Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Réunion du mercredi 27 mai 2020 à 17h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 17 heures 40.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président.

La Commission d'enquête entend, en visioconférence, M. Jean-Michel Prêtre, avocat général près la cour d'appel de Lyon.

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Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous invite, monsieur, à prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Michel Prêtre prête serment)

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Jean-Michel Prêtre

, avocat général près la cour d'appel de Lyon. Je vous remercie de me donner l'occasion de parler de la question essentielle des obstacles à l'indépendance de l'autorité judiciaire, et vous avez raison de considérer que l'exercice de mes fonctions à Nice constitue une utile illustration de possibles atteintes.

Mon expérience professionnelle, longue de plus de trente ans, a été volontairement diversifiée : successivement substitut du procureur, juge d'instance, juge d'instruction avec une spécialisation économique et financière, détaché dans le corps préfectoral en qualité de sous-préfet d'arrondissement, procureur de la République, j'ai été nommé secrétaire général du parquet général d'Aix-en-Provence avant de l'être aux fonctions de procureur de la République de Nice. Enfin, pour la première fois dans ma carrière, j'ai été nommé contre ma volonté, en novembre 2019, dans le cadre d'une procédure exceptionnelle de mutation d'office, et j'exerce actuellement les fonctions d'avocat général à la cour d'appel de Lyon. Les circonstances et les conditions de cette nomination me paraissent devoir intéresser au premier chef votre commission d'enquête.

Pour ce qui concerne mon exercice professionnel de procureur de la République à Nice, je centrerai mon propos sur les obstacles à l'indépendance de la justice en partant de la lettre, au contenu clairement disciplinaire, qu'a adressée le 11 avril 2019 le directeur des services judiciaires au procureur général d'Aix-en-Provence à mon sujet. Je précise dès maintenant qu'aucune faute disciplinaire n'a été caractérisée ; qu'aucune procédure disciplinaire n'a été engagée à mon encontre ; et que cet épisode s'est finalement traduit par une offre de promotion que j'ai refusée – l'accepter aurait signifié que je reconnaissais avoir commis une faute qui n'était pas mienne –, puis par une mutation d'office dans l'intérêt du service comme avocat général à Lyon.

A posteriori, j'aurais préféré qu'une véritable instance disciplinaire soit saisie ; ainsi, j'aurais pu être assisté et me défendre, ce qui n'a pas été possible dans le cadre de cette mutation d'office. J'ajoute que je n'ai pas eu connaissance de cette lettre du directeur des services judiciaires par ma hiérarchie mais par la publication d'un article sur le site internet Mediapart. Tout cela s'est produit dans le contexte délicat de l'enquête ouverte à la suite des graves blessures qu'avait subies Mme Legay.

Par cette lettre, le directeur des services judiciaires demandait au procureur général de m'entendre sur trois points : une perquisition dans le cadre d'un dossier ouvert à l'information à Paris sur l'hôtel Negresco ; une réponse donnée à un journaliste en février 2019 à propos d'une plainte mettant en cause le préfet et la police aux frontières dans le dispositif décidé pour fermer la frontière ; enfin, dans l'affaire concernant Mme Legay, une communication dont il était affirmé qu'elle portait atteinte gravement à la crédibilité de l'institution. Si vous le jugez utile, je mettrai à votre disposition le dossier complet, dont les pièces corroborent mes propos et dont je vous ai adressé l'essentiel.

La lettre du directeur des services judiciaires évoque d'abord une perquisition faite chez moi et à mon parquet en décembre 2018. En 2013, l'hôtel Negresco de Nice, mondialement connu, a été placé sous protection judiciaire, l'état de santé de sa présidente et directrice générale ne lui permettant plus de le diriger. Á l'été 2018, la situation de crise et d'urgence étant passée, après une analyse faite en équipe et constatant que l'avenir de cet établissement emblématique concernait l'intérêt général, il était décidé que le parquet prendrait l'initiative de saisir le tribunal de commerce pour sortir l'entreprise d'une protection contraignante et lui permettre d'engager des projets industriels à la mesure de ses ambitions. J'ai appris en décembre 2018 seulement, à l'occasion d'une perquisition effectuée par des magistrats instructeurs parisiens, qu'un signalement avait été adressé au procureur de Marseille affirmant que l'action du procureur de Nice – avoir saisi une juridiction – s'inscrirait dans un pacte de corruption.

Peut-on mettre en cause, sans porter atteinte à l'indépendance de la justice, l'action judiciaire d'un procureur pour le seul fait d'avoir saisi une juridiction, alors que cet acte est la raison d'être de son métier ? Peut-on lui reprocher d'avoir subi une perquisition qu'il n'a évidemment pas décidée, dans un dossier qu'il ne connaît pas et auquel il n'a pas accès ? Peut-on lui reprocher, comme portant atteinte à sa crédibilité, la publication d'informations sur cette perquisition l'après-midi où elle a eu lieu, alors qu'il se trouve lui-même victime d'une violation de ce qui relève du secret de l'instruction – violation qui, à ma connaissance, n'a fait l'objet d'aucune ouverture d'enquête ?

Le deuxième point de la lettre portait sur la réponse que j'avais faite à la presse au sujet d'une plainte contre le préfet des Alpes-Maritimes et contre des fonctionnaires de la police aux frontières dans le contexte de la fermeture des frontières. J'avais indiqué que l'analyse du dossier conduisait à envisager l'ouverture d'une enquête. La dépêche a, hélas, été titrée de manière trop concise et finalement fausse, indiquant que l'enquête était déjà ouverte. Le procureur général, que je n'avais évidemment pas informé d'un acte qui était encore à venir, a pris ombrage à la lecture de cette annonce inexacte ; le directeur des services judiciaires a indiqué dans sa lettre que par cette communication j'avais gravement porté atteinte à ma crédibilité dans l'exercice de mes fonctions de procureur.

