Délégation française à l'assemblée parlementaire du conseil de l'europe

Réunion du mercredi 2 décembre 2020 à 11h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Présidence de Mme Nicole Trisse, députée, Présidente

La séance est ouverte à 11 heures 45.

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. Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue, Mme l'Ambassadrice, et de vous remercier d'avoir accepté de participer à cette rencontre dans des délais contraints.

Bien que le Conseil de l'Europe ne soit pas l'organisation internationale en charge du règlement des conflits armés et territoriaux, notre délégation a souhaité vous entendre, Mme Hasmik Tolmajyan, en votre qualité d'Ambassadrice de la République d'Arménie en France, pour évoquer la situation qui prévaut dans le Haut-Karabakh, notamment au regard des droits humains.

L'Arménie comme l'Azerbaïdjan sont deux États membres du Conseil de l'Europe et, comme vous le savez, la recrudescence des tensions dans la région, ces dernières semaines, a préoccupé l'ensemble des délégations nationales de l'APCE.

Je ne ferai pas, en préambule, le rappel historique des origines de ce différend territorial que l'on qualifiait, il y a quelques mois encore, de « conflit gelé ». Je me bornerai seulement à rappeler qu'après une escalade verbale en juin dernier, des escarmouches militaires avaient déjà éclaté à la frontière entre votre pays et l'Azerbaïdjan en juillet, en dehors de la zone du Haut-Karabakh. Plusieurs dizaines de soldats ont alors été tués.

Depuis, les tensions restaient vives et des combats très meurtriers ont éclaté sur le territoire du Nagorny-Karabakh, le 27 septembre. Malheureusement, plusieurs milliers de victimes militaires et civiles sont à déplorer.

Saisie en urgence, la Cour européenne des droits de l'Homme avait demandé aux belligérants, dès le 30 septembre, de « s'abstenir de prendre toute mesure, en particulier des actions militaires, qui pourrait entraîner des violations des droits des populations civiles garantis par la convention, notamment en mettant en danger leur vie et leur santé ». Elle leur avait donc enjoint de se conformer à leurs engagements au titre de la convention européenne des droits de l'Homme, notamment à son article 2 sur le droit à la vie.

Mais, en dépit de la conclusion de plusieurs cessez-le-feu, les combats se sont poursuivis tout au long du mois d'octobre, la guerre devenant chaque jour plus violente, y compris pour les populations civiles de part et d'autre de la ligne de front.

Heureusement, un accord de cessez-le-feu total est malgré tout intervenu dans la nuit du 9 au 10 novembre dernier, sous l'égide de la Russie. Cet accord, qui acte les positions nouvelles des armées des deux belligérants, garantit la restitution des districts azerbaïdjanais occupés jusqu'alors ainsi qu'un corridor humanitaire entre l'Arménie et le Haut-Karabakh. De même, et c'est important, des échanges de prisonniers et la restitution des corps des soldats défunts doivent avoir lieu. La Russie sera impliquée dans le respect de cet accord sur le terrain, 1 960 militaires, 90 véhicules blindés et 380 véhicules militaires russes étant déployés au Haut-Karabakh. J'imagine néanmoins que vous nous en direz plus à ce sujet dans votre propos introductif.

La France, qui co-préside depuis 1997 avec les États-Unis et la Russie le groupe de Minsk, chargé de faciliter sous l'égide de l'OSCE une solution pacifique au différend à l'origine de ce conflit, s'est attachée lors des derniers événements à être aussi impartiale que possible pour pouvoir discuter de manière franche et constructive avec les deux parties. Cette position explique que, par souci d'équilibre Mme l'Ambassadrice, nous avons aussi entendu votre homologue de la République d'Azerbaïdjan la semaine dernière.

Mais je vous laisse sans plus attendre la parole pour un bref propos liminaire, avant que mes collègues et moi-même vous posions quelques questions.

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Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice de la République d'Arménie en France

. Mme la Présidente, Mmes et MM. les parlementaires, je vous remercie pour votre invitation et de m'avoir offert cette possibilité d'échanges.

