Commission des affaires étrangères

Réunion du jeudi 9 juillet 2020 à 14h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • brexit
  • britannique
  • irlande
  • pêche
  • royaume-uni

La réunion

Source

Audition de M. Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future.

La séance est ouverte à 14 heures 35.

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Nous remercions vivement Michel Barnier d'avoir accepté cette audition alors que les négociations sont toujours en cours.

Le Royaume-Uni a quitté l'Union européenne le 31 janvier 2020, tout en demeurant provisoirement dans l'union douanière et le marché unique pendant une période dite « de transition ». Nous savons désormais que celle-ci ne sera pas prolongée et prendra fin le 31 décembre 2020. Il reste donc aujourd'hui quelques mois pour négocier le cadre du futur partenariat entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, trois ou quatre mois si l'on retient la période vraiment utile pour parvenir à un accord. Ces discussions, qui ont été ralenties par la crise sanitaire, semblent avoir donné peu de résultats concrets à ce jour. Elles se poursuivent en format restreint cette semaine et la semaine prochaine. Une session plénière de négociations se tiendra du 20 au 24 juillet.

Les positions des deux parties semblent a priori difficiles à concilier. Le Royaume Uni réclame ainsi un accord de libre-échange, c'est-à-dire un accès réciproque des deux parties à leurs marchés respectifs, sans droits de douane. Il donne comme référence un accord de type CETA. La Commission demande, de son côté, un alignement dynamique sur les réglementations européennes en matière d'environnement, de droits des travailleurs, de subventions publiques, etc. Elle réclame des règles du jeu équitables – le fameux level playing field – afin d'empêcher une concurrence déloyale de la part du Royaume Uni. Vous nous direz quelles sont les perspectives de trouver un terrain d'entente, et sur quelles bases les deux parties pourraient fonder un tel accord.

Vous nous ferez part aussi de votre sentiment sur la réalité des contrôles douaniers qui seront amenés à être opérés entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord pour les biens à destination de l'UE. On sait en effet l'importance de ne pas rétablir de frontière physique entre les parties nord et sud de l'Irlande afin de ne pas fragiliser les accords de paix dit « du Vendredi saint » de 1998.

La pêche est un autre sujet difficile. La Commission a défendu le maintien des principes de l'actuelle politique commune de la pêche, donnant à l'ensemble de la flotte de pêche européenne un égal accès aux eaux et aux fonds de pêche de l'UE, et donc aux vastes eaux territoriales britanniques. Le secteur de la pêche, s'il ne représente que 0,12 % de l'économie britannique, revêt outre-Manche une importance symbolique. Londres insiste pour que l'accès à ses eaux fasse l'objet d'une négociation annuelle, sur le modèle du système mise en place avec la Norvège, l'Islande et les Îles Féroé. Là encore, quelles sont les perspectives de trouver un terrain d'entente, et sur quelles bases ?

Nous serons attentifs aux éclairages que vous nous donnerez sur les autres points sensibles de la négociation, tels que les instruments de la coopération policière et judiciaire ou le cadre de gouvernance et de règlement des différends du futur partenariat.

Plus globalement, vous nous rappellerez la position de la délégation de l'Union européenne sur le fait de conclure un seul accord global ou plusieurs accords séparés. À nous législateurs, il importe aussi de vous entendre sur les perspectives quant à la nature mixte, ou non mixte, du ou des futurs accords.

Sur le déroulement des négociations, vous avez eu l'occasion d'indiquer que la partie britannique semblait revenir sur certains points qui avaient été actés dans l'accord de retrait du 17 octobre 2019 et dans la déclaration politique qui l'accompagnait. Vous nous en direz davantage sur la nature et le respect des engagements déjà pris par les Britanniques.

La Banque d'Angleterre a demandé aux banques de se préparer à une absence d'accord. En faisant la part de ce qui relève de la tactique de négociation, les Britanniques sont-ils vraiment prêts à prendre le risque d'un échec ? Ou bien, malgré la difficulté des négociations, la conclusion d'un accord reste-t-elle l'issue la plus probable, tant les deux parties auraient à perdre, dans le contexte économique que nous connaissons, à un retour des droits de douane au 1er janvier 2021 ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

Je m'efforcerai de vous répondre simplement et sincèrement.

