Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mercredi 8 décembre 2021 à 9h40

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • intérieure
  • militaire
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La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures quarante.

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Mes chers collègues, je vous prie d'excuser notre présidente, en déplacement en République démocratique du Congo.

Nous auditionnons ce matin M. le vice-amiral d'escadre Nicolas Vaujour, sous-chef d'état-major « opérations » (SCOPS) à l'état-major des armées.

Nommé cet été chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace, le général Stéphane Mille, votre prédécesseur, Amiral, est venu devant notre commission il y a tout juste un an dans le cadre d'un cycle d'auditions sur l'opération Barkhane. Ce matin, votre audition est plutôt consacrée à l'engagement des armées sur le territoire national et au rôle des forces de présence.

Nous attendons donc de vous que vous nous dressiez un bilan des opérations Sentinelle et Résilience, qui sont sans doute les plus connues de nos concitoyens. Pourriez-vous nous rappeler les dernières évolutions du format de l'opération Sentinelle et nous donner votre sentiment quant à ses perspectives, en particulier s'agissant de son articulation avec l'action des forces de sécurité intérieure ? Pourriez-vous également exposer l'état d'engagement des armées dans l'opération Résilience et la lutte contre la propagation de l'épidémie, qui entre dans une nouvelle phase ?

L'action des armées sur le territoire national dépasse de loin ces deux opérations emblématiques : elles assurent en effet des missions permanentes, au premier rang desquelles figure la défense du territoire et des approches maritimes et aériennes, en particulier dans le cadre des postures permanentes de sauvegarde maritime et de sûreté aérienne. Pour ma part, j'ai été particulièrement marquée par un récent déplacement à Brest ; je rappelle également qu'une délégation de notre commission s'est rendue récemment sur la base aérienne de Lyon-Mont Verdun, auprès des personnels du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) qui mettent en œuvre quotidiennement ce que l'on pourrait appeler la « Sentinelle du ciel ».

Je ne listerai pas ici l'ensemble des opérations ou des missions des armées sur le territoire national. l Nombreuses et diverses, elles comprennent notamment la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane, dans le cadre de l'opération Harpie, et la contribution à la lutte contre les feux de forêt, dans le cadre de l'opération annuelle Héphaïstos.

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le vice-amiral d'escadre Nicolas Vaujour, sous-chef d'état-major « opérations » (SCOPS) à l'état-major des armées

Mes propos liminaires seront centrés sur le territoire national, même si je suis naturellement prêt à répondre à toutes vos questions, notamment sur les forces de présence.

Le chef d'état-major des armées (CEMA) m'a donné deux missions : assurer la défense de la France, de ses intérêts et de ses citoyens face à la dangerosité du monde ; contribuer à protéger les Français contre la dangerosité du quotidien, essentiellement sur le territoire national, dans l'Hexagone et outre-mer. Cette dangerosité du quotidien prend plusieurs visages : le terrorisme, la crise sanitaire, les catastrophes climatiques ou naturelles et les conséquences de la compétition interétatique qui se manifestent aujourd'hui jusque dans nos approches.

Évidemment, les Français attendent que les armées, dont l'action est souvent visible mais parfois méconnue, soient présentes pour les protéger face à l'ensemble de ces menaces. Vous nous avez certainement déjà vus patrouiller dans les gares et les marchés de Noël dans le cadre de Sentinelle, et sur le terrain lors des tempêtes.

Je n'évoquerai pas, même si elles contribuent à la défense des Français au quotidien, les unités que les armées mettent à disposition du ministère de l'intérieur, les formations de la sécurité civile, la brigade de sapeurs‑pompiers de Paris (BSPP) et le bataillon de marins‑pompiers de Marseille (BMPM). pas plus que la gendarmerie.

L'engagement des armées sur le territoire national peut être schématisé en trois niveaux : le socle permanent de protection ; les mesures de renforcement au profit ou en soutien des forces de sécurité et des administrations de l'État ; les capacités de réaction d'urgence.

Le socle peut se définir comme l'ensemble des dispositions permanentes prises dans les milieux terrestre, maritime ou aérien et dans le cyberespace pour contrer en toutes circonstances une agression même limitée contre le territoire, la population ou ses intérêts. On les appelle les postures permanentes de sûreté.

La posture permanente de sûreté aérienne consiste à surveiller notre espace aérien, à évaluer les menaces et à intervenir en cas de besoin. Elle est assurée par 1 000 personnes placées sous les ordres du commandant de la défense aérienne, au moyen d'un maillage de radars civils et militaires. Chaque jour, en temps normal, 15 000 mouvements aériens ont lieu au-dessus du territoire. En 2021, on a compté 202 décollages sur alerte impliquant 156 avions de chasse et 46 hélicoptères qui sont intervenus pour aller à la rencontre du vecteur aérien concerné, notamment en cas de perte de signal radio ou de violation de l'espace aérien. Pour en revenir à la compétition interétatique, on a dénombré quatorze raids de bombardiers russes à long rayon d'action venus dans nos approches sans violer notre espace aérien pour voir si nous étions capables de réagir – et à chaque fois, nous leur avons montré que nous l'étions.

En dehors de cette posture permanente, nous renforçons la protection de certains événements – des sommets internationaux, les cérémonies du 14 juillet – au travers de dispositifs particuliers de sûreté aérienne (DPSA) visant à créer une bulle à l'intérieur de laquelle nous voulons absolument tout maîtriser. Nous travaillons également fortement à l'amélioration de nos capacités dans le domaine de la lutte anti-drones.

