La commission a procédé à l'examen du rapport d'application de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (MM. Jean-Baptiste Moreau et Jérôme Nury, rapporteurs).
Mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour la présentation du rapport d'application de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite « Egalim ») six mois après sa promulgation.
Messieurs les rapporteurs, vous avez la parole.
Monsieur le président, mes chers collègues, nous présentons ce matin devant vous le rapport d'information sur l'application de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
Le présent rapport est réalisé en application du premier alinéa de l'article 145-7 du Règlement de l'Assemblée nationale, aux termes duquel deux rapporteurs, dont le rapporteur de la loi – que j'ai l'honneur d'avoir été – et un autre rapporteur appartenant à un groupe d'opposition, mon collègue Jérôme Nury, très impliqué sur ce texte, doivent présenter, à l'issue d'un délai de six mois suivant l'entrée en vigueur d'une loi, un rapport sur sa mise en application.
La loi ayant été promulguée le 30 octobre 2018, le délai de six mois est intervenu le 30 avril dernier.
Nous présentons devant vous une nouvelle étape d'un processus débuté il y a près de deux ans, au début de la législature :
– d'août à décembre 2017, les États généraux de l'alimentation (EGA) ont permis de rassembler tous les acteurs du monde agricole et alimentaire en deux phases portant sur la création et la répartition de la valeur, d'une part, et sur l'accès à une alimentation saine, sûre et durable, d'autre part ;
– en janvier 2018 avec le dépôt du projet de loi, les conclusions des EGA ont été traduites dans les deux titres du projet de loi initial ;
– d'avril à septembre 2018, les débats parlementaires ont considérablement enrichi la loi. Les Français se sont passionnés pour ces questions et beaucoup de travail a été effectué (6 300 amendements ont été déposés à l'Assemblée nationale à toutes les étapes de la discussion du texte), si bien que 98 articles ont été adoptés en lecture définitive ;
– la loi promulguée après son passage devant le Conseil constitutionnel comporte 75 articles (23 articles ayant été censurés par le Conseil constitutionnel, n'y revenons pas).
Nous voilà, six mois plus tard, à la première étape du contrôle de l'application de la loi. Et puisqu'il s'agit du premier rapport d'application d'une loi adoptée par notre commission sous cette législature, j'en profite pour vous préciser son objet.
L'exercice a consisté à recenser les textes réglementaires publiés et ceux qui ne le sont pas, les ordonnances prises en vertu d'habilitations inscrites dans la loi, ainsi que la remise des rapports au Parlement prévus par la loi. Par extension, le détail des mesures d'application étant susceptible de détourner la lettre ou l'esprit de la loi, ce rapport s'est également assuré que les textes pris pour son application étaient bien conformes aux intentions du législateur. Pour ceux qui nous écoutent, il ne s'agit pas d'un rapport d'évaluation, c'est un rapport de contrôle de l'application de la loi par le Gouvernement chargé de sa mise en oeuvre.
Je présenterai le bilan des textes réglementaires et des rapports publiés. Mon collègue co-rapporteur vous présentera les ordonnances.
Trente-six mesures réglementaires d'application sont nécessaires à l'application de la loi (dont trente et un décrets et cinq arrêtés) : dix-sept décrets ont été publiés à ce jour soit un taux d'application de 47 %. Aucun arrêté n'a encore été publié.
À six mois de la publication de la loi, ce taux est satisfaisant.
À noter que sur le titre Ier relatif aux relations commerciales, les deux décrets nécessaires ont été pris. Nous avons fait le point sur la publication des indicateurs par les organisations interprofessionnelles : elles s'y sont mises. Parfois le consensus est difficile à trouver mais, pour nombre d'entre elles, les indicateurs sont déjà en ligne ou ont été notifiés à la Commission européenne.
Certaines mesures réglementaires étaient déjà satisfaites dès la promulgation de la loi du fait de décrets préexistants. D'autres n'ont pas encore été publiées mais ont déjà fait l'objet d'une consultation ou d'un avis.
Les mesures réglementaires les plus attendues concernent l'aide alimentaire et, surtout, l'utilisation des produits phytopharmaceutiques. L'article 76 entré en vigueur le 1er janvier 2019 interdit la vente en libre-service de certaines catégories de produits biocides aux utilisateurs non professionnels, ainsi que plusieurs pratiques commerciales susceptibles d'encourager l'utilisation de ces produits. Le projet de décret a été soumis à consultation du public. L'article 80 complète le contenu du plan Ecophyto, en vue de soutenir le développement d'alternatives aux produits phytopharmaceutiques. Un décret précisant la composition de l'instance de concertation et de suivi sur les produits phytopharmaceutiques est en attente de publication. L'article 82 prévoit une expérimentation de l'utilisation d'aéronefs télépilotés pour la pulvérisation aérienne de produits autorisés en agriculture biologique. L'arrêté définissant les conditions et les modalités de cette expérimentation de manière à garantir l'absence de risque inacceptable pour la santé et l'environnement a circulé auprès des professionnels mais il est en attente de publication. L'article 83 prévoit l'interdiction de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives présentant des modes d'action identiques à ceux de la famille des néonicotinoïdes et des semences traitées avec ces produits. Il prévoit également que l'utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d'agrément contiguës à ces bâtiments soit subordonnée à des mesures de protection des personnes habitant ces lieux. Ces mesures, adaptées à divers paramètres, sont formalisées dans une charte d'engagements à l'échelle départementale. À défaut, l'autorité administrative peut en restreindre ou en interdire l'usage. Cette disposition entrera en vigueur le 1er janvier 2020. Deux décrets précisant l'application de ces dispositifs sont en attente de publication.
Pour finir et concernant les rapports au Parlement : le rapport sur le dioxyde de titane a été remis dans le délai prévu par la loi, tout comme le rapport annuel du Conseil de l'alimentation.
En revanche, il est regrettable que le rapport sur le financement et les modalités de la création, avant le 1er janvier 2020, d'un fonds d'indemnisation des victimes de maladies liées aux produits phytopharmaceutiques n'ait pas été remis (le délai était fixé au 30 avril 2019). Nous interpellons donc le Gouvernement sur ce point.
