Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Jeudi 7 octobre 2021
La séance est ouverte à dix heures quarante-cinq.
(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)
Nous avons souhaité organiser une table ronde sur les questions pénitentiaires réunissant des élus municipaux, souvent oubliés dans les commissions parlementaires, en particulier sur la question pénitentiaire. M. Olivier Corzani et moi-même avons créé une association, Territoires et prisons, qui donne justement la parole aux élus locaux à ce sujet.
Je vous rappelle que cette commission d'enquête a été créée à la demande de mon groupe, Les Républicains, en vue d'identifier les dysfonctionnements et les carences de la politique pénitentiaire française. Nous nous sommes fixé un vaste cadre d'investigation qui vous a été communiqué. Nous avons déjà évoqué la surpopulation carcérale, entre autres, et aujourd'hui nous allons aborder vos expériences d'élus locaux. Nous avons auditionné en particulier le directeur de l'administration pénitentiaire, le directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire, ainsi que les structures publiques françaises et européennes de contrôle et d'inspection des prisons, de nombreux représentants syndicaux et divers corps de direction de surveillance, d'insertion et de probation. Nous avons également auditionné la directrice générale de l'Agence publique pour l'immobilier et la justice et les fonctionnaires de la sous-direction du pilotage du soutien des services de la direction de l'administration pénitentiaire.
Tout comme vous, nous sommes habitués à visiter les prisons. Nous nous sommes déjà rendus à Draguignan, aux Baumettes, ou encore à la Santé. J'ai moi-même été maire de Bois-d'Arcy, où se trouve une maison d'arrêt qui constitue un centre très important en région parisienne. Par ailleurs, Mme la rapporteure préside depuis le début de cette législature le groupe d'études prisons et conditions carcérales de l'Assemblée nationale.
Nous avons tenu à vous auditionner en qualité d'acteurs de terrain afin que vous nous apportiez vos points de vue sur les questions relatives aux relations entre les communes et les établissements pénitentiaires.
Cette commission d'enquête a pour objet de comprendre l'impact de la surpopulation sur la réponse pénale apportée à la délinquance. Elle s'intéresse également au traitement de la radicalisation et à la question de l'offre de réinsertion proposée aux détenus. Le groupe Les Républicains souhaite aussi que l'on fasse un point sur les quartiers pour mineurs.
Lorsqu'on demande aux élus locaux de nous décrire leur expérience d'implantation d'une maison d'arrêt située dans leur commune, deux aspects nous intéressent particulièrement. Tout d'abord, quelles raisons ont motivé l'acceptation du projet, en dépit d'une opinion publique en général assez peu favorable face à de telles questions ? Ensuite, une fois la prison mise en service, quelles relations entretenez-vous avec elle ? Comment ouvrir cette prison vers l'extérieur ? Comment faire pour qu'elle soit comprise et ne soit pas l'objet des fantasmes des administrés ?
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Olivier Corzani, Mme Ramona Gonzalez-Grail, M. Jérôme Viaud, M. Bertrand Barre et Mme Christine Prémoselli prêtent successivement serment.)
Je souhaite d'abord remercier la commission d'enquête pour son travail, qui vise à prendre en compte la dimension territoriale et locale d'un ministère d'État, ce qui n'est pas chose habituelle. L'exercice entamé aujourd'hui est à la fois inédit et audacieux. Je suis convaincu qu'il sera mutuellement profitable et que de nombreux ministères devraient s'inspirer de ce travail. Je vais m'efforcer de tenir un discours constructif mais de vérité.
Installer une prison n'est jamais anodin, au regard des caractéristiques particulières que cela implique, mais également de l'imaginaire collectif, traversé par une longue histoire autour de cette thématique. Fleury-Mérogis, à ce titre, en présentes toutes les caractéristiques, mais de façon exagérée. Il s'agit de la plus grande maison d'arrêt d'Europe, qui deviendra bientôt un centre pénitentiaire. Elle abrite actuellement plus de 3 600 détenus répartis dans un centre de jeunes détenus, une maison d'arrêt des hommes et une maison d'arrêt des femmes. Ces détenus sont encadrés par près 2 600 agents, dont plus de 900 habitent la commune. Une grande partie de ces agents sont issus de l'outre-mer. Beaucoup vivent Fleury-Mérogis comme un passage vers une mutation leur permettant de repartir outre-mer.
