La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.
Chers collègues, nous sommes réunis afin d'examiner la proposition de résolution européenne visant à protéger la base industrielle et technologique de défense et de sécurité européenne des effets de la taxonomie européenne de la finance durable. J'ai eu le plaisir d'élaborer ce texte avec Jean-Louis Thiériot. Vous avez été nombreux à nous apporter votre soutien ; je vous en remercie vivement. Je m'en réjouis d'autant plus que l'adhésion transpartisane à cette proposition de résolution traduit, une fois encore, notre attention collective à la vitalité de notre industrie de défense et, ce faisant, à notre autonomie stratégique.
Bien que l'Union européenne semble enfin prête à se préoccuper de sa puissance et de sa place dans un monde de plus en plus contesté, il est important de surmonter les résistances qui existent ici ou là – et surtout à Bruxelles. J'en veux pour preuve les travaux engagés par la Commission européenne sur l'écolabel pour les produits financiers de détail, comme sur la taxonomie européenne de la finance durable, qui pourraient conduire à exclure le secteur de la défense d'une partie des financements européens. Cela pourrait avoir pour conséquence d'inciter les investisseurs à se détourner des entreprises de défense et, in fine, d'affaiblir l'industrie de défense et de sécurité européenne dans sa globalité.
De telles orientations me paraissent en tout point contrevenir aux objectifs poursuivis par Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, comme par la plupart des États membres, lesquels ont bien compris que le renforcement de la défense européenne conditionnait la survie de l'Union dans le concert des nations. C'est d'ailleurs cette prise de conscience qui a conduit à l'élaboration du Fonds européen de la défense, doté de 8 milliards d'euros.
C'est à ces questions qu'est consacrée la proposition de résolution soumise à notre examen. Je ne peux qu'espérer qu'elle soit reprise à son compte par le Gouvernement dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne.
Je vous propose de désigner comme rapporteur naturel Jean-Louis Thiériot, qui a déjà défendu la proposition de résolution mercredi dernier devant la commission des affaires européennes – avec succès, puisqu'elle a été très largement adoptée.
La proposition de résolution dont nous débattons revêt une importance singulière et mérite d'être marquée d'une pierre blanche. Elle reflète une préoccupation très largement partagée dans cette commission et, je l'espère, dans le pays. Mme Dumas et moi-même avons eu l'occasion d'en parler et nous avons fait le choix de travailler sur ce sujet d'intérêt national ensemble, avec les différents groupes de la majorité et le principal groupe de l'opposition – Les Républicains. Le texte a été cosigné par de nombreux parlementaires de toutes ces tendances, ce qui témoigne de l'importance de la question.
De fait, la base industrielle et technologique de défense (BITD) revêt une importance considérable, en particulier pour la France, et ce non seulement sur le plan de la politique de sécurité et de défense, mais aussi sur le plan économique : elle rassemble 4 000 entreprises et emploie 200 000 personnes sur tout le territoire. C'est là une singularité française, car dans bien d'autres pays européens, comme l'Allemagne et l'Italie, l'industrie de défense est moins stratégique sur le plan économique.
Or la BITD est confrontée à des menaces, parmi lesquelles figurent les modalités de son financement. On se souvient du cri d'alarme lancé par le délégué général pour l'armement (DGA), Joël Barre, concernant la frilosité des banques. Cela avait conduit la commission à lancer une mission flash, confiée à Françoise Ballet-Blu et à moi-même. Nous nous étions efforcés d'effectuer un travail aussi complet que possible et avions œuvré en parfaite harmonie. Nous avions constaté que des menaces pesaient effectivement sur la BITD, et ce pour les deux types de financement possibles, à savoir par les banques et par des fonds propres. Cela s'explique par des problèmes de compliance, voire de sur-compliance, de risque réputationnel et, en ce qui concerne plus spécifiquement les fonds propres, par le rythme particulier de l'investissement de défense, marqué par des cycles beaucoup plus longs que d'autres activités économiques : alors que la durée moyenne de la présence d'un fonds dans un investissement est généralement de cinq à sept ans, l'industrie de défense requiert un temps plus long.
