COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences
Jeudi 20 mai 2021
La séance est ouverte à quatorze heures.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à la table ronde réunissant des agences de l'eau et offices de l'eau :
– Mme Sandrine Rocard, directrice générale par intérim de l'agence de l'eau Seine-Normandie ;
– Mme Nathalie Evain-Bousquet, directrice du programme et des interventions de l'agence de l'eau Seine-Normandie ;
– M. Guillaume Choisy, directeur général de l'agence Adour-Garonne ;
– M. Faiçal Badat, adjoint au directeur général, en charge du développement durable des territoires, au sein de l'office de l'eau de La Réunion.
Mes chers collègues, nous allons auditionner en table ronde trois agences de l'eau et offices de l'eau avec Mme Sandrine Rocard, directrice générale par intérim de l'agence de l'eau Seine-Normandie, Mme Nathalie Evain-Bousquet, directrice du programme et des interventions de cette agence, M. Guillaume Choisy, directeur général de l'agence Adour-Garonne, ainsi que M. Faiçal Badat, adjoint au directeur général, en charge du développement durable des territoires, au sein de l'office de l'eau de La Réunion. Mesdames et messieurs, je vous souhaite donc la bienvenue et vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc mesdames et messieurs à lever la main droite et à dire « je le jure ».
Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.
Je commencerais par quelques mots pour présenter le contexte des agences de l'eau et les agences en elles-mêmes. Les agences de l'eau sont des établissements publics d'État, la compétence de la gestion de l'eau étant confiée aux collectivités locales. Nous jouons un rôle de solidarité urbain/rural, amont/aval et intergénérationnel par plusieurs éléments :
– l'analyse et le suivi des données, plus de 3 millions de données étant gérées par l'agence Adour-Garonne, tandis que 21 millions de données sur la qualité de l'eau le sont au niveau national ;
– la préparation des schémas directeurs pour six années des politiques de l'eau, soit la déclinaison de la directive-cadre 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, qui est d'ailleurs en révision pour une adoption prévue en début d'année 2022. Ce schéma pose pour rappel le cadre d'intervention des agences et des différents acteurs et des politiques publiques de l'eau ;
– un programme d'intervention Voir/Juger/Agir sur six ans et révisé tous les trois ans.
En termes de gouvernance, la métropole compte sept bassins de l'eau, ainsi que des offices en outremer. La représentation y est plurielle avec des élus, des représentants économiques, associatifs et du collège de l'État. Les conseils d'administration sont quant à eux présidés par les préfets de bassin, l'État n'y représentant qu'un tiers des membres. Nous sommes dans ce contexte les accompagnateurs des politiques de l'eau et de la biodiversité depuis la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. À ce titre, nous finançons l'ensemble des mesures grâce à nos redevances basées pour un tiers sur les redevances agricultures et industrielles et les deux tiers restant en provenance des collectivités locales. 50 % des budgets d'une agence ciblent directement l'eau et l'assainissement, soit les enjeux qualitatifs de l'eau potable et les investissements sur les stations d'épuration, avec pour objectif qu'elles n'impactent plus la qualité des environnements d'ici à 2027. Nous intervenons également sur les actions en lien avec le réchauffement climatique, pour près de 50 % de nos interventions, sur des enjeux liés à l'eau potable, à l'évolution des modèles agricoles et à la préservation de la ressource, le développement de l'agriculture bio et l'entretien du milieu aquatique afin de garantir la qualité des eaux. La préservation des zones humides en fait par exemple partie. Ces enjeux sont nouveaux pour les agences et viennent compléter des responsabilités historiques.
Sur nos agences, l'impact du changement climatique est particulièrement fort, avec de faibles débits historiques dus à la géographie de notre milieu. Le volume d'eau dans la Garonne est par exemple trois fois inférieur à celui du Rhône. La Garonne et ses affluents sont donc vulnérables aux longues périodes de sécheresse et à une température de l'eau facilement élevée, aux difficultés d'usage, etc. 45 % des prélèvements concernent les rivières, et représentent 60 % de l'alimentation de la population du bassin Adour-Garonne. L'impact de la température de l'eau sur sa qualité est l'une de nos préoccupations majeures.