En conclusion, un certain nombre de choses ont été faites. La loi fournit des instruments qui s'ajoutent aux boîtes à outils constituées par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (dite « LME ») et la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Sapin 2 ») mais il faut que ces instruments et outils soient utilisés. J'ai fait le tour de la France pour les expliquer : on ne peut que constater sur le terrain qu'ils sont sous utilisés, notamment en matière de contractualisation sur la base des indicateurs de coûts de production. Seules certaines filières comme celle du lait les utilisent. Il faut absolument activer ces outils : j'ai rencontré les organisations interprofessionnelles et je leur ai rappelé cet état de fait. Si on veut que la loi ait un effet il faut que l'ensemble de ses outils soient utilisés. Ça n'est pas à l'État de mettre en place la contractualisation, c'est aux organisations de producteurs et aux producteurs de se mobiliser pour le faire.
Monsieur le président, mes chers collègues, M. Jean-Baptiste Moreau a fait le point sur les décrets mais, comme vous le savez, la loi « Egalim » a aussi prévu quatre articles contenant des habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnances. Le Parlement s'étant dessaisi temporairement de son pouvoir législatif, il est nécessaire de contrôler le respect du périmètre d'action dévolu au Gouvernement.
C'est normalement l'objet des lois de ratification d'ordonnance mais elles sont rarement inscrites à l'ordre du jour. Dès son dépôt, le projet de loi comportait quatre articles habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances. Ces articles ont été longuement débattus, parfois combattus sur le contenu de l'habilitation comme sur la procédure même du recours aux ordonnances. Ce choix d'avoir recours aux ordonnances n'a pas permis « d'aller plus vite » comme il est de coutume de dire puisque les débats parlementaires ont été longs et que l'essentiel des autres articles était applicable dès le lendemain de la promulgation de la loi quand il a fallu attendre près de deux mois pour que la première ordonnance paraisse et le délai limite de six mois pour plusieurs autres ordonnances.
La procédure des ordonnances a en revanche permis de réformer – pour l'essentiel – plusieurs pans du droit particulièrement techniques :
– le droit applicable aux coopératives, avec pour objectif d'améliorer la lisibilité et la transparence des informations données aux associés-coopérateurs, je vais y revenir ;
– le code de commerce dans sa partie relative aux pratiques commerciales restrictives de concurrence et autres pratiques prohibées, afin de gagner en lisibilité notamment pour les dispositions propres aux produits agricoles et denrées alimentaires et de progresser en efficacité des procédures applicables à tous les secteurs. Sur ce sujet, l'ordonnance assouplissant les critères de mise en oeuvre de l'action en responsabilité pour prix abusivement bas était particulièrement attendue. Nous nous réjouissons que les indicateurs de coût et de prix au coeur de la nouvelle contractualisation soient également utilisés dans le code de commerce. Un tableau récapitulatif sera annexé au rapport pour plus de lisibilité ;
– le droit applicable à la vente et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques.
Une ordonnance a trait à la mesure spécifique et temporaire (deux ans) de relèvement du seuil de revente à perte et d'encadrement des promotions, qui devait être rédigée en lien étroit avec les professionnels pour appréhender toutes les pratiques du secteur agro-alimentaire.
Plusieurs autres ordonnances sont attendues, par coordination avec les ordonnances déjà publiées et sur les questions de gaspillage alimentaire.
À ce jour, six ordonnances comportant vingt-sept dispositions ont été publiées dans le délai prévu par la loi, six mois après sa promulgation, sur un total de trente et une dispositions d'habilitation prévues par la loi dans son ensemble. Sur ces ordonnances, le taux de mise en oeuvre de la loi atteint 84 %. Quatre autres dispositifs sont attendus d'ici l'automne 2019.
Un seul projet de loi de ratification a, à ce jour, été déposé. Il n'a pas été inscrit à l'ordre du jour. Il ratifie l'ordonnance relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions.
Concernant la publication des ordonnances, nous, rapporteurs, considérons que le Gouvernement a dépassé le champ de son habilitation à légiférer au sujet de l'extension aux coopératives de l'action en responsabilité pour prix abusivement bas. L'article 17 prévoyant une réforme du prix abusivement bas au sein du code de commerce a servi de base juridique pour élargir le contenu de la réforme des coopératives agricoles (article 11), qui pourtant ne concernait pas le prix des apports. Lors des débats parlementaires relatifs aux articles 17 et 11, il n'a pas été question de réformer les coopératives agricoles sur d'autres aspects que celui de la transparence et du contrôle des informations données à l'associé-coopérateur. L'article 17 sur lequel se fonde le Gouvernement prévoit en son II « la mise en cohérence des dispositions de tout code avec celles prise en application du I » relatives au titre IV du livre IV du code de commerce. Pour autant, les députés ne souhaitaient pas que les dispositions modifiées au code de commerce soient appliquées aux coopératives agricoles au sein du code rural et de la pêche maritime.
L'intérêt de la procédure des ordonnances comme de celle de la rédaction des mesures réglementaires est de pouvoir consulter les professionnels et le public (consultation publique) afin de mieux prendre en compte leurs avis. C'est pour cette raison que nous nous sommes interrogés sur l'effectivité de ces consultations. Outre les consultations du public, les professionnels ont bien été associés et consultés mais les contributions écrites recueillies par vos rapporteurs révèlent leur insatisfaction sur le fond des mesures prises. De fait, outre des réclamations sur des délais trop courts pour réagir aux projets d'ordonnance, plusieurs organisations se sont plaintes du manque de prise en compte de leurs remarques.
En termes de méthodologie nous avons choisi d'auditionner les cabinets du ministre de l'agriculture et de l'alimentation et du ministre de l'économie et des finances. Compte tenu de la réforme de la coopération agricole, l'organisation Coop de France a également été auditionnée. Les syndicats agricoles et plusieurs organisations interprofessionnelles ont été sollicités par écrit.
Nous nous sommes efforcés d'en tenir compte dans notre analyse mais force est de constater que leurs remarques relevaient davantage d'une critique de la loi elle-même et des choix opérés par le Parlement dans l'habilitation donnée au Gouvernement pour légiférer ou pour prendre des mesures réglementaires d'application. Ce rapport n'ayant pas vocation à refaire le débat des EGA, ni même le débat législatif sur la loi maintenant promulguée, nous n'avons pas tenu compte de leurs propositions d'ordre législatif.
Les députés de la majorité ont été tenus informés de l'évolution de la rédaction des ordonnances. Pour autant, les députés de l'opposition n'ont pas été étroitement associés à cette rédaction. Cela ne constitue pas en soi un motif de contestation mais c'est regrettable, d'autant qu'au moment où le législateur s'apprêtait à confier au Gouvernement une partie de son pouvoir législatif, le ministre s'était engagé à associer l'ensemble des députés.
