Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Réunion du mercredi 7 avril 2021 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • garimpeiro
  • guyane
  • illégal
  • mercure
  • orpaillage
  • orpailleur

La réunion

Source

COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mercredi 7 avril 2021

La séance est ouverte à quinze heures.

(Présidence de M. Lénaïck Adam, président de la commission d'enquête)

La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition de M. François-Michel Le Tourneau, Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. François-Michel Le Tourneau prête serment.)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'orpaillage illégal constitue un véritable fléau en Guyane. C'est avec plaisir que nous vous recevons, dans l'espoir que les éléments en votre connaissance, nous apporteront un éclairage plus complet sur la situation.

Permalien
François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche

Votre invitation m'honore. J'apporterai à vos travaux le résultat des recherches que je mène depuis 2016 en partenariat avec les forces armées de Guyane (FAG). Je tiens à souligner l'originalité de la coopération entre le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les FAG. Tout chercheur en sciences humaines et sociales se doit d'analyser au mieux de ses capacités, l'action et la décision publiques relatives aux sujets qui l'occupent. J'espère que l'éclairage que je m'efforcerai de vous apporter sur l'orpaillage illégal en Guyane complètera les points de vue que vous avez recueillis par ailleurs.

J'ai choisi d'approcher le monde de l'orpaillage de l'intérieur, en passant en quelque sorte de l'autre côté du miroir. Loin de vouloir nier les conséquences de cette activité ou la violation généralisée des principes sociaux et environnementaux qui, seule, garantit sa rentabilité, j'ai souhaité comprendre son fonctionnement, les relations que nouent entre eux les personnes impliquées, la façon dont elles conçoivent leur activité, etc.

La société garimpeira, autrement dit les orpailleurs illégaux venus du Brésil, se présente à la fois comme un dispositif d'exploitation économique informelle et souvent illégale des ressources minières et comme une structure sociale organisée pour résister à la pression des autorités, passivement, un peu comme un immeuble bâti aux normes sismiques tient bon en cas de secousses telluriques.

Un ouvrage intitulé Chercheurs d'or, paru l'an dernier aux éditions du CNRS, récapitule le fruit de mes travaux. J'ai visité plusieurs dizaines de sites d'orpaillage de toutes tailles, sur l'ensemble du territoire guyanais, et mené, avec des orpailleurs illégaux, presque tous brésiliens, 275 entretiens formels, fondés sur des questionnaires, ainsi que plusieurs centaines d'entretiens libres.

Mon enquête m'a conduit à de nombreuses observations sur les techniques utilisées, leur justification et leur évolution.

L'orpaillage illégal bat au rythme de la quantité d'or extraite. La découverte de nouveaux filons entraîne une multiplication des chantiers et une recrudescence d'activité de la chaîne logistique. Il s'ensuit un afflux massif de personnes : une véritable ruée vers l'or, qui dure de quelques semaines à plusieurs années, selon la taille du gisement.

L'extraction de l'or repose sur un flux logistique. Il faut amener sur les sites du carburant, de la nourriture, des machines et des ouvriers, mais aussi de l'alcool, des divertissements, des téléphones portables, des dispositifs de connexion au Net par satellite pour maintenir le contact avec les familles, etc.

On trouve de tout dans le garimpo, à prix d'or.

La répression menée en Guyane complique l'orpaillage en faisant peser une menace sur l'ensemble des chaînes d'approvisionnement. Paradoxalement, plus il devient risqué d'acheminer le nécessaire, plus le prix des objets rend le voyage rentable. Les orpailleurs paient ainsi sur les chantiers jusqu'à 10 euros un litre de carburant acheté 50 centimes à Albina. La perte d'une cargaison sur deux n'empêche pas, à ce compte, un gain financier.

Les orpailleurs en Guyane sont brésiliens à 97 %. Cette proportion est nettement plus élevée qu'au Suriname, où l'orpaillage est plus ou moins légal.

Ce n'est pas un hasard. La société garimpeira, née au Brésil au XVIIIe, à l'époque coloniale, sous la pression des autorités, s'est structurée pour y faire face. Elle s'épanouit surtout dans les zones où l'activité minière est interdite ou strictement limitée. Dans les zones ouvertes à d'autres modes d'exploitation plus rentables entrent en jeu de grandes entreprises. Les orpailleurs s'en retrouvent souvent expulsés.