Vous l'avez évoqué Mme la Présidente, le 27 septembre 2020 et les jours qui ont suivi, l'Arménie a fait l'objet d'une véritable guerre d'agression de la part de l'Azerbaïdjan, soutenu en cela par la Turquie dont l'appui s'est avéré déterminant. Le Président de la République française, M. Emmanuel Macron, a dès les premiers jours nommé l'agresseur et dénoncé le soutien militaire et politique turc à l'Azerbaïdjan dans ce conflit en disant à ce sujet, je cite, que ce soutien « décomplexe l'Azerbaïdjan dans sa tentative de reconquête du Haut-Karabakh, que nous n'accepterons pas ».

M. Emmanuel Macron a également été le premier Chef d'État à dénoncer la présence, parmi les forces azerbaïdjanaises, de djihadistes étrangers opérant en Syrie, connus, certifiés et tracés, lesquels avaient été acheminés via Ganziantep par la Turquie.

La Turquie a apporté un soutien militaire très significatif à l'Azerbaïdjan : plus de 600 conseillers militaires ont opéré dans les états-majors des armées azerbaïdjanaises et sur le terrain, tandis que des centaines de membres des forces spéciales et des officiers ont directement participé aux combats au sol. De même, le déploiement de matériels militaires turcs, officiellement envoyés dans le cadre de manœuvres bilatérales de très grande envergure en août mais maintenus et sans doute dépêchés dès l'origine pour l'occasion, a contribué à donner un avantage important à l'Azerbaïdjan dans son offensive. Même des avions de fabrication américaine F 16 de l'armée de l'air turque, qui participent habituellement aux missions de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), ont été utilisés dans le cadre de ce conflit. Avec les drones de fabrication turque, ils ont conféré une suprématie aérienne aux troupes de l'Azerbaïdjan qui s'est révélée cruciale.

Cette guerre a été gagnée au prix de crimes de guerre. La population civile, les infrastructures civiles, les villes du Haut-Karabakh ont été prises pour cibles dès les premières heures de l'offensive et bombardées nuit et jour pendant les six semaines de ce conflit. Beaucoup de victimes et de blessés sont à dénombrer. Illustration de cet état de fait, deux journalistes du quotidien français Le Monde ont été grièvement blessés alors qu'ils effectuaient un reportage auprès de civils loin de la zone de front ; l'un d'eux est d'ailleurs toujours hospitalisé dans un état grave.

Le but poursuivi dans cette agression était d'aboutir à une véritable épuration ethnique. Il a malheureusement été atteint puisque les trois-quarts de la population vivant sur place ont dû quitter le Haut-Karabakh. Au regard de l'ampleur des destructions, il sera sans doute difficile pour eux de retourner vivre là-bas et c'était bien la finalité poursuivie par les forces agressantes.

Plusieurs sources internationales, dont des médecins français, ont dénoncé, après l'avoir constatée, l'utilisation de bombes à phosphore blanc et à sous-munitions par les armées azerbaïdjanaises à l'encontre de la population civile. L'emploi de ces armes est pourtant formellement interdit.

Des cas de décapitations, de tortures et de mutilations, y compris de cadavres, ont été rapportés. Les images vidéos ont le plus souvent été relayées par les auteurs de ces actes, jubilant auprès des familles des victimes comme sur les réseaux sociaux, dans le but d'effrayer les populations et de les dissuader de rester vivre au Haut-Karabakh, en vue d'une épuration ethnique de ce territoire.

Mme la Présidente, Mmes et MM. les parlementaires, pour vous permettre de mieux comprendre ce conflit, il m'apparaît indispensable de procéder à quelques rappels historiques.

Dès l'Antiquité, le territoire du Haut-Karabakh – l'Artsakh de son nom arménien – appartenait au royaume arménien. La richesse du patrimoine culturel et religieux arménien sur place, qui remonte jusqu'au IVème siècle, en atteste. Le contentieux avec l'Azerbaïdjan remonte à 1921. Après la chute de l'Empire tsariste, les Républiques soviétiques se sont formées : sur pression et en présence de Staline, alors Commissaire aux questions nationales, le Bureau caucasien du Parti communiste s'est prononcé en faveur du rattachement du Haut-Karabakh, alors peuplé à 95 % d'Arméniens, à la République socialiste soviétique d'Azerbaïdjan. Cette décision était motivée par le souhait des autorités bolcheviques d'une alliance avec la Turquie kémaliste et par la volonté de courtiser l'Azerbaïdjan, dont on commençait à mesurer l'étendue des réserves en hydrocarbures.

