COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences
Mercredi 12 mai 2021
La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de la commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences. Nous tenons à présent une table ronde sur le thème « les investissements dans le renouvellement des réseaux d'eau et d'assainissement et de lutte contre les fuites », réunissant :
– M. Alain Grizaud, président, et Mme Leslie Laroche, secrétaire générale du syndicat professionnel Les Canalisateurs ;
– M. Arnaud Treguer, directeur commercial Europe du Sud et export de Saint-Gobain Pont-à-Mousson.
Madame, messieurs, je vous souhaite donc la bienvenue et vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation.
Je vous donnerai la parole pour une intervention liminaire d'environ 5 minutes, qui précédera notre échange sous forme de questions et réponses. Vous pourrez compléter vos déclarations par écrit.
Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc, Madame, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Grizaud, Mme Laroche et M. Treguer prêtent successivement serment.
Les Canaliseurs sont un syndicat issu de la Fédération nationale des travaux publics. Nous représentons les entreprises posant des canalisations. Nous sommes ainsi des acteurs majeurs en matière de pose des réseaux d'eaux potables, d'eaux usées et d'eaux pluviales. Nous représentons également environ 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur le territoire national, pour un total de près de 34 000 collaborateurs. Nos structures sont quant à elles dimensionnées par des majors et par 80 % de PME, ces dernières comptant entre 2 et plus de 100 compagnons. Nous rassemblons par ailleurs quelques entreprises de taille intermédiaire (ETI).
Nous avons conscience des problématiques de vieillissement et d'obsolescence des réseaux, en raison de l'ampleur des fuites constatées. Un milliard de mètres cubes d'eau sont en effet perdus chaque année par ce biais, soit l'équivalent du volume du lac d'Annecy. Si cette eau est rendue au milieu naturel, elle est tout de même pompée et traitée.
Le taux de renouvellement reste faible, atteignant 0,60 % pour les réseaux d'eau potable et 0,43 % pour les réseaux d'assainissement. Ces derniers constitueront une problématique prégnante dans les années à venir, étant donné qu'ils représentent à la fois l'une des premières sources de pollution et de développement des territoires. Sur le terrain, nous constatons la faible implication des collectivités territoriales concernant ces renouvellements, malgré les dispositifs mis en place à la suite des différentes lois.
Je représente la société Saint-Gobain Pont-à-Mousson, l'un des leaders européens des solutions de canalisation en fonte pour l'eau potable et l'assainissement. En France, nous intervenons très largement auprès des collectivités locales, des canalisateurs, des exploitants de réseaux et des régies. Nous disposons également d'une forte expérience au niveau du centre de recherche et investissons dans la durabilité des matériaux.
Nous nous réjouissons que des commissions d'enquête s'intéressent au sujet des réseaux, car nous tirions la sonnette d'alarme depuis une vingtaine d'années au sujet de leur état en France. Ce constat avait démarré par une analyse de géographes. Le Grenelle de l'environnement a ensuite constitué une première étape. Plus récemment, les Assises de l'eau ont fixé un cap. Il reste toutefois encore beaucoup de travail à accomplir.
Les infrastructures de canalisations constituent des voies essentielles, au même titre que les routes ou les ponts. Il est par conséquent nécessaire de veiller à leur pérennité. De son côté, la France concentre à elle seule la moitié du réseau de canalisations en Europe, avec 1 million de kilomètres de canalisations. Or le taux de renouvellement de 0,6 % conduit ces canalisations à rester en place pendant potentiellement 160 ans, alors que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a estimé leur durée de vie moyenne à 80 ans.
La situation n'est donc plus tenable. Malheureusement, les collectivités locales de la grande ruralité manquent de moyens pour renouveler ces réseaux techniquement très pauvres. Se pose alors un problème d'investissement majeur pour faire face à ce risque de fracture territoriale en matière de canalisations. Le renouvellement devra s'effectuer en tenant compte des nouvelles notions de clauses environnementales et de réciprocité économique. La reprise devra également inclure les canalisateurs et les équipementiers du cycle de l'eau. Pour y parvenir, les acteurs pourront s'appuyer sur le modèle technique français, qui est très au point. Je rappelle enfin que les canalisations représentent 85 % du patrimoine de l'eau.
