Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du mardi 14 septembre 2021 à 15h30

Résumé de la réunion

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  • RTE
  • approvisionnement
  • résilience
  • électricité
  • émissions

La réunion

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MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mardi 14 septembre 2021

La séance est ouverte à quinze heures trente.

(Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la mission d'information)

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Nous débutons une séquence d'auditions et tables rondes consacrées à la résilience de notre pays en matière d'énergie. La question sera abordée suivant des aspects variés : production, transport, distribution, consommation, innovation.

Nous recevons pour commencer M. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat (DGEC) au ministère de la transition écologique. Nous vous remercions de votre présence.

La question de l'énergie est doublement vitale pour notre pays. D'abord, bien entendu, parce que toute rupture des approvisionnements aurait des conséquences dramatiques ; mais aussi parce que la décarbonation de la production énergétique est une urgence absolue, et que nous devons la mener à bien en renforçant notre résilience et en réduisant notre dépendance. Les deux aspects sont étroitement liés, puisque le dérèglement climatique induit par la hausse des émissions mondiales de CO2 est en soi une menace pour notre sécurité énergétique.

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Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat (DGEC)

Je vous propose une première réflexion générale sur le cadre de l'action climatique tant en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) que d'adaptation.

Il ne fait plus de doute que les émissions de GES d'origine humaine induisent une très forte augmentation de C02 et autres GES dans l'atmosphère. Leur conséquence est un réchauffement croissant et en bonne partie irréversible, bien que l'objectif soit de le limiter. Ce réchauffement entraîne des changements extrêmement rapides sur le niveau des océans ou les régimes hydrologiques. Selon les latitudes, il a davantage pour conséquences des sécheresses, des précipitations intenses ou des événements climatiques extrêmes.

Dans ce cadre, un ensemble d'actions de la communauté internationale, européenne et nationale visent à réduire les émissions de GES.

Par une série de lois-cadres – loi pour la transition énergétique pour une croissance verte en 2015, loi relative à l'énergie et au climat en 2019 – et opérationnelles – loi d'orientation des mobilités, loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets –, nous disposons d'un cadre d'actions visant à fixer les objectifs et les orientations, et à réaliser le suivi de leur mise en œuvre. Il s'agit en particulier des objectifs de neutralité carbone en 2050 et de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et sa déclinaison par une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui fixe par périodes successives de cinq ans les objectifs de réduction de gaz à effet de serre.

Ainsi, la loi relative à l'énergie et au climat adoptée par le Parlement en 2019 prévoit une loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) qui devra fixer les grands objectifs de la PPE et de la SNBC, et être votée avant le 1er juillet 2023.

Cet enjeu des prochains mois précèdera les documents opérationnels avec un rôle renforcé du Parlement.

Évidemment, les appréciations peuvent varier tant le sujet est large et complexe. Avec l'ensemble des lois et plans d'action votés ainsi que les lois thématiques précitées, nous estimons suivre à peu près les objectifs fixés pour 2030. Une étude indépendante menée par le cabinet Boston Consulting Group début 2021 à la demande du Gouvernement considère que la mise en œuvre exhaustive de l'ensemble des mesures législatives permettrait presque d'atteindre les objectifs fixés pour 2030 (– 40 % d'émissions de GES), avec une estimation de – 38 %. Cette étude ne prenait évidemment pas en compte les effets de la loi dite « climat et résilience » – loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

Néanmoins, le triomphalisme n'est pas de mise tant le chemin nécessite une grande « dédication » dans l'application très pointue et dans la diffusion de l'ensemble des mesures et orientation sur tous les secteurs et tous les territoires.

Par ailleurs, dans le cadre d'une accélération des enjeux et de la trajectoire vers la neutralité carbone, l'Union européenne a adopté un objectif de réduction de 55 % des émissions entre 1990 et 2030. La Commission a déposé le 14 juillet 2021 des propositions législatives qui seront discutées dans les prochains mois pour fournir des outils et objectifs sectoriels et thématiques. Le passage à – 55 % d'émissions en 2030 induit évidemment des défis encore plus importants à relever.

