COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES
Mardi 9 juin 2020
La séance est ouverte à quatorze heures dix.
(Présidence de M. Paul Christophe, vice-président de la commission d'enquête)
La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition, en visioconférence, de Mme Sylviane Oberlé, chargée de mission Prévention des pollutions au sein de l'Association des maires de France (AMF).
Nous poursuivons les auditions de la commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques AEDES et des maladies vectorielles. Nous allons entendre aujourd'hui Mme Sylviane Oberlé, chargée de mission prévention des pollutions au sein de l'Association des Maires de France, l'AMF.
Les maires peuvent intervenir contre la présence de moustiques vecteurs, au titre de leurs pouvoirs de police générale et de police spéciale des points d'eau. Une proposition de loi votée par le Sénat propose de limiter leur intervention à un seul droit de signalement.
Madame, je vais vous laisser la parole pour une intervention liminaire de dix à quinze minutes qui précèdera notre échange sous forme de questions et réponses. Je vous remercie également de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc, Madame, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Oberlé prête serment.
Ce que j'ai à dire sur ce sujet est relativement simple et court. Je rappelle que je ne suis pas élue mais chargée de mission au sein de l'AMF : je fais donc partie des services. Néanmoins, cela constitue une question qui fait souvent l'objet de discussions, voire de débats, au sein de l'AMF, et à laquelle les maires sont attentifs. Il s'agit d'une question de santé publique, dont les conséquences sont malheureusement appelées à se développer. C'est néanmoins une question sur laquelle leurs pouvoirs sont relativement limités. Ils peuvent, au titre de leurs pouvoirs de police de la salubrité, veiller à l'inventaire des points d'eau sur tout le domaine public, prendre les mesures nécessaires si certains des points d'eau sont devenus des gîtes larvaires et les faire assainir en utilisant les méthodes nécessaires suivant les cas.
La difficulté des maires dans ce genre de dossiers réside surtout dans tout ce qui se situe sur le domaine privé, puisqu'ils n'ont pas la capacité de rentrer ni pour faire des contrôles, ni pour procéder à des mesures particulières pour assainir d'éventuels points d'eau. En l'occurrence, leur intervention se limite à informer les propriétaires, et éventuellement à leur suggérer avec fermeté de mettre fin à la situation susceptible d'entraîner une prolifération des gîtes à moustiques, mais ils ne peuvent guère aller plus loin en termes de pouvoirs de police. Autant il est possible de procéder à un inventaire des points d'eau de comme les mares, autant, comme vous le savez certainement, n'importe quel point d'eau stagnante peut être un gîte à moustiques, y compris quand il s'agit de l'eau présente dans une mare conséquente ou qui reste dans une coupelle d'arrosage sous un pot de fleurs. Dans ce cadre-là, à part informer la population sur les risques que présente ce genre de dispositif et leur demander de prendre les mesures nécessaires, les maires n'ont pas beaucoup de capacités d'intervention en direct.
Il y a un dernier point que je souhaitais aborder. Il est parfois assez compliqué d'arriver à faire la part des choses entre une politique d'amélioration de la biodiversité, et notamment de sauvegarde des milieux humides, et la nécessaire intervention pour réduire les gîtes larvaires, ce qui avait conduit l'AMF à proposer de limiter les mesures les plus dures à la proximité d'habitations, en partant du postulat – qui n'est pas toujours exact mais souvent vérifié – que les milieux naturels sensibles et les milieux humides sont relativement éloignés des habitations et que les gîtes larvaires sont surtout dangereux à proximité des habitations, même si je ne nie pas la capacité de ces animaux à faire des voyages relativement longs.
Ces sujets étant assez souvent discutés par les maires, nous espérons avoir des réponses pour notre rapport.
Comment les maires appréhendent-ils la progression du moustique tigre sur le territoire français depuis une quinzaine d'années ? Sont-ils suffisamment entendus et, le cas échéant, accompagnés par l'État sur le sujet ?