Quelles principales solutions préconisez-vous concernant le renouvellement des réseaux ? Vous avez pointé un problème de moyen, notamment dans les communes rurales. Existe-t-il d'autres freins importants ?
Les Assises de l'eau ont fixé un taux de renouvellement cible de 1,2 ou 1,3 %. Nous nous apercevons toutefois que ce taux est très rarement atteint, même si le milieu urbain présente beaucoup moins de problèmes que les milieux ruraux et périurbains. Une solution pourrait consister à fixer un taux de renouvellement minimal, car les fuites constituent le symptôme du non-renouvellement. Au niveau de la facture de l'eau, nous pourrions également flécher un renouvellement obligatoire, afin de trouver des financements alternatifs. Pour l'heure, la France des collectivités demeure fortement morcelée.
La valeur totale des conduites du territoire métropolitain s'élève à 300 milliards d'euros. De leur côté, certains services d'eau présentent des facilités à gérer la distribution d'eau potable, alors que d'autres éprouvent des difficultés.
L'acceptabilité de la tarification a été soulignée. Le but est que les usagers puissent soutenir le principe de « l'eau paie l'eau » à travers leur facture. Il est donc important que les dispositifs dont bénéficient les collectivités s'inscrivent dans la solidarité. Les agences de l'eau, qui demeurent l'un des premiers financeurs des réseaux, doivent continuer à la faire jouer.
Nous nous trouvons face à un « mur de l'investissement ». Le patrimoine continue en effet de se dégrader et les fuites ne cessent d'augmenter. Pour autant, le renouvellement des canalisations repose toujours sur un principe de subvention. En effet, les « aqua prêts » lancés à la suite de la loi « Grenelle II », ou loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, n'ont pas rencontré le succès escompté. Il est pourtant nécessaire de changer de paradigme en encourageant les modes de financement alternatifs, tout en maintenant les équilibres budgétaires.
La facture d'eau devrait présenter un pied de compte dédié au renouvellement, pour compléter l'amortissement. Il faudra également veiller à l'équité entre les territoires, car amortir un investissement sur 2 000 ou sur 20 000 abonnés ne revient pas du tout au même. La notion de solidarité devra ainsi être soutenue, à travers les structures accompagnement les collectivités dans leurs investissements.
Dans certains endroits de France, notamment les Outre-mer, il est estimé que 7 litres sur 10 partent dans la nature. À court terme, ne pensez-vous pas qu'un plan d'investissement massif soit nécessaire pour les territoires où les gestionnaires des réseaux ont connu de graves défaillances ?
Une partie du dispositif est déjà en place. Dans le cadre du plan de relance, 50 millions d'euros ont ainsi été fléchés vers les territoires ultramarins. La question est de savoir comment mettre en place ces investissements sur le terrain. Les collectivités devront se saisir du sujet. Pour l'heure, la situation s'explique plus par un manque de projet que par un manque fondamental de financement. Il est en tout cas important que le coût du service soit autofinancé à travers la facture d'eau. Dans le cas contraire, la situation risque de ne pas avoir évolué dans 50 ans.
Je suis favorable à un plan massif, mais à la condition de penser à l'avenir. Il ne faudra pas se contenter de mesures curatives mais également s'inscrire dans une logique préventive. De notre côté, nous tirons la sonnette d'alarme depuis 20 ans concernant les inventaires patrimoniaux, en alertant sur le risque de ruptures de service et d'investissements ne pouvant pas être assignés.
Dans certains territoires, nous faisons face à des situations dramatiques, d'autant que les problèmes actuellement rencontrés par la population n'existaient pas il y a 5 ou 10 ans. La continuité du service public n'est en effet plus assurée à certains endroits, posant la question des plans d'urgence. Pour que ces derniers puissent être mis en place, nous avons besoin de collectivités fortes, d'une maîtrise d'ouvrage dotée de moyens suffisants, ainsi que d'une ingénierie publique à la hauteur. De leur côté, les collectivités territoriales doivent se mettre d'accord avec les syndicats des eaux, ce qui n'est pas toujours simple. Il est en tout cas nécessaire d'investir les moyens nécessaires, de sorte que les ingénieurs des réseaux redeviennent les pionniers qu'ils ont autrefois été.