Les orpailleurs prospèrent là où un certain flou entoure la propriété foncière, où l'activité minière tombe sous le coup de la loi et où l'insuffisance des gisements ne justifie pas une exploitation formelle mécanisée ; y compris, parfois, aux marges d'une exploitation de ce genre, dans le droit fil des maraudeurs de la fin du XIXe siècle.

Les orpailleurs en Guyane, âgés en moyenne de 40 ans, viennent principalement de l'État brésilien du Maranhão (le plus pauvre et rural du pays), puis, en second lieu, de ceux voisins d'Amapá et Pará. La proportion de deux tiers d'hommes pour un tiers de femmes varie entre les chantiers d'extraction de l'or (où les cuisinières sont souvent les seules femmes et où, contrairement à une légende tenace, elles ne se prostituent généralement pas) et les villages d'appui où les femmes jouent un rôle important dans les divertissements et le commerce. L'orpaillage est souvent une entreprise de couple, déjà constitué ou formé sur place.

Rien ne distingue a priori les garimpeiros, des personnes ordinaires issues des classes moyennes basses et populaires. Leur décision de se livrer à l'orpaillage illégal obéit à un calcul rationnel, puisqu'ils se dotent ainsi de chances raisonnables de s'enrichir, en l'occurrence d'obtenir l'équivalent de ce que fournit au Brésil un emploi payé. Beaucoup d'orpailleurs que j'ai rencontrés sont parvenus à s'acheter un bien au Brésil. Tous ne réussiront certes pas, mais, pour citer une femme que j'ai rencontrée : « Même si cela ne dure pas, on en retire un avant-goût de ce que c'est que d'être riche plutôt que de devoir rêver toute sa vie d'être un peu moins pauvre. » Les garimpeiros s'apparentent plus à des joueurs de casino qu'aux semi-esclaves de la forêt auxquels on les assimile souvent. Ayant pesé le pour et le contre, ils savent à quoi ils s'engagent.

Beaucoup se sentent en outre plus en sécurité physiquement en Guyane, sauf quand des bandes armées sévissent, ce qui n'est heureusement pas le cas partout.

On présente souvent la relation entre patron et ouvrier comme une illustration du caractère féodal du garimpo. Les intéressés ne l'envisagent cependant pas du tout ainsi, mais plutôt comme une association. Le patron apporte les moyens de production. Il assume le coût du chantier en échange de 70 % de l'or recueilli. Rien n'assure qu'il s'en trouvera assez pour éponger ses dettes. Les ouvriers, au salaire garanti pour peu qu'un gisement soit bel et bien exploité, se partagent les 30 % restants.

Les ouvriers s'en vont quand ils le souhaitent. De même, le patron reste libre de renoncer à eux à sa guise. Aucun bénéfice social ni la moindre rémunération proportionnelle au temps ne s'attache à une telle relation, capitaliste à l'état pur. Beaucoup d'ouvriers y voient un avantage, ne trouvant pas leur place dans le système salarial trop rigide à leurs yeux.

L'orpaillage s'organise autour d'une multiplicité de chantiers indépendants qui fonctionnent comme de très petites entreprises groupant moins d'une dizaine de personnes. Cette structure pulvérisée de l'orpaillage explique sa résilience face aux actions de répression. Toute unité de production en faillite libère une niche immédiatement occupée par une autre. Un capital de quelques dizaines de milliers d'euros suffit pour se lancer, d'où le nombre de candidats, dont beaucoup s'élèvent de leur condition initiale en réinvestissant leurs gains. Bien sûr, il arrive qu'un sort contraire ramène certains à leur point de départ.

La société garimpeira fournit des structures qui accompagnent et protègent les orpailleurs au fil de leur parcours sinueux. Des codes de conduite y ont cours, où la solidarité joue un rôle fondamental, même si elle est couplée à un fort individualisme. Cette société fournit aux orpailleurs une identité qui, bien que temporaire, les aide à tenir bon. Beaucoup de garimpeiros ne se livrent à l'orpaillage que quelques mois, le temps de rembourser une dette ou de se constituer un capital.

