La séance est ouverte à neuf heures quinze.
Notre première audition de la matinée est consacrée à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), représentée par sa directrice générale, Mme Virginie Beaumeunier. Cette dernière est accompagnée de M. Loïc Tanguy, son directeur de cabinet, de M. Emmanuel Koen, adjoint de la sous-directrice « Produits alimentaires et marchés agricoles et alimentaires », et de M. Jean-Luc Déborde, directeur du laboratoire de Strasbourg.
Au regard du thème et des réflexions de notre commission d'enquête, l'audition des responsables de la DGCCRF s'imposait.
En premier lieu, la DGCCRF est, par ses contrôles, garante de la loyauté des informations données par les producteurs aux consommateurs, tant en ce qui concerne la composition d'un aliment que pour ses valeurs nutritionnelles déclarées.
En second lieu, la DGCCRF joue un rôle éminent pour s'assurer du respect de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'origine de la matière première jusqu'aux rayons des distributeurs, même si elle n'est pas le seul acteur public concerné. À ce sujet, vous nous décrirez la ligne de partage des compétences qui est tracée sur le terrain entre l'action de la DGCCRF et celle des personnels de la direction générale de l'alimentation (DGAL), dont nous recevrons d'ailleurs très bientôt sa direction.
La DGAL définit son « plan national de contrôles officiels pluriannuel » qui concerne les denrées alimentaires, l'alimentation animale et la santé des végétaux. La DGCCRF programme-t-elle ses contrôles de façon similaire ? Quelles sont les priorités ou les cibles privilégiées par la DGCCRF dans une éventuelle programmation de ses contrôles alimentaires ?
Certains interlocuteurs de la commission d'enquête ont regretté, non pas une absence des contrôles effectués, mais l'intervention « en tuyaux d'orgue » des différents acteurs et organismes publics impliqués. Est-ce une critique récurrente – la sociologie administrative fait ce type d'observations pour d'autres secteurs – ou, dans les faits, un effort de la coordination des actions entre administrations mérite-t-il d'être encore approfondi ?
Quels exemples concrets de ces coordinations effectives ou à venir pourriez-vous citer ? Avec l'importance des importations dans le domaine alimentaire, cette conjonction de moyens paraît, par exemple, opportune avec la douane.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment. Elles doivent jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Mme Virginie Beaumeunier, M. Loïc Tanguy, M. Jean-Luc Déborde, et M. Emmanuel Koen prêtent successivement serment.
Je vous remercie de nous permettre de nous exprimer devant votre commission d'enquête afin que nous vous présentions, tout d'abord, le contexte dans lequel la DGCCRF intervient, ensuite, son rôle s'agissant en particulier de l'alimentation, et, enfin, quelques exemples de son action concrète.
La question de l'alimentation transformée est devenue majeure dans un contexte où les modes de vie et de consommation ont évolué. La population consomme de plus en plus d'aliments transformés, et de moins en moins d'aliments bruts comme cela se faisait à l'époque de nos grands-parents. Dans le même temps, la perception par les consommateurs des risques liés à l'alimentation s'est renforcée.
On peut sans doute expliquer ce sentiment, d'une part, par l'éclatement de scandales sanitaires, comme celui de « la vache folle », et d'autre part, par une prise de conscience des risques chroniques liés à l'alimentation – autrefois, on parlait plutôt des risques aigus que faisaient courir instantanément des crises contemporaines, aujourd'hui, les choses se jouent davantage sur le long terme.
Ces questions et cette inquiétude naissent aussi de la complexité de l'alimentation transformée par rapport à l'alimentation brute : le consommateur connaît nécessairement moins la composition et les origines de ce qu'il mange. Cette alimentation contient des produits industriels et des améliorants, ce qui nous amène à nous interroger en termes d'origine, de traçabilité, de composition, et de qualité. Cela crée évidemment de nouvelles suspicions.
Cette inquiétude s'est bien sûr retrouvée lors des États généraux de l'alimentation, (EGA) qui ont illustré ces nouvelles demandes des consommateurs qui souhaitent des garanties supplémentaires s'agissant les produits qu'ils consomment. Ils attendent des pouvoirs publics une action forte et transparente concernant leur alimentation, mais également, de manière plus générale, concernant les produits qu'ils consomment et qu'ils utilisent.
Cette attente existe aussi à l'égard des industriels pour qu'ils apportent une information claire, précise et loyale aux consommateurs sur les denrées alimentaires.
Du fait de ses missions, la DGCCRF est au centre de ces problématiques. Ces nouvelles exigences nous appellent à continuer à mener en toute transparence des contrôles réguliers et à effectuer des enquêtes importantes de filière. De leur côté, les consommateurs attendent aussi sans doute de notre part une plus grande pédagogie. Ils veulent comprendre la réglementation et en savoir plus sur nos contrôles et les suites que nous leur donnons.
Cette pédagogie est également importante afin que les consommateurs comprennent et relativisent les différents risques auxquels ils peuvent être confrontés en raison de leur alimentation. Il faut informer sans alarmer, en étant transparent, en particulier s'agissant des risques chroniques qui peuvent être finalement les plus anxiogènes.
Durant l'été 2017, la crise du fipronil, ce produit insecticide découvert dans les oeufs, a constitué un bon exemple de ces inquiétudes. Le risque sanitaire associé à la présence de cette substance chimique, interdite dans les oeufs, n'était pas aigu – il n'y avait pas de risque immédiat –, en revanche cette situation a suscité de très nombreuses interrogations et des craintes légitimes de la part de nos concitoyens.
Un retour d'expérience de cette crise doit être réalisé dans le cadre du Conseil national de l'alimentation (CNA), auquel nous participons avec d'autres acteurs, en particulier sur la question de la communication et sur la perception des événements. L'exercice sera utile pour mettre en place une communication encore plus claire et plus pédagogique, et, surtout, pour rétablir la confiance des consommateurs.
Il est clair que s'il faut communiquer en période de crise, une communication pédagogique est également nécessaire sur la durée
J'en viens au rôle de la DGCCRF, une direction générale du ministère de l'économie et des finances qui compte environ 3 000 agents, répartis entre une administration centrale et des services déconcentrés implantés, soit, au niveau régional, dans les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), soit, au niveau départemental, dans les directions départementales de la protection des populations (DDPP) ou, pour les plus petits départements, dans les directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP).
