Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Réunion du jeudi 25 mars 2021 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • cube
  • essonne
  • lacs de l'essonne
  • mètre
  • régie
  • usager
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  France Insoumise    En Marche  

La réunion

Source

COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences

Jeudi 25 mars 2021

La séance est ouverte à neuf heures.

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition de M. Gabriel Amard, ancien maire de Viry-Châtillon, ancien président de la communauté d'agglomération Les Lacs de l'Essonne, ancien président du conseil d'exploitation de la régie Eau des Lacs de l'Essonne, co-président de la coordination Eau bien commun France.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui notre troisième session d'audition de la commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences. Nous allons tout d'abord entendre M. Gabriel Amard, ancien maire de Viry-Châtillon de 1995 à 2006, ancien président de la communauté d'agglomération Les Lacs de l'Essonne de 2004 à 2014, ancien président du conseil d'exploitation de la régie Eau des Lacs de l'Essonne de 2010 à 2014. Élu sous l'étiquette socialiste et candidat par la suite pour la France Insoumise, vous êtes désormais co-président de la coordination Eau bien commun France.

Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

M. Gabriel Amard prête serment.

Permalien
Gabriel Amard

Merci Mme la présidente. Il convient peut-être d'ajouter que, depuis 2007, je dirige un organisme de formation des élus présidé par le maire de Châteldon, dans le Puy-de-Dôme.

Je suis particulièrement sensible à votre invitation qui me permet d'évoquer mon engagement bénévole à la coordination Eau bien commun France.

Vous avez évoqué la différence entre les différents modes de gestion, principalement entre la famille de la gestion publique et les délégations dites de service public, que j'appellerai les délégations au privé.

Si le temps me le permet, j'aimerais également pouvoir évoquer avec vous la question de la tarification différenciée en fonction des usages, car, en l'état actuel du droit français, la libre administration des collectivités en la matière n'est pas forcément sécurisée par des textes réglementaires.

Enfin, alors que Mme Danielle Mitterrand aimait à rappeler que : « trois minutes sans air et nous sommes morts, trois jours sans eau et nous sommes morts », certains usagers remettent en question les taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) appliqués en matière d'eau potable (5,5 %) et d'assainissement des eaux usées (10 %). Il serait possible d'envisager qu'une TVA à taux zéro s'applique dans ce domaine vital.

Notre association d'usagers a pour référence la gestion publique, et non la gestion déléguée aux entreprises privées. Tout d'abord, dans la mesure où les régies publiques ont une durée de vie illimitée, la comptabilité publique permet d'amortir techniquement et financièrement sur une longue durée les investissements dédiés à la distribution d'eau potable et au traitement des eaux usées.

Ce cadre comptable public permet chaque année d'amortir des ouvrages de plusieurs dizaines de millions d'euros en appliquant une tarification bien plus faible aux usagers que celle appliquée par les opérateurs privés. En effet, ces derniers doivent non seulement amortir leurs investissements, mais aussi engranger une rémunération avant le terme du contrat, dont la durée ne peut depuis 1995 excéder une durée de 20 ans.

Par ailleurs, si les fontainiers, les électromécaniciens, les grutiers, les techniciens, les ingénieurs, les agents administratifs sont dans tous les cas de figure indispensables à la bonne marche d'un service de l'eau ou d'un service d'assainissement, la gestion publique est plus sobre en emploi, sans conduire à du low cost. En effet, les stratégies et les projets locaux d'accès à l'eau et à l'assainissement de qualité n'ont pas besoin de directeurs régionaux, de directeurs commerciaux ou de directeurs financiers pour atteindre des objectifs fixés par des conseils d'administration ou des assemblées générales d'actionnaires.

Par ailleurs, au titre des charges, les comptes d'exploitation des filiales des groupes membres de la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E) démontrent que les entreprises privées répercutent à l'État les impôts et taxes qu'ils acquittent. Le fait que les régies publiques ne soient pas soumises à cette fiscalité est un autre élément contribuant à limiter le coût répercuté aux usagers.