Identique en tous lieux, leur organisation forme une sorte de filet enserrant l'ensemble de l'Amazonie brésilienne, la Guyane française, le Suriname, le Guyana et une petite partie du Venezuela. Individus et informations circulent dans l'ensemble de la zone. Le passage d'un garimpeiro d'un territoire à l'autre ne constitue aucun obstacle à sa mise immédiate à pied d'œuvre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous vous avons sollicité en raison de votre connaissance de terrain de l'Amazonie et de vos échanges avec les FAG. Existerait-il, selon vous, une stratégie optimale pour freiner l'orpaillage ? Quelle méthode préconisez-vous d'employer pour rendre l'opération Harpie plus efficace ?

Permalien
François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche

Je ne prétendrai pas détenir de réponse définitive à cette vaste question. Deux types de facteurs doivent toutefois être pris en compte dans l'analyse de la situation actuelle.

Je citerai parmi les facteurs conjoncturels : le degré de répression, l'ampleur des forces engagées, leur tactique et les conséquences des mouvements sociaux en Guyane sur leur disponibilité. L'état-major de l'opération Harpie m'apparaît comme le mieux placé pour y réfléchir. N'oublions pas non plus l'entente avec le Brésil ni le cours de l'or, à l'origine d'une pression d'autant plus forte qu'il augmentera.

S'y ajoutent des facteurs structurels, sur lesquels il s'avère plus difficile de peser. Le marché de l'or, toujours demandeur, pose la question du rôle, dans nos sociétés, de l'or, à la valeur purement symbolique. Un changement de ce point de vue présenterait un intérêt certain. Le jour où, au lieu de thésauriser de l'or dans les coffres des banques, on thésaurisera des arbres en forêt, une large part du problème disparaîtra.

Les inégalités de développement entre d'une part la Guyane et le Brésil, et d'autre part les différents États brésiliens pourraient servir de levier dans une perspective de coopération, certes à long terme.

Enfin, le « vide » relatif de l'intérieur du territoire guyanais rend difficile sa surveillance.

En somme, je ne vois pas de recette miracle pour accroître l'efficacité de l'opération Harpie, qui s'améliore d'elle-même à mesure que les forces engagées sur le terrain apprennent de leur expérience. Cependant, l'adversaire tire lui aussi les leçons des confrontations.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'adhère entièrement à vos remarques sur le rôle de l'or dans nos sociétés. Son exploitation irraisonnée répond à une demande émanant pour moitié de la bijouterie et pour moitié de l'investissement privé et des banques. Seule une infime partie de la production est destinée à des fins médicales ou industrielles.

Comment retirer de la valeur à cet or inutile ? Bien qu'il ne serve plus d'étalon, on continue d'y recourir en tant que matériel d'investissement. Quelles mesures conviendrait-il de prendre dans la finance internationale pour changer la donne ?

Permalien
François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche

Je m'exprimerai à ce sujet en tant que citoyen plutôt que comme scientifique. La rareté, certes relative, de l'or explique sa valorisation. Son remplacement par un autre symbole de réserve de valeur fait partie des changements de paradigme nécessaires pour régler bien des aspects de la crise environnementale actuelle. Les moyens d'y parvenir ne s'imposent pas d'eux-mêmes. Il faudrait de plus que tout le monde joue le jeu. La volonté de quelques centaines de millions d'Européens ne suffira pas à remédier à la situation, si le reste du monde ne leur emboîte pas le pas.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Voyez-vous des pistes à explorer pour améliorer la traçabilité de l'or, notamment en cas de réutilisation pour la joaillerie ?

Permalien
François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche

L'analyse des caractéristiques physicochimiques de l'or renseigne sur sa provenance, mais sa traçabilité diminue à partir du moment où il est fondu dans des comptoirs d'achat comme au Suriname.

