Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Présidence de M. Julien Borowczyk, président de la mission d'information
Les flux considérables d'importation de matériels sanitaires pour faire face à la crise du Covid 19 ont sollicité fortement les services des douanes à partir du moment où les circuits d'importation se sont mis en place. Une cellule de crise a d'ailleurs été activée au sein de la direction générale pour coordonner cette action qui s'est déroulée dans un contexte d'urgence et de concurrence internationale inédit.
Nous voudrions voir avec vous les problématiques posées par cette situation dans laquelle il a été nécessaire, par tous les moyens, de faciliter les importations rapides et de garantir la sécurité de produits sanitaires, tout en luttant contre les fraudes.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Isabelle Braun-Lemaire et M. Guillaume Vanderheyden prêtent serment.)
. Avec la crise sanitaire, nous avons effectivement été confrontés à une situation inédite : par rapport à 2019, les importations de masques ont bondi de 3 000 %… Nous nous sommes mobilisés pour fluidifier et sécuriser ces importations. Cette double mission n'a pas toujours été bien comprise : les douaniers devaient faire face à une pression extrêmement forte, notamment à la frontière ou sur les tarmacs où des importateurs venaient eux-mêmes chercher leur matériel. Nous avions également une pression très forte pour sécuriser le matériel.
Les difficultés étaient de trois natures. Tout d'abord, il y a eu cet accroissement des flux dont nous venons de parler. Ensuite, les normes que la douane a pour rôle de contrôler ont été élargies afin de permettre notamment des importations chinoises ; du coup, la réglementation est devenue plus complexe qu'à l'accoutumée pour nos agents comme pour les entreprises. Enfin, de nombreux importateurs et fournisseurs n'avaient pas l'habitude du commerce international.
Nous avons dû répondre à une situation d'urgence. Nous avons donc adapté nos procédures, créées des cellules de crise, dans un contexte où nous étions en plan de continuité d'activité – autrement dit avec moins d'agents présents. Toutefois, nous avons réussi à réunir toutes les forces utiles – le plan de continuité d'activité nous a finalement facilité les choses, puisque nous avons pu dédier des personnels à ces tâches nouvelles.
Nous avons créé des cellules spécifiques, dont une à Roissy, pour aider nos importateurs, et une autre à Paris pour traiter les dossiers les plus difficiles. Quarante personnes supplémentaires ont été affectées à ce travail sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Contrairement à ce qu'on a entendu parfois, les douaniers étaient bien là, en permanence.
La douane est un des acteurs de la chaîne logistique. Nous avons donc renforcé nos liens pour mettre en place les nouvelles procédures : une adaptation ne peut se faire sans se coordonner avec l'amont et l'aval, c'est-à-dire avec les importateurs et les logisticiens, mais aussi avec les organismes agrées et les autorités sanitaires.
Fluidifier et débloquer les masques à la frontière – alors qu'on a accusé les douaniers de les bloquer – a donc été un travail de tous les jours.
Comment s'est déroulé ce travail de surveillance des importations ? Même si les normes ont été élargies, les masques devaient répondre à des normes de sécurité vis-à-vis des usagers. Combien de masques ont été refusés par vos services ?
Comment avez-vous travaillé avec les autres organismes responsables de l'organisation, de la distribution et de la validation des masques tels que Santé publique France, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) mais aussi peut-être avec le LNE/G-MED pour la certification européenne ?
Nous avons entendu dire, lors de différentes auditions, que notre stratégie nationale, comme celle d'autres pays, avait été déterminée par la capacité des fabricants à livrer, dans les délais impartis, des stocks de masques en cas de crise, ce qui impliquait en fait de les importer. Cette orientation ayant été retenue depuis de nombreuses années, vous avait-on demandé, ou avez-vous demandé à vos services de mettre en place une organisation particulière permettant d'absorber, en cas d'épidémie grave, un possible flux de masques en provenance de Chine ?
Je n'ai pas connaissance d'un scénario d'importation massive de masques de Chine, et je ne pense pas qu'il ait existé ou été répété dans le passé.
Il y a eu deux phases. Tout d'abord, les importations pour l'État : c'était la première urgence. Un douanier a été intégré à la cellule logistique du ministère de la santé pour faciliter les formalités douanières et les importations. Par ailleurs, sur le terrain, les douaniers réceptionnaient et vérifiaient les masques. Pour Santé publique France, les formalités ont été anticipées et donc facilitées, car un douanier était sur place, au sein de la cellule, et d'autres à Valmy pour réceptionner et vérifier la cohérence entre les déclarations et les cargaisons.