Dans un monde de plus en plus incertain, marqué par une conflictualité accrue, et alors que nous nous battons pour garantir l'autonomie stratégique de l'Europe, nous avons besoin d'une industrie de défense plus solide et plus résiliente. Pour ce faire, il importe d'éviter de créer de nouveaux freins à l'investissement. Or, de ce point de vue, on observe une schizophrénie des institutions européennes – en commission des affaires européennes, Sabine Thillaye a, pour sa part, évoqué des dissonances. En effet, d'un côté, la création du Fonds européen de la défense vise à développer une BITD européenne, ce qui est une bonne chose et représente un symbole fort, même si le fonds est moins bien doté que prévu – 8 milliards, contre 13 milliards initialement –, mais, de l'autre, la taxonomie de la finance durable et l'écolabel pour les produits financiers de détail sont susceptibles de freiner son développement.
Alors que notre pays se prépare à prendre la présidence du Conseil de l'Union européenne, la proposition de résolution européenne vise à appeler l'attention sur ce risque et à provoquer une mobilisation générale pour que l'Europe ne se prive pas elle-même des outils dont elle a besoin.
La taxonomie de la finance durable, issue du règlement 2020/852, s'inscrit dans le projet de Green Deal. Compte tenu de la nécessité d'opérer la transition écologique et de parvenir à la neutralité carbone en 2050, il s'agit de réorienter les flux d'investissements vers les industries contribuant au développement durable. Une distinction sera faite entre les activités qui contribuent au développement durable, celles qui sont neutres et celles qui sont nuisibles. À cela s'ajoutera une taxonomie sociale.
Le secteur de la défense est exclu de ces deux taxonomies. S'il n'est pas forcément évident que l'industrie de défense soit inscrite dans la taxonomie de la finance durable, il n'en va pas de même pour la taxonomie sociale. En effet, celle-ci comprend toute une série de critères liés à l'investissement socialement responsable (ISR) et à la soutenabilité de notre modèle de société, auquel nous sommes tous très attachés. Or, parmi les éléments constitutifs de ce modèle, figurent la sécurité et la liberté. Un pays qui n'assure pas sa sécurité, sa souveraineté et son autonomie stratégique s'expose à voir son modèle social remis en cause. L'enjeu, pendant la présidence française de l'Union européenne (PFUE) et dans les années futures, est donc d'intégrer la souveraineté et la sécurité parmi les critères définissant les investissements socialement responsables.
Cela suppose de mener un véritable travail intellectuel. Pour avoir échangé avec des parlementaires et des professionnels d'autres pays, je sais que la réflexion sur la question est en cours ailleurs en Europe. Nous avons beaucoup échangé à ce propos avec le Groupement des industries allemandes de sécurité et de défense (BDSV), qui est l'homologue du Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT), du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) et du Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN). La Commission a été saisie d'une demande dans ce sens. Autant la coopération entre la France et l'Allemagne est parfois difficile du fait de la concurrence entre nos deux pays, autant, sur ce point, il convient de saluer la convergence totale entre les industriels français et allemands. Ce n'est pas seulement une question de gros sous : il y a surtout 200 000 emplois en jeu dans nos territoires.
À court terme, l'écolabel européen pour les produits financiers de détail est encore plus inquiétant. Les labels sont très à la mode : tout le monde labellise tout et n'importe quoi. À côté des labels sérieux, d'autres, conçus par des comités Théodule, le sont beaucoup moins. L'une des ambitions de l'Union européenne, parfaitement légitime, est de se doter d'un écolabel européen en matière de finance durable. Le Centre commun de recherche (CCR) s'est vu confier la mission de faire des propositions pour définir le cahier des charges et écrire la charte de ce label. Les résultats de ses travaux témoignent d'une évolution extrêmement inquiétante, qui explique que nous soyons montés au créneau.