Cette situation entraîne chaque année une rotation démographique importante. Entre juin à septembre, nous comptons environ une centaine de familles qui quittent la ville pour autant d'arrivées dans la période. Ces salariés arrivent généralement jeunes et seuls, et repartent souvent en couple avec des enfants, ce qui implique pour la ville un renouvellement constant des publics de jeunes enfants et de scolaires, et donc une demande dédiée aux enfants de 0 à 12 ans sans cesse renouvelée. Le vieillissement de la population observable dans les autres communes n'existe pas chez nous. L'ensemble de l'espace foncier qui couvre les logements hébergeant les agents, le complexe maison d'arrêt ainsi que le gymnase, le terrain de football, le pôle de retrait et d'extraction judiciaire, l'ancien couvent, etc., sont la propriété du ministère de la justice, ce qui représente quasiment les trois quarts du territoire administratif de la commune. Du fait de leurs horaires décalés, les agents sont naturellement très demandeurs de services publics ouverts sur des plages horaires très larges. Pour vous donner une idée de ce que ça implique, nous disposons d'une crèche dont les horaires s'étalent de six heures trente à dix-neuf heures trente. Dans cette crèche, dix places sont réservées aux agents du ministère de la justice, avec un appui financier de sa part. Nous réfléchissons également à une seconde structure au champ horaire élargi. Le centre de loisirs est ouvert de sept heures quinze à dix-neuf heures trente, et c'est encore insuffisant au regard des demandes des personnels.
Pour compenser ces impacts, la population carcérale est comptabilisée dans la population communale, ce qui a pour effet d'augmenter la DGF – dotation globale de fonctionnement – attribuée à la commune. Le supplément a été évalué, approximativement en fonction des années, autour de 350 millions d'euros, ce qui ne permet pas d'assouvir l'ensemble des besoins exprimés. Mais nous avons su instaurer au fil du temps de nombreux partenariats, par exemple à travers la création d'une micro-crèche dans la maison d'arrêt des femmes, à destination des femmes détenues, à travers la solidarité que nous nous sommes témoignés mutuellement dans la gestion de la pandémie, l'échange culturel que nous entamons avec la maison d'arrêt, ou encore la mise à disposition de l'offre de soins municipale.
Je suis maire de La Talaudière depuis 2017 et élue municipale depuis 2001. Depuis très longtemps, la commune est connue pour sa prison, c'est-à-dire que l'on associe systématiquement la ville à son établissement pénitentiaire, et ce de façon négative. Au fil des années, cela a évolué et, désormais, La Talaudière est reconnue dans d'autres domaines.
Notre prison a été mise en service en 1968 sur un terrain de 6 à 7 hectares à peine, et, peu de temps après, un lotissement s'est construit à proximité. Lorsque la maison d'arrêt a été construite, on dénombrait quelques habitations ainsi qu'une ancienne ferme, mais pas à proximité immédiate.
La maison d'arrêt de La Talaudière possède un quartier pour les hommes qui comprend 209 cellules avec une capacité de 269 places. Au 1er janvier 2021, on y recensait 357 détenus, ce qui équivaut à une densité de 132 %. Nous avons un quartier femmes qui comprend douze cellules et dix-huit places, actuellement occupées par dix-huit détenues. Nous disposons encore d'un quartier de semi-liberté construit aux alentours de 2010, tout à fait à proximité de la maison d'arrêt, composé de vingt-six cellules correspondant à vingt-neuf places. Une construction supplémentaire datant de 1990 a complètement modifié la structure initiale du bâtiment, venant se placer perpendiculairement à celui-ci, créant une cour qui constitue une vraie caisse de résonance et donc un désagrément sonore important. Les détenus ont une vue directe sur l'ancienne ferme, ce qui crée des désordres également. Dernièrement, une sorte de paravent a été construit. Il mesure 50 mètres de long sur 8 mètres de haut et comporte une fresque, projet établi en concertation avec la direction régionale et la commune de La Talaudière. Il a réuni la participation des jeunes de la commune et des détenus.