Vous l'avez compris au regard des chiffres qui ont été communiqués par mon collègue rapporteur, il s'agit d'un rapport d'application et non d'évaluation.
Ce rapport n'est pas l'occasion de poursuivre le débat sur le bien-fondé des mesures adoptées. Au risque de décevoir nombre de lecteurs, ce rapport n'est pas un rapport d'évaluation de la loi : sept mois après sa promulgation il serait en effet bien trop tôt pour en évaluer les conséquences juridiques, économiques, financières, sociales et environnementales. Cette évaluation interviendra dans les trois ans suivant la promulgation de la loi, conformément au troisième alinéa de l'article 145-7 du Règlement de l'Assemblée nationale, qui précise la mission d'évaluation des politiques publiques confiée au Parlement sur le fondement de l'article 24 de la Constitution.
D'ici là, nous allons proposer à la commission des affaires économiques des auditions thématiques, à échéance régulière, à même de faire le point sur la mise en oeuvre de la loi.
La France dispose d'atouts considérables et reste encore la première puissance agricole d'Europe. Les crises agricoles successives ont entraîné une crise morale des agriculteurs français et une dégradation de la compétitivité du modèle français. Malgré des produits agricoles français reconnus pour leur qualité, nous constatons une exigence grandissante des Français pour une alimentation de qualité.
Réalisé en application du premier alinéa de l'article 145-7 du Règlement de l'Assemblée nationale, le rapport examiné ce jour vise à présenter la mise en application de la loi. Certes certains de ses effets sont tardifs mais nous avons réussi à mettre en lumière les véritables problématiques inhérentes à notre modèle agricole. Aussi, alors que nous venons de créer la commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs, et à l'heure où l'accélération de la transition écologique est au coeur des préoccupations de nos concitoyens mais aussi de l'ensemble des acteurs concernés, nous devons mettre « les bouchées doubles » non pas pour aller vers davantage de quantité mais bien entendu vers la qualité. En ce sens, la proposition de loi relative à plusieurs articles de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous dite « PPL étiquetage », dont l'examen est annoncé à la rentrée 2019, sera un moyen supplémentaire pour apporter des solutions majeures aux nombreux enjeux et défis de notre modèle agricole et alimentaire. Grâce à la loi « Egalim », des outils existent et d'autres se développent : c'est aux acteurs à se saisir de ces outils.
Je vous prie de m'excuser car je dois rejoindre avec les députés de Meurthe-et-Moselle une réunion sur Saint-Gobain à Pont-à-Mousson. Je devrai donc vous quitter dans quelques minutes mais ma collègue Marie-Noëlle Battistel sera là pour écouter votre réponse à laquelle nous serons extrêmement attentifs. C'est en effet un groupe et un député en colère qui s'expriment aujourd'hui. Quand on se moque de l'Assemblée nationale on se moque du peuple et on fragilise notre démocratie. Sur les ordonnances, nous sommes insatisfaits sur au moins trois points et nous ne donnerons pas l'autorisation de publication du rapport d'information à ce stade, sauf s'il était modifié de façon substantielle. De quoi s'agit-il ?
Tout d'abord, la non-publication du rapport sur la création du fonds phyto-victimes : c'est assez inacceptable. J'étais samedi l'invité de l'assemblée générale de l'association phyto-victimes. J'ai passé l'après-midi avec des personnes qui souffrent dans leur corps, dans leur chair et dans leur âme de ce désastre. Qu'aujourd'hui, par une carence administrative, le Gouvernement n'ait pas rendu un rapport qui devait éclairer une décision sur laquelle nous avions esquissé des consensus me paraît être une grosse responsabilité du Gouvernement. Vous ne l'avez pas assez dénoncé me semble-t-il.
Sur les coopératives, on parle tout de même de 40 % du commerce agricole dans sa totalité. Nous pensions que le champ des ordonnances était exagéré. Nous avions demandé à être associés à leur rédaction. Lors d'une question orale dans l'hémicycle nous avions interrogé le ministre sur la question de la concertation. La réponse m'a laissé coi. Le ministre m'a répondu : « vous n'avez pas voté la loi, je ne vois pas pourquoi je vous associerais à la rédaction des ordonnances ». C'est une première dans la fabrique des ordonnances et à ce niveau de responsabilité. Je salue les rapporteurs qui, sur ce point, ont été vigilants et ont bien pointé la contradiction entre les articles 11 et 17 qui induit un excès de pouvoir du Gouvernement notamment sur les prix abusivement bas. Cela fragilise le modèle coopératif qui, dans le code rural et de la pêche maritime, a été fixé dans l'après-guerre et est constitutif de l'économie sociale et solidaire.
Je voudrais vous dire notre plus grande irritation sur la question des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP) et de la façon dont vous les avez vous-même traités dans votre rapport. Il me semble que vous êtes passés à côté de la question : j'avais adressé trois pages de courrier au Premier ministre pour dénoncer la forfaiture de cette ordonnance qui vient supprimer la sanction et donc supprimer, en réalité, les CEPP. Ceux-ci sont issus d'une loi de la République, une proposition de loi votée en 2017 dont j'étais le rapporteur et qui est annulée par une ordonnance sans même que le Parlement n'en ait été saisi. Nous avons fait un inventaire de toutes les discussions au Parlement : elles visaient « une mise en oeuvre effective » des CEPP. Or, la suppression de la sanction vient de fait supprimer les certificats. Le Gouvernement aurait dû assumer ce choix et le Parlement le mettre en question, nous aurions perdu mais la démocratie aurait été respectée. J'ai donc dû, faute de réponse de quiconque, ni de l'Assemblée nationale, ni du Gouvernement, ni des rapporteurs, faire un recours au Conseil d'État que j'ai pris sous ma responsabilité avec le soutien du groupe Socialistes et apparentés pour clarifier cette question. La seule demande que je vous ferai Monsieur le Président, c'est que vous fassiez vous-même pression au nom du respect de cette commission et de l'Assemblée nationale pour que le Gouvernement n'ait pas la mauvaise idée de faire une ratification précipitée de cette seule mesure contraignante du plan Ecophyto 2 qui restait dans la loi et qui est supprimé par cette ordonnance. Que le Gouvernement ne propose pas une ratification de l'ordonnance avant que le Conseil d'État n'ait rendu sa décision, c'est la moindre des choses me semble-t-il !