L'agence de l'eau Seine-Normandie a de même de multiples rôles – la mise en œuvre de la politique de l'eau, la connaissance du milieu la planification des outils pour la gestion de l'eau, une expertise technique, être une mutuelle pour le bassin – les ressources principales étant les redevances que tous les acteurs du bassin agissant sur la ressource en eau, en la prélevant ou la polluant, acquittent. Elles représentent pour le bassin Seine-Normandie 679 millions d'euros de redevances encaissées en 2020. Une très large part de celles-ci est acquittée par les consommateurs, sur leur facture d'eau, sans oublier les acteurs économiques comme les agriculteurs ou les industriels. Tous ces acteurs se retrouvent au sein du comité de bassin qui définit les grandes orientations de la politique de l'eau. Ces orientations sont donc issues de la concertation entre les acteurs, dans une recherche d'équilibre entre les différents intérêts et visions au sein du bassin. S'y regroupent 40 % de parlementaires et de représentants des collectivités territoriales, 20 % représentants de service de l'état et d'établissement public, 20 % d'usagers économiques et 20 % d'usagers non économiques comme les associations de protection de la nature ainsi que différentes personnalités qualifiées. Cette gouvernance est originale et se décline dans les sous-bassins. Elle est destinée à la gestion d'un bien commun en construisant une stratégie partagée et en mettant en commun les efforts toujours sur la base de concertation des acteurs. Les différents intérêts représentés doivent s'entendre avec pour guide l'intérêt général.
Les grandes orientations produites par cette gouvernance sont notamment le schéma directeur d'aménagement et des gestions des eaux, s'appuyant sur un état des lieux des différents cours d'eau et nappes du bassin. Il fixe en outre des objectifs environnementaux à atteindre et un programme de mesures associées permettant de faire progresser l'état des eaux du bassin.
Le comité de bassin adapte un volet financier propre à l'agence, les programmes d'intervention. À travers ce programme, l'agence verse des aides sous forme de subventions ou d'avances remboursables pour des études, des travaux, etc. Dans nombre de domaines, les collectivités sont les porteurs de projet, notamment les intercommunalités qui disposent de la compétence en matière d'eau, d'assainissement et de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations. Pour le bassin Seine-Normandie, les aides représentent 423 millions d'euros en 2020 pour des projets allant de la protection des captages et de l'alimentation en eau potable aux stations d'épuration et aux réseaux d'assainissement. D'autres opérations sont portées par d'autres maîtres d'ouvrage, notamment des acteurs privés, par exemple les actions d'accompagnement de l'agriculture vers des systèmes d'exploitation favorables à la ressource en eau. Ces aides représentent 138 millions d'euros en 2020.
Des priorités ont été fixées en fonction du schéma directeur et de la pertinence environnementale des projets financés. L'agence de l'eau a besoin d'être efficace et de se fixer des priorités, car ses moyens humains et financiers sont limités et encadrés. La priorité n° 1 est d'atteindre le bon état écologique des eaux en mettant l'accent sur les actions préventives et en tenant compte du contexte de changement climatique. Les interventions de l'agence sont en évolution avec un élargissement vers le grand cycle de l'eau, la biodiversité, etc. Nous développons en outre notre politique contractuelle afin de motiver les maîtres d'ouvrages et de planifier sur la durée les projets paraissant les plus pertinents. Une autre priorité est par exemple ressortie des assises de l'eau de 2018, pour le 11ème programme d'interventions : aider les collectivités à faire face au mur d'investissements auquel certains sont confrontés, et faire jouer la solidarité entre les zones urbaines et rurales.
Les offices de l'eau en outremer ont été créés par la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer.