Peut-on, sans porter atteinte à son indépendance, reprocher à un procureur, comme ce pouvait être le cas autrefois, de n'avoir pas informé à l'avance son procureur général d'actes envisagés dans une enquête ? Peut-on lui reprocher le titrage trop concis d'une dépêche de l'Agence France Presse, non conforme à la réponse qu'il avait faite au journaliste ? Peut-on lui reprocher d'avoir institué un rendez-vous mensuel avec la presse locale pour l'informer de l'activité de l'institution judiciaire, dans le cadre des dispositions de l'article 11 du code de procédure pénale – ce qui est devenu une nécessité impérative dans l'exercice de ses missions ?

Enfin, la lettre du directeur des services judiciaires faisait état d'une communication dans l'affaire Legay qui porterait atteinte à la crédibilité de l'institution judiciaire. Mme Legay a subi de graves blessures lors d'une manifestation publique de Gilets jaunes à Nice, samedi 23 mars 2019 en fin de matinée. J'ai, le jour même, ouvert une enquête en recherche des causes de ces blessures. Cette enquête a abouti à la mise en cause d'un fonctionnaire de police qui a bousculé Mme Legay, ce qui m'a conduit à saisir immédiatement un juge d'instruction. Le traitement judiciaire donné à ces faits n'a d'ailleurs pas sérieusement été mis en cause : c'est sur le seul volet de la communication que le directeur des services judiciaires a considéré que ma crédibilité avait été mis en cause.

J'affirme, comme vous l'avez lu dans le procès-verbal de mon audition par le procureur général que je vous ai adressé, que je n'ai jamais menti ; que je n'ai jamais non plus reconnu avoir menti, contrairement à ce que la presse continue de prétendre ; que je n'ai jamais déclaré avoir voulu, comme il a été écrit, couvrir ou protéger le président de la République. La mise en doute de ma bonne foi n'est fondée sur rien de réel ; ce n'est que le résultat d'une exploitation journalistique d'éléments parcellaires ou mensongèrement biaisés.

J'ai délivré, d'initiative, deux fois seulement, des informations à la presse sur cette affaire, par des communiqués préalablement validés par le procureur général d'Aix-en-Provence. Il s'agissait de dire en toute vérité et à mesure de l'avancée des investigations ce que l'enquête avait établi, et aussi ce qu'elle n'avait pas établi. Le battage médiatique autour de cette affaire a été amplifié le dimanche soir par une déclaration très affirmative du président de la République. Cela m'a conduit à décider de séquencer ma communication en publiant dès le lundi un premier communiqué qui donnait simplement trois informations : l'ouverture d'une enquête judiciaire ; l'absence d'indication d'un contact direct entre Mme Legay et les forces de sécurité ; la poursuite de l'enquête pour faire la vérité sur les causes des blessures qu'elle avait subies. Ma seconde communication d'initiative, quatre jours plus tard, était sur la même ligne de vérité et de transparence. Elle a eu lieu immédiatement après que les enquêteurs m'ont communiqué les résultats de l'exploitation d'une image de vidéo-surveillance déterminante pour établir les causes de la chute de Mme Legay.

J'ai fait part de ces indications lors de mon audition devant le procureur général –qui, faut-il le préciser, en avait une parfaite connaissance par les nombreux rapports que je lui avais adressés dans le cadre des remontées d'informations prévue par les textes, les circulaires et ses propres instructions. Lors de cette audition, j'étais assisté par le président et par un membre de la Conférence nationale des procureurs de la République ; ils ont donc une parfaite connaissance d'un dossier que je tiens à votre disposition. La Conférence nationale a adressé à la garde des Sceaux deux courriers, l'un en mai, l'autre à la fin du mois d'août 2019, relatifs à la procédure administrative qui aboutira une décision de mutation d'office.

Cette mutation d'office, décision arbitraire et exemplaire, a provoqué chez beaucoup de collègues l'incrédulité d'abord, la sidération ensuite, assortie maintenant d'une forte crainte révérencielle que vous avez peut-être déjà ressentie lors des précédentes auditions auxquelles vous avez procédé.

Peut-on reprocher, sans porter atteinte à son indépendance, à un procureur de tenir compte du contexte pour établir les modalités de sa communication relative à un dossier sensible ? La mise en cause, ad personam, d'un magistrat, à qui l'on ne s'attaque pas pour ce qu'il fait mais pour ce qu'il est, n'est-elle pas de nature à compromettre sa crédibilité et ne porte-t-elle pas atteinte à l'indépendance de son exercice professionnel ? Je pense, ce disant, à plusieurs appels publics à la délation par un avocat ; à des articles de presse mensongers et à un emballement médiatique paranoïde sur cette base biaisée ; à la fuite dans la presse d'éléments d'enquête pénale et même de pièces confidentielles versées au dossier administratif – je parle de ce procès-verbal d'audition par le procureur général.

Le Recueil des obligations déontologiques des magistrats établi par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) souligne que la hiérarchie du magistrat – pour un procureur, c'est, bien sûr, son procureur général – a le devoir de le défendre lorsqu'il est indûment mis en cause, notamment par la presse. Je n'ai, à l'évidence, pas obtenu ce soutien essentiel, bien au contraire.