La DGCCRF abrite également des services à compétence nationale, dont une école de formation, et un service national des enquêtes, qui a par exemple été mobilisé pour l'affaire Lactalis que vous connaissez, et qui mène les enquêtes et les contrôles les plus complexes, en particulier les enquêtes de filière. Il faut évidemment citer le Service commun des laboratoires, représenté ce matin par M. Jean-Luc Déborde, que nous partageons avec nos collègues des douanes. Il est constitué d'un réseau de onze laboratoires d'État.
Pour nous, comme pour les douanes, il est essentiel de disposer de ce réseau intégré. Ces laboratoires assurent la réalisation d'analyses et d'expertises pour soutenir notre travail de contrôle. Plus de 300 000 analyses ont été effectuées pour la seule DGCCRF en 2017. Au-delà de la simple analyse, ces laboratoires interviennent aussi en apportant un appui scientifique indispensable à nos enquêteurs en matière de recherche de fraudes. Les laboratoires mettent au point des méthodes d'analyse pour répondre à nos nouveaux besoins d'enquête, et pour assister les enquêteurs dans les modalités de prélèvement des produits. La relation fonctionne donc en quelque sorte dans les deux sens, des laboratoires vers les enquêteurs, et des enquêteurs vers les laboratoires.
La DGCCRF a trois missions principales : la régulation concurrentielle des marchés, la protection économique des consommateurs, la sécurité de ces derniers. Ces trois missions concourent au même objectif : protéger les consommateurs, mais aussi les entreprises vertueuses par rapport aux entreprises qui trichent.
Ces trois missions sont ainsi largement complémentaires, et il existe de nombreuses synergies dans leur exercice quotidien. En effet, nous avons une approche intégrée de la protection des consommateurs, qui prend en compte l'ensemble des biens de consommation, qu'ils soient alimentaires ou non alimentaires. S'agissant des biens non alimentaires, nous menons en particulier des actions sur les jouets, sur les cosmétiques, sur les produits électriques du quotidien, mais aussi en matière de services. J'insiste sur l'approche intégrée, alimentaire, non alimentaire, car nous considérons qu'elle est capitale dans l'efficacité de l'action de la DGCCRF.
Il y a en effet une vraie cohérence et un gain d'efficience à contrôler, à titre d'exemple, la présence de résidus de phtalates dans des huiles de consommation alimentaire dans des matériaux au contact de denrées alimentaires, mais également dans les jouets, car les analyses sont identiques.
De même, les difficultés rencontrées lors de la gestion de retrait ou de rappel d'ampleur de produits non alimentaires dangereux, comme les siphons culinaires ou les détecteurs de fumée, ont permis à la DGCCRF de bénéficier d'un retour d'expérience pour améliorer sa gestion globale des alertes, ce qu'elle a par exemple mis à profit dans l'affaire Lactalis.
S'agissant de la régulation de la concurrence, on a par exemple vu des entreprises s'entendre pour minimiser leurs efforts en matière d'amélioration de la qualité environnementale des produits, ce qui a un impact sur les consommateurs au-delà des conséquences pour l'environnement. L'entente pouvait aussi viser à répercuter de concert sur le consommateur les surcoûts éventuels liés à de nouvelles réglementations – évidemment cela se faisait de manière excessive.
Ces différentes missions conduisent la DGCCRF à travailler en collaboration avec de nombreuses autres structures institutionnelles. Je pense par exemple à la Commission européenne. Elle a un rôle très important en matière alimentaire et, de manière générale, s'agissant de consommation, mais c'est aussi le cas des douanes, au sein de notre Service commun des laboratoires et également, lors de nos contrôles, à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) dont vous avez reçu les représentants, à l'Autorité de la concurrence, à l'Autorité des marchés financiers (AMF), aux ministères de l'agriculture, de la santé, de l'environnement, de la justice, des transports des sports… L'interministériel est au coeur même de notre fonctionnement. Il représente une richesse, une force pour l'action publique, qui nous permet de bénéficier de méthodes de travail et de points de vue différents, et de mobiliser des compétences complémentaires.
La question de la sécurité sanitaire de l'alimentation, qui vous intéresse particulièrement, est d'une grande complexité. Elle nécessite par conséquent des compétences très variées, tant scientifiques – une partie de nos concours est scientifique et fait appel à des connaissances en matière de santé humaine, de santé des animaux, de végétaux, de chimie –, qu'économiques, juridiques ou comptables, car il faut pouvoir résoudre des problèmes de traçabilité en cas de fraudes économiques, fraudes qui peuvent aussi induire des problèmes de sécurité.
J'en viens plus précisément au rôle de la DGCCRF dans le domaine alimentaire. Dans ce cadre, la DGCCRF exerce des missions qui concourent à la sécurité sanitaire des aliments – cela concerne la gestion des risques qui peuvent affecter la santé humaine ou animale. Elle assure également des missions qui visent à s'assurer de la bonne information des consommateurs. Nous vérifions ce que nous appelons « la loyauté » – ce travail constitue une spécificité de notre organisme.
S'agissant de la sécurité sanitaire des aliments proprement dite, nous travaillons en articulation avec d'autres acteurs comme l'ANSES, dans son activité d'évaluation, mais aussi les ministères de la santé et de l'agriculture.
Pour ce qui concerne les sujets que traite votre commission d'enquête, la DGCCRF est en particulier compétente s'agissant des additifs alimentaires, c'est-à-dire les conservateurs, les colorants, les enzymes, les arômes… Un travail important est actuellement réalisé au niveau européen pour réexaminer les différentes autorisations accordées par le passé à ce type de produits, en tenant compte de l'augmentation considérable des consommations de produits alimentaires transformés. Dès lors que les consommateurs sont beaucoup plus exposés que lors des études initiales – à l'époque, ils consommaient davantage de produits bruts –, l'analyse scientifique doit évoluer.
