Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Réunion du mardi 25 mai 2021 à 18h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mardi 25 mai 2021

La séance est ouverte à dix-huit heures trente.

(Présidence de M. Lénaïck Adam, président de la commission d'enquête)

La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique.

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Merci, madame la ministre de la transition écologique, d'avoir accepté notre invitation à participer à ce cycle d'auditions organisé par la commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane. Nous avons déjà reçu de nombreuses personnes, qui nous ont parlé des difficultés à lutter contre cet orpaillage et de l'organisation des garimpeiros. Nous comptons sur vous pour nous apporter davantage d'éléments et nous dire comment vous comptez renforcer le contrôle des mines.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(Mme Barbara Pompili prête serment.)

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Barbara Pompili, ministre de la transition écologique

Il y a une quinzaine de jours à peine, nous avons entendu le dernier cri d'alarme d'une forêt qui se meurt. Par la faute des hommes, l'Amazonie brésilienne émet davantage de carbone qu'elle n'en séquestre. Un cri d'alarme est poussé, car cette forêt millénaire à l'agonie est un véritable coffre-fort qui recèle une biodiversité inouïe. C'est un trésor culturel pour des millions de femmes et d'hommes. C'est un morceau de nous-mêmes.

La France a la chance inouïe d'avoir, sur son sol, un pan significatif de la forêt amazonienne. C'est une chance, mais c'est aussi un devoir, celui de tout faire pour le protéger et de ne renoncer à rien pour préserver ce patrimoine commun de l'humanité. Aussi vais-je le redire clairement devant vous : face aux orpailleurs illégaux, pas de cadeau ! Nous n'en avons plus le temps. Nous savons combien cette pratique aberrante de l'orpaillage illégal saccage la forêt, ravage les écosystèmes, souille la terre et détériore la santé des habitants exposés au poison du mercure. Chaque année, pour tirer 10 tonnes d'or de la forêt, 500 hectares sont détruits.

Je veux rendre hommage aux femmes et aux hommes qui se battent sur le terrain, chaque jour et chaque minute, pour mettre un terme à ce fléau : la force Harpie, qui mène une lutte acharnée depuis 2008, les gendarmes, les services des douanes, la police aux frontières, ainsi que les agents de l'Office français de la biodiversité (OFB), de l'Office national des forêts (ONF) et du parc amazonien de Guyane (PAG). Ces femmes et ces hommes effectuent un travail remarquable au quotidien – et douloureusement, au prix de la vie de nombreux militaires français. Malheureusement, neuf militaires sont décédés depuis 2010. Leur engagement nous oblige. Il nous oblige à déployer tous les moyens légaux de mener à bien cette bataille pour la forêt, pour la biodiversité et pour les gens qui y vivent. Il nous oblige à faire peser la pression maximale sur les orpailleurs illégaux.

C'est ce que nous faisons, depuis le premier jour du quinquennat. En 2018, nous avons déployé le dispositif Harpie 2 pour renforcer cette pression et donner aux forces engagées les moyens adaptés à leur lutte. Plus de 500 agents sont ainsi mobilisés chaque jour dans la lutte contre l'orpaillage illégal, et 70 millions d'euros sont consacrés chaque année à l'opération Harpie. Ainsi que je l'ai indiqué lors de l'examen du projet de loi « climat et résilience », je mobiliserai les financements nécessaires pour augmenter de 50 % les interventions par hélicoptère en 2021 et 2022, car c'est le moyen le plus efficace pour repérer, traquer et appréhender les orpailleurs illégaux. Nous avons également déployé en Guyane un détachement de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP).

Dans cette lutte, la France n'est pas seule. Elle peut compter sur ses amis, qui ont également la forêt en partage. Je me réjouis de l'accord de coopération signé avec le Suriname, il y a deux mois, pour coordonner nos efforts dans la lutte contre ce fléau. Malgré la complexité de la lutte dans un territoire aussi vaste que celui de la Guyane et recouvert à 95 % d'une forêt dense et difficile d'accès, ce dispositif a démontré son efficacité. Ainsi, entre 2018 et 2020, plus de 3 000 patrouilles ont été effectuées, plus de 1 700 chantiers ont été détruits et plus de 380 kilos de mercure et 28 kilos d'or ont été saisis.