L'enjeu de la résilience a été perçu plus récemment et mérite une meilleure intégration dans les politiques publiques et les actions de tous les acteurs. Un premier plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) a été adopté en 2011 pour une période de cinq ans. Les évaluations de ce premier plan ont permis d'élaborer en 2018 le second PNACC qui définit un ensemble d'actions selon six axes, afin de répondre aux enjeux d'adaptation qu'ils soient transversaux – gestion de l'eau et des milieux naturels – ou plus économiques – vulnérabilité des filières économiques –. Le plan fait l'objet d'un suivi régulier et d'un rapport annuel rendu public avec un avis du Conseil national de la transition écologique (CNTE).

Si les actions sont dans l'ensemble correctement lancées, nous nous situons à un point de bascule où l'appropriation et la mise en œuvre, tant territoriale que dans les secteurs économiques, doivent s'accélérer. Les ministres Barbara Pompili et Julien Denormandie et la secrétaire d'État chargée de la biodiversité Bérangère Abba ont ainsi lancé le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique, afin d'identifier les impacts, les solutions et leurs leviers. Au-delà de la question de la ressource en eau pour l'agriculture, se pose celle des calamités.

Par ailleurs, M. Denormandie et Mme Abba ont annoncé des Assises de la forêt et du bois, qui devraient débuter en octobre 2021 et qui aborderont la question de la résilience de la forêt face au changement climatique et autres phénomènes pouvant se cumuler – comme l'affaiblissement de la forêt par des parasites renforcés par les effets du changement climatique et pouvant amener à des dépérissements rapides, voire irréversibles. L'objectif est de réaliser un travail d'ensemble traitant de la forêt, du bois, de ses usages aval – levier possible de réduction des émissions de GES – et de la filière bois – du sciage à la transformation en passant par l'énergie.

Ces exemples montrent que nous devons encore démultiplier par des initiatives publiques ou privées la prise en compte des enjeux d'adaptation dans la sphère économique et au-delà. La forêt est ainsi au carrefour de visions spatiales, territoriales, de biodiversité et économiques.

La sécurité d'approvisionnement énergétique en France repose de longue date sur des principes confortés par l'enjeu climatique : la maîtrise des consommations d'énergie, la résilience autour de la diversification des sources d'approvisionnement extranationales, la mise en œuvre de réseaux maillés, de politiques et plans de préparation à la gestion de crise.

L'enjeu climatique implique que la sécurité de l'approvisionnement soit prise en compte dans les décisions de la PPE et dans les schémas de développement des infrastructures – électriques, gaz, et hydrogène dans le futur.

Des décisions relativement lourdes seront à prendre au début des prochains mandats sur l'évolution de notre parc de production électrique face à un besoin croissant. En effet, après une période de stabilité, une croissance de la consommation d'électricité est attendue à l'horizon 2030 en lien avec les enjeux climatiques, qui coïncidera avec le renouvellement de parcs nucléaires, d'énergies renouvelables (EnR) et hydroélectriques.

Ces décisions porteront également sur l'adaptation des réseaux, entre autres électriques, et les questions de flexibilité et de stockage. Elles seront sûrement l'occasion de s'interroger sur les impacts du changement climatique. Le Réseau de transport d'électricité (RTE) remettra au Gouvernement en octobre 2021 les résultats d'une étude portant sur la moindre disponibilité d'eau pour refroidir les moyens de production et sur la résistance des réseaux à davantage de chaleur.

Le développement de productions renouvelables nationales est un facteur de résilience en soi, dans la mesure où il diminue notre exposition aux éventuelles crises internationales d'approvisionnement et augmente notre indépendance. Les réseaux sont l'un des enjeux clés, y compris en termes d'adaptation au changement climatique.

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Les premiers signes des dangers liés au changement climatique accélérés par l'activité humaine ne sont pas récents : rapport Meadows en 1972, Sommet de la terre en 1992... Pourquoi n'avons-nous pas collectivement réussi à prendre conscience des vulnérabilités créées par le changement climatique et à mettre en place des stratégies pour freiner ce qui aurait pu être anticipé il y a déjà trente ou quarante ans ?

En référence à Ravage de René Barjavel, existe-t-il un scénario pour faire face à une rupture totale en électricité ?

