Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • audience
  • avocat
  • placement
  • référent
  • éducateur
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La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Jeudi 16 mai 2019

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d'information de la Conférence des présidents

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Votre audition complète celles de l'AM-MJF et du syndicat Unités magistrats que nous venons d'entendre. Je vous laisse la parole pour une brève intervention, de sept à dix minutes maximum, ce qui nous permettra de privilégier les échanges, à la fois avec la rapporteure et les membres de la mission, tout en respectant les horaires de nos travaux. Je serai donc assez rigoureux sur ce point.

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Sophie Legrand, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Nous allons essayer de tenir ce timing plus court que prévu. Nous voulions vous apporter, parce que l'on sait que vous avez entendu de nombreux professionnels de la protection de l'enfance, ainsi que d'anciens enfants placés, notre point de vue de magistrats, et vous dire ce que nous avons constaté sur l'état de la protection de l'enfance sur le territoire français.

Nous faisons le constat d'une situation très dégradée malgré les différentes lois qui sont intervenues en 2007, puis en 2016. De notre point de vue de juges des enfants – nous sommes toutes deux juges des enfants - la charge des cabinets en assistance éducative est croissante. La plupart des juges des enfants se retrouvent à suivre un nombre de familles supérieur à ce qu'une qualité de travail suffisante supposerait. En effet, on préconise 350 dossiers en assistance éducative et de nombreux juges des enfants dépassent largement les 500 dossiers.

En tant que juges des enfants, nous constatons que les mesures que l'on ordonne tardent à être exécutées ou parfois ne sont pas exécutées. Les délais de prise en charge sont importants, tout d'abord, pour les mesures de milieu ouvert, celles que l'on ordonne pour les situations moins graves, mais existent également s'agissant des mesures de placement alors que ces dernières interviennent en dernier ressort, quand on estime l'enfant est en très grave danger dans son milieu familial.

Vous avez sûrement vu la tribune des juges des enfants de Bobigny et celles des juges des enfants de France parues aux mois de novembre et de décembre 2018. À Bobigny, on évoque 18 mois de délai pour la prise en charge des mesures de milieu ouvert. Autant dire que cela n'a aucun sens d'ordonner une mesure à une famille en lui promettant de l'aide qui n'arrive qu'un an et demi plus tard. Dans nombre de tribunaux, les délais sont moins importants. J'étais à Tours jusqu'au mois de décembre 2018 : les délais de prise en charge ont varié de 4 à 11 mois d'attente, selon type de situation et selon les périodes puisque certaines étaient plus ou moins chargées. Le danger s'aggrave, la mesure n'est pas efficiente et cela n'a plus de sens ni pour les familles ni pour les travailleurs de la protection de l'enfance.

Nous constatons aussi que plusieurs départements tendent à réduire les coûts. Ils essaient d'assurer les mesures mais dans une moindre qualité pour que cela coûte moins cher et pour réduire les délais. Certains lieux de placement deviennent inadaptés, non pas parce que les professionnels ne sont pas volontaires ou engagés dans leur travail, mais parce qu'ils ne sont pas assez nombreux ou parce qu'ils n'ont pas les qualifications requises. On va embaucher de plus en plus de maîtresses de maison, de moniteurs-éducateurs mais moins d'éducateurs spécialisés et d'assistantes sociales. Si la pluridisciplinarité peut être importante, il faut aussi garder le personnel compétent, afin que les mesures s'exercent correctement sans aggraver la situation de danger, ce qui peut arriver pour les enfants, dont les assistantes familiales pas assez formées font des dégâts sur un plan éducatif, autant que les parents peuvent en faire, voire devenir maltraitantes. C'est plus rare, mais il arrive que des procédures de violence ou autre soient engagées au tribunal correctionnel à l'encontre de familles d'accueil. Des lieux de placement n'exercent plus la vigilance nécessaire, d'où des agressions entre jeunes. Les jeunes ne sont pas protégés. Les parents soulignent aux juges des enfants qu'ils ordonnent le placement, au motif d'un danger pour l'enfant au domicile parental, et au final, il se drogue, il fugue, il se bat. Ces retours nous reviennent fréquemment.