Enfin, je partage sans réserve les propos tenus devant vous par M. Hayat, premier président de la cour d'appel de Paris, au sujet des difficultés et des pièges spécifiques au ressort de Nice. Les mauvaises habitudes ont, comme certains métaux, une mémoire de forme : il ne suffit pas de les redresser une seule fois pour être assuré que la rectification sera définitive. Or certaines mauvaises habitudes – copinage, intérêts, réseaux d'influence – restent particulièrement fortes à Nice. Aux risques encourus par un magistrat du fait de ses relations ou de ses fréquentations, mentionnés par le président Hayat, j'ajoute ceux qu'il encourt du fait de son action lorsqu'elle gêne certains intérêts, groupes d'intérêts ou personnes d'influence, ainsi qu'à l'évidence j'ai pu le faire.

La perte de crédibilité qui résulterait de ma communication à la presse est finalement l'unique motivation de la décision de mutation dans l'intérêt du service qui m'a été notifiée jeudi 1er août dernier par le directeur des services judiciaires. Cette motivation seulement affirmative, particulièrement concise et fort peu circonstanciée ne vise que de manière générique une perte de crédibilité sans préciser ni fait, ni date, ni personnes. Les communications publiques sont parties intrinsèques de la mission du procureur, au titre des dispositions de l'article 11 du code de procédure pénale, même si les moyens dont il dispose pour cela ne sont pas à la mesure de la difficulté de l'exercice ni, surtout, des risques encourus. Je vous renvoie à ce sujet aux deux courriers très interpellatifs que la Conférence nationale des procureurs de la République a eu le courage d'adresser à la ministre de la justice le 1er mai et le 29 août 2019 et que je vous les ai transmis ; je les fais totalement miens.

Dans l'affaire dite de Mme Legay, on a égrené durant des mois, sous forme de feuilleton, la fausse information que j'évoquais tout à l'heure. Elle a été alimentée par des fuites du dossier judiciaire et de mon dossier administratif. Comme je vous l'ai dit, j'ai appris par Mediapart, le 12 avril au soir, que j'allais être convoqué par mon procureur général à la demande du directeur des services judiciaires. Le contenu de mon audition du 16 avril par le procureur général a été transmis à la presse fin juillet, et de nombreux articles ont été publiés à la suite de celui du journal Le Monde du 24 juillet 2019, dans lesquels on me prête des propos que je n'ai jamais tenus, présentés comme mensongers.

J'ai d'ailleurs décidé de renoncer à répondre moi-même aux questions de la presse, à la suite de ces fuites et de l'entreprise de déstabilisation de Me Arié Alimi, avocat de Mme Legay, qui est allé jusqu'à inviter par tweet le public à lui communiquer tout renseignement sur ma personne.

Comment, aussi, ne pas s'interroger à la lecture du nouvel article publié par Mediapart, précisément hier soir ? On y traite de l'audition par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), hier, de Pascale Pascariello, journaliste du site, sur ses sources dans l'affaire Legay, selon l'auteur de l'article. D'une certaine manière, je suis rassuré d'apprendre, même si c'est de cette manière, qu'une enquête est en cours sur les fuites vers la presse constatées dans cette affaire et, autour d'elles, au sujet de mon action de procureur de la République et de ma mise en cause quasi disciplinaire. Mais l'audition, justement hier, d'une journaliste par un service d'enquête, et une publication par la presse dans la nuit peuvent-ils être un nouveau hasard, alors qu'aucun article de presse substantiel n'avait été publié sur l'affaire Legay ni sur mon action depuis mon départ forcé de Nice en novembre dernier ? Sans être paranoïaque, cela fait s'interroger.

Le fait que, pour lever tout doute sur l'indépendance des parquets, le statut de ses magistrats doive évoluer fait consensus. Cela suppose la réforme des règles de nomination mais aussi des garanties qui, comme pour les magistrats du siège, doivent les mettre à l'abri de toute possibilité de mutation arbitraire. En l'état des textes, par l'interprétation a contrario de l'article 5 de l'ordonnance statutaire de 1958, les magistrats du parquet ne sont pas inamovibles ; ils ne bénéficient donc pas de la garantie d'indépendance que leur inamovibilité donne à leurs collègues du siège. Á mon sens, il faut envisager d'aligner les garanties statutaires des magistrats du siège et du parquet, tant pour ce qui concerne leur nomination que pour le maintien dans leurs fonctions.

Seules les fautes disciplinaires devraient permettre le déplacement forcé d'un magistrat du siège ou du parquet. On ne peut que regretter que ce ne soit pas le cas pour ces derniers, dont les actes, même juridictionnels, sont soumis à l'appréciation discrétionnaire du ministère de la Justice, qui peut les muter contre leur gré à sa convenance. La mutation d'office, procédure quasi disciplinaire, ne donne aux magistrats aucun des droits républicains élémentaires : accéder à l'entier dossier, faire valoir sa défense dans des conditions équitables, être assisté par un conseil. Il y a dans cet arbitraire de quoi terroriser quiconque, aussi indépendant et courageux que soit le magistrat.

Enfin, les avis du CSM sur les projets de mutation d'office sont rendus à l'issue d'un simple examen du dossier transmis par l'administration, dans un cadre non contradictoire, sans que le magistrat concerné soit forcément entendu, sans qu'il ait eu accès au dossier et sans qu'il puisse se défendre assisté d'un conseil. Ces avis ne sont pas motivés, ce qui interdit de former utilement un recours éventuel devant la juridiction administrative. Pourtant, il serait dans la tradition judiciaire et il devrait résulter des principes élémentaires de notre République que les décisions et les rendus d'avis du CSM soient motivés, en tout cas pour ceux qui ne sont pas conformes soit à la volonté de l'administration soit au souhait du magistrat concerné.