La posture permanente de sauvegarde maritime assurée par la marine nationale a vocation à protéger nos approches et notre zone économique exclusive (ZEE), en métropole comme outre-mer, contre les menaces que représentent les trafics – de drogues, notamment en Méditerranée, ou d'armes –, la pêche illicite et les pollutions marines, et à préserver nos aires marines protégées (AMP). Il s'agit également de surveiller nos compétiteurs : lorsque les Russes partent du Grand Nord pour se rendre en Méditerranée, ils traversent notre ZEE et sont donc à chaque fois suivis par un bâtiment de la marine nationale. Quelques chiffres pour illustrer notre action : en 2021, 44 tonnes de stupéfiants ont été saisies dans le monde, 245 contrôles de pêche ont été effectués, 253 opérations des secours – hors migrants – ont été menées et près de 1 000 restes d'explosifs de guerre ont été neutralisés par la marine nationale. Cette posture mobilise chaque semaine près de 2 000 personnes, pour 7 000 jours de mer en 2021, tandis que 800 personnes assurent l'armement des sémaphores vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Un dispositif particulier de sûreté maritime est par ailleurs mis en place lors de chaque événement particulier nécessitant une protection particulière.

La posture de protection cyber, un peu moins connue, est en train de monter en puissance. Elle repose sur un dispositif permanent de surveillance des réseaux et des systèmes du ministère, qui utilise les capacités de détection des différentes armées. L'année 2021 a été émaillée de 12 000 événements cyber, de trente-quatre alertes ayant nécessité une intervention, de quatorze incidents et de huit opérations de défense. Au-delà de nos capacités de détection, des groupes d'intervention cyber agissent pour contrer ces attaques, qui peuvent relever de la cybercriminalité ou provenir d'États, même s'il est toujours difficile de les caractériser et de les attribuer.

La posture de protection terrestre est une posture interarmées qui regroupe toutes les mesures prises dans le milieu terrestre par les armées, directions et services dans le cadre de notre fonction stratégique de protection. Son organisation repose sur l'existant, notamment sur le maillage territorial qui permet de fournir à la nation des capacités de réaction rapide – lorsque survient une inondation, c'est souvent d'abord le régiment de la circonscription qui prête son concours aux autorités locales. En cas de crise majeure ou d'attaque militaire sur le territoire national, les armées ont évidemment pour mission de protéger la France et les Français.

Au-delà des postures permanentes, nous agissons en soutien des forces de sécurité intérieure ou des administrations en fonction des besoins exprimés : nous devenons alors une partie de la réponse.

L'opération Sentinelle, d'importance majeure pour les armées françaises, s'inscrit dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Lancée en 2015 à la suite des attentats de janvier, elle mobilise aujourd'hui près de 7 000 hommes. Trois niveaux doivent être distingués : le dispositif opérationnel permanent, déployé notamment dans les gares et sur les sites sensibles, en fonction des besoins exprimés par les préfets ; les renforts planifiés, notamment à l'occasion des marchés de Noël ; la réserve stratégique qui, déclenchée sur ordre du Président de la République, permet donner un coup d'extincteur lorsque c'est nécessaire.

Cette organisation a été revue il y a quelque temps, de façon à la rendre plus agile : elle nous semble bien répondre aujourd'hui aux besoins exprimés tant par les préfets que par les régions de façon à produire l'effort au bon endroit. Il faut être mobile et rester relativement imprévisible. Une centaine de sections, contre quatre-vingt-sept en temps normal, sont déployées en ce moment sur le territoire.

La deuxième opération majeure est l'opération Résilience, menée en appui du ministère des solidarités et de la santé. Depuis la mi-mars 2020, de nombreux moyens contribuent à l'engagement interministériel contre l'épidémie de covid. Au départ, les armées se sont concentrées sur le transport – de masques, de vaccins, de congélateurs et de patients – et sur l'aide logistique. Quelque 1 200 missions ont été réalisées depuis mars 2020, et nous avons compté jusqu'à 4 000 militaires engagés. Ensuite, le volet sanitaire a été marqué par le déploiement du module de réanimation à Mulhouse, qui a compté jusqu'à trente lits. Dans le domaine de la vaccination, les hôpitaux d'instruction des armées (HIA) et trois pôles militaires de vaccination ont été ouverts sur le territoire national. Notre dispositif a été systématiquement adapté en fonction des besoins du ministère des solidarités et de la santé, lesquels sont validés quasiment tous les quinze jours en Conseil de défense. Un plan national de vaccination a été lancé pour la troisième dose. Après avoir fait le tour des outre-mer, le module militaire de réanimation (MMR), de cinq lits, se trouve actuellement en Nouvelle-Calédonie ; il permet aux structures hospitalières locales de reprendre leur souffle et d'absorber le choc. La mobilisation du service de santé des armées (SSA) nous a obligés à faire des choix et à fermer certaines activités. Nous suivons donc la situation avec attention, la résilience des armées contribuant à la résilience de la nation.

L'opération Héphaïstos vise chaque année, de juin à septembre, à lutter contre les feux de forêt. Ont ainsi été mobilisés cette année dans les vingt-trois départements du sud de la France une cinquantaine de militaires, dont des réservistes, un détachement de trois hélicoptères et un groupe du génie.

Le troisième niveau de réaction des armées est la capacité de gérer l'urgence. Les moyens souvent lourds dont elles disposent permettent de répondre sur le terrain à des besoins inhabituels. L'ouragan Irma aux Antilles, en 2017, avait ainsi conduit à l'envoi d'un bâtiment de projection et de commandement (BPC) et de nombreux avions qui ont permis de convoyer 1 800 tonnes de fret et de transporter 8 000 personnes. Les secours d'urgence peuvent également être déployés en cas de désastres climatiques, comme ceux qui ont frappé le sud de la France ou la tempête Alex qui a, en octobre 2020, mobilisé quatorze hélicoptères, deux bâtiments de soutien et 130 personnes. Nous sommes également intervenus en octobre 2018 contre le risque de pollution marine causé par la collision des navires Ulysse et Virginia au nord de la Corse. Cela a également été le cas en juin 2021 lorsqu'une nappe pétrolière menaçait les côtes corses.