Nous constatons aussi une inégalité pour les mineurs non accompagnés, c'est-à-dire les mineurs étrangers. Leur prise en charge est pire, dans la plupart des départements. Certains départements refusent purement et simplement de les prendre en charge. Ils disent ne pas avoir places et n'accueillent pas ces enfants, y compris si la décision est assortie d'une exécution provisoire. D'autres départements vont les accueillir à l'hôtel, sans qu'il y ait de réel suivi ni de scolarisation. On crée donc une distinction qui n'est pas normale puisque ce sont des mineurs tout autant que les autres.

Nous préconisons de renforcer les moyens alloués à la protection de l'enfance dans chaque département, autant pour les milieux ouverts que les placements. Les deux niveaux sont importants. Certes, le milieu ouvert, s'il est bien organisé, s'il se développe, devrait permettre à terme d'éviter que l'on ordonne autant de placements. Il faut d'abord franchir cette étape et en l'état, il faut que les placements puissent s'exercer correctement. Il faut également que le suivi du déroulement des mesures puisse s'améliorer. L'institution judiciaire est aussi en difficulté sur ce point. On constate, avec la charge des cabinets qui devient trop importante, que les textes ne sont plus respectés par le juge des enfants.

Les juges des enfants sont tenus d'organiser des audiences pour chaque décision qu'ils rendent, que celle-ci soit urgente ou non. Si la décision est urgente le juge convoque dans les quinze jours afin que la famille puisse s'expliquer et que l'on puisse revoir la décision, si nécessaire. En pratique un nombre de décisions ne sont plus prises en audience. Très souvent, les restrictions ou les suppressions de droit de visite et d'hébergement en cas de placement peuvent se prendre sans audience.

De la même manière, les décisions de délégation de l'autorité parentale à l'Aide sociale à l'enfance pour des actes ponctuels vont être également prises sans audience. Dans les cas les plus graves, dans certains tribunaux, où pendant une période donnée un poste va être laissé vacant, on se retrouve avec des mesures, notamment de milieux ouverts, qui vont être renouvelées ou arrêtées - si on peut les arrêter - sans audience également. Aussi, le juge des enfants va se baser uniquement sur le rapport éducatif, éventuellement sur un bref avis par courrier des parents mais cela veut dire qu'il peut se tromper ou ne pas avoir respecté le principe du contradictoire.

De même, quand l'audience est organisée, le juge des enfants manque de temps. Quand on est obligé de passer cinq à six dossiers par matinée, on laisse moins de temps aux familles pour s'exprimer, on laisse moins de temps aux enfants pour s'exprimer. On prend moins le temps d'entendre les enfants séparément et on sait bien que les enfants ne disent pas du tout la même chose en présence de leurs parents ou de leurs éducateurs que lorsqu'ils sont seuls avec le juge des enfants.

Par ailleurs, les parquetiers chargés des mineurs ont de grosses difficultés en raison de leur charge de travail qui les conduit aussi à être moins vigilants sur le rôle de contrôle qu'ils exercent, notamment le respect de la subsidiarité de l'intervention judiciaire qui conduirait à renvoyer au département compétent pour prendre en charge les choses à faire si la famille est d'accord. Ces parquetiers n'ont plus également le temps de motiver leur requête en assistance éducative. Or ce document est très important car il permet aux familles de savoir ce qu'on leur reproche et de se défendre à la première audience devant le juge des enfants. Cela veut dire qu'elles n'ont plus que le rapport éducatif à lire mais qui est souvent beaucoup plus long. Mais là, on arrive à un autre problème : les services de greffe sont aussi en sous-effectifs et de ce fait, il n'est pas toujours possible de laisser aux familles le temps pour consulter ce document.

En dernier lieu, j'aborderai le droit des enfants à avoir un avocat à l'audience. Il gagnerait à être développé mais en l'état, il est difficile à faire respecter puisque la convocation est reçue par les parents ou les lieux de placement et non par les enfants. Sur cette convocation, il est inscrit le droit de tous à être assisté d'un avocat à l'audience. Le juge des enfants est tenu de le répéter à l'enfant à l'audience mais en pratique de nombreux juges ne le font pas par manque de temps. On se retrouve par conséquent avec beaucoup d'enfants qui ne sont pas assistés d'un avocat à l'audience, voire qui ignorent qu'ils auraient pu avoir l'assistance d'un avocat.

À notre sens, il faut également pour que la protection de l'enfance puisse bien s'exercer, renforcer les effectifs des magistrats de protection de l'enfance, les effectifs des greffes et assurer un secrétariat qui permette véritablement l'accès au dossier pour les familles et pour les enfants avant les audiences.