Concernant les importations hors Santé publique France, c'était une autre affaire. Nous étions en lien avec l'ANSM, la Direction générale de la santé, la Direction générale du travail (DGT), la Direction générale des entreprises (DGE), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), notamment pour établir l'équivalence des normes. Deux notes, que nous pourrons vous communiquer, signées par toutes les instances que je viens de citer, précisaient les équivalences autorisées pour le matériel sanitaire. C'est l'ANSM qui les a établies et, de notre côté, nous étions chargés de les appliquer, conformément à ce qui était décrit dans les annexes.
Pour rappel, le métier de douanier commence par une tâche documentaire. Qu'il s'agisse de normes européennes ou équivalentes, il y a trois documents à fournir : une déclaration de conformité, un rapport de test et une attestation de conformité émise par un organisme agréé. Puis, lorsque la cargaison arrive, on vérifie qu'il y a bien un lien entre ces documents et la marchandise observée.
Nous avons rencontré plusieurs difficultés. Des acheteurs se sont retrouvés avec de faux certificats mais surtout, l'inexpérience de nos importateurs et de nos fournisseurs faisait que nous nous retrouvions avec trop de documents, mais jamais les bons… Beaucoup se plaignaient de n'en fournir jamais assez ; en fait, nous n'en exigions que trois, qui n'étaient jamais remis, à commencer par le rapport de tests qui permet de vérifier le niveau de filtration et de respirabilité.
Autre point de difficulté : l'attestation de conformité, qui s'obtient auprès des organismes agréés. Ceux-ci ont assez rapidement été dépassés. Nous avons incité les importateurs réguliers à engager une démarche auprès des organismes certificateurs afin que l'attestation, obtenue dans les temps, permette de garantir la conformité à terme du produit importé.
Tout cela a exigé un gros effort d'information auprès des entreprises. Nous avons réalisé des guides dans des délais records, avec une réglementation mouvante, difficile à expliquer aux douaniers et aux importateurs : il n'est pas toujours aisé de reconnaître des masques chinois qui, même s'ils y ressemblent, ne sont pas des dispositifs médicaux (DM).
On a souvent dit que les douaniers bloquaient les importations. Je rappelle les chiffres : 50 % des marchandises passaient la douane en moins de trente minutes, 90 % en moins d'une journée et 95 % en moins de trois jours. Il est vrai que pour certains, les délais ont été longs, le temps de fournir les documents et d'établir la conformité. Cela a pu conduire à la saisie des articles après une procédure d'abandon.
Disposez-vous d'éléments chiffrés sur la répartition des volumes d'importation de masques et d'équipements de protection entre l'État, les collectivités territoriales, les établissements de santé privés et publics et les entreprises ?
L'acquisition de masques par la grande distribution a donné lieu à débats, parfois même à polémique. Certains élus se sont émus de voir l'État, les collectivités territoriales et les établissements de santé ou médico-sociaux manquer de masques, alors que la grande distribution semblait en mesure d'en commercialiser. Avez-vous des éléments chronologiques relatifs à l'arrivée sur le territoire national des importations réalisées par la grande distribution ? Dans quel cadre ces arrivages ont-ils été traités ?
Ensuite, quels contrôles physiques ont été réalisés sur la qualité des stocks ?
Enfin, quels étaient les vecteurs et les plateformes d'arrivée au cœur de la crise, en mars et avril ? Sont-ils les mêmes aujourd'hui ? Les livraisons s'effectuent-elles toujours par voie aérienne ou empruntent-elles, de façon plus classique, la voie maritime ?
Les marchandises sont d'abord arrivées par voie aérienne. S'agissant de Santé publique France, un pont aérien a été organisé sur l'aéroport de Valmy ; le reste des marchandises arrivait pour l'essentiel à Roissy, mais aussi à Saint-Exupéry et Marignane.
Il y a eu du fret traditionnel et du fret express, qui a porté sur des petites quantités mais a généré de nombreuses déclarations – 46 000 contre 20 000 pour le fret traditionnel.