Les premiers rapports de l'organisme n'avaient pas considéré que le secteur de l'armement posait problème. Plus exactement, le troisième avait simplement demandé que soient exclues de l'écolabel les armes controversées, c'est-à-dire interdites par les traités internationaux – par exemple les mines antipersonnel, prohibées par la convention d'Ottawa –, et les entreprises qui vendent des armes à des pays faisant l'objet de mesures de restriction ou d'embargo de la part de l'Union européenne. Cela pouvait parfaitement s'entendre. Le quatrième rapport du CCR, en revanche, s'inspirant d'un label belge intitulé Towards Sustainability, a restreint les conditions d'obtention : les entreprises qui sollicitent le label ne doivent pas tirer plus de 5 % de leur chiffre d'affaires de la production d'armements. Ce revirement est dû uniquement au lobbying intense de certaines ONG et au fait que la rapporteure est une députée évangéliste allemande engagée dans la lutte tous azimuts contre le commerce des armes. En seraient donc exclues non seulement la totalité de l'écosystème de défense mais toutes les entreprises duales, dont notre industrie de défense est largement composée. Alors qu'avec Françoise Ballet-Blu, nous avons pointé la difficulté de lever des fonds ou d'émettre de la dette obligataire sur les marchés, inutile de vous dire que les choses seraient encore plus difficiles si cet écolabel était adopté !
Celui-ci compliquerait donc la mobilisation de capital auprès de fonds privés et rendrait quasiment impossible le placement de dette bancaire sur les marchés, aucun banquier ne prenant le risque de proposer des produits financiers qui en seraient exclus. Il constitue donc un obstacle pour l'innovation européenne, pour nos start-up d'aujourd'hui et nos licornes de demain.
Enfin, comme nous l'avons vu avec l'affaire Photonis, la BITD pourrait faire l'objet d'une prise de contrôle par l'étranger car des difficultés de financement impliquent une sous-capitalisation qui fragilise une entreprise et en fait une cible. Sur le plan européen et national, le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) est remarquable pour identifier les menaces qui pèsent sur certaines de nos entreprises mais, ensuite, nous devons trouver des solutions financières pour les recapitaliser ou les restructurer.
Cet écolabel serait donc une catastrophe pour notre industrie de défense.
À cela s'ajoute que la plupart de nos entreprises de défense, soumises à la certification ISO 14001 et à la norme ISO 37001, ont accompli de gros efforts en matière environnementale et de lutte contre la corruption ; les politiques de gestion de déchets industriels sont innovantes et les gouvernances encore plus socialement responsables. Ces entreprises s'inscrivent explicitement dans le mouvement de la durabilité. Ce sont là autant d'enjeux fondamentaux de la présidence française de l'Union européenne et des combats européens à venir.
Cette PPRE vise d'abord à demander à la Commission européenne se revenir sur l'exclusion du secteur de la défense de l'écolabel, qui ne figurait pas dans la troisième version du CCR – il n'y a aucune raison pour qu'elle y soit dans la quatrième. J'espère qu'un consensus parlementaire le plus large possible permettra à la Commission de mesurer à quel point cette question est importante.
Ensuite, elle tend à promouvoir l'innovation au sein de la BITD et à expliquer combien elle est partie intégrante de notre autonomie stratégique, française ou européenne. Je répète une évidence : cela ne signifie en rien que nous serions opposés à l'OTAN qui, avec l'autonomie stratégique, constitue un pilier de la défense européenne.
Nous appelons également le Gouvernement à peser de tout son poids pour défendre les dossiers de l'industrie de défense et de l'autonomie stratégique, notamment dans le cadre de la « boussole stratégique », dont une partie importante devra concerner la BITD.
Enfin, nous demandons à la Commission européenne de reconnaître le rôle positif de la BITD dans la taxonomie sociale européenne, car elle contribue à notre sécurité et à notre liberté. La défense doit être considérée comme l'un des éléments de la durabilité : sans une défense solide, donc, une BITD forte, nos sociétés auront le plus grand mal à être durables. Il convient d'engager un véritable travail sur cette question. Ceux à qui, parmi nous, les électeurs auront renouvelé leur confiance dans quelques mois, auront là un beau sujet de réflexion !
Cette PPRE a donc deux objectifs.
Tout d'abord, protéger l'Europe contre elle-même quand, parfois, elle veut se montrer plus vertueuse que certains de ses compétiteurs stratégiques – qui peuvent être aussi nos alliés, mais qui n'ont pas nécessairement de telles pudeurs : assumons sans naïveté notre destin d'Europe puissance !
Ensuite, alors que la France s'apprête à prendre la présidence de l'Union européenne, la représentation nationale doit se montrer le plus largement possible à la hauteur de ces exigences. Sur la BITD, il est impossible de reculer ou de caler !