Le Brexit politique et institutionnel s'est déroulé de manière ordonnée grâce au traité de retrait. Il reste à conclure le Brexit économique et commercial. En raison du temps de ratification nécessaire, nous devons conclure ce traité avant le 31 octobre. Accord ou pas, au 1er janvier, des changements interviendront partout, et pas seulement en Irlande. Tous les produits du Royaume-Uni entrant sur le marché unique européen seront contrôlés ; la question principale est de savoir s'il y aura en plus des taxes et des contingentements.

Cette négociation s'appuie sur la déclaration politique annexée à l'accord de retrait. Les Britanniques ont pris dès le début beaucoup de distance par rapport à ce texte, notamment sur des sujets tels que la politique étrangère, la défense et la coopération, qui n'entrent pas dans le champ des discussions actuelles. De façon idéologique, ils souhaitent concentrer la négociation sur la défense de leurs intérêts économiques et commerciaux. Le Royaume-Uni est à la fois le pays le plus proche de l'Union européenne et celui dont le volume des échanges avec celle-ci est le plus important : 47 % de ses produits sont exportés vers l'Union européenne, les vingt-sept États membres confondus exportant 8 % de leurs produits vers le Royaume-Uni. C'est la raison pour laquelle nous avons offert au Royaume-Uni un partenariat sans précédent, sans aucune taxe ni aucun contingentement. Avec un pays aussi durablement intégré à l'Europe territorialement et économiquement, à la capacité de concurrence désormais totalement libérée, il convient de prendre des précautions. L'objet du Brexit est l'autonomie, la capacité de faire de la concurrence réglementaire, et je me demande tous les jours si celle-ci sera utilisée par les Britanniques comme un outil de dumping contre nous.

M. Johnson, souhaitant obtenir un accord sur les principes du futur partenariat dès la fin du mois de juillet, a rappelé ses lignes rouges : pas de rôle dévolu à la Cour de justice, aucun alignement dynamique sur le droit européen et une « grande différence » par rapport au statu quo dans le domaine de la pêche. Nous lui avons rappelé nos propres lignes rouges : un accord de commerce dans tous les domaines, intelligent et durable ; des garanties robustes sur le level playing field afin de maîtriser les risques de dumping ; un accord équilibré et durable en matière de pêche ; un cadre institutionnel global et un mécanisme efficace de traitement des différends. Nous ne voulons pas reproduire le « salami » suisse, cette succession d'accords difficilement gérable. Alors même que j'ai fait quelques ouvertures sur les lignes rouges britanniques, les Britanniques ne bougent pas : ils ne veulent pas publier leur nouvelle politique nationale en matière d'aides d'État ni bouger sur la pêche, où leur demande aboutirait à la destruction d'une partie des flottilles de la pêche européenne dans l'Atlantique. C'est inacceptable pour nous.

Il nous revient de fixer les conditions d'accès à notre marché. Nous avons avancé sur de nombreux sujets mais nos points de divergence sur des sujets majeurs me rendent assez pessimiste. Nous ne sacrifierons pas l'avenir du marché intérieur pour le bénéfice de l'industrie britannique. Nous sommes prêts à un accord, mais pas à n'importe quel prix.

L'accord que nous négocions comporte un paquet économique, dans lequel le free trade agreement – zéro tarif, zéro quota –, le level playing field et l'accord sur la pêche forment un tout indissociable. Un autre paquet est lié à l'énergie et aux transports routier, ferroviaire et aérien. Enfin, un paquet porte sur la sécurité intérieure. Nous avons trouvé des points de convergence sur les objectifs mais nous avons de sérieuses divergences sur des questions de principe. Nous restons très vigilants sur la garantie des droits des 1,5 million de citoyens britanniques vivant dans l'un ou l'autre des pays de l'UE et des 3,5 millions de citoyens européens installés au Royaume-Uni.