En sus de la gestion de crise par le ministère des affaires étrangères, nos armées ont la capacité d'aller chercher nos ressortissants à l'étranger et de les rapatrier en sécurité, comme nous l'avons vu en plein mois d'août dans le cadre de l'opération Apagan, où nous avons évacué d'Afghanistan un peu moins de 3 000 personnes via Abou Dhabi. Si nous disposons de cette capacité de réaction rapide dont nous n'avons pas à rougir, c'est parce que nous sommes présents un peu partout dans le monde – dans les outre-mer, au Sénégal, au Gabon, en Côte d'Ivoire, aux Émirats arabes unis, ou encore à Djibouti, où notre dispositif prépositionné nous permet d'envisager une évacuation potentielle d'Éthiopie avec plus de sérénité. Nos partenaires, notamment européens, ont bien conscience de l'atout que constituent nos pré-positionnements un peu partout dans le monde et demandent même notre soutien : un tel maillage mondial est donc absolument indispensable.

J'en viens au cadre de notre engagement. En dehors des postures permanentes, il n'est pas naturel pour les forces armées d'intervenir sur le territoire national. Elles le font sur réquisition de l'autorité civile et dans le cadre de la fameuse règle des quatre « i » : on peut engager les forces armées pour soutenir ou renforcer l'action de l'administration de l'État lorsque les moyens de celle-ci sont inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles.

À cet égard, la coordination civilo-militaire est un élément très important pour nous, afin que nous intervenions au bon endroit pour aider l'administration. Cette coordination s'effectue à plusieurs niveaux : le Conseil de défense, la cellule de coordination intérieur-défense, les relations quotidiennes entre les préfets et les délégués militaires départementaux. Le dialogue, objectivement, se passe très bien. Nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes, car nous sommes limités par les capacités dont nous disposons. Par exemple, le SSA représente 1 % des capacités du système de santé français.

Pour présenter de manière schématique la capacité des armées à réagir dans l'urgence, je dirais qu'elles jouent le rôle d'un airbag qui aide les administrations à absorber le choc de l'événement, le temps que celles-ci soient capables de se réorganiser pour y faire face dans la durée. Un airbag, c'est efficace au début, moins dans la durée.

Les armées contribuent en continu à la protection des Français contre la dangerosité du quotidien. Les Français sont, à juste titre, très attachés à cette mission, comme le sont les armées elles-mêmes. Vous pouvez compter sur notre action au quotidien et sur notre volonté de répondre à l'urgence, au service de la France et des Français.

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Au nom du groupe La République en marche, je vous remercie, amiral, pour ce remarquable tour d'horizon. Vous nous avez rappelé que nos armées sont, depuis plusieurs années, omniprésentes sur le territoire métropolitain et dans les outre-mer, mais aussi à l'étranger, pour nos ressortissants. Je tiens à saluer la contribution de nos militaires à l'opération Résilience, menée depuis mars 2020 : ils ont fait preuve d'un engagement sans faille et d'une réactivité remarquable, dont nous pouvons, collectivement, être très fiers. Nous vous devons une fière chandelle !

Au lendemain des attentats de janvier 2015, le président François Hollande a décidé d'engager massivement les armées sur le territoire national en lançant l'opération Sentinelle. La réponse de la France aux attaques des terroristes sur son sol a ainsi revêtu un caractère exceptionnel. Depuis près de sept ans, l'opération Sentinelle conduit au maintien sur le territoire national d'une présence militaire sans précédent en volume et en durée. Pourriez-vous nous présenter les grands enseignements de ces sept années ? Comment les soldats déployés dans le cadre de cette opération perçoivent-ils aujourd'hui la menace terroriste sur le terrain ?

Par ailleurs, cette hyper-sollicitation des armées met l'armée de terre, en particulier, sous forte tension, ce qui soulève des interrogations sur plusieurs points. Je pense notamment à l'essoufflement – passez-moi l'expression – qui pourrait affecter individuellement nos soldats sous l'effet d'une perception amoindrie de la menace terroriste à mesure que nous nous éloignons de 2015, même si le procès des attentats est là pour nous rappeler son actualité. Je pense également aux enjeux de la fidélisation : pour un jeune soldat, la perspective d'être principalement engagé dans des missions de patrouille sur le sol national ne risque-t-elle pas d'affecter le sentiment d'utilité au combat ? L'évolution de l'engagement de nos forces terrestres décourage-t-elle certains de renouveler leur contrat ? En somme, selon vous, le déploiement d'une telle capacité militaire sur notre territoire a-t-il vocation à être réévalué eu égard au contexte sécuritaire actuel ? De plus, ne faudrait-il pas mobiliser plus amplement la réserve opérationnelle pour ce type d'opérations de sécurité intérieure ?

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Merci, amiral, de cette présentation complète. Au nom du groupe Les Républicains, j'exprime toute ma gratitude à nos hommes et à nos femmes engagées sur le territoire national, notamment aux régiments de l'armée de terre mis sous tension par l'opération Sentinelle.

Co-rapporteur avec Patricia Mirallès d'une mission d'information sur la préparation à la haute intensité, je souhaite vous interroger sur votre vision prospective. Quel est votre regard sur le combat de haute intensité ? Celui-ci étant un combat global mené à un niveau stratégique, il aurait sans doute des effets majeurs sur le territoire national, et la règle des quatre « i » serait probablement dépassée. Comment pourrait-on faire face aux menaces sur nos opérateurs d'importance vitale (OIV) ou nos services d'importance vitale ? Quel rôle les armées pourraient-elles jouer face à des troubles intérieurs qui relèvent d'abord des forces de sécurité intérieure mais qui pourraient, à un moment donné, demander un traitement d'une autre nature ? À cet égard, que pensez-vous de l'organisation actuelle de la défense opérationnelle du territoire ? Doit-elle être renforcée ? Dans l'hypothèse d'un conflit de haute intensité, quel rôle donner aux réserves en matière de sécurité intérieure ?

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Au nom du groupe MODEM, je tiens à vous remercier, amiral, de votre présence devant notre commission. Vous avez sous votre responsabilité deux budgets opérationnels de programme (BOP), l'un relatif à l'emploi des forces, l'autre aux opérations extérieures et intérieures. Le premier occupe une place centrale dans le dispositif de défense, car ses quatre objectifs – assurer les fonctions stratégiques de connaissance-anticipation, de prévention, de protection et d'intervention – correspondent, si l'on y ajoute la dissuasion, à la totalité des fonctions stratégiques assignées aux armées. Nous nous inscrivons dans un contexte vertueux de construction de nouvelles infrastructures. Néanmoins, d'après ma collègue Aude Bono-Vandorme, rapporteure spéciale du programme 178 Préparation et emploi des forces, certains crédits d'infrastructures semblent sous-évalués dans le projet de loi de finances pour 2022. Quel est votre avis sur les crédits alloués ?