Ils constatent la progression du moustique. Ils ne sont pas inattentifs à la question.
Le fait qu'ils soient entendus par l'État est un peu plus compliqué parce que les approches du problème et les points d'attention ne sont pas les mêmes. Dans les départements ou les régions, il y a de temps en temps des rencontres entre les services de l'État et les maires. Cela n'est pas, à ma connaissance, un objet d'entretiens suivis. Il est vrai que les maires ont un peu le sentiment d'être seuls face au problème, qu'ils essaient de traiter sous l'angle de la police des points d'eau.
Avez-vous connaissance de demandes particulières dont ils seraient saisis en la matière de la part de leurs administrés ?
Je serais incapable de vous donner des statistiques dont nous ne disposons pas, mais j'ai été interpellée par quelques maires qui m'ont demandé l'état de la législation, parce qu'ils avaient été interpellés par des administrés – les moustiques ayant la capacité de se signaler par un certain inconfort au niveau de la population. Comme souvent dans ce genre de cas, le maire est interpellé pour faire cesser la nuisance, dans la mesure de ses moyens.
Les maires peuvent intervenir contre la présence de moustiques vecteurs au titre de leurs pouvoirs de police générale et de police spéciale des points d'eau. Quel usage les communes font-elles de ces prérogatives ? Sont-elles en mesure d'exercer ces pouvoirs de police ?
Elles essaient, mais les obstacles sont relativement nombreux, parce qu'il y a tout de même un manque de moyens humains pour faire des opérations d'envergure. Les maires ont la capacité de mobiliser des moyens humains divers et variés, y compris des bénévoles dans un certain nombre de cas, mais il est vrai que leurs moyens restent relativement limités. Il faut bien reconnaître qu'en général, ils agissent davantage comme des pompiers, au sens où ils essaient de faire cesser une nuisance qui est avérée plutôt que d'agir dans le domaine de la prévention, sauf lorsqu'ils donnent de l'information aux habitants dans un certain nombre de cas.
Les compétences communales sont-elles suffisamment étendues sur le sujet ? Le sont-elles trop ? Les municipalités disposent-elles de moyens suffisants pour les mettre en œuvre ?
J'aurais personnellement tendance à penser que les compétences sont relativement bien équilibrées, c'est-à-dire que le maire a tout de même la possibilité de faire cesser un certain nombre de désordres, mais il est évident qu'il n'a ni les compétences ni les prérogatives nécessaires pour entreprendre des plans de plus grande envergure et plus systématiques.
En outre, ce ne sont pas de moyens juridiques qu'ils ont besoin, mais essentiellement de moyens humains, car les tâches dévolues aux communes sont multiples et variées, ce qui renforce aussi le caractère ponctuel de leur intervention. Quand leur intervention est nécessaire pour faire cesser des désordres, ils le font, mais ils ne peuvent pas se lancer dans des opérations de plus vaste envergure, faute de moyens humains – à l'exception notable d'un certain nombre de collectivités, souvent des communes de plus grande taille, qui se sont dotées des moyens nécessaires. Pour l'instant, je trouve que l'équilibre n'est pas mauvais.
La vraie question réside dans le fait qu'il n'est pas possible pour le maire de pénétrer dans un domaine privé. La lutte contre la prolifération dans ces domaines privés est par nature extrêmement limitée, puisqu'on ne peut y pénétrer qu'avec l'accord du propriétaire, ce qui nécessite tout de même qu'il soit relativement averti du problème.
L'autre difficulté que j'identifie réside dans le fait qu'un maire n'est pas un spécialiste ni de la santé ni de la biologie des moustiques, et que ses compétences techniques restent tout de même limitées.
Dans le cadre d'une table ronde, la semaine dernière, la délégation aux collectivités territoriales du Sénat a présenté un bilan très critique de la coordination entre les collectivités territoriales et les agences régionales de santé (ARS). Quelles interactions les communes ont-elles avec les ARS en matière de lutte anti-vectorielle, avec le département, avec les préfets ?