Je cède la parole à ma collègue sur les autres points.

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Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

S'agissant du suivi des mesures celui-ci est insuffisant parce que le juge des enfants est en manque d'information et parce qu'il est difficile pour le juge des enfants d'exercer son contrôle. On a un défaut d'information du juge des enfants par les services, parfois par manque de temps, par méconnaissance des textes ou par une certaine toute puissance des services. Par exemple, il est fréquent que le juge des enfants apprenne au cours d'une audience qu'un droit de visite et d'hébergement n'a pas été mis en place alors qu'il était ordonné dans un jugement, voire même que des décisions soient remises en cause. Par exemple, un mineur placé ne l'est plus et retourne au domicile familial, les services utilisant comme base juridique le droit de visite et d'hébergement des parents. Cela m'est arrivé en tant que juge des enfants à Paris et en tant qu'ancienne parquetière au Parquet des mineurs de Bobigny.

On a aussi dans la même logique des changements de lieux fréquents qui sont dénoncés. Les anciens enfants placés que vous avez entendus ont dénoncé très fortement cela. Or le juge des enfants doit être informé des changements depuis la loi de 2016. Pour les enfants placés depuis deux ans, il doit être informé un mois avant le changement. Le juge des enfants a très peu de poids par rapport aux services éducatifs. Pour une orientation en famille d'accueil, il peut enjoindre l'Aide sociale à l'enfance – il peut l'écrire dans son jugement – mais il n'y a pas de sanctions si cela n'est pas fait, ce qui est problématique.

On a une absence de contrôle du juge des enfants parce qu'il y a très peu de cadre pour qu'il puisse rappeler les services à leurs obligations. Par manque de temps, par la charge des cabinets, il y a très peu d'espace-temps pour pouvoir le faire. Il est difficile dans une audience en assistance éducative en présence des familles de pouvoir, par rapport à la légitimité des services, revenir sur certains dysfonctionnements. On le fait mais il faut aussi que chacun garde sa place. Il n'y a pas forcément de cadre pour faire les rappels, de cadre pour avoir le temps de former les équipes éducatives de la part des juges des enfants, même si certains le font déjà.

Par ailleurs, pour pouvoir parler des choses, il faut pouvoir organiser les audiences. En réalité, mis à part pour les audiences avec échéance, on n'est pas en capacité de le faire, donc on n'est pas en mesure de débattre, d'avoir un cadre contradictoire qui ne soit pas uniquement constitué des rapports écrits par les services mais que l'on ait aussi le point de vue des familles.

S'agissant des incidents qui peuvent se dérouler sur les lieux de placement, il est très difficile d'être informé, alors que c'est une obligation de la part des services. Une fois que l'on est informé, ce qui peut arriver souvent au cours d'une audience, ce qui est très problématique, il faut que le juge des enfants puisse « faire un article 40 du Code de procédure pénale », dénoncer les faits pénaux au procureur de la République afin que ce dernier puisse lancer une enquête. C'est très important pour la légitimité du placement qu'un mineur comprenne que c'est dans son intérêt que l'on fait cela. Toutefois, s'il n'y a pas de suivi derrière, le mineur ne comprend pas. Or, pour réaliser le suivi, il faut le temps et les moyens. Par exemple, un juge des enfants basé à Paris n'a pas les mêmes accès au logiciel Cassiopée, un logiciel judiciaire, qu'un parquetier. Cela veut dire qu'un juge des enfants qui est à Paris n'a pas la capacité de vérifier sur tout le territoire. Par exemple, si je demande une enquête au procureur dans les Bouches-du-Rhône, je ne peux pas savoir où elle en est car je n'ai pas d'accès à un département autre que l'Ile-de-France. Quand j'étais parquetière à Bobigny, j'avais accès à toute la France. Cela semble ridicule. En réalité, cela illustre les difficultés de contrôle que l'on a sur les enquêtes en cours. Par ailleurs, les brigades des mineurs des services de police ont des délais d'intervention très longs sur ce qui peut paraître des petites violences. En fait, c'est très grave dans le quotidien des enfants.