En douane, on ne compte pas les masques mais les déclarations. Les données contenues dans les déclarations sont des tonnes ou des valeurs. Nous nous sommes livrés à bien des exercices pour tenter, par des sondages, de déduire le nombre de masques à partir de la valeur : les résultats ont été plutôt aléatoires : je ne suis même pas sûre que nous soyons parvenus à des chiffres totalement stabilisés… Je resterai donc prudente.
Après cette phase aérienne, nous avons observé, vers le mois de juin, une phase durant laquelle les marchandises sont arrivées par transport maritime. C'est évidemment beaucoup plus long : quarante-cinq jours, parfois même plusieurs mois. Ce qui facilite du reste les choses, en permettant des formalités de douanes bien mieux préparées et anticipées. Un train est également arrivé depuis la Chine fin juin – un peu tard, ce qui fait que les marchandises ont été pour partie réexportées.
S'agissant de la ventilation des marchandises, notre unité est toujours la déclaration, qui n'indique pas le nombre de masques, mais des valeurs. Nous ne connaissons pas non plus le destinataire final ni l'importateur, mais le déclarant. On ne sait pas toujours qui est derrière l'importateur et celui-ci peut réaliser des importations groupées : nous avons eu des cas d'importations qui mixaient des livraisons pour des conseils régionaux et des mairies. Les commandes les plus importantes ont été effectuées par Santé publique France, clairement en tête, suivie par le ministère de l'économie qui avait fait une commande assez importante pour l'État, puis par le ministère des solidarités et de la santé et par de grandes enseignes – Carrefour, par exemple. Mais je ne peux pas décomposer aussi finement que vous me le demandez et notamment distinguer la part des collectivités territoriales car les importations étaient souvent groupées. Nous avions en revanche des clients fidèles, des régions que nous connaissions plus que d'autres – les Hauts de France et la région Provence-Alpes-Côte d'azur notamment, étaient très attentives à la régularité des arrivées. Au-delà de cette appréciation qualitative, il m'est impossible de vous donner des chiffres précis.
Les importations de la grande distribution sont intervenues à partir du 6 mai, au moment où les importations de masques grand public ont été encouragées : les grandes enseignes ont immédiatement réagi.
Auparavant, la typologie était différente : Santé publique France était le plus gros importateur et certaines entreprises importaient pour leurs besoins propres, et il s'agissait surtout de masques sanitaires, à destination de professionnels. L'importation de masques grand public a démarré le 4 mai. C'est à ce moment-là que Carrefour, Leclerc et Intermarché sont arrivés.
Durant cette période, avez-vous remarqué une augmentation du trafic de médicaments ? Si oui, dans quelle proportion et pour quels types de spécialités ?
Habituellement, des droits de douane de 6,3 % s'appliquent sur les masques, mais des franchises sont prévues en cas de dons. Quelle quantité de masques a pu bénéficier d'une franchise de droits de douane ?
J'ai pris note des délais de dédouanement. Le taux de non-conformité, de blocage, voire de saisie par les douanes semble assez minime. Pouvez-vous nous préciser ces taux ?
On a parlé des importations, mais y a-t-il eu des exportations de masques durant la période où nous en manquions en France ?
On a constaté une très forte augmentation de l'achat de tabac chez les buralistes, partout en France, et pas seulement dans des départements limitrophes de pays où il est coutume d'approvisionner. Est-ce seulement parce que la frontière était fermée et que la zone d'approvisionnement à l'étranger est plus importante que nous l'imaginions, ou est-ce parce que la consommation de tabac a augmenté ? Ce qui confirmerait que cette crise, en dehors de la covid, a d'autres conséquences sanitaires, liées aux pratiques tabagiques ou au renoncement à certains besoins.
L'augmentation du trafic mais aussi de la contrefaçon de médicaments, est une tendance observée sur la période récente, mais elle n'est pas liée à la crise sanitaire. Nous n'avons pas observé de trafic de médicaments pendant la crise car les importations concernaient essentiellement les masques. Il faudrait vous rapprocher des agents de la « task force fraudes » de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes qui, me semble-t-il, ont démantelé certains trafics sur le marché intérieur mais cela n'a pas été le cas pour les douaniers.
Les équipements de protection individuelle sont soumis aux droits de douane et à la TVA, mais la Commission européenne nous a autorisés le 3 avril à accorder des franchises à tous les organismes publics ou à ceux qui travaillaient pour leur compte.
Le taux est passé de 20 % à 5 %, et parfois il y avait des franchises totales.
