L'audition débute à dix-sept heures cinq.
Notre audition a pour thème les certificats de garanties d'origine, et nous avons le plaisir de recevoir M. Julien Chardon, président d'Ilek, qui se présente comme un « fournisseur d'électricité verte et de gaz bio issus de producteurs d'énergie indépendants d'origine française ».
Vous insistez sur votre singularité par rapport à d'autres fournisseurs commercialisant de l'électricité verte sans garantie de provenance, car vous considérez que l'énergie doit avoir une provenance locale pour être qualifiée de verte. Vous faites état de contrats directs avec des producteurs indépendants pour l'achat de l'énergie que vous revendez aux consommateurs. Pour mettre en avant le caractère 100 % renouvelable de l'électricité que vous fournissez, vous indiquez sur votre site internet à l'intention de vos clients potentiels : « chaque unité d'électricité que vous utilisez correspond à une unité qui a été produite et achetée sur le réseau par une source renouvelable solaire, éolienne et hydroélectrique. » Vous nous expliquerez, je l'espère, ce que signifie concrètement dans cette phrase le verbe « correspondre ».
Sur ce même site, vous précisez : « la quantité de gaz bio qu'Ilek a achetée a été sourcée par nos équipes pour vous permettre de mieux consommer. Les gaz de nos concurrents sont sourcés en Russie, chez Ilek, notre gaz est français. » Vous nous préciserez peut-être dans votre présentation ce que signifie concrètement le verbe « sourcer ». Vos clients sont-ils potentiellement répartis sur tout le territoire, ou seulement à proximité des producteurs indépendants avec lesquels vous contractez ? Reçoivent-ils leur électricité ou leur gaz du réseau centralisé ? Votre engagement d'achat auprès de producteurs indépendants a-t-il pour conséquence de les exclure du bénéfice de la garantie de prix public pour les quantités que vous leur achetez ? Quelle appréciation portez-vous sur le régime applicable aux certificats de garantie d'origine ?
Je vais vous donner la parole pour quinze minutes, puis les membres de la commission d'enquête, à commencer par notre rapporteure Mme Meynier-Millefert, vous poseront leurs questions.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je suis dans l'obligation de vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».
(M. Julien Chardon prête serment).
Je vais tout d'abord vous présenter notre vision du marché de l'électricité et du gaz renouvelables, puis j'évoquerai la situation actuelle de ce marché, et conclurai par nos propositions en matière de transparence des offres d'énergies renouvelables et de financement des moyens de production.
J'ai cofondé Ilek voilà un peu plus de trois ans dans l'objectif de permettre aux consommateurs de soutenir financièrement les moyens de production renouvelables proches de chez eux et conformes à leurs valeurs, et aux producteurs de trouver de nouveaux débouchés de distribution afin qu'ils s'émancipent des tarifs d'achat et des subventions. La transition énergétique doit en effet se déployer sur les territoires, et elle représente pour ces derniers une opportunité de développement importante. Nous pensons que les citoyens peuvent contribuer à créer de nouveaux moyens de production d'énergies renouvelables localement par leurs choix de consommation.
Le marché de l'énergie est aujourd'hui très concentré, et la transparence des offres d'énergies renouvelables ne répond pas aux attentes des consommateurs. L'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique, pour reprendre l'intitulé de votre commission d'enquête, suppose une transparence irréprochable qui nécessite de réformer les règles en vigueur. Les certificats de garanties d'origine constituent à ce titre un outil technique intéressant : ils permettent de comptabiliser précisément la quantité d'électricité d'origine renouvelable injectée dans le réseau, cette origine étant ensuite indétectable à partir de l'observation des électrons. La difficulté du système tient au fait que les garanties sont un produit standard qui s'échange sur un marché européen bien que les règles et les mécanismes de soutien diffèrent selon les pays. En France, par exemple, à partir du mois de septembre, les installations de production bénéficiant des mécanismes de soutien pourront valoriser leurs garanties d'origine, ce qui aura pour conséquence d'apporter sur le marché européen 40 térawattheures (TWh) de certificats et de diviser les prix par cinq. Par sa réglementation, un pays peut ainsi modifier considérablement l'équilibre de l'ensemble du marché des offres d'énergies vertes.
Du fait du fonctionnement du marché des garanties d'origine, le coût des certificats représente aujourd'hui moins de 0,5 % de la facture payée par le consommateur final. Celui-ci est toutefois étonné d'apprendre que pour près de 90 % des offres d'énergies vertes, un tiers du montant de la facture totale du fournisseur est reversé à EDF dans le cadre du dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). Il a donc le sentiment d'un greenwashing généralisé, ce qui a des conséquences directes sur le degré d'acceptabilité des politiques publiques de transition énergétique. C'est la raison pour laquelle notre première proposition serait de ne plus permettre aux fournisseurs d'électricité de commercialiser des offres vertes avec une part d'énergie issue de l'ARENH.
En Suisse, le mécanisme utilisé est celui du marquage de l'énergie : quelle que soit la technologie utilisée, le producteur doit marquer son énergie par le même mécanisme que celui de la garantie d'origine. Si vous injectez du nucléaire, vous devez produire un certificat de garantie d'origine nucléaire qui, comme toute production, doit être consommée. La traçabilité de l'énergie est totale, y compris pour les énergies non renouvelables. Adopter un tel mécanisme résoudrait donc la difficulté posée par la présence d'une composante ARENH dans les offres dites vertes.
Enfin, parce que nous sommes directement en contact avec les producteurs d'électricité et de gaz renouvelables, nous sommes comme vous particulièrement attentifs au financement des nouveaux moyens de production. Deux mécanismes existent aujourd'hui : les tarifs d'achat, mis en place au milieu des années deux mille, et le complément de rémunération, apparu en 2016. Le producteur vend dans le premier cas 100 % de sa production aux fournisseurs historiques – EDF et, sur leurs territoires de desserte, les entreprises locales de distribution (ELD) –, contraints de l'acheter à un tarif défini. Dans le second cas, le producteur vend directement sur le marché européen de l'énergie et perçoit un complément de rémunération versé par l'État, soit en pratique l'équivalent au total d'une rémunération aux tarifs d'achat, censée lui permettre de réaliser l'investissement nécessaire à sa production.