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Merci, amiral, pour votre présentation très synthétique et très intéressante.

Vous avez employé une belle expression, « airbag », qui correspond bien aux missions que vous avez décrites. Malheureusement – peut-être l'avez-vous d'ailleurs sous-entendu –, les airbags sont montés en série et sans doute actionnés trop souvent, au détriment des capacités militaires. Vous avez évoqué le SSA. On peut aussi penser à la marine : après l'ouragan Irma, on a envoyé sur place un BPC – ce qui est normal, mais n'est probablement pas sans conséquences pour nos armées.

De plus, nous avons le sentiment que ces actions ne sont pas suffisamment valorisées auprès de nos concitoyens. Une information est vraisemblablement délivrée à ce sujet, mais il serait très intéressant de montrer davantage que l'armée ne se résume pas aux projections à l'extérieur, qu'elle assure aussi la sécurité du quotidien. Certes, ce n'est pas « l'armée nouvelle » de Jean Jaurès, mais c'est tout de même une armée très intégrée dans la population.

Par ailleurs, je présume que vous êtes obligés de prendre en compte l'évolution des nouveaux risques. Vous avez évoqué le domaine du cyber, d'ailleurs très lié au problème des fake news, mais on peut penser aussi aux menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), qui sont en train de se développer – c'est particulièrement le cas des menaces biologiques, comme j'ai pu m'en rendre compte dans le cadre de la mission que je mène sur la défense NRBC. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), dirigé par le préfet Bouillon, fournit un travail considérable sur ces questions. Quels liens entretenez-vous avec ce service ? Je relève que le rôle des armées en matière de sécurité civile est peu connu, en particulier celui des régiments – trois à ma connaissance – qui travaillent sur les risques NRBC.

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Au nom du groupe Libertés et territoires, je vous remercie pour votre travail et votre engagement dans nos territoires, en métropole et dans les outre-mer, mais aussi, vous l'avez dit, à travers le monde.

Compte tenu des nombreuses crises – sociale, sanitaire, morale – que traverse notre pays et de la menace grandissante, notamment terroriste, quel est le moral des troupes ? Malgré la règle des quatre « i », que vous avez évoquée, les armées sont de plus en plus sollicitées, ce qui a des conséquences sur les militaires.

Nous sommes témoins de la crise qui frappe la Guadeloupe. À en juger par les échanges que nous avons eus avec les autorités calédoniennes à l'approche du référendum qui se tiendra le 12 décembre, la situation en Nouvelle-Calédonie est inquiétante, voire explosive, la quantité d'armes étant en proportion plus importante dans la société calédonienne qu'aux États-Unis. Comment anticipez-vous une éventuelle crise en Nouvelle-Calédonie ?

Le Président de la République, chef des armées, s'apprête à exercer la présidence de l'Union européenne. Quelle est l'efficacité du travail que vous menez avec les services européens ?

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Membre de la mission d'information sur la préparation à la haute intensité, je souhaite, comme Jean-Louis Thiériot, vous interroger sur la défense opérationnelle du territoire (DOT). Est-ce un concept daté – il en a beaucoup été question dans les années 1970 et 1980, mais il figure encore dans le code de la défense – ou est-ce un concept opérationnel sur lequel vous vous appuyez ? Faudrait-il renforcer cette défense opérationnelle, notamment grâce aux réserves ? Quelle est la valeur de ce concept aujourd'hui ? Sauf erreur de ma part, vous n'en avez pas fait mention dans votre intervention liminaire.

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J'ai fait partie de la délégation qui s'est rendue en juillet dernier en Guyane dans le cadre de la commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal. Nous avons constaté que les frontières étaient violées au quotidien par des personnes qui viennent du Suriname ou du Brésil et s'installent sur le territoire guyanais, montant parfois des villages entiers en quelques semaines. Les forces qui luttent contre l'orpaillage illégal connaissent bien le problème, ont des missions cohérentes et travaillent dans l'unité, mais le manque de matériel est flagrant. Je pense notamment aux hélicoptères, dont le plus récent doit avoir 40 ans et se trouve plus souvent au garage que dans les airs. Il s'agit d'assurer la sécurité des biens et des personnes en Guyane, qui fait partie du territoire national. Comment voyez-vous l'avenir à cet égard ?

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Merci pour votre présentation, amiral.

La question que je vous pose est davantage celle d'un juriste que celle d'un spécialiste de la défense. Dans une note publiée en août 2020 par la Fondation pour la recherche stratégique, Mme Élise Boz-Acquin, docteure en droit, s'est interrogée sur le cadre juridique d'intervention des forces armées en milieu terrestre face au terrorisme. Après les attentats de 2015, le législateur a été amené à créer une nouvelle excuse pénale, à l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. Ces dispositions, transcrites de celles qui sont applicables en opérations extérieures (OPEX), permettent à nos forces d'ouvrir le feu immédiatement pour assurer la protection de leur vie et de celle d'autrui face à toute attaque terroriste menée sur le sol français.

Mme Boz-Acquin estime que cette irresponsabilité pénale appliquée à la sécurité intérieure face à la menace terroriste peut entraîner une nouvelle responsabilité morale individuelle pesant sur les épaules du soldat, amené à graduer l'usage de la force face à n'importe quelle situation. Cela pourrait même devenir pour le soldat une obligation morale, située hors du droit, l'autorisant à intervenir sans attendre l'ordre d'un supérieur. Autrement dit, face à la persistance du terrorisme sur notre sol, le soldat pourrait devenir trop autonome dans son appréciation de l'usage de la force ; il serait alors libre d'intervenir sans être couvert par un ordre de son chef. Pensez-vous qu'avec l'application de cette irresponsabilité pénale, il existe un risque de trop grande autonomie de nos soldats intervenant contre le terrorisme sur notre sol ?