Je souhaite également souligner que les différentes expressions utilisées dans les comptes annuels de résultat d'exploitation des délégataires privés, par exemple les « contributions aux organismes centraux et à la recherche », sont une habile manière d'évoquer les remontées financières à une maison-mère. Or ce type de ponction sur le porte-monnaie des usagers n'existe pas dans le cadre des régies publiques.

Il convient par ailleurs d'attirer l'attention du législateur sur la question de la recherche, souvent mentionnée dans les rapports annuels des délégataires privés. En effet, dans le cadre du principe « l'eau paie l'eau », les factures, ou les charges récupérables dans l'habitat collectif dépourvu de compteurs individuels, s'appliquent à un service fait. Si ce dernier porte sur des activités de recherche, l'usager doit savoir avec précision dans quelle mesure il a bénéficié de l'activité de recherche répercutée sur sa facture. Or après vingt ans d'engagement associatif et vingt-cinq ans de mandats locaux, je ne suis pas en mesure de préciser dans quelle mesure, en matière de chauffage, de déchets, de transports et d'eau, les usagers ont bénéficié d'une activité de recherche.

Enfin, dans le cadre d'une délégation à des opérateurs privés, les délégataires répercutent l'impôt sur les sociétés, qui n'est pas acquitté par les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC). En outre, l'excédent dégagé au terme d'un exercice s'évapore et ne se retrouve jamais au titre des recettes. A contrario, dans le cadre de la comptabilité publique, l'excédent d'un EPIC constaté en fin d'année est inscrit en report et est affecté au titre des recettes de l'année suivante.

J'ai souhaité pointer le plus précisément possible ces différences notables afin de prouver que mon discours n'est pas hors sol, mais qu'il est le fruit d'une expertise citoyenne qui s'est développée en accompagnant de nombreux territoires et de nombreuses régies. Il est possible de démontrer que, à périmètre et à compétences constants, en apportant un niveau de service équivalent, voire supérieur, les régies publiques sont toujours moins chères que des délégations au secteur privé. Enfin, alors que ces dernières sont censées donner lieu à des négociations transparentes, ces délégations au secteur privé ne sont jamais décidées dans le cadre de mises en concurrence par appel d'offres.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous défendez la gratuité des premiers mètres cubes vitaux et la suppression de la part fixe de l'abonnement. Pourquoi avoir appliqué cette mesure dans le cadre de la régie Eau des Lacs de l'Essonne, plutôt qu'une tarification sociale ? Quel est le bilan de cette expérience ?

Permalien
Gabriel Amard

Je ne suis plus élu essonnien depuis 2014. Cependant, si je consacre bénévolement du temps à Eau bien commun France, qui coordonne une quarantaine d'associations locales d'usagers, c'est parce que ma conviction profonde est que l'eau est un bien commun indispensable à la vie. C'est bien pourquoi je souhaite convaincre qu'un droit inconditionnel, donc sans condition de ressources, existe en matière d'accès à l'eau. Ceci explique pourquoi je défends le principe de gratuité des mètres cubes vitaux, sans que je sache avec certitude s'il doit s'agir des premiers ou des derniers mètres cubes.

Ces mètres cubes vitaux sont définis sur la base de la référence de trois litres d'eau par jour et par personne sur un territoire donné, soit de la référence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), correspondant à quarante litres d'eau par jour et par personne, soit un peu moins de quinze mètres cubes par an. Cependant, dans tous les cas de figure, la collectivité organisatrice des services d'eau, qui en l'état actuel du droit est le bloc communal, doit pouvoir financer cette gratuité sur la base d'autres usages, notamment des usages professionnels qui dégagent un chiffre d'affaires et que les acteurs économiques peuvent déduire de leur base de calcul fiscale.

En effet, dans son arrêt du 25 juin 2003, Commune des Contamines-Montjoie, le Conseil d'État a reconnu la différence entre un usage professionnel comme celui d'un hôtel et un usage domestique, donc la possibilité de renchérir la tarification appliquée aux usages professionnels de l'eau afin de compenser au sein du budget de la régie publique concernée la gratuité accordée à une partie des usages domestiques.