Certes, le nombre global de chantiers alluvionnaires actifs – 315 sites – demeure trop élevé, en particulier dans le PAG qui accueille une diversité biologique exceptionnelle. Mais l'évolution globale du nombre de sites reste contenue, malgré une augmentation de plus de 50 % du cours de l'or depuis 2015, ce qui ne facilite pas la tâche.

Pour améliorer nos outils de lutte contre l'orpaillage illégal, il nous a aussi fallu examiner avec lucidité les faiblesses de notre droit, avant de le transformer. Ainsi, j'ai défendu la réforme du code minier dont notre pays avait tant besoin et qui était devenue un vieux serpent de mer dont on ne voyait jamais le bout. Nous avons doté la France d'un nouveau cadre réglementaire, adapté à notre époque et à ses défis si singuliers. Nous nous donnons les moyens de tirer parti des ressources de la terre dont nous avons besoin, tout en protégeant notre planète. Cette ambition est inscrite dans le marbre du projet de loi « climat et résilience », que vous avez voté en première lecture et que la majorité a même renforcé en adoptant de nombreux amendements – je pense notamment aux amendements déposés par les parlementaires guyanais, notamment par le président et le rapporteur de votre commission d'enquête, qui permettent une amélioration de la réponse pénale.

Nous avons besoin d'un droit taillé sur mesure afin de mener ce combat pour la forêt guyanaise, pour les Amérindiens qui y vivent et pour la santé de tous les habitants de la Guyane. C'est chose faite, avec le renforcement des sanctions. Les orpailleurs illégaux pourront dorénavant être punis de cinq ans d'emprisonnement au lieu de deux ans auparavant, et de 100 000 euros d'amende au lieu de 30 000 auparavant. En outre, s'ils sont étrangers, ils pourront être interdits d'accès au territoire. Dans les cas les plus graves, notamment en cas d'atteinte à l'environnement, les sanctions pourront être portées à dix ans de prison et 4,5 millions d'euros d'amende.

Renforcer notre droit, c'est aussi adapter les conditions de la lutte aux spécificités du terrain. Hier, lorsqu'un orpailleur était placé en garde à vue, celle-ci débutait le plus souvent au milieu de la forêt, sans prise en compte du temps de transfert vers la gendarmerie. Aujourd'hui, la loi prévoit la possibilité de reporter le point de départ de la garde à vue de vingt heures, pour donner aux membres des forces de sécurité le temps dont ils ont besoin pour mener à bien leur mission.

Renforcer notre droit pour lutter contre ce fléau, c'est encore investir les agents de l'OFB et de l'ONF de pouvoirs de police judiciaire afin qu'ils puissent constater les infractions dans l'ensemble du territoire guyanais.

Ces avancées décisives que vous avez inscrites au cœur de la loi sont autant de victoires face à l'orpaillage illégal, autant d'hectares de forêt préservés et autant de mercure en moins dans l'environnement.

Ce combat contre l'orpaillage, cette pratique qui abîme l'environnement, est une cause personnelle pour l'écologiste que je suis. Vous savez que c'est un sujet dans lequel je suis investie depuis longtemps. Vous pouvez compter sur moi pour continuer le travail, pour aller encore plus loin et pour tout mettre sur la table. J'espère que nous pourrons prochainement affecter les produits de la cession de l'or saisi à la lutte contre l'orpaillage, car chaque once d'or arrachée à la forêt ne peut avoir qu'un seul but : la protéger.

Vous le voyez, ma ligne est très claire : protéger l'Amazonie, lutter contre l'orpaillage illégal qui empoisonne, souille et saccage la forêt, la terre et les hommes. Je sais, pour avoir travaillé avec vous, que nous partageons le même sens de l'urgence et la même résolution. Je vous remercie pour votre invitation à témoigner devant cette commission et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

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Merci, madame la ministre, pour ces annonces et cette volonté politique d'aller plus loin. Nous connaissons l'enclavement du territoire guyanais. Le transport aérien permet aux forces de l'ordre d'agir vite et bien : nous sommes donc heureux d'apprendre que les interventions en hélicoptère augmenteront de moitié. Les autres mesures évoquées montrent votre volonté de lutter efficacement contre l'orpaillage illégal.

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Madame la ministre, vous avez évoqué le projet de loi « climat et résilience » que nous avons voté il y a peu à l'Assemblée nationale, et dont deux articles visent à réformer le code minier. Cette réforme est nécessaire pour doter l'État des outils juridiques qui lui permettront, notamment, de refuser des permis miniers d'exploration ou d'exploitation pour des motifs environnementaux. Elle prévoit également une augmentation des sanctions, que vous avez largement détaillées. Pouvoir refuser des permis miniers d'exploration pour des motifs environnementaux est très important pour préserver la faune, la flore et la diversité locales. Comment le nouveau code minier permettra-t-il de mieux lutter contre l'orpaillage illégal en Guyane ?