Enfin, les juges des enfants ont beaucoup de mal avec le traitement des situations dites complexes, par exemple des mineurs qui ont besoin d'être suivis en protection de l'enfance, qui relèvent d'une situation de handicap ou qui relèvent de soins. Dans certains pays, comme la Belgique, on arrive à prendre en charge ces mineurs, mieux que nous ne le faisons. En France, c'est difficile parce que l'on est entre deux. Finalement, chacun dit qu'il n'est pas en capacité de le faire et on aboutit à ce que ces mineurs ne soient pas bien suivis. D'un autre côté, on a toujours des mineurs qui sont suivis en assistance éducative parce qu'on n'a pas de place dans les structures qui leur seraient dédiés, par exemple, des places en institut médico-éducatif (IME). On se retrouve ainsi avec des mineurs qui sont toujours placés alors qu'ils ne sont plus en danger. On aboutit à un système qui n'a finalement plus de sens.

Enfin, on a des difficultés pour analyser les besoins. On a peu de psychiatres, peu de pédopsychiatres et il est très difficile de faire des expertises pluridisciplinaires, pas seulement sur des pathologies potentielles, mais surtout sur le lien entre les enfants et les parents. On n'a pas assez d'experts. On ne peut pas faire ces expertises, donc on manque d'éclairage.

Enfin, une dernière chose, pour les mineurs qui sont suivis très longtemps au civil et qui sont ensuite suivis au pénal après un passage à l'acte, on va devoir en tant que juge des enfants lutter pour qu'ils puissent continuer à être suivis au civil. On va nous répondre qu'il y a un passage à l'acte et un éducateur au pénal et qu'il faut donc arrêter le suivi. Sauf que c'est dans ce cas que le double suivi a du sens mais cela nécessite un engagement, donc du temps de la part du magistrat.

Pour conclure, en dépit d'acteurs engagés qui souhaitent bien faire à tous les niveaux (judiciaires, aide sociale à l'enfance, services habilités protection judiciaire de la jeunesse), le déficit de moyens alloués à la protection de l'enfance sur l'ensemble du territoire conduit à de réelles défaillances. Il apparaît que ce qui conduit à ces difficultés, c'est une volonté de réduire les dépenses publiques. Cette vision à court terme n'est pas efficace. Si on a une vision plus longue, on met les moyens à un moment donné et forcément, on va en sentir les résultats au bout de quelques années. Il nous semble, de ce point de vue, très préjudiciable que la question des jeunes majeurs ait été occultée. On ne peut accepter que des mineurs soient suivis depuis la naissance et qu'à partir de 18 ans, ils ne soient plus suivis par l'Aide sociale à l'enfance. 25 % des jeunes sans domicile fixe sont issus de l'Aide sociale l'enfance, ce qui nous paraît très inquiétant. Nous pensons que l'amendement à la proposition de loi de madame Brigitte Bourguignon qui a été adopté en première lecture, et aboutit à poser des conditions pour bénéficier à 18 ans de la poursuite d'un dispositif de soutien signifie un net recul pour les droits des jeunes majeurs.

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Je vous remercie pour vos interventions. Je laisse la parole à la rapporteure madame Perrine Goulet.

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Je vous remercie pour ces présentations rapides et efficaces. Je suis interpellée quand vous dites que le juge des enfants n'a pas le temps en début d'audience de dire à l'enfant qu'il peut être assisté d'un avocat.

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Sophie Legrand, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Le juge des enfants peut prendre ce temps mais cela s'ajoute aux autres choses qu'il doit faire avec l'enfant. Il a surtout du mal à entendre l'enfant séparément de ses parents. En outre, cela a une implication. Si, à l'audience, le mineur demande un avocat, on est obligé de reporter l'audience. En l'état des agendas des cabinets des juges des enfants, on n'est pas en capacité de prévoir une audience dans des délais satisfaisants pour le jeune. Si on demande au jeune s'il veut un avocat et qu'on lui précise que cela ajournera l'audience, il refuse car il veut une décision immédiate.

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Seriez-vous partant pour qu'un avocat soit commis de manière obligatoire ? Par ailleurs, on a a priori une pénurie de juges pour enfants. Que peut-on faire pour cette spécialité soit davantage choisie ?

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Sophie Legrand, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

De plus en plus, les collègues ont conscience que les juges des enfants font partie des juges les plus chargés. On est en audience tous les jours et cela peut en repousser certains. Mais, globalement, on a des juges des enfants engagés, qui croient à ce métier et qui veulent rester juges des enfants. On est plus de 400 sur le territoire et on le fait avec plaisir.