Les Arméniens du Haut-Karabakh ont contesté dès le départ cette décision injustifiée sur le fond, puisqu'il n'existait aucune proximité ethnique, culturelle et religieuse entre le Haut-Karabakh et l'Azerbaïdjan. Ils savaient, six ans à peine après le génocide de 1915, auquel avaient participé également des Turcs ou Tatars caucasiens (noms donnés à l'époque aux Azerbaïdjanais), et dans un contexte marqué par de nombreux massacres d'Arméniens à Bakou et Chouchi en 1905, 1918 et 1920, qu'ils risquaient de subir à nouveau une volonté d'extermination physique et une menace de rétrécissement de leur espace historique.

Pendant toutes les années de l'Union soviétique, les Arméniens du Haut-Karabakh ont toujours cherché à faire entendre leur voix aux autorités centrales de l'URSS. Il le fallait car l'Azerbaïdjan menait une politique de désarménisation de leur territoire.

Sur la carte que j'ai apportée et qui vous est diffusée, vous constaterez que le Haut-Karabakh et l'Arménie formaient une continuité territoriale en 1921. Or, au début des années 1930, pour consolider l'absorption du Haut-Karabakh comme région autonome par l'Azerbaïdjan, les autorités soviétiques ont remodelé les contours de son territoire, formant ainsi une véritable enclave au sein de la République d'Azerbaïdjan, coupée artificiellement de l'Arménie.

La stratégie poursuivie était la même qu'à l'enclave de Nakhidjevan, qui était elle-aussi initialement une province arménienne ancestrale peuplée majoritairement d'Arméniens et qui a été rattachée pour les mêmes raisons que le Haut-Karabakh à la République socialiste soviétique d'Azerbaïdjan en 1921. Pire, dirais-je même, la Turquie se porte alors garante – et aujourd'hui encore d'ailleurs – de ce rattachement de l'enclave de Nakhidjevan à la République d'Azerbaïdjan.

D'ailleurs, désireuse de disposer d'une frontière terrestre directe avec l'Azerbaïdjan à travers l'enclave de Nakhidjevan, la Turquie a procédé dans les années 1920 à un échange territorial avec l'Iran en prenant 11 kilomètres au Nord de ce pays. Cela permettait, aux yeux des idéologues du panturquisme, d'assurer la continuité territoriale du monde turcophone. Aujourd'hui encore, dans la lignée de cette idéologie, le Président Erdogan et les autorités turques ne cachent pas leurs ambitions de panturquisme, c'est-à-dire leur volonté – le Président Erdogan dit, quant à lui, son « rêve » –, d'établir une unité géographique discontinue du monde musulman de l'Andalousie jusqu'à l'Asie centrale.

En 1921, quand l'enclave de Nakhidjevan est attribuée à l'Azerbaïdjan, la moitié de sa population est arménienne et l'autre moitié se répartit entre Tatars, Kurdes et Iraniens. Dans les années 1980, soit soixante ans plus tard, la population arménienne est tombée à 1 %, ce qui montre qu'une véritable épuration ethnique a eu lieu : pas par la guerre, ni par les armes mais suite à une politique raciale et xénophobe, une véritable politique de désarménisation.

Au Haut-Karabakh, dans les années 1980, la proportion de population d'origine arménienne a elle aussi diminué mais moins fortement, en passant de 95 % à 75 %. Les Arméniens vivant là avaient néanmoins bien compris que s'ils continuaient à rester dans le giron de l'Azerbaïdjan, ils finiraient par subir le même sort, à savoir celui de la désarménisation complète de leur territoire.

Aussi, au moment de l'avènement de la Glastnost et de la Perestroïka, la population arménienne du Haut-Karabakh pense que les droits humains et le droit à l'autodétermination sont susceptibles de recevoir un accueil plus réceptif des autorités centrales de l'URSS. En 1988, elle demande donc, de manière pacifique, le rattachement de la région autonome du Haut-Karabakh à l'Arménie. Cette demande était constitutionnellement fondée, les textes de l'URSS permettant le rattachement d'une région autonome d'une République à une autre sur la base de justifications établies, ce qui était le cas. Mais l'Azerbaïdjan y répond par des pogroms et des massacres, d'abord à Sumgaït, puis à Bakou, Maragha, Gandja et presque toutes les villes azerbaïdjanaises où vivaient des Arméniens, forçant ceux-ci à l'exil. En 1991, au moment de la chute de l'Union soviétique, la République d'Azerbaïdjan proclame son indépendance et le Haut-Karabakh, conformément à une loi soviétique de 1990 permettant à toute région autonome d'une République soviétique se déclarant indépendante de l'URSS de faire elle-même sécession, réclame son indépendance de l'Azerbaïdjan.