La DGCCRF est compétente s'agissant des matériaux qui se trouvent au contact des denrées alimentaires, comme la vaisselle, les instruments de cuisson, les emballages… Des composants peuvent en effet migrer dans l'alimentation, et introduire des substances chimiques dans la consommation alimentaire. Nous sommes également compétents en matière de compléments alimentaires, tous ces produits qui sont censés apporter « un plus » à notre alimentation. Les denrées alimentaires génétiquement modifiées font aussi partie de notre champ de compétence, de même que les résidus de pesticides et de contaminants dans les produits d'origine végétale.
La DGCCRF est aussi compétente s'agissant de toutes les règles d'information du consommateur sur les denrées alimentaires, et en matière de pratiques commerciales trompeuses, de fraudes et de falsifications. Je ne citerai qu'un exemple que vous connaissez bien : l'affaire de la viande de cheval dans les lasagnes était une fraude économique, et non une question de sécurité.
Dans ces domaines, nous sommes responsables de l'établissement de la réglementation. Nous menons les contrôles pour la faire appliquer, et nous gérons les alertes sanitaires lorsque des produits dangereux se retrouvent sur le marché.
En matière de sécurité sanitaire des aliments, depuis la crise de « la vache folle », il a été décidé de séparer l'évaluation de la gestion du risque, de manière à renforcer le processus de décision et à garantir une évaluation du risque totalement indépendante – elle est effectuée par l'ANSES au niveau national, et par l'Autorité européenne de sécurité des aliments – European Food Safety Authority (EFSA) – au niveau européen. Cette division des tâches est un principe fondamental inscrit dans les règles européennes.
Les instances chargées de la gestion des risques se fondent sur les avis des instances d'évaluation pour décider, par exemple, d'autoriser ou d'interdire un certain nombre de pratiques. Ce rôle revient à la Commission européenne, au niveau européen, et, en France, principalement à la DGCCRF et au ministère de l'agriculture.
Notre travail intervient donc en complémentarité de celui de l'ANSES qui fournit des avis scientifiques et des recommandations que nous prenons en compte dans nos mesures de gestion du risque. Les choses fonctionnent aussi dans l'autre sens puisque nos propres contrôles constituent une source d'information très utile pour l'ANSES. En particulier, les résultats de contrôles de nos laboratoires permettent d'affiner les calculs d'exposition des consommateurs à des contaminants comme les métaux lourds, les composés néoformés ou les résidus de pesticides. Il est très important de pouvoir actualiser, si nécessaire, les évaluations des risques que mène l'agence, en fonction de ce que l'on trouve concrètement dans les produits.
Je voulais enfin évoquer quelques exemples d'enquête pour illustrer notre manière de travailler dans le secteur alimentaire.
Le contrôle de la DGCCRF s'opère, d'une part, grâce à des enquêtes sur les produits eux-mêmes, et, d'autre part, grâce à des contrôles des opérateurs, que nous appelons les contrôles à la première mise sur le marché. Ce dernier contrôle, qui se fait chez l'opérateur, a une vocation préventive : il permet de vérifier que l'opérateur a mis en place toutes les mesures pour respecter la réglementation. Le cas échéant, si nous constatons des défaillances, nous les signalons, ou nous prenons des mesures plus coercitives.
Sur les produits, nous mettons en place des plans de contrôle et des plans de surveillance. Les plans de surveillance se fondent sur une méthode aléatoire de contrôle et de prélèvements alors que les plans de contrôle sont mis en oeuvre à partir d'un ciblage des risques. Ils concernent par exemple la présence de contaminants et de résidus de pesticides dans les produits d'origine végétale. Pour répondre à l'une de vos questions, monsieur le président, le partage de compétences avec la DGAL s'opère selon la nature du produit : s'il est d'origine animale, la DGAL, qui a une compétence vétérinaire, entre en jeu ; s'il est d'origine végétale, nous intervenons.
S'agissant des produits d'origine végétale, nous contrôlons les résidus de pesticides, de métaux lourds, les mycotoxines c'est-à-dire les toxines sécrétées par des champignons qui peuvent se développer à la production ou lors du stockage des matières premières, ou encore les alcaloïdes par exemple ceux synthétisés par le datura, qui est une mauvaise herbe, et le champignon responsable de l'ergot de seigle, maladie qui remonte au Moyen Âge, mais qui peut parfois réapparaître.
Les contrôles peuvent être menés de manière aléatoire, dans le cas des plans de surveillance, ou de façon ciblée, sur certains produits ou sur certains opérateurs ou filières à risque, pour les plans de contrôle. Nous effectuons également des contrôles renforcés sur certains produits d'origine végétale à l'importation, ainsi que sur les produits bio.
Les contrôles à l'importation sont particulièrement efficaces, car ils sont harmonisés dans l'Union européenne. Ils interviennent avant la mise sur le marché des marchandises.
Au-delà du contrôle il y a aussi l'enquête qui est une spécificité de la DGCCRF. Nous menons des enquêtes de filière et de marché, en particulier des enquêtes régulières pour s'assurer de la loyauté et de la sécurité de certains produits sensibles aux fraudes. Je pense en particulier à l'huile d'olive – les origines ne sont pas toujours celles qui sont indiquées, et les compositions peuvent poser des problèmes –, au miel, et bien sûr au vin, importante production de notre pays pour laquelle le risque de fraude est particulièrement élevé.
Nous sommes l'autorité compétente chargée du contrôle de l'utilisation des additifs – cela concerne évidemment les produits transformés qui intéressent votre commission. Nos enquêtes spécifiques sur les additifs visent à contrôler les aspects relatifs à la loyauté – l'étiquetage et les éventuelles mentions valorisantes – et à la sécurité. Nous vérifions que les additifs présents dans le produit sont autorisés, et que les teneurs et les spécifications sont respectées. De manière plus générale, nous recherchons des pratiques commerciales trompeuses, des fraudes ou des falsifications.
Ces contrôles sont réalisés dans environ 1 200 établissements par an. Ces enquêtes sont fondées sur une approche par le risque.
En 2015, 1 400 produits alimentaires ont été analysés pour le contrôle des additifs. Cela concerne en particulier les produits carnés, les produits de la mer et les fruits et légumes, mais aussi des produits particulièrement sensibles en raison des types de consommateurs. Par exemple, en 2016, nous avons réalisé une enquête sur les confiseries, produit consommé en particulier par les enfants, même s'ils ne sont pas les seuls : 287 établissements ont été contrôlés, plus de 200 confiseries ont été prélevées, et près de 700 analyses ont été effectuées par nos laboratoires.