Nous avons eu 1 300 demandes de franchise, 50 % provenant par les établissements de santé, 48 % des administrations publiques et 2 % d'entreprises et des associations.
Pour ce qui est des taux de non-conformité, nous n'avons pas de statistiques précises. Notre principale préoccupation était la durée de la procédure, qui pouvait parfois être très longue lorsqu'il manquait des documents. Nous avons alors laissé passer les marchandises dont nous étions certains qu'elles étaient conformes et bloqué celles dont nous ne pouvions pas garantir la conformité, sans pour autant établir qu'elles ne l'étaient pas. Nous avons également fait le choix de ne pas les réexporter et de les maintenir dans nos entrepôts, pour deux raisons : d'abord parce que si les masques n'étaient pas conformes, ce n'était pas la peine de les remettre sur le marché, ensuite parce que nous étions en période de pénurie totale. Nous n'étions pas très à l'aise avec ces masques potentiellement utiles. Nous avons donc essayé de nous rapprocher, avec plus ou moins de succès, des agences régionales de santé (ARS) pour établir la conformité ou la non-conformité de ces masques ou du moins statuer sur leur possible utilisation dans certains cas. En situation de pénurie nous avions du mal à les saisir et nous avons le plus possible essayé d'établir la conformité ou la non-conformité, allant jusqu'à faire appel à des laboratoires. Aujourd'hui, nous avons des hangars remplis de masques sur lesquels nous devons statuer sur la suite à leur donner.
J'en viens à votre question sur les exportations. Au début de la crise, un système de réquisition à l'importation avait été instauré, et abrogé début mai. À l'exportation, nous avions un système impliquant une déclaration au service des biens à double usage (SBDU) : une entreprise installée en France ou dans un autre État membre et qui souhaitait exporter des masques vers une filiale implantée dans un pays tiers devait faire une demande auprès du SBDU afin d'obtenir l'autorisation d'exporter. Mi-mai, 3,6 millions d'équipements de protection individuelle (EPI) étaient déclarés à l'export, essentiellement par des entreprises qui faisaient des importations communes pour l'ensemble du groupe, et en réexportaient une part vers leurs filiales.
Le contrôle à la frontière est un des autres métiers de la douane. Les frontières étaient fermées, mais nous suivions la filière des débitants de tabac. La carte s'est inversée : les achats de tabac ont fortement augmenté chez les buralistes situés aux frontières – ce qui permet de calculer le nombre d'achats réalisés habituellement à l'étranger. Mais sur le reste du territoire, nous n'avons pas observé d'augmentation, sinon une différence du mode de consommation : les buralistes nous ont indiqué que les gens ne venaient plus tous les jours, et de ce fait achetaient moins de jeux mais de plus grosses quantités de tabac.
Les chiffres dont je dispose et que je vous transmettrai font état d'une forte augmentation des ventes de tabac pendant le confinement. Cela représente une hausse de plus de 50 %.
La carte que nous suivons indique qu'il a existé un changement très net des comportements à la frontière avec l'Espagne et au nord du pays avec une hausse des achats de 80 %. Je n'ai pas le souvenir d'un changement de tendance dans les autres régions par rapport à l'année dernière.
Dans ma circonscription, certaines entreprises utilisent des matières premières et des produits finis qui proviennent de l'export. À partir de fin mai, ces entreprises m'ont signalé de nombreux abus de la part de la Chine, de frais de douane de trente à quarante fois supérieurs au montant des frais habituels pour exporter vers l'Europe. En avez-vous eu connaissance ?
À Marseille, où je faisais partie de la réserve sanitaire à l'ARS, j'ai constaté que vous aviez déployé des trésors de rapidité pour dédouaner des masques à l'arrivée sur le territoire. Nous avons accueilli beaucoup de passagers en croisière sur la Méditerranée qui ont dû stationner sur le territoire français avant de trouver un avion pour regagner leurs pays d'origine. Avez-vous rencontré des problèmes particuliers lors de l'arrivée des bateaux pour le contrôle des douanes ?
Il semble s'être écoulé beaucoup de temps entre les commandes de masques effectuées par l'État et leur arrivée. Avez-vous des données précises sur la chronologie des faits ? Qui commandait ces gros stocks de masques et avec qui étiez-vous éventuellement en contact ?
Ensuite, comment avez-vous géré l'arrivée de la norme Afnor ? Quelles consignes avez-vous données et comment vous êtes-vous adaptés à ce changement de norme ?