Nous soutenons pour notre part un mécanisme d'achat de gré à gré sans versement de complément de rémunération par l'État. Aujourd'hui, le solaire est compétitif, mais les horizons de marché sont de trois à cinq ans. Un producteur de taille intermédiaire tel qu'une petite ou moyenne entreprise implantée sur les territoires ne peut donc pas se projeter au-delà de trois ans. Nous proposons par conséquent un nouveau mécanisme dont le principe est d'assurer un revenu minimum au moyen d'une garantie activée en cas de baisse significative du prix de marché sur le long terme. Il n'est plus nécessaire d'assurer la rentabilité de la production par le versement d'une prime, car aujourd'hui certaines installations de production d'énergie solaire dans le sud sont rentables. La garantie est pertinente dans la mesure où elle permet, pour un producteur qui vend 100 % de son énergie de gré à gré, de financer ses moyens de production. L'impact économique direct est ainsi contenu, et le citoyen-consommateur peut, par son acte d'achat, participer à la transition énergétique.
Pour résumer, nous sommes dans une situation de marché où les citoyens sont méfiants quant aux politiques publiques en matière d'énergies renouvelables, notamment à cause des règles de marché des offres dites vertes. Pour instaurer la confiance, il est nécessaire de mieux encadrer ces offres et de mieux flécher le soutien aux producteurs d'énergies renouvelables, en développant le nouveau mécanisme de garantie dont je viens de vous présenter le principe en lieu et place du complément de rémunération.
Vous regrettez que la transparence actuelle des offres vertes ne soit pas à la hauteur des attentes des consommateurs. Pouvez-vous préciser à quel niveau de transparence vous pensez ? S'agit-il d'une transparence ciblée ou plus vaste ?
Nous observons simplement que les consommateurs ayant souscrit une offre verte sont surpris d'apprendre que le tiers de la facture payée par leur fournisseur finance le nucléaire historique.
On se heurte ici au paradoxe suivant : si d'un côté le nucléaire est décarboné, donc bon pour le climat, d'un autre côté il produit des déchets qui présentent un risque pour l'environnement. N'est-ce pas plutôt ce débat que vous soulevez, c'est-à-dire la question de la place du nucléaire dans la politique de transition énergétique en France ? Ou la transparence est-elle pour vous uniquement synonyme de traçabilité de l'énergie ?
Sans entrer dans le débat sur le nucléaire et son impact environnemental, nous observons que les consommateurs sont surpris d'apprendre que la réglementation actuelle autorise un producteur à estampiller une offre verte alors qu'un tiers de sa facture est versé à EDF dans le cadre du dispositif de l'ARENH.
Entendez-vous par là que les consommateurs ont le sentiment d'être trompés sur la marchandise ? Faut-il en déduire que le nucléaire n'est pas du tout considéré comme une énergie verte ?
Une offre d'électricité verte doit être commercialisée à partir de garanties d'origine d'énergies renouvelables et le nucléaire en est exclu ; telle est la réglementation actuelle.
Le terme « vert » est donc insuffisamment précis pour que les consommateurs s'y retrouvent.
Quand vous dites que les fournisseurs bénéficient de l'ARENH, c'est qu'ils bénéficient d'un prix régulé pour l'achat d'électricité nucléaire. Vous remettez donc en question le mécanisme censé permettre aux producteurs d'énergies renouvelables d'entrer sur le marché. Le prix dont ils bénéficient pénalise le nucléaire historique plus qu'il ne favorise.
L'ARENH a été mise en place pour permettre à des fournisseurs alternatifs…
Parce que la production d'électricité en France est majoritairement nucléaire et issue du parc d'EDF, les fournisseurs alternatifs étaient dans l'incapacité de faire concurrence à cet acteur au moment de l'ouverture du marché. Le dispositif de l'ARENH a donc été créé pour leur permettre de se lancer sur le marché.
Mais n'est-ce pas un peu abusif de dire aux gens qu'une offre verte est subventionnée par l'énergie nucléaire au travers de l'ARENH alors que ce dernier dispositif vise à compenser l'avantage historique du nucléaire par un prix régulé avantageux qui permet aux fournisseurs d'énergies renouvelables de s'insérer sur le marché ?
Il n'y a pas de lien direct avec les énergies renouvelables. Le mécanisme d'accès au nucléaire historique devait permettre d'instaurer une concurrence équitable entre les fournisseurs en faisant bénéficier les nouveaux entrants d'un prix régulé pour un certain volume d'achat d'électricité nucléaire auprès d'EDF, acteur dominant du marché. Le consommateur est donc désagréablement surpris de savoir que sur une facture de 100 euros, 30 euros sont facturés par EDF à son fournisseur au titre du nucléaire historique.
Je vais formuler ma question différemment. Une offre d'énergies vertes ou renouvelables repose sur une équivalence entre le nombre de mégawattheures (MWh) vendus au consommateur et le nombre de certificats de garanties d'origine achetés à un producteur, c'est-à-dire qu'une quantité équivalente d'énergie renouvelable aura été produite ailleurs en contrepartie.
Elle s'appuie en effet sur 100 % de garanties d'origine émises à partir d'une production européenne. En pratique, les niveaux de l'offre et de la demande ne sont pas corrélés d'un pays à l'autre en Europe : en Norvège, par exemple, il n'y a pas de demande d'électricité verte, alors que l'offre représente 100 % de la production.
Dès lors que la production et la garantie d'origine sont décorrélées, un fournisseur peut donc proposer une offre avec 100 % de garanties d'origines renouvelables agrégées à une énergie non verte.