En 2017, le garde des sceaux, M. Jean-Jacques Urvoas, était venu pour annoncer la construction d'une nouvelle prison dans la Loire, qui devait être implantée dans la commune de Saint-Bonnet-les-Oules. Bien évidemment, comme souvent, les administrés se sont fortement mobilisés pour s'opposer à cette construction qui, à mon avis, se situait sur un terrain ne posant aucune difficulté. Huit études avaient été conduites et le terrain retenu était aussi le plus favorable. La construction d'une nouvelle prison devait permettre à celle de La Talaudière de fermer. Le projet a donc été abandonné et, à la place, il a été décidé que des travaux seraient effectués dans la maison d'arrêt de La Talaudière.
Ces travaux consistent dans une protection des abords de la prison avec système de vidéosurveillance, puisque notre souci principal est vraiment la proximité avec les habitations. Nous subissons des intrusions permanentes de personnes qui viennent jeter des objets, de même que des projections multiples vers la prison. Donc, nous recueillons les plaintes régulières des habitants qui ne supportent pas ces nuisances importantes. Les forces de l'ordre doivent intervenir pratiquement une à deux fois par jour. Hier encore, une personne qui était au parloir est ressortie avec du cannabis. Le trafic est permanent aux abords de la prison et malheureusement à l'intérieur également. Nous avons donc beaucoup regretté que la nouvelle construction ne se fasse pas, d'autant plus que notre structure est vraiment vieillissante. Les cellules sont dans un état lamentable. Le projet consiste donc à installer des douches dans chaque cellule. Finalement, ce n'est pas réellement la maison d'arrêt en elle-même qui apporte le plus de nuisances, mais la proximité immédiate des habitations.
Grasse n'est pas connue pour sa maison d'arrêt mais plutôt pour ses parfums. Notre établissement a été construit en 1992. Il héberge 708 détenus pour une capacité de 600 détenus, soit un taux d'occupation de 117 %. Sa superficie est de 60 000 mètres carrés et il embauche 200 personnels à demeure. Grasse est une sous-préfecture des Alpes-Maritimes dotée d'un pôle judiciaire, d'un tribunal de grande instance important, d'un tribunal de commerce et d'un tribunal des prud'hommes.
Nous travaillons depuis janvier 2021 sur les TIG – les travaux d'intérêt général. Sept TIG ont été réalisés sur la commune et dix sont en cours d'affectation. Ce système fonctionne plutôt bien.
La présence de la maison d'arrêt sur la commune a pour effet de nous soustraire des effectifs en termes de police nationale et municipale, par exemple à chaque fois que des personnes s'approchent de la maison d'arrêt. En revanche, nous ne recensons pas beaucoup de dégâts.
Dans les Alpes-Maritimes, s'est posée la question de la construction d'une nouvelle maison d'arrêt. Nous avions proposé, en accord avec Christian Estrosi, maire de Nice, Éric Ciotti, Michèle Tabarot et moi-même, une solution départementale au garde des sceaux, qui consistait à doubler la maison d'arrêt de Grasse. J'y étais favorable, en échange d'un certain nombre de contreparties, notamment la révision de la DGF, et nous disposions des emprises foncières appropriées. Cette solution, qui paraissait être la bonne, n'a pourtant pas été retenue.
La commune de Béthune est administrée par M. Olivier Gacquerre, maire de la commune. Béthune se situe dans le département du Pas-de-Calais. C'est une ville moyenne d'environ 25 000 habitants, centre d'une communauté d'agglomération de 100 communes, regroupant à peu près 280 000 habitants.
