Audition, ouverte à la presse, de représentants des sociétés de télécommunications Ericsson, Huawei et Nokia : M. Viktor Arvidsson, directeur des activités relations institutionnelles, innovation et stratégie d'Ericsson, M. Minggang Zhang, directeur général adjoint, Mme Linda Han, déléguée générale et M. Jean-Christophe Aubry, responsable des affaires publiques, de Huawei France, M. Marc Charrière, directeur des affaires publiques de Nokia
La séance est ouverte à 11 heures.
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.
Je suis très heureux d'accueillir les représentants des trois principaux équipementiers du secteur des communications électroniques, Ericsson, Huawei et Nokia. Je salue donc M. Viktor Arvidsson, directeur des activités relations institutionnelles, innovation et stratégie d'Ericsson. Pour Huawei sont présents M. Jean-Christophe Aubry, responsable des affaires publiques, Mme Linda Han, déléguée générale de Huawei France et M. Minggang Zhang, directeur général adjoint de Huawei France. Nokia est représenté par M. Marc Charrière, directeur des affaires publiques.
Cette audition s'inscrit dans le cadre des réflexions que notre mission mène sur la souveraineté numérique.
Cette audition est une prise de contact utile pour aborder le sujet de la souveraineté numérique de façon globale.
Je voudrais d'abord vous interroger sur le sens que revêt pour vous la notion de souveraineté numérique au sein de votre secteur d'activité. Ce concept, parfois rapproché de celui d'autonomie, désigne une forme d'indépendance, de capacité à maîtriser son destin numérique et de ne pas subir les contraintes imposées par certains acteurs publics ou privés, qu'il s'agisse d'États ou des géants du web (GAFAM). Je souhaite avoir votre point de vue sur cette préoccupation croissante des États, particulièrement en France.
De façon plus générale, nous souhaitons vous entendre sur les grandes caractéristiques de votre secteur d'activité et sur l'impact de la crise de la covid-19 sur vos activités en France, en Europe et dans le monde. Nous nous interrogeons en effet sur les conséquences de cette crise pour les acteurs qui dépendent de vos produits, au premier rang desquels l'ensemble des entreprises et opérateurs qui déploient des réseaux de communication électronique.
Je souhaite aussi aborder avec vous le sujet de la 5G dont les enchères sont achevées pour la bande des 3,5 gigahertz. Des offres commerciales ont été lancées. Dans ce contexte, alors qu'un régime d'autorisation très spécifique a été mis en place par le législateur, nous aimerions vous entendre sur la sécurité des équipements installés en France, aussi bien vis-à-vis des cyberattaques que des pratiques comme l'espionnage.
Nous aimerions également aborder avec vous les enjeux de la bataille normative qui s'engage entre la Chine, l'Europe et les États-Unis.
Enfin, cette mission s'intéresse aux aspects économiques de la souveraineté numérique, aussi bien la fiscalité que la concurrence. Nous sommes intéressés par vos réflexions sur ces deux points.
Il me semble important de redire que la 5G n'est pas uniquement l'accès mobile, pas uniquement l'évolution de la 3G et de la 4G pour le grand public même si c'est ce qui est mis en place actuellement avec l'attribution des fréquences de la bande des 3,5 gigahertz. La 5G va bien au-delà et constitue un grand enjeu pour les « marchés verticaux », c'est-à-dire tous les autres secteurs industriels. Ils pourront bénéficier de cette technologie aussi bien pour la voiture autonome que l'industrie 4.0 en passant par la gestion des machines-outils.
Bien gérer ce passage à la 5G et la virtualisation des réseaux est très important pour l'évolution de l'économie et donc pour les États de façon générale. Cette virtualisation consiste en la mise en place de plateformes logicielles réservées aux réseaux. Il s'agit de créer des réseaux suffisamment versatiles, capables de s'adapter en temps réel pour fournir toutes les applications dont les secteurs industriels auront besoin.
Il faut noter que les réseaux ne sont plus constitués de boîtes contenant du « hardware » et des logiciels que nous connectons puis que nous gérons. Nous sommes carrément en train de déplacer le logiciel qui se trouve dans les boîtes sur des plateformes logicielles situées entre l'infrastructure réseau des boîtes et les applicatifs auxquels nous sommes habitués. Actuellement, les plateformes hébergent des applicatifs, pour vous et pour nous, mais nous mettons maintenant en place une couche intermédiaire qui est une couche logicielle réseau destinée à adresser tous les défis réseau.