Le consommateur paie donc pour une énergie verte qui sera consommée dans un autre pays à un autre moment.
Tout à fait. Et le coût des garanties d'origine représente moins de 0,5 % de la facture du fournisseur.
Le prix n'est rien d'autre que le résultat de la confrontation de l'offre et de la demande, puisqu'il s'agit bien d'un marché. Le problème n'est pas que l'offre soit trop basse dans certains pays, mais qu'un pays puisse modifier sa réglementation en la matière. Comme je l'ai dit voilà quelques instants, la France va mettre 40 TWh de garanties d'origine aux enchères au 1er septembre, ce qui aura un impact sur l'ensemble du marché européen. Si le marché des garanties d'origine était moins imparfait, compte tenu du niveau de la demande, le prix augmenterait et permettrait à des producteurs de vendre leur production d'énergie renouvelable plus chère que les autres énergies. Aujourd'hui, vous pouvez acheter des garanties d'origine dans des pays où il n'y a pas de demande, parce que 100 % de la production d'énergie est renouvelable, mais quels acteurs seront incités à y développer des offres d'électricité verte ?
Prenons, pour caricaturer, un fournisseur qui achète une électricité noire, bien carbonée et polluante, et, pour 0,5 % de sa facture totale, les garanties d'origine en quantité équivalente dans un pays où il n'y a pas de demande en énergies renouvelables : cela constitue une offre verte.
Tout à fait, et c'est parfaitement conforme à la réglementation actuelle. C'est ce contre quoi nous nous battons. Et c'est la raison pour laquelle nous avons des contrats directs avec les producteurs d'électricité et de gaz, ce qui leur permet d'être rémunérés à hauteur d'un tiers de la facture totale.
Le problème ne vient-il pas de la décorrélation entre les certificats et l'électricité produite ? Dès lors que les garanties d'origine sont échangées sur un marché indépendant de celui de l'énergie produite et consommée, le lien avec la plus-value n'existe plus.
L'avantage de ce dispositif est que le mégawattheure n'est décompté qu'une fois, puisqu'un certificat est émis pour chaque unité produite indépendamment de son utilisation. Il n'existe pas en revanche de garantie d'origine noire ou non verte : on peut donc acheter du gaz et des certificats verts importés de pays où la demande pour les énergies renouvelables est nulle.
Admettons que l'on crée des garanties d'origine pour tous les types d'énergies, y compris grises ou noires, et qu'on les insère sur le marché. En tant que consommateur, j'aurai en tête la qualité du certificat au moment où j'achèterai l'énergie, puis je m'empresserai de l'oublier.
Aujourd'hui, le mix énergétique constituant l'électricité vendue à un client peut être constitué d'électricité d'origine nucléaire, gaz ou charbon, ce qui n'empêche pas, grâce à une garantie d'origine à l'étranger, d'inscrire « 100 % hydraulique » au bas de la facture. Si je produis 100 % de mon énergie par le charbon et que je ne trouve personne pour m'en débarrasser, je suis obligé d'écrire « 100 % charbon » au bas de ma facture, ce qui fait que les clients sont parfaitement informés sur ce point.
Il faudrait que le marché s'organise pour définir un prix – dans le respect de certaines règles relatives à la transparence –, à l'instar de ce qui se fait pour la garantie d'origine. Les problématiques européennes que j'ai évoquées tout à l'heure au sujet de l'émission des garanties d'origine font que le prix de celles-ci est actuellement très bas.
C'est bien le problème, et c'est ce qui explique que ceux qui en ont soient obligés de payer des tiers pour les en débarrasser, conformément à ce qui se fait classiquement sur un marché où l'on applique le mécanisme du bonus-malus. Si les consommateurs sont majoritairement pour le nucléaire, le fournisseur peut leur en vendre, et le fait que ce soit indiqué sur la facture ne pose pas de problème – du moins du strict point de vue du consommateur et de la transparence associée à l'acte d'achat.
J'imagine que vous avez déjà eu l'occasion d'exposer cette idée à plusieurs reprises. Quelles objections vous a-t-on opposées ?
Nous l'avons présentée au sein d'un groupe de travail organisé par l'ADEME, associant les différents acteurs de marché, et n'avons pour le moment noté aucune opposition.
De votre point de vue, quelles peuvent être les limites ou les difficultés de votre système ?
Quel bonheur ! De mon côté, je pensais par exemple au fait que cela puisse faire double emploi avec les quotas carbone.
Nous ne sommes pas encore soumis au dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE), réservé aux fournisseurs disposant d'un portefeuille supérieur à 400 gigawattheures. En tout état de cause, je n'ai pas l'impression qu'on puisse penser qu'il y a double emploi. On pourrait arrêter avec le système des garanties d'origine, considérant qu'elles ne s'appliquent pas à toutes les technologies et qu'il n'y a pas de sens à ne les voir s'appliquer qu'à l'énergie d'origine verte, mais on peut aussi estimer que ce système vient résoudre une problématique de marché sur un point spécifique.
Vous avez dit tout à l'heure que le solaire était compétitif aujourd'hui, mais qu'à l'horizon de marché actuel, qui est de trois à cinq ans, on peut penser que le soutien de l'État ne sert plus à rendre ce marché rentable, mais uniquement à compenser l'instabilité ou le manque de visibilité des investisseurs dans cette filière. Cette situation d'instabilité qui peut être liée à l'implantation des filières vous semble-t-elle être spécifique à la France, et le cas échéant pourquoi ?
Ce n'est pas spécifique à la France. Aujourd'hui, en ce qui concerne le développement de nouveaux moyens de production, on observe sur le marché la mise en place de contrats d'achat d'électricité de gré à gré, ou Power Purchase Agreements (PPA), sur le long terme.