J'avais indiqué au CSM que s'il aboutissait, ce projet de mutation à Lyon mettrait sur la place publique la faiblesse de l'institution judiciaire et de l'ensemble de l'État, dont il ne serait pas acceptable que la crédibilité soit aussi gravement atteinte. Je crains que nous y soyons aujourd'hui.

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Mon groupe parlementaire vous a mis en cause dans la proposition de résolution tendant à la création de notre commission d'enquête, mais je vous aurai au moins donné la possibilité de vous défendre publiquement et oralement, ce qui, visiblement, n'a pas été le cas dans la procédure dans laquelle vous avez été empêtré. Je suis d'accord avec vous sur un point fondamental : soit vous avez commis une faute et il doit y avoir une sanction disciplinaire, soit vous n'avez pas commis de faute et je ne comprends pas la raison de votre mutation d'office. Ce qui n'est pas clair prête à différentes interprétations, dont celle que certaines décisions semblent à géométrie très variable. J'aimerais une précision : avez-vous, ou non, été entendu par le CSM ?

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Jean-Michel Prêtre

Non, je n'ai pas été entendu dans le cas de l'affaire Legay.

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Donc, le CSM a rendu un avis sur votre mutation uniquement sur dossier ?

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Jean-Michel Prêtre

Le Conseil supérieur a rendu un avis sur la procédure de mutation d'office.

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Mais avez-vous été entendu par le CSM sur l'affaire de l'hôtel Negresco ou sur celle de la police aux frontières ?

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Jean-Michel Prêtre

Par le CSM, pas du tout.

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Le CSM doit évidemment remplir son rôle en matière déontologique et disciplinaire ; s'il ne le fait pas, cela pose un problème dont notre commission devra tenir compte dans l'organisation de ses travaux. J'ai retenu de vos propos relatifs à l'article mentionnant l'audition, hier, d'une journaliste de Mediapart par l'IGPN que ce n'est pas le parquet de Nice – et donc pas vous – qui a ouvert une enquête pour violation du secret de l'instruction et recel de documents dans l'affaire de Mme Legay ; est-ce bien cela ?

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Jean-Michel Prêtre

Sur cette enquête, je n'en sais pas plus que ce qu'indique l'article de Mediapart, dont il résulte, si l'on veut bien le croire, que l'IGPN est chargée d'une enquête qui lui a été confiée par la justice.

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Dans les pièces que vous nous avez fournies, vous indiquez avoir décidé de revoir votre communication dans l'affaire de Mme Legay parce que, le chef de l'État s'étant exprimé à ce sujet, il importait à votre avis d'accélérer la communication, quitte, comme cela a été le cas, à devoir vous déjuger ou en tout cas à modifier vos explications au fil de l'enquête. Mais l'indépendance ne consiste-t-elle pas, justement, à ne pas se soucier de ce qui peut être dit, y compris par l'exécutif et le président de la République ?

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Jean-Michel Prêtre

Outre les propos du président de la République, il y avait un battage médiatique considérable autour de cette affaire. Il était nécessaire, me semble-t-il, que le procureur confirme qu'une enquête judiciaire avait été ouverte qui, à ce stade, ne donnait pas d'indication d'un contact direct entre la police et Mme Legay ; que cette enquête se poursuivait et qu'elle permettrait d'établir la vérité des faits. C'est ce que j'ai décidé de faire, alors que j'aurais souhaité m'exprimer quelques jours plus tard, parce que le temps judiciaire n'est pas le temps médiatique. J'ai décidé d'avancer ma communication parce que la presse partait dans tous les sens et que je voulais remettre les choses d'équerre.

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« La presse partait dans tous les sens » parce que Mme Legay avait le droit de relater publiquement comment elle a vécu les événements. Mais je comprends qu'en application de l'article 11 du code de procédure pénale, vous ayez voulu rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure.

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Jean-Michel Prêtre

Le contexte – les diverses déclarations, dont celles de M. le président de la République – doit être pris en compte par un procureur qui va s'exprimer devant la presse. Il serait aberrant d'être aveugle et sourd.

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Selon Mediapart, certains éléments contenus dans des procès-verbaux antérieurs à votre premier communiqué de presse indiquent que l'on ne pouvait être aussi formel que vous l'avez été en disant que Mme Legay n'avait pas été bousculée par les forces de l'ordre – même si vous prenez la précaution de préciser « à ce stade de l'enquête ». Tout n'était visiblement pas aussi clair. Êtes-vous certain que la déclaration du président de la République n'a fait que précipiter le calendrier de vos déclarations, sans influencer votre manière de présenter les choses ?

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Jean-Michel Prêtre

Je comprends votre doute si vous avez lu les articles de Mediapart. Je le répète : je n'ai pas menti. Ce que j'ai dit reflétait l'état exact de l'enquête. Je me fondais sur une photographie magnifique d'une agence de presse montrant Mme Legay en train de tomber et montrant aussi que le cordon de police dont la presse disait qu'il l'avait bousculée se trouvait à plus de deux mètres d'elle. De fait, l'analyse, quatre jours plus tard, d'une image compliquée à obtenir, prise à cinquante mètres de distance, montrera que ce n'est pas ce cordon de police qui l'a bousculée mais un policier isolé, le chef du cordon. Je n'ai tordu la vérité en aucune manière – et d'ailleurs, pour quoi faire ?

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Je n'en ai pas idée, mais le président de la République s'est permis d'être affirmatif. Vous avez dit ne pas avoir eu de communication avec le chef de l'État ou avec l'exécutif. Avez-vous fait remonter les informations au procureur général dès le 23 mars ? Selon vous, par quelle voie le chef de l'État a-t-il été informé ? Si ce n'est par l'autorité judiciaire, cela peut-il être par le canal du ministère de l'Intérieur ? Que pensez-vous du fait que le chef de l'État se prononce de manière catégorique, en décalage complet avec le travail que vous faites localement ?