Compte tenu du fait que je me suis engagée à vous dire la vérité, je suis obligée de vous dire qu'à ma connaissance, cette coopération est très proche du niveau zéro – mais peut-être est-ce un défaut de connaissance de ma part.
Non. Encore une fois, je n'ai pas fait de statistiques exhaustives, mais avec les départements, j'ai eu quelques retours plus positifs. Avec les préfets, la coopération n'est pas non plus nulle, d'autant plus qu'il s'agit de questions sur lesquelles le préfet a des compétences certaines, et pour lesquelles il faut un minimum de coordination entre les collectivités, les communes et le préfet. Je dois reconnaître que ma réponse concernait surtout les ARS.
Quel regard l'AMF porte-t-elle sur la nouvelle répartition des compétences proposée par le texte adopté en première lecture au Sénat en janvier ? Dans quelle mesure l'AMF a-t-elle été associée à la préparation de ce texte, puis à sa discussion en séance ?
Nous avons été interrogés sur le texte lors de son élaboration. Nous avons apporté un certain nombre de réponses à ce sujet. La position de l'AMF était que les questions de santé publique en tant que telles relèvent de l'État, qui est le seul compétent à l'heure actuelle et le seul habilité à définir une politique de santé publique, et que les maires s'occupent de salubrité, ce qui correspond à la fois à leurs compétences et à leur domaine d'action. Nous avons reçu quelques alertes de personnes qui ne souhaitent pas que cette répartition soit trop remise en question.
Le Sénat a apporté plusieurs modifications à la proposition de loi initiale, tenant notamment à l'obligation pour le maire de dresser un état des lieux des propriétés susceptibles d'abriter des insectes vecteurs et aux pouvoirs confiés aux agents de la commune ou mandatés par elle pour la réalisation des mesures de lutte anti-vectorielle. Quel regard portez-vous sur ces modifications ?
Cela nous paraît indispensable de rester dans le champ de ce qui est possible, notamment en termes de moyens humains. Nous avons donc été assez attentifs au fait de rester dans ce champ, car à l'heure actuelle, il nous paraît déraisonnable d'en demander plus, compte tenu des moyens humains et de la définition même du pouvoir des maires, qui doivent veiller à la salubrité. L'AMF est très réticente à demander aux maires plus de choses avec les mêmes moyens, voire avec moins de moyens.
Nous savons tous que dans des communes, il y a des associations de populations qui s'intéressent aux enjeux de lutte anti-vectorielle. À votre avis, qui devrait mettre en œuvre des démarches d'information et de prévention contre les vecteurs ?
Tout le monde, car c'est tout de même une question de santé publique sérieuse, qui est en voie d'extension. Certes, il revient aux maires d'informer la population sur les conduites à tenir ou à ne pas tenir, et sur les choses à faire ou à ne pas faire, mais c'est un domaine dans lequel on ne peut pas se passer de l'aide de qui que ce soit pour atteindre l'objectif d'information. Il est vrai qu'il y a quelques questions délicates sur le contenu du message et sur la nécessité d'harmoniser un minimum les messages, d'abord pour l'efficacité de la communication et parce que sur un domaine pareil, il est inutile de diffuser des messages inexacts ou un peu fantaisistes.
La lutte contre les moustiques suscite régulièrement des plaintes de la part d'associations de protection de l'environnement, en raison de ses conséquences potentielles sur la biodiversité. Dans quelle mesure les exécutifs locaux sont-ils confrontés à ces problématiques ?
Cela arrive quand il y a des points de fixation concernant certains milieux particuliers, certains milieux humides. Effectivement, vouloir éviter la prolifération des moustiques et préserver la biodiversité pose un certain nombre de problèmes. C'est un domaine qui est compliqué de par son enjeu sanitaire, et qui est tout de même une question que la plupart des exécutifs locaux ont à traiter puisque l'une des difficultés qu'ils vivent en direct concerne l'harmonie à maintenir entre des intérêts, des enjeux et des conceptions différentes, pour un même espace, qu'il soit public ou privé.