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Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat (DGEC)

Votre première question est abyssale. La prise de conscience des impacts du changement climatique a débuté avec la conférence de Rio. Nous étions encore dans une période d'incertitude sur le lien de cause à effet et sur l'ampleur des changements.

La première étape a été la signature du protocole de Kyoto en 1997. La communauté internationale a considéré qu'un effort pour limiter les émissions de GES était nécessaire, notamment de la part des pays riches et responsables des principales émissions accumulées, et dans une mesure qu'ils pouvaient supporter.

La prise de conscience, tant internationale que nationale, s'est accélérée avec une succession de conférences internationales plus ou moins fructueuses. Par exemple, la conférence de Copenhague a été vécue comme un échec, le grand accord international ne s'étant pas totalement concrétisé, et il a fallu attendre l'accord de Paris.

Les travaux des scientifiques ont démontré un lien entre les émissions de GES et le changement climatique – même s'il n'est pas responsable de tous les événements extrêmes –, la hausse des températures et la hausse du niveau des mers.

Le rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) estime que la hausse est de + 1,2 °C par rapport à l'ère préindustrielle. Or la limitation établie quelques années auparavant était de + 2, voire + 1,5 °C. Par conséquent, nous sommes désormais très proches de ce qui apparaissait il y a sept ou huit ans comme un risque à long terme.

À défaut d'expliquer pourquoi nous ne sommes pas parvenus à nous entendre, j'observe qu'un plus grand consensus international voit le jour. Il traverse non seulement la société civile, mais un nombre plus important d'acteurs, notamment les entreprises, y compris internationales, quant à leurs propres engagements.

Aurait-on pu faire mieux ? Je l'ignore. Aurait-on dû faire mieux ? Probablement.

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Qu'en est-il de la prémonition de René Barjavel, dans Ravage, d'une société privée d'électricité ou n'ayant plus d'énergie en quantité suffisante ?

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Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat (DGEC)

Tout dépend de l'horizon de temps où l'on se place.

RTE et EDF sont en première ligne pour gérer des crises d'ampleur en France, avec des coordinations européennes. La préparation est permanente, en particulier à l'approche de l'hiver, car la demande française en électricité est extrêmement thermosensible. Ces plans permettent d'identifier le degré relatif de vulnérabilité par rapport aux facteurs de risques – température, moindre disponibilité d'interconnexion, défaut des moyens de production.

Ces plans sont couplés à une gestion en temps quasi réel, particulièrement en période hivernale, avec ce que les spécialistes appellent parfois de la « défense en profondeur » ou des « ripostes ». Elle permet de déclencher des actions d'économie ou d'effacement de la production ou de consommateurs, et des moyens supplémentaires d'injection, à savoir des sources non utilisées en production de base mais pouvant apporter un secours lors de pics de consommation.

Dans l'hypothèse où cela s'avérerait insuffisant, nous disposons d'une deuxième solution qui, à ma connaissance, n'a pas été utilisée depuis des décennies : une baisse de tension sur le réseau durant quelques heures. Cette disposition presque imperceptible permet d'économiser plusieurs gigawatts. Néanmoins, elle ne peut excéder deux ou trois heures.

Il existe la possibilité de lancer des délestages tournants en dehors de « clients prioritaires identifiés ». Ces coupures d'électricité durent quelques heures, le temps de récupérer le réseau, et peuvent être programmées. D'autres mesures de pilotage et de parade existent vis-à-vis d'incidents de production survenant à l'étranger et pouvant déstabiliser le réseau.

In fine, la gestion de la temporalité annuelle de la production est relativement rodée.

Ensuite, il nous revient de programmer une capacité et une qualité suffisante du réseau dans les années à venir. C'est la raison pour laquelle RTE établit des bilans prévisionnels à dix ans. En 2021, le Gouvernement a demandé à RTE d'en établir un à l'horizon 2050 afin d'éviter une situation qui ne serait pas économiquement et socialement cohérente avec nos scénarios.

Pour autant, si nous parvenons à remplacer les énergies fossiles par de l'électricité, tout en consommant le moins possible, notre vulnérabilité serait moindre.