Que représente dans ce cadre la souveraineté pour nous ? Chez Nokia, nous voyons arriver toutes les notions de cybersécurité et de sécurité technique à mettre en place. Nous n'avions pas à le faire auparavant puisque nous nous occupions d'avoir des boîtes très sécurisées en entrée et en sortie puis nous les interconnections. Nous aurons maintenant des logiciels sur des plateformes de cloud. Ces logiciels sont pour l'instant monofournisseurs mais pourront être multifournisseurs dans le futur. Ils hébergeront des bouts d'applicatifs automobiles, d'applicatifs pour l'énergie… Nous devrons de ce fait assurer de bout en bout une cybersécurité extrêmement élevée pour que ces réseaux virtualisés ne puissent pas s'effondrer. De nouveaux sujets de cybersécurité apparaissent donc, différents des sujets traditionnels.
En tant qu'équipementier de bout en bout, de fournisseur de réseau pour les opérateurs et les grands marchés verticaux comme la SNCF, nous devrons rentrer dans ce domaine de la cybersécurité logicielle pour les logiciels réseau. Cela explique pourquoi il faut porter une attention particulière aux réseaux 5G.
La question de la souveraineté élargit énormément le débat. Il peut s'agir de souveraineté économique pour l'Europe, donc de savoir si nous pouvons nous fournir pour ces infrastructures critiques de façon sécurisée. Ensuite, les États partout dans le monde commencent à se demander si ce qu'ils mettent en place assure la sécurité de leur économie, de leur défense… Nokia n'est pas responsable de ces activités mais responsable du fait de fournir une infrastructure critique sécurisée de bout en bout. Nous nous intéressons à l'aspect technologique et c'est la raison pour laquelle j'ai d'abord décrit ce qu'est un réseau virtualisé. Notre rôle est de fournir à nos clients des infrastructures critiques sécurisées d'un point de vue technologique.
Je n'ai pas bien compris votre question sur la bataille normative. Au niveau de l'infrastructure critique, la 5G est très normalisée. Les différents acteurs mondiaux participent à cette normalisation de l'infrastructure réseau. Nous connaissons déjà les différentes normes à venir pour la 5G : celles de l'année prochaine, de l'année suivante… À ma connaissance, à quelques détails près, nous produisons des équipements tous interconnectables et tous normalisés selon la même norme. Ce n'est pas comme dans le domaine de la vidéo où coexistent des normes asiatique, européenne et américaine.
Lorsque j'ai parlé de bataille normative, je pensais à ce qu'il s'est passé en France avec la loi de 2019 sur la sécurité des équipements qui, notamment pour Huawei, posait des problèmes pour savoir si les mêmes équipements pouvaient être conservés. Je ne parlais pas seulement des normes techniques et technologiques mais aussi des normes d'équipement.
En tant qu'équipementier, nous assurons des sécurisations plus que maximales de nos équipements. Je ne donne pas cher de l'avenir d'un équipementier qui sortirait un produit virtualisé non sécurisé.
Les États doivent regarder comment ils bâtissent leur sécurité d'État. Nous n'avons bien évidemment aucune notion de ce qu'il se passe dans les équipements de nos concurrents et ce n'est pas à nous de le faire. Nous ne sommes pas étonnés que des structures de sécurité de l'État analysent nos équipements et que cela concerne les trois équipementiers présents autour de la table. Il ne s'agit pas d'une bataille normative mais d'analyser les solutions mises en place chez nos clients. Nous n'avons ni activité spécifique ni avis à partager sur ce sujet parce que nous ne connaissons pas les équipements des autres.
La 5G n'est pas simplement une évolution de la 4G. Certes, du point de vue du grand public, la première version de la 5G est précisément l'évolution de 4 à 5 et ce que nous allons connaître en 2020 est typiquement une évolution classique avec dix fois plus de débit, dix fois moins de latence. Toutefois, le véritable enjeu est lié aux versions ultérieures.
Pour que nous puissions avoir un véhicule autonome, il faut que le réseau ne fasse pas que des interconnexions. Nous ne pouvons pas développer un applicatif de véhicule autonome et téléphoner à Orange ou SFR en leur demandant un bon réseau, qui aille suffisamment vite pour que la voiture soit autonome. Il faut mettre en place une structure logicielle entre les deux qui sera une sorte de mélange entre des fonctions réseau et des fonctions voiture, d'où l'aspect virtualisation et l'implication de nouveaux acteurs de part et d'autre. En tant qu'équipementiers, nous serons de nouveaux acteurs pour le secteur de l'automobile et le secteur de l'automobile sera un nouvel acteur dans l'aspect réseau. Nous définirons ensuite dans le réseau des « slices », c'est-à-dire des couches spécifiques pour un secteur. Le réseau deviendra ainsi intelligent parce qu'il saura ce qu'il transporte. S'il s'agit juste de vidéo, il transportera les données le mieux qu'il peut mais, si c'est une voiture, il faut qu'il sache appuyer sur le frein au bon moment.