Les moyens de production mis en œuvre dans ce cadre bénéficient d'investissements conséquents et de coûts d'opération très faibles. Un projet se monte sur la base de 90 % d'investissement et de 10 % de coûts d'exploitation sur vingt ans. Pour ce qui est de l'investissement, il est constitué de 70 % à 80 % par des prêts bancaires, qui ne peuvent être débloqués que grâce à la visibilité de la production sur le long terme. Les tarifs d'achat permettaient de bénéficier de vingt ans d'achat garanti – les contractants étant EDF et l'État –, un système de nature à rassurer les banques.
Aujourd'hui, c'est un peu la même chose, car on vend à un prix fluctuant à un acteur de marché, mais on bénéficie d'une compensation sous la forme d'un prix stable sur le long terme. Les contrats de gré à gré se développent, avec une particularité : pour que les banques restent confiantes, il faut que l'acheteur dispose de la capacité financière à tenir sur les vingt ans du projet. Si les grands comptes, telle la SNCF, achètent sur le long terme de l'énergie solaire obtenue à partir de nouveaux moyens de production, les particuliers ne disposent pas de la faculté d'assurer à un producteur qu'ils vont lui acheter de l'énergie sur vingt ans, ce qui implique pour le producteur la nécessité de s'assurer par d'autres moyens la visibilité qui lui est nécessaire – en l'occurrence le mécanisme de garantie.
Si j'ai évoqué un horizon de trois ans, c'est qu'il existe un marché organisé de l'énergie qui émet des produits dérivés sur trois ans, ce qui permet de commercialiser de l'énergie à trois ans, de manière fiable – c'est-à-dire avec la garantie d'être payé.
Vous avez parlé de l'accès au nucléaire historique et notamment à l'ARENH. Si j'ai bien compris, vous êtes un producteur d'énergie indépendant, donc un fournisseur alternatif ?
Nous sommes effectivement un fournisseur d'électricité et de gaz.
C'est aussi un choix commercial : je le répète, nous ne voulons pas mentir à nos clients.
On nous a expliqué qu'on avait augmenté les tarifs d'électricité de 6 % parce que les fournisseurs alternatifs, compte tenu de l'évolution à la hausse du prix de l'électricité de gros, s'étaient tous précipités sur l'ARENH, ce qui fait que le volume n'avait pas suffi et qu'ils avaient été obligés de s'approvisionner sur le marché de gros. Cela avait nui à leur compétitivité vis-à-vis d'EDF, et poussé à augmenter les tarifs régulés de l'électricité pour rétablir cette compétitivité. Vous qui ne dépendez pas de ce système, quelle est votre opinion à son sujet ?
J'ai déjà évoqué le fait pour les fournisseurs d'associer l'ARENH à l'énergie verte.
Pour ce qui est du calcul du tarif réglementé, il y avait me semble-t-il 130 térawattheures (TWh) demandés à l'ARENH, alors que le plafond est fixé à 100 TWh. Lorsque la commission de régulation de l'énergie (CRE) a procédé à son calcul moyenné, le prix sur les marchés organisés était supérieur au prix de l'ARENH et il a fallu prendre en compte ce coût supplémentaire, conformément à la méthodologie qui s'impose légalement à la CRE. Ce n'est donc pas pour préserver la compétitivité des fournisseurs alternatifs que la CRE a proposé une augmentation de tarif, mais simplement pour respecter le mode de calcul prévu par la loi.
La formule de calcul dont il a été fait application n'est-elle pas justement destinée à garantir une concurrence sur le marché ?
Elle sert à sortir du niveau de concentration actuel où, sur chacun des marchés de l'électricité et du gaz, 75 % des parts de marché sont détenues par l'opérateur historique.
N'aurait-on pas dû simplement supprimer l'accès à l'ARENH ? Finalement, si EDF vendait du nucléaire, les consommateurs sauraient qu'en s'adressant à EDF, on a de l'électricité d'origine nucléaire. De leur côté, les fournisseurs alternatifs pourraient vendre autre chose, et tout serait beaucoup plus simple…
Oui, notamment pour ce qui est des offres d'énergie verte. Comme je l'ai dit, il faudrait supprimer l'accès aux fournisseurs qui font des offres d'énergie verte à l'ARENH. Pour ce qui est des autres, je ne me prononcerai pas, n'ayant pas une connaissance suffisante de la question.
Existe-t-il des fournisseurs alternatifs qui ne se positionnent pas forcément comme des fournisseurs d'énergie verte ?
Oui, je crois d'ailleurs que vous en avez reçu certains : il me semble que pour ENI ou Total Direct Énergie, par exemple, l'offre d'énergie verte n'est pas la plus souscrite – cela dit, je ne connais pas précisément le portefeuille de ces sociétés.
Vous ne seriez pas choqué si la décision était prise de simplifier les choses ? Votre système est intéressant, mais il est tout de même un peu compliqué, en ce qu'il implique de mettre en place des dispositifs de traçabilité…
Une meilleure traçabilité, c'est précisément l'objet de la demande des consommateurs aujourd'hui.
Je ne m'en suis jamais caché ! Ce que je voulais dire, c'est que depuis vingt ans on subventionne une électricité verte au moyen d'un dispositif qui peut s'apparenter à une forme d'asymétrie, et que désormais on pourrait envisager de bien séparer les choses afin que les gens sachent ce qu'ils achètent. Certes, l'argent qu'ils donnent aux fournisseurs va en partie au nucléaire mais à l'inverse, durant des années, l'argent du nucléaire a servi, via l'ARENH, à financer les énergies alternatives – et à ce moment-là, on n'a pas demandé leur avis aux gens…
Je ne pense pas que le mécanisme de l'ARENH ait bénéficié aux énergies alternatives.
Vous ne pensez pas que le fait d'avoir accès au nucléaire historique a pu aider les fournisseurs alternatifs à se positionner, donc à devenir des commercialisateurs de l'électricité verte ?