Nous disposons d'une maison d'arrêt édifiée en 1895, située dans le centre-ville, aux abords immédiats d'un quartier résidentiel, de la sous-préfecture, d'un tribunal judiciaire, d'une gendarmerie, de commerces et d'une école primaire, laquelle jouxte directement les murs de la maison d'arrêt, ce qui pose certains problèmes. Cet établissement présente la particularité de posséder un tunnel qui avait été créé en 1924, permettant le transfert des détenus vers la gendarmerie puis, à partir de 1937, directement vers le tribunal de grande instance pour les présentations. La capacité d'accueil de la maison d'arrêt était alors de 215 places. Aujourd'hui, l'effectif est de 470 dont 127 prévenus, 343 condamnés, et ne tient pas compte des personnes qui ont été libérées lors de la première phase de la crise du covid. Cela correspond à un taux d'occupation d'environ 120 %. La durée moyenne de détention est de 145 jours et le personnel pénitentiaire se compose de 99 personnes.
La présence d'un établissement pénitentiaire dans une ville peut poser un questionnement sur les aspects sécuritaire, social et économique. Un changement récent dans le comportement des détenus, l'augmentation des nuisances sonores ainsi que les jets de colis de toute nature provenant de l'extérieur posent problème et sont à l'origine d'une inquiétude grandissante de nos administrés. Un autre aspect négatif à retenir serait la dévaluation de l'immobilier.
Historiquement, les établissements pénitentiaires, notamment durant le XIXe siècle, étaient en majorité édifiés dans les centres-villes. La prison symbolisait à la fois la pénitence et le rachat du coupable, et on parlait à l'époque d'orthopédie sociale. La prison et le tribunal sont deux symboles forts de la République, exposés afin que nul n'ignore que la faute se paie. Plus que jamais, nos institutions républicaines, notamment celles qui nous protègent, doivent à mon sens être visibles de tous.
Sur le plan social et économique, la présence d'un établissement pénitentiaire confère certains avantages. En ce qui concerne Béthune, la maison d'arrêt comme le tribunal judiciaire, la gendarmerie et d'autres services font partie intégrante de l'activité économique. Le travail des employés, l'usage des transports en commun, la scolarisation et les emplois dérivés bénéficient à la ville. L'implantation d'une prison induit de fait une ressource supplémentaire qui n'est pas négligeable. N'oublions pas que le contingent carcéral est intégré dans le comptage de la population et n'oublions pas enfin que le fait de détenir un établissement pénitentiaire accroît par nécessité la présence de professionnels de sécurité et de justice.
Si certains élus sont réticents à l'affectation de foncier pour la construction d'un établissement pénitentiaire, il faut vraisemblablement mener une réflexion sur l'évaluation de l'équilibre entre les bénéfices et les risques encourus. Trop souvent sans doute, l'effet négatif porte sur le risque sécuritaire. Au-delà de ces considérations, il vaudrait peut-être mieux valoriser et rendre compréhensibles les intérêts auprès des élus et des administrés. Il revient donc à l'État d'optimiser les intérêts d'un tel investissement.
Concernant la maison d'arrêt, je l'ai visitée à deux reprises. Nous entretenons de très bonnes relations avec le directeur de l'établissement, ce dernier tendant à valoriser tous les aspects de la gestion de la maison d'arrêt.
Nous avions une maison d'arrêt centre de détention pour hommes à Draguignan, au lieu-dit Pont de Lorgues, qui avait été ouverte en 1984 et disposait d'une capacité théorique déclarée de 367 places. Lors des inondations du 15 juin 2010, l'eau a envahi les lieux jusqu'à 1,5 mètre de hauteur. La maison d'arrêt a donc été évacuée et déclarée fermée le 16 juin 2010. Les prisonniers ont été dispersés sur d'autres lieux d'incarcération, notamment à La Farlède et Grasse, ce qui a certainement aggravé la situation de surpopulation carcérale de ces établissements. La reconstruction a été impossible compte tenu du classement en zone rouge au plan de prévention des risques inondation. La maison d'arrêt a donc été démolie en 2018. En remplacement de cet établissement, une nouvelle maison d'arrêt centre de détention, toujours dédiée uniquement aux hommes, a été ouverte en 2018 à Draguignan, au lieu-dit Les Nouradons, très proche de Lorgues et des Arcs-sur-Argens.