Cette démarche passe d'abord par un vote du Parlement du Haut-Karabakh puis, par référendum le 10 décembre 1991, jour anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'Homme choisi à dessein pour montrer que cette démarche s'inscrivait dans une aspiration légitime, la population du Haut-Karabakh se prononce sans équivoque, à 99 %, pour l'avènement de la République d'Artsakh. La réponse de l'Azerbaïdjan consiste alors à lancer une guerre totale, qui durera des années. Défaites au début du conflit, les forces arméniennes finissent par vaincre les armées azerbaïdjanaises et conquérir sept districts de l'Azerbaïdjan autour du Haut-Karabakh pour assurer la sécurité du territoire.

Le cessez-le-feu tripartite conclu en 1994 entre l'Arménie, l'Azerbaïdjan et le Haut-Karabakh a été conforté en 1995 par un accord ouvrant la voie à un processus de négociation diplomatique, sous l'égide de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). La co-présidence du groupe de Minsk, exercée conjointement par les États-Unis, la Russie et la France, a déployé des efforts considérables pour essayer de trouver des compromis en vue d'une solution, que l'on pensait parfois proche, mais l'Azerbaïdjan a toujours fait marche arrière et refusé un règlement pacifique définitif du conflit. Fortes de la manne pétrolière et du soutien politique turc, ses autorités ont vraisemblablement privilégié sans le dire une solution militaire.

Depuis le 9 novembre, un arrêt des combats a été décidé. Il ne s'agit pas d'une paix mais bien d'une trêve plus fragile car, comme la Présidence de la République française et le ministère français de l'Europe et des affaires étrangères l'ont souligné, beaucoup de questions ne sont pas réglées, à commencer par la définition du statut du Haut-Karabakh et les modalités de retour des populations déplacées qui y vivaient jusqu'à l'été dernier. Par ailleurs, quelque 2 000 djihadistes mercenaires – comme des troupes turques – stationnent toujours dans la région ; plusieurs sources affirment même que la Turquie leur aurait promis de les laisser s'y installer avec leurs familles, ce qui constituerait une forme de colonisation destinée à provoquer un véritable changement démographique.

L'Arménie, pour sa part, souhaite que le processus diplomatique et politique reprenne sous l'égide de l'OSCE. Une nouvelle guerre dans la région serait plus cruelle encore et, sans doute, non-maîtrisée. Une paix durable passe par la définition d'un statut pour le Haut-Karabakh, afin de favoriser le retour sur place des populations qui y vivaient.

Je suis à présent à votre disposition pour répondre à vos questions.

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Bernard Fournier, sénateur

Ayant eu l'occasion d'interroger Mme l'Ambassadrice la semaine dernière lors de sa venue devant la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, je n'ai pas à proprement parler de question à lui poser aujourd'hui. Je souhaite seulement réitérer, à travers elle, au peuple arménien toute notre amitié, notre sympathie et notre soutien. Ces pensées s'adressent particulièrement aux populations du Haut-Karabakh, que j'ai personnellement visité il y a quelques années.

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Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice de la République d'Arménie en France

. Je vous remercie beaucoup pour l'expression de cette amitié et de ce soutien, M. le sénateur.

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. Mme l'Ambassadrice, avant de passer la parole à d'autres collègues, je souhaiterais savoir combien exactement de personnes vivant au Haut-Karabakh ont dû être recueillies en Arménie depuis le début des affrontements de ces derniers mois ; vous-même avez parlé des trois-quarts des habitants du Haut-Karabakh sans quantifier ce nombre. D'autre part, comment l'Arménie a-t-elle fait face à cet afflux de personnes déplacées ?

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Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice de la République d'Arménie en France

. On dénombre entre 90 000 et 100 000 Arméniens « chassés » du Haut-Karabakh, pour reprendre les termes employés par le Président azerbaidjanais et dénoncés par le ministre français de l'Europe et des affaires étrangères.