Non, l'ARENH a pu bénéficier aux fournisseurs alternatifs, mais cela n'a pas été le cas pour le soutien aux énergies renouvelables : ce sont deux choses bien différentes. En fait, cela a plutôt renforcé la suspicion généralisée à l'égard des offres d'énergie verte, donc contribué à freiner le développement des énergies renouvelables.
Dans votre présentation, vous avez expliqué qu'il était temps de passer du système du complément de rémunération, de revenu minimum, à un système de garantie. Vous avez essentiellement évoqué le solaire, mais vous n'avez pas mentionné l'éolien ?
Je ne connais pas très bien la compétitivité de l'éolien, bien que nous achetions aujourd'hui de l'énergie issue de parcs éoliens. Le solaire est davantage un sujet d'actualité : nous sommes plus actifs sur ce marché.
Vous dites qu'il faut tout de même un revenu minimum. Mais si le marché est compétitif, ne devrait-on pas laisser jouer la concurrence ?
Le marché est compétitif aujourd'hui à un horizon de trois ans. La concurrence le fait via des achats tels ceux faits par la SNCF sur le long terme, mais le faire pour une contrepartie du parc nécessiterait pour les producteurs – essentiellement des PME – de disposer d'une visibilité à plus long terme.
Je veux bien, mais connaissez-vous beaucoup de marchés concurrentiels sur lesquels l'État intervient pour fournir une visibilité aux acteurs ?
Justement, c'est le cas du secteur de l'électricité, pour ce qui est de la vente aux particuliers…
Oui, mais en dehors du secteur de l'énergie ? Sur tous les marchés, même les acteurs les plus importants sont exposés. Il n'est pas certain qu'un géant comme Apple, par exemple, dispose d'une visibilité à dix ans sur son modèle économique. Certains très grands acteurs ont disparu parce que l'évolution des modèles économiques et technologiques les a fait dégringoler du sommet où ils se trouvaient pour laisser la place à d'autres.
Je ne comprends pas pourquoi il faudrait absolument donner de la visibilité à des acteurs quand il y a une forme de compétitivité technologique. Certes, il s'agit souvent de PME, mais on observe tout de même une certaine concentration sur le plan national. À partir du moment où Total se positionne sur ce domaine, est-ce vraiment le rôle de l'État que de faire en sorte de lui fournir une visibilité de plus de trois ans ?
Il me semble que la réponse à cette question est à rechercher dans la mise en place d'un troisième mécanisme de soutien qui apparaît aujourd'hui nécessaire. De nature transitoire, ce mécanisme aurait pour vocation de permettre aux PME d'accéder à un nouveau stade d'ici quelques années ou dizaines d'années…
Parce que nous sommes sur la pente d'une importante baisse de coûts et qu'il faut permettre au tissu économique des PME de ne pas être trop concentré.
N'est-ce pas l'inverse ? Plus les acteurs sont gros, plus ils peuvent prendre de risques et moins ils ont besoin de l'État. Y a-t-il vraiment besoin de trente ans de visibilité assurée par l'intervention publique ?
J'ai l'impression d'entendre un double discours. D'un côté, on nous dit que les énergies de demain sont compétitives, notamment par rapport au nucléaire historique ; de l'autre, on nous dit que les acteurs de ces énergies sont de petite taille et qu'il faut éviter la concentration. Pour qu'un enfant apprenne à faire du vélo, un jour ou l'autre il faut lui enlever les petites roues stabilisatrices…
En fait, l'énergie renouvelable n'est pas le seul secteur à bénéficier d'un soutien de ce type en France. Par exemple, certaines centrales nucléaires en projet bénéficient d'achats garantis par l'État sur le long terme.
C'est toujours dans le secteur de l'énergie. Mais connaissez-vous d'autres marchés où l'État soutient les acteurs par des achats garantis pendant trente ans ?
Vous dites que la baisse des coûts de l'énergie renouvelable rend inutile une garantie sur le long terme. Or, pour pouvoir s'implanter dans d'autres pays, le nucléaire a besoin de la garantie de l'État sur le long terme.
En l'occurrence, c'est une décision des Britanniques. En France, le nucléaire est un investissement public, qui dispose de la visibilité que veut bien lui donner l'État – une visibilité toute relative, car personne ne sait à quoi ressemblera vraiment le parc dans vingt ans. Compte tenu de l'importance des risques et des coûts, on peut comprendre qu'il revienne à l'État d'apporter une forme de garantie. Il est normal que des industries naissantes bénéficient d'un accompagnement. Mais lorsqu'elles sont suffisamment matures pour être compétitives – en l'occurrence, avec les autres énergies –, pourquoi ne pas les laisser vivre leur vie ?
Les premières entreprises de l'exploitation pétrolière étaient petites et fragiles jusqu'à ce qu'un jour, la Standard Oil rachète toutes les autres sociétés – ce qui a posé quelques problèmes et justifié que l'on casse en 1911 le monopole qui s'était ainsi formé. Ce que je veux dire, c'est que dans un premier temps c'est le secteur privé qui prend tous les risques : quand vous faites de l'exploration pétrolière au large des côtes ou dans le désert, vous prenez un gros risque, car il n'est pas certain que vous trouviez un jour un gisement exploitable – et l'État n'est pas à vos côtés pour vous garantir que, même si vous ne trouvez rien, vous gagnerez quand même de l'argent ! Je me demande si, en agissant de la sorte, on n'empêche pas l'émergence d'une véritable filière mature.
Pour notre part, nous considérons qu'il s'agit d'une nécessaire étape de transition.
En fait, personne ne maîtrise cette durée. Le complément de rémunération a été mis en place en 2016 et je pense que, pour ce qui est du solaire, nous en sommes déjà à l'étape suivante. Il y a trois ans, nous ne pensions pas que ce pourrait être le cas.
