MISSION D'INFORMATION SUR L'APPLICATION DU DROIT VOISIN AU BÉNÉFICE DES AGENCES, ÉDITEURS ET PROFESSIONNELS DU SECTEUR DE LA PRESSE
Mardi 19 octobre 2021
La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.
(Présidence de Mme Virginie Duby-Muller)
La mission d'information auditionne M. Hervé Rony, directeur général de la Société civile des auteurs multimédias (Scam).
L'objet de la mission d'information est de travailler sur la mise en œuvre de la directive du droit voisin et sur la proposition de loi portée par Patrick Mignola il y a un peu plus de deux ans. Nous constatons des freins à son application effective.
Nous accueillons M. Hervé Rony, directeur général de la Société civile des auteurs multimédias (Scam), et Mme Nathalie Orloff, adjointe au directeur des affaires juridiques et institutionnelles en charge du répertoire de l'écrit et des journalistes à la Scam.
La Scam est un organisme de gestion collective des droits d'auteur créé en 1981. Dans tous les pays, vous administrez les droits relatifs à la reproduction ou à la représentation des œuvres de 49 000 auteurs, dans le secteur de l'audiovisuel, radio, podcasts, journalistes, dessinateurs de presse, photographies, etc. Vous percevez et vous répartissez les redevances et les compensations qui résultent de l'exploitation des œuvres. Vous défendez également les intérêts matériels et moraux des journalistes.
Pouvez-vous nous donner des éléments de contexte sur l'expérience de la Scam dans la gestion collective des droits d'auteur, plus particulièrement pour les journalistes ?
Nous attachons un très grand prix à la question des droits voisins des éditeurs de presse, mais aussi à la part qui devrait inéluctablement revenir aux journalistes. J'insisterai lourdement sur ce point, car je trouve qu'il n'est que peu abordé ces derniers temps, alors qu'il est urgent d'en parler.
La Scam se veut active dans le paysage des droits voisins sur les plateformes et la reprise des articles de presse, car nous sommes très représentatifs des droits d'auteur des journalistes.
Nous gérons trois types de droit. Les droits primaires sont ceux de première diffusion des œuvres en télévision, lorsque les journalistes sont indépendants et travaillent sous forme de CDD en agence. Je parle d'Envoyé Spécial, Cash Investigation, Capital, etc. 10 000 à 15 000 journalistes travaillent dans ces conditions.
En outre, des journalistes relèvent des accords spécifiques que nous avons signés avec France Télévisions, Radio France, LCP et l'AFP. Des syndicats ont ainsi confié à la Scam le soin de gérer les exploitations secondaires des œuvres qui sont cédées à leur employeur. Le cadre juridique est différent de celui de la première utilisation. Par exemple, un sujet de France 2 rediffusé sur France 3 ou vendu à l'extérieur fera l'objet d'une rémunération par l'intermédiaire de la Scam. Ce modèle peut nous permettre de revendiquer des droits des journalistes dans le cadre des droits voisins Google, si les syndicats y sont favorables.
Nous avons aussi des droits en gestion collective obligatoire. Nous sommes membres du comité exécutif du CFC et grâce aux mandats que nous avons reçus des syndicats, nous touchons par exemple des droits de reprographie d'articles de presse.
Plusieurs millions d'euros de droits des journalistes sont ainsi collectés par la Scam, ce qui nous place dans une situation privilégiée vis-à-vis d'eux.
Les droits primaires sont négociés avec les diffuseurs dans le cadre de contrats généraux. En revanche, dans le cas de la reprographie ou d'accords spécifiques, nous agissons sur mandat ou par la volonté explicitement exprimée des syndicats de journalistes.
J'ai écouté l'audition que vous avez menée avec certains d'entre eux. Je suppose que vous avez bien noté que certains étaient à la fois favorables à des accords collectifs et à un mandat de gestion qui serait confié à la Scam. Il peut l'être à travers le CFC.
J'apprécie beaucoup Jean-Marie Cavada. Je lui fais confiance pour défendre les droits des journalistes. Je comprends le principe d'une société de gestion collective des éditeurs unis, ce qui peut être bénéfique pour la presse compte tenu de son état de désunion. En revanche, les patrons de presse ne se sont pas encore positionnés sur la question des droits des journalistes. J'admets que tant qu'ils n'ont rien reçu de Google, il leur est difficile d'envisager une rétrocession aux journalistes. Nous devons cependant construire un schéma de gestion.