Nos missions ressemblent à celles évoquées précédemment et portent sur ce qui relève de l'observation de la ressource en eau, des milieux aquatiques et des usages de l'eau ; l'expertise, l'appui technique et la sensibilisation sur l'eau ; l'appui financier et la programmation des études et travaux. Quelques différences apparaissent toutefois par rapport aux agences de l'eau : établissements publics locaux et non pas nationaux ; comité de l'eau et de la biodiversité jouant le rôle de comité de bassin et de comité régional de la biodiversité. Entre territoires ultramarins, nous avons de même des spécificités propres à nos réalités. L'établissement public est local, et rattaché pour la Martinique et la Guyane à la collectivité territoriale alors qu'en Guadeloupe et à La Réunion ils sont rattachés au département. Mayotte ne dispose quant à elle toujours pas d'office de l'eau.
S'agissant de celui de La Réunion, l'office de l'eau existe depuis 20 ans et a réussi son ancrage territorial à travers :
– une programmation d'interventions pluriannuelles s'apparentant à un véritable projet de territoire en cohérence avec le SDAGE ;
– une production consolidée de connaissances sur l'eau et les milieux aquatiques catalysée par la directive-cadre de 2020, l'eau amenant nombre de moyens et permettant d'obtenir des informations mises aujourd'hui à disposition des opérateurs à travers le système d'information sur l'eau de La Réunion.
L'organisation a mis en exergue un service dédié à l'appui des autorités organisatrices de l'eau et au service public de l'eau de l'assainissement : expertise technique, mutualisation de connaissances, réseau d'acteurs, aides financières, etc.
Le rayonnement de l'office de l'eau ne s'arrête pas à La Réunion et s'étend sur les autres îles de l'Océan indien à travers des opérations de coopération régionales et internationales. Ces dimensions traduisent notre rôle d'animation principale pour l'inclusion des stratégies européennes et nationales sur le territoire en partenariat avec la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL).
Quelques enjeux : l'ingénierie de programmation et la capacité à programmer les études et les travaux sur un cycle de gestion de la ressource en eau dans une adéquation grand cycle/petit cycle en prenant en compte l'impact du changement climatique sur un territoire insulaire ; l'alternance des cycles humides et secs ; l'élévation des niveaux marins impactant l'accès aux eaux souterraines ; la maîtrise des transferts des pollutions avec la mise en place des stations d'épuration ; la biodiversité aquatique avec une spécificité locale et un enjeu de continuité écologique sans oublier le rôle prégnant des zones humides et du récif corallien.
Diverses réponses sont apportées : des outils de planification et de programmation, comme le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) ; le plan Eau-DOM de 2016, débouchant sur des contrats de progrès.
Les ordres de grandeur sont bien différents. Les recettes sont principalement issues des redevances des usagers de l'eau. Nous travaillons sur des cycles de six ans et sommes calqués sur la période du SDAGE. Sur 2016-2021, nous avons reçu 76 millions d'euros de redevances, sachant que la prochaine programmation sera de l'ordre de 72 millions d'euros, 90 % de ces recettes affectant la facture d'eau par les redevances de pollution domestiques et prélèvement. Les deux tiers de cette somme partent en aides financières aux porteurs de projet, principalement aux autorités organisatrices de l'eau et de l'assainissement. Sur la période, nous avons consacré 50 millions d'euros et envisageons 42 millions d'euros d'aides en appui aux porteurs de projet pour la prochaine période.
Pensez-vous que l'équilibre des redevances selon le principe pollueur-payeur est juste et avez-vous des préconisations à faire sur une meilleure application de ce principe ? Comment sont-elles calculées sur les prélèvements ? La commission d'enquête a notamment été surprise que Nestlé prélève de l'eau pour l'embouteillage en payant une redevance très faible par rapport à son activité.