Ces aspects sont totalement nouveaux. La bataille économique cache la forêt de l'aspect technologique, très important, qui nécessite beaucoup d'efforts de la part à la fois des équipementiers, des opérateurs et des secteurs industriels eux-mêmes. C'est une rupture à venir, névralgique pour les États car ceux qui ne se plongeront pas dedans rapidement risquent de devenir de simples utilisateurs d'applications développées ailleurs. Nous l'avons déjà vu avec les GAFAM. Il serait bon de ne pas renouveler le problème pour les approches industrielles, en particulier en France où nous avons de gros acteurs qui sont des poids lourds dans le domaine de l'énergie ou d'autres.
Je souscris à ce qui a été dit sur la partie souveraineté.
Je pense que la souveraineté est un vaste sujet, dont je n'ai pas l'ambition d'avoir la définition absolue et exhaustive. Néanmoins, il me semble que c'est une forme de maîtrise de son destin. Cette maîtrise de son destin passe probablement par une maîtrise de la régulation, une capacité à imposer en partie sa régulation. Je pense que le règlement général sur la protection des données (RGPD) est un exemple de cette volonté d'asseoir sa souveraineté.
Cette souveraineté est aussi associée à une forme de maîtrise technologique. Nous ne pouvons pas bâtir notre souveraineté uniquement sur la réglementation. Par exemple, dans le domaine de l'automobile, nous sentons bien qu'un pays qui n'a aucun constructeur automobile, pas beaucoup de routes, ne peut pas imposer des règles du code de la route ; elles arriveront d'ailleurs. Je veux dire qu'imposer des règles du code de la route numérique ne peut se faire qu'en ayant une forme de maîtrise technologique. Sinon, ce ne sera qu'un rideau de fumée. Pour nous, la maîtrise technologique est un élément constitutif important de la souveraineté comme nous le voyons dans les grands blocs asiatique ou nord-américain.
Il ne faut surtout pas oublier que cette souveraineté, au moins à notre sens, doit être vue comme ouverte et ambitieuse. L'idée n'est pas de construire des murailles, de s'enfermer derrière les murs de son château et de penser que nous avons atteint une solution. Cette souveraineté doit être ouverte, collaborative. L'Europe doit apporter des briques technologiques, une vision mais en restant ouverte aux autres parties du monde.
Ericsson est un acteur européen ; nous faisons 60 % de notre recherche et développement (R&D) en Europe mais nous sommes aussi présents dans 180 pays et, pour nous, il est important d'avoir un accès ouvert à tous ces pays, à tous ces marchés.
S'agissant de la crise covid, notre secteur est plutôt résilient. Le trafic sur les réseaux de télécommunication a augmenté. Les opérateurs français ont à notre sens mieux résisté que d'autres opérateurs. Je suis chargé d'une zone géographique qui comprend la France mais aussi la Belgique, le Luxembourg, l'Algérie, la Tunisie. Je suis d'assez près ces marchés et nous avons vu avec les derniers résultats trimestriels que les opérateurs français ont plutôt bien résisté. Nous en sommes très heureux. C'est important pour nous puisque nous dépendons de leur bonne santé. Les fondamentaux sont bons, le trafic sur les réseaux ayant plutôt augmenté.
Dans d'autres pays, les opérateurs ont moins bien résisté car le confinement ne pousse pas au lancement de nouvelles offres, au renouvellement des forfaits, au renouvellement des terminaux. Certains projets de déploiement d'infrastructures réseau peuvent être gênés. Cela n'a pas été le cas en France où le déploiement a assez bien fonctionné. Par comparaison avec d'autres secteurs, il serait inapproprié que je m'étende plus longuement sur nos malheurs alors que nous résistons globalement bien.
La sécurité est un sujet croissant car nous sommes encore plus dépendants des réseaux en 5G qu'en 4G. En 4G, si je perds la connexion, que l'image se fige ou qu'une panne fait tomber le réseau, c'est évidemment moins grave qu'avec la 5G, avec des automobiles connectées et des industries qui s'appuient dessus.
Nous pouvons d'abord voir la sécurité sous l'angle des standards définis collectivement au sein du 3rd generation partnership project (3GPP) pour concevoir les solutions les mieux sécurisées. Dans ce sens, la 5G est montée sur les épaules de ses prédécesseurs 4G et 3G pour créer des solutions encore plus avancées.
Le deuxième angle de la sécurité est le fait que chaque équipementier décide de concevoir ses produits et d'intégrer ses standards de sécurité dans ses produits, en complétant avec ses méthodes. Chacun essaie de faire au mieux sans trop savoir ce que font les autres. C'est aux autorités telles que l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), dans les différents pays, de regarder ce que chacun a créé.