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Pourquoi avoir appelé la loi du 22 août 2021 « climat et résilience », sachant que ni les motifs ni les dispositifs de la loi ne comportent de définition de la résilience ?

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Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat (DGEC)

« Climat et résilience » est le terme politique qui désigne la « loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ». Le souhait du Gouvernement, en utilisant les mots « climat » et « résilience », était de marquer, face à la recrudescence d'événements extrêmes, face aux impacts inéluctables de la hausse des températures et à ses conséquences secondaires, mais extrêmement importantes comme la hausse du niveau des mers, le lien entre les enjeux.

Au-delà de ce marquage politique, et malgré l'absence de vision de la résilience au sens large – la société n'étant pas le sujet unique et central de cette loi traitant des enjeux climatiques –, la loi présente des dispositions sur la préservation des écosystèmes, la lutte contre l'artificialisation des sols, l'adaptation des territoires littoraux face à la montée du niveau de la mer ou la rénovation thermique.

La loi offre également la possibilité aux préfets de demander des diagnostics de vulnérabilité des réseaux, énergétiques ou non, et des services face à des risques naturels susceptibles de s'intensifier. La loi comprend également une disposition sur les plans stratégiques d'adaptation au changement climatique au niveau des comités de massif.

Nous disposons ainsi d'un ensemble de dispositions, dont certaines mettent en cohérence la réduction des GES et l'adaptation au changement climatique.

Évidemment, nous ne pouvions pas proposer une loi sur un champ aussi large que la « résilience nationale ». Pour autant, un certain nombre des dispositions du texte, au-delà du signal politique qu'on a voulu donner, portent effectivement sur le sujet de manière opérationnelle et, en même temps, planificatrice. Pour exemple, les dispositions de la lutte contre l'artificialisation des sols appellent une vision systémique et complexe au niveau des territoires.

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La DGEC élabore et met en œuvre la politique de sécurité énergétique de notre pays, y compris en matière d'énergie nucléaire. Comment évaluez-vous le risque de rupture d'alimentation en énergie, électricité, gaz ou pétrole ? Quelles garanties êtes-vous en mesure de donner sur le bon approvisionnement en énergie de ces différents composants ?

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Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat (DGEC)

Je répondrai d'abord sur le pétrole, relativement déconnecté des deux autres vecteurs, alors qu'il existe une connexion entre gaz et électricité.

Premièrement, depuis des décennies, la stratégie française repose sur la diversification des sources d'approvisionnement en pétrole, encouragée auprès des opérateurs puisque l'État n'est pas un acheteur. De mémoire, il est très rare qu'un seul pays représente plus de 20 % de l'approvisionnement annuel. Il est très souvent fait appel à quatre ou cinq pays – Russie, Norvège, Arabie Saoudite, Kazakhstan –, qui représentent chacun 10 à 20 % des approvisionnements, suivis par une myriade de pays approvisionnant.

Alors que, dans les années 70, 75 à 80 % des approvisionnements provenaient du Moyen-Orient, ceux-ci représentent désormais moins de 30 %. Cette part est relativement stable.

Deuxièmement, la politique adoptée par certains pays sous l'égide de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) suppose la disponibilité minimale d'un stock stratégique de pétrole – brut et produits raffinés – au moins équivalent à quatre-vingt-dix jours. En moyenne, ce stock stratégique approche plutôt cent-vingt jours, auxquels s'ajoutent quinze jours de stock commercial. L'objectif est d'abord géostratégique, en cas de grande rupture internationale : les stocks de pétrole brut permettent un raffinage si l'importation est arrêtée et les stocks de produits raffinés permettent de faire face aux problèmes d'importation ou d'arrêt fortuit d'une raffinerie. Ces éléments permettent tout de même une résilience considérable.

Lors de la crise du covid-19, nous avons réalisé des calculs sur d'éventuelles difficultés dans les champs de production ou sur un arrêt des importations par voie maritime. Nous disposions de six à neuf mois de « tranquillité », le temps que les champs pétroliers fonctionnent à nouveau. Évidemment, la consommation était moindre du fait de la pandémie, car si elle empêchait de produire, elle empêchait également de consommer.