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Jean-Michel Prêtre

Ce week-end de mars 2019 était un week-end sensible à Nice : le président de la République y recevait le président de la République populaire de Chine et les Gilets jaunes avaient, pour cette raison, lancé un appel national à venir manifester dans cette ville. Un très important dispositif de maintien de l'ordre public avait été défini, qui justifiait, selon moi, que le procureur général soit informé en temps réel de ce qui se passait. C'est ce qui s'est produit : en ces circonstances particulières, je me suis transporté devant les caméras de vidéo-surveillance de la Ville de Nice – un outil extraordinaire – pour rendre compte par mail au procureur général toutes les demi-heures.

Peu avant midi, j'ai mentionné que la manifestation était en train de se disperser sans qu'il y ait eu de heurts majeurs, si ce n'est quelques chutes – dont celle de Mme Legay, en précisant que nous pensions qu'il pouvait s'agir d'une crise d'épilepsie. L'après-midi seulement, sur l'indication des services de police, on m'a expliqué que ce n'était pas de cela qu'il s'agissait mais d'une chute à la suite de laquelle cette dame avait été gravement blessée. En fonction de cette indication, j'ai pris de moi-même l'initiative d'ouvrir une enquête judiciaire en recherche de coups et blessures ; elle a fini par permettre d'établir qu'il y avait bien eu un contact au cours duquel un policier avait poussé Mme Legay, qui est tombée.

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Cela m'avait paru une chose extraordinaire que l'on trouve les services de l'État, avec l'autorité judiciaire, derrière le matériel de la police municipale.

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Jean-Michel Prêtre

C'est que nous expérimentons le continuum de sécurité.

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Cela laisse perplexe sur l'indépendance de l'autorité judiciaire à l'égard du pouvoir local et du pouvoir exécutif national.

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Jean-Michel Prêtre

Je ne sais rien du canal d'information de M. le président de la République, mais vos suppositions sont peut-être les bonnes.

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Vous avez fait allusion de manière elliptique à des « intérêts » en jeu dans le ressort de Nice, sans en préciser la nature. Parlez-vous d'intérêts économiques locaux, d'intérêts politiques, d'intérêts judiciaires de certains de vos collègues magistrats en poste au siège ou au parquet ?

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Jean-Michel Prêtre

Une enquête judiciaire est en cours à Paris, relative à l'hôtel Negresco et au fait que certaines décisions, les miennes notamment, pourraient être en relation avec des actes de corruption. Dans ce cadre, une perquisition a eu lieu non seulement au palais de justice mais aussi à mon domicile. Je dis qu'en effet des intérêts divers, notamment économiques, sont parfois portés par des personnes ou des groupes d'influence et que ce phénomène, comme à Paris, est particulièrement fort à Nice.

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Signifiez-vous de la sorte que des intérêts économiques ont le pouvoir de faire ouvrir une enquête et d'orienter la conduite de la justice ?

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Jean-Michel Prêtre

N'importe qui peut provoquer l'ouverture d'une procédure judiciaire au pénal : il suffit de faire des révélations, de porter plainte ou de faire porter plainte pour amorcer quelque chose. Ensuite, le dossier prospère ou ne prospère pas.

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Comment parvenir à ce que le magistrat soit plus imperméable aux intrigues commerciales et économiques sans l'isoler du corps social et des citoyens ?

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Jean-Michel Prêtre

Je pense irréversible la mise en cause des magistrats, judiciairement ou par l'intermédiaire de la presse, d'Internet ou des réseaux sociaux. Cela fait donc désormais partie du métier, mais il faut avoir les moyens d'y répondre, et disposer pour cela d'équipes compétentes en matière de communication et d'analyse juridique. Il faut aussi donner aux magistrats le temps de traiter les dossiers, et les faire bénéficier du soutien, qui devrait être indéfectible et qui pour moi ne l'a pas été, de la hiérarchie.

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Nous avons perçu dans vos propos liminaires l'émotion de pouvoir vous exprimer, possibilité qui semble vous avoir fait défaut au cours d'une procédure dans laquelle vous considérez avoir été victime. J'aimerais revenir sur un point de vos déclarations relatives à l'affaire Legay, puisque si nous avons décidé de vous entendre, à la demande expresse du président de notre commission plutôt que du rapporteur, c'est en relation avec cette affaire.

Je me réfère au procès-verbal de votre audition, établi le 16 avril et signé par vous-même, par le procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence et par le président de la Conférence nationale des procureurs de la République. On comprend parfaitement que lors d'une journée où la question du maintien de l'ordre public se pose avec une acuité particulière, vous fassiez au procureur général un point précis sur l'évolution de la situation. Cependant, votre premier communiqué date du 25 mars, deux jours après les faits, et quand, lors de cette audition, on vous demande la raison de ce texte affirmatif et sans nuance alors que l'enquête est en cours, vous indiquez que « la nuance ressort de la mention faite que l'enquête est en cours ». Vous précisez que « le contenu de l'information et notamment son caractère affirmatif et son séquençage ont été modifiés pour qu'il n'y ait pas de divergence trop importante entre ce qui avait été dit par le président de la République, l'avant-veille, ce qui aurait été très néfaste », et vous dites « avoir agi pour déplacer un curseur, pour éviter une polémique qu'il me paraissait devoir éviter au nom de l'intérêt général ».