Quel regard portez-vous sur les autres produits de protection individuelle ? Certains établissements de santé ont vu arriver des blouses de très mauvaise qualité. Avez-vous pu contrôler tout cela ?
Enfin, quelles ont été les répercussions de cette activité pendant la crise sur votre travail ordinaire ? De quels moyens disposez-vous pour contrôler réellement les marchandises qui arrivaient sur notre territoire ? Cela nous permettrait d'avoir une idée des évolutions sur le plus long terme.
Question subsidiaire : avez-vous des données sur les importations de masques et leurs fluctuations au cours de ces dix dernières années ?
Je ne suis pas en mesure de vous répondre immédiatement sur la chronologie des importations de masques, mais nous vous communiquerons les chiffres. Ce que nous savons, c'est que l'augmentation a été inédite – il serait intéressant de comparer aux dix dernières années ; par rapport à l'année dernière en tout cas, l'augmentation est de l'ordre de 3 000 % ; au demeurant, ce chiffre ne veut rien dire car on passe de rien à beaucoup.
Nous sommes au milieu d'une chaîne : je ne suis donc pas capable de vous dire exactement combien de temps s'est passé entre la commande et l'arrivée. La seule appréciation que je puis vous donner, c'est qu'au fur et à mesure que nous avons gagné en expérience, nous avons raccourci les délais entre la commande et l'arrivée, d'autant que parallèlement la pénurie devenait moins grande et la pression moins forte.
Le marché en Chine était compliqué, ce qui était préjudiciable en termes de délais. On a également assisté à des surenchères sur les aéroports en Chine, ce qui a fait que les produits commandés ont parfois été détournés vers d'autres importateurs. Le démarrage a été assez chaotique : nous avons tous passé des jours et des nuits à commander des masques et à nous assurer qu'ils arrivent. Nous avions un attaché douanier à Pékin qui ne faisait que de la veille pour essayer d'aider les importateurs. Au fur et à mesure, les choses sont devenues plus fluides et plus faciles et tout le monde a gagné en expérience. Nous nous sommes aperçus qu'il y avait des acheteurs meilleurs que d'autres et nous avons pris conseil auprès de certains acheteurs du privé. Nous les voyions au moment du dédouanement ; il y avait une réelle entraide entre acheteurs sur le territoire.
Nous avons beaucoup progressé en matière de normes : tous les douaniers sont désormais capables de différencier un masque conforme d'un masque non conforme… Nous avons déployé des trésors d'imagination pour débloquer des masques. Les arrivées de masques par voies maritimes étaient plus simples car nous avions plus de temps : les volumes sont beaucoup plus importants, mais on peut tout préparer à l'avance. La problématique n'est pas du tout la même.
Comment avons-nous géré le changement de norme. Pour commencer, nous avons rapidement compris que le système de normes chinois n'avait pas de correspondance avec le système de normes français. Par exemple, la norme GB/T 32610 correspond, selon les normes chinoises à un masque non-sanitaire antipollution, lui-même soumit à normes, ce qui n'existe pas chez nous. Il existe aussi des choses qui ressemblent à des masques chirurgicaux, mais qui n'en sont pas. L'ANSM et la DGT ont réévalué l'usage de chacune des normes et ont établi des équivalences. Pour les douaniers, la difficulté était de distinguer un produit sanitaire de ceux qui en ont seulement l'air… Et il fallait aussi comprendre le chinois. Nous avons donc fait appel à des douaniers en mesure de lire et comprendre des notices rédigées en chinois. Nous avons fait les choses de manière pédagogique, pas à pas, en transmettant aux opérateurs comme aux douaniers l'état des équivalences et les points sur lesquels il fallait faire le plus attention. La pièce la plus utile dans nos communications a été une photo d'un masque, sa norme et les pièces justificatives associées.
Les autres produits n'étaient pas nécessairement soumis à normes et nous n'avons pas eu à établir d'équivalence de normes pour tous les produits. Il a existé un risque de tension sur les gants pour lesquels nous n'avons finalement pas eu besoin d'équivalence de normes. Les blouses ne sont pas soumises à des normes ; le problème a concerné essentiellement les masques. Mais il va se poser pour les tests, et potentiellement les vaccins.