L'eau circulant dans des tuyaux âgés de 70 ou 100 ans, qui ont été construits avec des matériaux qui ne sont plus fabriqués de nos jours, pose des problèmes de santé publique. Il existe sur ce point une fracture géographique et écologique. Quoi qu'il en soit, les éléments actuellement mesurés dans les réseaux n'étaient pas présents il y a 20 ans.
À votre avis, qui devrait assister les collectivités en matière de montage d'ingénierie et de passation de marchés ?
Nos territoires ruraux souffrent de la disparition des anciennes directions départementales de l'agriculture (DDA), qui jouaient un rôle de conseil et d'accompagnement pour les services d'eau. Désormais, la commande publique de l'ingénierie est réalisée par gestion d'appels d'offres et elle ne correspond plus à un service public. Même si la loi nᵒ 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, a permis des regroupements, un service disposant de quelques centaines d'abonnés éprouvera toujours des difficultés pour trouver une ingénierie privée afin de travailler sur ses problématiques liées à l'eau. Au final, la disparition de cet accompagnement nous a fait prendre du retard.
Les anciennes DDA jouaient effectivement un rôle de conseil pour de nombreux syndicats des eaux ruraux, qui n'avaient pas les moyens de lancer des marchés. Ce dispositif a malheureusement disparu depuis une dizaine d'années et il serait utile de le réinventer. Nous avons également besoin de renforcer l'ingénierie privée, afin de permettre à la maîtrise d'ouvrage de lancer ses projets et de disposer d'une vision à long terme. Il est par ailleurs nécessaire de trouver un moyen pour que les petits syndicats puissent se rapprocher. À l'heure actuelle, beaucoup d'entre eux ne lancent en effet aucun renouvellement.
Monsieur Treguer, avez-vous constaté une différence au niveau du renouvellement des réseaux entre les gestions directes (notamment les régies publiques) et les gestions déléguées au privé ? À ce sujet, une interlocutrice de la commission d'enquête affirmait avoir remarqué que les entreprises privées ont tendance à assurer une réparation de court terme, là où une gestion directe aurait permis de changer la canalisation.
Je ne suis pas convaincu que cette question puisse être résumée à un débat entre public et privé. L'important est que le maître d'ouvrage dispose d'une vision de long terme et d'un plan d'investissement.
Il existe d'excellents services à la fois en régie et en délégation de service public (DSP). La question est de savoir qui porte le renouvellement et l'investissement. Or il s'agit souvent de la collectivité. De plus, la plupart des contrats se limitent à une portion de 15 ou 30 mètres, alors que le renouvellement devrait concerner l'ensemble de l'infrastructure. Un tel renouvellement est à l'initiative de la maîtrise d'ouvrage et non du gestionnaire.
Le maître d'ouvrage doit pleinement s'impliquer dans le renouvellement. Les ingénieurs doivent également reprendre le pouvoir, en retrouvant l'esprit qui prévalait lors de « l'épopée de l'eau » des années 1950-1960. Pour y parvenir, il sera nécessaire d'établir un plan, d'autant que les 5 dernières années n'ont été marquées par aucun changement de braquet, malgré une volonté politique.
Si nous étions à la hauteur en matière de renouvellement de réseaux, disposerions-nous d'un nombre suffisant de professionnels ?
Nous serions effectivement en capacité. À ce propos, la transmission des savoirs demeure notre préoccupation première. Il sera tout de même nécessaire d'offrir de la visibilité aux jeunes que nous souhaitons intégrer. Sur ce point, nous estimons que 2 milliards d'euros par an d'investissement seraient nécessaires à nos réseaux à l'échelle de la France. Rien que par l'effet volume, ce montant permettrait de créer 10 000 emplois dans nos métiers.