Le troisième point est la façon de déployer les réseaux, avec des firewalls (pare-feu), de bons réseaux privés virtuels (VPN), de bonnes fonctionnalités de cryptage. La responsabilité est partagée entre l'équipementier et l'opérateur.
Le quatrième point est la manière d'opérer ces réseaux. Si, en ayant pris les précautions précédentes, j'écris le mot de passe sur le tableau derrière mon bureau, ce bel édifice sera un peu gâché. Tout cet ensemble est constitutif de la sécurité, aussi bien au sens de la protection contre des pirates que de la résilience face à des pannes.
Un autre volet qui revient souvent dans les discussions concerne la confiance. Il faut que j'aie confiance dans les différents acteurs de la chaîne. C'est la métaphore du serrurier : il m'a fait la meilleure serrure du monde pour ma maison mais il a gardé un double des clés et je n'ai pas confiance en lui.
Le dernier pilier est la souveraineté : pour être pleinement souverain, comprendre ce qu'il se passe, il faut aussi que j'aie une forme de maîtrise sur certaines des briques de la solution numérique globale.
La 5G est un moteur des activités d'Ericsson. Nous fournissons actuellement 70 réseaux commerciaux 5G dans le monde. L'association globale des équipementiers (GSA) dont font aussi partie mes homologues a recensé 125 réseaux ouverts commercialement en 5G dans le monde dans 52 pays. L'évolution est donc rapide et je pense que déployer ces réseaux est un enjeu de compétitivité pour la France et pour l'Europe. Être capable de déployer la 5G et de l'utiliser est aussi un enjeu pour l'industrie. Cela passe également par des usages grand public.
Un énorme enjeu pour nous, qui nous a beaucoup occupés cette année, est de communiquer sur la partie environnementale. Des craintes ont été soulevées. Il est légitime de s'inquiéter de l'impact environnemental de ce que nous faisons. Nous pensons qu'il existe aussi beaucoup de fake news, de distorsions de la réalité. Nous essayons de faire de la pédagogie pour montrer que la réalité est différente, que l'impact est plutôt stable et que nous pensons qu'il existe des moyens de déployer des réseaux 5G sans accroître l'impact carbone des réseaux. De plus, la 5G apporte des leviers tout à fait intéressants pour réduire l'impact carbone d'autres secteurs.
D'après le rapport du Sénat de 2019, la souveraineté numérique comprend trois aspects : la souveraineté technologique, la souveraineté industrielle et la souveraineté de la donnée. En nous basant sur cette compréhension de la souveraineté, la volonté de bâtir une autonomie stratégique et de relocaliser l'industrie, nous portons notre réflexion plutôt sur la façon de bien nous adapter à cette souveraineté numérique.
Notre première réponse est donc de tenir compte de ce souhait de relocalisation. Nous avons déjà cinq centres de recherche et développement (R&D) en France ainsi qu'un centre de recherche fondamentale qui dépose chaque année 50 brevets en France. De plus, nous nous approvisionnons en « Made in France » et, rien qu'en 2019, nous avons acheté pour plus d'un milliard de dollars américains de produits et de services en France. En ce qui concerne le « Made in Europe », nous avons décidé de créer une usine en Europe et cette usine doit s'installer en France. Tous les produits 2G, 3G, 4G, et 5G seront donc fabriqués en France.
Notre deuxième réponse porte sur la souveraineté des données. Nous avons bien compris que toutes les données doivent rester en Europe et en France. Toutes les données soumises au RGPD restent en France. Nous nous préoccupons aussi de la sécurité des équipements en concevant et en fabriquant nos produits selon un processus interne qui garantit la sécurité.
Nous avons également compris qu'il faut établir la confiance entre Huawei et toutes les tierces parties partout dans le monde. En France, nous testons tous nos équipements 5G avec Thalès en présence de l'ANSSI, en utilisant les standards de l'ANSSI, pour montrer que nos produits ne posent aucun problème de sécurité. Nous avons plus de 223 certificats délivrés par des tiers après vérification des équipements de Huawei. Ces certificats ont été délivrés en particulier par Thalès et, en Allemagne, par l'Office fédéral de la sécurité des technologies de l'information ( Bundesamt für Sicherheit in der Informationstechnik, BSI).
Je partage entièrement le point de vue d'Ericsson selon lequel la souveraineté doit aussi être ouverte et collaborative. Il faut construire un environnement dans lequel tous les acteurs puissent contribuer à la construction de cette future souveraineté et de l'économie.