Il a dû m'arriver une fois d'être contactée ; mais de manière générale, je n'ai aucune relation suivie.
Dans le cas de détection de foyers épidémiques, comment les maires sont-ils associés aux mesures à prendre ? Faut-il donner une place aux maires dans le dispositif curatif ?
Dans le cas de foyers épidémiques, les maires sont alertés après la détection, mais ils n'ont pas de compétences spécifiques en matière de santé et ils sont dans l'incapacité d'avoir connaissance de l'information autre que celle fournie par des autorités sanitaires ou des autorités préfectorales. Si le mot « curatif » s'entend au sens du soin prodigué aux personnes atteintes de maladies, je ne vois pas bien ce qu'ils pourraient faire et comment ils pourraient être associés.
La question porte donc sur un cas où nous avons identifié un gîte larvaire dont les moustiques sont atteints, et qui est susceptible de propager la maladie ?
J'ai un peu de mal à voir à quoi vous faites allusion, puisque le maire va intervenir au titre de sa police de salubrité et va donc prendre, dans la mesure du possible, les mesures pour supprimer ce gîte à moustiques s'il est dans un domaine public. Dans le cas d'un gîte situé sur un domaine privé, il n'en a pas le pouvoir à l'heure actuelle. Il s'agira de demander au préfet de prendre les mesures nécessaires.
D'après vos observations, quels types d'installations posent le plus de problèmes ? Je pense aux gouttières, aux bondes, etc. Les normes de construction sont-elles adaptées ?
Il y a peut-être des choses à revoir dans les normes de construction, mais ce n'est pas cela qui pose le plus de problèmes. Ce sont beaucoup plus les usages, les pratiques des gens qui habitent ces constructions. Le fait d'avoir au fond du jardin un tonneau dans lequel on récupère l'eau de pluie et qu'on laisse sans surveillance n'est pas forcément une bonne idée, mais nous ne pouvons pas la réglementer. Laisser traîner de l'eau dans des dépressions que l'on a sur son terrain, c'est aussi une chose que l'on ne peut pas réglementer.
En termes de normes de construction, je n'ai pas été informée de problèmes majeurs. Il y a quelques problèmes de gouttières, de bordures de toits, mais ce sont des choses qui relèvent du défaut d'entretien plutôt que d'un problème de construction en tant que tel.
J'ai bien compris que cela n'était pas réglementé, mais peut-on imaginer de nouvelles normes de construction et d'entretien afin d'éviter la création de gîtes larvaires (pente minimale des toits, imperméabilisation des sols, équipements d'hydrologie urbaine) ? Seriez-vous favorable à leur inclusion dans les plans locaux d'urbanisme ?
Il faudrait que je demande confirmation de sa position au bureau de l'AMF. Ma réponse est sous réserve d'une confirmation des élus. Je pense que l'AMF serait assez réticente à ce qu'on en fasse mention dans les documents d'urbanisme. Ces derniers temps, on a demandé beaucoup de choses aux documents d'urbanisme, au point de les rendre parfois à la limite de la lisibilité. En la matière, il nous semble préférable de s'assurer que les pratiques sont en conformité avec la lutte contre les gîtes larvaires, plutôt que de réglementer à travers les documents d'urbanisme. Il y a peut-être effectivement un certain nombre de prescriptions de construction, comme celle que vous avez citée concernant la pente des toits, ou le fait d'éviter les terrasses inoccupées, les toits plats, mais je pense qu'il serait un peu excessif pour l'AMF de les faire passer à travers les documents d'urbanisme.
Faut-il interdire les terrasses sur plots ? Comment concilier les problèmes que ces constructions posent avec le respect des normes en matière d'accessibilité pour les personnes à mobilité réduite ? Pourrait-on prévoir une exception à ces normes ?