Je souhaite intervenir au sujet de l'expérimentation des drones dans les exploitations vinicoles dont la pente est supérieure à 30 %. Elle doit durer pendant trois ans et a été validée tant par les intervenants que par les sites pilotes concernés ; les services de contrôle l'encadrent parfaitement. L'expérimentation porte sur des produits d'origine biologique et a pour objet de protéger les employés agricoles, très exposés en raison des conditions traditionnelles de traitement. Je rappelle que ce procédé est déjà utilisé en Suisse, notamment dans le Valais, dans un cadre respectueux de l'environnement. Dans cette expérimentation, le traitement s'effectue de haut en bas, différemment des méthodes de traitement classiques, par canon, où la déperdition de produit est importante.
Nous venons cependant d'apprendre que cette expérimentation nécessite la mise en oeuvre d'une enquête publique : c'est très étonnant ! Pourquoi cette mesure, prise en référence aux textes européens, alors que d'autres pays comme l'Allemagne bénéficient d'une dérogation ?
Je suis perplexe à l'écoute de la présentation de ce rapport. Cette loi, que j'ai suivie de très près, doit nous interroger sur notre fonctionnement démocratique. En faisant la loi, nous avons pensé donner des réponses rapides à des difficultés profondes. Or nous nous retrouvons désormais avec, sur le terrain, le sentiment que rien n'a changé, ou si peu. L'impact de cet ensemble de mesures, qui ont du mal à se coordonner entre elles, doit être questionné. Je pense notamment aux coopératives, très fragilisées ces dernières années, à qui on réclame – à juste titre par ailleurs – de revoir leur gouvernance, de séparer les activités de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques, d'accentuer leurs responsabilités commerciales, le tout dans des délais très courts, ce qui est un facteur de déstabilisation important de pans entiers de l'économie agricole, sans pour autant apporter de réelles réponses efficaces.
L'opposition a signalé ne pas avoir été associée à la rédaction des ordonnances ; une partie de la majorité ne l'a également que peu été ! Il aurait fallu un échange plus fort avec les acteurs de terrain, et se donner un pas de temps qui soit compatible avec l'équilibre des structures. Je suis donc aujourd'hui circonspect et sceptique sur la mise en oeuvre des mesures de la loi « Egalim ». Au sein de la commission d'enquête sur les pratiques de la grande distribution dans laquelle nous sommes plusieurs à siéger, le retour sur l'impact de la loi est, au minimum, quasi-nul, sinon décrit avec des effets inverses à ceux espérés.
Sur la forme, je souscris et relaie la colère de notre collègue Dominique Potier, qui nous conforte dans notre conviction que lorsqu'on autorise des ordonnances, on dessaisit le Parlement et on permet au Gouvernement de contredire le législateur, notamment sur la question des produits phytopharmaceutiques ou sur celle de la spécificité des coopératives. Ce n'est évidemment pas acceptable.
Sur le fond, le procureur le plus sévère sur l'application de la loi « Egalim » n'est autre que le ministre de l'agriculture lui-même : le 2 mai dernier, M. Didier Guillaume déclarait devant les éleveurs que payer le lait à moins de 350 euros les mille litres n'était pas sérieux. Il appelait à changer de système. Ce réquisitoire a le mérite de la clarté : s'il faut changer le système, un an après l'entrée en vigueur de la loi « Egalim », c'est que cette dernière n'a pas produit les effets escomptés. Nous avions tenté d'appeler à muscler la loi, car le monde des relations commerciales n'est pas un monde de « bisounours ». Vous avez refusé, sans doute par idéologie libérale.
Le fait est que, pour les producteurs, le compte n'y est pas. La crème de la loi « Egalim » a très vite tourné, après les premiers communiqués triomphants parus à la suite des frémissements des prix du lait. L'indicateur de l'interprofession laitière était fixé à 396 euros les mille litres, soit 39,60 euros le litre, montant supposé garantir que les prix de production soient couverts : nous en sommes loin aujourd'hui. La majorité des contrats signés par les industriels le sont autour de 370 euros. Nous allons dans le mur et, dans ma circonscription, les éleveurs ne s'en sortent pas. On peut s'alarmer des retournements de prairie mais, sans intervention de l'État pour corriger la trajectoire, cela ne s'arrêtera pas.
Le commissaire européen à l'agriculture a fait des propositions afin d'identifier la répartition de la valeur entre agriculteurs, transformateurs et distributeurs, appelant même à plus de transparence. C'est que vous avez refusé, alors même que l'Europe libérale le préconise désormais.
Enfin, après les déclarations du secrétaire d'État Jean-Baptiste Lemoyne, qui indique, au lendemain des élections européennes, que la négociation du traité du Mercosur est de retour à l'ordre du jour, je souhaite demander si on ne devrait pas mettre le sujet du remaniement ministériel à l'ordre du jour du rapport d'application de la loi « Egalim ».
Je souhaite répondre à l'interpellation de M. Dominique Potier. Son recours a pu être déposé car avant la ratification des ordonnances, celles-ci n'ont pas force de loi mais uniquement valeur réglementaire. Il est fort probable que le juge administratif ne serait plus compétent si l'ordonnance venait à être ratifiée.
Monsieur Dominique Potier, sur le sujet des CEPP, les débats ont été vifs pendant la discussion du projet de loi. Nous n'y étions pas tous favorables mais aujourd'hui il n'est pas question de refaire ces débats. Le présent rapport ne porte pas sur les sujets de fond, mais sur l'application formelle de la loi. Les CEPP existaient de façon expérimentale ; ils sont pérennisés et étendus aux outre-mers et des objectifs chiffrés sont fixés par année. Il est vrai que la pénalité pour l'absence d'atteinte des objectifs est supprimée, mais l'indépendance des conseillers vis-à-vis des distributeurs et la certification des entreprises de conseil va bien contribuer à rendre effectifs les CEPP.
Monsieur Dominique Potier nous interpelle également sur l'absence de commentaire de notre part sur le rapport demandé au Gouvernement sur la mise en place d'un fonds d'indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques. Il faut relire le rapport : à la page 48, nous nous étonnons que ce rapport, prévu au plus tard pour le 30 avril, ne soit pas paru.