Il est très agréable de constater que les travaux que l'on a menés, en l'occurrence avec M. le rapporteur, trouvent un prolongement dans une proposition de résolution européenne.
La mission flash dont nous avons remis le rapport le 17 février a pointé les nombreuses causes de la frilosité des banques à l'endroit des entreprises de l'industrie de la défense. Difficultés dans les exportations d'armements, poids croissant de la conformité, problèmes d'image, montée en puissance des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans les stratégies d'investissement des institutions financières, manque de liquidités : les obstacles au renforcement d'une BITD française et européenne sont légion.
S'il n'est pas scandaleux que la Commission européenne cherche à faire émerger de nouveaux critères en matière de finance durable, il ne faudrait pas que cette nouvelle taxonomie entrave le secteur de l'armement. Il est inutile de rappeler l'importance capitale des entreprises de défense, garantes de la souveraineté de l'Europe, donc, de la France. Je rappellerai simplement que leur chiffre d'affaires, en Europe, s'élève à 100 milliards d'euros et qu'elles emploient directement ou indirectement 1,4 million de personnes.
Je ne peux que vous appeler à voter en faveur de cette proposition de résolution dans le contexte d'une présidence française de l'Union européenne qui veillera à ce que le Fonds européen de défense soutienne les investissements dans la recherche en matière de défense et de développement de technologies et d'équipements communs, en vue de la création d'une véritable base industrielle et technologique de défense sur le plan européen.
L'enjeu de cette proposition de résolution est fondamental pour notre industrie de défense. Lorsque nous avons la chance de compter ce type d'entreprise dans nos circonscriptions, nous connaissons les savoir-faire français dans ce domaine.
Pour l'Union européenne et son autonomie, la maîtrise de ces technologies constitue un intérêt stratégique évident. Compte tenu de la situation internationale, la plupart des États renforcent leurs dispositifs de défense et sollicitent les entreprises afin de bénéficier des meilleurs matériels. Dans le contexte de pénurie que nous connaissons, trouvent-elles la main-d'œuvre qualifiée dont elles ont besoin ? Les autres grands pays européens partagent-ils votre analyse ?
Les Républicains, quant à eux, voteront résolument en faveur de cette résolution.
Sur un plan national et européen, l'enjeu de cette PPRE est évidemment transpartisan. Notre groupe salue cette initiative et le travail accompli.
Il importe en effet de disposer d'une BITD puissante afin de parvenir à l'autonomie stratégique française et européenne.
Les acteurs de l'industrie de la défense reconnaissent que la poursuite d'un tel objectif n'est possible que dans le respect de l'environnement. Les efforts qui doivent encore être accomplis s'expliquent davantage par la nécessité, pour l'Union européenne, de consolider l'accompagnement de ces entreprises pendant cette transition écologique que par une absence de volonté ou de possibilité.
Dès lors, nous aurions plus à gagner en soutenant la BITD qu'en l'excluant de la taxonomie européenne. La spécificité du secteur de la défense, loin d'être un obstacle, est un atout.
Le ministère des armées est parfaitement conscient de ses responsabilités en matière de biodiversité, de gestion des sols et des eaux polluées ainsi que des déchets industriels. C'est pourquoi il s'engage à prévenir et à accompagner les acteurs de notre industrie de défense face aux risques environnementaux.
À l'instar de Naval Group, qui s'attelle depuis plus de dix ans à mener un travail de fond sur l'écoconception de ses navires et d'autres infrastructures marines, nos petites entreprises doivent être encouragées à aller dans cette direction. Il serait contre-productif de les pénaliser sans les avoir accompagnées.
De plus, la négligence de notre autonomie stratégique constituerait un danger pour notre indépendance industrielle – alors que nous sommes remarquablement positionnés sur la scène internationale – et un risque quant à notre capacité de protéger la population européenne et nos territoires.
Notre groupe votera en faveur de cette proposition de résolution et vous soutient pleinement.
Depuis la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, les turbulences, sur le plan mondial, ne cessent de se confirmer, les crises se multipliant même aux frontières de l'Europe.
Notre BITD doit donc être performante, innovante et capable de couvrir la totalité du spectre des technologies critiques. Or elle ne sera à même d'offrir des capacités aux armées européennes et, ne l'oublions pas, de tirer vers le haut notre secteur civil qu'à plusieurs conditions.