Je demande un joker – non pas parce que je ne veux pas répondre mais parce que je ne suis pas du tout sûre d'avoir la réponse. En matière de construction, entre l'accessibilité et d'autres contraintes, y compris les contraintes énergétiques, nous nous retrouvons avec une somme de contraintes qui donne l'impression de ne plus avoir la possibilité de faire grand-chose. Encore une fois, et il s'agit là d'une opinion personnelle, je pense que l'on peut résoudre beaucoup de choses en favorisant des pratiques, dont certaines étaient déjà d'usage il y a un certain temps, plutôt qu'en faisant de la normalisation et en laissant la lutte contre le développement des gîtes larvaires entre les mains de simples mesures de construction, qui peuvent avoir leurs effets mais qui ne résoudront jamais tout.
Dans un certain nombre de domaines, nous pouvons sentir votre embarras, et je peux comprendre aussi l'embarras des maires, puisqu'ils sont préoccupés par la santé de leurs concitoyens. On leur demande de lutter contre le moustique tigre, qui est une menace pour la santé de leurs concitoyens, mais en même temps, évidemment, il ne faut pas menacer cette santé en utilisant des produits, insecticides ou autres, qui pourraient être eux aussi une menace. C'est donc un sujet qui est très compliqué, on le comprend.
Ceci dit, ce moustique tigre est quand même considéré comme une des espèces les plus invasives. Quand on regarde une carte de la France métropolitaine, il y a aujourd'hui quasiment deux tiers des départements – 67 départements pour être précis – qui sont en vigilance rouge par rapport au moustique tigre. Cette présence, évidemment, se concentre au sud de la Loire, où il y a une grande tache rouge, avec quelques autres départements qui sont touchés. J'aimerais savoir si les maires de France suivent un peu la progression sur le territoire. Avec le dérèglement climatique – nous avons vu, pendant les deux derniers mois, qu'il faisait meilleur au nord qu'au sud –, n'y a-t-il pas un risque que cette répartition bascule, ce qui poserait de nouveaux problèmes dans la lutte contre ce fléau ?
À l'AMF, nous sommes attentifs à l'évolution de ce phénomène. Ce qui me gêne dans ce suivi, c'est qu'il suggère une régularité et une attention qui n'est pas tout à fait celle que l'AMF peut mettre sur cette question. Néanmoins, cette question fait l'objet de recherches et d'attentions particulières. La lutte contre les moustiques tigre et les moustiques en général a fait l'objet de plusieurs articles dans la revue de l'AMF, Maires de France, et c'est une question sur laquelle nous essayons de diffuser un certain nombre d'informations, y compris des guides de bonnes pratiques. Mais cela n'est pas un suivi au sens statistique et observatoire du terme.
Je vais me permettre de compléter la question de notre collègue. Existe-t-il au sein de l'AMF un groupe de travail permanent, un groupe de réflexion permanente ou un groupe de suivi permanent, qui mobilise des maires autour de vous pour assurer ce suivi, à la fois sur la propagation et sur les réponses à apporter de manière réglementaire ? Vous parliez tout à l'heure de l'urbanisme. C'est l'un des sujets de cette gestion qui concerne différents domaines. Existe-t-il une telle réflexion organisée à l'AMF ?
Non, pas pour l'instant, mais nous recevons un certain nombre de demandes. En fait, nous organisons ce genre d'instances spécifiques quand on a des demandes suffisamment récurrentes et surtout des élus prêts à s'investir dans ce genre de questions. Je vous avouerai que pour l'instant, nous ne suscitons pas la création de nouveaux groupes de travail parce que nous avons un léger problème de stabilité de nos élus. Cela fera probablement partie des questions qui seront débattues lorsque les nouveaux maires et les nouveaux présidents d'intercommunalités seront installés. À ce moment-là, en fonction de la demande et de la sensibilité de ce problème pour les élus, nous ne pouvons pas exclure la création d'un groupe de travail spécifique.