Cette maison d'arrêt est remarquable en plusieurs points. On peut tout d'abord admirer son architecture, qui va au-delà du respect des contraintes pénitentiaires et qui fait la part belle aux apports de lumière naturelle et aux perspectives visuelles faisant écho au site boisé sur lequel se situe l'établissement. Cela offre un cadre de qualité autant pour les détenus que pour les personnels pénitentiaires. Cet établissement est également remarquable pour son équipe de direction et ses personnels surveillants, qui font preuve de beaucoup d'humanité et d'empathie mais également de beaucoup de rigueur. La nouvelle maison d'arrêt centre de détention de Draguignan dispose d'une capacité théorique déclarée de 504 places et ? dès son ouverture, en 2018, la totalité des places ont été occupées. L'établissement a accueilli 240 détenus supplémentaires entre janvier et juin 2018 afin de désencombrer les Baumettes ainsi que la prison de Nice, début 2020, qui subissait une surpopulation avérée. Ce matin, à la maison d'arrêt du centre de détention de Draguignan, on dénombrait 620 détenus et, au 31 décembre 2020, on recensait 232 personnels de surveillance et 29 administratifs, soit 261 personnes au total. Au niveau des logements et des écoles, ces personnes se répartissent entre les vingt-trois communes de notre intercommunalité et certains personnels ont conservé leur résidence à La Farlède et à Grasse après le transfert temporaire des détenus.
Comme l'a dit Mme la rapporteure, la population est sujette aux fantasmes sur la prison, mais il existe aussi des réalités qui ont été rappelées par Mme Ramona Gonzalez-Grail sur les nuisances, notamment sonores. C'est pour cette raison que l'implantation d'un établissement pénitentiaire est préférable en zone périphérique. Initialement, la maison d'arrêt de Draguignan historique se situait en plein centre-ville et déjà, à l'époque, les riverains se plaignaient du bruit. En effet, lorsqu'on visite une prison, cela occasionne beaucoup de manifestations sonores, car nous sommes des visiteurs et nous sommes accueillis comme il se doit. Le choix de la périphérie est également préférable en raison de la problématique du stationnement.
Quelles relations entretenez-vous avec l'administration pénitentiaire locale ainsi qu'avec l'administration centrale ?
Que faudrait-il selon vous pour actionner de nouveaux leviers ? La fiscalité, les subventions, pourraient-elles inciter davantage les communes à accueillir ou à étendre des établissements pénitentiaires ?
Pour répondre à la première question, les relations avec la direction de l'établissement sont très bonnes et nous échangeons ensemble régulièrement. Les relations avec l'administration centrale sont plutôt en construction. J'ai été élu maire en 2019, ce qui est relativement récent. J'ai réussi à identifier des interlocuteurs qui répondent, mais j'avoue que, pour y parvenir, le parcours s'est avéré compliqué.
Concernant la seconde question, j'entends ce qu'a évoqué mon confrère de Béthune. Pour moi aujourd'hui, la DGF est clairement insuffisante, voire insignifiante. Les implications financières sont des éléments importants à prendre en compte, et nous pouvons essayer de travailler ensemble sur ces sujets, en établissant des critères objectifs, qui ne seraient l'objet d'aucune discussion pour personne. Je pense que l'on peut établir des pistes grâce aux questions d'accessibilité. Un territoire doit pouvoir considérer cette contrainte comme un avantage puisque l'activité de transport serait accrue.