À ce titre, si je pouvais influencer le législateur, je dirais que l'absence de texte balayant le champ des possibles de manière exhaustive, ou au contraire de textes suffisamment généraux pour éviter toute ambiguïté, induit un contexte d'insécurité pour les collectivités organisatrices du service de l'eau et leurs opérateurs. Ces règlements des services de l'eau et leurs annexes tarifaires, qui pourraient être co-construits par les usagers et les salariés, pourraient ainsi être conformes à une politique fixée par la loi.

Au contraire, en l'état actuel du droit, les communes de Châteldon et de Barbaste, ou encore les stations balnéaires ou les stations de ski enregistrant une forte affluence touristique saisonnière, ont dû engager ou subir des procédures devant le juge administratif pour défendre leurs initiatives en matière de tarification de l'eau. À ce titre, les expérimentations menées dans le cadre de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, dite « loi Brottes », n'ont pas abouti à des dispositifs généraux. De ce fait, il est toujours nécessaire d'interpréter en creux le code général des collectivités territoriales pour éditer des factures d'eau détaillant un montant calculé en fonction de la consommation réelle de l'abonné et un montant calculé indépendamment de cette consommation. En réalité, facturer une part fixe et un abonnement n'est en rien une obligation.

Les militants du droit à l'eau considèrent qu'une personne âgée isolée ou qu'un jeune couple débutant dans la vie ne doivent pas être pénalisés par un abonnement et une part fixe, y compris si leurs montants sont plafonnés à 30 % du montant total de la facture. Ces éléments pénalisent les consommateurs attentifs à modérer leur consommation.

Il est possible de distinguer plusieurs usages. C'est le cas entre un usage domestique au domicile principal et un usage domestique en résidence secondaire, ou en entre un usage domestique et un usage professionnel. La différence peut aussi concerner une consommation domestique mesurée par un compteur individuel et par un compteur collectif. Il est également possible de distinguer un usage administratif, ou encore un usage associatif, voire les consommations liées à un chantier, les consommations de forains, ou encore la consommation liée à des lances à incendie située sur un site industriel.

Or, afin de faire reconnaître ce principe, des communes ont dû saisir le juge administratif. Ainsi, l'arrêt du Conseil d'État du 12 juillet 1995, Commune de Bougnon, a permis de reconnaître la différence entre la tarification de l'eau des résidences principales et des résidences secondaires.

J'ajoute que la loi n° 2006-1772 sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 a fait référence à l'usage domestique pour abolir les cautions déposées préalablement par un usager. Or les multiples références à un usage domestique de l'eau dans la législation devraient conduire à identifier d'autres usages, notamment un usage professionnel.

Je confirme par ailleurs que l'état actuel du droit induit une forme d'insécurité pour les décideurs locaux et les assemblées délibérantes souhaitant proposer à leurs concitoyens des innovations politiques ou philosophiques relatives à l'usage de l'eau reposant sur un droit à la différenciation selon les usages.

Enfin, si la loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 a autorisé la progressivité des tarifs en fonction de la consommation, elle a maintenu une incitation désastreuse à la consommation à travers la possibilité d'adopter des tarifs dégressifs dans le cadre des contrats de délégation avec les acteurs privés ou des règlements de régies publiques. De ce fait, les usagers de zones pavillonnaires peu peuplées ou les activités économiques, dont la consommation est très élevée, paient un prix du service au mètre cube moins élevé que les usagers des quartiers populaires consommant peu.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quels sont à vos yeux les principaux avantages d'une gestion en régie publique de l'eau ?