Merci pour votre propos liminaire, qui me fait immanquablement penser à la question des travaux, par exemple dans le cadre des programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI). Nous abordions tout à l'heure la question de la différence entre la propriété privée et les terrains qui sont directement sous l'autorité du maire. Dans un certain nombre de domaines, je pense notamment au curage des fossés, il existe déjà la possibilité de subroger certains travaux, notamment aux associations syndicales autorisées (ASA). Il y a tout de même la possibilité que le couple préfet-maire lève l'interdiction de pénétrer sur un terrain privé pour le nettoyage et le curage des fossés. Évidemment, le propriétaire est volontaire pour qu'une association puisse réaliser ces travaux à sa place, mais nous pourrions très bien envisager, au regard de l'intérêt sanitaire supérieur, que les gens qui habitent dans une zone rouge soient par nature d'accord avec le fait qu'en cas d'impossibilité de leur part de réaliser les travaux d'évacuation de l'eau, on puisse subroger à la mairie ou à un service dédié. Cela vous paraît-il réalisable ?
Pour aller un peu plus loin que la question qui a déjà été posée, avez-vous connaissance de bonnes pratiques sur le terrain entre les maires qui sont touchés au sein d'une même zone ? Enfin, j'aimerais soulever la question de l'innovation, parce qu'il y a quand même pas mal de petites startups qui travaillent sur la question de la prévention des moustiques autour des habitations. Vous arrive-t-il d'être contactée pour qu'il y ait des territoires d'expérimentation où l'AMF pourrait avoir au moins un rôle d'information auprès des autres régions ?
Concernant le premier aspect, il existe en effet un certain nombre de cas où le maire peut être amené à intervenir sur le domaine privé. Nous avons une certaine expérience dans un autre dossier qui est celui des contrôles d'assainissement non collectifs. C'est possible, c'est strictement encadré et c'est loin d'être toujours facile parce que même quand on a un encadrement juridique assez solide, on se heurte à des propriétaires dont certains ont une conception très jalouse de leur droit de propriété, y compris quand, au final, l'intervention permettrait d'améliorer leur propre confort. Qu'il s'agisse d'assainissement non collectif ou de présence de gîtes larvaires, le premier touché est tout de même l'occupant, qui est souvent – mais pas toujours – le propriétaire. Cela n'est pas possible dans le contexte juridique actuel. Un maire qui rentre sur une propriété privée s'expose à un recours au contentieux qui peut aller relativement loin.
Dans d'autres domaines, qui relèvent notamment des problèmes de dépôts sauvages, et dans ce que l'on a appelé la procédure du « retour à l'envoyeur », certains maires se sont retrouvés au tribunal parce qu'ils avaient déposé les déchets dans la propriété de « l'envoyeur », si je puis dire, et ont été attaqués pour violation de propriété privée. Donc ce n'est pas exclu en tant que tel, mais pour l'instant, le dispositif législatif et réglementaire n'encadre pas ce genre d'actions, et ne permet pas au maire de rentrer, même pour un motif grave qui relève de la santé publique. Il est vrai qu'il y aurait probablement quelque chose à améliorer. C'est déjà une pratique, mais elle n'est pas suffisamment développée ni fluide entre le préfet et le maire, puisque le préfet a des moyens un peu plus vigoureux au regard d'une politique de santé publique.
Quant à des réunions de groupes de maires confrontés à ces problèmes, je n'exclus pas que cela arrive, mais je n'en ai pas eu connaissance. Généralement, les maires ont l'habitude de parler entre eux, même quand il ne s'agit pas de réunions formelles ou de groupes de travail. Je pense que les maires qui ont des problèmes avec ce genre de moustiques parlent à leurs collègues sans problème.