La première est de continuer à soutenir la BITD française.
La seconde est de conforter notre industrie de défense européenne et de continuer à soutenir l'achat de matériels européens entre Européens. De ce point de vue, les signaux envoyés ne sont pas toujours positifs – que l'on songe aux achats des Finlandais pour leur armée de l'air.
Au-delà de la grande spécificité de ce marché, où la place de l'État dans la vie des entreprises demeure centrale – qu'il soit autorité, actionnaire, client ou partenaire – et où les cycles industriels sont difficilement compatibles avec l'horizon financier du capital-investissement, les entreprises de défense rencontrent de plus en plus de difficultés à accéder aux financements, notamment, les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui paient déjà un lourd tribut à la crise sanitaire.
Le poids croissant de la conformité s'explique en partie par la loi Sapin 2 encourageant les financeurs à renforcer leurs mécanismes internes de prévention. Les échanges entre les banques et les industriels sont donc devenus plus compliqués et le risque d'image est bien réel, au point que des entreprises doivent parfois fermer. Dans cette situation déjà difficile, le plan d'action de la Commission européenne pour financer la croissance durable présente un nouveau risque. Dès lors, il est primordial d'exclure notre BITD des produits non durables à l'échelle européenne, les difficultés françaises étant loin d'être uniques. Cela ne constitue en rien un acte d'hostilité au projet de taxonomie de la finance verte, par ailleurs important : cette proposition de résolution est un acte fort pour notre souveraineté nationale, en complément des efforts accomplis dans le cadre de la transition écologique.
Notre groupe soutiendra bien évidemment ce texte.
Merci d'avoir fait preuve de vigilance et de nous avoir alertés à temps sur ce sujet ô combien important pour la France et l'Europe, au regard de notre objectif d'autonomie stratégique. Chacun sait l'importance de notre base industrielle et technologique de défense, mais je voudrais revenir sur l'enjeu de puissance et d'indépendance que cette question soulève.
L'histoire de la construction européenne a été celle de la paix et de la réconciliation d'un continent qui s'est entre-déchiré pendant de trop nombreuses années. Nous avons appris au fil du temps à construire des décisions et des politiques communes en réglant nos différends autour d'une table, en créant une union si fortement intégrée qu'il serait impossible pour deux États d'envisager toute hostilité de l'un envers l'autre.
Bien qu'encore imparfaite, l'Europe doit désormais se tourner vers un nouvel objectif : établir une stratégie commune pour son action extérieure. La présidente de la Commission européenne ne s'y est pas trompée en indiquant, au début de son mandat, qu'elle souhaitait établir une « Commission géopolitique ». Deux ans plus tard, nous voilà confrontés à une question qui rappelle la nécessité pour l'Europe d'affirmer son autonomie et sa puissance. Personne ne remet en cause l'importance du développement des investissements environnementaux sur le continent et partout dans le monde, mais de nombreuses priorités coexistent, se recoupent et ne doivent pas être regardées de manière binaire.
Alors que la France occupera bientôt la présidence du Conseil, je souhaite que nous nous montrions fermes sur un sujet qui nous tient à cœur, et que nous ne le sacrifiions pas sur l'autel des ambitions multiples et grandioses dont la France a le secret. En matière de défense, le fonds européen marque une avancée importante, mais son ambition est bien moindre qu'initialement prévu. De même, si l'enjeu de l'autonomie stratégique fait son nid dans la pensée européenne, notre continent reste divisé sur la stratégie internationale et ne parvient pas à imposer une logique en matière de matériel ou d'équipements, comme le montrent, par exemple, les achats d'avions de combat. La France doit donc faire preuve de fermeté sur ce sujet, pour montrer qu'elle sait défendre ses intérêts et les faire passer avant ses rêves et ses ambitions diverses.
Le groupe UDI et indépendants soutiendra cette proposition de résolution.
Je crains d'être le seul, dans cette atmosphère consensuelle, à ne pas apporter ma voix à la proposition de résolution européenne. « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil », écrivait René Char. La lumière que je vais vous apporter me sera aussi douloureuse, puisque j'irai à rebours de l'unanimité qui semble se dégager.