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Barbara Pompili, ministre

Bien que la réforme du code minier ne vise pas directement à lutter contre l'orpaillage illégal, elle renforcera les prérogatives de certains acteurs, permettant ainsi de développer un modèle minier plus durable et d'encadrer les projets d'exploration sur le plan environnemental. Nous avons tous en tête le projet Montagne d'or, qui était juridiquement acceptable – il ne contrevenait pas aux règles du code minier alors applicables – mais ne correspondait plus à notre manière de penser la mine. Il fallait donc adapter notre droit afin que de tels projets, avec un fort impact environnemental, ne soient plus acceptés. Avec la réforme du code minier, nous pourrons refuser un projet incompatible.

Cette réforme permettra aussi d'améliorer la concertation et la participation du public. De plus en plus, les populations souhaitent être associées aux projets qui ont un impact sur leur environnement et leurs lieux de vie.

Elle permettra, en outre, de renforcer la collectivité territoriale de Guyane lors de la révision du schéma départemental d'orientation minière.

Enfin, elle permettra de renforcer les moyens de la lutte contre l'orpaillage illégal, grâce aux mesures que j'ai mentionnées dans mon intervention liminaire.

Pour rappel, le secteur aurifère est le deuxième secteur industriel de Guyane. Il représente 1 % du PIB et occupe quarante artisans et cinq PME. Il est à l'origine de 550 emplois directs, de 600 à 1 200 emplois indirects et d'environ 850 000 euros de redevances et de taxes venant remplir les caisses des collectivités. La production légale représente 1,5 tonne d'or par an, et l'on estime que l'orpaillage illégal rapporte six fois plus.

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Merci, madame la ministre, d'avoir accepté notre invitation. Nous nous croisons sur les bancs de l'Assemblée depuis 2012 et je sais quelle a été votre implication à nos côtés et aux côtés de la Guyane pour faire évoluer cette situation dont nous n'avons eu de cesse de parler depuis une dizaine d'années. Avant moi, Mme Berthelot et Mme Taubira avaient également interpellé le Gouvernement et signalé les méfaits de l'orpaillage illégal pour le territoire guyanais.

Je ne puis que reconnaître les quelques avancées obtenues dans le cadre du projet de loi « climat et résilience », même si toutes les intentions n'ont pas été suivies d'effet. Je pense notamment à la traçabilité de l'or. Il en a souvent été question lors de ces auditions, et force est de reconnaître que nous sommes certainement passés à côté d'un sujet essentiel. Toutefois, plutôt que de se morfondre dans les regrets, le temps est venu d'avancer.

La question de la doctrine est souvent revenue, elle aussi, au cours de nos auditions. Faudrait-il la changer ? Le Gouvernement entend-il éradiquer définitivement ce fléau ou simplement le contenir ? Après nos échanges avec un certain nombre de personnalités, dont le ministre des outre-mer et plusieurs acteurs de la société civile et des forces armées, je suis parvenu à la conclusion qu'il n'y avait pas de profonde volonté d'aller vers l'éradication définitive de l'orpaillage illégal. Je suis le premier à me rendre compte de l'ampleur de la catastrophe et des difficultés inhérentes à la lutte contre ce fléau, mais j'aurais voulu connaître votre sentiment. Le Gouvernement s'assigne-t-il l'objectif de mettre un terme à cette pratique ou s'est-il résigné, face aux difficultés, à se contenter de la contenir en évitant qu'elle ne se développe trop ? Les réponses et les moyens qui pourront être apportés dépendent de ce positionnement.