Enfin, il arrive que des entreprises m'informent de leurs innovations, de leurs projets, mais pour l'instant, c'est trop anecdotique pour qu'on puisse en faire état auprès des maires, puisque nous n'avons pas non plus à nous immiscer dans ce qui pourrait être une concurrence de type commercial. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'un certain nombre de choses se développent et que l'on sent un intérêt un peu plus important. Ce n'est pas encore suffisant, vu de ma fenêtre, pour que cela cristallise de façon opérationnelle et permette de mettre en œuvre quelque chose, que ce soit un groupe de travail, un guide de bonnes pratiques ou quelque chose de ce type-là.
Je pense que nous rencontrons des difficultés pour faire comprendre à la population la gravité du problème, c'est-à-dire que pour une partie relativement importante de la population, même confrontée aux moustiques, ce problème est resté une nuisance, mais le côté sanitaire est moins bien perçu, à l'exception des territoires d'outre-mer, où il s'agit d'une réalité concrète. Le problème n'a pas encore une réalité suffisamment claire pour un certain nombre des citoyens qui habitent en métropole. Si je peux faire une suggestion, une communication nationale d'envergure ne serait pas complètement inutile en la matière.
Vous avez raison. Quand on est interpellé sur la présence du moustique, il est déjà pratiquement trop tard. C'est plutôt la prolifération de larves qu'il faudrait observer. Il existe des contrôles réguliers de la qualité des eaux de baignade, en particulier ceux qu'organise l'ARS. Pensez-vous que l'on devrait se tourner demain vers une sorte de suivi régulier, saisonnier, de la prolifération de larves, de façon à pouvoir réagir en amont, d'une manière un peu plus concertée et à une échelle bien plus large que celle d'un département ? Tout à l'heure, notre collègue Frédéric Reiss faisait état de 67 départements en zone rouge. Est-ce qu'on doit conforter cette sorte de réseau d'alerte, avec un suivi de la prolifération un peu plus précis, en tout cas plus organisé et plus concerté ?
Là encore, je ne peux pas vous donner l'opinion de l'AMF en tant que telle, puisque je n'ai pas de position officielle à ce sujet. En revanche, je peux vous donner mon opinion à titre personnel, mais aussi au titre des élus locaux que je fréquente quotidiennement et dont j'ai une assez bonne connaissance. Je pense que ce serait effectivement utile, mais nous allons très vite nous retrouver face à un problème de moyens, car ce genre de suivi nécessite des moyens humains que nous n'avons pas toujours.
Vous avez cité les associations qui s'occupent spécifiquement de ces questions, mais il y a un certain nombre d'associations environnementales et de naturalistes sur tout le territoire qui sont parfaitement à même, parce qu'ils possèdent généralement la compétence scientifique ou un accès à la compétence scientifique, ainsi qu'un intérêt pour cette question, de surveiller ou d'être vigilants sur ce genre de sites. Ils auraient également la compétence nécessaire pour voir quels sont les endroits où il est probable ou possible qu'il y ait un gîte larvaire, ce qui permettrait en effet d'améliorer les préventions, parce qu'on pourrait intervenir avant même que le moustique ne soit là. Je pense qu'une plus grande coopération avec ce genre de structures, qui sont à peu près répandues sur tout le territoire national et avec lesquels les maires ont parfois des relations un peu compliquées, irait probablement dans le sens d'un apaisement des relations si l'on pouvait associer ces structures à un réseau de surveillance, même si le terme de « réseau de surveillance » est peut-être un peu ambitieux.
Vous nous avez parlé tout à l'heure des relations entre les collectivités et l'ARS, ou plutôt de l'absence de ces relations. Il se trouve que dans une vie antérieure pas si lointaine, j'ai été vice-président d'un département en charge de la politique des Espaces naturels sensibles (ENS). Ce sont souvent d'ailleurs dans ces ENS que se concentre un certain nombre de zones humides, voire de plans d'eau. En l'occurrence, j'ai en mémoire la prolifération de Aedes sticticus, le moustique des marais. Nous avions organisé à la fois un suivi de présences larvaires, mais également une vraie concertation avec l'ensemble des communes concernées, puisque l'espace en question rayonnait sur plusieurs communes. L'AMF a-t-elle eu des remontées sur des difficultés de dialogues entre les collectivités et les départements, ou est-ce quelque chose qui fonctionne plutôt bien ?