Monsieur Sébastien Jumel, je le redis, nous ne sommes pas dans l'« after » de la loi. Nous regardons, dans un contexte de contrôle parlementaire, si les textes qui devaient paraître sont publiés. Nous avons pointé des dysfonctionnements, notamment sur le sujet des coopératives, et je rejoins d'ailleurs les propos de notre collègue Nicolas Turquois : on peut s'interroger sur le processus des ordonnances. Dans la loi « Egalim », le champ de l'habilitation était sans doute trop imprécis et la rapidité de mise en oeuvre de certaines mesures (notamment sur le seuil de revente à perte) détonne avec la lenteur de parution d'ordonnances sur d'autres thématiques, notamment la séparation des activités de vente et de conseil des coopératives. Ensuite, sur les questions de concertation avec l'opposition, il est exact qu'elle n'a pas été associée à la rédaction des ordonnances, malgré les engagements du Gouvernement. Cela interroge sur les objectifs et sur le fonctionnement démocratique.
Nous ne refaisons pas ici les débats de fond ; mais comme certains en profitent pour faire de la politique… nous allons en faire aussi ! Au sujet des coopératives, une problématique relevant de l'ordonnance est, en effet, apparue. Mais cela ne remet pas en cause toute l'ordonnance relative aux coopératives, dont le cadrage législatif est clair et respecté par le Gouvernement. La définition du prix abusivement bas n'était, en effet, pas explicitement dans l'habilitation de l'article 11 : effectivement, le Gouvernement est allé plus loin. Mais sur le reste, il n'y a aucune ambiguïté, le respect de l'habilitation est parfait. Sur l'ordonnance relative à la séparation de la vente et du conseil, parue plus tard il est vrai, il faut indiquer que la concertation a été beaucoup plus longue que sur d'autres sujets, notamment sur la question des dates applicables. La date de 2021 n'a rien de brutal, Monsieur Nicolas Turquois : les coopératives auront le temps de s'adapter. Il est faux de dire que les coopératives n'ont pas été consultées et que la réforme va trop vite. Une autre posture syndicaliste, ayant fait l'objet de beaucoup de lobbying auprès des députés, explique que l'ordonnance fait tout à l'envers ; je m'inscris en faux contre ces discours politiques qui ressurgissent ces derniers temps.
Sur les CEPP, rappelons que le plan Ecophyto 2 a été un échec, ce que tous les acteurs se sont accordés à dire pendant les débats de la loi « Egalim ». La réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques n'a pas eu lieu. De nouvelles mesures ont été prises dans la loi (séparation des activités de vente et de conseil, interdiction des substances ayant des modes d'action identiques à ceux des néonicotinoïdes, etc.) afin de parvenir à des résultats efficaces, ce que les CEPP n'ont pas réussi à faire auparavant.
Sur le sujet du droit de la concurrence, les relations commerciales de la grande distribution font précisément l'objet d'une commission d'enquête en ce moment même. On ne change pas des habitudes prises depuis trente ans en quelques mois. Mais nous avons avancé ! La commission d'enquête vérifiera ce qui s'est passé et comment aller plus loin. Mais dans l'état du droit de la concurrence et de l'appréciation de la liberté d'entreprendre, j'estime que nous avons déjà fait le maximum. Rappelons que le cadre européen peut encore évoluer : nous aurions alors de nouvelles propositions à fournir, en relation avec nos collègues rapporteur et président de la commission d'enquête, MM. Grégory Besson-Moreau et Thierry Benoît.
En dernier lieu, je souhaite réagir à la question des traités internationaux, pourtant sans rapport avec la loi « Egalim », bien qu'ils aient un rapport avec le contexte agricole. Le traité du Mercosur n'est pas signé. Certains ont peut-être intérêt à faire croire que sa conclusion est proche, car cela suscite beaucoup d'agitation mais je vous le dis, ce n'est pas le cas. Le ministre de l'agriculture me l'a confirmé hier. Le président de la République s'est opposé, sur ce sujet, à la Commission Juncker, qui n'est d'ailleurs plus active ; il a refusé l'ouverture de négociations avec les États-Unis ; enfin, il a rejeté la perspective de signer le traité du Mercosur en l'état, puisqu'il ne respecte pas nos conditions en matière de protection de l'environnement et de qualité des produits susceptibles d'entrer sur le territoire européen.
Les articles 2 et 3 de l'ordonnance prévoient le relèvement du seuil de revente à perte pour les denrées alimentaires, ainsi que l'encadrement des promotions en valeur et en volume. Ces deux dispositifs visent à un transfert de la marge des distributeurs vers les fournisseurs, pour leur offrir de meilleures conditions d'achat de leurs produits et pour limiter le gaspillage alimentaire. L'objectif est donc louable. Cependant, dans le cadre de la mission d'évaluation de la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, dont je suis co-rapporteure, j'ai pu noter l'effet pervers de ces nouvelles règles sur une pratique courante en grande distribution, le « stickage ». Celui-ci consiste à vendre à prix réduits signalés par étiquette – d'où le nom « stickage » – les produits dont la date est proche de la péremption. Or, les réductions appliquées dans ce cadre conduisent souvent à dépasser le niveau de promotion de 34 %, ou bien à passer en dessous du niveau de seuil de revente à perte. De plus, les sanctions applicables sont telles qu'elles dissuadent les distributeurs de pratiquer le stickage, alors que celui-ci contribue à éviter le gaspillage. J'aimerais savoir comment vous pourriez agir afin que ces promotions particulières soient tolérées et considérées à part, au motif qu'elles aident à lutter contre le gaspillage alimentaire. Par ailleurs, pouvez-vous me dire si une étude concernant l'effet de l'encadrement des promotions sur le gaspillage alimentaire est envisagée ?
Il ne vous a pas échappé que les agriculteurs et les coopératives agricoles sont préoccupés quant aux ordonnances issues de la loi « Egalim ». Ces ordonnances sont susceptibles d'impacter significativement l'équilibre économique et juridique des 2 400 coopératives agricoles, dont le rôle est essentiel, dans des territoires ruraux déjà fragilisés. La séparation entre vente et conseil des produits phytopharmaceutiques aura vraisemblablement des conséquences sur les coopératives dans les territoires ruraux. Cela concernerait 3 000 à 4 000 emplois. Quelle que soit la modalité retenue, le temps d'adaptation prévu pour 2021 est-il réaliste pour les entreprises ? Je rejoins évidemment les remarques de mes collègues concernant le manque d'association des parlementaires à la rédaction des ordonnances, notamment celle sur la coopération. Mon interrogation concerne les ordonnances qui assimilent le contrat coopératif à une relation commerciale ; n'y voyez-vous pas un risque de fragilisation de la relation entre les coopératives et leurs adhérents ?