Nous avons contrôlé la qualité et la sécurité des confiseries aussi bien chez des producteurs industriels que chez des producteurs plus artisanaux. Nous avons contrôlé précisément le bon étiquetage, le respect des concentrations limites maximales des additifs – on trouve dans les bonbons, des colorants, des conservateurs ou des édulcorants –, le bon étiquetage des substances sucrantes utilisées, le respect des limites en termes d'acidité – en Espagne, la découverte de bonbons trop acides avait déclenché une alerte sanitaire. Nous contrôlons également la véracité des allégations de type « sans sucre » ou « arômes naturels ».
Cette enquête a fait apparaître des lacunes dans la connaissance de la réglementation par les professionnels, en particulier celle applicable aux colorants, à l'exception de ceux des grandes entreprises. Des manquements ont été identifiés dans 40 % des produits analysés en laboratoire, sachant que nos enquêtes se fondent sur une analyse du risque, et que nous contrôlons plutôt des produits pour lesquels un manquement est suspecté. Ce taux est donc très élevé pour ce type de démarche.
Cette enquête montre bien l'articulation entre la sécurité des consommateurs et les contrôles de loyauté. En effet, le même type de contrôles permet à la fois de vérifier si une allégation sur l'emballage est correcte, et si un additif n'est pas présent dans des quantités trop importantes et s'il présente des risques pour les consommateurs.
Autre exemple d'enquête particulièrement significative dans le domaine des colorants, nous avons finalisé, en 2017, une enquête de filières sur un colorant rouge, l'acide carminique ou E120, qui est issu de la cochenille. Cette enquête a montré que certains colorants mis sur le marché contenaient en grande quantité un dérivé de l'acide qui n'était pas autorisé. La DGCCRF a demandé le retrait des produits concernés, et elle a transmis à la justice des procès-verbaux pour tromperie concernant trois entreprises.
Pour compléter ce panorama, je souhaitais mentionner le fait que nous menons régulièrement des enquêtes sur les plats préparés. Nous contrôlons la loyauté de l'étiquetage, c'est-à-dire la conformité entre les illustrations et le contenu. L'illustration peut en effet être trompeuse. Nous vérifions la liste des ingrédients en pratiquant des tests en laboratoire – nous pouvons déterminer les espèces de viande ou de poisson présentes dans les plats, et aussi l'indication de l'origine des viandes et du lait. Ces sujets sont évidemment particulièrement sensibles. J'ai déjà évoqué l'affaire des lasagnes à la viande de cheval, et il y a une forte demande de nos producteurs agricoles pour que l'indication de l'origine des viandes et du lait soit mentionnée. Une expérimentation pour deux ans a été autorisée par la Commission européenne.
Sur ces sujets, et sur bien d'autres, les laboratoires de la DGCCRF et des douanes ont développé des méthodes d'analyse pour vérifier la loyauté de nombreux produits, s'agissant en particulier de l'identification de l'espèce pour certains animaux, de la variété de pommes de terre, mais aussi les cépages ou des millésimes pour les vins.
Avant d'en terminer avec cette intervention liminaire, je veux évoquer des problématiques émergentes qui mobilisent beaucoup la DGCCRF et qui sont en rapport avec le sujet des produits transformés. Je pense en particulier aux nanomatériaux. La présence de nanoparticules dans les produits de consommation, au premier rang desquels les produits alimentaires, est une source d'inquiétude croissante de la part des consommateurs. Vous avez certainement vu des publications récentes dans la presse consumériste à ce sujet. Elles ont eu un assez fort écho médiatique. L'utilisation de nano-ingrédients dans les denrées doit faire l'objet d'une mention d'étiquetage obligatoire dans la liste des ingrédients. Le nom de l'ingrédient concerné doit être suivi de la mention « nano », en vertu des dispositions prévues par un règlement européen concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires, dit « INCO ». Cette disposition est applicable depuis la fin de l'année 2014. Depuis trois ans, nous menons avec le Service commun des laboratoires un important travail afin de réaliser les premiers contrôles, et de mettre au point des méthodes analytiques de pointe pour vérifier que les consommateurs disposent de la bonne information sur la présence de ces nanomatériaux.
C'était un sujet nouveau pour nos agents et nos laboratoires. Nous avons rendu publics les premiers résultats de contrôle en 2017, et au début de l'année 2018 au sein du Conseil national de la consommation. Sur quatre-vingts échantillons de produits alimentaires analysés, trente et un, soit 39 %, contenaient des ingrédients comportant des particules de taille inférieures à 100 nanomètres – ce qui constitue la définition des nanoparticules –, et, dans près de sept cas sur dix, la totalité de l'ingrédient se trouvait sous forme nano, alors que, la plupart du temps, cette caractéristique n'était pas spécifiée sur l'étiquetage des denrées concernées.
S'agissant toujours des nanomatériaux, je signale que, la démarche étant complémentaire, nous avons mené le même type de contrôle hors alimentation, pour les cosmétiques, ce qui nous a permis de mettre en évidence des présences non annoncées de nanoparticules.
Nous poursuivrons évidemment les investigations sur ces cas et, le cas échéant, nous donnerons les suites contentieuses nécessaires. Cela suppose de vérifier dans quelles conditions les nanoparticules ont été introduites dans les produits concernés, et d'en savoir plus sur l'information des professionnels – ils utilisent eux-mêmes des intrants et il faut par exemple savoir s'ils ont bien été informés par leurs fournisseurs.
En tout état de cause, lorsque ces nanomatériaux sont présents, le consommateur doit en être informé en toute transparence, d'autant que la justification de l'utilisation de nano-ingrédients, en particulier dans le domaine alimentaire, peut parfois être limitée. Il existe en effet des alternatives, et certains industriels ont d'ailleurs déjà annoncé qu'ils avaient fait le choix d'abandonner l'utilisation des additifs concernés.
Nous avons ainsi organisé une table ronde avec les industriels, présidée par la secrétaire d'État, Mme Delphine Gény-Stephann, pour présenter le bilan des contrôles et mettre en avant les démarches de substitution engagées en incitant les industriels encore en retard, à s'y mettre.