Le point le plus épineux reste la question de l'Irlande. Nous avons abouti avec Boris Johnson à un protocole qui garantit la quadrature du cercle : pas de frontière terrestre sur l'île d'Irlande ; le all island economy, visant à maintenir les coopérations entre le Nord et le Sud ; le territoire douanier britannique conserve son unité, avec l'Irlande du Nord ; les produits entrant en Irlande du Nord, notamment les produits sanitaires, phytosanitaires et animaux, seront contrôlés au regard du droit européen et en respectant le code douanier européen. Cela explique le statut particulier, les Britanniques ayant accepté que tous les produits qui entreront en Irlande du Nord soient contrôlés par les autorités britanniques avec notre coopération. Un animal vivant, par exemple une vache, arrivant de Grande-Bretagne à Belfast, entre automatiquement en France, en Allemagne ou en Belgique... Nous n'avons pas la mémoire courte sur l'origine de certaines maladies animales graves. Nous devons donc contrôler cette vache pour protéger les consommateurs, tout comme nous devons contrôler les produits pour protéger les entreprises contre les risques de contrefaçon.

L'accord de retrait fait l'objet d'un suivi particulier par un joint committee dans lequel la Commission est représentée par le vice-président Maroš Šefčovič. Notre équipe vérifie, semaine après semaine, que les Britanniques adoptent bien les mesures et créent les infrastructures nécessaires pour assurer ces contrôles. Nous publierons cet après-midi une communication importante sur la préparation aux changements définitifs dus au Brexit à partir du 1er janvier.

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Y aura-t-il un accord ou des accords ? Mixtes ou pas mixtes ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

L'essentiel de l'accord sera de compétence communautaire. Peut-être y aura-t-il des parties mixtes, notamment dans le domaine des transports, mais elles resteront limitées. Nous voulons une gouvernance globale, horizontale et des processus communs de règlement des conflits, mais les Britanniques n'en veulent pas.

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Dans quelle mesure le respect de l'accord de retrait affecte-t-il la négociation en cours ? Comment s'assurer qu'il est bien respecté ? Réfléchit-on à des exemptions pour certains programmes intégrés existant entre le Royaume-Uni et différents acteurs européens, comme Airbus ? Le point d'arrivée de la négociation semble assez binaire : un accord global ou aucun accord. Peut-on concevoir un accord avec une gouvernance globale mais un périmètre plus restreint ? En tant que législateur national, serons-nous amenés à adopter de nouvelles dispositions pour préparer nos industries en cas d'échec de la négociation ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

L'accord de retrait est un processus indépendant. Il est ratifié, il faut veiller à sa bonne application opérationnelle au 31 décembre. Nous maintenons la pression afin que les Britanniques soient plus précis et concrets sur les mesures concernant l'Irlande. Si l'application de l'accord de retrait n'est pas correctement préparée, cela créera un problème de confiance pour la relation future.

Ce sont les Britanniques qui sortent de l'Union européenne, et non l'inverse. J'espère qu'ils en ont bien mesuré toutes les conséquences s'agissant des chaînes de valeur et des chaînes de production. Tous les produits qui entrent dans le marché unique doivent être contrôlés et il n'y aura pas d'exemption, même si rien n'interdit de coopérer pour faciliter les choses.

L'accord binaire est tout le débat que nous avons avec les Britanniques. Ils veulent des accords spécifiques et distincts ; nous voulons un accord global, avec des modalités de règlement des conflits et des liens entre les accords. Ils veulent une gouvernance globale avec de multiples exemptions ; je réponds qu'il n'est pas question d'en faire une boîte vide.

Le Brexit ne sera jamais business as usual, ni pour les industriels, ni pour aucun autre secteur de l'économie. Sans accord avant le 31 décembre, les perturbations seront profondes. Il faudra se rabattre sur les cadres internationaux, quand ils existent, de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Nous allons accentuer la préparation des deux hypothèses avec les différents secteurs et les différents pays.

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Le gouvernement britannique a annoncé la création d'une dizaine de zones franches défiscalisées ainsi que des accords commerciaux bilatéraux avec plusieurs États du Commonwealth. N'y a-t-il pas là le risque d'une concurrence inéquitable aux portes de l'Union européenne ?

Concernant les services financiers, le système des équivalences constitue-t-il un levier de négociation majeure, dans la mesure où il semble indispensable à la survie de la City ?

Quelles sont les lignes rouges de la partie européenne sur l'accès de nos pêcheurs aux eaux britanniques, ainsi que sur les droits des citoyens européens au Royaume-Uni ?