Votre mission d'information est extrêmement importante, car elle peut dire des choses, même si elle n'a pas de pouvoir de décision. Je compte sur vous pour ne pas simplement traiter de la position des éditeurs vis-à-vis de Google, ce qui a été le cas jusqu'à présent, mais aussi des droits que nous pourrions obtenir ensemble.
J'ai des interrogations quant à l'organisation générale du dispositif, sur ce que sera réellement l'OGC géré par la Sacem. Je crois comprendre que cette dernière va à la fois négocier et percevoir. Je doute qu'elle ne cherche pas à répartir également. En tant que membre du comité exécutif du CFC, je m'interroge sur le contournement de celui-ci. Le CFC est un organisme pertinent, qui a l'avantage de représenter les auteurs, les éditeurs de livres et de presse. Je défendrai aussi les intérêts de la Scam en tant que telle et en tant que membre du CFC.
J'ajouterai que la part de la presse pour la copie privée numérique nous a été confiée par les organisations syndicales représentatives des journalistes.
Au sein de la Scam et de son Conseil d'administration, nous représentons différents répertoires, à travers des commissions qui travaillent sur la répartition des droits et font office de chambres d'écho des différentes professions que nous représentons. La commission des journalistes est ainsi constituée depuis 1991, date depuis laquelle la Scam est implantée dans le secteur. Au départ, les syndicats eux-mêmes l'ont sollicitée pour défendre le fait que les journalistes étaient aussi des auteurs. À l'époque, les réexploitations avaient lieu avec la jurisprudence Dernières Nouvelles d'Alsace. Les syndicats nous font de plus en plus confiance alors qu'à l'origine, je pense qu'ils envisageaient de fonder leur propre société de gestion. Nous avons notamment transposé à l'audiovisuel le modèle de la loi Hadopi de la presse.
Selon votre expérience, quelle serait la forme de contrat la plus adaptée au nouvel OGC ? Un accord-cadre spécifique aux relations particulières entre chaque éditeur, agence ou professionnel de la presse et les plateformes et agrégateurs de contenu serait-il envisageable ?
Le fait de créer une société de gestion qui négocie collectivement les droits des éditeurs avec Google est intéressant en presse écrite et audiovisuelle. J'ai constaté le ralliement de l'AFP, de Radio France, de France Télévisions. J'avais naïvement pensé que le CFC pourrait être cet outil. Les éditeurs de presse ont semble-t-il oublié qu'ils en étaient membres. Ils ont souhaité créer une société pour eux et être en position de force pour négocier avec Google. J'y vois une initiative bénéfique, car il est important de montrer une puissance et une unité face à lui.
Je suis surtout préoccupé par la partie aval, puisque la partie amont est résolue. Nous en sommes évincés et je le regrette, ce qui laisse une inquiétude sur ce que les éditeurs accepteront de rétrocéder aux journalistes. Je me garde cependant bien d'annoncer un montant, qui demanderait un travail relativement fin.
La loi prévoit que la question de la rémunération est réglée par des accords collectifs comme les accords de branche, les conventions collectives, les accords d'entreprise ou des accords atypiques. En tant que société de gestion collective, nous sommes donc à la merci des décisions prises dans le cadre de ces textes.
Nous avons signé un premier accord sur les exploitations secondaires des journalistes de France Télévisions parce que les syndicats étaient tenus de négocier avec les employeurs tout en demandant à France Télévisions de reconnaître l'intervention de la Scam. Nous souhaitons étendre ce schéma. Lors de votre audition, le représentant de la CFDT a valorisé une convention de branche. Le SNJ-CGT souhaitait davantage faire appel à la Scam.
La situation dans les grands groupes de presse n'est pas simple. La PQR s'estime aussi suffisamment puissante pour n'avoir besoin d'aucun allié. S'ils sont capables de s'unir au sein de leur OGC pour obtenir le maximum de Google et que nous, représentants des journalistes, en retirons une part significative, la gestion collective me semblera appropriée.
J'avais discuté avec votre collègue du Sénat, David Assouline, afin que la gestion collective des droits des journalistes soit reconnue. Le parlement ne l'a pas souhaité. Il veut rarement faire de la peine à la presse et il a certainement cherché à la préserver et à ne pas la heurter. Les éditeurs de presse ne souhaitent pas l'intervention d'une gestion collective des droits des journalistes.