Si vous me le permettez, j'aimerais compléter mon propos liminaire en évoquant le problème très sensible, sur les plans humanitaire et des droits humains, des prisonniers de guerre. Les autorités d'Azerbaïdjan trouvent toujours des prétextes pour ne pas rendre les corps ou les prisonniers de guerre. Or, leur situation est très délicate. Je ne vous cache pas qu'en Arménie certains parents préfèrent croire leurs enfants morts au combat plutôt que restés aux mains de geôliers capables de leur faire subir des tortures et les pires sévices.

La menace d'extermination qui pèse sur les Arméniens est bien réelle. Quand on déplore un génocide terrible dans son histoire récente, quand on fait face à un État génocidaire et négationniste – en l'occurrence la Turquie –, qui se réclame d'une communauté ethnique avec l'Azerbaïdjan et dont le Président menace régulièrement d'achever le travail, de rappeler aux Arméniens « les leçons de leur passé » et reprend à son compte l'objectif du Président azerbaïdjanais de « les chasser comme des chiens de nos terres », on ne peut que légitimement se sentir menacé dans sa propre existence.

Mme la Présidente, vous avez évoqué la saisine de la Cour européenne des droits de l'Homme au début du conflit. La décision du 30 septembre a été hautement appréciée par le peuple arménien car tout rappel aux États membres du Conseil de l'Europe de leur devoir de respecter les dispositions de la convention européenne des droits de l'Homme était, en l'espèce, nécessaire. L'Arménie a saisi la Cour à plusieurs reprises pour qu'elle constate les violations du droit international par les agresseurs et la Cour a toujours pris des mesures intermédiaires pour demander des explications et pointer les manquements.

J'observe enfin que de nombreuses personnalités juridiques, notamment en France, ont appelé les Nations Unies à la conduite d'une enquête internationale sur les crimes de guerre commis au Haut-Karabakh. Indiscutablement, de tels crimes ont été commis et toute la lumière doit être faite à leur sujet.

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Nadine Bellurot, sénatrice

Mme l'Ambassadrice, pouvez-vous nous indiquer le nombre de prisonniers de guerre arméniens actuellement détenus par les forces armées azerbaïdjanaises ? D'autre part, le groupe de Minsk vous semble-t-il le format le plus à même de parvenir à la paix que nous souhaitons tous, car jusqu'à présent ses efforts n'ont pas réellement été couronnés de succès ?

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Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice de la République d'Arménie en France

. Le nombre de prisonniers de guerre arméniens est actuellement estimé à une soixantaine mais s'y ajoutent plusieurs dizaines de disparus. Ces chiffres ne sont pas définitifs, ce ne sont que des estimations.

Pour ce qui concerne le processus de paix, la guerre qui a eu lieu manifeste indubitablement l'échec de la diplomatie. Cependant la cause en incombe non pas aux médiateurs mais plutôt à l'absence de volonté pacifique de l'une des parties. Si la communauté internationale avait plus clairement signifié son refus absolu du recours à la force pour parvenir à une solution, peut-être les négociations auraient-elles été plus fructueuses ?

Aujourd'hui, quelle est l'alternative ? La co-présidence du groupe de Minsk a toujours été contestée par la Turquie et l'Azerbaïdjan. L'unité des pays qui exercent cette co-présidence, qui sont tous les trois membres du Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations Unies (ONU), est toutefois la seule voie possible pour progresser vers la paix, quand bien même le processus conduit sous l'égide de l'OSCE sort fragilisé de cette séquence.

En tout cas, c'est le souhait de l'Arménie de voir la co-présidence du groupe de Minsk reprendre l'initiative pour faire avancer le processus de paix.

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Mme l'Ambassadrice, beaucoup de populations vivant au Haut-Karabakh ont dû quitter leur territoire, leurs maisons et laisser leurs biens sur place. Quel accueil leur a-t-il été réservé en Arménie et comment y ont-elles été intégrées ? Quelles mesures d'accompagnement le Gouvernement arménien a-t-il prévues à leur égard ? Enfin, quelles solutions et quelles mesures d'apaisement vous paraissent possibles pour sortir de ce conflit ?