Permalien
Gabriel Amard

Le premier avantage est que la durée de vie d'une régie publique est illimitée. Son action peut donc s'inscrire dans le temps long, ce qui est adapté pour un cycle de l'eau fonctionnant en boucle depuis des millénaires dans un jardin planétaire, pour reprendre la formule du paysagiste Gilles Clément. Une régie publique peut donc coordonner ses orientations aux stratégies d'urbanisme, d'aménagement et d'activité humaine de surface impactant la quantité et la qualité de l'eau. Ses arbitrages sont faits au regard de l'intérêt général, alors que la délégation au privé, d'une durée limitée à 20 ans maximum et soumise à des contraintes commerciales et financières, adopte une vision de court terme.

J'ajoute que les volumes d'eau perdus dans le cadre des fuites concourent au chiffre d'affaires des entreprises privées en charge de la gestion de l'eau. Ces dernières considèrent en effet que les volumes d'eau prélevés gratuitement dans la nature, imposant ou non une potabilisation, doivent se voir appliquer un prix à visée commerciale appliqué à l'usager. Au contraire, dans le cadre de la gestion publique, des coûts sont répercutés à travers des tarifs.

Enfin, je veux attirer votre attention sur le fait que, en France, la vente d'eau en gros n'est pas encadrée par le code de la commande publique. Cette remarque peut vous étonner de la part d'une personne considérant l'eau comme un bien commun. Pour autant, l'achat d'eau en gros de gré à gré, sans mise en concurrence, dans le cadre d'une politique commerciale, pose problème pour les territoires contraints d'acheter de l'eau car ils n'ont pas d'outils de production.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Constatez-vous une différence en matière de qualité, ou au niveau des investissements, entre un service en régie et une délégation de service public ?

Permalien
Gabriel Amard

Quels que soient les débats relatifs aux autocontrôles en matière de qualité, la qualité de l'eau au robinet fournie par un opérateur privé ou par un opérateur public est supérieure à la qualité de l'eau vendue en bouteille de plastique. J'invite donc nos concitoyens à préférer l'eau en robinet. Si dans certains territoires l'odeur de chlore constitue un désagrément, les consommateurs peuvent remplir des bouteilles en eau afin de laisser à la chloramine le temps de s'évaporer durant une nuit avant de la consommer.

Par ailleurs, la question des investissements diffère selon les territoires. Tout d'abord, alors que les fuites dans le transport d'eau potable concourent au chiffre d'affaires des opérateurs privés, les pénalités appliquées en la matière sont souvent supportées par les usagers plutôt que par les opérateurs. Les comparaisons réalisées en matière d'investissement peuvent uniquement porter sur le rapport entre les linéaires de tuyaux entretenus et renouvelés au cours d'une année rapportés au linéaire total du réseau. Dans la mesure où une fonte fabriquée en France a une durée de vie comprise entre quatre-vingts et cent ans, et que la durée de vie des matériaux composites est comprise entre trente et cinquante ans, les territoires vertueux sont ceux où le pourcentage de tuyaux remplacés chaque année est supérieur à 1 % du réseau.

En revanche, ce taux de renouvellement est inférieur à 1 % dans de nombreuses communes, par exemple dans la plupart des communes du Syndicat des eaux d'Ile-de-France (SEDIF), ou à Montpellier avant le changement de délégation de service public, dans le Pays de Gex, ou encore à Lisieux dans le cadre l'actuel contrat de délégation. Dans certains cas, ce taux de renouvellement est parfois très inférieur. Dans un tel cas de figure, l'opérateur fait croire à son autorité organisatrice qu'il faut renouveler 0,2 % ou 0,4 % des tuyaux car ils ont une durée de vie de deux cents ou trois cents ans, ce qui n'est pas sérieux.

J'attire donc votre attention sur le fait que, dans le cadre des débats relatifs à l'état du patrimoine et aux réseaux fuyards, la priorité doit consister à construire des indicateurs contraignant pour les opérateurs et les autorités organisatrices.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question concernait une éventuelle différence en matière d'investissement entre un service en régie et une délégation de service public.