Le rapport de force doit pourtant s'inscrire dans les deux sens. Il est équilibré dès lors qu'en amont, vous avez une négociation puissante des éditeurs de presse vis-à-vis de Google, et qu'en aval, nous discutons avec les éditeurs, si nous sommes mandatés par les syndicats de journalistes comme certains le souhaitent.
Je ne veux effrayer personne. L'important selon moi est de déterminer s'il est légitime que les droits des journalistes soient discutés à une échelle collective. Les outils viendront dans un second temps. Sinon, il faudra s'en remettre à des accords d'entreprise. Dans ce cas, certains seront favorables, quand d'autres seront très mauvais.
Il est évident que les éditeurs obtiendront de l'argent de Google, même si Google commencera par protester. Le droit est le plus puissant. Google ne pourra pas prétendre ne pas avoir suffisamment d'argent pour payer. Si la négociation aboutit positivement, les journalistes quels qu'ils soient devront percevoir une rémunération équitable.
Si la négociation avec les GAFAM prend du temps, certains ont proposé de créer une entité arbitrale pour aller plus vite. Une autre manière de procéder, plus sure que les accords d'entreprise, vous semble-t-elle souhaitable ?
Si vous parlez de la négociation entre les journalistes et les entreprises de presse, le mieux est de faire confiance à l'OGC présidé par Jean-Marie Cavada pour piloter intelligemment cette seconde phase de la discussion. Je ne suis pas certain qu'il faille faire intervenir quelqu'un d'autre.
Pour que les journalistes reçoivent une juste part, il pourrait être nécessaire de recourir à un arbitrage ou à une conciliation. Je m'interroge justement sur la répartition. La Sacem s'en chargera-t-elle ? Le CFC et la Scam ne devraient-ils pas s'en occuper, alors que le CFC a une grande expertise des droits de presse ?
Il me semble essentiel de surveiller la mise en place progressive d'une gestion efficace des droits. Je crois que Franck Riester avait indiqué que les négociations avec Google ne devaient pas prendre trop de temps. Des outils législatifs peuvent être activés comme les licences collectives étendues.
Pour résumer, je ne vois pas dans l'immédiat quelle serait la place d'un arbitre ou d'un conciliateur.
Je ne vois pas comment nous intégrerions cette structure parce que je ne crois pas que son orientation soit d'être mixte, à l'image de la SPRÉ (Société pour la perception de la rémunération équitable). Personne ne nous a sollicités. Je doute même que les éditeurs de presse, peu enclins à la gestion collective, soient demandeurs de ce type de dispositif. Je pensais naïvement que le CFC serait ce lieu dans lequel auteurs et éditeurs auraient pu partager le pouvoir face à Google. La situation est devenue surréaliste, car nous avons progressivement appris que la Sacem était ouverte à la création d'un OGC éditeur. Cette opération n'est pas un succès pour le CFC. Je l'ai mal vécu.
J'ai parlé avec un éditeur puissant de ce pays. Si les éditeurs s'étaient présentés au CFC pour revendiquer les droits Google, ils auraient ipso facto trouvé face à eux le collège des auteurs.
Je crois donc qu'il faut prendre pour acquise la création de cet OGC. Je n'ai malheureusement pas encore pu rencontrer Jean-Marie Cavada, mais nous échangerons prochainement. Je ne crois pas que la solution serait que nous entrions dans l'OGC. En revanche, il n'est pas problématique qu'il perçoive et que la répartition soit confiée par accord au CFC et à la Scam via le CFC.
Une société unique qui réunirait les auteurs et les éditeurs pour les droits voisins n'est pas tout à fait conforme à la loi et ne me semble pas réaliste. Nous avons déjà le CFC, à moins que les éditeurs aient pour objectif de le dépecer progressivement, ce que je ne crois pas, car cette logique serait aberrante.
Vous devez veiller à ce que le paysage de la gestion collective ne soit pas complexifié à outrance, d'autant qu'il est déjà compliqué et le sera encore davantage avec la création de cette nouvelle structure parallèle au CFC.
Je pense donc préférable d'envisager des accords bilatéraux entre l'OGC des éditeurs et nous. J'espère que je ne tiens pas des propos en contradiction avec ceux de Dominique Bernard.
Vous pourrez nous transmettre une contribution écrite si vous le souhaitez, car nous avons encore quelques mois de travail devant nous.
La réunion se termine à quinze heures cinq.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse
Réunion du mardi 19 octobre 2021 à 14 heures 30
Présents. – M. Pascal Bois, Mme Virginie Duby-Muller, M. Laurent Garcia
Excusée. – Mme Catherine Daufès-Roux