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Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice de la République d'Arménie en France

. Les Arméniens qui ont fui le Haut-Karabakh ne sont pas considérés comme des réfugiés. Le peuple d'Arménie leur a manifesté une solidarité totale et immédiate à leur arrivée, mais leur situation n'en demeure pas moins précaire. Tous veulent retourner dans le Haut-Karabakh à la condition que leur sécurité soit garantie. Non seulement ils n'ont plus de logement et de travail, mais de surcroît ils sont menacés dans leur existence même. De ce point de vue, la haine raciale exprimée par la partie azerbaïdjanaise, la présence de troupes turques et de djihadistes ne contribuent pas à dissiper les inquiétudes.

Comme je l'ai déjà dit, un règlement juste et définitif du conflit du Haut-Karabakh suppose la définition d'un statut pour cette région, ainsi que le départ des troupes turques et des djihadistes pour garantir la sécurité des populations. La France appuie cette vision, mais pour l'heure peu d'avancées sont constatées.

Le retour du Haut-Karabakh dans le giron de l'Azerbaïdjan s'avère, selon moi, impossible. Comment permettre le retour des populations vivant sur ces terres jusqu'alors quand certains promettent de les en chasser comme des chiens ? La commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) a alerté à de nombreuses reprises ces dernières années sur la teneur du discours des plus hautes autorités azerbaïdjanaises à l'encontre des Arméniens vivant au Haut-Karabakh. En substance, l'ECRI dénonce que toute une génération d'Azerbaïdjanais ait grandi au son de ce discours de haine, de racisme et d'intolérance à l'égard des Arméniens.

Les exemples de cette intolérance sont nombreux, mais permettez-moi d'illustrer mon propos par le cas de cet officier azerbaïdjanais Ramil Safarov qui, à l'occasion de sa participation à un séminaire sur le partenariat pour la paix organisé à Budapest, en 2004 dans le cadre de l'OTAN, a assassiné à la hache, dans son sommeil, un officier arménien qui assistait lui aussi à l'événement. Á son retour en Azerbaïdjan, il a non seulement été gracié mais il a également été élevé au rang de héros par la propagande officielle ! Ce type de messages justifiant le racisme, la xénophobie, la haine à l'encontre des Arméniens est extrêmement dangereux.

En définitive, comment pensez-vous qu'un Arménien puisse aujourd'hui envisager de retourner vivre au Haut-Karabakh s'il ne bénéficie pas de la protection du droit international ?

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Claude Kern, sénateur

Mme l'Ambassadrice, l'Arménie a une frontière avec deux pays dont vous n'avez pas parlé, à savoir la Géorgie et l'Iran. Quelles relations l'Arménie entretient-elle avec ces deux États et quelle est leur position à l'égard du conflit sur le Haut-Karabakh ?

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Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice de la République d'Arménie en France

. L'Arménie partage des frontières avec quatre pays. Deux d'entre eux, la Turquie et l'Azerbaïdjan, ont fermé leurs frontières avec l'Arménie qui avait pourtant pris des initiatives pour maintenir ces frontières ouvertes ; deux autres, l'Iran et la Géorgie, sont des pays amis avec qui l'Arménie entretient des relations de voisinage. La frontière avec l'Iran, longue de seulement 20 kilomètres, et celle avec la Géorgie représentent une ouverture sur le monde.

Tant les responsables iraniens que géorgiens, qui ont continué à venir en Arménie pendant le conflit, ont fait preuve de neutralité tout au long du conflit de ces dernières semaines, même s'ils sont bien sûr restés très attentifs à l'égard de ses développements.

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Alain Milon, Premier Vice-président

Mme l'Ambassadrice, j'ai bien compris que l'Arménie a fortement apprécié les déclarations de M. le Président de la République, dont je me suis moi-même réjoui, mais la France a-t-elle aidé l'Arménie autrement que sous une forme déclarative ? D'autre part, quel est le rôle de l'ONU dans la définition de solutions politiques en vue d'un règlement du conflit ?

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Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice de la République d'Arménie en France

La France, co-présidente du groupe de Minsk, n'avait d'autre choix que d'afficher une certaine neutralité. Cependant, certaines neutralités en temps de guerre peuvent s'apparenter à une prime accordée à l'agresseur et tel n'a pas été le cas, en l'espèce. Les déclarations de M. Emmanuel Macron, qualifiant et désignant certains faits sans pour autant se départir d'une neutralité de jugement, ont montré que la France n'était pas naïve.

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Alain Milon, Premier Vice-président

Mme l'Ambassadrice, je n'entendais pas, par mon propos, évoquer un quelconque soutien politique ou militaire mais plutôt une assistance humanitaire.