Permalien
Gabriel Amard

Au regard de ce que j'observe dans les trente ou cinquante territoires que j'accompagne chaque année, les taux de renouvellement dans le cadre des délégations de service public sont moins élevés que dans les régies. Certes, ce taux de renouvellement est sans doute inférieur dans certaines régies, mais dans ce cas de figure les élections municipales permettent de débattre de ces sujets et de remplacer les équipes en place. A contrario, dans le cadre d'une délégation de service public d'une durée de vingt ans, il n'est pas forcément possible de vérifier les données déclarées dans les rapports annuels des délégataires.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans un entretien diffusé dans Reporterre en octobre 2020, vous indiquiez que les multinationales de l'eau sont dans une situation de faiblesse expliquant en partie la tentative de rachat de Suez par Veolia. Pouvez-vous approfondir ce point ?

Permalien
Gabriel Amard

En 2012, la France comptait 34 000 services d'eau et d'assainissement et les entreprises délégataires privées, membres de la FP2E, étaient titulaires de l'ordre de 12 500 contrats. Désormais, selon la FP2E, ces chiffres sont respectivement de 31 000 et de 7 200. Ces données démontrent que, contrairement aux idées reçues, le modèle dominant en France demeure celui des régies directes et des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), mais aussi et surtout que les opérateurs privés ont perdu de la moitié de leurs contrats. Il y a vingt ans, ces opérateurs privés couvraient 75 % de la population française à travers 14 000 contrats. Ils en couvrent désormais uniquement 61 %. Cette situation place les opérateurs privés sous tension, ce qui explique en partie l'offre publique d'achat à laquelle vous faites référence.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans le cadre de vos mandats électifs, vous avez impulsé la sortie de la ville de Viry-Châtillon du SEDIF et vous avez créé la régie publique Eau des Lacs de l'Essonne. Pouvez-vous préciser les raisons qui vous ont poussé à quitter le SEDIF en 2010 ?

Permalien
Gabriel Amard

Les raisons sont celles évoquées depuis le début de cette audition. J'ajouterais simplement la question de la transparence et de la cogestion. En effet, les régies publiques sous forme d'EPIC à simple autonomie financière offrent la possibilité de se doter d'un conseil d'exploitation, et les EPIC à personnalité morale la possibilité de se doter d'un conseil d'administration. Dans les deux cas, ces instances garantissent un principe de codécision et de co-élaboration avec les usagers et les salariés. Ensuite, il y a le souci économique pour l'usager.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous indiquez que, suite à la création de la régie publique Eau des Lacs de l'Essonne, la facture a baissé de 37 % pour les usagers, alors que les investissements ont été multipliés par six. Par ailleurs, les premiers mètres cubes d'eaux sont désormais gratuits concernant le domicile principal des habitants. Comment avez-vous pu baisser le prix de l'eau dans de telles proportions ?

Permalien
Gabriel Amard

Supprimer les cinq lignes précitées figurant dans le compte annuel d'exploitation de Veolia Eau et quitter le SEDIF pour acheter de l'eau en gros à Eau du Sud Parisien (ESP) a permis d'embaucher sept personnes et de multiplier par six les investissements dédiés à l'amélioration du réseau et à la lutte contre les fuites.

L'analyse de l'évolution des tarifs entre 2011 et 2014 est d'ailleurs très instructive. En effet, au 1er janvier 2011, le prix de la part eau était de 1,08 euro par mètre cube pour la partie domestique et 1,28 euro par mètre cube en moyenne pour les autres usages, alors que le tarif unique appliqué par Veolia sur le même territoire s'élevait à 1,75 euro par mètre cube. Dans le détail, l'usage professionnel a conservé une part fixe tarifée à 1,74 euro par mètre cube, l'usage administratif a appliqué le coût moyen (1,28 euro par mètre cube) et les usages domestiques comprenaient une part gratuite équivalant à trois litres d'eau par jour et par personne. La baisse de 37 % par rapport aux tarifs appliqués par Veolia Eau, rebaptisée depuis Veolia Eau d'Ile-de-France (VEDIF) sur le territoire du SEDIF, concernait le tarif moyen pour l'usage domestique.