Modifier le séquençage de votre communication et en déplacer le curseur vous paraît-il absolument normal ? Est-il naturel de mettre en premier lieu « l'intérêt général » dans la manière dont le procureur de la République que vous étiez exprime les choses, ou vous semble-t-il a posteriori que c'était une erreur en termes d'indépendance et que vous auriez dû en rester à l'appréciation de la réalité des faits ? On comprend que la première vidéo donne une vision partielle des événements et que, l'enquête avançant, votre vision des événements est plus complète, mais nous sommes là au cœur du débat sur l'indépendance de la justice ; quelle en est votre perception personnelle ?

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Jean-Michel Prêtre

L'indépendance n'est ni l'aveuglement ni la surdité. Cette affaire a eu un retentissement médiatique considérable. J'avais envisagé une communication après un certain nombre de jours d'enquête, peut-être à son issue – elle n'a finalement duré que six jours – mais le battage médiatique, qui s'est fortement amplifié le dimanche, m'a conduit à penser qu'il était nécessaire de remettre les choses d'aplomb. C'est donc bien en relation avec ce qui se disait et ce qui était publié, dit et retransmis, que j'ai fait ma communication, dans l'esprit et dans la lettre des dispositions de l'article 11 du code de procédure pénale, qui enjoint le procureur d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes relatives à des enquêtes en cours, quand bien même elles sont couvertes par le secret de l'enquête et de l'instruction. Il m'importait de dire formellement, ce que j'ai fait lundi 25 mars par un communiqué de presse écrit, préalablement validé par le procureur général, qu'une enquête était en cours ; que Mme Legay, en l'état des investigations, n'avait pas été directement touchée par les forces de sécurité ; que l'enquête continuait pour déterminer les causes de ses blessures. Il ne me paraît ni illogique ni incohérent, et même plutôt raisonnable et nécessaire, qu'un procureur prenne en compte les fausses rumeurs colportées pour dire où en est l'enquête à un moment donné.

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L'article 11 du code de procédure pénale vous demande certes de rapporter les faits, mais ce qui se disait à l'époque, c'est précisément que Mme Legay avait été bousculée par les policiers. La polémique ne vous visait pas, elle visait le chef de l'État qui le niait. L'emplacement de votre curseur, dites-vous, a été choisi pour clore la polémique. Cela aurait dû vous conduire à dire qu'en l'état de l'enquête, vous ne saviez pas ; il était impossible d'affirmer alors que Mme Legay n'avait pas été poussée par un policier. C'est une situation assez étrange que celle dans laquelle vous parlez pour faire cesser les rumeurs alors que la nouvelle qui se propageait était vraie, comme vous l'avez indiqué dans votre deuxième communiqué.

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Jean-Michel Prêtre

La rumeur colportée par la presse était que Mme Legay avait été bousculée par un policier porteur d'un bouclier ; c'était faux, comme l'enquête l'a démontré. La vérité judiciaire n'est pas une approximation. Il me paraissait indispensable de dire où l'on en était alors que, pendant tout le week-end, la presse rebattait une information fausse. L'enquête n'avait rien établi ; ne sachant donc rien lundi 25 mars après-midi, j'ai simplement indiqué ce jour-là qu'aucun élément ne prouvait que Mme Legay avait été bousculée par des forces de sécurité ; ce n'était plus le cas le jeudi soir.

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L'audition est assez difficile, car la commission d'enquête n'est pas une commission de discipline : nous ne sommes pas réunis pour enquêter sur les faits et en tirer des conséquences comme vient de le faire le président. Je voudrais revenir au contexte de l'époque, en essayant d'extrapoler pour que nous puissions en tirer des conséquences sur l'indépendance de la justice. Les éléments dont vous nous avez fait part montrent que la situation du procureur de la République est généralement délicate à plusieurs égards. En l'espèce, il y a eu, semble-t-il, une rupture de confiance entre vous et le procureur général ; comment trouver un juste équilibre entre la nécessaire remontée de l'information et la nécessaire liberté d'action dont doit disposer le procureur de la République ? Vous semblez aussi avoir souffert de ne pas être protégé par votre hiérarchie. L'indépendance judiciaire passe par l'indépendance de chacun des magistrats, qui doit être protégée ; comment le faire ? Vous vous êtes offusqué que ni la ministre ni le directeur des services judiciaires n'aient pris clairement position en votre faveur, et ce reproche est fortement relayé par la Conférence nationale des procureurs de la République ; comment procéder, alors qu'il est particulièrement difficile de prendre des positions claires en faveur d'un magistrat à chaud ? Comment, enfin faire évoluer l'article 11 du code de procédure pénale, au risque sinon, dit la Conférence nationale des procureurs de la République, que les procureurs ne s'expriment plus, compte tenu des risques qu'ils encourent ? Faut-il leur donner plus de garanties procédurales, statutaires et formelles ?

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Jean-Michel Prêtre

L'indépendance et la confiance n'excluent pas le contrôle, et c'est bien la tâche du procureur général d'effectuer un « contrôle qualité ». La remontée des informations sur des affaires au procureur général est nécessaire. Les procureurs ont besoin de communiquer avec des collègues expérimentés et avec les parquets généraux, en dehors de leur propre parquet, de leur propre ressort, de leur propre ville. J'en ai fait l'expérience et je me suis trouvé très bien de ce regard extérieur. Le partage de l'information sur une affaire judiciaire est prévu par les textes, et c'est en général une garantie extraordinairement importante de la qualité et de la raison des décisions prises par les procureurs de la République dans les affaires judiciaires. L'information du procureur général ne va pas contre la liberté d'action du procureur, elle en conditionne la qualité et l'effectivité.