Quelles difficultés avez-vous constatées dans le contrôle des frontières ? Dans mon département des Pyrénées-Atlantiques, qui compte une cinquantaine de points de passage entre l'Espagne et la France, chaque jour 10 000 personnes passent la frontière à Hendaye. Le contrôle des frontières a été réinstauré, et réparti entre l'Espagne et la France ; nous n'y étions plus habitués : devoir passer chaque jour des check points de l'autre côté de la Bidassoa a été pour les travailleurs transfrontaliers notamment une épreuve terrible. Avez-vous rencontré des difficultés à l'organiser ?
Et ces frontières laissent passer les trafics. Que s'est-il passé pendant cette période du confinement ? Avez-vous des évaluations ?
Une nouvelle fermeture des frontières entre l'Espagne et la France pourrait être décidée – peut-être par les Espagnols, comme cela a été le cas pour la première. Vous sentez-vous prêts à contrôler de nouveau les frontières alors que vos personnels ont été extrêmement mobilisés et sont épuisés ?
Avez-vous rencontré des problèmes avec les marchandises des gens qui ne s'attendaient pas à devoir débarquer en France, comme cela a été le cas à Marseille, et à se conformer à nos normes douanières ?
Concernant les faux rapports, dans la plupart des cas, les produits importés étaient conformes, mais dans l'urgence certains importateurs se sont laissés abuser et les papiers n'étaient pas les bons… Ainsi, une fausse autorité de certification polonaise vendait trois papiers pour 3 000 euros, ce qui n'était pas une petite somme ! Nous l'avons évidemment signalé. Ensuite, nous tentions de rétablir la conformité, quitte à renvoyer vers d'autres organismes agréés pour qu'ils puissent faire des tests. Du coup, ces faux certificats ont parfois conduit à de nouveaux certificats conformes…
Oui, un curieux droit à l'erreur… Nous sommes allés bien au-delà de ce que nous faisions habituellement. Ces faux certificats étaient plutôt motivés par l'urgence, et la peur de ne pas avoir l'ensemble des documents : on bloquait la marchandise le temps de rétablir la conformité. Cela a plus allongé le délai qu'arrêté la marchandise. Les importateurs ont été abusés et en plus, cela coûtait relativement cher.
Pour ce qui est des bateaux, nous étions dans une situation où il n'y avait presque plus de trafic. D'une manière générale, tout le trafic voyageurs était, comme aujourd'hui encore, très ralenti. À Roissy par exemple, il concerne toujours pour l'essentiel le fret et non les voyageurs. Je n'ai pas souvenir de problèmes liés à l'arrivée de bateaux.
En ce qui concerne les contrôles frontaliers, nous nous sommes partagé les points de contrôle avec la police aux frontières (PAF) et cela n'a pas posé de difficultés particulières. C'est vous qui m'apprenez que les douaniers sont épuisés à Hendaye… Peut-être est-ce lié au fait que la période post-confinement s'est traduite par une reprise très forte des trafics, notamment de stupéfiants.
La crise a changé la typologie de nos métiers et de nos activités. À Roissy par exemple, les agents qui s'occupaient du trafic voyageurs sont désormais redéployés aux alentours de l'aéroport et même sur l'ensemble du territoire pour faire du contrôle terrestre. Les trafics et l'activité illégale ont fortement repris. Nous avons également beaucoup de fret et de fret express.
Sur l'ensemble des masques importés, grand publics et sanitaires, soit plusieurs milliards, il y a eu 2,1 millions masques saisis – c'est une estimation, dont la directrice générale a souligné la complexité au regard de la nomenclature douanière. En tout état de cause, c'est assez peu au regard du volume global.
Concernant les frais exorbitants, c'est peut-être lié aux faux certificats déjà évoqués. Les droits de douane qui s'appliquent aux produits en provenance des pays tiers n'ont pas été modifiés. Et en accord avec la Commission européenne, un dispositif de report de paiement des droits de douane a été mis en place : selon les dernières statistiques, fin mai, 1 500 facilités de paiement avaient ainsi été accordées au bénéfice de 430 entreprises.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Réunion du mercredi 30 septembre 2020 à 16 heures
Présents. - M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Jacques Gaultier, M. David Habib, Mme Sereine Mauborgne, M. Jean-Pierre Pont, M. Boris Vallaud
Assistaient également à la réunion. – Mme Josiane Corneloup, M. Nicolas Démoulin, Mme Martine Wonner