Concernant l'obligation pour la restauration collective publique de proposer 50 % en valeur de produits sous label qualité environnement en 2022, dont 20 % en bio, comment vous semble-t-elle applicable au vu de la production française actuelle de bio ? Serons-nous obligés de faire appel à des produits importés, certes bio, mais dont la certification pourrait être moins exigeante que la norme européenne ?
Par ailleurs, concernant le seuil de vente à perte, son relèvement a-t-il profité également au producteur ou bien uniquement au distributeur, comme on pouvait le craindre ?
Étant donné que la loi « Egalim » n'apporte pas toutes les solutions indispensables à la survie de la filière agricole, et même si cette question est prématurée, est-il prévu un texte de rattrapage éventuel avant la fin du quinquennat ?
J'aurais deux questions pour nos collègues rapporteurs. Tout d'abord sur la contractualisation, qui était une mesure forte du projet de loi, le décret a été publié le 26 février dernier. Pourtant, Monsieur Jean-Baptiste Moreau, vous nous avez indiqué que les filières ne s'en étaient pas encore emparées – sauf la filière lait. Pourriez-vous nous apporter des éléments d'explication sur cette situation, afin d'assurer l'efficacité de l'application de la loi ? Ma seconde question concerne l'expérimentation de dispositifs d'abattoirs mobiles prévus à l'article 73 de la loi : il est indiqué dans votre rapport que la publication de l'arrêté n'a pas encore eu lieu. Cette disposition est sollicitée tant par les éleveurs que par les associations, elle est extrêmement attendue. Pourriez-vous nous préciser où en est la rédaction de ce texte ? Le conseil d'État a-t-il déjà rendu son avis ?
Qu'il s'agisse de l'ensemble des acteurs ou plus spécifiquement des agriculteurs, l'application de la loi « Egalim » suscite de fortes déceptions. Tout d'abord en ce qui concerne le seuil de revente à perte : en tant qu'ancien professionnel du secteur, je vous avais alerté dès les mois de septembre et octobre 2017, sur les deux effets négatifs qu'il fallait attendre de cette mesure. Elle conduit à augmenter le prix des produits pour les agriculteurs quand ils vont faire leurs courses, sans que ces derniers n'en voient le premier centime supplémentaire sur le prix d'achat de leurs productions. Le processus de construction du prix est tel, le calcul des indices prix est tel, les cibles pour calculer le niveau de prix par rapport à la concurrence sont telles, que cela était sûr et certain. Qu'avez-vous prévu pour revenir sur cette mesure qui a un double effet pervers, tant du côté des producteurs et des consommateurs ?
Ensuite, ma collègue Graziella Melchior en a parlé et je vous en avais aussi averti : il fallait absolument sortir les dates courtes de toutes procédures de limitation des promotions, pour la bonne raison que lorsque les produits ne sont pas « stickés » ou promotionnés, cela représente une perte de 100 % pour la grande surface, et un gaspillage alimentaire, que nous essayons aujourd'hui de limiter par d'autres mesures. Là aussi, les effets pervers sont dramatiques, et il faut penser à sortir les dates courtes de ces processus.
Enfin, sur les négociations, comme ma collègue Typhanie Degois l'a dit, le retour est pour l'instant nul, voire négatif. L'encadrement législatif se révèle insuffisant ou en tout cas contre-productif, nous avions aussi alerté sur ce sujet. Donc, quelles sont les mesures correctives que vous avez prévues pour que l'on puisse limiter la casse liée à cette loi, qui se révèle être inique ?
Lors de l'examen de la loi, nous disions déjà que c'était une montagne de débats – des milliers et des milliers d'heures de discussion – qui avait à l'époque accouché d'une souris. Avec les ordonnances, les règles sont refaites par derrière, et cette fois-ci, sans débat. Mais de quoi a accouché cette montagne ? À l'époque, M. Serge Papin, que nous avions auditionné pour Système U, nous disait que ce qu'il fallait pour garantir une meilleure répartition de la valeur, c'était des prix minimaux garantis, voire des quotas, des coefficients multiplicateurs. Au lieu de cela, nous sommes passés à ce que j'appelle une usine à gaz, à base d'accords-cadres et de contrats. Les prix minimaux auraient permis par exemple de fixer 400 euros pour les mille litres de lait, et ainsi de suite. M. Sébastien Jumel a insisté sur le lait, mais nous avons aussi aujourd'hui des résultats sur le marché de la viande, notamment porcine. Les témoignages qui nous parviennent sont les suivants : le marché de viande reste un marché en souffrance avec beaucoup de viande sur le marché, et dans ce contexte les distributeurs n'ont aucun état d'âme à profiter d'une situation déprimée pour enfoncer le clou et baisser les prix. Les baisses demandées sont de l'ordre de 3 à 5 %. Je sais que je suis ici sur le fond et non pas sur la forme, mais qu'est ce qui a changé depuis la loi ? Qu'est ce qui a changé dans les relations entre la grande distribution et les agriculteurs ?
Enfin, je dérive sur le Mercosur. Nous avons deux sons de cloches à l'intérieur du même Gouvernement, avec d'un côté le ministre chargé de l'agriculture qui nous dit : il n'en est pas question, il serait scandaleux que cette viande en provenance du Brésil dont nous n'avons pas de garantie sanitaire, pénètre sur le marché européen et, de l'autre, M. Jean-Baptiste Lemoyne qui, lorsqu'il se rend à Bruxelles, semble proche de la signature de l'accord, il suffirait pour cela de négocier des garanties assez floues et vaseuses. Si jamais nous avons une ouverture massive du marché européen à de la viande venue des pays du sud, l'on ne peut pas dire que ça n'aura pas de conséquences sur la répartition de la valeur ajoutée au détriment des agriculteurs.
Ma question porte sur la mise en application des pratiques commerciales, et plus spécifiquement, sur la limitation des promotions à 25 % du volume. Cela pénalise les petites et moyennes entreprises (PME) face aux grandes marques, parce que les centrales d'achat invoquent la loi pour limiter les espaces commerciaux correspondant dans les linéaires. Cela veut dire que la part de marché des PME risque d'être réduite en fin d'année. Ne faut-il pas accélérer l'évaluation à fin juin dès à présent ? Dans certains métiers, comme le vin en bouteille, les ventes sont saisonnières, les foires aux vins à Pâques et en septembre représentent plus de 60 % du volume des ventes, et ce qui est perdu en matière commerciale ne se rattrape jamais.