Plusieurs types de redevances sont captés : celles des industriels, basées sur le volume d'eau, celles des industriels à destination des collectivités lorsqu'elles sont connectées et celles des usagers. Le principe pollueur-payeur sert à financer la solidarité. Les redevances sont affectées aux agences pour soutenir des projets et actions concourant à la diminution des rejets sur l'eau et à la reconquête de la bonne qualité. Les redevances du monde agricole sur les pollutions diffuses et les consommations d'eau utilisent des taux encadrés et définis par les comités de bassin qui peuvent faire évoluer les plafonds chaque année. Pour rappel, nous sommes soumis à un plafond national concourant à la régulation de la fiscalité sur les citoyens. Depuis quatre ans, les plafonds sont au niveau de la redevance. En 2020, six millions d'euros ont été remontés à l'État sur une redevance de deux milliards d'euros. Nous sommes donc bien à l'équilibre. Les redevances de l'eau fonctionnent bien, sachant que pour la biodiversité, nous restons dans le domaine de l'intervention.
Vous considérez donc aujourd'hui que l'équilibre entre usagers et industriels est bien respecté ou bien les redevances de certains industriels ou secteurs économiques doivent-elles être augmentées pour que le principe pollueur-payeur soit mieux appliqué ?
Le choix ne nous incombe pas. Il est politique. En Adour-Garonne, la part redistribuée aux industriels représente 10 % de la politique d'aide, alors qu'ils contribuent à hauteur de 15 %. Nos moyens ciblent de fait largement les collectivités et l'agriculture. 70 % de nos ressources proviennent des collectivités et l'équivalent y retourne sur des projets. 20 % des actions retournent aux agriculteurs pour une contribution au budget de l'ordre de 15 %. L'équilibre entre les acteurs économiques est apparent.
Pour ce qui est de l'équilibre, sur notre bassin, nous avons rééquilibré entre le secteur domestique et les autres redevables puisque la part du secteur domestique atteignait 93 % par le passé. Ce système de mutualisation impose une cotisation et un financement de projet d'intérêts communs en mettant l'accent sur des enjeux identifiés. Nous ne raisonnons pas en taux de retour. Aujourd'hui, l'eau paye l'eau, mais également la biodiversité. Nous pourrions parvenir à un meilleur équilibre des redevances en intégrant de nouvelles assiettes. Par ailleurs, au sujet des redevances pour prélèvements, il ne s'agit pas d'une fiscalité affichant une tarification incitative, comme une note du Commissariat général au Développement durable (CGDD) de 2012 l'a démontré. Cet instrument n'est pas suffisamment utilisé comme un instrument économique permettant de gérer la consommation de la ressource.
Sur le territoire de La Réunion, les redevances sont des outils de solidarité du territoire. 90 % des redevances impactent directement les usagers de l'eau. Les autorités organisatrices, et donc les usagers, représentent 99 % des demandeurs. Sur un budget de 11 millions d'euros par an, la redevance prélèvement représente seulement 1,5 million d'euros, principalement issus des prélèvements d'usages domestiques.
Merci pour ces éléments. Pourriez-vous nous fournir quelques précisions sur l'impact de l'instauration du « plafond mordant » sur vos activités et modes de fonctionnement ? Est-ce déresponsabilisant ? Comment conciliez-vous vos nouvelles compétences en matière de protection de la biodiversité avec la réduction de vos moyens financiers ?
Nous ne sommes pas concernés.
Deux éléments doivent être distingués : le plafond de recettes pour les agences qui a baissé au fil du temps et notamment entre le 10ème et le 11ème programme ; le reversement à l'État en cas de dépassement. La baisse du plafond permet de faire participer les agences à la baisse de la pression fiscale avec pour effet une baisse de la capacité d'intervention puisqu'il s'agit là de nos seules ressources. Le caractère mordant impliquant un reversement au budget de l'État demande un pilotage fin de chaque agence pour respecter le plafond et préserver le rôle de mutuelle du bassin.
La baisse de nos recettes impose de fixer des priorités d'intervention en fonction du SDAGE, en ciblant les projets ayant un impact environnemental et répondant aux enjeux du changement climatique. Les moyens financiers sont en baisse, mais les moyens d'action restent significatifs. Les moyens humains sont bien plus limitants, avec 25 % des effectifs supprimés en 10 ans. Nous avons besoin de personnes sur le terrain.