Nous sommes comme tout le monde impactés par la covid-19. Nous avons pris beaucoup de précautions pour assurer la santé de tous nos employés et pour faire en sorte que les stocks, les équipements puissent être acheminés à temps vers tous les pays. La covid-19 a aussi un gros impact sur la digitalisation. Elle accélère le rythme de la digitalisation et de l'innovation.
Durant le premier confinement, en France, nous avons constaté une augmentation de 30 % du trafic chez les opérateurs. Nous avons mobilisé plus de 200 ingénieurs français pour qu'ils aillent dans les régions, qu'ils accompagnent les opérateurs pour garantir la qualité du réseau et pour fournir une très bonne connexion durant cette période. Nous avons aussi lancé le programme Digital InPulse pour encourager l'innovation dans les territoires français.
Ericsson et Nokia ont déjà largement abordé la question de la 5G. Nous pensons qu'il est toujours mieux de travailler ensemble pour résoudre certaines suspicions ou certains problèmes techniques. Il faut travailler ensemble pour construire un standard beaucoup plus clair et plus transparent, ainsi qu'un règlement commun à toute l'industrie afin de bien réguler toutes les contraintes de sécurité.
Nous ne comprenons pas de nombreux points dans les décisions prises car nous n'avons pas accès à la décision. Nous ne savons pas si la décision est un refus de Huawei ou s'il est moins facile de donner des autorisations à Huawei. Nous essayons de voir comment établir un environnement meilleur pour tous afin de mieux déployer cette technologie.
Nous avons 1 000 employés en France et nous sommes présents pour assurer que nous pouvons faire rapidement le déploiement de la 5G. Les investissements que nous avons faits en R&D permettent que cette technologie consomme moins d'énergie. Nous sommes là pour accompagner nos clients afin de déployer le réseau au plus vite et avec la meilleure qualité possible. Nous sommes prêts à faire preuve de toute la transparence nécessaire, à faire plus de tests en commun.
De notre point de vue, la 5G est d'abord une infrastructure et une technologique pour construire un réseau. La 5G est une rupture par rapport aux précédentes générations, notamment dans la capacité de connexion, la vitesse et la latence, ce qui la rend extrêmement puissante pour développer différentes solutions.
Nous avons parlé des réseaux virtualisés, des slices et tout cela est construit sur une infrastructure réseau très normalisée au-dessus de laquelle nous avons différentes possibilités pour déployer des applications telles que des véhicules autonomes, des villes intelligentes… Nous aurons alors besoin, par secteur, de travailler de bout en bout sur des réseaux d'applicatifs. Nous avons donc un réseau au sens de l'infrastructure avec différentes possibilités d'applications.
Huawei ne prétend pas être un acteur couvrant l'intégralité des applications 5G. Notre stratégie est de rester le fournisseur de solutions technologiques aussi performantes que possible et de travailler sur des solutions applicatives dans les différents secteurs avec nos partenaires dans le monde entier.
La question de la cybersécurité est pour nous avant tout une question technique. Nous avons constaté durant la période de la covid une augmentation extrêmement rapide de la demande sur les réseaux. Si les opérateurs français résistent relativement bien, mieux que certains autres, je pense que cela montre que leur base en matière de sécurité est solide. Les opérateurs français sont capables de bien gérer le réseau.
La loi traduit une réglementation que l'État français souhaite mettre en place et nous souscrivons à cette démarche. En tant que fournisseur de technologie, il est important que nous respections les différents standards. La souveraineté comprend aussi une partie liée au cahier des charges ; l'ancienne secrétaire générale de la défense nationale, Mme Claire Landais, avait précisé que l'État doit rester maître des décisions et des valeurs dans une société numérisée. Enfin, la souveraineté contient une partie de volonté politique qui est liée à la réglementation.
Tout ceci doit s'inscrire dans un contexte d'ouverture et de collaboration. Actuellement, plus personne ne maîtrise de A à Z toutes les technologies, ce qui rend nécessaire l'ouverture et l'esprit de collaboration. L'ensemble doit être assis sur une base de sécurité et de cybersécurité bien construite.
Pour moi, la souveraineté tient aussi à notre capacité à nous approvisionner pour fabriquer sur le territoire européen nos propres équipements. J'ai bien entendu la remarque de Huawei qui dit que nous avons une souveraineté parce que nous avons constitué des stocks.
La constitution de stocks est-elle aussi pratiquée chez Nokia et Ericsson ? Quelle est votre part d'autonomie par rapport à vos sous-traitants en matière de sourcing ? Avoir des partenaires européens est bien mais si l'ensemble des équipements ou des parties de vos équipements sont achetés hors d'Europe, nous pouvons être contraints dans certains cas à ne plus être souverains. Nous l'avons déjà vu dans d'autres filières économiques, en particulier sur les médicaments durant la crise sanitaire, mais le même phénomène pourrait se produire dans le domaine des télécoms dans un futur où nous ne maîtriserions pas nos chaînes de production.
