La mission d'information procède à l'audition de Mme Nathalie Colin, directrice générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) du ministère de la transformation et de la fonction publiques.
La séance est ouverte à 17 heures.
Nous poursuivons notre cycle d'auditions consacrées à la promotion de la diversité dans le monde du travail, y compris au sein de la fonction publique. Nous avons l'honneur de recevoir Mme Nathalie Colin, directrice générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) au ministère de la transformation et de la fonction publiques.
Notre mission d'information a pour but de dresser un état des lieux des différentes formes de racisme qui persistent ou émergent dans la société française et de proposer des pistes de réflexion pour rendre plus efficace la politique de lutte contre ces phénomènes, dans toutes leurs dimensions.
Nous avons entendu des universitaires, des représentants d'associations, d'autorités et d'institutions publiques, comme la Défenseure des droits la semaine dernière, et nous avons organisé plusieurs tables rondes, notamment sur le thème de l'accès à l'emploi. Nous avons également reçu le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et la ministre déléguée en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances ainsi que des représentants de nombreux ministères impliqués, à différents niveaux, dans la lutte contre le racisme et les discriminations.
Nous demandons souvent à nos interlocuteurs, en particulier ceux des ministères, ce qu'ils font pour être exemplaires en matière de lutte contre le racisme et les discriminations. Nous savons que plusieurs ministères, sinon la totalité, bénéficient du label diversité qui vise à faire la promotion de la méritocratie dans l'administration – nous pourrons y revenir.
Merci d'avoir accepté cette audition. Nous nous interrogeons beaucoup sur l'exemplarité de la fonction publique, en essayant de voir quelles sont les marges de progression : les chiffres dont nous disposons montrent qu'il en existe encore. Il ne s'agit pas, pour autant, de faire preuve d'un excès d'autoflagellation : on peut penser qu'il y a des marges de progression partout.
Nous souhaitons aborder avec vous la politique des ressources humaines – le recrutement, la formation et l'évolution des carrières. Que fait-on en matière de lutte contre les discriminations et les inégalités et qu'est-ce qui fonctionne bien ? J'imagine, par ailleurs, que tout n'est pas nécessairement identique dans les différents versants de la fonction publique.
Cela fait six ou sept mois que nous travaillons d'arrache-pied. Je reviens d'un déplacement outre-mer avec toute une série de questions sur les spécificités des carrières et des mobilités des habitants de ces territoires. On m'a notamment parlé du Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer (BUMIDOM), ancien dispositif aujourd'hui disparu. Quel éclairage pouvez-vous nous apporter sur ce point ?
J'en viens plus spécifiquement à la question du racisme et des actes racistes au sein de la fonction publique. Qu'en est-il ? Quels sont les mécanismes de signalement et de sanction en la matière ?
Je vais commencer par un point peut-être un peu théorique et juridique mais qui est, à mon avis, assez fondamental.
La politique de lutte contre le racisme et toutes les formes de discrimination constitue, de notre point de vue, le socle des valeurs qui sous-tendent notre fonction publique. Son fondement se trouve à l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui est le titre Ier du statut général des fonctionnaires – c'est le chapeau commun aux trois versants de la fonction publique. Cet article commence par une phrase qui garantit la liberté d'opinion des fonctionnaires avant de préciser ce qui suit : « Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race », ces dispositions ayant été progressivement complétées. Le statut général vise donc à assurer l'exemplarité que vous avez évoquée. C'est d'autant plus important que la fonction publique représente à peu près 20 % de l'emploi en France : la déclinaison concrète de cet article a des conséquences qui sont loin d'être négligeables.
Le principe de non-discrimination et de refus de toute forme de racisme qui est inscrit dans le statut général est une valeur essentielle. Il faut ensuite, et c'est un peu la difficulté de l'exercice, être capable de le décliner d'une manière concrète, pragmatique, palpable pour chacun des agents de la fonction publique ou des personnes qui souhaitent y entrer – nous parlerons probablement du recrutement. Nous avons essayé au fil du temps – c'est une politique relativement ancienne – de le faire d'une manière opérationnelle par des mesures qui permettent à la fois de garantir l'absence de discriminations et de lutter contre elles lorsqu'elles se manifestent.
Deux grandes catégories de dispositifs existent. Il y a, tout d'abord, des mesures concrètes et précises qui concernent soit les recrutements, soit les formations, soit la protection des agents – la ministre de la transformation et de la fonction publiques a évidemment souhaité insister sur ce dernier aspect à la suite de l'assassinat de Samuel Paty. À ces mesures destinées à traiter les principales sources de difficulté en la matière, s'ajoutent des démarches plus globales qui trouvent leur traduction dans le label diversité et égalité, dont l'objectif est de pousser les employeurs publics à construire des plans et à définir des stratégies à vocation opérationnelle pour décliner l'ensemble de cette politique dans leurs services.
Le ministère de la transformation et de la fonction publiques joue un rôle central en matière d'impulsion, d'accompagnement des autres ministères et d'exemplarité. Dès 2013, le ministère en charge de la fonction publique a signé avec le Défenseur des droits une charte pour la promotion de l'égalité et la lutte contre les discriminations dans la fonction publique. Nous participons, par ailleurs, à l'application du plan national de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, qui est piloté par la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH).
Sur le plan opérationnel, nous suivons quatre axes principaux : nous avons un engagement général de prévention et nous menons des actions visant à assurer le traitement des signalements et des discriminations ; mais aussi des actions relevant plutôt de la réalisation d'états des lieux et de diagnostics, afin de mieux connaître les risques ou les fragilités ; des actions, assez fortes, en matière de formation ; et enfin des actions tendant à favoriser la diversité en ce qui concerne l'accès à la fonction publique – c'est une des priorités de la ministre, sur laquelle nous pourrons revenir si vous le souhaitez.
Merci pour ce cadrage. Vous avez parlé de la réalisation d'états des lieux afin d'avoir des diagnostics et, certainement, d'actualiser la connaissance des problématiques auxquelles les agents sont confrontés et de ce qui peut se dire dans la fonction publique. Pourriez-vous préciser les contours de cette action ? Est-elle menée avec les cadres ou avec l'ensemble des agents ? Sous quelle forme les remontées d'information ont-elles lieu ?
S'agissant de la diversité au sein de la fonction publique, dont les composantes sont multiples mais qui est tout de même regroupée en trois grandes familles, y a-t-il des divergences en ce qui concerne les parcours et donc en matière d'égalité d'accès et d'égalité des chances ? Par ailleurs, des problématiques sont-elles plus particulièrement identifiées dans certains pans de la fonction publique ? Je pense notamment à la fonction publique hospitalière et à différents corps de la fonction publique d'État, en particulier ceux de l'administration pénitentiaire. Des secteurs sont-ils particulièrement exposés, à la fois sur le plan interne et en lien avec le public qu'ils reçoivent ?
Pouvez-vous nous éclairer sur l'existence – ou non – de spécificités des départements et territoires d'outre-mer (DOM-TOM), notamment en matière de mobilité ? En Martinique, par exemple, nous avons rencontré des personnes qui se plaignaient d'une insuffisante représentation des personnes issues de ce territoire dans différents corps de l'administration. Des règles existent en la matière : dans le corps préfectoral, par exemple, une personne née en Isère ne peut pas y être préfet, mais ce n'est pas le cas dans tous les corps.
S'agissant des indemnités et des retraites, la question de l'égalité de traitement est souvent posée. Pouvez-vous confirmer que les personnes issues de l'Hexagone qui passent leur retraite dans les DOM-TOM ne bénéficient pas d'une majoration de leur pension ? Il y a en effet tout un fantasme sur l'inégalité de traitement qui existerait selon le lieu de naissance.
Le BUMIDOM a, par ailleurs, laissé une cicatrice encore assez douloureuse. Ce dispositif, vu comme assez outrageant par certains, poussait les cerveaux à partir, même si ce n'était pas l'intention à l'origine. Que pouvez-vous nous en dire ?
J'en viens à la politique en matière de ressources humaines, en particulier à la formation. Une étude récente d'IPSOS sur la laïcité dans le quotidien professionnel des agents publics montre que la très grande majorité la connaît et la respecte, mais j'ai été frappée de voir qu'une plus faible partie d'entre eux, notamment chez les contractuels, n'étaient pas parfaitement au fait que les usagers sont libres, pour leur part, de montrer leurs convictions religieuses.
Je crois qu'il faut bien distinguer deux éléments en ce qui concerne le racisme ou les discriminations dans la fonction publique.
Tout d'abord, les agents publics ne sauraient manifester dans leur comportement professionnel, notamment à l'égard du public mais aussi d'une façon plus générale, la moindre opinion traduisant des convictions contraires à nos principes et à nos valeurs. Pour faire simple, les fonctionnaires ne sauraient exprimer, par leurs actes ou leurs paroles, des convictions à caractère raciste ou discriminatoire – il existe une obligation forte en la matière. Si cela se produit, néanmoins, des sanctions sont prises : des procédures disciplinaires, susceptibles d'aller jusqu'à la révocation, peuvent être engagées.
Il y a ensuite la question des agents ou des candidats, s'agissant des recrutements, qui s'estimeraient victimes de discriminations produites par notre système, qui écarterait à l'excès certaines personnes, pour des motifs n'ayant pas de lien avec la compétence professionnelle. Il y a aussi la question des usagers du service public. Je pense évidemment aux fonctionnaires servant dans des guichets, dans l'administration pénitentiaire ou en milieu hospitalier : ils peuvent être confrontés à des attitudes particulièrement agressives.
Ces sujets méritent d'être surveillés d'une manière attentive mais ils n'appellent pas nécessairement les mêmes réponses, car ils ne relèvent pas du même type de raisonnement.
Le problème, c'est que, dès lors qu'il existe au sein de la fonction publique un principe d'égalité selon lequel le seul critère pris en compte, tant au stade du recrutement que de la carrière, est la compétence professionnelle ou l'adéquation entre le profil et le poste, nous n'avons pas et nous ne pouvons pas avoir d'éléments statistiques qui permettraient d'identifier des biais traduisant le fait qu'on exclut tel ou tel type de personnes pour des raisons liées à leurs origines. Cela favorise, me semble-t-il, les fantasmes ou les visions déformées de la réalité. Il y a parfois beaucoup d'affect sur ces questions, notamment outre-mer. Il faut répondre par des éléments aussi objectifs et chiffrés que possible mais, malheureusement, nous ne pouvons pas réaliser de statistiques en la matière. Je vais quand même vous communiquer, s'agissant des rémunérations, des données concrètes qui montrent qu'il n'y a aucune difficulté.
Les salaires nets mensuels des fonctionnaires servant dans les départements et les territoires d'outre-mer sont globalement supérieurs à la moyenne des rémunérations versées en métropole, en raison de l'existence de dispositifs de majoration des traitements ou d'indemnités spécifiques. Ce sont des éléments bien documentés.
En 2018, le salaire net moyen était d'un peu moins de 2 300 euros dans l'ensemble des trois fonctions publiques. Il était un peu supérieur dans celle de l'État, puisqu'il s'établissait à 2 570 euros – c'est lié au fait qu'il y a plus d'agents de catégorie A dans cette fonction publique que dans les autres. Le salaire net moyen était de 1 963 euros dans la fonction publique territoriale et de 2 300 euros dans la fonction publique hospitalière. Les différences, je l'ai dit, s'expliquent par le poids relatif des catégories A, B et C, et non par le fait que les agents seraient moins bien payés, à missions égales, dans certains cas.
Dans les départements et les territoires d'outre-mer, le salaire net moyen était de 3 597 euros en Guyane, de 3 600 euros en Martinique et en Guadeloupe, et de 3 900 euros à La Réunion au sein de la fonction publique d'État. Dans la fonction publique hospitalière, le salaire net moyen s'élevait à environ 2 850 euros en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane et à 3 100 euros à La Réunion. Dans la fonction publique territoriale, il était respectivement de 2 400 euros et de 2 700 euros – j'arrondis. Les montants versés sont plus importants dans les trois versants de la fonction publique, alors que le poids relatif des différentes catégories est comparable. Cela fait partie des rares éléments chiffrés dont nous disposons.
Le BUMIDOM est un dispositif ancien, qui n'a d'ailleurs pas existé très longtemps. Il a été arrêté définitivement : il est assez surprenant de voir qu'il reste dans les esprits.
La véritable question, s'agissant de la fonction publique outre-mer, concerne la mobilité. Le principe, je le rappelle, est l'égalité d'accès. Quelles sont, ensuite, les perspectives de carrière d'une personne venant de l'outre-mer ? Elle peut y rester si elle le souhaite : on n'oblige jamais ceux qui sont affectés outre-mer à servir en métropole, sauf si c'est conditionné par les dispositifs statutaires de leur corps – cela vaut essentiellement pour la catégorie A. Les commissaires de police, par exemple, doivent faire régulièrement des mobilités géographiques, en métropole ou outre-mer – ce qui est moins fréquent – s'ils veulent avoir de l'avancement. Il en est de même pour les sous-préfets et les préfets, même si leur cas est différent – il s'agit d'emplois à la discrétion du Gouvernement. Sauf si le statut particulier du corps impose une mobilité, il n'y a pas d'obligation. Compte tenu du nombre et du type des postes proposés, néanmoins, on a parfois plus de possibilités de progresser dans sa carrière en métropole.
J'ai été la directrice des ressources humaines du ministère de l'intérieur pendant plusieurs années. Je peux vous dire que la partie la plus difficile à gérer, s'agissant des mobilités, concerne les fonctionnaires originaires de la Martinique, de la Guadeloupe et, dans une moindre mesure, de La Réunion, qui viennent faire une partie de leur carrière en métropole et veulent ensuite retourner dans leur département d'origine. Le nombre des postes offerts par rapport à celui des candidats est tel qu'on doit parfois attendre longtemps avant de pouvoir revenir, mais c'est vrai aussi pour des départements métropolitains. Quand un gardien de la paix d'abord affecté à la Préfecture de police veut retourner vivre dans le Sud-Ouest de la France, dans les Alpes-Maritimes ou dans le Var, il doit attendre des années. Sans nier la réalité du problème, il faut le replacer dans une perspective plus vaste : quelle que soit l'origine des fonctionnaires, il peut y avoir une difficulté quand on veut revenir dans son département d'origine pour y exercer ses fonctions. C'est peut-être plus difficile outre-mer, parce que le nombre des postes possibles est beaucoup moins élevé que celui des candidats, mais il en va de même ailleurs.
S'agissant de votre remarque sur les retraites, je suis très surprise ! C'est en vérité presque le contraire. Du fait de la surrémunération perçue quand on est affecté outre-mer, les cotisations sont plus importantes et, mécaniquement, les retraites plus intéressantes que si l'on a servi uniquement en métropole. Il faut déconstruire certaines idées reçues, totalement déconnectées de la réalité.
Peut‑être avez‑vous d'autres questions sur la situation particulière de l'outre‑mer ?
Si le BUMIDOM n'existe plus depuis longtemps, il n'en a pas moins laissé des cicatrices durables, et pas seulement chez des activistes ou des extrémistes, puisque beaucoup de gens très raisonnables nous en ont également parlé.
Me confirmez‑vous qu'un natif de Fort‑de‑France, par exemple, en service dans cette même ville bénéficie, comme les autres fonctionnaires, d'une majoration de salaire ?
Oui ! Tous les agents en poste outre‑mer en bénéficient, quel que soit leur lieu de naissance.
L'indexation des traitements est destinée à prendre en compte le coût de la vie – cela existe aussi pour les fonctionnaires servant à l'étranger, notamment ceux du ministère des affaires étrangères.
La formation est l'un des axes principaux du travail de fond que nous menons pour lutter contre les discriminations.
Le réseau des écoles de service public rassemble les établissements qui forment les futurs fonctionnaires, de l'École nationale d'administration à l'École nationale de la magistrature, en passant par l'École nationale d'administration pénitentiaire ou les instituts régionaux d'administration (IRA). À la suite du rapport de 2017 sur les écoles de service public et la diversité, nous avons renforcé les objectifs de formation initiale liés à la prévention des discriminations et à la laïcité, que certains établissements ont même inscrits dans leur statut.
D'après une enquête récente de la DGAFP sur les valeurs républicaines dans les formations statutaires dispensées par les écoles de service public, plus de 80 % des élèves et plus d'un tiers des personnels pédagogiques et des intervenants bénéficient de formations sur l'égalité professionnelle, la lutte contre les stéréotypes de genre et la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Depuis plusieurs années, c'est également le cas des jurys de concours de la fonction publique, ce qui est d'autant plus fondamental que, même de manière inconsciente, les recruteurs peuvent être l'objet de stéréotypes ou de biais de représentation Un module de prévention des discriminations a systématiquement été intégré à leur formation. Nous leur proposons aussi un référentiel de formation.
Nous développons également des dispositifs en matière de formation continue. Le schéma directeur de la formation professionnelle tout au long de la vie comporte des actions prioritaires, dont une relative aux enjeux d'égalité et de diversité, destinée plus particulièrement aux cadres. Nous pensons en effet qu'ils représentent un public prioritaire pour assurer le respect et la diffusion de ces principes dans les ministères et les institutions, en administration centrale comme sur le terrain. Les ministères sociaux, le ministère de l'intérieur et le ministère de l'agriculture ont par ailleurs lancé des marchés de formation de leurs cadres sur la neutralité des agents du service public et la lutte contre les discriminations. De notre côté, nous développons une offre de formation interministérielle qui sera accessible au début de l'année 2021, par le biais d'une plateforme de formation à distance, Mentor. Ces mesures de formation visent à éviter les risques de dérive et à garantir que le respect de ces principes est bien chevillé au corps des agents publics.
Un autre axe de travail concerne le volet relatif au signalement et à la protection des agents. Des dispositifs de signalement des actes de violence ou de harcèlement moral et sexiste existent depuis plusieurs années. À la suite de l'assassinat de Samuel Paty, la ministre a souhaité accentuer ce dispositif de protection, en ajoutant dans la loi la notion de menace. On s'est en effet rendu compte que le risque de passage à l'acte était plus important aujourd'hui qu'il y a quelques années. Un agent public qui n'est que menacé, si je puis dire, en particulier sur les réseaux sociaux, doit pouvoir demander une protection, et son administration et sa hiérarchie doivent lui assurer la protection à laquelle il a droit. Nous sommes en train de réfléchir à un renforcement des dispositifs de signalement, afin de permettre aux agents de solliciter une protection de manière rapide, immédiate et dématérialisée, sans passer nécessairement par la voie hiérarchique, qui n'est pas toujours la plus appropriée.
Concernant la situation particulière de la fonction hospitalière, nous disposons de peu de remontées, parce qu'il n'existe pas de dispositif centralisé permettant à la direction générale de l'offre de soins et au ministère de la santé de savoir ce qui se passe. Nous savons néanmoins que des médecins, des infirmières, des aides‑soignants voire des personnels administratifs font l'objet de menaces de la part de patients. Il faut que l'on travaille avec le ministère de la santé à une meilleure identification, pour assurer une meilleure protection de ces personnels qui se sentent parfois un peu isolés et abandonnés face aux agressions et aux menaces.
Je relevais un élément paru dans une étude du mois de décembre, selon laquelle, si l'obligation de neutralité était très bien comprise par les agents quand elle les concernait, elle l'était moins, en revanche, quand il s'agissait des règles applicables aux usagers.
À ce propos, comment le principe de neutralité et de laïcité est‑il inculqué aux contractuels et aux agents externalisés exerçant des missions pour la fonction publique ?
Les principes de protection et les devoirs de neutralité et de laïcité s'appliquent aux contractuels dans les mêmes conditions qu'aux fonctionnaires titulaires, même si cela est parfois plus difficile, dans la mesure où ils n'ont pas tous reçu les formations dont je parlais tout à l'heure. C'est pourquoi il faut leur prêter un peu plus d'attention, en ce qui concerne leur comportement aussi bien que la protection qui peut leur être assurée.
Permettez‑moi de revenir un peu en arrière pour vous faire part d'une observation. Les recrutements massifs menés ces dernières années dans certains secteurs de la fonction publique, par exemple chez les gardiens de la paix, nous obligent à être encore plus vigilants et encore plus exigeants quant à la formation initiale qui est dispensée. De plus en plus, la fonction publique est à l'image de notre société, diverse. La diversification des recrutements impose parfois d'être plus attentif à la formation de nos futurs fonctionnaires qu'on ne l'était lorsque l'accès à la fonction publique était peut‑être davantage réservé à une « élite », et j'emploie tous les guillemets possibles, à des catégories sociales plus favorisées. On doit impérativement à la fois assurer la diversification de notre fonction publique, et faire en sorte qu'elle s'accompagne d'un renforcement de nos formations initiales lorsque la formation n'a pas été dispensée plus tôt au cours de l'éducation. Ceci est bien évidemment à prendre avec de grandes précautions.
Madame la rapporteure, vous avez relevé toute la difficulté concernant la laïcité : son principe ne s'applique qu'aux agents publics. Le développement de signes religieux plus visibles les conduit à faire face à des citoyens et à des citoyennes qui expriment, plus qu'ils ne le faisaient avant, leur appartenance religieuse. C'est important pour nous d'en tenir compte. Nous allons regarder attentivement comment cette enquête peut donner lieu à des préconisations supplémentaires pour aider les agents publics à mieux se protéger et à mieux assumer le fait qu'une double obligation leur incombe, vis‑à‑vis d'eux‑mêmes et vis‑à‑vis du public, alors que ce même public se lâche parfois, pour dire les choses rapidement.
Il nous a semblé, en discutant avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ainsi que quelques organismes qui attribuent le label diversité, qu'il était désormais possible pour les entreprises et, je suppose, pour la fonction publique, de faire une évaluation en partant de la perception qu'ont les salariés, ou les agents, de leur appartenance supposée à une ethnie ou à une race. Ce ne sont pas des statistiques ethniques destinées à flécher des postes en direction de telle ou telle catégorie de population, mais cela permet de mesurer la diversité au sein de l'entreprise. Quels points du label nécessitent une attention particulière ? Alors que tout le monde, j'imagine, essaie de l'obtenir, y a‑t‑il encore des endroits, des catégories ou des fonctions exigeant d'être plus vigilants ?
Je n'ai pas encore mentionné les campagnes de testing, menées depuis cinq ans sous l'égide du professeur L'Horty et de son équipe, qui portent sur plusieurs critères – le sexe, l'origine signalée par le patronyme, le lieu de résidence, le handicap – auprès des responsables administratifs – de catégories A de la fonction publique – et des aides-soignants – de catégorie C de la fonction publique hospitalière. Les conclusions du dernier testing montrent des différences importantes dans l'accès à l'emploi selon l'origine et le handicap, dans un même ordre de grandeur. Les travailleurs en situation de handicap ont des taux de succès différents de ceux qui ne bénéficient pas de la reconnaissance administrative, c'est-à-dire qui ne sont pas passés par la voie spécifique. Autrement dit, la reconnaissance du handicap, qui ouvre l'accès aux aides pour l'employeur, n'annule pas les discriminations. En revanche, les différences dans l'accès à l'emploi sur le critère de l'adresse ont quasiment disparu et elles n'existent pas d'après le critère du sexe, si tant est qu'elles aient jamais existé. Je crois que c'est un élément intéressant.
L'octroi du label diversité repose sur un dispositif assez sélectif, exigeant et engageant, puisque ce n'est pas parce qu'on l'a obtenu que tout est fini : on s'engage à mettre en œuvre des actions, dont on doit rendre compte, sous peine d'être déclassé. Cinq ministères – les ministères économiques et financiers, les ministères sociaux, le ministère de la culture, le ministère de l'intérieur, le ministère de l'agriculture – et trente‑huit organismes publics l'ont obtenu et conservé. Un ministère était soumis à la question ce matin, par un groupe composé de représentants de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et de la DGAFP, qui pilotent l'attribution du label. Des établissements publics sous tutelle, dont dix‑sept musées, des organismes divers – le Conseil supérieur de l'audiovisuel ou le Conseil d'État –, quelques collectivités territoriales – Paris, Lyon, Bordeaux, Nantes, Dijon et le conseil départemental de Seine‑Saint‑Denis – de même que six établissements hospitaliers l'ont obtenu. La marge de progression est importante. Ces structures concernent néanmoins environ 500 000 agents publics. Le label a un impact sur tous les aspects de la vie professionnelle et, plus largement, sur la façon dont les agents peuvent sentir que ces éléments sont pris en compte dans leur activité.
La politique en faveur de l'égalité des chances et la promotion de la diversité sont l'une des priorités de la ministre. Il existe toute une série de dispositifs pour favoriser l'accès à la fonction publique des jeunes éloignés de l'emploi, vivant dans des quartiers défavorisés ou dans des zones éloignées de l'enseignement supérieur.
Le dispositif principal est celui des classes préparatoires intégrées. Au nombre de vingt-sept, elles sont, comme leur nom l'indique, adossées aux écoles de service public et aident des étudiants ou des demandeurs d'emploi modestes à préparer des concours externes de la fonction publique, en leur apportant un soutien pédagogique renforcé, un appui financier et l'accompagnement d'un tuteur. L'allocation pour la diversité s'élève à 2 000 euros annuels. Sept cents étudiants environ fréquentent ces classes préparatoires intégrées chaque année. Pour la prochaine rentrée, la ministre a créé mille places. Elle a également élargi l'assise de ces classes, pour favoriser leur implantation dans de nouveaux territoires. Enfin, le montant de l'allocation passera à 4 000 euros en 2021.
Nous travaillons également sur une nouvelle version des cordées de la réussite, visant à permettre aux élèves des écoles d'accompagner des groupes de collégiens, de lycéens voire des étudiants dans leur projet d'orientation. C'est une mesure destinée à favoriser l'attractivité de la fonction publique, qui reste parfois un peu fragile.
Enfin, nous travaillons à consolider l'apprentissage dans la fonction publique, qui est un levier efficace pour favoriser la diversité de ceux qui viendront composer la famille des agents publics.
Je vous remercie, madame Colin, d'avoir accepté notre audition et d'être intervenue sur tous les thèmes qui nous intéressaient – nous sommes en quête de précisions pour rédiger le rapport le plus exhaustif possible. La promotion de la diversité dans la fonction publique doit concerner tant les profils que les territoires, ces deux aspects se rejoignant.
Absolument !
La séance est levée à 18 heures.