des quartiers populaires : un travail doit être mené sur les politiques de peuplement des villes à forte concentration de pauvreté, pour « casser » ces ghettos urbains et y ramener davantage de mixité sociale et culturelle.
. Je voudrais savoir si, premièrement, les élus locaux constatent une discrimination dans l'accès aux lieux de savoirs (écoles et lycées) et à certaines filières.
Deuxièmement, que faites-vous concrètement lorsque vous constatez des faits de racisme ou lorsqu'ils vous sont rapportés ? Y a-t-il, en mairie ou en région, une personne chargée de traiter ce genre de problématique ou est-ce fait au cas par cas ?
Troisièmement, que faites-vous quand vous recevez des sollicitations pour adapter les rythmes scolaires ou le menu des cantines en fonction de certaines pratiques religieuses ?
Enfin, pensez-vous qu'il y a un risque d'antagonisation de deux communautés ?
. Je pense qu'il ne faut absolument pas introduire de nourriture confessionnelle dans les cantines, même si nous avons de rares demandes en ce sens. Tous les prestataires savent gérer cette question en proposant des menus végétariens, qui répondent à bon nombre d'interdits alimentaires liés à des religions. Nous agissons ainsi depuis une dizaine d'années et nous ne rencontrons aucun problème à ce sujet. Ce débat me semble facile à trancher avec de la raison et de l'explication.
S'agissant de la prise en charge des personnes victimes de racisme, nous avons une mission de lutte contre le racisme et les discriminations composée d'employés municipaux, mais je doute que nous soyons suffisamment équipés sur ce point. Ces actes relèvent du droit commun et de la police. Nous avons une Maison de la justice et du droit qui accompagne les victimes.
Pendant le confinement, nous avons ouvert un lieu éphémère – que nous souhaitons pérenniser – d'accueil des femmes victimes de violence. Il a démontré qu'il existe un besoin d'écoute, d'accueil et d'accompagnement et qu'il y a donc probablement quelque chose à développer de ce point de vue.
Par ailleurs, nous veillons à ce que l'accès aux différents lieux de savoir et à l'école soit assuré, y compris dans le cadre de la scolarisation précoce d'enfants de deux ans dans des écoles pilotes, ce qui est probant. Dans la ville, des écoles privées jouent également ce rôle d'accueil, moyennant la mise en place d'actions permettant de connecter des populations qui se fréquentent moins, issues de différentes écoles. Nous projetons ainsi de tripler la superficie de la médiathèque, pour amener du savoir et faciliter l'accès à la connaissance.
Enfin, je n'observe pas d'affrontement entre les communautés. Les liens entre les dirigeants communautaires sont relativement pacifiés dans la ville.
Ce qui m'inquiète, c'est la construction idéologique des uns et des autres, qui n'est pas souvent une construction républicaine, mais plutôt une construction communautaire, dans laquelle des personnes s'estimant victimes d'essentialisation reproduisent ce schéma en essentialisant les autres ou en s'essentialisant elles-mêmes. C'est contre ce phénomène qu'il faut lutter.
. Avez-vous connaissance de demandes relatives au fait de ne pas organiser de devoirs certains jours dans les écoles ? Dans l'affirmative, comment les traitez-vous ?
. La région porte la compétence des lycées, dans lesquels nous avons développé les menus végétariens. En effet, le principe n'est pas d'accommoder les règles collectives en fonction de la confession des élèves.
En ce qui concerne la scolarisation des enfants, des structures avec lesquelles nous travaillons nous indiquent que, dans certaines communes, elles ont les plus grandes difficultés à scolariser les enfants, notamment les Roms, du fait des problématiques de domiciliation sur leur commune de résidence. Nous avons des cas précis de ce type sur le territoire de la Nouvelle-Aquitaine et nous devons lever ce frein à l'accès à l'école.
Face aux signalements de faits de racisme ou de discrimination, à l'instar de ce que nous mettons en œuvre dans le cadre des violences faites aux femmes, lorsque nous sommes interpellés par des associations ou des personnes physiques, nous les invitons à signaler ces faits aux services de police ou de gendarmerie.
Il y a, par ailleurs, sur les territoires, des représentants des défenseurs des droits qui tiennent des permanences, notamment dans les maisons de justice. Plus globalement, nous incitons également à saisir le défenseur des droits, très actif en matière de lutte contre les discriminations, ce qui lui permet de dresser un rapport annuel des discriminations en France.
S'agissant des menus, je rejoins les propos des représentants des autres associations. Au sein des collèges, les demandes sont marginales et l'alternative se situe dans la proposition d'un repas végétarien. L'ADF travaille notamment avec le comité national de la restauration collective sur ce point.
Sur la question de la confrontation de deux communautés, je rappelle la nécessité de faire participer tous les citoyens et d'introduire un moment fédérateur. En effet, un élément clé porté à notre connaissance par nos adhérents, pour proposer des programmes de lutte contre les discriminations et le racisme, est le fait que, généralement, ces programmes trouvent leur origine dans un moment fédérateur, tel que des rencontres ou une initiative citoyenne. Cela permet souvent d'aboutir à l'élaboration d'une charte fédératrice qui alimentera le programme décliné par les départements.
Nous constatons la nécessité de s'approprier les enjeux pour créer davantage en commun et améliorer la démocratie territoriale.
. Constatez-vous, sur le terrain, que les filles accèdent moins que les garçons aux lycées ? Toutes les filières leur sont-elles ouvertes ?
Les statistiques démontrent que les filles sont très bien intégrées et même meilleures que les garçons.
Je vous remercie d'avoir participé à cette audition pour vos éclairages et vous expériences concrètes qui illustreront nos travaux de recherche de pistes de solutions.
La séance est levée à 10 heures 30.