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Je vous remercie à mon tour, amiral, pour vous présentation exhaustive et très claire. L'opération Sentinelle, que relève selon vos termes de « l'opérationnel permanent », joue un rôle tout à fait essentiel dans la chaîne de sécurité, notamment en matière de prévention. L'action de l'armée doit être complémentaire de celle de la gendarmerie et de la police nationales, ce qui suppose un effort d'organisation. Comment la coordination se fait-elle ? À quel niveau ?

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le vice-amiral d'escadre Nicolas Vaujour, sous-chef d'état-major « opérations » (SCOPS) à l'état-major des armées

Monsieur Lejeune, le niveau de la menace terroriste est évalué par le SGDSN, alimenté en renseignement par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). L'opération Sentinelle, dans le cadre de laquelle nous travaillons effectivement depuis sept ans, est un succès : à plusieurs reprises, des attaques terroristes ont été déjouées « au bon moment » par les soldats de Sentinelle, notamment à Marseille ou sur le parvis du Louvre. En outre, l'opération est bien, voire très bien acceptée par la population, ce qui n'allait pas de soi au moment où l'on a décidé de déployer ainsi l'armée sur le territoire national. On a positionné le curseur de manière intéressante : l'opération conjugue une présence visible et dissuasive de nos soldats et une efficacité réelle et directe sur le terrain.

L'opération Sentinelle provoque effectivement un peu de tensions sur les ressources humaines, notamment lorsque l'on monte au maximum de l'engagement, à savoir 10 000 personnes déployées sur le territoire, ce qui s'est produit à plusieurs occasions, notamment au tout début de l'opération et après l'attentat de Nice – on a alors renforcé les effectifs grâce à la réserve stratégique. Sous la direction du Président de la République, nous avons fort heureusement adapté notre dispositif pour le rendre beaucoup plus soutenable et résilient dans la durée. D'une part, nous sommes devenus plus agiles, comme je l'ai indiqué dans mon exposé liminaire. D'autre part, nous nous sommes organisés pour avoir des forces déployées en permanence sur le terrain mais aussi une capacité de réserve qui permet de « souffler ». Avec ce dispositif, nous sommes désormais capables de durer et d'adapter notre réponse en fonction de la menace au quotidien.

Nous recourons en permanence à la réserve opérationnelle, aussi bien dans les opérations – et pas seulement Sentinelle – que dans les états-majors, pour soulager ceux-ci lorsque l'on ponctionne leur personnel. Environ 40 000 réservistes sont employés par les armées. La réserve opérationnelle est un axe sur lequel nous travaillons : nous essayons de la renforcer et de la fidéliser, ce qui nous permet aussi de consolider le lien armées-nation. Ce faisant, nous renforçons la résilience globale de la nation, car nous pourrons utiliser demain pour autre chose les réservistes que nous utilisons aujourd'hui pour l'opération Sentinelle.

Selon moi, il n'y a pas de lien direct entre le lieu, la nature des missions et la fidélisation des troupes. Les compagnies et régiments déployés dans le cadre de l'opération Sentinelle, issus il est vrai essentiellement de l'armée de terre, ne sont pas appelés à ne faire que cela : affectés pendant une durée donnée à cette mission, ils pourront ensuite par exemple, dans leur cycle opérationnel, partir en opération extérieure. Cela a beaucoup de sens pour nos jeunes soldats de savoir qu'ils peuvent non seulement être engagés en opération partout dans le monde – au Sahel dans l'opération Barkhane, au Levant ou ailleurs –, mais aussi prendre part à la défense des Français au quotidien. L'opération Sentinelle a cela de positif qu'elle permet de forger un esprit collectif de défense du territoire et des Français. De même, c'est une bonne chose que les Français voient leur armée au quotidien, à la gare Montparnasse, en gare de Marseille ou ailleurs. Cela développe leur conscience collective qu'il y a un besoin de protection de la nation.

Vous m'avez interrogé, Monsieur Thiériot, sur ma vision prospective du combat de haute intensité compte tenu de ses effets sur le territoire national. Si la France était attaquée directement sur son territoire ou si ses intérêts vitaux étaient attaqués à l'extérieur, il y aurait effectivement des effets sur l'intérieur.

Le processus décisionnel fonctionne très bien en France. Le Conseil de défense permet de réunir autour de la table l'ensemble des forces – armées et forces de sécurité intérieure – pour coordonner la réponse.

Le renforcement de la préparation au combat de haute intensité est un axe de travail majeur du CEMA, sachant qu'un tel engagement peut avoir lieu partout ; il n'y a pas de limitation géographique. La marine a monté tout récemment dans le sud de la France un exercice de haute intensité interarmées baptisé Polaris 21. Des exercices à dominante terrestre seront organisés dans les années à venir. L'objectif est bel et bien de nous entraîner collectivement à riposter à un compétiteur qui « porterait la barre plus haut » qu'on ne l'imagine aujourd'hui, qui nous attaquerait de manière plus directe. Notre volonté est de monter en gamme dans notre capacité de réponse à ces menaces, et nous le faisons.

Outre la préparation opérationnelle des armées, il y a les mesures du socle, à savoir la défense opérationnelle du territoire – sur laquelle M. Gouttefarde et vous m'avez interrogé – et les mesures passives de défense et de sécurité, voire les mesures actives de défense et de sécurité sur le territoire national. Les OIV des armées sont identifiés et surveillés. Nous veillons tout particulièrement à ce qu'ils soient protégés et accessibles, de façon précisément à renforcer notre résilience « de base ».