Quelle est la position de l'Union européenne sur la décision des autorités britanniques d'augmenter considérablement les droits de scolarité des étudiants européens dans les universités britanniques ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

Nous aurons à nos côtés un concurrent qui ne sera absolument plus solidaire des règles de l'écosystème européen. Nous ne sommes pas naïfs : l'une des raisons du Brexit est précisément la capacité de diverger. Cette divergence reste-t-elle raisonnable ou devient-elle un outil de dumping à travers des zones et des ports francs ? Nous ne sommes pas disposés à ouvrir notre marché sans taxes et sans quotas si aucune garantie ne nous est donnée dans la durée car des dizaines de milliers d'emplois dans les pays de l'Union européenne sont en jeu. Si les Britanniques obtiennent ce qu'ils veulent, ils pourraient devenir un hub d'assemblage de produits à bas prix venant au Royaume-Uni grâce à leurs accords internationaux, qui seraient ensuite exportés chez nous à zéro tarif, zéro quota. No way !

Les services financiers n'entrent pas dans la négociation. Nous pouvons accorder ou retirer des équivalences de manière unilatérale mais il n'y aura pas de « co-management ». De même, les décisions d'adéquation en matière d'échanges de données seront prises de façon indépendante.

Les droits des citoyens acquis jusqu'à la fin de cette année seront garantis. En revanche, après le 1er janvier, les jeunes Français voulant aller au Royaume-Uni ou les jeunes Britanniques voulant venir chez nous seront soumis à une politique extrêmement différente : il n'est plus question de liberté de circulation. Les Britanniques traiteront les citoyens européens comme tous les autres ressortissants du monde entier. Les frais de scolarité des étudiants européens seront alignés sur ceux des étudiants sri-lankais ou indiens.

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Le gouvernement de Boris Johnson serait en train de négocier un accord sur les services financiers avec la Suisse. L'Union européenne peut légitimement craindre que, sans accord, le Royaume-Uni devienne un paradis fiscal faiblement réglementé. Ces négociations avec la Suisse ne démontrent-elles pas la volonté du Royaume-Uni de favoriser le dumping social et que l'issue des négociations avec l'Union européenne ne le préoccupe pas plus que cela ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

Le Royaume-Uni sera un pays tiers à la fin de l'année, quittant les 600 accords conclus par l'Union européenne. Il doit tout renégocier. Rien ni personne ne peut l'empêcher de négocier avec la Suisse. Nous veillerons à ce que ce ne soit pas un moyen d'entrer dans le marché unique, auquel la Suisse a partiellement accès.

Nous craignons le dumping social sur les produits exportés par le Royaume-Uni si ce dernier ne respectait pas la clause de non-régression qui vise à conserver les droits sociaux, environnementaux et quelques autres au niveau que nous avons atteint ensemble au 31 décembre. Nous rencontrons de grandes difficultés pour faire accepter aux Britanniques de traduire cet engagement dans un texte juridique.

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Alors que le Royaume-Uni a participé activement à la construction du système européen Galileo, l'Union européenne souhaite qu'après le 31 décembre 2020, le logiciel PRS, utilisé par les agences gouvernementales et les forces armées et de sécurité, soit réservé aux États membres. Certains pays, dont la France, souhaiteraient conserver des liens étroits avec le Royaume-Uni sur cette question. Quelle est la place réservée à ce dossier dans les négociations ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

Je suis très attaché au programme Galileo : il est la preuve que mutualiser pour disposer des outils de notre souveraineté européenne donne également plus de force à notre souveraineté nationale. Le programme Galileo peut être utilisé par les pays tiers ; nous pourrions offrir la même opportunité aux Britanniques. En revanche, ces derniers ne peuvent continuer de participer à son élaboration technologique et industrielle. Si un pays tiers était partie prenante, il pourrait, s'il le décidait, tout bloquer. C'est une question grave, car il y va de notre indépendance. La discussion avec les Britanniques n'a pas avancé puisqu'ils ont décidé de bâtir leur programme unique de navigation satellitaire.

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S'agissant du Brexit, je reste dubitatif. Si un traité de libre-échange peut convenir à l'Europe, aux États et aux Britanniques, cela ne conviendra pas forcément aux peuples de nos différents États. Quel rôle jouera demain la Bourse de Londres ? Le Royaume-Uni deviendra-t-il un site offshore ?