Monsieur le rapporteur, je voulais préciser qu'il ne me semble pas que M. Dominique Potier ait voulu refaire le débat de la loi « Egalim ». Il a simplement relevé des engagements non tenus à la fois sur la question des ordonnances et sur la non-association des parlementaires, en particulier au sujet des coopératives, et sur la question de la suppression, par une ordonnance, des sanctions associées aux CEPP, alors qu'une loi avait été votée en 2017. Il en est de même sur la question des phytosanitaires et du fonds d'indemnisation des victimes. Les remarques de M. Potier portaient sur la méthode et non sur le fond. Je tiens donc à maintenir ses propos.
J'ai eu l'occasion de participer à plusieurs auditions de la commission d'enquête sur les pratiques de la grande distribution dans les relations commerciales avec les fournisseurs. J'ai notamment eu l'occasion d'écouter la Confédération paysanne ou l'interprofession nationale porcine. Plusieurs inquiétudes ont été formulées au cours de ces auditions, notamment les insuffisances des mécanismes pour garantir la rémunération des paysans, ou encore la déception des industriels dans la négociation menée en février avec la grande distribution. Une des raisons de ces inquiétudes a été le retard pris dans la publication des ordonnances. Celle du 24 avril concernait, par exemple, les prix abusivement bas et le modèle coopératif et avait pour objectif de mieux protéger les éleveurs contre les litiges avec les coopératives et les adhérents sur les règles fixant les prix. Mais, me semble-t-il, ces ordonnances sont arrivées après les négociations de prix par de nombreuses filières, qui avaient eu lieu notamment en février. Cela signifie que le bénéfice de la loi n'a pas pu s'appliquer en 2018. Ma question est donc la suivante : à la suite de votre rapport, avez-vous des idées de pistes pour améliorer l'efficacité de la loi, notamment en ce qui concerne les négociations des filières avec les producteurs et les industriels de la grande distribution ? Comment corriger cela dès 2019 ?
Avec cette loi « Egalim », M. Stéphane Travert et l'actuel ministre de l'agriculture et de l'alimentation avaient souhaité mettre en oeuvre un certain nombre de dispositions pour aider les filières agricoles en difficulté. Vous me permettrez, Messieurs les rapporteurs, de sortir un peu du contexte mais je ne doute pas que mes propos seront rapportés au ministre de l'agriculture, tant ce sujet est transpartisan. Depuis l'adoption de cette loi, les départements du Calvados et de la Somme voient poindre une crise que personne n'envisageait il y a six mois encore : la crise de la betterave sucrière, du fait de la décision du groupe Südzucker de cesser la transformation sucrière dans ses usines de Cagny et d'Eppeville. M. le rapporteur, vous le savez, cette issue serait dramatique pour l'agriculture de nos départements. Les producteurs perdraient aussi la possibilité de réaliser une culture rémunératrice. Ils se retourneraient vers d'autres cultures, mettant rapidement à mal l'équilibre parfois précaire de filières comme le lin ou la pomme de terre. Le ministre de l'agriculture est venu à Cagny et a déclaré toute sa mobilisation aux côtés des planteurs. Aujourd'hui, les planteurs ont besoin du soutien du Gouvernement dans le bras de fer qu'ils ont engagé avec Südzucker. Avec un réalisme impressionnant, les planteurs ont élaboré une offre de reprise de deux sites que Südzucker entend maltraiter. Cette offre de reprise a été transmise et donc reçue par les Allemands. Les messages que nous avons en retour sont contradictoires. Ils se disent intéressés pour étudier cette proposition, mais en même temps décidés à ne pas vendre. Les planteurs s'en remettent à vous, au ministre, au Premier ministre, au Président de la République, qui doivent imposer à leurs homologues allemands ce projet de vente des usines de Cagny et d'Eppeville.
Nous entendons bien les points de vigilance qui ont été soulignés par Mme Melchior et par M. Di Filippo, notamment sur les dates courtes. Un rapport d'évaluation de la loi Garot devrait être présenté dans les semaines qui viennent, trois ans après sa promulgation. Il permettra de faire le point sur le sujet. S'agissant du relèvement des seuils de revente à perte et de l'encadrement des promotions, les produits qui sont menacés d'altération rapide ne sont pas concernés par les fameux 34 %. L'ordonnance qui a été prise renforce cette exigence. Nous pouvons donc considérer que, tout en étant vigilant, cela permet de renforcer la lutte contre le gaspillage des produits qui ont des dates courtes. Notre attention a été attirée par certains acteurs du secteur sur des pratiques commerciales qui posent quelques problèmes, en particulier venant de la grande distribution, avec des pourcentages qui restent dans la norme des 34 % mais qui affichent, par exemple, « prix choc ». Il y a ici un point de vigilance sur lequel nous devons être mobilisés.
Sur les abattoirs mobiles, l'expérimentation est relativement courte puisque c'est une expérimentation de quatre ans. L'arrêté n'a effectivement pas encore été pris. Un décret en Conseil d'État est paru, mais celui-ci renvoie à un arrêté qui fixera les différentes pièces qu'il faudra produire pour mettre en place cette expérimentation. Nous sommes donc en attente aujourd'hui. Nous ferons remonter la nécessité d'aller plus vite sur le sujet puisqu'il y a beaucoup d'attentes dans les territoires.
Je souhaite répondre à Mme Deprez-Audebert. Le modèle économique d'une coopérative qui reposerait sur le bénéfice qu'elle va faire sur la vente de produits phytosanitaires est un dévoiement complet de l'esprit coopératif. Une coopérative a pour objectif de valoriser les produits de ses adhérents, pas de leur vendre des produits phytosanitaires. Je suis en désaccord complet avec cette position-là. Expliquer que les coopératives vont disparaître si elles ne peuvent plus vendre de produits phytosanitaires revient à avouer que les coopératives sont complètement éloignées du principe pour lequel elles ont été créées. Je pense que cet état de fait sera marginal, d'autant plus que nous laissons largement le temps aux coopératives de s'adapter à la séparation de la vente et du conseil. Sur les seuils de revente à perte, je suis content que M. Di Filippo reprenne les arguments de M. Michel-Edouard Leclerc. Les prix ont augmenté de 0,7 % et pas de 10 %, comme il l'a annoncé dans tous les médias. Les chiffres exacts ont été publiés par l'Institut de la consommation. En revanche, il y a effectivement un « trou dans la raquette » par rapport à la redescente de la valeur tout au long de la chaîne. La hausse du seuil de revente à perte a été faite pour dégager des marges de manoeuvre. Maintenant, il faut que la contractualisation fondée sur les indicateurs de coûts de production se mette en place. D'ailleurs, l'état des indicateurs de coûts de production est placé en pages 24 et 25 du rapport. M. Marilossian, il manque effectivement la contractualisation sur la base de ces indicateurs et le fait que ces indicateurs doivent redescendre dans les contrats jusqu'à la grande distribution. C'est effectivement quelque chose qui n'a pas été ou très peu mis en place pour l'instant. Les indicateurs de coûts de production dans la filière bovine-viande n'ont, par exemple, été validés qu'au 31 janvier 2019 seulement. Dans la filière lait, ils ont été notifiés à la Commission européenne mais ne sont pas encore entrés dans les faits avec un prix du lait à 396 euros, comme certains l'ont dit ici. Des choses se passent quand même. J'ai consulté un certain nombre de coopératives et d'associations de producteurs qui sont aujourd'hui en train de contractualiser avec des formules de calcul sur la base des indicateurs de coûts de production. J'ai entendu parler de 80 % de prise en compte de ces indicateurs pour certains labels, avec 20 % de prix de marché. C'est du concret. Ça arrive, ça vient. Ce n'est pas assez rapide car des filières sont en crise, mais ça arrive. Je regrette que cela ait pris autant de temps. Des discussions interprofessionnelles ont mis beaucoup de temps à se mettre en place.