Dans la mesure où je n'ai pas eu de remontées, alors qu'en général je suis informée des trains qui n'arrivent pas à l'heure ou qui déraillent, j'aurais tendance à penser que cela fonctionne plutôt bien, justement parce que je n'en entends pas parler. Effectivement, j'ai eu quelques retours d'informations selon lesquels cela existait, notamment à travers toute la politique concernant les espaces sensibles et en particulier ceux qui sont favorables à la prolifération des moustiques, qui sont une bonne partie des milieux humides.
Cela est donc à vérifier. Avez-vous d'autres observations à transmettre à la commission d'enquête ?
Non, pas particulièrement. L'un d'entre vous a signalé mon embarras, qui est tout à fait réel, ce qui me laisse penser que j'ai bien traduit l'embarras des maires en la matière. Ce que je peux dire en conclusion, c'est qu'il y a une réelle préoccupation et une certaine difficulté pour trouver la manière d'aborder le problème, sachant que c'est un problème qui nécessite effectivement une coopération avec les représentants de l'État. Il convient probablement de mettre plus de fluidité et d'habitudes en la matière, notamment avec le préfet et ses services, ce qui permettrait, sinon de résoudre le problème, au moins de progresser vers la solution.
Tout à l'heure, vous abordiez le fait que les maires se plaignaient de ne pas avoir de nouvelles des ARS. Je connais bien l'ARS de Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA). Nous avons des cas de chikungunya autochtones, ce qui révèle un sujet sur ces questions en PACA. Les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), eux, sont en contact avec l'ARS – je peux en témoigner pour avoir assisté à plusieurs réunions. D'après vous, est-ce le bon niveau d'interlocuteurs ou faut-il un autre niveau qui soit plus proche du couple préfet-maire, auquel cas nous ne pouvons effectivement pas démultiplier les compétences, car cela ne reste qu'un sujet parmi tous les sujets que les maires ont à traiter ? Y a-t-il quelque chose à organiser avec Santé publique France, qui est aussi en charge de l'épidémiologie sur notre territoire, une articulation peut-être plus heureuse à trouver et qui viendrait en complément de ce que vous venez de dire en conclusion ?
Je pense que l'on peut toujours trouver une meilleure articulation sans démultiplier les compétences. Concernant l'ARS, je vous ai donné les informations dont j'ai connaissance. Elle reste lointaine pour bon nombre de maires, mais cette question est variable d'une région à l'autre. C'est à la fois l'intérêt et la difficulté d'un organisme régional que de se développer d'une manière propre dans chacune des régions. Je serais extrêmement prudente sur cette question parce qu'en ce moment, les relations entre les maires et les ARS sont compliquées dans un certain nombre de régions. Je ne peux donc pas vous répondre quelque chose d'intelligent à ce sujet. C'est particulièrement compliqué en raison de la gestion de la crise de la Covid-19, qui a rarement été simple pour beaucoup de maires, ainsi que pour beaucoup d'ARS. Je suis obligée de faire une réponse mitigée à votre question, et j'en suis désolée. Mais il y aura probablement des choses à faire.
Il me reste à vous remercier pour votre disponibilité et votre franchise, en espérant que le 28 juin vous permettra de retrouver la stabilité et tous vos maires, comme vous le dites très justement. Cela voudra dire aussi que nous n'aurons pas été obligés de revenir en arrière en raison d'un nouveau pic épidémiologique, et que les choses iront pour le mieux.
La réunion s'achève à quinze heures.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles
Réunion du mardi 9 juin 2020 à 14 heures 10
Présents. – Mme Ramlati Ali, M. Paul Christophe, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer
Excusés. – Mme Ericka Bareigts, M. Alain David, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean‑Hugues Ratenon