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Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice de la République d'Arménie en France

La semaine dernière, la France a envoyé deux avions d'aide humanitaire en Arménie. Elle a aussi souligné la nécessité de participer à la reconstruction du Haut-Karabakh. Enfin, votre Président de la République a reçu les représentants de la communauté arménienne en France, qui prennent beaucoup d'initiatives sur le plan humanitaire, pour évoquer une coordination de tous les efforts, afin qu'ils soient les plus ciblés et efficaces possibles. Je peux donc dire que l'Arménie ressent le soutien humanitaire de la France.

Quant à des alternatives à la négociation diplomatique, malheureusement certains en Azerbaïdjan ont pensé que la voie militaire était une option préférable. Comme en 1915 aussi, les autorités turques ont considéré que le génocide était la seule issue. Pour autant, cette voie de l'anéantissement de la culture, du patrimoine et d'un peuple tout entier ne peut être conforme aux valeurs du monde civilisé auquel nous appartenons. Cette question des valeurs est essentielle. La guerre a duré 45 jours et on n'a pas été capables de protéger le droit à la vie, prévu à l'article 2 de la convention européenne des droits de l'Homme.

Il s'agit, en l'occurrence, de faire un choix civilisationnel de refus sans ambiguïté de l'extermination de tout un peuple. Au début du conflit, certains intellectuels se sont demandés si, après avoir été passif à l'égard du génocide de 1915, le monde entier allait de nouveau être le spectateur impuissant, au XXIème siècle, de l'extermination du peuple arménien dans la région du Caucase par l'alliance azéro-turque.

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En ma qualité de présidente de la sous-commission de l'enfant à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je porte une attention toute particulière à cette catégorie de la population, par définition plus vulnérable. Mme l'Ambassadrice, qu'en est-il de la continuité de la scolarité des enfants, du primaire au secondaire, au Haut-Karabakh ?

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Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice de la République d'Arménie en France

Les enfants ont été parmi les premières victimes du conflit, certains sont même morts. Dans la situation présente, nous ne parlons même plus de scolarité ni de logement décent, mais de survie, de retour à des conditions élémentaires d'existence.

Beaucoup d'enfants du Haut-Karabakh ont subi la guerre en vivant, depuis les sous-sols, sous les bombardements. Ils ont vécu les aspects sales de ce conflit et leurs conditions de vie restent extrêmement précaires. Dans ces circonstances, la scolarité et le retour à une vie décente relèvent du rêve pour ces enfants.

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. Mme l'Ambassadrice, nous avons tous en mémoire les images de réaction du peuple arménien à l'annonce du cessez-le-feu du 9 novembre, et notamment ces scènes de colère dans plusieurs bâtiments officiels à Erevan. Aussi, je souhaiterais savoir comment réagit le peuple arménien aujourd'hui. Avec le recul, a-t-il accepté les termes du cessez-le-feu ? D'autre part, de manière plus générale, pouvez-vous nous informer sur la situation politique intérieure en Arménie depuis l'arrêt des combats, le 10 novembre ?

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Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice de la République d'Arménie en France

La frustration et l'indignation du peuple arménien ont été immenses au moment de la conclusion du cessez-le-feu. Les termes en sont toujours contestés par certains car les clauses ne sont pas faciles à accepter. Néanmoins, il existe aussi une réalité dont personne ne peut s'abstraire.

Dans ce contexte, la situation politique intérieure en Arménie, si elle est fragile, reste stable. Les libertés publiques demeurent respectées. Malgré tout, le peuple est meurtri et le choc a été d'autant plus grand qu'on ne peut raisonnablement penser, compte tenu des questions restant en suspens, que ce douloureux chapitre du conflit est définitivement clos. Néanmoins, j'ai confiance dans la continuité et la solidité de nos institutions, même si la situation est dure et difficile.

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. Mme l'Ambassadrice, je vous remercie pour votre réponse pleine de retenue, de pudeur et d'humilité.

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Mme l'Ambassadrice, vous attendez-vous à des migrations importantes de populations arméniennes de peur que le cessez-le-feu reste provisoire ? Par ailleurs, quelles mesures ont été prises pour protéger et préserver le patrimoine arménien dans les territoires du Haut-Karabakh qui reviennent à l'Azerbaïdjan à la suite de l'accord de cessez-le-feu ? Une aide à cet égard vous semble-t-elle nécessaire ?