Contrairement à ce qui a été indiqué, au 1er janvier 2014, les tarifs appliqués dans les communes voisines étant demeurées membres du SEDIF, notamment dans la commune de Juvisy-sur-Orge, étaient supérieurs de 40 %. Or dans le même temps, les tarifs de la régie avaient été revalorisés de 1 % à 2 % par an et 6 centimes par mètre cube supplémentaires avait été facturés aux usagers afin de financer une connexion de réseau permettant de constituer un partenariat avec Eau de Paris, une autre régie publique. Par ailleurs, les comptes de la régie étaient équilibrés et les perspectives démontraient que les excédents enregistrés depuis 2011 se poursuivraient au cours des exercices suivants.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous n'êtes plus élu municipal de ce territoire depuis 2014. En 2016, M. Laurent Sauerbach, adjoint au maire de Viry-Châtillon, et désormais président de la régie des Eaux de l'Essonne, déclarait dans la presse : « Nous avons commandé un audit qui a démontré que, financièrement, la régie ne pourrait survivre à l'année 2017, au regard des emprunts contractés, notamment pour la construction d'une usine d'interconnexion avec l'aqueduc d'Eau de Paris et de l'obsolescence du réseau. » Avez-vous connaissance de cet audit ? Que pensez-vous de ses conclusions ?

Permalien
Gabriel Amard

J'ai systématiquement une piètre opinion des audits commandés par un maître d'ouvrage à un cabinet privé qui, finalement, écrit ce que lui demande d'écrire le commanditaire. Je fais plus confiance à des fonctionnaires territoriaux qui sont capables de démontrer s'ils sont de bons gestionnaires des deniers publics et du patrimoine public, ainsi qu'à des techniciens et à des ingénieurs détachés ou embauchés dans des régies publiques de l'eau. Dans ce cas de figure, faire appel à un cabinet extérieur avait pour seul objectif de disqualifier la gestion précédente.

Par ailleurs, dans la mesure où le rendement du réseau a progressé de plus de 10 % entre 2011 et 2014, je ne vois pas comment, entre 2014 et 2016, sous la responsabilité de M. Laurent Sauerbach, le réseau aurait pu soudainement se dégrader. Ces propos absurdes sont peut-être uniquement des propos politiques, et non des propos prenant en compte les investissements réels enregistrés dans le compte administratif de la régie.

Enfin, j'ai appris par la presse que, pour déformer le modèle économique de la régie, un contrat a été signé en 2015 avec ESP afin de garantir un approvisionnement de secours pour un montant de 120 000 euros par an. Or les interconnexions existant avec le SEDIF et avec ESP rendaient inutiles la signature de ce contrat. Le journaliste économique Emmanuel Lévy estimait d'ailleurs dans l'hebdomadaire Marianne que ce contrat pouvait être considéré comme léonin, puisqu'il conduisait à verser 120 000 euros par an pour un éventuel secours une fois tous les quatre ans.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Selon les données les plus récentes disponibles sur l'Observatoire national des services d'eau et d'assainissement, le prix du mètre cube était en 2019 à Viry-Châtillon de 2,19 euros pour l'eau et de 1,74 euro pour l'assainissement, pour une facture de 120 mètres cubes. Dans le même temps, à Juvisy-sur-Orge, les prix du mètre cube facturés étaient de 1,89 euro pour l'eau et 1,74 euro pour l'assainissement. Comment expliquez-vous l'augmentation de 10,6 % des prix de la régie des Lacs de l'Essonne en quatre ans ?

Permalien
Gabriel Amard

Je vous invite à poser la question à ceux qui administrent désormais cette régie publique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comment se fait-il que le prix de l'eau du SEDIF ait baissé de 8 % au cours de la même période ?