Nous avons également partagé nos méthodes et les résultats de nos contrôles au niveau européen avec nos homologues et avec la Commission, de manière à ce que l'ensemble des autorités de protection des consommateurs mènent des contrôles similaires sur leur marché national, afin que les consommateurs et les entreprises de l'ensemble de l'Union européenne bénéficient du même niveau de protection.
Il y a malheureusement d'autres exemples de risques émergents. La recherche des agences d'évaluation des risques et des autorités de protection des consommateurs est mobilisée sur d'autres sujets. On peut citer le cas des résidus de pesticides et les possibles « effets cocktail ».
Nous faisons preuve d'une grande vigilance sur tous ces sujets. C'est évidemment impératif pour la santé des consommateurs dans tout un tas de domaines, alimentaires et non alimentaires. Pour conclure, je souhaitais mentionner la question des allégations « sans ». Vous voyez aujourd'hui beaucoup de produits portant la mention « sans sucre ajouté », « sans conservateurs », « sans nitrites »… Il faut sérieusement se pencher sur le sujet. Ces mentions sont certainement valorisantes, mais les techniques utilisées pour justifier ce « sans » peuvent avoir un effet contre-productif et induire une forme de tromperie, voire de concurrence déloyale entre opérateurs.
À quel niveau de la chaîne les fraudes sont-elles les plus fréquentes selon vous ? Est-ce dans l'industrie, dans la distribution ? Quels sont les éléments le plus souvent en cause : les additifs, les résidus de pesticides, la composition des aliments, le mode de production ?
Quelles suites sont données à vos contrôles en termes de sanctions et de pénalités ? En la matière, la législation actuelle est-elle suffisante, ou mériterait-elle d'être renforcée ? Si c'est le cas, sur quels aspects faudrait-il le faire ?
Le type de contrôle dont vous parlez concerne plutôt la composition des aliments, nous détectons donc plutôt les fraudes lors de la production et de la fabrication. D'autres sujets sont à traiter en matière de distribution. Il peut y avoir des problèmes d'étiquetage sur les marques des distributeurs – ils en assument la responsabilité à travers le cahier des charges qu'ils fixent aux producteurs, ce qui nous ramène à la production.
En matière de répartition des fraudes par des contaminants, les choses sont très variables d'un secteur à l'autre.
Dans le cadre de nos plans de contrôle et nos plans de surveillance sur les résidus de pesticides, les taux de non-conformité sont relativement faibles, de l'ordre de 2 % à 4 %. Il ne s'agit pas de l'un des secteurs où l'on retrouve le plus de problème.
Tout dépend aussi de ce que l'on regarde. Un problème avec les additifs peut avoir différentes sources. Il peut par exemple s'agir d'une utilisation non conforme par rapport à la réglementation, car celle-ci prévoit une utilisation pour un usage donné, dans certaines conditions, avec des critères de pureté. Il peut aussi s'agir d'un manque de connaissance de l'opérateur ou bien, effectivement d'une tentative de ne pas étiqueter.
Certains produits sont particulièrement sujets aux fraudes. Le miel, l'huile d'olive et les vins ont déjà été évoqués. La production française de miel diminue, alors que la demande de miel français augmente. Cela crée des tensions sur les marchés, et donc des fraudes. Pour le miel, nous effectuons des contrôles tous les ans.
Je peux vous fournir quelques chiffres, mais tout dépend de ce que l'on entend par « fraude ». Notre laboratoire repère plutôt les « non-conformités ». Elles s'élèvent à 6 % en microbiologie, à 10 % s'agissant des contaminants, à 8 % en alimentation humaine et à 23 % en alimentation animale, à 10 % s'agissant des résidus de pesticides, à 6 % pour les mycotoxines, à 28 % pour les matériaux au contact des denrées alimentaires et à 33 % pour les boissons…
Beaucoup d'anomalies sont relevées dans la composition nutritionnelle de l'alimentation, mais les prélèvements sont orientés : 18 % de non-conformités en alimentation animale, 27 % pour les produits carnés, 28 % pour les végétaux, 52 % pour les produits sucrés. Ces résultats sont liés aux différentes enquêtes menées dans l'année, en lien avec les orientations retenues par la DGCCRF.
Effectivement, nous programmons chaque année notre activité par le biais, d'une part, de plans de surveillance dont la fréquence est liée à la réglementation européenne – nous devons assurer un certain nombre de prélèvements aléatoires – et, d'autre part, de plans de contrôle liés aux risques. Pour ces derniers, chaque année, nous déterminons un programme national d'enquête visant des secteurs qui nous paraissent importants. Ces secteurs peuvent être contrôlés sur plusieurs années, quand les taux d'anomalies ou de non-conformité restent élevés. À l'inverse, si les choses s'améliorent à l'issue de l'enquête annuelle, nous choisissons alors un autre secteur. Nous pourrons vous faire parvenir les statistiques.
Quelles sont les suites de ces contrôles ? Elles peuvent être de nature pénale si l'on constate une fraude, une tromperie ou une non-conformité mettant gravement et immédiatement en danger la sécurité des consommateurs. Mais les sanctions sont également administratives – injonction de modifier un étiquetage par exemple, puis sanction si l'injonction n'est pas respectée dans le délai que nous fixons.
Le montant de la sanction pour pratique commerciale trompeuse a été largement réévalué après l'affaire de la viande de cheval. Les personnes encourent désormais 300 000 euros d'amende et deux ans de prison. Ce montant peut être multiplié par cinq pour une entreprise et aller jusqu'à 10 % de son chiffre d'affaires. Ces sanctions sont lourdes et paraissent suffisantes.
Effectivement, les sanctions sont dissuasives. La réglementation de base, quant à elle, doit évoluer en fonction des contrôles, des analyses scientifiques et des nouveaux risques qui apparaissent. Par ailleurs, une grande partie de la réglementation alimentaire est élaborée au niveau européen.