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Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice de la République d'Arménie en France

Le patrimoine culturel arménien sur place est effectivement menacé. On déplore d'ores et déjà, dans les zones conquises et celles transférées à l'Azerbaïdjan, des profanations et des destructions de cathédrales et d'églises. Des cloches d'églises ont été enlevées, des destructions de monuments religieux se déroulent en ce moment même. Le but, encore une fois, est de priver ces territoires de leur identité arménienne en effaçant définitivement toute trace du patrimoine culturel arménien.

Des initiatives ont été engagées dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). Cependant, les meilleurs gardiens de ce patrimoine restent les populations vivant alentour. Il faut donc assurer le retour sur place des populations déplacées, afin d'empêcher que soient dissociés le patrimoine et les gens.

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Mme l'Ambassadrice, vous n'avez pas répondu à ma première question. Les populations déplacées, légitimement effrayées par la guerre qui a eu lieu, reviennent-elles aujourd'hui au Haut-Karabakh ? Si les gens ont peur, on peut supposer qu'ils ne réinvestissent plus les territoires qu'ils ont fui.

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Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice de la République d'Arménie en France

Les personnes déplacées ont effectivement peur et cette peur est justifiée. Néanmoins, nous constatons des retours sur place. Des dizaines de milliers de retours ont eu lieu à Stepanakert et dans les régions restées arméniennes, où sont présentes des forces d'interposition russes.

Dans les zones du Haut-Karabakh sous contrôle azerbaïdjanais, en revanche, les retours n'ont pas lieu. Quelque 30 000 Arméniens, qui vivaient notamment du côté de Chouchi et Hadrout, sont concernés. La plupart ont brûlé leur maison et tout emmené avec eux car ils ne peuvent plus envisager de revenir.

Dernièrement, l'un des joyaux de l'architecture arménienne, le complexe monastique de Dadivank, a dû être évacué. Aujourd'hui encore, des populations fuient ces zones par la route car le dernier transfert de district prévu par l'accord de cessez-le-feu est intervenu hier, le 1er décembre.

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. Mme l'Ambassadrice, je vous remercie infiniment d'avoir eu l'amabilité de nous consacrer un peu de votre temps aujourd'hui. Je ne doute pas que nos échanges éclairent utilement les membres de notre délégation sur la situation sur place, ainsi que sur les enjeux d'un règlement négocié et les efforts à poursuivre en vue d'un retour définitif à la paix.

J'ai bien noté que vous êtes particulièrement inquiète du sort des prisonniers de guerre, que vous avez évoqués à plusieurs reprises dans vos propos.

Pour notre part, nous formons le vœu que des avancées concrètes interviennent pour aboutir à une solution communément admise par l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la population du Haut-Karabakh, dans l'intérêt mutuel de tous les civils vivant dans la région.

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Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice de la République d'Arménie en France

C'est moi qui vous remercie, Mme la Présidente, Mmes et MM. les parlementaires, de votre disponibilité et surtout de votre soutien ainsi que de votre solidarité en ces moments douloureux pour notre peuple. Cette amitié et cette solidarité, je les ai ressenties au cours de nos échanges et croyez-bien qu'elles nous sont précieuses.

La séance est levée à 12 h 55.

Membres présents ou excusés

Députés :

Présents. –Mme Marie‑Christine Dalloz, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Frédéric Reiss, Mme Nicole Trisse, Mme Martine Wonner.

Excusés. – Mme Sophie Auconie, M. Olivier Becht, M. Bertrand Bouyx, Mme Yolaine de Courson, Mme Jennifer De Temmerman, M. Bruno Fuchs, M. Fabien Gouttefarde, M. Yves Hemedinger, M. Dimitri Houbron, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, Mme Alexandra Louis, Mme Martine Leguille-Balloy, M. Jacques Maire, M. Frédéric Petit, Mme Isabelle Rauch, Mme Liliana Tanguy, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas.

Sénateurs :

Présents. – Mme Nadine Bellurot, M. Bernard Fournier, M. Claude Kern, M. Christian Klinger, M. Alain Milon.

Excusés. – M. François Calvet, Mme Nicole Duranton, M. André Gattolin, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jacques Le Nay, M. Didier Marie, M. André Vallini.