Permalien
Gabriel Amard

J'ai déjà indiqué que les tarifs pratiqués aux ménages au sein de la régie des Lacs de l'Essonne étaient inférieurs de 40 % à ceux pratiqués au sein du SEDIF au 1er janvier 2014. Si désormais le SEDIF obtient des ristournes de la part de Veolia Eau Île-de-France, interroger les salariés vous permettra de vérifier que cette évolution du prix a été obtenue au détriment des conditions de travail.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le prix de l'eau de la régie des Lacs de l'Essonne est dorénavant supérieur de 13,7 % à celui du SEDIF. Que vous inspire ce constat ?

Permalien
Gabriel Amard

La régie n'est pas gérée au prix coûtant. Par ailleurs, le choix a été fait d'acheter de l'eau en gros à ESP plutôt que de conserver le partenariat conclu avec la régie Eau de Paris, qui offrait une tarification stable au cours des trente prochaines années.

Enfin, puisque vous insistez sur ce territoire, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'ESP, filiale de Suez, loue sur le territoire de la commune de Ris-Orangis un robinet et des installations relevant du périmètre de compétence de l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre (EPT 12). Or ce robinet, qui a été aménagé pour un coût total de 5 millions d'euros, soit 6 centimes par an et par mètre cube durant trente ans par les habitants du territoire des Lacs de l'Essonne, est loué et maintenu fermé afin de ne pas créer de concurrence à ESP. Dans le même temps, les Essonniens des communautés d'agglomération de Grand Paris Sud ou de Cœur d'Essonne, ont créé des régies publiques en s'inspirant de la démarche menée à Viry-Châtillon.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous connaissance de faits actuels, spécifiques et précis, constitutifs de financiarisation, de prédation ou de corruption, que vous pourriez détailler devant la commission d'enquête ?

Permalien
Gabriel Amard

Je dirai qu'aujourd'hui, un robinet capable de fournir de l'eau potable, du fait des sources et des résurgences d'Eau de Paris sur l'aqueduc du Loing, reste fermé. Or cet équipement est loué par Suez afin que personne ne puisse accéder à cette eau de qualité, alors qu'elle pourrait être mutualisée. Il s'agit d'une prédation.

Comme l'a révélé en 2012 l'hebdomadaire Marianne, et que j'ai mentionné dans mon livre La Guerre de l'Eau, dans lequel je publie le contrat qui liait ESP et le cabinet de lobbying Vae Solis Corporate, des élus ont été destinataires de notes blanches. Ces derniers occupent désormais des fonctions qui leur ont permis de signer des contrats constituant un abus de position dominante au profit d'une filiale de Suez dans le département de l'Essonne.

Il me semble important de citer cet exemple et d'apporter mon témoignage personnel. En effet, au même titre que Mme Anne Le Strat, alors présidente d'Eau de Paris, j'ai fait l'objet d'une campagne de calomnie organisée par une filiale de Suez et par un cabinet de lobbying. Ces derniers ont créé un faux blog, intitulé Viry Nature, dont les publications assuraient que l'eau de Paris était de mauvaise qualité et qualifiaient de lubie la volonté des élus locaux de Viry-Châtillon et de Grigny de faire uniquement supporter les coûts nécessaires à la fourniture d'une eau de qualité à des usagers modestes, sans leur faire supporter le coût de la stratégie commerciale d'un acteur privé.

Le second contrat, le seul auquel nous avons eu accès, avait pour objectif de disqualifier le partenariat public-public entre Eau de Paris et Eau des Lacs de l'Essonne. Il prévoyait de rémunérer Vae Solis Corporate à hauteur de 65 000 euros hors taxes au titre de l'année 2011 et de verser un complément de 45 000 euros en cas d'atteinte de l'objectif assigné, à savoir empêcher la création d'une régie publique et d'un partenariat entre Eau de Paris et Eau des Lacs de l'Essonne. La diffusion de ces informations a conduit Envoyé spécial sur France 2 et France 5 à interviewer un certain nombre de protagonistes de ce dossier, qui d'ailleurs n'ont jamais nié la réalité de ce contrat.