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Barbara Pompili, ministre

La création d'une procédure de traçabilité administrative de l'or est en effet une question fondamentale, qui s'inscrit en premier lieu dans la stratégie de lutte contre l'orpaillage illégal. Nous partageons votre volonté d'exemplarité, dans un contexte international demandeur d'une industrie extractive plus responsable. À l'initiative du procureur de la République de Guyane et dans le cadre du renforcement de la lutte contre l'orpaillage illégal, un mécanisme de livret de police et de bon de transport a été institué il y a environ deux ans. La réforme du code minier que vous avez validée permettra de mieux assurer la sécurité juridique de ce dispositif de traçabilité, puisqu'elle prévoit l'obligation de déclarer de façon dématérialisée la production et le transit entre les sites. L'évolution des obligations déclaratives devra s'accompagner de la création d'un outil numérique, qui permettra d'effectuer ces démarches et de les contrôler. La déclaration des quantités extraites et des étapes de transformation et de transit permettra en outre aux acteurs volontaires de s'appuyer sur ces données pour engager des démarches de certification ou d'information de la filière aval. Je vous annonce donc qu'un appel d'offres sera lancé prochainement pour accompagner le développement du système de traçabilité numérique.

Faut-il éradiquer le fléau ou le contenir ? Ma volonté serait de l'éradiquer. Reste à savoir si nous en sommes capables, même en y consacrant de très nombreux moyens. La situation géographique et topographique particulière de la Guyane laisse penser qu'il serait très difficile d'obtenir l'éradication complète de ce fléau. Ce n'est pas pour autant qu'il faut se contenter de ce que l'on a. Il faut faire plus et mieux. Nous avons d'ailleurs développé un certain nombre de moyens. Nous avons également décidé, depuis l'année dernière, de territorialiser la lutte contre l'orpaillage illégal. Ainsi, à défaut de pouvoir l'éradiquer complètement partout, nous tenterons de consentir des efforts différenciés selon les enjeux territoriaux. Dans cette optique, des zones d'intérêt prioritaire ont été identifiées, grâce à des critères de population, d'économie et d'environnement. Il s'agit donc d'endiguer au maximum l'orpaillage illégal à l'échelle globale et de mener une action plus lourde et plus ciblée dans ces zones d'intérêt prioritaire, avec une répression franche.

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Vous avez annoncé l'augmentation de 50 % des opérations héliportées en 2021 et 2022. Cette décision va dans le bon sens. Cependant, j'aurais voulu que vous continuiez à être notre porte-parole et notre avocat auprès de vos collègues du Gouvernement, notamment dans la perspective des prochains projets de loi de finances. Les différentes auditions que nous avons menées nous ont permis de nous rendre compte que les opérations Harpie ne se déroulent pas dans des conditions parfaites, en raison de la qualité du matériel mis à disposition des militaires – celui-ci est parfois obsolète, voire totalement dépassé sur le plan technologique. Un déficit de formation a également été évoqué. Les militaires eux-mêmes ont d'ailleurs indiqué à la ministre des armées, lors de sa visite en Guyane, que la formation occupait un tiers de leur activité et que, de ce fait, le temps passé en opérations à proprement parler était insuffisant pour permettre aux hommes de s'acclimater et d'être pleinement efficients sur le terrain. Un ou deux interlocuteurs ont beaucoup insisté sur le travail de renseignement. Bien souvent, ce sont des agents de l'OFB, du PAG ou des personnes travaillant sur des sites légaux d'orpaillage qui remettent aux militaires des cartes plus faciles à lire que celles dont ils disposent. Pouvez-vous prendre l'engagement de faire évoluer la compréhension que vos collègues du Gouvernement ont de la lutte contre l'orpaillage illégal ? C'est indispensable pour que les moyens budgétaires nécessaires à l'amélioration de cette lutte soient mis à disposition de la Guyane.

Par ailleurs, lors du quinquennat de M. Hollande, je m'étais battu pour que les recettes issues de la vente de l'or illégal saisi bénéficient en priorité aux communes les plus lourdement touchées par ce phénomène – nombre de communes situées le long du Maroni auraient aimé que tel soit le cas. Suite à une deuxième demande de ma part, ces recettes ont finalement été directement affectées à la lutte contre l'orpaillage illégal, mais il s'agissait en réalité d'une solution de repli. J'aimerais que ma première demande soit entendue et que ces produits bénéficient d'abord aux communes qui en ont besoin. Est-ce une piste que nous pourrions explorer en vue du projet de loi de finances pour 2022 ou des budgets suivants, même si une élection présidentielle intervient entre-temps ? Pourrions-nous au moins poser ce principe pour assurer sa pérennité quel que soit le résultat des élections ?

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Barbara Pompili, ministre

Un peu plus de 500 militaires et gendarmes sont mobilisés chaque jour en Guyane, dont 300 militaires – 190 en forêt – et 200 gendarmes – 50 en forêt. Doivent également être mentionnés huit agents de l'ONF, quinze agents du PAG et douze agents de l'OFB.