S'agissant du soutien de la hiérarchie, je pense que l'institution judiciaire n'a pas pris la mesure des agressions que les magistrats subissent dans l'exercice de leurs fonctions. J'ai moi-même été mis en cause judiciairement plusieurs fois, et encore aujourd'hui, pour des actes effectués dans le cadre de mes missions.

D'autre part, la presse est prise dans un maelström qu'elle ne parvient plus à maîtriser ; les journalistes et les organes de presse, courant désespérément après l'information, se laissent entraîner dans des procédés qui ne sont tout simplement pas acceptables. La communication des magistrats doit donc être professionnalisée mais le ministère de la Justice n'a pas pris conscience du problème, singulièrement lors d'une crise. Il faut, sans retard, assurer au procureur le recours à une personne ou même à une plateforme lui permettant de maîtriser sa communication avec compétence et immédiatement.

Je suis convaincu de l'utilité du travail en équipe. Toutes mes décisions sont issues d'un échange, au minimum avec le magistrat chargé du dossier et souvent, pour les dossiers les plus importants, avec bien d'autres collègues et aussi, je vous l'ai dit, avec le parquet général. Il me paraît nécessaire de systématiser cette pratique professionnelle ; cela ne relève pas de la loi.

Il faut évidemment apporter plus de garanties aux procureurs quand ils s'expriment sur les affaires en cours dans le cadre de l'article 11 du code de procédure pénale. À l'heure où tout est communication, la justice doit être transparente et montrer de quelle manière elle parvient le mieux possible à permettre la manifestation de la vérité. Mais il faudrait ne pas limiter la communication du procureur sur les affaires en cours à la rectification de fausses rumeurs ou d'erreurs déjà colportées par la presse, car quand on en est là, c'est déjà trop tard. Cela suppose qu'une équipe spécialisée lui permette de travailler de manière sûre.

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Vous établissez une corrélation entre le manque de moyens de la justice et son indépendance : le manque de moyens affaiblit, et quand on en faible, on peut manquer de courage et on cherche des alliés. Considérez-vous qu'un procureur, à Nice et ailleurs, est dans l'obligation de bien s'entendre avec les élus locaux et le préfet, sans parler du procureur général ? Des garanties seraient-elles nécessaires pour prévenir toute atteinte à l'indépendance de la justice par ces relations locales ? Le reproche est fait au CSM, instance disciplinaire, de rechigner à exercer sa prérogative de sanction, pourtant indispensable. Que devrions-nous modifier pour que le CSM statue sur des dossiers tels que le vôtre plutôt que de les voir traiter comme celui-ci l'a été ?

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Jean-Michel Prêtre

Au sujet de « l'entente » avec les élus locaux et le préfet, les textes prévoient certes que c'est le procureur de la République qui décide et met en œuvre la politique pénale sur le ressort de sa juridiction, mais c'est une co-production. À Nice, les magistrats du parquet reçoivent environ 50 000 procédures par an. Pour certaines, aux forts enjeux, il n'est pas très difficile pour le procureur de discuter avec les forces de police pour savoir dans quelles conditions faire l'enquête et avec quel type d'enquêteurs. Pour la masse des autres procédures, il y a une co-production : les élus locaux définissent des priorités, notamment de prévention de la délinquance ; le préfet doit mettre en œuvre des politiques publiques qui résultent de sa propre analyse ; le procureur dit, par exemple qu'il lui faut le temps et les moyens de traiter correctement les affaires économiques et financières. Cet échange nécessaire est la matrice de la construction de la justice. Cela peut être interprété comme une atteinte à l'indépendance, ou, au contraire, comme l'exercice de l'indépendance dans le monde tel qu'il est. Le parquet, c'est Thémis sans son bandeau, observant ce qui se passe et donnant à la justice le moyen de se saisir elle-même. Quelle serait l'indépendance d'une institution si elle n'avait aucune capacité d'initiative ? Or, la capacité d'initiative de la justice, c'est le parquet.

J'ignore si le CSM rechigne à exercer sa mission d'instance disciplinaire. Je sais que la procédure de la mutation d'office qui m'a été appliquée est une procédure quasi disciplinaire qui n'aurait pas dû s'accomplir dans les conditions que j'ai décrites : sans contradictoire, sans débat, sans défense. Je sais aussi que l'avis du CSM aurait dû être motivé pour me mettre en mesure d'en apprécier la pertinence et, le cas échéant, de former recours contre elle devant le Conseil d'État.

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Je pensais obligatoire la consultation de la personne qui va faire l'objet d'une décision défavorable.

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Jean-Michel Prêtre

Je n'ai pas eu accès au dossier que le CSM avait entre les mains.

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Il y a donc un déséquilibre, au détriment des droits de la défense.

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Jean-Michel Prêtre

Cela tient à ce je ne suis accusé de rien : quand on est accusé de rien, on n'a pas à se défendre. Cette situation est particulièrement hypocrite.

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Je partage ce point de vue. Les organisations syndicales que nous avons entendues se sont fait l'écho du manque de contradictoire dans le fonctionnement interne de l'institution judiciaire quand des magistrats sont concernés. Peut-être y a-t-il là une marge de progression, notamment dans le fonctionnement du CSM.

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Jean-Michel Prêtre

Il y a toujours une marge de progression.

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Vous dites avoir fait valider votre communiqué de presse du 23 mars par le procureur général, comme le second, je suppose. A-t-il demandé ou suggéré des modifications ? S'il a été associé de bout en bout à la rédaction et à la publication de ce document, pourquoi vous a-t-il ensuite lâché en rase campagne ?