Un plan pluriannuel est nécessaire, car le renouvellement des réseaux s'inscrit sur la durée. Une progressivité de la tarification devra être ajustée en conséquence. Les entreprises pourront alors adapter leurs moyens de production et de formation, afin de renforcer l'attractivité du métier. Le but n'est pas simplement de renouveler la pyramide des âges mais bien de créer de nombreux emplois.
Nous sommes prêts à relever le défi, en proposant des matériaux robustes et durables. S'il est suffisamment lisible, le plan d'investissement permettra également au monde industriel de se préparer et d'investir. Le savoir-faire pourra ensuite être exporté dans le cadre des projets financés par la France à l'international, par exemple via les fonds publics d'aide au développement.
En France, le code des marchés publics permet d'instaurer des clauses environnementales et de réciprocité économique, afin d'établir une juste concurrence. L'enjeu est que des industriels français et européens puissent bénéficier des investissements publics dans le secteur de l'eau. À ce propos, les équipementiers français du cycle de l'eau présentent de nombreux atoutt.
La solution consistant à ajouter une ligne « renouvellement » à la facture d'eau pourrait fonctionner sur le long terme, mais elle semble plus compliquée à mettre en œuvre à court terme. Par exemple, lorsqu'une entreprise privée sous-investit dans les réseaux, comme c'est le cas en Guadeloupe, il n'est pas facile de faire peser le renouvellement sur l'usager.
Ces cas nécessitent un traitement particulier. Si le sous-investissement se poursuit, d'autres territoires ruraux pourraient en tout cas connaître une situation similaire. En effet, la structuration de leurs services ne leur permettra pas de se remettre à niveau, même avec une eau à 10 ou 20 euros le mètre cube. Il faudra donc faire jouer la solidarité territoriale.
À l'après-guerre, une tarification unique a été adoptée sur l'ensemble du territoire dans le domaine de l'énergie. Une telle mesure n'a en revanche pas été prise en matière d'eau potable. Or sera très difficile de revenir en arrière. Nous avons en tout cas besoin de créer de nouveaux fonds de solidarité, car les territoires ont besoin d'être accompagnés afin de pouvoir investir.
Il est toutefois que le prix de l'eau puisse être fixé à 0,50 euro le mètre cube sur certains territoires, alors que le coût moyen en France s'élève à environ 2,40 euros. De leur côté, les agences de l'eau accompagnent souvent leurs aides d'un pied de compte sur la tarification de l'eau. La notion de solidarité reste en tout cas importante, car certains territoires ne parviendront pas à se relever.
Sur certains territoires ruraux, la solidarité sera effectivement nécessaire. À ce propos, les zones rurales comptent 20 mètres de canalisation par habitant, contre 3 mètres en territoire urbain. Il est donc nécessaire de mettre en place un « plan Marshall » dans des régions comme la Guadeloupe. Ce plan devra inclure une ingénierie publique forte et des moyens supplémentaires. Quoi qu'il en soit, la situation de certains territoires n'est pas acceptable.
Que pensez-vous du décret n° 2012-97 du 27 janvier 2012 relatif à la définition d'un descriptif détaillé des réseaux des services publics de l'eau et de l'assainissement et d'un plan d'actions pour la réduction des pertes d'eau du réseau de distribution d'eau potable, dit décret « fuites », issu de l'engagement 111 du Grenelle de l'environnement ? Comment jugez-vous l'application de ses dispositions, ainsi que leur efficacité ?
Ce décret inclut des obligations réglementaires en matière de connaissance patrimoniale, à travers la base de données du système d'information des services publics d'eau et d'assainissement (SISPEA). À ce jour, seuls 50 % des services d'eau ont rempli cette base. En ce qui concerne l'assainissement, le chiffre se situe entre 40 et 50 %. De son côté, l'indice de connaissance patrimoniale affiche une moyenne de 100 points sur 120 pour l'eau et de 63 points pour l'assainissement.