L'État mobilise plus de 70 millions d'euros par an pour lutter contre l'orpaillage illégal, dont 55 millions d'euros pour les forces armées en Guyane – avec deux régiments d'infanterie, deux patrouilleurs, deux Fennec, un voire deux Casa, un Puma et le soutien sanitaire du service de santé des armées – et 11,9 millions d'euros pour la gendarmerie – avec deux escadrons mobiles. Six officiers de police judiciaire sont dédiés à la lutte contre l'orpaillage illégal. Un détachement de l'OCLAESP est spécifiquement chargé de diffuser les techniques d'enquête éprouvées auprès des différents acteurs, et de dispenser une formation à ces techniques. La section aérienne de la gendarmerie est elle aussi mobilisée, avec deux hélicoptères, pour assurer la permanence judiciaire en forêt.

Sur ces 70 millions d'euros, un million est consacré à la mission de police de l'environnement du PAG sur son territoire, dont la plus grosse partie de l'effort concerne la lutte contre l'orpaillage illégal. Il faut savoir que 80 % des opérations sont effectuées en coopération avec les forces Harpie. Elles mobilisent quinze inspecteurs de l'environnement armés, qui disposent de pouvoirs judiciaires suffisants pour détruire les sites clandestins.

Enfin, 550 000 euros sont destinés à l'ONF. Ses huit agents ne disposent pas encore des pouvoirs judiciaires nécessaires à la lutte contre l'orpaillage illégal, mais la réforme du code minier prévoit leur habilitation. Ce personnel recevra la formation nécessaire.

Je vous ai annoncé tout à l'heure l'augmentation de 50 % des interventions héliportées.

Des moyens existent, donc. Certes, ils pourraient toujours être plus nombreux. En interministériel, je pousse d'ailleurs pour que tel soit le cas.

Les saisies effectuées dans le cadre de la lutte contre l'orpaillage illégal représentent quatre à cinq kilos d'or par an ; leur vente rapporte environ 200 000 euros. Je suis favorable à ce que ces recettes soient affectées à la lutte contre l'orpaillage illégal, à laquelle nous consacrons déjà 70 millions d'euros. J'entends ce que vous dites concernant les collectivités. Pour l'instant, il est prévu que le préfet gère ces moyens financiers supplémentaires et les répartisse entre les différents partenaires, dont le PAG, l'ONF et l'OFB, en fonction de la priorisation de leurs projets respectifs. Il me semble plutôt opportun de consacrer ces 200 000 euros à l'amélioration des formations et à l'achat du matériel utile, mais cela peut se discuter.

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Madame la ministre, vous avez utilisé des mots forts concernant l'orpaillage illégal, qui montrent la valeur et la qualité de votre engagement. Nous constatons, au fil des auditions, que ce problème est très important, tant sur le plan environnemental que pour la santé des populations locales. Il est donc rassurant de voir que le Gouvernement est pleinement engagé dans le domaine.

Une forte demande de réforme du code minier et d'adaptation du cadre légal a été exprimée dans le cadre de nos différentes auditions. Nous nous réjouissons que des avancées aient déjà été effectuées. Cela retirera de la matière à la commission d'enquête, mais c'est tant mieux !

Concernant l'ajustement des moyens de la lutte contre l'orpaillage illégal, vous avez rappelé la possibilité d'augmenter le nombre d'heures d'intervention des hélicoptères. Il est ressorti des auditions, notamment de celle du commandant de la gendarmerie outre-mer, qu'il existe aussi une difficulté liée à la vétusté du matériel et à l'inadaptation de certains Puma. Or les hélicoptères sont le principal vecteur de lutte contre l'orpaillage illégal. Vous n'êtes pas ministre des armées, mais il est important de vous apporter cet élément de réflexion.

Vous avez répondu à une question que j'avais préparée au sujet de la traçabilité et de l'utilisation des recettes issues des ventes d'or illégal saisi. L'or est extrait car son cours est élevé : il est transformé assez rapidement en bijoux, qui peuvent aisément sortir du territoire pour être vendus. Peut-être y aurait-il une action à mener pour tarir cette source, si nous en avons la capacité.