Nous sommes également dans cette logique de production par zone géographique. Nous avons des usines en Asie, en Amérique et nous produisons aussi en Europe, plutôt en Estonie et en Pologne, mais avec l'idée de produire une grande partie de nos équipements pour le marché européen en Europe. Nous procédons de même pour les autres plaques géographiques. Il s'agit de réduire les temps d'approvisionnement, d'être plus flexible.
Ces usines sont des usines d'assemblage et, effectivement, utilisent beaucoup de composants. Nous avons appris des crises passées car il s'est produit ces dernières années des tensions sur le marché des composants actifs. Il est arrivé que nous ne puissions pas servir complètement tous les clients en temps et en heure. C'est lié au fait que d'autres industries comme l'industrie automobile se sont également beaucoup digitalisées et ont demandé beaucoup de composants.
Cette question de l'approvisionnement en composants actifs n'est donc pas nouvelle. De ce fait, nous constituons des stocks pour nous affranchir des risques associés à une sur-demande ponctuelle du marché. Par ailleurs, nous avons choisi de diversifier nos sources. Nous n'avons pas un seul fournisseur qui peut, soit avoir un problème, soit avoir une demande très forte et être obligé de faire des arbitrages pour fournir ses clients. Nous avons donc une production locale, des stocks et du sourcing élargi.
Nous avons un peu près les mêmes stratégies d'approvisionnement. J'ajoute qu'il ne faut pas confondre les terminaux et les équipements de réseaux. Nokia n'est pas fournisseur de terminaux.
Il est important de distinguer les deux car la situation est très différente. Sur les réseaux, nous sommes vraiment des fournisseurs de logiciels et l'équipement est de plus en plus de l'équipement logiciel. Le hardware devient de plus en plus banalisé. Avec une approche multifournisseur et multisource pour l'intégration, la valeur ajoutée est vraiment dans le logiciel et Nokia passe un pourcentage énorme de son chiffre d'affaires en développement logiciel. Il faut donc savoir où sont développés les logiciels, s'ils sont développés sur plusieurs sites dans le monde, si nous sommes capables de nous retourner au niveau du développement logiciel, si nous sommes présents dans plusieurs pays.
Pour la fourniture du hardware, des Application-Specific Integrated circuit Chips (ASIC), Nokia a de multiples sources, voire des sources en propre pour certains ASIC que nous développons nous-mêmes, et nous avons également du stock. Notre gestion est d'abord européenne, mondiale ensuite. Nous ne développons pas tout à partir d'un ou deux pays ni d'un ou deux continents. L'approche est mondiale, multi-source et multi-continent.
Il faut ensuite implanter le logiciel mais la valeur ajoutée sur les équipements réseau est souvent inférieure à la valeur ajoutée sur les équipements terminaux. Dans les terminaux, l'électronique est entièrement intégrée car il faut que tout tienne dans une petite boîte. Sur les réseaux, la fourniture des ASIC est importante mais nous avons toujours des solutions de contournement.
Nous avons 300 fournisseurs en France et nous y avons fait pour un milliard de dollars d'achats en 2019. Nous avons 3 100 fournisseurs en Europe et nous y avons acheté pour plus de 8,3 milliards de dollars en 2019.
S'agissant de la production, notre usine en Europe est destinée non seulement à l'assemblage des composants que nous achetons mais aussi à la fabrication de parties de la carte-mère pour la technologie 5G.
Sur la partie logicielle, Huawei accorde une très grande importance à la R&D. En 2019, nous avons investi plus de 18,2 milliards de dollars en R&D. En plus des centres de R&D dont j'ai déjà parlé en France, nous avons en Europe 23 centres de R&D situés dans quatre pays européens.
Nous avons commencé à investir sur la technologie 5G dès 2009 et nous avons déjà investi au total plus de 4 milliards de dollars sur cette technologie. Cela nous permet d'avoir une certaine avance technologique.
Du côté de Huawei, nous restons relativement centrés sur l'infrastructure et les terminaux. Nous développons beaucoup nos propres technologies, en respectant bien évidemment les normes et les standards internationaux.
De notre point de vue, dans les solutions les plus pointues aujourd'hui en matière de télécommunication, le hardware continue à jouer un rôle important voire très important. Ceci ne signifie pas que nous ne développons pas de logiciel ; nous développons bien des logiciels de télécommunication qui gèrent et font fonctionner les équipements.