J'avais par ailleurs porté plainte. Malheureusement, je n'ai jamais été auditionné et le parquet a classé sans suite ma plainte, alors que de cette affaire aurait dû être traitée en toute transparence.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le Syndicat des eaux et de l'assainissement d'Alsace-Moselle (SDEA), le deuxième plus important en France, est déployé sur trois départements. Son travail est relativement apprécié, puisqu'il permet d'associer les villes moyennes, les centres métropolitains et les zones rurales. Une mission présidée par M. Adrien Morenas, et dont faisait également partie notre collègue M. Loïc Prud'homme, avait permis de mettre en exergue ce modèle vertueux, apprécié sur le territoire par les élus locaux.

La semaine passée, nous avons voté en commission un amendement au projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets permettant de créer la définition juridique d'une ressource stratégique pour l'alimentation en eau potable, posant le principe de leur identification, de leur préservation et de mesures de protection, en confiant au schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux le soin d'identifier ces ressources stratégiques en eau potable au plus tard en 2027.

Permalien
Gabriel Amard

En 2012, le Syndicat des eaux du Bas-Rhin, tel que nous l'appelions à l'époque, a fait partie à nos côtés des cofondateurs de France Eau Publique, le réseau des gestionnaires publics de l'eau, dans le cadre de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). La régie de Grenoble, Eau de Paris, le syndicat départemental des Landes, ou encore la régie Noréade du Syndicat interdépartemental des eaux du Nord de la France, étaient également présents. Nous avons ensuite progressivement été rejoints par d'autres opérateurs publics, notamment à la régie publique Eau d'Azur de Nice.

Au travers du Syndicat des eaux et de l'assainissement d'Alsace-Moselle, je salue un modèle reposant sur un fonctionnement mutualisé et public, capable de travailler de manière déconcentrée dans les bassins de vie afin d'élaborer les choix stratégiques, notamment en matière d'investissement et de préservation de la ressource. Il s'agit à mes yeux d'un mode de fonctionnement sérieux, méthodique et démocratique, qui a progressivement permis de couvrir un territoire interdépartemental.

Néanmoins, je continue de privilégier un modèle associant élus, salariés et usagers dans les lieux de décision. Or tel n'est pas le cas au sein du SDEA. C'est pourquoi je milite pour intégrer progressivement, au gré des évolutions législatives, les salariés et les usagers dans les régies directes, qui aujourd'hui ne sont pas tenues de se doter d'un conseil d'exploitation, et encore moins d'un conseil d'administration. La situation est différente concernant les EPIC, notamment dans les régies publiques à simple autonomie ou à personnalité morale qui, depuis 1926, sont les seuls modes d'organisation quasiment autorisés à reprendre la main à l'issue d'une délégation à un acteur privé. Mais le SDEA reste un modèle.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pourriez-vous évoquer les prélèvements de Coca‑Cola à Grigny ?

Permalien
Gabriel Amard

Il m'est toujours difficile d'évoquer ce dossier. Dès le milieu des années 1990, j'ai fait partie des élus s'opposant à l'arrêté du préfet qui nous était soumis, permettant d'ouvrir des droits à pomper dans un aquifère auquel la population n'avait pas accès pour son approvisionnement. À l'époque, l'industriel avait indiqué qu'il avait besoin de cette ressource uniquement pour les usages du site, et non pour la production de ses sodas. Cependant, il a progressivement obtenu des avenants à l'arrêté initial et le volume pompé chaque année est passé de 700 000 mètres cubes à 1,3 ou 1,4 million de mètres cubes, selon les derniers chiffres portés à ma connaissance.

Cet industriel est donc autorisé à pomper dans un aquifère sans verser de redevance à la collectivité gérant l'eau potable. Nous nous étions opposés, dans les différents conseils municipaux environnants, à une telle autorisation. Notre objectif n'était pas d'empêcher une activité créatrice d'emplois, mais de demander que cette production se déroule sur la base du réseau d'eau potable, et non en puisant dans un aquifère situé à 700 mètres de profondeur et qui constitue une réserve pour les générations futures, dans un souci de profit à court terme.

L'audition s'achève à dix heures.