En tout état de cause, ce fléau a tant de ramifications qu'il est très difficile de le combattre. Vous avez rappelé l'investissement humain, financier et matériel déjà engagé – le montant de 70 millions d'euros est élevé. Comme l'a souligné le rapporteur, il est compliqué de comprendre que le résultat n'est pas à la hauteur de cet investissement. L'objectif de la commission d'enquête étant de formuler des propositions, avez-vous d'autres suggestions à nous soumettre afin que cette lutte – qui est un véritable engagement du Gouvernement – soit encore plus efficace, au service de notre planète comme des populations locales qui souffrent et sont asphyxiées par le mercure qui retombe dans les cours d'eau et dans ce qu'elles ingèrent ?

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Barbara Pompili, ministre

Merci pour vos encouragements. Je ne suis pas compétente pour vous répondre s'agissant de la vétusté du matériel : comme vous l'avez dit vous-même, ce sujet concerne le ministère des armées, vers lequel je vous renvoie. Pour ma part, je paie des hélicoptères civils supplémentaires avec le budget de mon ministère pour aider la force Harpie dans sa lutte contre l'orpaillage illégal.

S'agissant de l'élévation du cours de l'or et des différents moyens de faire passer la frontière à ce métal précieux, vous soulevez un sujet important. Le cours de l'or a augmenté de plus de 50 % depuis 2015. Associée au prix bas du pétrole, cette hausse améliore la rentabilité de l'extraction. En effet, les coûts de fonctionnement sont réduits, l'ouverture de nouveaux chantiers est de facto encouragée et les orpailleurs développent une forme de résilience face à l'asphyxie financière de la lutte contre l'orpaillage illégal. En outre, les bénéfices des activités économiques et commerciales liées à l'orpaillage, en l'occurrence l'approvisionnement, la logistique et les services, augmentent : s'engager dans les activités périphériques de l'orpaillage clandestin présente donc un intérêt accru. Les gisements les plus pauvres et éloignés peuvent être exploités, parce qu'ils sont désormais rentables. Les chantiers n'ont plus à se regrouper pour faire des économies d'échelle : la répression est donc plus difficile. Qui plus est, la hausse du cours de l'or a un impact négatif pour les populations locales. Puisque les commerçants locaux acceptent d'être payés en or, la hausse du cours de l'or et du pouvoir d'achat des orpailleurs entraîne une inflation des prix pour les populations locales non orpailleuses. Les populations locales se trouvent ainsi poussées à s'investir dans l'orpaillage clandestin.

Ce contexte est à mettre en regard des actions menées pour lutter contre cet orpaillage et des résultats que nous obtenons. Le nombre de sites est encore beaucoup trop élevé, mais il reste stable alors même que le cours de l'or a augmenté. La situation n'est plus la même. Bien qu'il existe une incitation forte à faire de l'orpaillage illégal, nous avons réussi à contenir la hausse de cette activité. Ce n'est en rien de l'autosatisfaction, d'autant que nous sommes encore loin du compte. Mais force est de constater que les résultats sont là.

Vous me demandez quelles propositions je peux formuler pour améliorer encore la lutte contre l'orpaillage illégal. Je crois beaucoup à la coopération transfrontalière, à laquelle nous œuvrons tous de longue date.

Je suis très satisfaite de la signature, le 15 mars dernier, d'un accord bilatéral avec le Suriname délimitant la frontière entre nos deux pays sur tout le linéaire habité. Il s'agit d'une avancée diplomatique majeure. Nous avons aussi signé une convention d'entraide judiciaire en matière pénale et une déclaration conjointe pour la gestion commune du fleuve transfrontalier permettant de développer la coopération avec le Suriname dans le domaine de la sécurité et la lutte contre les trafics, particulièrement contre l'orpaillage illégal. Ces progrès dans le domaine diplomatique ont déjà permis des avancées importantes. Depuis novembre 2020, la France apporte le concours de ses moyens aux missions surinamaises visant à faire cesser l'activité des barges fluviales sur le Maroni. L'activité est réduite, mais l'effort est maintenu pour obtenir le démantèlement des équipements. Une coopération policière se développe aussi dans le cadre d'un accord plus ancien de 2006, notamment en matière d'échanges de renseignements et d'actions communes destinées à contrôler les flux transfrontaliers.

Nous travaillons également au renforcement de la coopération militaire et policière avec le Brésil. La crise sanitaire a permis d'identifier quelques points d'amélioration de la coopération transfrontalière sur l'Oyapock, mais les accords existants rendent déjà possible une certaine coopération entre les services. Les forces armées brésiliennes et françaises se coordonnent périodiquement pour conduire des opérations synchrones de part et d'autre de la frontière, à l'exemple de l'opération Horus menée en février 2021 à l'initiative du Brésil. Les forces de police développent les échanges pour améliorer le partage de renseignements et la compréhension mutuelle des enjeux liés à l'orpaillage illégal, tels qu'ils sont perçus au Brésil et en France.