Je ne sais pas si l'avocat obligatoire doit se prévoir pour les enfants. Il faudra réfléchir à un âge. Est-ce qu'il y a du sens d'avoir un avocat pour un enfant qui n'est pas en âge de parler ? Je pense qu'il serait efficace de prévoir dans les organisations de préparation d'audience par les services éducatifs de demander systématiquement à l'enfant s'il veut un avocat pour l'audience qui va venir devant le juge des enfants. Cela devrait pouvoir se systématiser assez facilement puisque les services éducatifs font toujours des synthèses avec les familles, un mois et demi avant l'audience. Il serait assez facile pour l'éducateur d'informer le juge des enfants qui pourrait alors faire application de la disposition qui lui permet de demander la désignation d'un avocat d'office. Là, on serait en amont de l'audience. Il n'y aurait pas de problème de report d'audience et le droit des enfants serait très facilement assuré pour ceux qui sont déjà suivis. Pour ceux qui ne le sont pas, cela permettrait de prévoir une nouvelle audience.

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Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Si vous écoutez les magistrats, le juge des enfants est la plus belle des fonctions et c'est la plus difficile. Le quotidien d'un juge pour enfants est d'être en audience tous les jours, jusqu'à 14 heures ou 15 heures et devoir ensuite réfléchir à ses audiences du lendemain, revoir des situations qui durent parfois depuis 15 ans, plus le pénal qu'il doit aussi traiter. C'est un contentieux de masse sur des situations qui nécessitent des réponses très précises, avec une capacité à diriger une audience de façon très fine.

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Sophie Legrand, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Actuellement, ce qui fait défaut, ce n'est pas tant un nombre insuffisant de juges des enfants – la circulaire de localisation des emplois prévoyait 3 juges des enfants au tribunal des enfants de Tours – mais chaque cabinet était à plus 500 mesures d'assistance éducative. Il en fallait un quatrième, sauf que le poste n'est pas créé. Aussi, personne ne peut postuler.

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Vous dites à un moment de votre intervention que les textes ne sont plus respectés par les juges des enfants. Je crois que vous regrettez bien évidemment cette situation. Vous expliquez ce qui pourrait améliorer les choses avec des moyens et des effectifs supplémentaires. C'est un constat que je partage. Au travers d'autres auditions et d'autres missions parlementaires, j'ai aussi entendu des choses qui semblaient ne pas être respectées et qui posaient problème dans les décisions de justice. J'entends, par exemple, que des tests osseux sont pratiqués, non pas en dernier recours, mais en premier recours. Je parle pour les mineurs non accompagnés.

J'entends aussi qu'il y a des pratiques chez les juges - je vais vous titiller un peu là-dessus, pas vous parce que dans ce que vous venez d'évoquer, je crois partager à peu près intégralement toutes les phrases que vous avez dites – qui m'interpellent. Une juge des enfants a dit à un mineur de 17 ans : "tu vas avoir 18 ans, pas besoin de scolarisation". Des phrases comme celles-ci, prononcées par des juges des enfants, m'interpellent. J'imagine que vous aussi mais j'aimerais aussi que vous puissiez vous prononcer dessus.

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Sophie Legrand, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

J'espère que ce n'est pas la majorité des juges des enfants parce que cela ne reflète pas la philosophie de la plupart.

Sur les tests osseux, une grosse pression est exercée tant sur les départements que sur les juges des enfants sur la question des mineurs étrangers. Si on les place trop, le département va nous accuser de les engorger, de ne pas avoir vérifié s'ils étaient majeurs. À l'inverse, notre devoir est de nous assurer de ne pas avoir un mineur à la rue. Comme on manque souvent d'éléments pour déterminer la minorité, soit parce que les papiers sont manquants, soit parce qu'ils sont peu fiables, il peut y avoir une tentation de recourir rapidement au test osseux que, pour ma part, je trouve tout aussi peu fiable. Je pense qu'il y a une certaine tentation sur ce point qui a pu conduire certains juges des enfants à s'éloigner des critères légaux, à oublier que la base, c'est l'âge vraisemblable, le fait de ne pas avoir de papier ou d'avoir en sa possession des papiers déclarés faux.