Les deux forces nucléaires européennes se séparent : quelles en seront les conséquences sur la sécurité de l'Europe ? Une relation particulière est-elle prévue ou traiterons-nous le Royaume‑Uni comme la Russie, la Chine ou les États-Unis ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

Le Brexit est perdant-perdant ! Personne, pas même M. Farage, n'est en mesure de démontrer sa valeur ajoutée. Dans le monde actuel, il vaut mieux être ensemble, ce qui n'empêche pas de conserver son identité nationale. Je m'efforce de trouver un accord de commerce de nouvelle génération, comportant des dispositions en termes d'environnement et de droits sociaux, ainsi que des règles du jeu équitables. C'est ce que les Britanniques ont du mal à comprendre. Nous avons proposé un accord sans tarif et sans quota, ce que nous n'avions jamais proposé auparavant, car ce pays est dans une situation exceptionnelle. La condition est qu'ils acceptent les règles du jeu. Nous avons intérêt à trouver un accord équilibré, mais sans naïveté.

Le Royaume-Uni perd définitivement le passeport financier. La City ne sera donc plus en capacité de travailler dans le marché unique. Il est possible de retrouver une partie de ces conditions grâce aux équivalences, mais c'est différent, car nous les donnons et pouvons aussi les reprendre unilatéralement.

Il n'y a jamais eu de débat européen sur la question nucléaire. En revanche, des discussions bilatérales se poursuivront entre le Royaume-Uni et la France. La coopération bilatérale est forte : il n'y a aucune raison que cela change. Il faudrait prévoir un cadre pour de futures coopérations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, qui commence à se doter d'outils et à mener des initiatives en matière de défense comme le Fonds européen de défense ou la coopération structurée permanente (CSP).

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Le Royaume-Uni occupe une place majeure au sein des marchés cinématographique et audiovisuel. Plusieurs textes législatifs sont concernés par le Brexit – directive services de médias audiovisuels, législation sur le droit d'auteur ou sur le commerce électronique. En l'absence d'un accord, comment éviter l'apparition de vides juridiques ?

Dans un arrêt de 2018, la Cour européenne des droits de l'homme a mis en évidence que le Royaume-Uni avait un historique controversé en matière de protection des données, notamment celles utilisées dans les programmes de surveillance massive. Quelle serait l'attitude de l'Europe si le Royaume-Uni contrevenait à ses engagements dans ce domaine ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

Le secteur audiovisuel est exclu de la négociation commerciale. Nous n'en discutons pas et conservons notre autonomie en ce domaine.

La protection des données est un sujet majeur, notamment en matière de sécurité intérieure. Nous sommes disposés à contribuer à un cadre d'échanges de données, à condition d'attribuer préalablement des décisions d'adéquation, qui font l'objet d'un processus autonome et parallèle. Elles sont accordées lorsque nous sommes assurés que les droits des citoyens sont protégés. Nous pouvons également les reprendre si un accord n'est pas respecté. Nous voulons pouvoir nous référer à la Cour de justice quand il s'agit d'interpréter le droit européen sur la protection des droits fondamentaux des citoyens, mais les Britanniques ne le veulent pas, ce qui pourrait nous conduire à réduire le champ de notre coopération.

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La situation n'est pas aussi dramatique qu'on le dit. On voit bien que sur chaque sujet, des accords de coopération bilatéraux peuvent être conclus et que la Grande-Bretagne restera un partenaire. Il s'agit de réinventer la relation en mettant fin à un engrenage fédéral qui éloigne les peuples de l'Europe.

Il y a une grande contradiction à vouloir protéger le marché unique contre la concurrence britannique alors qu'en son sein, les Polonais et les Roumains nous exposent à une concurrence bien plus grave et que, depuis des années, la Commission négocie des accords de libre-échange profondément déloyaux, qui ouvrent l'Europe à un monde de dumping, malgré la protestation des peuples. Quel est votre regard sur la future concurrence et sur tous ces accords qui continuent d'être signés ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

Le Brexit est perdant en ce qu'il rompt quarante-sept ans de coopération. Le contrôle des produits qui entrent dans le marché unique est quelque chose de sérieux. Peut-être avons-nous été trop naïfs par le passé mais ce temps est révolu. La Commission vient de publier un Livre blanc proposant la création de nouveaux outils de défense commerciale.