L'aspect sécuritaire doit également être intégré à la réflexion. Jusqu'à très récemment, dans notre commune de Fleury-Mérogis, les effectifs dédiés à la maison d'arrêt étaient comptabilisés dans les effectifs ville de la police. Ce problème tend à se régler. Nous pourrions aussi envisager la piste d'un CSU – centre de supervision urbain – mutualisé. Je suis pour ma part disposé à travailler sur un large éventail de possibilités, mais la question financière doit en faire partie.
En ce qui nous concerne, les relations sont très bonnes avec l'administration locale comme centrale. Au niveau local, nous organisons des réunions hebdomadaires.
Quand j'ai proposé au garde des sceaux le projet de doublement de la maison d'arrêt à Grasse, j'avais évoqué un certain nombre de contreparties. La première était de revoir le calcul de notre DGF, car cela reste très insuffisant. La seconde était le renforcement des effectifs de police nationale, alors que le commissariat central de Grasse se trouvait dans une situation de sous-effectif, sachant que les transferts au petit dépôt, au tribunal de grande instance ou vers la maison d'arrêt consommaient des effectifs supplémentaires. La troisième était l'augmentation des effectifs dans l'administration pénitentiaire. La quatrième, enfin, c'était de pouvoir favoriser l'hébergement de tous les personnels nécessaires en centre-ville, afin qu'ils soient logés dans de bonnes conditions.
Il est en effet important de pouvoir loger les personnels pénitentiaires et de justice. C'est ce que j'avais fait moi-même dans ma commune, où j'avais créé une résidence conventionnée avec le ministère de la Justice, ce qui peut aussi constituer une piste de réflexion.
Nos relations avec l'administration de la maison d'arrêt locale sont excellentes. Nous nous rencontrons et, aussitôt que des demandes émanent de la part du directeur, nous répondons. En revanche, je n'ai pour ainsi dire aucune relation avec l'administration centrale.
Pour rendre acceptable l'installation d'une maison d'arrêt sur une commune, l'aspect financier entre effectivement en jeu, mais je dirais qu'il s'agit d'une considération qui revient au maire, la population n'étant pas réceptive à ce type d'argument. La difficulté consiste donc plutôt à faire accepter cette décision par la population. Concernant les transports en commun, j'ai déjà entendu des personnes se plaindre du fait que leurs enfants allaient devoir prendre le bus avec les familles des détenus. Il est toujours très compliqué de rétablir la vérité. Donc, il me semble que ce sont surtout la communication et l'information qui sont nécessaires.
J'aimerais que nous approfondissions la question de la DGF.
Par ailleurs, avez-vous l'impression que la taille de la prison présente sur votre commune, que le nombre de détenus changent la donne en termes de nuisances ?
Avez-vous mis en place des bonnes pratiques ? Je veux parler de l'idée que la population accepte d'avoir une prison à proximité de chez elle. Qu'aimeriez-vous faire pour qu'un lien se tisse entre la population et la prison et que cette population en comprenne l'utilité, puisque la prison est là pour la protéger ?
À Grasse, nous n'avons pas les mêmes préoccupations parce que la prison ne se situe pas en centre-ville mais un peu à l'écart, au nord de la ville. Nous n'avons pas de problèmes de nuisances sonores ni même, de manière générale, de nuisances autour de la prison, parce qu'il n'y a pas d'habitants autour. Les personnes qui achètent une maison à Saint-Vallier-de-Thiey ou à Grasse, à mon avis, ne se posent pas cette question. Nous n'avons pas particulièrement établi de guide de bonnes pratiques dans la mesure où l'on ne constate pas de dévalorisation de l'immobilier. Certaines personnes prétendent que le fait de doubler la maison d'arrêt entraînera plus de délinquance, plus insécurité et utilisent cet argument comme un levier politique pour tenter d'exister.
En fait, la présence de la prison n'a pas de réelles conséquences, si ce n'est que cela n'apporte rien en termes de dynamisme économique sur le territoire. Comme il s'agit d'une maison d'arrêt, les peines sont courtes et n'entraînent pas de développement de commerces ni d'activités économiques autour.