Un engagement de dix ans, c'est très long… Selon vous, si ce n'est pas la compétitivité-coût, quel est le critère qui permettrait de considérer que la garantie de l'État n'est plus nécessaire ?
Sur ce type de projets, je pense que c'est la crédibilité financière sur le long terme. On en revient à la notion-clé de financement, qui représente 90 % du coût d'un projet.
Je ne suis pas certain de bien saisir ce que vous nous dites, mais passons.
Pour ce qui est de l'offre verte que vous proposez, vous dites qu'elle a sa cohérence et qu'elle présente de bonnes garanties en termes de traçabilité. Finalement, vous vous inscrivez un peu dans l'esprit du commerce équitable : de la même manière que la société commercialisant un chocolat dit équitable doit être en mesure de prouver son origine et le fait qu'il a été produit dans le respect de certaines normes sociales, quand on achète de l'électricité verte, on doit avoir la certitude qu'elle est réellement verte.
Si on ne peut qu'être d'accord sur ce principe, il me semble que vous bâtissez dessus un modèle un peu complexe. Le postulat de départ est déjà un peu hypocrite avec, d'un côté, des gens qui produisent de l'électricité dite verte – en principe, elle est effectivement décarbonée –, et, de l'autre, des gens qui s'échangent sur un marché des garanties d'origine. Les plus et des moins finissent toujours par s'équilibrer, ce qui fait que, même si je ne suis pas certain d'avoir consommé de l'électricité verte, je sais, grâce aux garanties d'origine, que quelqu'un l'a fait en Europe, pour un montant correspondant à ce que j'ai moi-même acheté.
En fait, je sais que quelqu'un en a produit – et non consommé – pour ce montant.
Ce que vous voulez, c'est assurer à celui qui achète que c'est bien son électricité à lui qui est verte. N'est-ce pas là un petit caprice ? Si l'enjeu, c'est la planète, je me moque bien de savoir qui a réellement consommé l'électricité verte que j'ai achetée : que ce soit un Chinois, un Coréen, un Allemand ou un Français – de n'importe quelle région –, cela ne change rien : l'essentiel, c'est que j'aie contribué en achetant de l'électricité verte à lutter contre le réchauffement climatique.
Finalement, votre raisonnement ne s'apparente-t-il pas à celui des entreprises qui, grâce à une délocalisation de leur production en Chine, par exemple, peuvent afficher artificiellement un excellent bilan carbone ? En d'autres termes, est-il vraiment opportun de favoriser un raisonnement pays par pays plutôt qu'une prise en compte de l'incidence de la production sur la planète dans sa globalité ?
Nous répondons aujourd'hui à l'enjeu important pour nos clients. Le mécanisme des garanties d'origine étant défini pays par pays, il y a une contradiction dans votre raisonnement, car il implique de devoir faire confiance à un pays quelconque dans le monde pour produire de l'électricité verte – or, on a vu ce que donne un tel raisonnement quand il s'agit de recycler les plastiques, par exemple…
L'accord de Paris signé dans le cadre de la COP – conférence des parties à la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques – fonctionne un peu comme cela : il implique de faire confiance à la Chine pour réduire les émissions de CO2. C'est comme lorsque vous prenez des engagements pour réduire l'armement : vous savez ce que vous avez supprimé mais vous êtes obligé de faire confiance à votre voisin pour ce qu'il fait de son côté.
Le consommateur doit pouvoir, de par son acte de consommation, avoir un impact à l'échelle du pays puisque celui-ci définit sa propre réglementation. Une garantie d'origine achetée dans un pays tiers peut avoir un effet négatif pour le consommateur car on ne contrôle pas la manière dont cela est fait : n'importe où dans le monde, des entreprises peuvent truquer les compteurs. Aujourd'hui, en France, les gestionnaires de réseaux sont de qualité ; ils effectuent la mesure de la production. Je ne sais pas si tous les pays ont le même niveau de qualité dans la gestion de réseaux et le comptage de la production d'énergie renouvelable.
Vous ne croyez pas au marché européen des garanties d'origine parce que vous n'êtes pas certain que les autres pays appliquent les mêmes règles que nous ?
Je ne dis pas que les compteurs sont truqués en Europe. En revanche, les règles déterminant quelles installations peuvent bénéficier de garanties d'origine sont établies pays par pays. Le 1er septembre, la France mettra aux enchères 40 térawattheures sur le marché : cette décision propre à la France aura donc un impact sur l'ensemble des autres pays. Demain, une décision de l'Allemagne ou de l'Espagne pourrait également affecter le marché des garanties d'origine dans l'ensemble des pays d'Europe parce que le produit est standardisé et échangeable en Europe.
Ce système très complexe n'est pas simple à comprendre au premier abord. Manque de traçabilité, possibilité de triche : cela vaut-il vraiment la peine de bâtir une aussi belle cathédrale ? Quel est l'enjeu, en réalité ? Qu'est-ce que ce système des garanties d'origine apporte réellement à la planète ? Est-ce que cela fait progresser la cause de la lutte contre le réchauffement climatique ? Le résultat est difficile à évaluer.
Quand un consommateur dans un pays d'Europe choisit d'acheter de l'électricité renouvelable plutôt que de l'électricité produite par une centrale au gaz ou au charbon, oui, cela a un impact.
L'un des problèmes n'est-il pas que les fournisseurs d'électricité ne sont pas des producteurs ? Si tel était le cas, vous pourriez vous abonner à Direct Énergie, par exemple, qui vous proposerait son propre mix électrique : vous connaîtriez ainsi l'origine de l'électricité que vous consommez, ce qui serait quand même beaucoup plus simple. Et si vous avez un problème avec le charbon, vous quittez Direct Énergie pour un de ses concurrents qui pourrait vous garantir que son électricité est verte à 100 %. Je transpose ce que l'on fait dans d'autres secteurs, notamment l'alimentation.