Je comprends l'enjeu, les objectifs recherchés. J'ai conscience de la nécessité de protéger l'industrie de l'armement des effets de ce qu'on appelle la taxonomie européenne de la finance durable – bien que le terme « taxonomie » soit difficile à saisir au premier abord.
Toutefois, il me semble une erreur de créer des critères spécifiques aux industries de la défense : telle est la raison principale de mon opposition. Vous écrivez, dans votre rapport qu'il faut éviter une mise à l'index mais, selon moi, c'est le résultat auquel mènera la création de cette exception. Appliquer des critères particuliers aux industries de l'armement par rapport aux exigences de la transition écologique entraînera un mouvement contraire qui risque de se retourner contre les objectifs recherchés.
De manière générale, toutes les exceptions que l'on tente de définir dans le domaine de la transition écologique sont rejetées. À titre d'exemple, dans la dernière niche de mon groupe parlementaire, j'ai défendu une proposition de résolution européenne relative au financement de la transition écologique. J'ai proposé que l'on extraie certains investissements verts de la base de calcul des 3 % de déficit public. On m'a répondu que c'était absolument impossible, que l'on ne dérogeait pas aux règles. En l'occurrence, vous proposez également de déroger à une règle.
Contrairement à vous, je n'ai pas complètement confiance dans les industries de la défense. Je suis dubitatif quand je vois que certaines entreprises de défense exportatrices d'armes ne remplissent pas leurs obligations réglementaires, ne font pas preuve de la diligence requise s'agissant des droits humains définis par le droit international. Je ne suis pas sûr que leur positionnement sera très différent s'agissant de la protection de la planète. J'ai d'ailleurs écrit à certaines d'entre elles, qui ne m'ont pas répondu. Elles refusent de fournir les informations sur les conséquences potentielles au regard de l'atteinte aux droits humains de leurs exportations d'armes. Je doute de leur devoir de vigilance sur les aspects tant environnementaux qu'humains.
Je défends de longue date la création d'un pôle public bancaire. De fait, la question se poserait différemment si l'on avait une BPI (Banque publique d'investissement) beaucoup plus puissante, qui finance véritablement les investissements, par exemple dans les domaines régaliens. On aurait un levier très différent de celui qui est constitué par l'investissement des banques. Ces dernières, on le sait, recherchent leurs intérêts et ont pour objectif la réalisation des gains financiers les plus élevés possible. Craignant d'être mises à l'index, les banques pourraient limiter les crédits aux industries de la défense.
Je m'apprêtais à dire qu'il régnait presque une ambiance d'union sacrée. Précisément, Monsieur Chassaigne, nous demandons que la défense ne fasse pas l'objet d'une exclusion sectorielle, notamment concernant l'écolabel en projet, qui exclurait toute entreprise dont au moins 5 % du chiffre d'affaires est constitué par des activités de production ou de vente d'armes conventionnelles ou d'équipements militaires utilisés pour le combat. Nous considérons qu'à partir du moment où les entreprises respectent les règles progressives de transition, elles doivent pouvoir obtenir ce label. Nous ne sollicitons pas un traitement particulier de la défense mais, au contraire, l'inclusion de ces entreprises dans l'ensemble du système économique.
S'agissant de la création d'un pôle public bancaire, nous n'en avons pas repoussé l'idée dans les travaux que nous avons conduits avec Françoise Ballet-Blu. Celui-ci pourrait intervenir sous forme d'un fonds souverain pour acquérir des participations au capital des entreprises, que l'on ne peut pas mettre sur le marché au risque que des compétiteurs stratégiques ne mettent la main dessus, ou encore d'un financement bancaire. Cela présenterait toutefois une difficulté vis-à-vis des banques qui parviennent, malgré tout, à drainer de l'argent privé pour l'injecter dans l'écosystème de défense. Si on s'orientait vers ce dispositif, le prétexte serait tout trouvé pour que, demain, les marchés financiers et le système bancaire n'apportent plus un kopeck à notre industrie d'armement. La question mérite d'être examinée, mais la réponse n'est pas évidente. Nous avons entendu des avis très contradictoires – je ne parle pas nécessairement des banquiers, qui ne seraient finalement pas mécontents qu'on leur retire cette épine du pied.