Une grande partie de la solution réside dans cette coopération transfrontalière. Quiconque s'est déjà rendu en Guyane a pu constater que la porosité des frontières permet aux orpailleurs de s'approvisionner très facilement dans les pays voisins. Il faut réussir à endiguer et à éradiquer ce phénomène. Nous devons donc poursuivre ce travail avec le Brésil. Avec le Suriname, nous avons obtenu une avancée majeure qu'il faut faire vivre dans le temps – c'est tout l'enjeu des mois et des années à venir. Telle est la piste principale d'amélioration que j'identifie, en dehors de celles qui ont certainement déjà été évoquées lors de vos auditions.

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L'État a déjà investi beaucoup d'argent dans la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane. Pour autant, je rappelle que le président Chirac avait déclaré en 2005, à l'occasion de la conférence de Paris sur la biodiversité, que cette activité serait définitivement éradiquée dans le parc amazonien. Je veux prendre cette déclaration comme base de ma réflexion. Les acteurs du PAG nous ont indiqué qu'en 2017 et 2018, 177 et 148 sites d'orpaillage illégal étaient recensés au cœur du parc, soit un tiers des sites illégaux.

Cette situation nuit à la crédibilité du parc amazonien, dont je rappelle qu'il couvre une superficie de 3,4 millions d'hectares, sur les 5,5 millions d'hectares que représentent l'ensemble des parcs nationaux de France hexagonale et d'outre-mer. Alors qu'il représente environ 70 % de la superficie globale des parcs nationaux de France, ses personnels ne correspondent qu'à 10 % de l'effectif global. Il y a donc une profonde disparité entre la superficie à protéger en temps normal, qui est en outre souillée et détruite par l'orpaillage illégal, et les moyens alloués.

Face à ces constats, la stratégie menée jusqu'à maintenant est-elle la bonne ? Certes, un investissement annuel de 70 millions d'euros semble très élevé. Mais la question est de savoir si la stratégie définie par l'état-major de lutte contre l'orpaillage illégal est adaptée à l'action contre cette organisation mafieuse – il faut appeler un chat un chat, nous combattons une véritable organisation mafieuse, avec des garimpeiros qui se comportent parfois comme des guerriers. Il m'est déjà arrivé d'employer le terme de « guerre » pour évoquer ce qu'on aurait dû mettre en place pour éradiquer le phénomène. Je sais que ce vocabulaire n'est pas toujours très apprécié, mais certains garimpeiros n'ont pas hésité à ouvrir le feu sur les gendarmes chargés de la lutte contre ce phénomène, et des gangs armés très violents viennent sur le territoire pour piller l'or recueilli par les garimpeiros – sans compter qu'ils déversent des tonnes de mercure dans les eaux des rivières et empoisonnent les populations locales. Des comportements suicidaires ont été détectés chez les jeunes Amérindiens, dont les psychiatres considèrent qu'ils peuvent être liés à l'absorption de méthylmercure. On a aussi parlé de la destruction de la forêt, véritable crime d'écocide. Alors que la France entend affirmer au monde qu'elle est capable de préserver sa part d'Amazonie, contrairement au Brésil, ne faudrait-il pas, à défaut de déclarer la guerre aux garimpeiros, revoir la stratégie déclinée par l'état-major afin de renforcer son efficacité ?

L'article 5 de la Constitution dispose que le Président de la République est le garant de l'intégrité du territoire national. On pourrait valablement se demander ce qu'il devrait faire pour que cette obligation constitutionnelle soit respectée et suivie d'effet.

Au vu des moyens importants mobilisés pour la lutte contre l'orpaillage illégal, nous devrons rendre compte aux contribuables français et leur expliquer pourquoi nous avons échoué dans cette entreprise. Même si la doctrine consiste à limiter la casse, c'est-à-dire à limiter les effets de l'orpaillage illégal plutôt que d'éradiquer définitivement cette pratique, je ne suis pas certain que les contribuables seraient ravis d'apprendre que, chaque année, autant d'argent est, non pas jeté par les fenêtres, mais consacré à des actions dont le résultat n'est pas à la hauteur des espérances. Madame la ministre, je sais bien qu'il n'y a pas de solution miracle et qu'il ne suffira pas de claquer des doigts, mais ne devrions-nous pas nous interroger sur la pertinence de la stratégie menée jusqu'à présent et trouver, à moyens constants, un cheminement différent pour aboutir aux résultats que nous escomptons ?