Je souhaite répondre à l'intervention de Monsieur Ruffin. Je n'ai jamais entendu M. Serge Papin parler de prix minimum ou d'administration des prix dans ses interventions. Il a été animateur d'un atelier et a fait un certain nombre de propositions, dont certaines ont été retenues comme le seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions. Le porc n'est pas vraiment le bon exemple, puisque son prix est en train de flamber et d'être porté par les exportations vers la Chine. C'est une des rares filières en viande qui se porte bien, avec des prix payés aux producteurs qui ne cessent d'augmenter depuis quelques semaines. Mais il y a effectivement un problème d'inadéquation car la grande distribution n'arrive pas à monter les prix aussi vite que les prix du marché. Il y a donc des enjeux de renégociation des prix dans la grande distribution.
Je voulais préciser qu'un certain nombre de contrôles seront aussi mis en place par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sur les pratiques de la grande distribution par rapport aux questions évoquées par M. Marilossian. J'entends certaines interventions qui nous expliquent qu'il faudrait finalement ne rien changer à la façon dont agit la grande distribution. Celle-ci a détruit 1 milliard d'euros de valeur dans la filière agro-alimentaire depuis des années. Cela s'amplifie d'année en année. Toutes les industries agro-alimentaires, que ce soient les PME ou les grands groupes, nous expliquent qu'il n'y a qu'en France que les négociations commerciales se passent aussi mal, avec de telles déflations systématiques. J'ai quelques propositions mais je les ferai dans le cadre de la commission d'enquête en cours, qui aboutira probablement à des propositions d'évolutions législatives ou réglementaires complémentaires pour mieux encadrer ces pratiques déloyales. Une directive européenne a été publiée entre-temps sur les pratiques déloyales de la grande distribution. Il va falloir transposer cette directive au niveau français car certains éléments sont intéressants et vont dans le bon sens. Concernant les négociations avec le Mercosur, je ne suis pas le porte-parole du Gouvernement. Je ne vais donc pas arbitrer entre ce que certains ministres ont pu dire. J'ai eu des discussions directes avec MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Didier Guillaume, ainsi qu'avec le ministre des affaires étrangères. M. Lemoyne n'a fait que rappeler le discours du Président de la République qui avait indiqué que l'accord avec le Mercosur ne pouvait être signé en l'état car certaines lignes rouges, qui ont été fixées par la France, étaient dépassées, en particulier au sujet des spécificités de la viande bovine.
S'agissant de la betterave sucrière, je sais que le ministère de l'agriculture et de l'alimentation est pleinement mobilisé sur ce sujet préoccupant. Il va falloir trouver des solutions rapides et fortes. La sortie des quotas a été une catastrophe et a été très mal anticipée, de la même manière que pour le lait. Je suis d'accord avec Monsieur Leclerc.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Merci à nos deux rapporteurs. Je ne doute pas que le suivi de cette loi va continuer et va faire l'objet d'un rapport d'évaluation plus approfondi à trois ans. Je vous rappelle qu'il y a par ailleurs une mission sur le glyphosate et une commission d'enquête en cours sur les relations commerciales.
Informations relatives à la commission
Il est créé un groupe de travail sur la situation économique et sociale de l'aciérie Ascoval, confié à MM. Guillaume Kasbarian pour le groupe LaREM et Alain Bruneel pour le groupe GDR.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 29 mai 2019 à 9 h 30
Présents. – M. Damien Adam, M. Patrice Anato, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, Mme Barbara Bessot Ballot, M. Yves Blein, M. Philippe Bolo, M. Alain Bruneel, M. Jacques Cattin, M. Sébastien Cazenove, M. Dino Cinieri, M. Yves Daniel, Mme Typhanie Degois, M. Michel Delpon, M. Nicolas Démoulin, Mme Marguerite Deprez-Audebert, M. Fabien Di Filippo, M. José Evrard, M. Daniel Fasquelle, Mme Christine Hennion, M. Philippe Huppé, M. Sébastien Jumel, M. Jean-Luc Lagleize, Mme Frédérique Lardet, Mme Célia de Lavergne, Mme Marie Lebec, M. Sébastien Leclerc, Mme Annaïg Le Meur, M. Roland Lescure, M. Richard Lioger, M. Didier Martin, M. Denis Masséglia, Mme Graziella Melchior, M. Jean-Baptiste Moreau, M. Mickaël Nogal, M. Jérôme Nury, Mme Valérie Oppelt, M. Ludovic Pajot, M. Éric Pauget, M. Dominique Potier, M. Vincent Rolland, M. François Ruffin, M. Denis Sommer, M. Éric Straumann, Mme Bénédicte Taurine, M. Nicolas Turquois, M. André Villiers
Excusés. – M. Grégory Besson-Moreau, Mme Anne Blanc, M. Bruno Bonnell, M. Jean-Claude Bouchet, M. Anthony Cellier, M. Rémi Delatte, M. Julien Dive, Mme Véronique Hammerer, M. Guillaume Kasbarian, M. Max Mathiasin, Mme Claire O'Petit, M. Richard Ramos, M. Jean-Bernard Sempastous, Mme Huguette Tiegna
Assistait également à la réunion. – M. Jacques Marilossian