Je souscris à ces propos. Le plafond mordant a des effets d'inquiétude plus que de réalité, car nous conservons des capacités de moyens. Le modèle fonctionne encore bien. Nous avons mis en place une stratégie de sous-bassin par sous-bassin, car les solutions peuvent varier en local, par exemple entre la Dordogne et la Charente. Les sols sont différents, les activités agricoles de même. Tous ces éléments nécessitent de travailler sur des stratégies territoriales ciblant les actions prioritaires. Nous cherchons les projets les plus impactant afin de les financer en priorité. Nous sommes par ailleurs dans une situation ou la solidarité est bien plus forte entre urbain et rural, les milieux urbains contribuant dans un facteur de 1 pour 10, dans une réelle démarche de solidarité. Le manque d'ingénierie est parfois criant en milieu rural, l'agence apportant alors de la connaissance pour construire des projets pertinents, car le projet voisin ne peut pas toujours être calqué sur un territoire. Cet enjeu d'équilibre des territoires est majeur, notamment pour les projets de préservation de la ressource en eau. Encore une fois, le système économique fonctionne relativement bien, nous ne manquons pas de moyens, mais nous avons besoin de perspectives sur le long terme, afin de se donner du temps sur les résultats, ces derniers pouvant apparaître au bout de 15 ou 20 ans, par exemple sur l'état des nappes phréatiques.
Il n'est pas de notre ressort d'en juger. L'incidence est réelle sur les moyens, mais tout dépend de quelle manière le plafonnement est géré par la suite. Il participe à la régulation de la pression fiscale sur le territoire national.
Le plafonnement ajoute de la complexité, incontestablement. Il est appréciable pour ce qui est de la baisse de la pression fiscale, mais il apporte de la complexité en termes de gestion de la redevance.
Je ne parle pas de la baisse de la pression fiscale, mais de l'impact du plafonnement sur les agences de l'eau.
Sur un bassin comme le nôtre, la question des moyens est à équilibre sur l'année 2021 grâce au plan de relance. Sur les prochaines années, sans la contribution des collectivités locales et leurs politiques d'intervention, nous n'aurions pas la possibilité de mener l'ensemble des projets nécessaires à la sauvegarde d'une eau en quantité et en qualité suffisante. Les enjeux du changement climatique imposent des investissements importants. La question de la régulation dans le temps se pose effectivement, sachant que l'adaptation en fonction des besoins en fiscalité est nécessaire pour que le bassin puisse faire face aux réalités de son territoire. Le plafond fiscal peut être une limite empêchant la mise en œuvre des actions nécessaires à la préservation du bon état des eaux ?
Le plafonnement est donc complexifiant et limitant, ce qui impose des adaptations dans les années à venir.
Je rejoins ces propos. Tout dépendra de la trajectoire suivie par le plafond mordant. S'il est diminué brutalement alors que les besoins de financement ne sont pas réduits, l'impact sera certain. Il nous oblige cependant à prioriser les projets, ce qui est, dans un sens, un avantage.
Si je comprends bien, vous ne priorisiez pas les projets avant la mise en place du plafond mordant.
Si, mais nous sommes poussés à davantage prioriser désormais.
Nous avions des priorisations budgétaires et nous avons maintenant mis en place des priorisations ciblant les travaux que nous souhaitons voir émerger sur le territoire. Nous sommes désormais proactifs, grâce à cette évolution du plafond. Cette démarche nécessite toutefois un travail plus important avec les collectivités.
Pas exactement. La priorisation est appréciable, mais le plafond mordant reste limitant pour nos capacités de financement. Prioriser revient parfois à se confronter à des enjeux plus complexes, techniques et politiques.
Le plafond mordant est donc complexifiant, il pousse à la priorisation, tout en étant appréciable dans une logique d'allègement de la pression fiscale. Au final, est-il bon pour les agences de l'eau ?
Il n'est pas spécialement bon pour les agences de l'eau, les communautés de bassin et l'ensemble des acteurs de l'eau. Le plafond pourrait être délétère, pénalisant, s'il reste figé. Cette inquiétude est remontée par les présidents de comité de bassin.
Comment jugez-vous l'état des nappes phréatiques et des cours d'eau dans votre aire de compétences en termes de qualité des eaux et en termes de maintien de la quantité de ressource ?
Tous les six ans, nous avons une vision exhaustive de l'état des masses d'eau grâce à un état lieu fixé par la directive-cadre. La dernière vision date de 2019. Pour notre bassin, les eaux superficielles se caractérisent par un état écologique bon ou très bon pour 32 % des cours d'eau, 43 % étant en état écologique moyen. À critères constants, le nombre de masses d'eau en bon état est en hausse de 8 %. Seules 18 % des eaux souterraines affichent cependant un état chimique bon ou très bon. 93 % des nappes affichent en outre un bon état quantitatif, même si un déséquilibre apparaît dans certaines zones. Les eaux superficielles sont souvent en mauvais état du fait de l'hydromorphologie, de la présence de pesticides, de macropolluants et de micropolluants. Les actions lancées permettent de tendre vers ce bon état écologique.
Suite à l'exercice de l'état des lieux, nous avons observé un certain nombre de problématiques sur nos cours d'eau. S'agissant des masses des cours d'eau, les difficultés concernent avant tout la continuité écologique, alors que les paramètres chimiques et physico-chimiques affichent des résultats plus satisfaisants. Pour ce qui est des masses d'eaux souterraines, les résultats sont satisfaisants, sauf pour les secteurs ouest de l'île en lien avec la proximité de la mer et donc des inclusions salines et du fait de la présence d'activités agricoles générant la présence de produits phytosanitaires en hausse. Les eaux littorales sont de même satisfaisantes, à l'exception des lagons plus pollués et plus sensibles. Nous disposons d'encore peu de méthodes et de normes adaptées à un contexte intertropical pour les étangs. S'agissant de la qualité par rapport aux usages, l'eau est de bonne qualité, malgré quelques difficultés liées à des pollutions diffuses issues de l'absence d'assainissement collectif par endroits et des intrants agricoles. Le climat intertropical impose en outre des difficultés d'accès à l'eau, au moment de l'étiage, principalement du fait d'un manque d'infrastructures adaptées.
Nous cumulons 144 masses d'eaux souterraines en Adour-Garonne. Elles sont dégradées à près de 40 %, principalement du fait de pollutions diffuses liées au modèle agricole, et notamment des accumulations de pesticide sur les zones viticoles, arboricoles et céréalières. Les nappes profondes sont en déséquilibre quantitatif, des plans d'actions permettant normalement de retrouver un équilibre d'ici quatre ans. Sur les nappes superficielles, 50 % sont en bon état, l'objectif de passer à 70 % ayant été fixé pour 2027. Pour les masses d'eaux souterraines, le travail est de long terme sur les captages et les filières agricoles.
Vous avez donc indiqué que pour 144 masses d'eaux souterraines, 40 % sont dégradées par l'activité agricole. Cette dégradation est-elle importante selon votre expérience ?
En effet. Le bassin regroupe un tiers des agriculteurs français. Nous entrons cependant dans une nouvelle ère avec un virage pris sur l'agroécologie. Plus de 900 exploitations ont adhéré au dispositif de paiement pour services environnementaux, ce qui produit des effets. Les impacts du passé sont cependant toujours très présents, 10 à 15 ans d'actions étant parfois nécessaires pour les contrer. Le sol est imprégné de molécules maintenant interdites. Le monde agricole a saisi ces enjeux et a pris le virage de l'agriculture biologique, avec 15 % de la superficie passée en bio sur le territoire de l'agence Adour-Garonne.
Pouvez-vous estimer le temps nécessaire pour retrouver une qualité des masses d'eaux souterraines au-delà des 70 % ?
La réponse variera en fonction des sols. Un sol sableux est nettoyé plus rapidement de ces intrants. Nous fixons des objectifs adaptés en fonction de ces sols, sachant que les eaux souterraines sont moins réactives que les eaux de surface.
Le plus long est difficile à estimer. Nous ne sommes pas en capacité de définir un temps pour chaque masse d'eau. La phase de reconquête peut être inférieure à 10 ans sur certaines masses d'eau, en fonction des substances, de la profondeur, etc. Nous devons être attentifs à ne pas prendre des engagements irréalisables et nous laisser le temps.
Les taxes sur les pollutions diffuses, liées à l'agriculture ou aux activités chimiques, ont été augmentées de 50 millions d'euros voici deux ans par le gouvernement. Elles ont pour objectif d'être incitatives et de limiter l'utilisation de ces produits. L'achat d'un pesticide est ainsi taxé afin d'en limiter consommation et de financer des actions de préservation des sols.
Je ne dispose pas de cette donnée. L'ensemble des agriculteurs est concerné par des taxes lors des achats de produits phytosanitaires.
Les atteintes sous forme de pollution des eaux sont taxées à travers quatre redevances pollutions :
– la redevance pour pollution de l'eau d'origine domestique, ciblant les stations d'épuration avec 363 millions d'euros pour le bassin Seine-Normandie ;
– la redevance pour pollutions non domestiques, provenant des industriels, avec 15 millions d'euros sur le bassin ;
– la redevance pour pollutions par des activités d'élevage, calculée en unités de gros bétail, pour 0,62 million d'euros ;
– la redevance pour pollutions diffuses, évoquée précédemment, soit 32 millions d'euros sur le bassin pour 2021.
Pour La Réunion, sur 100 euros de redevances, 77 euros proviennent de la pollution domestique, 5,5 de la pollution non domestique et 4 euros de la pollution diffuse payée à la vente de produits phytosanitaires par les agriculteurs.
J'ai noté que les principales dégradations sont dues aux agriculteurs qui contribuent finalement très peu. Est-ce normal ?
Vous raisonnez là en taux de retour, ce qui n'est pas le mode de raisonnement des bassins. Le niveau de redevance est fixé, et les dépenses dépendent des priorités fixées par l'agence de l'eau.
Nos ressources proviennent en partie de l'agriculture et en partie d'autres secteurs.
Si, car les 18 millions d'euros de redevances captées pour les pollutions diffuses sont quasi intégralement reversés en actions ciblant les filières agricoles. La pollution domestique impacte grandement les rivières, et elles représentent 70 % des redevances sur le bassin. 600 stations impactent à ce jour la qualité de l'eau et nécessitent des investissements massifs, dans un principe de solidarité entre collectivités. Notre premier objectif est de respecter la directive-cadre sur l'eau.
Ce n'est pas le seul, et tout ne repose pas sur ce principe.
Ce ne sont pas mes propos. Je vous laisse en tant que député en faire l'analyse à partie des éléments que nous vous apportons.
Lors des 9ème et 10ème programmes, les investissements ciblaient principalement le secteur de l'eau et de l'assainissement. Une grande cohérence apparaissait entre l'origine des redevances et les dépenses. Se rapprocher du principe pollueur-payeur fait partie de nos objectifs, d'où des tentatives d'élargissement de l'assiette des redevances afin de mieux coller aux pollutions. Par exemple, nous avions envisagé de taxer l'azote minéral sur le même principe que la redevance pour pollutions diffuses.
En outremer, la police de l'eau est assurée par les directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) et les représentations de l'Office français de la biodiversité.
Je laisse à ces personnes le soin d'y répondre. Par rapport aux enjeux de l'eau, les missions et les contrôles sont nombreux. Leur action n'est en outre pas uniquement répressive, et se complète d'un rôle d'accompagnement mutualisé entre la DEAL, le service de la police de l'eau et l'office de l'eau vers les autorités organisatrices. Je ne m'étendrai pas sur un manque de moyens que seuls les services de l'État sont en mesure de vous indiquer.