Il est vrai que le concept de défense opérationnelle du territoire est ancien, mais il conserve, objectivement, toute sa pertinence. La DOT repose sur une chaîne de commandement identifiée et est activable, sur décision politique, pour renforcer, au titre de complément, l'action des forces de police et de gendarmerie face à des menaces militarisées. Bien entendu, le renforcement de la défense et de la sécurité du territoire national ne dépend pas que des armées : le SGDSN y contribue, de même que l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), qui travaille à la cyberprotection de nos entreprises d'importance vitale. Quant à nous, nous devons à la fois protéger les armées, qui ne doivent pas être attaquées sur le territoire national, et jouer, pour la nation, quelles que soient les circonstances, le rôle d'airbag que j'ai évoqué tout à l'heure. Si le besoin s'en fait sentir, une organisation particulière peut être activée. J'ajoute que le ministère des Armées a créé, il y a quelques années, la direction de la protection des installations, moyens et activités de la défense (DPID), qui a pour objet de renforcer la protection de nos emprises.

Tel est l'esprit dans lequel nous travaillons quotidiennement. Ce n'est pas toujours facile, mais les armées perçoivent clairement qu'elles doivent être en mesure de répondre à une attaque.

Monsieur Cubertafon, j'ai effectivement la responsabilité des BOP Emploi des forces et Opérations extérieures et intérieures, qui sont tous deux importants. Un effort notable est consenti en faveur des infrastructures. La nouvelle architecture budgétaire est ainsi conçue que le sujet infrastructures est disséminé dans divers budgets mais, sauf erreur de ma part, le montant des autorisations d'engagement consacrées à l'infrastructure de sécurité et protection, s'élève à près de 800 millions d'euros pour la période 2022-2027. Nous sommes, dans ce domaine, dans une phase d'amélioration et de rattrapage. On a présenté la dernière loi de programmation militaire comme une LPM de réparation. De fait, après une phase de diminution des budgets, durant laquelle nous avons courbé l'échine en espérant que l'infrastructure tienne, nous sommes désormais dans une phase de reconquête, c'est-à-dire de développement et, en quelque sorte, de remise aux normes.

Dans le domaine de la protection, en particulier, l'ensemble de nos emprises bénéficient d'un effort tout particulier, qui est appréciable, ne serait-ce que pour remplacer le grillage de clôture de la base aérienne d'Istres, par exemple, qui mesure plusieurs quelques kilomètres de long. Des opérations importantes sont donc réalisées, qui ont pour objectif de mettre nos installations au niveau de la menace à laquelle nous faisons face. Ainsi, pour arrêter les voitures, nous utilisons, non plus des plots en plastique, mais des systèmes plutôt efficaces, qui requièrent cependant un effort sur le long terme. En matière d'infrastructures comme dans les autres domaines, on souhaiterait obtenir des résultats immédiats, mais ce n'est pas aussi simple qu'on le croit : nous avons besoin de systèmes connectés, l'information doit être centralisée, les menaces, qui sont diverses, identifiées… Nous faisons au mieux avec le budget qui nous est alloué. En tout état de cause, il s'agit d'un axe de travail très important. Nous intervenons, en coordination avec le service d'infrastructure de la défense (SID), la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la défense (DIRISI) et les armées, en fonction des besoins. Par ailleurs, pour chaque gros programme – l'achat d'un char, par exemple –, nous nous attachons à prendre en compte les ressources humaines et les infrastructures nécessaires à son fonctionnement ainsi que ses problématiques de cycle, pour éviter de découvrir ultérieurement qu'un hangar supplémentaire, par exemple, ou quelque autre équipement est nécessaire. Nous veillons à ce que l'ensemble du projet soit bien planifié.

Monsieur Chassaigne, je ne sais pas si l'airbag est trop souvent activé ; en tout cas, il fonctionne. J'ai utilisé cette image à dessein : si, avant d'utiliser l'airbag, on vide progressivement la bonbonne de gaz qui sert à le gonfler, il ne sera pas efficace le jour où l'on en aura besoin, et si on ne le régénère pas après l'avoir activé, il sera beaucoup plus difficile de réagir à l'urgence. Je m'explique. Lorsque l'on demande au service de santé des armées d'installer un module militaire de réanimation en Nouvelle-Calédonie, nous savons, nous, que cela aura un impact sur les hôpitaux des armées. Mais nous l'acceptons : il s'agit de répondre à l'urgence. Il faut toutefois que ce type de sollicitations soit limité dans le temps, de manière que nous puissions nous régénérer. Nous contribuons à la résilience de la nation en apportant notre petite pierre à l'édifice – encore une fois, nous ne sommes pas les seuls –, mais il ne faudrait pas que, par facilité ou par confiance, on mette en péril notre propre résilience, car cela affecterait, par ricochet, celle de la nation. L'airbag n'est pas trop souvent actionné ; il l'est en tant que de besoin – en la matière, les décisions sont prises au plus haut niveau de l'État. Nous y sommes attentifs.

Faut-il valoriser davantage ce rôle des armées ? Lorsque nous avons installé un MMR en Nouvelle-Calédonie, nous n'avons armé que cinq lits – ce n'est pas beaucoup. Nous ne voulons donc pas forcément nous mettre en avant alors que nous ne faisons qu'apporter à l'hôpital de Nouvelle-Calédonie, qui accomplit un travail extraordinaire, une bouffée d'air frais qui l'aide à endurer la crise et lui permet de poursuivre ses activités habituelles.

En ce qui concerne la mutation des risques, nous travaillons beaucoup avec le SGDSN sur la manipulation de l'information et les nouveaux risques NRBC, et avec l'ANSSI sur les menaces cyber. Nous accordons une attention particulière aux secteurs qui constituent, pour nous, une niche. Les risques NRBC, par exemple, en sont une. Nous nous efforçons donc de maintenir à tout prix les connaissances et les savoir-faire dans ce domaine. Je ne dis pas que, demain, nous serions capables d'assurer une protection NRBC à l'ensemble du pays – il ne faut pas rêver et ce n'est pas notre rôle ! –, mais nous sommes capables de réagir à des événements dans l'urgence et, par rapport à nos partenaires européens, c'est un secteur dans lequel nous sommes en pointe. Du reste, en 2022, le deuxième régiment de dragons commandera la composante NRBC de la Very High Readiness Joint Task Force (VJTF), la force de réaction rapide de l'OTAN. Nous avons de véritables capacités en la matière, que nous développons et valorisons.