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Barbara Pompili, ministre

J'ai bien conscience de l'ampleur du problème et de la frustration que nous pouvons ressentir collectivement de ne pas réussir à éradiquer ce fléau. Néanmoins, il faut replacer les propos du président Chirac dans leur contexte : lorsqu'il a prononcé ces mots, la force Harpie n'avait pas été créée. Depuis, nous avons pu constater ce que l'on pouvait faire – qui n'est pas négligeable –, mais aussi les limites de ce qui est faisable.

Entre 2018 et 2020, 1 774 chantiers ont été détruits et 75 millions d'euros d'avoirs criminels ont été saisis, soit une moyenne de 25 millions d'euros par an, dont 13,5 kilos d'or. Par ailleurs, 180 personnes ont été placées en garde à vue et 99 personnes ont été condamnées. En 2020, un peu plus de 317 000 litres de carburant, 256 kilos de mercure et 182 tonnes de nourriture ont été saisis. La même année, 4 131 carbets ont été détruits. Bien sûr, trop de sites illégaux restent actifs dans le PAG, mais les résultats de la première campagne 2021 de survols aériens montrent une légère baisse de ce nombre, qui est passé de 156 en août 2020 à 148 en janvier 2021.

Du travail est donc accompli. Certes, c'est un peu le rocher de Sisyphe, puisque l'orpaillage illégal se poursuit. Aussi réfléchissons-nous à un volet supplémentaire dans la lutte contre cette activité, qui consisterait à sanctionner le transport de matériel vers les sites illégaux par fleuve et par pirogue. Cela permettrait d'assécher un peu ces chantiers en fournitures, mais aussi de traiter le sujet en amont plutôt que sur les sites où règne parfois, vous l'avez dit, une violence extrême. Un travail est en cours avec la chancellerie à ce sujet, afin d'intégrer la sanction du transport de matériel vers les sites illégaux dans le projet de loi « climat et résilience ». Ce texte prévoit déjà d'aggraver les sanctions pénales et de faire commencer les gardes à vue au moment où les orpailleurs arrivent à l'endroit où ils seront interrogés. Cela permettra d'améliorer l'efficacité de la réponse pénale et d'appliquer plus facilement les sanctions.

S'agissant de la remise en état des lieux dégradés par l'orpaillage illégal, une identification des sites où une tentative de restauration serait pertinente est en cours au sein du PAG. Il s'agit notamment de s'assurer que les orpailleurs ne risquent pas de revenir et de cibler les parcours techniques envisageables, en tenant compte tant des expériences déjà menées par ailleurs que de l'état de l'art en la matière. La première étape sera celle de l'expérimentation. Si les conditions le permettent, le PAG envisage également d'engager une opération de restauration à valeur de vitrine, orientée vers un retour à la meilleure naturalité possible, donc sans usage économique. Ce laboratoire expérimental de restauration pourrait également servir à l'évaluation du coût technique de la restauration et du préjudice environnemental potentiellement utilisable sur le plan judiciaire, dans le cadre de procédures engagées contre des personnes solvables. L'objectif est d'expérimenter la restauration et la revégétalisation d'ici fin 2021 dans des sites pilotes, pour un déploiement à plus grande échelle à compter de 2022. Les besoins financiers pour cette expérimentation sont évalués à un million d'euros pour les 40 hectares de sites pilotes, soit un coût moyen de 25 000 euros par hectare. Doit également être envisagée la reprise d'un secteur illégal dégradé par un opérateur légal, qui peut permettre, en fin d'exploitation, la réhabilitation et la revégétalisation du site. Là encore, des études sont en cours.

Bien que la réforme du code minier soit prévue dans le projet de loi « climat et résilience », je serai très attentive aux préconisations de votre commission d'enquête. Nous verrons s'il peut y être donné suite pour améliorer la lutte contre l'orpaillage illégal.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, madame la ministre. Si vous en êtes d'accord et si cela nous semble nécessaire, nous solliciterons votre cabinet pour obtenir des précisions complémentaires.

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Barbara Pompili, ministre

Mon cabinet est à votre entière disposition pour répondre aux questions supplémentaires que vous auriez à nous poser.

La réunion se termine à dix-neuf heures trente.