Sur la partie approvisionnement, nous avons une politique multi-source, sur les différents continents, en Europe, au Japon, en Chine, en Corée… Cette politique multi-source et notre politique de R&D nous permettent d'assurer un approvisionnement mieux réparti dans différentes parties du monde.
Il serait intéressant que nous ayons un écrit sur les détails de ce sourcing et de cette production sur le territoire européen pour les parties logicielle et hardware. C'est pour moi un élément de souveraineté. Nous sommes fiers d'avoir des entreprises européennes dans ces secteurs mais la souveraineté peut aussi être que nous maîtrisions bien la production de ces éléments essentiels que sont les éléments réseau.
Nous avons auditionné les opérateurs de télécommunications dont certains nous expliquaient avoir des soucis pour implanter la 5G en France car certains élus locaux n'y étaient pas favorables, avaient demandé des moratoires… Comment voyez-vous ce mouvement de défiance vis-à-vis de la 5G ? Est-ce justifié ou non ? Constatez-vous ce même sentiment de défiance dans d'autres pays européens ou est-ce franco-français ?
La souveraineté n'est peut-être pas qu'une question de technologie et de réglementation mais aussi d'acceptation par la société d'évolutions techniques et de mesures de protection. La société française semble aujourd'hui un peu divisée sur la 5G.
Je souscris à ce qui a été dit par mes concurrents sur l'importance de la partie logicielle.
Sur la partie environnementale, il semble que ce soit un phénomène français, peut-être francophone puisque nous le voyons aussi en Belgique où c'est un sujet assez fort, beaucoup repris dans la presse. Je comprends les problèmes de nos clients opérateurs et je pense qu'il faut que nous travaillions dessus. Il me semble que c'est une combinaison de mauvaises perceptions de la réalité et qu'il faut poursuivre le dialogue déjà entamé.
L'impact carbone actuel du numérique est mal perçu, l'impact du streaming est également mal perçu. Les gens ne connaissent pas suffisamment le gain qu'apportera la 5G, qui est de l'ordre d'un facteur 10 pour la même quantité de données. Je pense qu'un effort de communication est à faire mais que nous sommes peut-être aussi dans un contexte un peu technophobe que nous avons du mal à appréhender parce que nous sommes naturellement technophiles.
Une question de fond est malgré tout légitime : celle de l'effet rebond. Les gens veulent bien nous croire sur le fait que la 5G est dix fois plus efficace mais pensent que, du fait de cette efficacité supplémentaire, malgré les gains de productivité, un effet rebond se produira avec une boucle de surconsommation et que le résultat final sera plus mauvais qu'au départ. Je pense que c'est là le débat réellement intéressant.
Il existe des effets rebond négatifs dans tous les domaines. Par exemple, si j'augmente la performance de l'agriculture, je produis plus de viande, j'augmente la quantité de protéines animales et j'ai un impact négatif. Ce phénomène n'est pas intrinsèque au numérique. Je trouve délirant le constat que j'entends selon lequel, puisqu'il peut exister un effet rebond, il ne faut plus bouger, ne plus rien faire et rester dans la technologie actuelle, alors que le monde autour de nous bouge et que nous risquons de prendre du retard dans la compétition.
Gagner en productivité est vieux comme le monde. Quand l'homme a domestiqué le feu voici 400 000 ans, il a bénéficié d'un gain de productivité dans sa mastication. Quand il a inventé la roue, il a eu un gain de productivité et ce phénomène se répète tous les ans depuis des dizaines de milliers d'années. S'arrêter maintenant n'est en rien une solution par rapport à l'histoire de l'homme, au génie de l'humain et n'est pas une solution dans un contexte concurrentiel.
L'université de Zurich a sorti un rapport assez intéressant sur la 5G. Ce rapport propose de voir quels sont les effets positifs de la 5G pour d'autres secteurs, d'identifier de manière itérative les effets rebond et de voir comment ces effets rebond peuvent être traités. Ils peuvent être traités par la réglementation, par une incitation à d'autres formes d'usage. Par contre, décider de ne rien faire à cause de l'effet rebond est délirant.
Pour donner un exemple concret, ce rapport indique que la 5G peut apporter beaucoup de progrès pour l'automobile connectée. Un effet rebond potentiel de l'automobile connectée et autonome est que, après pris ma voiture pour aller travailler au bureau, je la renvoie chez moi parce que je ne trouve pas de place pour me garer à côté du bureau puis je lui ordonne de revenir me chercher, ce qui pourrait doubler le nombre de trajets en automobile. Ce serait un effet rebond négatif qu'il faut éviter mais ce n'est pas pour cette raison qu'il faut éviter de créer des automobiles connectées qui pourraient avoir de nombreux effets positifs induits. Il faut prévoir une forme de réglementation, par exemple une incitation à un partage des véhicules pour éviter l'effet rebond négatif.