Il ne sera pas possible de réaliser des investissements ciblés sans une bonne connaissance des réseaux. Or sur le terrain, il nous arrive parfois de passer des heures à chercher la localisation des conduites. Cette situation découle de la disparition des cantonniers et des fontainiers, qui détenaient le savoir en matière de réseaux. Il est de notre devoir de retrouver cette connaissance.
À la suite du Grenelle II en 2012, de nombreux dispositifs et financements ont été mis en place dans l'optique de procéder à des inventaires patrimoniaux. Malheureusement, les services n'ont pas manifesté leur volonté de les réaliser. Aucun moyen n'avait en effet été mis en place pour contraindre les services d'eau de plus de 3 500 habitants à effectuer ces inventaires patrimoniaux.
Il sera nécessaire de mettre en place une métrologie, afin de connaître l'ampleur des besoins de chaque service. Pour y parvenir, cette mesure devra devenir une obligation et non plus seulement une recommandation. Au-delà de la coercition, la pédagogie sera également nécessaire, de même que la fixation d'un cadre réglementaire avec un objectif. La problématique de l'eau devra par ailleurs sortir du champ électoral.
Le SISPEA constituait une première étape et et le Grenelle II a fixé un cap. Le taux de remplissage de la base s'avère toutefois décevant. Or il est indispensable de connaître l'état de nos réseaux si nous souhaitons pouvoir agir. Une part de coercition sera donc probablement nécessaire. Nous devons en tout cas prendre les devants si nous souhaitons faire face aux enjeux du futur. La même problématique se posera au sujet de l'assainissement. Dans le cas du SISPEA, la bonne volonté n'a en tout cas pas suffi.
Plusieurs collectivités s'appuient de plus en plus sur des outils technologiques pour assurer la qualité de leurs réseaux. Des robots intelligents diagnostiquent par exemple l'état des canalisations. S'agit-il selon vous d'une bonne solution ?
C'est une excellente solution patrimoniale, qui permet de calculer le taux de défaillance des conduites. Ces outils fournissent une aide pour l'analyse et la prédiction. Il existe également des outils numériques de métrologie visant à caractériser le service. Toutes ces techniques interviennent au service du renouvellement et permettent de mieux cibler les investissements, même si des renouvellements d'opportunité subsistent. Le coût et l'efficience technique de ces outils devront tout de même être pris en compte, de même que l'acceptabilité des usagers.
Il existe toutes sortes de technologies préalables au diagnostic, comme l'analyse des matériaux par ondes acoustiques. Il est ainsi désormais possible de prédire la durée de vie d'une canalisation, ainsi que de réaliser des remplacements prédictifs. Avant de procéder à ces analyses, il est nécessaire de connaître le patrimoine, à l'aide d'importants travaux préparatoires. À l'avenir, des puces placées dans les canalisations pourront même prédire les fuites, même si les canalisations impliquent toujours de lourds investissements. Au final, la technologie représente l'une des solutions, au service d'une politique.
Quelles solutions préconisez-vous en matière de connaissance du patrimoine ? Quels moyens les collectivités doivent-elles conserver ?
Il est nécessaire de remettre à plat l'ensemble de nos bases de données partagées, en s'appuyant sur la technologie. La mémoire des réseaux ayant disparu, nous devons adopter des outils technologiques pour les investiguer, de manière non intrusive. Des géoradars pourront par exemple être utilisés. Pour y parvenir, il faudra disposer des moyens nécessaires, créer le bon outil et l'encadrer par de l'ingénierie.
Cette ingénierie fait actuellement défaut au sein des services. À travers le regroupement en établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) mieux structurés, la loi NOTRe visait à offrir ces capacités techniques. Nous constatons cependant que l'objectif n'est actuellement pas rempli. Nous devons donc retrouver cette ingénierie, afin de combler les manques ayant causé la situation que nous vivons.
Nous avons effectivement un vrai problème d'ingénierie, car de nombreuses régies manquent d'ingénieurs et de personnel formé. Cet élément constitue un véritable goulot d'étranglement. Par ailleurs, un projet de canalisation dure généralement deux ou trois ans. Il est donc nécessaire de disposer de plus d'ingénieurs sur le terrain.