Les distributeurs ne sont pas tous producteurs de produits alimentaires. Dans les faits, très peu d'entre eux le sont : quand vous achetez un légume dans la grande distribution ou dans un commerce local, il y a très peu de chance pour que le vendeur soit celui qui l'ait produit et transporté jusqu'au point de vente.
Mais il y a une traçabilité. L'énergie est un flux, ce n'est pas un produit comme les autres. Est-ce que plaquer le raisonnement du commerce équitable sur un flux.
Oui parce que je peux comprendre la démarche commerciale consistant à vouloir vendre de l'électricité verte, et donc à prouver qu'elle est à 100 % verte. Mais vous affirmez qu'il y a une demande du consommateur : or je n'ai jamais rencontré de consommateur d'électricité me disant : « Je dors mal la nuit parce que je ne suis pas certain que mon électricité soit totalement verte » – jamais ! Le prix, en revanche, est un sujet de préoccupation. Mais peut-être rencontrez-vous vous-même de tels consommateurs, puisque vous en vendez !
Avant de bâtir ou de modifier un système, il faut se demander si cela répond à une demande de 5 % ou bien de 80 % des gens. Peut-être existe-t-il un marché de niche, de la même manière, pour reprendre la métaphore alimentaire, que le bio est un marché de niche. Il y a effectivement un public prêt à payer beaucoup plus cher son électricité pour être certain que c'est une électricité verte ; cela peut se comprendre. Faut-il pour autant complexifier le système pour tout le monde ?
Je m'en remets à une étude récemment publiée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) sur la croissance des offres d'énergies vertes, en dépit des points négatifs que j'ai déjà évoqués. Alors qu'en 2012, la consommation d'énergies vertes représentait environ 1 % de la consommation française des ménages et des entreprises, près de 7 % des consommateurs achètent aujourd'hui des offres d'énergies vertes à l'échelle française.
Est-ce que le fait de souscrire une offre verte a un impact sur la facture d'électricité ? Est-ce plus cher ou bien le prix est-il le même ?
Nous proposons des prix équivalents, certains proposent plus cher, d'autres moins cher.
Quand des sources d'électricité ont des coûts différents, comme c'est le cas aujourd'hui, même s'il y a des convergences, et qu'à la fin le prix de l'électricité est identique quelle que soit la source, il faut bien en déduire qu'une forme de péréquation existe. Il n'existe donc pas de signal prix.
Si un consommateur désirant absolument de l'électricité produite par de l'éolien voit sa facture augmenter de 20 % parce que c'est plus cher que le photovoltaïque, ou bien si un consommateur souhaitant du solaire paie son électricité plus cher la nuit que le jour, alors les signaux prix seront très différents en fonction du mode de production. Le véritable arbitrage se fera entre le souhait de bénéficier d'une offre verte et le prix.
Vous soulevez un point intéressant : la consommation et le prix à certains instants de la journée. L'intermittence est l'un des reproches régulièrement adressés aux énergies renouvelables. Aujourd'hui, nous pouvons proposer, via le compteur Linky, des prix différenciés selon les heures de la journée du fait de notre coût de revient – le sujet est un peu technique – mais nous sommes facturés sur la consommation moyenne de nos clients.
Ainsi, même si nous avons beaucoup de solaire dans notre portefeuille, nous ne sommes pas incités à faire fonctionner les chauffe-eau la journée. Or les chauffe-eau représentent une part importante de la consommation des particuliers ; ils se déclenchent principalement autour de 23 heures parce que la consommation globale baisse et que le nucléaire produit de manière assez constante. Nous avons mis en place un système d'heures pleines et heures creuses avec des chauffe-eau permettant de piloter la consommation. C'est très innovant de pouvoir piloter la consommation chez un particulier à partir d'un chauffe-eau, d'un contacteur, d'un signal sur le réseau, ainsi que par un signal prix. Mais aujourd'hui, nous ne sommes pas incités à faire consommer les chauffe-eau la journée.
Le compteur Linky, dont on nous a expliqué qu'il permettait de faire un arbitrage intelligent de la transition énergétique, ne fonctionne donc pas à plein régime.
Tout à fait. Cela sera corrigé dans le temps mais, à ce jour, si le particulier peut être incité par son fournisseur par un mécanisme tarifaire, le fournisseur, du fait de la manière dont son énergie globale est décomptée sur l'ensemble du réseau, n'est pas incité à proposer une telle offre.
Imaginons que vous proposiez une offre garantie 100 % verte. De nuit, le photovoltaïque ne fonctionne pas et, subitement, le vent s'arrête pendant quatre jours : vous serez bien obligés, pour fournir vos clients, de trouver de l'électricité soit dans le fossile, soit dans le nucléaire. Comment procédez-vous ?
Nous avons des contrats avec des producteurs d'énergie hydroélectrique qui nous permettent de compenser.
Vous dites c'est un système de bonus-malus sur le fossile : cela devient compliqué pour ce pauvre charbon ! D'abord on ferme les centrales car elles n'ont pas d'avenir, ensuite on taxe le carbone et maintenant vous voulez instaurer un système de garanties d'origine négative : le producteur de charbon qui a réussi à garder sa centrale ouverte et à payer la taxe sur le carbone devrait ainsi payer pour qu'on lui achète son électricité ! Autant interdire tout de suite le fossile, ce sera plus simple ! Cela fait beaucoup de signaux prix pour dire : « N'achetez pas d'électricité d'origine carbonée » ! Est-ce que ce n'est pas trop ?
Cela ne cible pas directement le charbon. Les garanties d'origine existent pour l'électricité renouvelable mais pas pour les autres modes de production : il n'est donc pas possible de les différencier. Les effets négatifs des garanties d'origine s'expliquent principalement parce que l'on peut acheter du gaz et des garanties d'origine électricité verte. C'est ce problème que nous voulons résoudre.