Nous négocions des accords d'une nouvelle génération obéissant à des règles de level playing field qui n'existaient pas auparavant, afin de mieux gérer la mondialisation. L'objectif de l'accord de libre-échange avec le Royaume-Uni n'est pas d'éliminer la concurrence mais de la maîtriser.

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Les positions du négociateur britannique, eurosceptique radical, vous semblent-elles susceptibles d'évoluer ? Doit-on s'attendre à une extension de la période de transition ? Les différends entre les États membres durant la pandémie ont renforcé les discours souverainistes du gouvernement britannique : le négociateur britannique ne risque-t-il pas de durcir ses positions ? Le Royaume-Uni poursuivra-t-il sa coopération avec l'Union européenne en matière de lutte contre le terrorisme ? Participera-t-il toujours au système européen d'information sur les casiers judiciaires (ECRIS) ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

David Frost, chargé de négocier le Brexit économique, est hostile à la participation de son pays à l'Union européenne. Je subis parfois des attaques dans la presse britannique. Tout cela ne m'impressionne pas : jamais je ne sacrifierai l'avenir du projet européen et du marché unique à cette négociation conjoncturelle. Les Britanniques doivent le comprendre.

Le 31 décembre, les Britanniques sortiront définitivement du marché unique et de l'union douanière. Avec la ratification, il faut donc nous mettre d'accord avant le 31 octobre. La pandémie extrêmement grave renforce notre responsabilité commune d'aboutir à un accord, mais celui-ci ne se fera pas à n'importe quel prix.

Les menaces qui nous entourent devraient conduire à une coopération en matière de lutte contre le terrorisme. Outre l'ECRIS, Europol et Eurojust sont les outils de cette coopération, à la condition que soit réglée la question des échanges de données, indispensables à la lutte antiterroriste.

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Selon Boris Johnson, les relations entre l'Union européenne et l'Australie, régies par les règles de l'OMC et des accords spécifiques pour certains produits, constitueraient une bonne option. Quelle forme pourrait prendre un accord à l'australienne entre le Royaume-Uni et l'Union européenne ? Un tel accord pourrait-il constituer une alternative pour le secteur de la pêche ? Le Brexit entraînera-t-il une réforme de la politique commune de la pêche (PCP) concernant les zones de pêche partagées et les taux autorisés de capture (TAC) ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

Nous n'avons pas d'accord avec l'Australie ; Boris Johnson fait référence à l'OMC. Si la négociation n'aboutit pas, le 31 décembre, le Royaume-Uni retombera dans le cadre strict de l'OMC. Cela signifie non seulement des contrôles, mais aussi des taxes et des contingentements pour tous les produits agricoles et industriels. Le Royaume-Uni connaîtrait alors de fortes perturbations sur la moitié de ses exportations.

Par ailleurs, mon mandat est très clair : il n'y aura pas d'accord avec Royaume-Uni sur le commerce sans accord sur la pêche. Nous ne progressons pas dans les négociations car les Britanniques voudraient la souveraineté sur les poissons qui sont dans leurs eaux. Cela n'est pas possible : selon les règles internationales, les poissons n'appartiennent pas aux pays et les stocks sont gérés au regard des contraintes environnementales et scientifiques. L'objet de la négociation est d'obtenir un accord durable et stable sur le partage des eaux et des quotas. Je rappelle que les Britanniques exportent 60 % de leurs produits transformés de la pêche vers le marché unique.

Les positions sont actuellement totalement contradictoires : nous parlons de statu quo ; ils parlent de tout changer. Pour avancer, il nous faut quitter ces deux positions maximalistes. Les Britanniques s'attachent au rattachement zonal, dont nous ne voulons pas, mais il y a aussi les droits historiques, l'intérêt économique des communautés de pêcheurs, les règlements des Nations unies, la gestion de la ressource naturelle. Pour chacune des cent espèces en cause, nous voudrions travailler sur une combinaison de paramètres, pour que les Britanniques obtiennent plus que ce qu'ils ont aujourd'hui sans sacrifier l'activité des pêcheurs européens. Nous n'avons pas beaucoup avancé pour l'instant, et je ne suis guère optimiste.