Monsieur Meyer, la pénurie de main-d'œuvre affecte certains secteurs de niche ; on manque notamment de soudeurs et de techniciens dans le domaine électronucléaire et dans le secteur du câblage. Le GICAN et le Campus des industries navales essaient de combler les trous. L'apprentissage ne suffit pas. Certaines PME ont dû faire appel à des soudeurs polonais – mais pas pour les mêmes motivations que d'autres ont eu recours aux plombiers polonais. L'ensemble des industriels et la DGA traitent très sérieusement le problème.
Nous sommes le premier pays touché en Europe, du fait de l'importance de la BITD dans notre tissu industriel. La force motrice, en la matière, est constituée par le tandem franco-allemand – expression que je préfère à celle de couple franco-allemand, car, dans un tandem, il y a toujours quelqu'un qui tient le guidon. À cet égard, le nouvel accord de coalition n'est pas vraiment rassurant, notamment pour le grand export. Je ne pense pas qu'on puisse obtenir un soutien du gouvernement allemand, mais attendons de voir. Les milieux industriels allemands, quant à eux, sont très clairement à nos côtés.
Nous avons intérêt, me semble-t-il, à nous appuyer sur d'autres partenaires européens, notamment les Italiens, qui ont une véritable industrie de défense. Compte tenu du délai très rapide avec lequel nous avons élaboré cette proposition de résolution, afin qu'elle soit présentée au début de la PFUE, nous n'avons pas eu le temps de nouer des contacts avec nos homologues italiens, exception faite d'une conversation téléphonique que j'ai eue avec les industriels. Ces derniers sont très demandeurs d'une coopération. Les industriels belges semblent avoir la même position dans le cadre du contrat CAMO (capacité motorisée). Bref, ne nous laissons pas enfermer dans le tandem, ajoutons-y des remorques.
J'ai été sensible à la réponse du rapporteur concernant l'écolabel. Dans ma circonscription, une entreprise coutelière produit tous les couteaux de l'armée. Je ne souhaiterais pas qu'elle soit pénalisée si, un jour, elle demandait l'écolabel. Je retiens cet argument, qui me semble pertinent. Je ne m'opposerai donc pas à la proposition de résolution, mais m'abstiendrai.
On se rapproche donc de l'union sacrée. Cela ne m'étonne pas, car nous étions ensemble dans la Résistance !
Je vous remercie pour cette réflexion collective, qui débouche sur une quasi-unanimité. Nous avons bien noté la position nuancée de M. Chassaigne.
La commission adopte l'article unique non modifié.
L'ensemble de la proposition de résolution européenne est ainsi adopté.
La conférence des présidents dispose de quinze jours suivant la mise à disposition de la proposition de résolution par voie électronique pour l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée, faute de quoi le texte que nous venons d'adopter sera considéré comme définitif et transmis aux instances européennes et aux parlements nationaux.
Informations relatives à la commission :
- Nomination de M. Philippe Michel-Kleisbauer comme rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative au monde combattant (n° 3954) ;
- Nomination de MM. Thomas Gassilloud, Jean-Christophe Lagarde, Jacques Marilossian et Stéphane Vojetta comme membres de la mission d'information sur les enjeux de défense en Méditerranée.
La séance est levée à dix-heures trente.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, Mme Françoise Ballet-Blu, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Christophe Blanchet, M. André Chassaigne, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Catherine Daufès-Roux, M. Rémi Delatte, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Marie Fiévet, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, Mme Marie Guévenoux, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Gilles Le Gendre, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Nicolas Meizonnet, M. Philippe Meyer, Mme Josy Poueyto, Mme Catherine Pujol, Mme Nathalie Serre, M. Jean-Louis Thiériot, M. Stéphane Trompille, M. Charles de la Verpillière
Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Olivier Becht, M. Bernard Bouley, M. Jean-Jacques Bridey, M. Christophe Castaner, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Stanislas Guerini, M. David Habib, M. Jean-Michel Jacques, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean Lassalle, M. Christophe Leclercq, M. Gérard Menuel, Mme Monica Michel-Brassart, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Isabelle Santiago, M. Thierry Solère, M. Joachim Son-Forget, M. Aurélien Taché, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Alexandra Valetta Ardisson