Le mécanisme existant n'est pas très complexe : vous avez une centrale, vous produisez, vous devez produire le certificat ; c'est ce que font les petites centrales hydroélectriques. Les centrales charbon et gaz étant beaucoup plus grosses, la gestion associée représente un coût beaucoup plus faible que celui des petites centrales hydroélectriques. Du point de vue de la gestion opérationnelle, il s'agit de certificats électroniques délivrés par un tiers qui s'occupe de tenir un registre ; ce n'est donc pas beaucoup plus complexe que l'état actuel des choses.
Cela fait tout de même pas mal d'intermédiaires, alors que l'on se plaint beaucoup de la paperasserie !
Avez-vous fait des sondages pour savoir combien de Français consommateurs d'électricité seraient intéressés ? Généralement, la première demande, c'est d'avoir l'électricité et la deuxième, c'est qu'elle soit le moins cher possible. Est-on certain qu'il existe une attente pour la mise en place d'un système un peu complexe permettant de savoir d'où vient l'électricité ?
Ce mécanisme existe pour les garanties d'origine d'électricité verte : il s'agit donc uniquement d'élargir ce mécanisme.
Nous avons un peu découvert ce système de garanties d'origine en cours d'audition. Je ne me souviens pas d'un grand débat public national où l'on aurait proposé aux Français de connaître les garanties d'origine de l'électricité produite. Si l'on expliquait aux gens qu'il s'agit d'un système assez décorrellé de la production, assimilable à un marché financier, ils trouveraient cela complexe. Ce n'est pas le produit d'une demande sociale.
Le système des garanties d'origine a été créé pour répondre à la problématique suivante : quand la production arrive sur le réseau, vous n'êtes pas capable de séparer ce flux et de dire, pour reprendre l'analogie avec le marché alimentaire, si cette tomate est bio ou n'est pas bio.
Plus nous avançons et plus des interrogations se font jour. Le tarif de l'ARENH, auquel nous faisons souvent référence, n'est-il pas finalement contre-productif pour les énergies vertes ? Le flou persiste encore sur le coût réel du nucléaire et sur ce que devra payer le contribuable pour les travaux de carénage et les évolutions futures. Pour les nouvelles centrales comme Flamanville, le coût du mégawattheure pourrait s'élever à 70 euros.
Du fait de l'ARENH, le grand public peut accéder à une électricité qui n'est pas trop chère. Mais c'est aussi ce qui nous oblige à subventionner les énergies vertes ; or elles ne sont pas toutes au même niveau. Le solaire est bien avancé, ses coûts de production commençant à être très intéressants, contrairement à d'autres productions. Nous nous trouvons enfermés dans un système nous obligeant à financer les énergies vertes pour assurer leur développement. Ce tarif réglementé nous obligera à faire appel non pas au consommateur mais au contribuable pour répondre aux problèmes posés par d'autres énergies comme le nucléaire.
La complexité du système n'est-elle pas liée à la tarification réglementée ? Pour ma part, je pense que la seule énergie verte est celle que l'on ne consomme pas. Ce système est contre-productif parce que si le consommateur ne paye pas le vrai coût de l'énergie, il ne sera pas incité à se montrer un peu plus vigilant sur sa consommation. J'aurais aimé avoir votre avis sur cette complexité qui nuit à la visibilité des offres et des subventions, et sur la façon dont nous pouvons pérenniser tout cela.
Par ailleurs, ne sommes-nous pas en train de comparer des choux avec des carottes ? Nous avons trop tendance à opposer une énergie à une autre sans que cela soit forcément logique.
Votre question porte sur deux points : d'une part, la complexité et, d'autre part, le mécanisme de soutien et de subvention indirecte de l'électricité renouvelable par l'ARENH grâce à un bas coût d'accès à l'énergie.
Sur le premier point, la complexité reste liée à la dimension physique : une fois que l'électricité est produite, elle est physiquement injectée dans le réseau et fait partie du mix national ; on ne pourra pas la distinguer.
La technique des garanties d'origine n'est pas si complexe que cela. Ce qui est complexe, c'est que l'on puisse acheter du nucléaire en lui attribuant des garanties vertes. Les garanties d'origine servent à certifier l'énergie que vous achetez à un producteur, hors achat d'électricité nucléaire à EDF : pour cela, un tiers de confiance est chargé de compter, certifier et inscrire dans un registre ce qui a été produit par le producteur dont vous commercialisez l'énergie, d'une part, et ce que vous avez vendu à vos clients, d'autre part.
Si cela apparaît complexe aujourd'hui, c'est parce que l'on peut acheter de l'électricité au tarif ARENH d'un côté et acheter ses garanties de l'autre, de manière totalement séparée. Nous achetons l'énergie, nous achetons ce qui a été produit à l'issue du compteur et avec cette énergie, nous payons les garanties d'origine. Ainsi, notre offre paraît assez simple : nous achetons l'énergie et les garanties d'origine parce que réglementairement nous devons acheter les garanties d'origine pour dire que cela a bien été compté par un tiers de confiance avant de commercialiser aux particuliers. Finalement, la complexité tient au fait que l'on découvre que l'on peut acheter du nucléaire, des garanties d'origine et faire une offre verte.
La question tarifaire associée à l'accès régulé rejoint celle de l'accès au marché des fournisseurs alternatifs. Nous considérons en effet qu'il est contre-productif que des fournisseurs proposent des offres d'énergies vertes avec cet accès régulé.
Nous allons devoir nous interrompre car nous sommes attendus pour un vote dans l'hémicycle. Je vous remercie pour cette audition.
L'audition s'achève à dix-huit heures trente.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique
Réunion du mardi 16 juillet 2019 à 17 h 05
Présents. - M. Julien Aubert, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Vincent Thiébaut
Excusés. - Mme Sophie Auconie, M. Christophe Bouillon, Mme Jennifer De Temmerman