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Cela aura-t-il une incidence sur la PCP et les fameux TAC ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

La politique commune de la pêche doit rester ce qu'elle est. Un pays tiers récupère la souveraineté sur ses eaux et sans doute des droits supplémentaires sur les poissons, mais je ne peux pas dire quelles seront les conséquences collatérales sur les TAC.

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Vous avez dit qu'il n'y aurait pas d'accord de commerce sans accord sur la pêche. Est-ce à dire que vous sacrifieriez l'accord ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

Sans accord sur la pêche, il n'y aura pas d'accord de commerce.

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La mise en cause extrêmement grave du multilatéralisme rend nécessaires des progrès en matière de politique européenne de défense commune. Êtes-vous confiant quant au maintien et au développement des accords bilatéraux entre la France et la Grande-Bretagne ? Comment voyez-vous la négociation qui devrait s'ouvrir au début de l'année prochaine entre l'Union européenne et les Britanniques sur la politique de défense commune ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

Je ne vois aucune raison pour que les coopérations bilatérales soient affaiblies par le Brexit. Je vois même des possibilités pour les Britanniques de les accentuer, leur évitant ainsi de négocier avec l'Europe, même si, à mon sens, leur intérêt serait de négocier. La coopération aux Nations unies, la coopération en matière de renseignement, de cybersécurité, d'opérations extérieures de l'Union européenne sont autant de sujets pour lesquels nous avons besoin d'un cadre entre le Haut Représentant pour la politique étrangère de l'Union européenne, la Commission et le Royaume-Uni.

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Des accords commerciaux sont en discussion avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie : intégreront-ils des quotas pour les viandes bovines et ovines, qui entrent actuellement dans l'Union européenne via le Royaume-Uni ?

Par ailleurs, il existe entre l'Irlande, la France et la Grande-Bretagne de nombreux échanges d'équidés. Une règle tripartite avait été adoptée dans le règlement de 2016, à laquelle le Brexit mettra fin. Que se passera-t-il désormais ?

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

Nous savons que de l'agneau néozélandais entre dans l'Union européenne mais, pour l'instant, il fait l'objet de contingents et de taxes. Nous verrons comment préserver, dans les accords à venir, les filières bovine et ovine. Il n'est pas question que les produits arrivent librement au Royaume-Uni et rentrent sans limitation chez nous. Nous étudions de près les conséquences collatérales des accords que les Anglais sont en train de négocier avec la Nouvelle-Zélande, l'Australie et les États-Unis, non seulement en termes de quantité, mais aussi de qualité. Concernant les équidés, nous devrons trouver les moyens d'assurer les contrôles nécessaires pour préserver la sécurité et limiter les risques de maladies animales.

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Merci, Michel Barnier, du temps que vous nous avez accordé, alors que les négociations continuent et ne sont pas simples. J'ai compris que vous n'étiez pas fortement optimiste, même si vous êtes un homme engagé et de conviction. La France devra se préparer à une éventuelle sortie sans accord car, si l'accord n'est pas conclu, les Français seront en première ligne le jour où le Royaume-Uni deviendra un pays tiers.

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Michel Barnier, chef de la négociation avec le Royaume-Uni pour la relation future

Je resterai disponible pour le dialogue avec le Parlement national. Il est important que le Brexit ne soit pas, comme cela a pu se produire dans le passé, une négociation secrète. J'attache un grand prix à la transparence, qui est la clé de l'union des vingt-sept. Jean Monnet disait qu'il n'était ni optimiste, ni pessimiste, mais déterminé : tel est mon état d'esprit.

La séance est levée à 16 heures 15.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Hervé Berville, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Frédérique Dumas, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. M'jid El Guerrab, Mme Anne Genetet, M. Michel Herbillon, M. Alexandre Holroyd, M. Bruno Joncour, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Bérengère Poletti, M. Didier Quentin, Mme Marielle de Sarnez, Mme Sira Sylla, M. Buon Tan, Mme Liliana Tanguy, Mme Valérie Thomas

Excusés. - Mme Marion Lenne, M. Jean-Luc Reitzer

Assistait également à la réunion. - M. Bruno Fuchs