Il ne s'agit pas d'une compétence des agences. Nous avons besoin de cette police afin de maintenir un cadre régalien et des contrôles. S'agissant des moyens, tout dépend des attentes. Les processus de contrôle sont mis en place, je vous suggère de vous rapprocher du Commissariat général au développement durable (CGDD) pour obtenir une réponse plus pertinente.
Vous évoquez la police de l'eau qui a plusieurs facettes. Elle est assurée par les services de l'État et les agents de l'Office français de la biodiversité. Il peut s'agir d'une police administrative ou d'une police répressive. Ces services sont des partenaires au quotidien des directions territoriales de l'agence de l'eau. Leur action est complémentaire de la nôtre, les différents leviers devant se combiner pour que notre action soit efficace. Ces services ont en outre un rôle important dans les missions inter-services de l'eau et de la nature (MISEN), lieu d'échanges essentiels des acteurs des politiques de l'eau. Nous parvenons à y décliner le programme de mesures d'actions concrètes sur le SDAGE.
Oui. L'eau paie l'eau et même un peu la biodiversité aquatique. Le maintien d'une zone humide permet ainsi d'améliorer la qualité de l'eau. La zone humide en tête de bassin permet de stocker de l'eau, de la purifier et de gérer les périodes de sécheresse et d'étiage. Peut-être qu'une redevance pour la biodiversité pourrait appuyer cette démarche, pour que la biodiversité paie la biodiversité.
Oui. L'eau paie l'eau puisque 50 millions d'aides sont dédiés aux collectivités et donc aux usagers. Suite à la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, la tendance est à faire payer autre chose que de l'eau aux recettes provenant de l'eau.
Toutes les actions financées par l'Office de l'eau portent sur l'eau et la biodiversité aquatique. L'émergence des agences régionales de la biodiversité entraîne une recherche de moyens financiers et humains. Nous devrons peut-être demain être attentifs à ces actions qui pourraient être financées sur les recettes de l'eau.
Je rejoins ces propos. Les perspectives d'élargissement des assiettes de redevances apparaissent nécessaires pour aboutir à un principe selon lequel « la biodiversité paie la biodiversité ». S'agissant du pourcentage du budget ne payant pas directement l'eau, il est difficile de répondre de par la continuité entre l'eau et la biodiversité. Ces deux politiques ne s'opposent pas. Nous finançons dernièrement de plus en plus le grand cycle de l'eau, comme l'exécution du programme d'intervention le démontre. Toutes nos actions concernent au final l'eau.
Les arrêtés préfectoraux « sécheresse » ont été évoqués dans plusieurs auditions. Des activités consommatrices d'eau, comme l'embouteillage, sont exclues de ces arrêtés-cadres. Avez-vous un avis à ce sujet et avez-vous une expertise sur l'impact écosystémique sur le moyen et le long terme de ces prélèvements d'eau servant à l'export ?
Je ne dispose pas de données sur la part de céréales irriguées destinées à l'export. S'agissant de l'exemption des arrêtés sécheresse, le dispositif a été amélioré en passant à des arrêtés-cadre de bassin ce qui permet de toucher équitablement les exploitants et d'améliorer la compréhension de la mesure par le citoyen. Les exemptions sont par ailleurs évaluées en fonction de la capacité de régénération annuelle de la nappe. L'équilibre est recherché, les entreprises étant soumises à des autorisations volumétriques de prélèvement attribuées par l'État.
Je n'ai pas connaissance d'exemption particulière pour des usagers spécifiques échappant aux restrictions des arrêtés sécheresse. Nous sommes peu concernés par le sujet avec seulement deux sites d'embouteillement sur le bassin.
La priorité est toujours portée aux besoins domestiques. Les activités d'irrigation sont bien entendu concernées par les restrictions. À titre indicatif, 145 millions de mètres cubes d'eau sont prélevés pour des besoins domestiques, à comparer aux 200 000 mètres cubes pour l'embouteillement.
Merci pour vos réponses et merci de compléter le questionnaire vous ayant été transmis afin de compléter vos réponses orales.
La réunion se termine à quinze heures quarante.