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Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Le risque sur des contentieux où l'on cherche des taux d'audience, c'est d'avoir des pratiques qui ne respectent pas la loi et aboutissent à ne pas faire d'audience, alors que l'on va ordonner une mesure judiciaire d'investigation éducative, un examen d'âge osseux en première audience sans avoir d'autres résultats. Ce n'est juste pour avoir des moyens que l'on en demande. L'essence de la justice des mineurs est d'avoir du temps pour prendre les décisions appropriées.

Espérons que cela ne soit qu'une minorité et que cela ne soit qu'en raison de ce manque de temps d'audience. Quand vous écoutez les juges des enfants, ils recherchent des plages d'audience. Leur donner tout de suite peut leur faire gagner du temps d'audience. C'est peut-être la logique suivie, même si ce n'est pas celle que l'on porte.

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Sophie Legrand, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

La dernière décision du Conseil constitutionnel, qui est venu rappeler clairement tous les critères qui doivent conduire, et surtout, ne pas conduire un juge des enfants à ordonner de tels tests osseux, va permettre de recadrer les pratiques. Il faut également que le juge des enfants prenne le temps de se tenir à jour des jurisprudences. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas.

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On a auditionné des avocats qui nous ont dit que la notion de discernement n'était pas juridique et que l'on pouvait assister un enfant même s'il était jeune. J'aimerais savoir l'âge auquel vous estimez qu'un enfant peut être assisté juridiquement.

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Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Pour qu'un avocat intervienne ou pour l'entendre en audience ? Personnellement, je faisais venir les enfants dès 18 mois en audience. La juridiction parisienne est un peu plus privilégiée que d'autres, on a donc un peu plus de temps d'audience. Je sais que certains collègues préfèrent les convoquer à partir de 5 ou 6 ans. Je crois que c'est assez personnel. Je ne sais pas si on peut vous fixer un seuil idéal.

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Sophie Legrand, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Le discernement n'est pas une notion juridique. Cela va être vraiment du cas par cas car cela va dépendre en plus de chaque enfant. Des enfants de 15 ans peuvent être considérés comme n'ayant pas le discernement nécessaire pour comprendre les enjeux d'une audience alors que certains enfants de 10 ans peuvent être capables de les comprendre. Aussi, les juges des enfants ont plutôt tendance à appliquer un critère, à savoir si l'audience de l'enfant, même s'il n'a pas tout le discernement pour comprendre ce qu'est une audience, aura un intérêt, tant au niveau des éléments que l'on peut en recueillir, que des explications que le juge donnera au mineur. Je pense que de nombreux juges des enfants commencent à les entendre vers 5-6 ans, non pas qu'ils considèrent qu'ils ont le discernement pour comprendre les enjeux, mais parce qu'il est important de pouvoir leur expliquer à cet âge qui est le juge, ce qu'il décide.

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Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Cela veut dire qu'on va leur donner une place dans l'audience. Si on n'a pas le temps de leur donner une place, il convient de s'interroger sur l'intérêt de les faire venir.

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Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Quand on a affaire à un enfant si jeune, c'est plus fréquemment dans des hypothèses de placement. Les comptes rendus de visite peuvent décrire les difficultés dans le lien avec les parents. On verbalise. Notre travail de juge des enfants est aussi d'expliquer les choses. Après, on peut également organiser un temps dédié dans l'audience, par exemple, avoir l'enfant présent en début d'audience, puis, le faire repartir. Parfois, on se rend compte que des mineurs tout petits ne sont pas en capacité d'être en présence de leurs deux parents pendant l'audience. Aussi, on les fait se retirer dans un lieu où ils peuvent dessiner pendant l'audience, avant de leur communiquer la décision. C'est du cas par cas. Quand on connaît les situations, on sait s'il est pertinent ou non pour l'enfant de venir. J'ai plutôt entendu qu'il était traumatisant de venir en audience. Cela questionne les pratiques. Par ailleurs, des permanences pénales ont également lieu dans un tribunal pour enfants, des mineurs avec des menottes peuvent y circuler, mais tout cela, on l'apprécie tous les mois, de même que l'intérêt ou non de faire venir un enfant.

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Pour ce qui est des enfants qui étaient accueillis en audience, le problème est qu'ils ne sont pas seuls et n'ont donc pas la possibilité d'échanger réellement avec leur juge - j'ai remarqué que c'est leur juge, je pense que le juge des enfants est la personnification de la justice la plus forte. Ils ont l'impression de ne pas avoir été entendus, tout en disant qu'il ne faut pas non plus tout le temps les écouter. On a entendu des éducateurs, familiaux dire qu'ils n'étaient pas entendus parce qu'ils n'étaient pas éducateurs référents, pourtant, ils avaient l'enfant quotidiennement. J'aimerais connaître votre position. Doit-on privilégier l'éducateur référent ou celui qui est au plus près de l'enfant ?