La demande structurelle en or amène de toute façon à ce que se présentent toujours des personnes disposées à y répondre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je continue de m'interroger sur l'existence d'une réelle volonté politique de régler le problème de l'orpaillage illégal. Comment le gouvernement s'organiserait-il pour le combattre en métropole ? Je ne suis pas certain que la nation y laisserait prospérer une activité menée par des personnes en situation illégale sur le territoire national, ce qui pose la question du respect de la souveraineté nationale et de l'intégrité du territoire français.

Considère-t-on que la Guyane en fait partie en tant que département à part entière ? Ou l'assimile-t-on à une espèce de colonie où l'on peut se permettre de laisser courir certaines pratiques ?

Les Brésiliens se sont organisés pour faire reculer l'orpaillage dans leur pays. Or c'est au plus fort de cette lutte orchestrée par les militaires qu'ont déferlé des garimpeiros dans la forêt guyanaise, où ils se sentent plus en sécurité et plus à l'aise pour travailler qu'au Brésil. Les stratégies de répression adoptées par l'État français sont-elles à la hauteur des enjeux ?

Lors de son audition, Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, a laissé entendre que le gouvernement ne comptait pas aller jusqu'au bout de sa logique de combat contre l'orpaillage illégal, celle-ci se heurtant à une limite : le respect de l'État de droit. J'avais objecté que celui-ci ne doit prévaloir que face à des individus respectant un tant soit peu la loi. L'ampleur des méfaits perpétrés sur le territoire guyanais incite à se demander s'il ne faudrait pas mener une répression plus intense. Je ne suggère pas de tirer sur des hommes qui, à ce titre, méritent que l'on respecte leur vie. Simplement, détruire l'équipement des garimpeiros qui, dès le départ des autorités, remettent en service du matériel de remplacement caché, comme si de rien n'était, ne paraît pas une tactique adéquate. Qui plus est, les hommes en mission en forêt guyanaise, régulièrement relevés, ne consacrent pas moins d'un tiers de leur temps sur place à s'adapter au terrain.

Ne vous êtes-vous jamais dit que l'État devrait mener une véritable guerre contre les garimpeiros ? Certes, le terme a de quoi effrayer. Néanmoins, il se justifie par l'ampleur des conséquences de leur action : aujourd'hui, des femmes et des hommes meurent d'un empoisonnement au méthylmercure et l'on observe chez des jeunes des comportements suicidaires liés à l'imprégnation au méthylmercure. Les garimpeiros font figure d'ennemis de l'économie guyanaise, à laquelle l'extraction légale de l'or pourrait à terme profiter. Nous sommes en train d'hypothéquer les chances de développement de notre territoire.

Face à un ennemi, il faut déployer les moyens quantitatifs et qualitatifs de mener une guerre, comme la France s'en est montrée capable sur des théâtres d'opérations extérieurs, en Afrique subsaharienne ou au Sahel. Je n'admets pas que l'on se contente, sur le territoire national, de juguler un tel fléau, plutôt que de chercher à l'éradiquer une bonne fois pour toutes.

Une filière chinoise passant par le Suriname fournit les orpailleurs en matériel, des Chinois fortunés ayant choisi de placer leur richesse dans l'or comme valeur refuge.

Je suis conscient qu'en tant que directeur de recherche et non membre du gouvernement vous trouverez peut-être malaisé de me répondre. Néanmoins, j'aurais souhaité connaître vos impressions à l'issue de vos enquêtes sur le terrain, où vous avez vu opérer les forces armées.

Permalien
François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche

Je comprends, monsieur le député, votre impression d'un pillage du territoire que vous représentez et je conçois votre frustration.

Mes recherches ne s'appuient pas sur des actions de répression, mais sur des opérations particulières de contact direct et pacifique avec les garimpeiros afin de saisir leur point de vue. Je n'ai aucune connaissance du mode opératoire des FAG ni de l'opération Harpie.

Les orpailleurs saluent systématiquement le respect des droits de l'homme par les forces françaises lors des opérations de répression, qui les soumettent par ailleurs à une très forte pression. Le dispositif Harpie a démontré son efficacité, certes limitée : on dénombre aujourd'hui moins d'orpailleurs clandestins qu'au début des années 2000. Les obstacles que leur opposent les autorités ont hélas un effet pervers : celui d'augmenter le prix des produits et, partant, la rentabilité de toute opération d'exploitation en Guyane.