Monsieur Simian, le moral des troupes est bon. Il est mesuré de manière régulière – c'est un axe de travail important du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire – car, s'il est bas, nous risquons d'être rapidement confrontés à un problème de fidélisation. Nous veillons donc à ce qu'il soit bon, d'une part, en étant à l'écoute de nos soldats, d'autre part, en faisant en sorte de leur confier des missions qui ont du sens. Qu'ils participent à l'opération Sentinelle, à l'opération Résilience, à l'opération Barkhane, aux engagements de la marine et de l'armée de l'air ou à l'opération Lynx en Estonie, nos soldats ont conscience qu'ils ont un rôle utile à jouer dans le monde actuel. La « moraline » devient nécessaire lorsque les soldats ne sont pas employés ; or, actuellement, on ne peut pas dire qu'ils ne le sont pas. Mais il faut veiller à les employer correctement, sans les essouffler ou les épuiser. C'est aux armées, à leur chef d'état-major dans le cadre du Conseil de défense, de placer le curseur de l'engagement au bon endroit et de déterminer jusqu'où il est possible d'aller. Aujourd'hui, cela se passe bien.

Quant à l'éventuelle dégradation de la situation en Nouvelle-Calédonie, elle a fait l'objet d'une véritable anticipation, puisque nous avons l'avantage de connaître la date du référendum. Nous avons beaucoup travaillé non seulement avec le pays, localement, mais aussi avec les forces de sécurité intérieure, pour identifier ce dont elles pourraient avoir besoin. Cela a fait l'objet d'une grande manœuvre logistique : début novembre, nous avons augmenté les moyens présents en Nouvelle-Calédonie en apportant du matériel sur place et en renforçant les escadrons de gendarmerie. Les armées ne font pas de maintien de l'ordre ; elles apportent, en complément, des capacités qui pourraient être nécessaires aux forces de sécurité si elles devaient se déplacer d'une île à l'autre, par exemple. Quelques moyens ont donc été prépositionnés à cette fin. Notre rôle est de faciliter la mobilité – comme nous l'avons fait suite au passage de l'ouragan Irma – et de soulager ainsi les forces de sécurité intérieure en cas de troubles à l'ordre public. Si ceux-ci surviennent, ce n'est pas à nous d'intervenir : nous sommes en deuxième rideau, dans un rôle de soutien et d'appui.

Je ne suis pas certain que l'un ou l'autre clan ait intérêt, quel que soit le résultat du référendum, à provoquer des désordres. Tous ont, me semble-t-il, la volonté de sortir de la situation actuelle pour aller vers quelque chose de nouveau. Quelle sera l'équation ? Je l'ignore, et ce n'est pas à moi de le dire. Mais il faut franchir cette étape et trouver la solution qui permettra de rassembler tout le monde, quel que soit le résultat – car tel est bien l'objectif. J'espère, en tout cas, qu'il n'y aura pas de dérapage.

Monsieur Gouttefarde, encore une fois, la défense opérationnelle du territoire repose bien sur une structure permanente, composée d'états-majors ; si l'on doit monter en gamme, on procède alors à des renforcements qui, eux, ne sont pas permanents. La DOT est la clé de voûte de la défense militaire du territoire : si celui-ci devait être attaqué, elle nous permettrait d'être en mesure de réagir. Il s'agit donc d'un véritable concept. Il a probablement besoin d'être rénové de temps à autre, mais, je peux vous l'affirmer, les officiers généraux répartis sur le territoire y réfléchissent quotidiennement. Nous nous efforçons de mettre à jour nos textes et notre organisation de manière à être toujours pertinents. Si nous devions aller plus loin, la question qui ne manquerait pas de se poser est celle du renseignement : il nous faudrait être plus proches de la DGSI, car notre service de renseignement est surtout tourné vers les menaces extérieures.

Monsieur Menuel, en Guyane – dont la frontière avec le Brésil est bien, me semble-t-il, la plus longue frontière française –, les problèmes frontaliers proviennent surtout du Suriname, et ils sont liés à l'orpaillage. Certes, des étrangers entrent sur le territoire, mais ils y viennent surtout pour se livrer à cette activité illégale. En la matière, nous avons bien conscience, sinon des limites de notre action, du moins de la complexité des enjeux. Nous tentons de renforcer notre action là-bas, mais il nous faut faire des choix, de sorte que l'hélicoptère disponible sur le terrain n'est pas toujours le plus récent. En tout cas, nous cherchons à développer des outils qui nous aident à mieux comprendre les flux de l'orpaillage et à mieux anticiper leur développement. De fait, vous avez raison, il arrive que de véritables petits villages se créent autour d'un site d'orpaillage. Or, comme ils se situent en pleine jungle, il est difficile de les localiser : l'imagerie satellite n'est pas très efficace et, si l'hélicoptère peut les survoler, il lui est difficile de se poser. Heureusement, nos militaires sont capables d'intervenir dans la jungle pour lutter contre l'orpaillage.

De fait, nous ne constatons pas de baisse de cette activité illégale. C'est un sujet de préoccupation. Nous nous efforçons d'adapter en permanence notre dispositif, qu'il s'agisse de lutter contre l'orpaillage ou contre la pêche illicite. Ainsi, nous envoyons, très régulièrement et de manière assez imprévisible, des commandos supplémentaires pour renforcer le dispositif et convaincre les pêcheurs brésiliens et surinamais qu'ils ne peuvent pas pêcher dans nos eaux. Les actions sont parfois violentes – les pêcheurs nous repoussent à l'aide d'armes et de harpons –, si bien que nous sommes souvent contraints de tirer des balles gomme cogne lors de nos interventions.

Nous envoyons donc régulièrement des renforts, certes ponctuels – nous pourrions peut-être faire mieux, mais nous essayons d'avoir un équilibre global pour l'ensemble des outre-mer. Quoi qu'il en soit, nous n'en avons certainement pas fini avec l'orpaillage. Nous saisissons un nombre considérable de moteurs et de tapouilles, mais ils sont aussitôt remplacés. Lorsqu'on lutte contre ce type de menaces spécifiques, on commet l'erreur de s'attaquer, dans un premier temps, aux conséquences – en l'espèce, on repousse les orpailleurs – plutôt qu'au business model. Il faudrait en effet s'en prendre à l'ensemble de la chaîne, mais elle se trouve bien souvent à l'étranger… C'est dans ce sens que nous orientons nos réflexions.