On a aussi évoqué les placements longs. Par exemple, un père est en prison pour avoir assassiné la mère, mais tous les ans, on repasse devant le juge pour le placement de l'enfant. Cela ne permet pas à ce dernier de se projeter. Pensez-vous qu'il faille adapter le processus sur ce type de profil ? Je vous ai entendu parler tout à l'heure des greffiers. Les greffiers auprès du juge des enfants ont-ils une formation spécifique ? Quel est leur rôle ? Quand je suis allée au tribunal de Versailles, je me suis rendue compte que les greffiers auprès des juges des enfants n'avaient pas tout à fait le même rôle que ceux auprès des autres juges. En effet, les juges des enfants rédigent tout.

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Sophie Legrand, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Tout d'abord, sur la question du temps d'audience pour l'enfant, on peut aisément entendre que l'enfant n'a pas forcément reçu le message qu'a voulu donner le juge des enfants. On est tenu de faire respecter le principe du contradictoire : si ce qui est dit pendant l'audience a une incidence sur la décision prise, cela doit être connu de tous. Pour s'assurer de cela, certains juges des enfants font l'audience avec tout le monde en même temps. Beaucoup de juges pratiquent une audience individuelle de l'enfant mais cela suppose d'être capable de dire à l'enfant que si ce qu'il va dire a une incidence pour la décision, cela sera restitué devant ses parents à un moment.

S'agissant des placements longs, je ne pense pas que le dossier revienne tous les ans pour les cas les plus graves. On peut aller jusqu'à deux ans, voire dépasser ce délai. La question est de savoir si cela doit rester en assistance éducative ou pas. Il y a beaucoup de procédures qui peuvent exister. Si les parents sont absents depuis longtemps, cela ne relève plus de l'assistance éducative, ces enfants peuvent bénéficier d'une délégation de l'autorité parentale à l'Aide sociale l'enfance. C'est à l'initiative des services départementaux. Depuis la loi de 2016 qui a créé les commissions d'examen des situations d'enfants confiés à l'ASE, cela se développe un peu. Toutefois, je ne suis pas certaine qu'elles soient instaurées dans tous les départements. En Indre et Loire, j'ai vu la différence quand cela a commencé à être institué. Cela a créé un peu plus d'interrogations des services sur des situations qui roulaient en assistance éducative depuis des années sans que l'on se demande si cela avait du sens. Dans le cas que vous évoquiez, la question du retrait de l'autorité parentale pourrait se poser.

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Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Sur la question des greffiers, ils ont une charge de travail telle qu'ils ne peuvent pas parfois assister aux audiences. Le juge se retrouve à devoir gérer une audience et à devoir la prendre en note pour que cela puisse figurer dans le dossier.

Sur la question des éducateurs référents, on a l'éducateur référent de l'Aide sociale à l'enfance et l'éducateur référent sur le lieu de placement. Est-ce celui qui se trouve sur le lieu de placement ? L'idéal serait d'avoir les deux. Quand on a quelqu'un qui représente le lieu d'accueil familial ou le lieu de placement collectif et qui en plus est le référent du mineur, c'est beaucoup plus intéressant. Sinon, l'audience est moins dense parce quelqu'un qui connaît moins le mineur va reprendre le rapport fait par son collègue. Cela nécessite du juge des enfants d'être proactif. Parfois, ce sont des questions d'effectifs qui aboutissent à ce que cela ne soit pas le référent. C'est parfois compliqué avec les grandes fratries où chaque mineur a un référent différent. On aboutit à une audience qui prend beaucoup de temps parce qu'il faut que chaque référent sur le lieu de placement soit là pour chaque mineur. Une audience qui n'a pas de référent se vide un peu de son sens.

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Sophie Legrand, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Il est plus compliqué de faire venir les assistants familiaux ou les familles d'accueil à une audience, parce qu'ils n'ont pas la formation pour cela. Leur rôle n'est pas de venir faire une analyse de l'évolution du mineur, ils sont là pour le prendre en charge. On ne leur demande pas d'être capables de restituer devant le juge des enfants l'analyse de l'évolution de la situation.