Je conçois votre sentiment d'injustice lorsque vous comparez la situation en Guyane avec celle de la métropole. Il ne faudrait tout de même pas s'illusionner sur la toute-puissance du gouvernement dans l'hexagone. L'exemple du trafic de cannabis montre assez que l'État ne maîtrise pas l'ensemble des entreprises illégales sur son territoire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je remercie monsieur le directeur pour sa franchise. La pertinence d'une comparaison entre la lutte contre le trafic de drogue dans l'hexagone et le combat contre l'orpaillage illégal en Guyane a déjà été mise en question. Les personnes qui gravitent autour du trafic de drogue sont plus ou moins consentantes, même si certains consommateurs ne le deviennent qu'une fois devenus dépendants. En revanche, la pollution des eaux fait partie des externalités négatives de l'orpaillage illégal. Les victimes d'empoisonnement subissent les conséquences d'une activité à laquelle elles n'ont pris aucune part.

J'estime qu'en ces temps de changements climatiques, le gouvernement aurait dû se démarquer en hissant la lutte contre l'orpaillage illégal dans l'Amazonie française au rang de priorité nationale pour les quatre ou cinq années à venir et organiser une sorte de Grenelle de l'orpaillage, afin de se doter des moyens de rompre définitivement avec ce fléau.

La France, en tant que sixième puissance mondiale, doit exiger le respect de sa souveraineté. Je me demande quel autre pays laisserait des étrangers commettre des exactions sur son territoire sans leur opposer une réaction ferme et forte.

J'en garde le sentiment d'une Guyane oubliée du territoire national. Bien sûr, mes reproches ne s'adressent pas à vous, monsieur le directeur. Je tiens toutefois à ce que nos collègues saisissent le caractère insupportable et inacceptable de la situation. Il faudra bien, un jour, nous fournir les moyens en personnel et en matériel de vaincre les orpailleurs qui, eux aussi, s'adaptent en permanence à la lutte.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Des activités d'orpaillage comparables se déroulent-elles ailleurs dans le monde ? Auquel cas, quels moyens les gouvernements des pays concernés ont-ils retenus pour y remédier ?

Permalien
François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche

L'orpaillage fait vivre plusieurs dizaines de millions de personnes de par le monde, principalement en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Il peut être artisanal, informel ou illégal, et souvent les trois à la fois, sachant que la limite entre ces catégories n'est pas évidente à placer.

Sa mécanisation généralisée en Amérique latine l'y rend plus « propre » en ce qui concerne l'usage du mercure qu'en Afrique ou en Asie. Aucun gouvernement ne dispose de recette miracle pour lutter contre ce phénomène.

À supposer que la Guyane parvienne, du côté du Maroni qu'elle contrôle, à interdire l'orpaillage, tant qu'il restera toléré au Suriname, des tonnes de mercure continueront à polluer le fleuve. Entre un tiers et la moitié du mercure utilisé dans le monde l'est à des fins d'orpaillage, ce qui représente des centaines de milliers de tonnes déversées chaque année dans l'environnement.

Dans les zones où l'orpaillage est plus ou moins formalisé, on recourt à d'autres techniques d'extraction, sans mercure

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez parlé d'un véritable système culturel et social parmi la communauté des garimpeiros, alliant un individualisme poussé à une solidarité forgée par la promiscuité.

Au vu de la répartition géographique à la fois étendue et disparate des garimpeiros en Amazonie, peut-on considérer qu'ils forment une communauté unique ou de multiples entités susceptibles de converger ?

Dans un entretien sur la chaîne Arte, vous avez souligné que les garimpeiros connaissaient très bien les chemins et les routes qu'ils aménagent eux-mêmes. Se partagent-ils leurs informations et, si oui, comment ?

Les garimpeiros soucieux de se prémunir contre les opérations des forces étatiques communiquent-ils entre eux ? La solidarité qui les unit se manifeste-t-elle au sein d'un hypothétique réseau d'échanges ? N'atteint-elle pas ses limites quand l'élimination de la concurrence entre orpailleurs se traduit par de nouvelles opportunités pour certains ?

Permalien
François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche

Le système culturel et social des garimpeiros est apparu dans le Brésil colonial, quand la couronne portugaise s'est arrogé le monopole de l'exploitation des ressources minières, dont se chargeaient déjà de petits exploitants qui se sont dès lors évertués à résister aux pressions de l'appareil d'État.

Les orpailleurs forment-ils une communauté ou plusieurs ? Une, selon moi, même si elle n'est pas centralisée et ne peut être assimilée à une mafia. Dans la mesure où elle repose sur l'adhésion, je serais tenté d'établir un parallèle avec certaines minorités ethniques comme les Roms, à la différence que l'identité d'un garimpeiro, transitoire, ne s'hérite pas. Une relative uniformité s'observe du Tapajós à la Guyane, où l'on parle la même langue et où l'on recourt aux mêmes produits et techniques.

La connaissance du réseau des voies de communication s'acquiert individuellement, au fur et à mesure que chacun glane des informations sur les chemins et fleuves qu'il sillonne. On n'observe aucune centralisation des renseignements. Chaque orpailleur dispose de sa propre cartographie de la Guyane. L'intérieur du département, occupé par une forêt dense d'apparence impénétrable, est en réalité traversé de centaines de milliers de chemins.

Un récent Atlas critique de la Guyane fournit de plus amples précisions à ce sujet.

Les orpailleurs, qui communiquaient jadis à l'aide de radios à bande latérale unique (BLU), utilisent désormais Internet ou WhatsApp. La moindre action de répression des autorités fait vibrer un fil de la toile d'araignée tissée par les garimpeiros, où l'information se propage à la vitesse de l'éclair. Il n'est pas exclu que certains utilisent les autorités pour éliminer la concurrence. Toutefois, la solidarité domine, par souci de préserver les moyens de production, dans l'idée de s'assurer, au besoin, un renvoi d'ascenseur ultérieur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'absence de difficulté que présente l'approvisionnement en mercure m'interpelle, d'autant que ce métal n'est ni bon marché, ni simple à transporter.

Permalien
François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche

Le marché international du mercure est surveillé, certes depuis peu, en raison de ses effets connus sur l'environnement. Une partie du mercure déclaré à usage industriel ou médical est en réalité détournée. Notons que la loi autorisait jusqu'en 2006 son importation en Guyane. Il vient principalement du Guyana via le Suriname et de moins en moins du Brésil.

Le problème vient du faible coût du mercure, dont un kilo vaut de 10 à 15 grammes d'or, tout en permettant d'obtenir jusqu'à un kilo d'or. Le principal coût de production de l'or reste le carburant.

Certains systèmes d'exploitation permettent de se passer de mercure ou d'en recycler. La situation en Guyane correspond en quelque sorte au pire cas de figure : celui de populations locales contaminées sans que l'État, tout en assumant le coût de la répression, prélève sur les exploitations aurifères la moindre recette fiscale. Les orpailleurs salissent d'autant plus l'environnement qu'ils subissent trop de pression de la part des autorités pour pouvoir développer de bonnes pratiques. Un cycle infernal se met dès lors en place.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Un meilleur contrôle du commerce du mercure ne contribuerait-il pas à la lutte contre l'orpaillage illégal ?

Permalien
François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche

Il imposerait à tout le moins un changement de technique d'extraction. Toutefois, les deux États souverains que sont le Suriname et le Guyana appliquent des règles différentes sur l'utilisation du mercure.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

M. le directeur évoquait les dynamiques de solidarité entre orpailleurs. En a-t-il observé entre illégaux et légaux ? La remarque a souvent été formulée que la forêt constitue un monde à part, propice aux rapprochements, et que tout ce qui se dit en forêt reste en forêt.

Permalien
François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche

Je distinguerais la solidarité de la complicité. En cas d'accident, les orpailleurs légaux aident les clandestins blessés dans une démarche d'assistance humanitaire.

Je sais qu'on évoque souvent des complicités dans l'exploitation des gisements, mais je n'en ai pas moi-même eu vent.

La main-d'œuvre légale des orpailleurs légaux est presque exclusivement brésilienne. Culturellement, nous avons donc affaire aux mêmes populations.

La réunion s'achève à seize heures.