La résilience pétrolière est donc relativement satisfaisante grâce à la diversité des points d'entrée sur le territoire – ports et réseau d'oléoducs – et à des stocks stratégiques.

Pour le gaz, la situation est relativement semblable, mais avec des leviers techniques et réglementaires légèrement différents. Une diversification des sources d'approvisionnement est également prônée. Si Gaz de France a longtemps été le seul acteur, plusieurs sont désormais fournisseurs. Nous disposons de plusieurs points d'entrée par gazoducs et par quatre terminaux d'importation de gaz naturel liquéfié (GNL). Ils sont plutôt complémentaires, les gazoducs pouvant acheminer depuis l'Algérie, l'est de l'Europe, la Norvège ou les Pays-Bas alors que les terminaux d'importation accueillent des navires en provenance d'Afrique, d'Océanie, d'Asie, d'Amérique depuis quelques années et du Moyen-Orient. Ce réseau d'infrastructures garantit donc la diversité des sources d'approvisionnement.

Un ensemble de moyens physiques et règlementaires fait peser sur les fournisseurs de gaz une obligation de délivrer calculée en fonction du volume de clients. Chaque fournisseur doit être capable de prouver à l'administration, par des réservations fermes dans les interconnexions ou des stocks souterrains, qu'il est en mesure de passer les pointes d'hiver. L'absence de preuve se traduit par des pénalités financières extrêmement importantes, donc très dissuasives, ce qui garantit un bon remplissage des stockages de gaz.

Nous en avons la preuve par l'exemple actuellement. En effet, le prix du gaz est relativement élevé en Europe et n'incite donc pas à stocker. Par cette réglementation, la France dispose de l'un des taux de remplissage les plus élevés d'Europe puisqu'elle a pratiquement atteint le niveau normal attendu en début d'automne.

Par conséquent, nous avons besoin de ces moyens de stockage et d'une règlementation allant au-delà des simples intérêts de court terme du marché.

Par ailleurs, l'État garantit aux sociétés de stockage un revenu minimal couvrant l'absence de stock par les fournisseurs. Cette situation créerait des difficultés économiques aux sociétés de stockage, qui ont besoin de visibilité au regard de leurs coûts fixes. Ce mécanisme n'a jamais été mis en œuvre, mais constitue une sorte d'assurance.

Pour l'électricité enfin, à court terme, nous pensons être dans une situation moins tendue qu'en 2020 lors de la crise du covid-19, qui a provoqué un inévitable décalage des programmes de maintenance des centrales nucléaires, impactés par des difficultés de travail au printemps et à l'été. Normalement, la disponibilité du parc nucléaire sera plus élevée à l'automne 2021, car des réacteurs à l'arrêt depuis longtemps sont revenus sur le réseau. Nous suivons avec EDF et RTE les calendriers de maintenance des réacteurs afin de nous assurer que les délais ne dépassent pas outre mesure les délais de retour sur le circuit.

De même, nous suivons l'état des barrages et du parc de production à gaz qui assure la pointe. Par ailleurs, si les énergies renouvelables ne sont certes pas toujours en fonctionnement, statistiquement, elles apportent une sécurité d'approvisionnement. Le volume de ce parc a également augmenté.

L'hiver 2021-2022 fera évidemment l'objet d'une surveillance, mais la situation est plutôt meilleure qu'en 2020. Et nous avons renforcé, via des appels d'offres, les capacités d'effacement que le gestionnaire du réseau peut activer en cas de trop forte consommation.

À l'avenir, il s'agira de mener à bien une planification et un renouvellement des réseaux et de la production. Les décisions prises dans les trois à quatre ans devront établir un programme pour les vingt ans à venir.

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L'électricité est le secteur sur lequel nous avons le plus d'emprise et d'autonomie nationale, au contraire des hydrocarbures, mais nous ne savons pas stocker l'électricité en grande quantité. Dès lors, le risque de flux est important pour l'électricité alors que pour le gaz et le pétrole nous disposons d'une certaine inertie grâce aux stocks.

Effectivement, RTE a fait part d'un risque de blackout et activé le dispositif Écowatt fin 2020, expliquant que la situation était principalement due à la pandémie. Dans une étude détaillée des chiffres, j'ai indiqué que la France avait fermé depuis 2014 quasiment 10 gigawatts de centrales thermiques fossiles et 2 gigawatts correspondant à la centrale de Fessenheim. Or, sur la même période, je n'ai pas remarqué de décrochage important de disponibilité des centrales nucléaires malgré la pandémie. À mon sens, la perte de 12 gigawatts de capacité pilotable est la vraie raison d'un risque de black-out. L'effet de la pandémie n'explique qu'une petite partie de la situation rencontrée fin 2020.

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Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat (DGEC)

Je ne partage pas totalement votre appréciation. La fermeture de vieilles unités au fioul, au charbon et au gaz a démarré il y a six ans pour des raisons économiques, d'obsolescence d'un certain nombre d'outils et de non-nécessité pour assurer l'équilibre avec la demande. Plus récemment, afin de réduire les émissions de GES, l'arrêt du fonctionnement des dernières centrales à charbon a été décidé. Ainsi, nous sommes effectivement privés de certains moyens pilotables.

Les disponibilités du parc nucléaire sur la période que vous évoquez étaient beaucoup moins importantes qu'attendu à cause de la pandémie. Il n'en reste pas moins que certains hivers ont été relativement tendus, du fait de l'arrêt de certaines centrales pour des problèmes génériques de sûreté. Je vous transmettrai les comparatifs de disponibilité.

Sans polémiquer, l'activation du dispositif Écowatt par RTE a été ponctuelle et visait à envoyer un signal sur un début de problématique. Nous n'avons jamais eu à envisager une baisse de tension, voire un délestage tournant. Ces dispositions que nous ne souhaitons pas utiliser, mais préalables à un blackout, offrent tout de même des marges de plusieurs gigawatts. Durant l'hiver 2020-2021, qui n'était pas extrêmement rigoureux, nous étions très loin de les activer et très loin du blackout lorsque le dispositif Ecowatt a été activé.

Par ailleurs, une appréciation locale peut être nécessaire pour certains territoires « péninsulaires » du point de vue électrique. La Bretagne dispose de peu de moyens de production, ce qui a justifié la dernière autorisation d'ouverture centrale à gaz dans le cadre d'un appel d'offres en 2010, afin de passer les périodes de pointe locales. Récemment, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur était encore peu innervée par les réseaux extérieurs, mais ces derniers ont été renforcés. Des situations de tension peuvent donc justifier une vigilance particulière et le dispositif Écowatt avait été identifié comme une réponse.

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Pourriez-vous, Monsieur le directeur général, nous fournir les chiffres à l'appui de vos propos ?

Nos décisions en matière d'énergie nucléaire – fermetures, délais de décision pour construction d'un nouveau réacteur – et notre engagement louable en faveur d'énergies intermittentes ne risquent-ils pas d'affaiblir la résilience de notre production d'électricité ? Nous pouvons faire face à des effets cumulatifs comme ce fut le cas à l'hiver 2020-2021. Mais si l'hiver avait été plus rigoureux, nous nous serions peut-être approchés davantage du risque de rupture.

S'agissant des risques de rupture, les conséquences économiques d'un délestage tournant ou même d'une rupture électrique pendant deux heures ont-elles été évaluées ?

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Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat (DGEC)

Nous vous enverrons des documents sur le sujet également.

Des établissements tels que les hôpitaux, bien que reconnus comme prioritaires, ont l'obligation de disposer de groupes électrogènes de secours pour pallier d'éventuelles ruptures.

Les questions d'impact économique sont intégrées dans la vision générale des niveaux de sécurité adoptée, qui détermine les bilans prévisionnels de RTE, la projection de la PPE et les programmes d'investissement dans les réseaux. Le critère de sécurité d'approvisionnement s'appuie sur des calculs d'impact économique complexes. Les calculs de RTE doivent permettre de déterminer le critère de défaillance. Les scénarios attendus en octobre 2021 se basent sur ce critère de défaillance.

Par ailleurs, de nouvelles dispositions européennes ont permis de préciser les modalités de calcul. Nous avons donc demandé à la commission de régulation de l'énergie (CRE) et à RTE de réapprécier le critère de défaillance au vu de ces nouvelles modalités.

L'objectif de sécurité de l'approvisionnement ne vise pas à couvrir l'ensemble des cas, mais permet de mettre en place de parades et de justifier l'investissement public correspondant.

L'idée d'un critère de sécurité d'approvisionnement peut justifier des mesures, y compris de prise en compte par la collectivité nationale et pas uniquement par le client. Les appréciations économiques sont complexes et les écoles de pensée peuvent diverger. Finalement, le débat porte sur le choix collectif d'une assurance. Le calcul du taux de défaillance sera certainement un enjeu encore plus fort de la prochaine PPE.

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Il faut se demander combien nous serions prêts à payer l'électricité si elle venait à manquer. Dans cette mesure, l'assurance a un sens.

Concernant la prospective en matière de consommation, la résilience durable de notre système électrique, compte tenu des délais nécessaires à la construction de nouvelles capacités de production, doit reposer sur des analyses réalistes des évolutions de la consommation. Au regard des objectifs de décarbonation de nombreux usages, je m'étonne du scénario de la SNBC et de la PPE, qui prévoit pour 2050 une augmentation de 30 % de la consommation électrique par rapport à son niveau actuel.

Cette augmentation de 30 % semble sous-estimée. Ma crainte est confirmée par les calculs de nos voisins allemands et anglais, qui prévoient entre + 70 % et + 80 %. Cette sous-estimation ne fait-elle pas peser un risque sur la planification de nouvelles unités de production ?

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Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat (DGEC)

L'un des enjeux des prochains scénarios de la loi pluriannuelle, de la SNBC et de la PPE sera de réévaluer la consommation. RTE et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) livreront leur estimation. Une vision d'ensemble est nécessaire.

La PPE publiée en 2020 s'appuyait sur des scénarios établis en 2017 et 2018. La tendance haussière a été fortement critiquée par certains. Elle résultait de la conjonction d'économies d'énergie dans le résidentiel notamment qui, jusqu'en 2035, compensaient le début de l'électrification des transports, de l'hydrogène et de la décarbonation de l'industrie. La projection était stable, puis augmentait à partir de 2023-2035, jusqu'en 2050. Elle incluait déjà l'idée de disposer de 5 à 6 gigawatts d'électrolyse pour fabriquer de l'hydrogène en 2030.

Je partage votre appréciation sans pouvoir être affirmatif sur les chiffres, car des travaux sont en cours. La croissance sera peut-être plus rapide qu'anticipé, notamment avec l'usage de véhicules électriques et le développement de solutions hydrogène pour l'industrie, voire dans la mobilité lourde – poids lourds, trains, bateaux. De mémoire, en partant de 500 térawatts/heure, nous pourrions atteindre 700 à 750 térawatts-heure, soit 40 à 50 % d'augmentation à horizon 2050. La tendance est donc plutôt à une légère augmentation de la prévision.

A contrario, les prévisions à l'horizon 2030 ou 2035 évoluent peu, d'autant que nous exportons beaucoup. Nous disposons d'une capacité à diminuer nos exportations dès maintenant afin d'absorber une hausse de la consommation d'électricité. La fourchette dans laquelle nous nous situons en térawatts/heure sera à prendre en compte sur les projections de capacité de production en 2050, sans pour autant faire d'ellipse entre 2030 et 2050. Les courbes et les décisions de lancement de nouveaux programmes EnR ou nucléaires devront être étudiées.

Par ailleurs, des procédés industriels comme la réduction directe par électricité changeront de nature sans même passer à l'hydrogène, et impliqueront probablement que le réseau s'adapte et ait à livrer plus d'électricité sur certains sites industriels. Un certain nombre de facteurs changent donc s'agissant de la mobilité lourde, de l'hydrogène et de la décarbonation de l'industrie.

La réunion se termine à seize heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. - M. Alexandre Freschi, M. Thomas Gassilloud, Mme Laurence Gayte, Mme Sereine Mauborgne, Mme Nathalie Porte

Excusés. - Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Jean Lassalle