C'est un vrai sujet, un peu spécifique à la France. D'autres pays très conscients de l'environnement comme en Scandinavie n'ont pas ce problème. Les deux axes de travail sont de communiquer sur la réalité de la 5G et d'attaquer le nœud du problème, en particulier ces effets rebond qu'il faut travailler en faisant en sorte de les éviter mais qui ne doivent pas être un frein.
Je souscris complètement à ce qui vient d'être dit. Sur l'aspect sociétal, c'est effectivement un sujet très français. Je pense que nous sommes un peuple très innovant mais qui a besoin d'avoir fait le tour en théorie de ce qu'il se passera, avec des chiffres, de gains… Or, la 5G apportera une évolution très forte surtout dans les secteurs industriels, donc des gains.
Par exemple, les champs éoliens gérés un par un nécessitent actuellement un lissage de l'énergie avec souvent des centrales thermiques. Le déploiement d'une infrastructure numérique évoluée avec la 5G et d'autres technologies permettra de mieux gérer les parcs éoliens. Il faut commencer à expérimenter pour voir ce que cela donnera. Dans d'autres pays, en particulier dans le nord de l'Europe, la réaction est de tester en ayant en tête le fait qu'il faut faire attention à l'environnement. Si la 5G conduit à un échec sur les champs éoliens, ils reviendront en arrière. En France, nous voulons avoir fait toute l'analyse complète avant de mettre les bottes et d'aller sur le terrain. Nous avons donc beaucoup de mal à voir les effets positifs, à faire des tableaux Excel avec les effets positifs, négatifs et à voir que, finalement, l'impact est positif dans l'exemple que je viens de citer.
Il faut que nous expérimentions plus et plus longtemps, pas uniquement pour montrer que notre site d'expérimentation 5G fait dix fois plus de ci, dix fois moins de ça… L'expérimentation avec les secteurs industriels est extrêmement importante et des pays le font. C'est important pour notre développement économique et pour notre développement durable à venir.
Notre approche doit être plus pratique, pragmatique plutôt que d'appuyer sur le frein. En France, nous appuyons sur le frein pendant des années puis nous le lâchons et, d'un seul coup, nous fonçons sur la technologie. Toutefois, nous risquons de prendre ainsi du retard dans la mise en œuvre tandis que, dans la mise à disposition des fréquences, nous ne sommes pas à six mois près puisque le développement durera des années.
Nous voulons trop tout analyser à l'avance, avec des partis pris trop négatifs. Il faut avancer et je ne doute pas que cela avancera. Les autres pays d'Europe ne nous comprennent pas bien d'ailleurs.
Pour la même quantité de données, la technologie 5G consomme dix fois moins d'énergie que la 4G. La consommation de chaque site est à peu près inchangée mais la capacité de la 5G est beaucoup plus grande.
Dans les travaux de R&D, Huawei s'est déjà beaucoup préoccupé de la protection de l'environnement. Ainsi, les sites de 4G sont très grands et nous avons essayé de consommer moins tout en faisant plus pour la 5G. Nous arrivons ainsi à construire des équipements 5G beaucoup plus petits. Nous avons par exemple un organe 5G qui ne pèse que vingt kilogrammes et peut être installé très facilement. Nos sites 5G consomment aussi moins d'énergie qu'en 4G.
Nous avons déjà l'expérience de 91 contrats de 5G et nous savons accompagner nos clients pour réaliser des installations très rapides. En tant que fournisseur d'équipement, nous pouvons faire des efforts pour assurer que les déploiements des opérateurs soient aussi rapides que possible.
Je pense qu'il faut distinguer souveraineté et acceptabilité. La souveraineté est la défense des intérêts nationaux tandis que l'acceptabilité est liée à une perception du citoyen, à l'expression d'une réticence et de craintes face à un changement important.
La technophobie générale à laquelle nous faisons face n'est pas nouvelle en France. Nous l'avons vue sur la 4G, sur Linky, sur l'implantation d'éoliennes. Ce principe a été théorisé par l'acronyme Nimby, Not in my backyard. Il faut impérativement traiter ces deux questions mais elles sont à distinguer. L'acceptabilité sociale n'est pas une question de souveraineté ; il s'agit de rassurer le citoyen face à un changement.
La séance est levée à 12 heures 20.
Membres présents ou excusés
Mission d'information de la Conférence des Présidents « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »
Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 11 heures
Présents. - Mme Laure de La Raudière, M. Philippe Latombe, M. Jean-Luc Warsmann
Excusés. - Mme Frédérique Dumas, M. Philippe Gosselin