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Jean-Michel Prêtre

Les instructions nationales sur les communiqués de presse des procureurs prévoient qu'ils sont transmis aux procureurs généraux pour validation préalablement à leur publication. C'est ce que j'ai fait. Le texte, rédigé le lundi matin, a été transmis au procureur général qui m'a fait un retour par mail, par l'intermédiaire d'un membre de son cabinet, avec quelques remarques de forme qui ne portaient en aucune manière sur le contenu, notamment sur les points qui ont fait polémique par la suite. Je tiens à votre disposition ces projets de communiqués écrits ainsi que les réponses du procureur général. C'est ainsi que les choses se font : il est bon de travailler ensemble pour élaborer le meilleur texte possible. C'est bien ce qui s'est passé, et c'est un texte validé qui a été remis le lundi après-midi à la presse puis, dans les mêmes conditions, le vendredi suivant, après l'ouverture de l'information judiciaire.

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Pourquoi n'avez-vous pas attaqué la décision prise de vous muter d'office ?

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Jean-Michel Prêtre

Je n'ai aucun doute sur l'indépendance du Conseil d'État, mais il se serait agi de mettre en cause un décret présidentiel. Or, cette juridiction prend ses décisions au regard de l'application des textes et des grands principes, mais elle apprécie aussi les inconvénients comparés d'une décision pour l'organisation de l'État et pour la personne qui vient demander justice, et fait la part des choses. Je me trouvais devant une décision de mutation d'office qui, selon moi, n'était justifiée ni en droit ni en fait. J'en ai conclu que, dans cette affaire, des éléments m'échappaient – et m'échappent toujours –, qui ont emporté la décision du CSM, autorité constitutionnelle, au terme d'une délibération d'une vingtaine de jours. Cette situation m'a donné à penser que je ne sortirais pas forcément gagnant d'une contestation de la décision devant le Conseil d'État.

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J'ai toujours du mal à comprendre pourquoi le procureur général de l'époque ne vous a pas soutenu par la suite.

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Jean-Michel Prêtre

C'est à lui qu'il faut poser la question ; je ne saurais y répondre.

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Vous avez été aussi mis en cause, dans l'affaire concernant Mme Legay, dans le choix du service enquêteur qui a été saisi, l'enquêtrice étant la compagne du commandant des troupes sur place. Pourquoi ne pas avoir confié l'enquête à l'IGPN ou à la police judiciaire ? Pourquoi choisir ce service enquêteur plutôt qu'un autre ?

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Jean-Michel Prêtre

Il me faut rectifier ce que vous présentez comme une évidence – mais je pense que c'est la lecture de la presse qui vous y conduit. Á l'époque, les deux chefs de service de la direction départementale de la sécurité publique des Alpes-Maritimes – l'un chargé de la sécurité publique, l'autre des enquêtes judiciaires – formaient un couple à la ville. Ce samedi 23 mars, ils étaient tous deux affectés à des opérations de maintien de l'ordre ; aucun des deux n'a donc été saisi d'une enquête judiciaire ce jour-là. D'autre part, pour ce week-end très particulier, les dispositifs de saisine avaient été planifiés. C'est que dans les affaires relatives à des troubles à l'ordre public, les fonctionnaires de police et les militaires de gendarmerie engagés dans le rétablissement de l'ordre public ne peuvent en aucune manière, sauf à voir leurs actes annulés en droit, être saisis d'une enquête judiciaire. J'ai donc demandé au commandant du groupement de gendarmerie des Alpes-Maritimes et au directeur départemental de la sécurité publique une note, qui m'a été adressée quatre jours avant ce week-end, m'indiquant quels gendarmes et quels fonctionnaires de police seraient automatiquement saisis de toute enquête concernant les délits qui pourraient être commis à l'occasion des manifestations des Gilets jaunes du samedi 23 mars ; c'est cette équipe d'enquêteurs qui a été saisie, de manière automatique, selon le dispositif prévu. Il avait été convenu avec le directeur que la police judiciaire qu'elle ne serait pas mobilisée, sauf si les troubles prenaient une ampleur particulière. Enfin, peut-on imaginer saisir l'IGPN pour des blessures dont la cause n'est pas connue ?

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Jean-Michel Prêtre

J'ai ouvert une enquête en recherche des causes des blessures. Aurions-nous disposé dès le départ des éléments démontrant que la chute de Mme Legay avait été provoquée par une bousculade causée par des policiers, la saisine de l'IGPN aurait bien sûr pu être envisagée.

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Je vous remercie de nous avoir fait part de ces éléments, mais je pense que la préoccupation déontologique aurait pu inciter au dessaisissement de la commissaire de police.

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Jean-Michel Prêtre

J'insiste : c'est un service dépendant de son autorité administrative qui a été saisi ; elle-même ne l'a été ni le samedi ni le dimanche.

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Ce n'est donc pas elle qui vous rendait compte ?

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Jean-Michel Prêtre

Elle m'a fait remonter des éléments de l'enquête à partir du lundi et du mardi qui ont suivi, quand elle n'était plus en action d'ordre public sur le terrain.

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Le code de déontologie des magistrats aborde la question des conflits d'intérêts qui peuvent surgir dans le cadre d'un couple de magistrats ; la question devrait valoir aussi, me semble-t-il, pour les policiers, qui pourraient se déporter. Ce serait plus sain pour tout le groupe et éviterait des mises en cause inutiles.

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Je vous remercie pour les réponses que vous nous avez apportées ; nous vous demanderons éventuellement de nous communiquer les éléments complémentaires qui pourraient nous être utiles.

La séance est levée à 19 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Vincent Bru, M. Didier Paris, Mme Cécile Untermaier