La DGF prend en compte le nombre de détenus et, qu'il y en ait 400, 600 ou 700, fondamentalement, pour une commune, cela ne change pas grand-chose. Mais la DGF ne prend pas en compte l'espace foncier utilisé par le ministère, espace qui n'est donc pas à la disposition de la commune. Elle ne prend pas en compte la présence des agents sur le territoire, qui sont demandeurs de services publics élargis. La question financière me paraît donc incontournable.
Il est effectivement nécessaire de communiquer auprès des populations, de créer du lien et des interactions. Cela pourrait prendre des formes diverses et variées. Quand le maire peut valoriser le fait d'accueillir un établissement pénitentiaire, c'est déjà un relais de plus pour l'administration centrale. Si le maire se joint à la population pour s'y opposer, cela complexifie les choses. J'évoquais la nécessité d'effectifs de sécurité supplémentaire. Cela pourrait constituer un argument pour rassurer la population, et il existe certainement d'autres dispositifs qui lui parleraient également, que nous devons trouver ensemble. Je pense qu'il faut être en mesure de proposer des mesures concrètes, par exemple sur le nombre exact de policiers et de gendarmes supplémentaires.
Je rejoins tout à fait ce qui a été dit par Jérôme Viaud et par Olivier Corzani. La DGF peut être un élément de poids, surtout quand on parle d'agrandissement ou de construction d'une nouvelle prison.
Je pense qu'il faut aussi associer la population à ces discussions. Nous avons pour notre part mis en place les conseils de quartiers, et lorsque nous devons prendre une décision de ce type, nous mettons le dossier sur la table avec nos concitoyens et nous leur expliquons les objectifs. De leur côté, ils nous font part de leurs réserves et craintes éventuelles.
Nous avons la chance d'avoir des transports suffisants puisqu'ils font partie de l'intercommunalité, avec une ligne quasiment dédiée à la maison d'arrêt. Il est donc très rare que d'autres personnes se trouvent en présence des familles qui viennent en visite au centre pénitentiaire de Draguignan.
La prison de Béthune est une infrastructure implantée depuis très longtemps, qui génère donc une activité économique incluse dans la gestion de la commune. Il existe un véritable enjeu à travers ce que peuvent apporter à la fois les employés et les acteurs de services autour de cette structure.
Effectivement, l'accroissement des effectifs de police nationale serait le bienvenu. Ce n'est pas le cas pour l'heure, même si nous avons effectué des démarches pour.
Les relations que nous entretenons avec la prison sont très bonnes et je pense que, même si nous ne nous voyons pas régulièrement, nous sommes de part et d'autre à l'affût de toute problématique qui pourrait surgir tant dans l'établissement qu'à l'extérieur. Récemment, un collectif de riverains s'est inquiété du problème posé par le comportement des détenus.
Il m'a toujours semblé que les personnels pénitentiaires représentaient un atout pour une commune. Monsieur Corzani, concernant Fleury-Mérogis, la rotation de la population est-elle davantage un problème que l'effectif lui-même ?
La rotation fait partie d'une réalité qui n'est pas simple à gérer, c'est vrai. Le cas particulier de Fleury-Mérogis tient à ce que beaucoup d'agents vivent dans la ville, mais dans une résidence à proximité immédiate de l'espace pénitentiaire, c'est-à-dire un peu en vase clos. L'implication dans la vie de la commune est donc très relative au regard du nombre de personnes qui y habitent. Les agents consomment très peu sur la ville. En revanche, on note d'importants besoins de garde d'enfants, des demandes de plages horaires extrêmement larges en centres de loisirs et pour les services périscolaires, en crèche, etc. Nous nous trouvons donc continuellement au cœur de problématiques d'offres de services insuffisantes.