Quel regard portez-vous sur les fuites en outre-mer, plus particulièrement en Guadeloupe ?
Leur taux s'avère plus qu'inacceptable. Cette situation est liée au sous-investissement en matière de renouvellement, ainsi qu'à la défaillance de la maintenance des réseaux.
En tant que garant de la qualité du service, le maître d'ouvrage est selon moi le premier responsable. Celui-ci ne doit pas se défausser de sa responsabilité en cas de délégation de la gestion du réseau à une régie ou à un délégataire privé. Je pense donc que la maîtrise d'ouvrage détient une responsabilité importante en matière de gestion des fuites ou de qualité du service.
Pensez-vous que la maîtrise d'ouvrage disposait de moyens suffisants au cours des dernières années pour réaliser le contrôle ?
Je ne peux pas me prononcer sur le cas de ce réseau spécifique. Pour ce qui est des territoires métropolitains, en revanche, la maîtrise d'ouvrage en a les moyens. Quoi qu'il en soit, une délégation ne peut pas être utilisée comme prétexte pour se désintéresser du service.
Le taux de renouvellement des réseaux d'assainissement s'avère plus faible que celui des réseaux d'eau potable. Pouvez-vous détailler les conséquences impliquées par cette situation ?
Les équipements destinés à l'assainissement sont nettement postérieurs à ceux utilisés pour l'eau potable. En France, la longueur du réseau atteint ainsi 996 000 km pour l'eau potable, contre 380 000 pour l'assainissement. Ces réseaux d'assainissement se concentrent majoritairement dans les zones agglomérées. Les matériaux installés à une certaine époque favorisent également la formation de sulfure d'hydrogène (un gaz hautement corrosif), en plus d'être exposés à des cassures. De plus, ces réseaux sont parfois sous-entretenus. Au final, leur durabilité s'avère inférieure à ce qui était initialement prévu, d'autant qu'ils sont plus sollicités que par le passé. Pour leur part, les tuyaux en polychlorure de vinyle (PVC) sont sensibles à la déformation et laissent entrer de l'eau parasite.
Tous ces réseaux d'assainissement posés il y a 20 ans se trouvent déjà en bout de course. Il en résulte une pollution diffuse, notamment à cause des dérivés médicamenteux. De plus, ces réseaux nécessitent d'être régulièrement renouvelés, en raison de leur situation en zone hyper-urbanisée. Malgré l'existence de techniques moins invasives, leur renouvellement sera bien plus coûteux que pour l'eau potable.
En matière d'assainissement, les investissements réalisés présentent une qualité nettement moindre qu'en ce qui concerne l'eau potable. Nous en payons aujourd'hui les conséquences. Si les réseaux d'eau potable ont une durée de vie d'au moins 50 ans, les réseaux d'assainissement ont besoin d'être réparés au bout de seulement 30 ans. Il existe également une problématique au niveau de la pollution des sols. De manière générale, l'assainissement passe souvent après l'eau potable, alors que ces deux sujets sont pourtant liés.
Le taux de renouvellement de 0,6 % actuellement affiché par la France n'est plus tenable. Malgré l'essor des nouvelles technologies, nous devons porter ce chiffre à 1,2 %, comme défini dans le cadre des Assises de l'eau. Nous pourrions par exemple inclure à la facture un élément ciblant le renouvellement, en s'appuyant sur la solidarité entre les territoires.
Il est également nécessaire d'accorder plus de pouvoirs à la maîtrise d'ouvrage publique, en évitant son morcellement. Or pour l'heure, la France compte une dizaine de milliers de services détenant la responsabilité de l'eau, chiffre largement supérieur à celui de l'Italie, de l'Allemagne ou de l'Espagne. Ce fractionnement complique l'identification du décisionnaire en matière d'investissement.
Merci d'avoir pris le temps de répondre à nos questions. Si vous le souhaitez, vous pourrez compléter vos réponses par écrit.
La réunion se termine à dix-sept heures cinquante-cinq.