L'autre difficulté, c'est le mélange des genres que cela peut créer. Le métier de famille d'accueil est très difficile - je remercie tous ceux qui le font - parce qu'un attachement à l'enfant se crée. Une rivalité peut alors s'instaurer entre la famille et la famille d'accueil, le plus souvent de la part des parents qui ne supportent pas cette situation. Avoir ces deux acteurs à la même audience n'est pas forcément bénéfique.

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Le problème c'est la collusion. Pourquoi la famille d'accueil n'est-elle pas plus insérée dans le processus, elle pourrait être entendue à part alors qu'elle est 24 heures 24 avec le jeune ?

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Sophie Legrand, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Normalement, si cela est bien fait par le service d'accueil familial, le référent Aide sociale à l'enfance qui vient à l'audience a pris un temps individuel avec la famille d'accueil plusieurs fois pendant l'année pour savoir ce qui se passe au domicile. En pratique, je pense que cela n'est pas bien fait mais je ne suis pas sûre que la solution soit que le juge des enfants le fasse. Cela risque d'être mal fait aussi si l'on n'a pas plus de temps. Puis, il y a toujours la difficulté du contradictoire derrière. On ne pourra pas entendre la famille d'accueil seule sans restituer la totalité de ce qui a été dit aux parents.

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J'ai assisté au tribunal à la prise d'appels de signalement en direct par les substituts du procureur. J'avais un casque et j'entendais tous les descriptifs. J'ai été stupéfaite de la vitesse à laquelle on judiciarise. La situation qui est décrite va arriver peu de temps après dans le bureau du magistrat avec la famille ou le jeune. On ancre dans le judiciaire alors que cela pourrait être éducatif. Je trouve que l'on n'a pas assez de temps pour ne pas tomber dans le judiciaire, ce qui va faire probablement des ravages.

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Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Quand on est à la permanence pénale, on a des situations d'assistance éducative qui peuvent apparaître, par exemple, des violences commises. En principe, on s'interroge sur le suivi administratif. On est censé prendre attache avec la cellule de recueil des informations compétentes, pour voir si la famille est connue ou pas et s'il y a eu des tentatives de solutions sur le plan administratif. Quand on passe dans l'éducatif, souvent le parquetier qui est au téléphone va transmettre à son collègue parquetier qui va recevoir des écrits. Que ce soit l'hôpital ou l'école qui dénonce, on demande toujours un écrit pour pouvoir étudier la situation sur le papier. Il est très rare que l'on soit dans l'immédiat sans papier. On a toujours besoin d'un document écrit.

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Sophie Legrand, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Ce n'est pas parce que le procureur a été saisi que l'on va judiciariser. Le procureur fait le tri. Il lui appartient de décider si le dossier est ou non judiciarisé. Peut-être est-ce une permanence spécifique qui vous a donné ce regard, mais je pense que les trois quarts des situations arrivent par courrier.

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La semaine dernière, une autre association de magistrats a indiqué qu'ils étaient de plus en plus saisis en direct par les familles ou les mairies. Quand il est saisi en direct, le juge ne peut pas renvoyer l'affaire au département.

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Sophie Legrand, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Le juge des enfants peut être saisi par les parents, les mineurs, le service gardien et le procureur. Si c'est la mairie, le juge des enfants renvoie au procureur qui lui, renverra éventuellement à l'Aide sociale à l'enfance. Mais il est vrai que lorsqu'on est saisi directement par les parents ou les enfants, on n'a pas le choix. On peut demander des éléments à l'Aide sociale à l'enfance pour savoir si elle les connaît, mais on est tenu de faire une audience.

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Je voulais parler de la décision récente du Conseil constitutionnel remettant l'intérêt supérieur de l'enfant comme une exigence constitutionnelle. Pensez-vous que cela va avoir un effet sur la baisse du recours aux tests osseux ?

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Sophie Legrand, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Nous espérons que cela aura un effet.

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Je vous remercie de vos interventions. C'était très intéressant.

La réunion s'achève à dix-sept heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 17 heures

Présents. - Mme Delphine Bagarry, Mme Nathalie Elimas, Mme Nadia Essayan, Mme Elsa Faucillon, Mme Sandrine Mörch, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier

Excusée. - Mme Jeanine Dubié