La loi décline dans le code de la consommation et dans le code rural les dispositions réglementaires européennes et fixe des obligations pour les acteurs. Pour autant, les scandales sanitaires et alimentaires se répètent : le fipronil, l'affaire Lactalis, sans oublier celle de viande de cheval… Cela souligne-t-il les insuffisances de la réglementation ? Si oui, à quel niveau ? Si non, quelle est votre explication ? Ces scandales sont-ils un effet secondaire de l'industrialisation de l'alimentation, voire de sa mondialisation ? En effet, le scandale de la viande de cheval était plutôt une fraude commerciale. Mais dans ce cas, la réglementation économique ou commerciale ne doit-elle pas être renforcée ?
Vous avez tout à fait raison, monsieur le président. S'agissant des sanctions, je viens de l'indiquer, la réglementation a été revue et les sanctions très fortement alourdies à la suite des scandales récents. Mais, même avec la meilleure réglementation du monde, les tricheurs continueront à tricher… D'où l'importance de disposer d'un service qui enquête afin de rechercher les fraudes. C'est le coeur de notre métier et la raison pour laquelle nous sommes une administration économique, habituée à réaliser des enquêtes de traçabilité et à rechercher les fraudes économiques, qui ont parfois un impact sur la sécurité. Nous sommes l'instrument pour lutter contre ces fraudes !
Dans ce cadre, il est important que nous puissions développer un réseau de coopération avec nos homologues européens. Notre Service national d'enquête se penche sur les fraudes les plus complexes, en collaboration avec d'autres administrations en Europe.
Une fois les fraudes repérées, il faut que les parquets suivent lorsqu'on leur transmet des procès-verbaux. C'est aujourd'hui le cas. Par ailleurs, l'augmentation des sanctions a constitué un signal important.
Il faut distinguer deux cas de figure : les non-conformités et les anomalies qui résultent d'une méconnaissance de la réglementation, notamment pour les producteurs de petite taille qui n'ont pas de service juridique compétent ; les fraudes patentées qui font l'objet d'enquêtes permettant de remonter les filières. Le scandale de la viande de cheval est un bon exemple, car plusieurs opérateurs étaient impliqués. De même, la crise du fipronil résultait d'une fraude aux Pays-Bas, mais a eu des conséquences dans toute l'Europe. Une bonne coopération entre administrations en Europe est donc fondamentale.
S'agissant du fipronil, la Commission européenne a d'ailleurs jugé que les administrations françaises – DGAL et DGCCRF – avaient parfaitement bien réagi. Les compétences des différents ministères – agriculture, santé et économie – sont complémentaires et l'« ADN » de la DGCCRF, si vous me permettez cette expression, c'est l'enquête et la recherche.
Notre vision transverse, sur l'ensemble des biens de consommation – qu'ils soient alimentaires ou non – est utile car nos enquêteurs chargés de rechercher les fraudes alimentaires ont aussi participé à des enquêtes majeures hors secteur alimentaire – celle sur le dieselgate par exemple. Ils sont ainsi plus compétents et ont aguerri leurs méthodes d'enquête et de perquisition.
Les fraudes, même économiques, sont désormais extrêmement techniques. Les opérateurs qui fraudent peuvent utiliser des méthodes complexes pour maquiller la fraude. Dans ce cadre, comment travaille la DGCCRF ?
En premier lieu, les enquêteurs doivent disposer de techniques analytiques extrêmement performantes et savoir ce qu'ils cherchent. En la matière, le Service commun des laboratoires est un appui précieux. Par exemple, dans l'affaire de la viande de cheval, nous avons recherché quelles espèces avaient été substituées : il fallait développer une méthode d'analyse de l'ADN des espèces utilisées. Lorsque les matrices alimentaires sont complexes, cela prend du temps et nécessite une forte réactivité. Le même problème se pose quand on recherche un contaminant dont on n'a pas l'habitude dans une matrice alimentaire un peu complexe.
En deuxième lieu, le cadre réglementaire et législatif doit permettre de sanctionner. C'est actuellement le cas.
En troisième lieu, il faut cibler les fraudes à la bonne échelle : elles peuvent être locales, nationales, mais, avec la globalisation des marchés, elles sont le plus souvent de dimension européenne, voire internationale. Depuis l'affaire de la viande de cheval, la Commission européenne a renforcé la coopération – qui existait déjà – entre les États membres : elle a créé le réseau Food Fraud qui permet d'échanger avec nos homologues européens des informations sur les pratiques des opérateurs et donc d'améliorer l'efficacité de nos enquêtes, tout en agissant à la bonne échelle.
Lors de l'enquête dont nous avons parlé sur l'acide carminique – le 4-ACA, dérivé du E120 –, nous avons identifié trois opérateurs en France et trois sur le marché communautaire. Nous avons donc transmis ces informations par le biais du réseau Food Fraud.
Vous avez évoqué les 3 000 agents et les onze laboratoires de la DGCCRF. Combien parmi ces agents effectuent des contrôles ? Au regard de la taille du territoire national, cela ne semble pas énorme et j'ai bien peur que beaucoup d'opérateurs ne passent entre les mailles du filet…
Vous avez également parlé des allégations nutritionnelles et de santé, particulièrement nombreuses sur les emballages des produits vendus en supermarchés. On y lit souvent « traditionnel » ou « à l'ancienne » et ces allégations, comme d'autres, concernent des produits qui contiennent parfois beaucoup d'additifs – l'effet sur la santé de certains de ces additifs est controversé. Ces allégations nutritionnelles et de santé induisent bien souvent le consommateur en erreur. Quel est leur cadre réglementaire ? Est-il insuffisant ? Quelles sont les marges de manoeuvre des industriels en matière d'étiquetage ? La DGCCRF propose-t-elle des améliorations aux autorités compétentes afin de mieux contrôler ces étiquetages trompeurs ?
Nous avons auditionné M. Benoît Assémat, inspecteur général de santé publique, vétérinaire et expert au département risques et crises de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Il a notamment évoqué les difficultés d'articulation des dispositifs de contrôle de la DGCCRF et de la DGAL, ces deux directions relevant de deux ministères différents, dont les objectifs et stratégies ne sont pas toujours identiques. Quelle recommandation formuleriez-vous en la matière ? Une clarification des missions des différentes institutions serait-elle souhaitable ? L'architecture des dispositifs doit-elle être revue ?
Un règlement européen encadre les allégations en matière alimentaire – les « sans ». Cette réglementation est assez globale, ce qui est intéressant : l'information doit être claire et non trompeuse. Nous diligentons nos contrôles sur cette base et analysons si l'information est trompeuse pour le consommateur. Si tel est le cas, nous faisons le nécessaire en fonction de la gravité de la tromperie : en cas d'infraction mineure, il s'agira d'un simple rappel de réglementation ; si l'allégation est vraiment trompeuse, les mesures seront plus coercitives.
Nous recherchons toutes les tentatives de contournement de la réglementation par les professionnels : ainsi, s'agissant des nitrites dans la charcuterie, l'allégation « sans nitrites » doit être examinée de près. En effet, parfois, les nitrites sont remplacés par un améliorant qui va permettre de produire directement des nitrites dans le jambon !
Mais il ne s'agit pas d'interdire les nitrites, qui ont un effet conservateur… C'est toute l'ambiguïté de l'alimentation transformée et de la perception qu'en a le consommateur : ce dernier veut des produits plus naturels, sans additifs et, en même temps, il souhaite que ces produits se conservent longtemps et qu'ils soient beaux. Les injonctions sont contradictoires ! Il faut faire avec et l'administration doit s'adapter. La réglementation sur ces allégations nous permet d'agir. À nous ensuite de réaliser les contrôles et de bien les cibler.
Vous m'avez ensuite interrogée sur la répartition de nos agents : parmi nos 3 000 agents, 1 800 travaillent dans les directions départementales et 600 dans les directions régionales. Les autres se répartissent entre l'administration centrale – un peu plus de 300 agents –, notre service national d'enquête, l'école et notre service informatique. Au total, 2 400 enquêteurs travaillent sur le terrain.
Concernant la répartition des compétences entre la DGCCRF et la DGAL, je suis désolée que cette question revienne en permanence… En réalité, il faut se méfier des « jardins à la française » car ces sujets sont d'une complexité extraordinaire. L'alimentation recouvre des aspects scientifiques, juridiques, économiques et environnementaux. Je n'ai pas évoqué le ministère de la transition écologique, mais quand on parle du glyphosate ou des nanoparticules, on parle aussi d'alimentation.
À mon sens, le plus important est que chacun sache exactement ce qu'il a à faire, que cela soit écrit dans les textes ou dans des protocoles. Ainsi, notre protocole de coopération avec la DGAL définit précisément les missions de chacun. Il est par ailleurs important de vérifier qu'il n'y a pas de « trous dans la raquette » – de secteurs de compétences non couverts – et que chacun assume ses responsabilités.
Des améliorations sont toujours possibles. D'ailleurs, nous avons créé un groupe de travail, conjointement avec la DGAL et la direction générale de la santé (DGS) pour étudier d'éventuels ajustements dans la répartition de nos compétences. Je le répète, toutes les administrations doivent en permanence se poser cette question : comment améliorer leur efficience ?
À l'inverse, la complémentarité de nos compétences est fondamentale. Je ne pense pas qu'une seule institution puisse assumer le contrôle de toute la chaîne. Ainsi, la DGCCRF n'est pas compétente pour contrôler les abattoirs, vérifier si les animaux sont abattus correctement et la viande bien découpée. En revanche, elle s'intéressera à la barquette de viande qui arrive chez le distributeur comme à son étiquetage.
De la même façon, lors de la crise du fipronil, la DGAL est intervenue dans les élevages et nous sommes intervenus au niveau de la distribution, sur les ovoproduits, principalement transformés – comme les gâteaux par exemple.
Effectivement, dès l'origine de la crise du fipronil, nous avons lancé avec la DGAL des plans de contrôle coordonnés. L'audit de la Commission européenne réalisé après la crise a souligné l'efficacité de cette coordination, chacun sachant ce qu'il avait à faire et l'ayant bien fait.
Le plan national de contrôles officiels pluriannuel (PNCOPA) dont vous avez parlé est un document conjoint, piloté par la DGAL, mais comprenant les contrôles de la DGAL, de la DGCCRF, ainsi que ceux de la DGS ou de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO).
Ce PNCOPA est d'ailleurs une obligation communautaire. Ce plan nous impose de décrire le partage des compétences en matière de contrôle de la chaîne alimentaire. Cela permet à la Commission européenne de savoir qui fait quoi et aux différentes administrations de vérifier qu'il n'y a pas de « trous dans la raquette ». Toutes les administrations qui concourent au contrôle de la chaîne alimentaire, dans tous les États membres, sont donc impliquées dans ces PNCOPA.
D'ailleurs, dans la majorité des États membres, plusieurs administrations interviennent en matière de sécurité alimentaire.
Je me réjouis de cette tentative apparemment réussie de rapprochement entre les différentes administrations et agences françaises. C'était en effet une des conclusions de la mission d'information commune sur l'utilisation des produits phytopharmaceutiques : la coordination semblait faire défaut et chaque administration ou agence auditionnée nous expliquait que son terrain de jeux était précisément délimité et qu'il fallait voir son voisin pour avoir la réponse à nos questions !
Je souris d'entendre que l'Union européenne souligne l'action coordonnée vertueuse de la France. Au niveau européen, beaucoup restait à faire lorsque nous nous sommes penchés sur le sujet… Si la France peut tirer les administrations européennes vers le haut, c'est une excellente chose !
Ma question porte sur les repères et les normes. J'ai bien compris que votre direction avait la lourde charge d'éditer ces repères et de les contrôler. Cela m'interpelle : comment peut-on être à la fois juge et partie ? Vous nous avez indiqués – je crois que c'est récent – que vous aviez séparé la gestion de la crise et le contrôle du respect des règles. Cela avait été demandé à l'Autorité européenne de sécurité des aliments par les ministres de l'environnement européens, me semble-t-il.
Quels éléments scientifiques vous poussent à affirmer qu'un colorant, un adjuvant ou un produit chimique présent dans l'alimentation industrielle est ou n'est pas dangereux pour la santé ? Je crois que le raisonnement porte sur la substance, et non sur les « effets cocktail ». Comment arrivez-vous à vous positionner ?
Je comprends parfaitement votre mission de contrôle – heureusement, vous êtes là pour réaliser ces contrôles. Mais qui décide de ce qui est dangereux et à partir de quand un produit est dangereux ? Vous l'avez dit, les habitudes alimentaires évoluent, vous devez donc vous ajuster en permanence. Vous avez indiqué revoir les autorisations de mise sur le marché (AMM) de certains produits qui vous semblent désormais dangereux. Comment arrivez-vous à suivre la dynamique scientifique ? Qui vous apporte ces certitudes scientifiques ? Qui sollicitez-vous ? Vous avez parlé du recrutement de scientifiques : comment se positionnent-ils au sein de votre institution ? Comment restent-ils objectifs ?
La séparation de l'évaluation et de la gestion du risque a été mise en place après la crise de la vache folle. C'est à cette époque, en 1999, que l'Agence française de sécurité des aliments (AFSA) – désormais absorbée par l'ANSES – a été créée. Son équivalent européen est l'EFSA. L'évaluation du risque, englobant l'ensemble des analyses scientifiques pour déterminer ce qui est dangereux et à quel niveau, n'est donc pas du ressort de la DGCCRF, mais des scientifiques de l'ANSES ou de l'EFSA.
Lorsque je parlais de recrutement de scientifiques, j'évoquais plutôt des profils scientifiques. Personne au sein de la DGCCRF ne fait de la recherche scientifique au sens strict ; ce n'est pas de notre compétence.
C'est d'ailleurs pour s'assurer que l'évaluation des risques est réalisée de manière scientifique et en totale indépendance qu'elle a été séparée de la gestion du risque ; la crise de la vache folle ayant souligné les défaillances du système antérieur, dans lequel la séparation n'était pas claire.
Ensuite, en fonction des évaluations scientifiques réalisées par ces agences et de leurs recommandations, nous rédigeons la réglementation pour ce qui concerne nos champs de compétences propres. Elle est alors adoptée soit par décret, soit par transposition des règles européennes. Enfin, nous veillons à la faire appliquer par le biais des contrôles.
Je ne peux donc vous répondre concernant la dangerosité des produits, puisque ce sujet est de la compétence de l'ANSES et de ses homologues.
Mais n'avez-vous pas fait état de tentatives – fructueuses – de rapprochement ou de complémentarité avec l'ANSES ? Si je comprends bien, vous avez la lourde tâche de vérifier que les règles établies par l'ANSES sont respectées. Mais n'avez-vous pas un droit de regard ? En effet, quand cela ne marche pas bien, c'est vers vous que l'on se tourne. Vous l'avez dit, certaines AMM sont actuellement remises en question. Vous collaborez au processus. Comment sont établies les complémentarités entre une direction ministérielle et une agence ?
Cela fonctionne principalement par l'échange d'informations : nous transmettons les résultats de nos contrôles à l'ANSES, qui va éventuellement les utiliser dans ses propres analyses. Ainsi, lorsqu'on constate la présence de tel ou tel additif ou contaminant dans les produits alimentaires, nous faisons des synthèses de nos enquêtes et nous communiquons ces informations à l'ANSES, qui détermine alors si ces résultats sont utiles au regard de ses propres analyses.
Par ailleurs, comme d'autres administrations, nous participons au conseil d'administration de l'ANSES et avons donc par ce biais des contacts réguliers.
La complémentarité existe donc entre l'évaluation et la gestion du risque : l'ANSES réalise des analyses scientifiques, fait des recommandations. Ensuite, les pouvoirs publics prennent les décisions – la réglementation et sa mise en oeuvre, par le biais des contrôles.
Des échanges peuvent intervenir lors des auditions : en général, lorsque l'ANSES établit un rapport, elle vient nous le présenter, nous expliquer comment elle a travaillé – le vulgariser d'une certaine manière.
La gestion du risque implique ensuite la proportionnalité : en fonction du risque évalué de manière indépendante par l'ANSES, les pouvoirs publics déterminent quelles sont les bonnes mesures à prendre. Ainsi, les colorants azoïques ont la « réputation » – il y a encore un doute – de provoquer de l'hyperactivité chez les enfants. Doit-on interdire totalement ces colorants dans les produits alimentaires ou plutôt demander aux fabricants de prévoir une mise en garde ? En tant que gestionnaires du risque, nous pouvons exiger un étiquetage informatif.
Vous informez donc sur le risque, mais pouvez-vous interdire ? Qui définit la politique publique ? L'ANSES est une agence, au service d'une administration : à quel moment et qui a le pouvoir d'interdire ? Qui prend cette responsabilité ? Ce n'est pas l'ANSES. C'est donc votre direction ?
Si le risque est limité, nous demandons aux fabricants de prévoir une information ou une mise en garde. Si le danger est important, la mesure de gestion du risque est l'interdiction : en matière alimentaire, la décision est en général prise au niveau européen. Dans certains cas, lorsque le danger est grave et immédiat, les traités nous autorisent à prendre ce que l'on appelle des « mesures de sauvegarde ».
Quelle est la marge de manoeuvre de la France sur son territoire ? En tant que représentants de la République, pouvons-nous demander aux pouvoirs publics de prendre des décisions sur le territoire français ? Si on nous renvoie toujours vers l'Union européenne, nous n'allons pas pouvoir faire avancer la cause des Français…
Si la France estime que le risque est important et grave, elle peut effectivement décider de prendre des mesures de sauvegarde purement nationales. Ce dispositif a déjà été utilisé dans les domaines alimentaires et non-alimentaires : dans mes fonctions antérieures, j'ai, par exemple, contribué à l'interdiction des prothèses mammaires en silicone. De même, le diméthoate utilisé sur les cerises a été interdit grâce à cette procédure. Mais la France doit ensuite justifier ces interdictions devant la Commission européenne et les autres États membres, car ces mesures bloquent souvent les importations, ce qui est contraire à la libre circulation des biens dans le marché intérieur.
Nous arrivons au terme de ces échanges, toujours trop courts au regard de l'ampleur du sujet que nous avons à traiter. Je vous remercie de cette contribution à la commission d'enquête. Nous ne manquerons pas de vous solliciter si nous avons besoin de compléments d'informations.
La séance est levée à dix heures trente.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 5 juillet 2018 à 9 h 15
Présents. - Mme Michèle Crouzet, M. Loïc Prud'homme, Mme Élisabeth Toutut-Picard
Excusés. - M. Julien Aubert, M. Christophe Bouillon, Mme Bérengère Poletti