Chez nous, le 14 juillet se passe en fait le 13 juillet, car nous sommes une ville de garnison et le défilé est assuré à Paris. Notre propre défilé est donc un peu restreint. Non, les forces pénitentiaires ne défilent pas le 13 juillet, mais nous allons bien les saluer le 31 décembre, ainsi que la police nationale, la police municipale, l'hôpital, etc. C'est notre rôle et nous l'assumons avec beaucoup de plaisir.
J'ai déposé une proposition de loi à l'Assemblée nationale pour favoriser l'accès au logement social des personnels pénitentiaires sur le quota préfectoral. Comme ce sont des agents de l'État, ce n'est pas sur le quota communal que l'effort doit être fait, mais plutôt sur le quota préfectoral. Cette proposition a été faite dans le but de d'aligner les statuts du personnel pénitentiaire sur celui des autres administrations comme la police ou la gendarmerie et de favoriser le logement social au personnel pénitentiaire même si la rotation est importante.
Pratiquez-vous les TIG dans vos communes ? Comment cela se passe-t-il ?
Nous le pratiquons ; nous avons d'ailleurs des contacts réguliers avec le tribunal, qui nous incite à le faire, et nous avons de très bons rapports avec les magistrats qui s'en occupent. La crise du covid a quelque peu compliqué la gestion des TIG, donc dernièrement nous n'en avions que cinq en cours. Ils concernent des personnes qui travaillent dans des services à la portée de leurs compétences, à savoir trois personnes au service voirie et signalisation, une personne au service personnel des écoles et une personne au cimetière. Je voudrais signaler quelques difficultés dans l'accompagnement de ces TIG. Nos personnels sont des agents municipaux et n'ont pas été formés pour les accueillir. Donc, parfois ils semblent surpris par la réaction des personnes et ils ne savent pas trop comment s'y prendre. Par conséquent, nous constatons une baisse des demandes de recours aux TIG.
Ne serait-ce pas le rôle du tuteur du TIG que de former les collègues destinés à accueillir ce dernier ?
C'est effectivement une bonne question mais, pour le moment, je n'ai pas connaissance de formation dans ce sens. N'oubliez pas non plus que les agents accueillants et tuteurs sont de catégorie C.
Je souhaiterais rendre hommage à tous les maires qui accueillent un centre pénitentiaire ou une maison d'arrêt dans leur commune. Ce n'est pas simple, vous l'avez expliqué les uns des autres, lorsqu'il faut composer avec un environnement qui parfois s'inquiète ou se plaint. Il s'agit donc d'essayer de trouver un équilibre entre des publics bien entendus différents, et vous le faites parfaitement bien.
Cette table ronde nous a montré que des améliorations étaient possibles, en matière financière bien entendu, mais également en termes d'effectifs de police ou de gendarmerie. Ce qui me semble très important aussi, c'est que de nombreux maires sont favorables à l'implantation d'un établissement pénitentiaire dans leur commune. Nous notons des volontés politiques dans certains secteurs, comme la maison d'arrêt de Grasse, et des compensations qui peuvent être données à toutes ces municipalités qui font l'effort d'accueillir. Je pense que l'on dispose, dans le cadre de propositions qui peuvent être faites, de vraies pistes d'amélioration pour que la prison soit encore mieux intégrée et que pour que ce lien que vous êtes obligés de créer lors de votre arrivée à la tête de la commune, soit facilité par les aides qui peuvent être apportées par l'État.
Je voudrais également rappeler que les communes voisines peuvent aussi accueillir les TIG et pourraient venir en renfort à ce niveau.
Il est vrai que cette table ronde est importante parce qu'elle donne la parole aux élus locaux, que l'on oublie souvent dans les questions pénitentiaires, alors qu'ils se situent au cœur de cette problématique.
La réunion se termine à douze heures dix.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Françoise Ballet-Blu, M. Philippe Benassaya, M. Jacques Krabal, Mme Michèle Tabarot
Excusés. - M. Alain David, Mme Monica Michel-Brassart, M. Stéphane Trompille