Monsieur Marilossian, je ne crois pas que nos troupes soient trop autonomes. On leur a donné les outils pour qu'elles puissent agir correctement. Jusqu'à présent, nous n'avons rencontré aucun problème : lorsque nos militaires ont dû agir, ils l'ont fait avec sang-froid, conformément aux règles et dans l'esprit qui avait été préalablement défini. Par ailleurs, j'ai la faiblesse de penser que nos troupes sont commandées : le soldat qui part sur le terrain dans le cadre de l'opération Sentinelle est briefé par son chef de section, son capitaine de compagnie et son chef de corps. Qui plus est, ces militaires reçoivent une formation spécifique, propre à l'opération à laquelle ils participent – c'est de la « marteau-thérapie », mais elle est efficace.

Encore une fois, on a donné aux militaires les outils qui leur permettent de répondre à la menace à laquelle ils font face. À cet égard, le fait que le législateur ait accepté une exception à la responsabilité pénale du militaire est une très bonne chose : il aurait été difficile de comprendre qu'après avoir été engagé sur le terrain, un militaire puisse être accusé d'avoir mal agi. Je suis donc très satisfait. Cela dit, il incombe aux chefs des armées et aux chefs militaires de s'assurer que l'action se déroule dans le cadre approprié. Nous devons garantir au Parlement et au Président de la République, d'une part, que nous agissons dans le cadre fixé, d'autre part, que nous ne dérapons pas.

Monsieur Delatte, la coordination des forces de sécurité et des armées dans le cadre de l'opération Sentinelle fait l'objet d'une très bonne discussion. Nous ne sommes pas toujours d'accord avec le préfet, mais nous discutons. Ce qui m'importe, c'est que les armées soient engagées dans le cadre fixé par le Parlement et le Président de la République. Si l'on veut nous faire sortir de ce cadre, pourquoi pas ? Mais c'est à l'autorité politique d'en décider. Au demeurant, je n'ai pas de complexe : la règle des 4 « i » est assez claire. Par ailleurs, les préfets ont parfaitement compris la manière dont ils pouvaient nous employer et n'ont pas envie de nous forcer la main.

Même si cela n'a pas été simple au début, les forces de sécurité intérieure ont désormais bien compris la manière dont nous agissons. Du reste, nous planifions dès à présent avec elles la façon dont les armées pourraient intervenir en soutien lors des Jeux olympiques de 2024. Ainsi, nous discutons de la manière dont les forces de sécurité intérieure conçoivent la protection de cet événement, nous cherchons à identifier les niches dans lesquelles elles risquent de rencontrer des problèmes – il y aura évidemment un dispositif de protection aérienne – et nous réfléchissons à la manière de nous coordonner avec la préfecture de police – un certain nombre de plans existent déjà, notamment pour le 14 juillet. Le dialogue civilo-militaire fonctionne à tous les niveaux. Certaines questions remontent parfois au Conseil de défense, et le Président décide. Cela me convient très bien : le processus décisionnel est ainsi conçu que nous avons notre mot à dire sur les conséquences que peut avoir la sollicitation des armées. J'en reviens à notre rôle d'airbag : nous pouvons absorber un choc, mais je veux m'assurer que l'administration qui a besoin de notre concours s'organise de manière à pouvoir s'en passer lorsque nous lui redonnerons la main.

Nous nous efforçons également d'améliorer notre interopérabilité avec les forces de sécurité intérieure. Lorsque nous intervenons en complément de ces forces, nous faisons en sorte, les soldats n'ayant pas de pouvoirs de police, d'avoir une réactivité conforme aux enjeux sécuritaires. Si nous voyons quelque chose, nous le signalons immédiatement aux forces de sécurité intérieure pour qu'elles interviennent. Nous ne sommes pas là pour les remplacer mais pour agir en complémentarité – c'est la règle d'or –, et cela fonctionne plutôt bien. Par ailleurs, Sentinelle est en quelque sorte un réservoir : au socle, constitué du dispositif permanent, il est possible d'ajouter ponctuellement des forces, par exemple pour sécuriser un marché de Noël. Notre mission est de protéger la France et les Français ; il est donc normal que nous aidions un préfet à résoudre certains problèmes, dans un cadre préalablement défini et dans les limites de nos attributions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Amiral, nous vous remercions d'autant plus chaleureusement que vous avez répondu à l'ensemble des nombreuses questions qui vous ont été posées.

Nomination d'un rapporteur sur la proposition de loi, présentée par M. Bastien Lachaud et plusieurs de ses collègues, visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l'exemple » durant la Première Guerre mondiale (n° 4636).

La commission a désigné M. Bastien Lachaud comme rapporteur.

La séance est levée à onze heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Christophe Blanchet, M. Jean-Jacques Bridey, M. André Chassaigne, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Rémi Delatte, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, Mme Marie Guévenoux, M. Fabien Lainé, M. Christophe Leclercq, M. Didier Le Gac, M. Gilles Le Gendre, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, M. Gérard Menuel, M. Philippe Meyer, Mme Monica Michel-Brassart, Mme Patricia Mirallès, M. Bernard Reynès, Mme Isabelle Santiago, Mme Nathalie Serre, M. Benoit Simian, M. Thierry Solère, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, M. Charles de la Verpillière, M. Stéphane Vojetta

Excusés. - M. Florian Bachelier, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Olivier Becht, M. Bernard Bouley, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Christophe Castaner, Mme Françoise Dumas, M. Richard Ferrand, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Claude de Ganay, M. Stanislas Guerini, M. David Habib, M. Jean-Michel Jacques, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean Lassalle, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Josy Poueyto, Mme Catherine Pujol, M. Gwendal Rouillard, M. Aurélien Taché, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson