– Audition ouverte à la presse, de M. Ángel Losada, Représentant spécial de l'Union européenne pour le Sahel.
Audition ouverte à la presse, de M. Ángel Losada, Représentant spécial de l'Union européenne pour le Sahel.
La séance est ouverte à seize heures trente.
Je suis très heureuse d'accueillir aujourd'hui le représentant spécial de l'Union européenne au Sahel, Angel Losada, pour aborder un sujet hautement stratégique pour l'Afrique, pour ses voisins immédiats que sont les Etats membres de l'Union européenne et bien sûr pour la France. S'y jouent en effet la lutte contre le terrorisme et les trafics en tout genre, en termes de développement également, mais aussi de questions migratoires.
Votre nomination prouve par ailleurs, et je m'en félicite, que si le Sahel est stratégique pour la France, il l'est aussi pour l'ensemble de l'Europe. J'ai toujours eu à coeur de rappeler, dans l'exercice de mes précédentes fonctions, que lorsque la France intervient au Mali, elle le fait bien sûr au service des populations maliennes, des intérêts de notre pays, mais aussi de ceux l'Union européenne. Il est bon que l'Europe se tourne aussi vers son voisinage sud, et qu'elle ne regarde pas seulement à l'est.
Vous voyez ici un Parlement qui travaille, même au coeur de l'été, et qui ne ménage pas ses efforts pour que la France continue de préserver la sécurité de ses concitoyens, et les grands équilibres du monde.
Je suis très honoré de cette invitation et vous remercie de l'accueil chaleureux qui m'est réservé. Vous avez raison, Madame la Présidente, le Sahel est la frontière avancée de l'Europe, c'est la frontière de notre frontière, et la sécurité du continent européen dépend en grande partie de celle de la région qui nous occupe aujourd'hui. C'est le message que j'essaie de faire passer depuis ma prise de fonction.
Pour mémoire, le représentant spécial est nommé, aux termes de l'article 33 du Traité de l'Union européenne (TUE), par le Conseil de l'Union européenne sur proposition de la Haute représentante. Mon rôle est donc d'être au service des Etats membres et de la cohérence de leur action dans la région.
Avant toute chose, je souhaite remercier la France pour son engagement déterminant au Mali et plus largement au Sahel. Je salue notamment la décision prise par Emmanuel Macron le 2 juillet dernier d'avoir participé au sommet du G5 Sahel, mais surtout d'avoir lancé, le 13 juillet, l'Alliance pour le Sahel, initiative euro-franco-allemande, qui pourra compter, je tiens à le souligner, sur le plein soutien de l'Union européenne. Je souhaite enfin insister sur le rôle important que peuvent jouer les Parlements nationaux dans ce processus de stabilisation du Sahel.
Je vous propose d'axer mon propos autour de trois grandes questions : qu'est-ce que le Sahel ? Que fait l'Union européenne ? Quelles sont enfin les perspectives et les enjeux de notre action dans la zone ?
Qu'entend-on par Sahel pour commencer ? On peut dire qu'il s'agit aujourd'hui d'un polygone de crises. Crise sécuritaire, avec la crise en Libye, au Mali, et dans le bassin du lac Tchad ; cette crise triangulaire fait fleurir tous les trafics, de drogues, de personnes et d'armes. Crise de gouvernance, avec au Sahel des institutions faibles et marquées par la corruption. Crise climatique : la question cruciale de l'eau dans le bassin du lac Tchad nous le montre. Crise migratoire dont vous en connaissez la teneur. Crise démographique : je vous rappelle que le nombre d'enfants par femme est en moyenne de 7,6 enfants par femme au Nige : sa population va doubler en 18 ans. Enfin, une crise humanitaire qui s'annonce au lac Tchad.
Ceci étant dit, il y a pour moi trois Sahel. Le premier désigne le Sahel géographique, une région de 7500 km de long et 1000 km de large qui s'étend d'une côte à l'autre de l'Afrique et présente une uniformité climatique, politique, culturelle. Il y a ensuite le Sahel institutionnel, qui s'appuie sur une nouvelle organisation, le G5 Sahel, créé à l'initiative de la Mauritanie, du Niger, du Mali, du Tchad, et du Burkina Faso, et qui marque la volonté de traiter en commun les problèmes de la région. Enfin, il existe un Sahel géostratégique, dont les frontières excèdent celles des pays du G5 Sahel, car il englobe d'autres cercles. Par exemple, on peut estimer que la crise libyenne n'est pas sans répercussion sur le Sahel et inversement. De même, on peut considérer que des pays comme l'Algérie ou encore le Sénégal, sont d'une certaine manière des pays sahéliens, directement intéressés à la stabilité de la zone. S'y ajoutent les organisations internationales, comme la CDAO, l'Union africaine, qui ont leur mot à dire, de même que tous les pays d'Afrique occidentale et du Maghreb qui ont à voir avec la lutte contre le terrorisme ou les questions migratoires. Il est impossible d'isoler le Sahel dans le traitement des crises car il est pris dans cet environnement géostratégique plus vaste.
Que peut faire l'Union européenne et quels sont les instruments dont elle dispose ?
L'Union a une stratégie régionale et a noué un partenariat avec le G5 Sahel. La première est simple et repose sur deux piliers fondamentaux : la sécurité et le développement. Les deux sont liés. Il n'y a pas de sécurité sans développement et réciproquement. Parmi les 16 stratégies actuellement en cours sur la région, celle de l'Union européenne est la première à avoir été adoptée, en mars 2011, avant même la crise malienne, et elle a été d'emblée dirigée vers les pays qui sont maintenant ceux du G5. Sur cette base, l'Union européenne et ses États membres ont adopté un plan d'action régional dont les actions s'articulent selon quatre priorités.
Le plan d'action régional vise en premier lieu la lutte contre la radicalisation. Le concept lui-même est complexe et il ne faut pas assimiler la radicalisation au Sahel à celle que l'on a en Europe. Il faut tenir compte de ces différences.
Le plan vise en deuxième lieu la jeunesse. Compte tenu de la croissance démographique, c'est un élément fondamental. Il faut donc agir en direction de la jeunesse, avec un effet direct sur la radicalisation. C'est aussi un paramètre de la question migratoire. Il faut donc agir sur l'emploi et la création de richesses. La jeunesse est également une grande richesse, et elle peut être très positive tant pour les pays du Sahel que pour nous. La Haute Représentante a d'ailleurs lancé un grand nombre de projets en ce sens. Elle essaie d'établir un lien privilégié.
La troisième priorité concerne les migrations. Les migrations irrégulières sont l'une des grandes difficultés auxquelles nous devons faire face. Pour traiter l'ensemble des migrations, y compris les migrations régulières, on peut s'appuyer sur les résultats du sommet de La Valette entre l'Union européenne et les pays africains, et notamment la création du fonds fiduciaire. Il faut voir la question migratoire sous tous ses aspects, notamment ceux qui peuvent être positifs.
La gestion des frontières et la lutte contre les trafics constituent la quatrième priorité. C'est le domaine où le G5 a un rôle important à jouer, car l'un des principaux enjeux est la gestion transfrontalière. La création du G5 est un grand atout et je rends hommage à ceux qui ont contribué à sa création, notamment mon prédécesseur, M. Michel Dominique Reveyrand de Menthon. Le G5 a été reconnu par les Nations unies et nous l'avons soutenu pour qu'il soit reconnu, y compris dans son environnement régional, comme un interlocuteur sur les questions de sécurité et de développement auxquelles il faut faire face.
En regard de cette stratégie et du plan d'action régional, l'Union européenne dispose de plusieurs instruments.
Sur le plan institutionnel, il faut mentionner la Haute Représentante, qui est allée dix fois au Sahel, ce qui démontre l'intérêt qu'elle lui porte. Il y a également le bureau qui est auprès de moi, le Service d'action extérieure et aussi la Commission européenne.
Deux types d'institutions présentes sur place sont également très importantes.
Ce sont d'abord les missions de l'Union européenne dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Elles sont au nombre de trois, avec EUTM- Mali pour la formation militaire et les deux missions civiles EUCAP Sahel Mali et EUCAP Sahel Niger. Elles jouent un rôle fondamental.
Pour ce qui concerne les instruments financiers, il y a le Fonds européen de développement (FED), doté de 3,5 milliards d'euros pour les années 2014-2020, et le nouvel instrument qu'est le fonds fiduciaire que je viens de mentionner et qui est doté de 2,8 milliards d'euros, avec trois volets : l'un pour le Sahel, l'autre pour le Maghreb et le troisième pour la Corne de l'Afrique.
Le troisième instrument est le partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, et le G5. La Haute Représentante, et moi-même, assistons au Sommet, de même qu'à toutes les plates-formes ministérielles sur les questions de sécurité et de défense. Nous avons une feuille de route dans laquelle nous avons progressivement inscrit la question de la migration.
Au total, les fonds mobilisés pour l'ensemble de ces actions sont importants, avec plus 8 milliards d'euros si l'on ajoute aux fonds européens les financements de chacun des États membres, parmi lesquels la France et l'Allemagne.
En regard de ces instruments, quels sont donc les perspectives et les enjeux ?
Pour ce qui concerne les perspectives, il faut d'abord rappeler que le processus de paix au Mali avance, avec difficulté sans aucun doute, mais il avance. Aussi bien le gouvernement que les mouvements sont assis à la même table. Tant qu'il n'y aura pas de paix au Mali, il n'y aura pas de paix au Sahel. C'est une réalité absolue. Après la visite du président de la République, M. Emmanuel Macron, au Mali et après la signature ici à Paris de l'Alliance pour le Sahel, grâce à la France et à l'Allemagne, et aux pays membres de l'Union européenne, nous avons avancé, sur deux grands volets, la sécurité et le développement.
S'agissant du développement, l'Alliance est innovante et vient à point nommé. Nous avons besoin d'une meilleure utilisation des instruments actuels, avec notamment une contrepartie.
L'Alliance se fonde sur quatre piliers. D'abord, elle essaie de bien identifier les secteurs sur lesquels agir. Ensuite, elle se fonde sur la redevabilité réciproque, de manière à être capable d'agir conjointement. C'est une certaine remise en cause de la perspective traditionnelle de l'aide au développement. Par ailleurs, est prévue la recherche de nouvelles modalités de mise en oeuvre. Le cas du fonds fiduciaire rappelle les changements à opérer. Pour faire face à une situation d'urgence, des dotations ont été débloquées très rapidement, mais l'exécution ne suit pas et c'est là qu'il faut innover, pour être en mesure d'agir plus vite. C'est dès aujourd'hui qu'il faut trouver une solution pour l'emploi de ces millions de jeunes qui seront dans les prochaines décennies aux portes de l'Europe. Toute l'Union sera affectée, et pas seulement ceux de la rive nord de la Méditerranée. Enfin, la sécurité est également l'un des piliers de l'Alliance pour le Sahel. La France a joué un rôle essentiel en la matière avec l'opération Barkhane, et le sacrifice de ses soldats, que je tiens à saluer. J'ai eu l'occasion d'accompagner la mission et sans nul doute, sans elle, nous ne serions nulle part.
L'évolution du volet développement doit être mise en perspective avec celle du volet sécurité, qui est fondamental. On a parfois critiqué le G5, mais il a créé une structure de sécurité avec plusieurs instruments, dont le collège sahélien de sécurité, un collège de défense et surtout la force conjointe. Je considère comme très positif que les cinq pays parmi les plus pauvres du monde aient voulu la mettre sur pied en si peu de temps. Ils ont voulu la mettre en place en novembre 2015 et nous avons dès maintenant un concept d'opération qui a été approuvé par l'Union africaine et salué par les Nations unies. Cette forte conjointe est très importante, car elle a quatre objectifs.
Le premier objectif est la lutte contre le terrorisme, ce que seule l'opération Barkhane faisait pour l'instant dans la région, et aussi la lutte contre les trafics de personnes et de biens, dont le trafic de drogue.
Le deuxième objectif est le rétablissement de la présence de l'État, absent de territoires entiers au Sahel et, ce qui se produit maintenant, au centre Mali. Les services de base de l'État n'y ont plus délivrés. Il faut rétablir une présence. Le vide de l'État est l'oxygène du terrorisme.
Le troisième objectif, à la jonction de la sécurité et du développement, est de contribuer au bon déroulement des opérations humanitaires et d'aide à la population, par exemple en accompagnant des convois.
Le quatrième objectif est de participer aux activités de développement dans la région. Ce peut être par exemple la sécurisation d'une construction de route, comme c'était déjà le cas pour celle de Tombouctou, ou celle des projets conduits par les organisations non gouvernementales (ONG).
La force conjointe est bien réelle. Les pays veulent la mettre en oeuvre et elle part d'un existant, car Barkhane a déjà recouru aux opérations conjointes pour que les États puissent contrôler leurs frontières.
Je concluerai en évoquant trois enjeux majeurs. D'abord celui du financement. L'argent est disponible, en provenance de l'Union européenne et des pays. Il faut saluer l'initiative franco-allemande récente. Cependant, il y a aussi le risque que ne se développe une forme de fatigue des donateurs à laquelle nous devons faire attention. S'agissant de la force conjointe, la Haute représentante a annoncé une contribution de 50 millions d'euros à travers la Facilité pour la paix en Afrique. Il faut bien sûr poursuivre dans cette voie, en évitant certains écueils. L'Union avait déjà débloqué 50 millions au profit de la force multinationale luttant contre Boko-Haram dans le bassin du lac Tchad, mais cet argent n'a toujours pas été décaissé pour des raisons administratives.
Deuxième enjeu, la coordination. Il y a beaucoup d'acteurs internationaux présents dans le Sahel, de la MINUSMA à Barkhane : cela représente seize stratégies différentes. Je compte m'employer à essayer de mieux coordonner toutes ces actions.
Enfin, l'enjeu de l'appropriation. S'il n'y a pas appropriation des politiques par nos partenaires, nous ne pourrons pas aller de l'avant. Comme le disait la Haute représentante, nous sommes dans un partenariat, nous ne travaillons pas pour l'Afrique, mais avec l'Afrique.
La dernière fois que j'ai vu M. Losada, j'étais le représentant spécial au nom de la France rencontrant le représentant spécial au nom de l'Union européenne. Je remercie l'Union européenne pour son action. Nous avons en France une longue histoire émotionnelle avec le Sahel, mais devons être conscient que ce n'est pas le cas de l'Europe, qui l'a longtemps perçu comme une zone peu développée que l'on pouvait en quelque sorte sous-traiter à la France avec un peu d'argent du Fonds européen de développement (FED). Évidemment, le terrorisme et les migrations ont imposé un changement de perception en Europe, tandis que les réponses apportées par la France en termes de développement et militaires n'ont plus la capacité à être globales. Depuis plus de deux ans, l'Union s'implique donc fortement : il n'y a pas beaucoup de précédent à la réception d'un chef d'État du Sahel par cinq membres du Conseil européen pour l'assurer de leur soutien ou à un redéploiement de fonds aussi massif que les 1,4 milliard d'euros alloués en aide d'urgence.
En effet, la pression est forte, en particulier sur les questions migratoires. Les pays du Sahel s'efforcent de maîtriser ces problèmes, notamment le Niger. Pourtant, les flux de migrants qui meurent dans le désert ou en Méditerranée continuent à augmenter. Dans ce contexte, la première question est celle des critères d'appréciation de la réussite de sa politique que retiendra l'Union européenne. Comment être sûr que l'argent est bien utilisé ? Comment éviter que l'Union ne soit tentée de remettre en cause ses financements ?
Deuxième question, le défi opérationnel. La présence de l'Union européenne sur le terrain s'est longtemps résumée à la présence française et, encore aujourd'hui, 30 %, voire 40 % ou 50 % de l'aide européenne transite par les opérateurs français : comment faire pour que ceux-ci soient perçus comme des opérateurs européens légitimes ?
Enfin, les enjeux financiers. Les pays du Sahel ont été obligés de porter leurs dépenses de sécurité de 3 % à 10 % du PIB, ce qui s'est fait aux dépens des budgets sociaux. Nos efforts d'aide au développement ne suffisent pas à compenser cette évolution. On constate un recul de l'État de droit ; on voit les relais GSM détruits les uns après les autres pour isoler les populations ; la zone couvrant le centre du mali, le nord du Burkina Faso et l'ouest du Niger est en train de vivre la même évolution négative que le nord du Mali il y a quelques années. Dans ce contexte, l'annonce de 50 millions d'aide européenne au renforcement de la sécurité n'est pas suffisante. On sait qu'il faut quelques dizaines de millions pour aider des troupes africaines à se former, quelques centaines de millions pour financer une opération de maintien de la paix, des milliards pour couvrir l'opération Barkhane. On voit donc ce qu'il faudrait faire, mais les instruments européens ne sont pas adaptés : le FED ne peut pas financer ce genre d'actions, la Facilité pour la paix a des moyens limités… Quelles conséquences tirez-vous, dans le cadre des réflexions « post-Cotonou », de la leçon que nous prenons au Sahel ?
S'agissant des migrations, des résultats sont obtenus. La mission européenne au Niger a ainsi été déconcentrée à Agadez, ville-symbole des flux migratoires dans la zone, et cela a amené une réduction de ces flux. L'action de l'Union a donc des effets directs et nous développons aussi un dialogue direct avec les États de la région, même si c'est une question très délicate car les envois d'argent des migrants sont une source fondamentale de revenus.
Le financement est un autre défi. Au Niger, le programme « Les Nigériens nourrissent les Nigériens » a ainsi dû être réduit de 30 %. Cependant, l'Union européenne fait face. Elle vient par exemple d'annoncer 100 millions d'aide budgétaire directe au Tchad, ce qui n'est pas négligeable quand l'on sait la pratique antérieure. Le Fonds fiduciaire contribue également ; il finance ainsi le Collège sahélien de sécurité. Il reste des besoins considérables : le lancement de la force conjointe du G5 Sahel exige un financement estimé à 400 millions d'euros ; or, pour le moment, l'Union a donc annoncé 50 millions d'aide, la France, 8 millions, et les cinq pays eux-mêmes une mise de fonds de 50 millions.
Il y a cinq ans, les Sahéliens étaient peu présents parmi les migrants ; maintenant ils sont très nombreux. Comme ils parlent français, ils sont en outre particulièrement attirés par la France et l'on peut craindre que les flux ne s'accentuent encore. Le Sahel va devenir un problème migratoire majeur pour notre pays.
Il y a donc quelque chose qui ne va pas dans nos politiques, même si je ne doute pas de la bonne volonté de l'Union européenne. Comme les financements alloués sont importants, je m'interroge sur la manière dont ils sont distribués. Est-on sûr qu'il n'y a pas de corruption ? Quels sont les contrôles effectués ? Comment sont mesurés les résultats ?
Se pose aussi la question des filières de la drogue, qui ne relèvent pas à proprement parler des politiques de sécurité ni de développement. Que fait-on pour les maîtriser ?
Les migrations sont une constante dans la région mais 90 % de ces migrations se faisaient traditionnellement à l'intérieur de l'Afrique, avec en particulier un grand nombre de Maliens et de Nigérians qui allaient travailler en Libye. C'est pourquoi la crise libyenne est au coeur du problème. La majorité des migrants vient aujourd'hui du Nigéria avec la volonté de rejoindre le Royaume-Uni. Il faut donc résoudre la crise libyenne. J'ai moi-même été envoyé du Gouvernement espagnol dans le processus de paix en Libye et je puis vous dire que nous ne sommes pas très bien partis. Et le problème majeur auxquels nous sommes confrontés, qui ira croissant dans les vingt prochaines années, est la question démographique. C'est pourquoi nous devons agir vite et bien.
S'agissant du contrôle des financements alloués, nous sommes face à la difficulté de concilier ces nécessaires contrôles avec l'impératif d'agir dans l'urgence et avec agilité. Tous les opérateurs sont de fait soumis à des contrôles très lourds, qui sont d'ailleurs critiqués par les pays africains, lesquels manifestent une certaine impatiente et nous demandent où est l'argent. Il nous faut donc mettre en place des solutions innovantes, comme l'a suggéré le Président Macron le 13 juillet.
Dans le cadre de la remise en ordre politique du Mali prévue par les accords d'Alger, il était prévu d'établir un grand nombre de structures très locales, en particulier des comités locaux et d'aller vers une plus grande régionalisation. Deux ans après la signature de l'accord, ces structures, qui pourraient être un outil extrêmement important de réappropriation, sont-elles mises en place, suivies et contrôlées par des instances internationales ?
Effectivement, les accords d'Alger prévoyaient l'établissement d'autorités intérimaires afin de rétablir l'autorité de l'Etat, en particulier dans le Nord. Il y a désormais cinq régions différentes avec leurs chefs de partis et une nouvelle structure administrative. Il devait également y avoir un Sénat. Le référendum qui devait se tenir à ce sujet a été interrompu en raison des problèmes soulevés par la révision de la Constitution. Malgré tout, le processus de paix a avancé puisque les autorités intérimaires sont désormais établies et que le pays a progressé vers plus de décentralisation. Les choses ne vont pas aussi vite que nous l'espérions mais elles vont malgré tout plus vite que nous le craignions. L'accord de paix prévoyait également un volet relatif au développement qui n'a pas pu être mis en place. Le Gouvernement dit ne pas pouvoir avancer dans la décentralisation en l'absence de sécurité et les mouvements armés disent ne pas avancer sur le terrain de la sécurité en l'absence de décentralisation suffisante. Le changement de Premier ministre, l'implication très forte du Président Ibrahim Boubacar Keïta, la participation du Président de la République française et l'intervention de la Haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité au comité de suivi de l'accord ont donné un nouvel élan au processus de paix. Il y aura d'ailleurs très prochainement un nouveau comité de suivi de l'accord qui permettra de refaire le point.
Je souhaiterais saluer le travail remarquable de l'opération Barkhane mais nous avons conscience qu'elle ne peut à elle seule sécuriser 5 700 km de frontière. Pouvez-vous nous éclairer davantage sur les relations entre le G5 d'une part et l'Algérie et le Maroc d'autre part, enjeu majeur pour la protection des frontières ?
Mon mandat prévoit effectivement l'établissement d'une relation entre l'Europe, le Maghreb et le Sahel, portant en particulier sur les relations économiques et les trafics. Le Maroc a adopté un nouveau positionnement puisque, comme vous le savez, il fait à nouveau partie de l'Union africaine et aspire à être membre de la CÉDÉAO. L'Algérie a son propre positionnement. Les deux pays devraient jouer ensemble le même jeu. Nous y oeuvrons. A cet égard, je me suis entretenu récemment avec le ministre algérien des affaires maghrébines, de l'Union africaine et de la Ligue des Etats arabes.
La création du G5 est une initiative du président mauritanien, qui n'a pas été comprise par tout le monde au début mais qui a finalement été acceptée par les Nations Unies, lesquelles ont d'ailleurs créé une antenne à Nouakchott auprès du secrétariat permanent du Bureau des Nations Unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel (UNOWAS). La reconnaissance par les Nations Unies du G5 lui a permis d'avancer. En outre, le nouveau Président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki, ancien ministre des affaires étrangères du Tchad, est très impliqué et a par exemple permis que le concept d'opération du G5 soit immédiatement approuvé par l'Union africaine dont l'Algérie et le Maroc sont membres. Nous sommes donc dans un processus complexe mais qui avance.
Merci pour les paroles aimables et laudatrices que vous avez eues sur l'action de la France, en particulier celle du Président Macron mais je me permets de rappeler l'action salvatrice et déterminante du Président Hollande, à la demande d'un pays souverain avec le soutien des Nations Unies. Cependant, comme vous le savez, au Sahel, la France donne son sang et l'on pourrait avoir l'impression que l'Europe n'est pas assez active sur le terrain de la sécurité. Vous évoquez souvent le duo que forment le développement et la sécurité. Or, le développement n'est pas possible sans la sécurité. Nous sommes en train d'essayer de faire rentrer le budget de la sécurité dans une chaussure étroite de 3 % en le réduisant de 850 millions d'euros. Ne pensez-vous pas qu'une part des 8 milliards d'euros de l'Union européenne pourrait être dévolue à la sécurité plutôt qu'au développement ? Vous avez évoqué une mission PSDC de formation militaire mais elle est d'une portée réduite. Quels sont les pays qui y participent ? Et ne pourrait-on pas, au niveau européen, considérer que les efforts de la France dans cette opération de sécurisation mondiale et européenne pourraient être davantage pris en compte dans le cadre des équilibres budgétaires et de l'application de la règle des 3 % en particulier ?
L'effort de la France est reconnu. Sans l'action de Serval et Barkhane, ce serait un château de cartes. C'est pour cela que le G5 est important car il peut nous permettre, si les dirigeants contrôlent leur territoire, de trouver une voie de sortie pour nous tous.
Pour l'instant, nous devons au contraire renforcer notre présence et l'Union européenne le fait, à travers un processus de régionalisation de nos missions. Par exemple, la mission ETM Mali a ainsi formé 70% de l'armée malienne. L'Espagne, avec 130 militaires, et la Belgique jouent un rôle important. Le prochain commandant d'ETM Mali sera un Espagnol. Le consensus au sein de l'Union européenne est de plus en plus fort et une de nos tâches est de sensibiliser sur notre présence pour pouvoir nous retirer en beauté.
Si vous sécurisez une zone sans faire de développement l'insécurité vient cinq minutes après.
Quant au terrorisme, il y en a plusieurs sortes, et ils sont eux aussi en train de faire leur régionalisation. Un regroupement des trois plus importants groupes terroristes de la bande sahélienne vient ainsi d'avoir lieu. Ce terrorisme est souvent difficile à combattre. Un membre de mon équipe a failli être tué à Bamako. C'est un combat asymétrique, mais les effets sont dévastateurs.
Pour contrôler tout cela, le développement vient après le sécuritaire mais est crucial. Il est nécessaire de donner une opportunité à tous ces jeunes. Ce débat monte en puissance en Europe.
Je me permets d'ajouter qu'il y a une prise de conscience dans l'Union européenne d'une solidarité dans ce domaine, peut-être même budgétaire. Mais il important que la France puisse continuer d'agir indépendamment. Ce sont deux objectifs à concilier.
Dans les quartiers du Havre, les jeunes me disent avoir besoin d'un emploi plutôt que de patrouilles de policiers, car l'oisiveté engendre des comportements irrationnels.
En Afrique, c'est la même chose. Des associations de femmes rencontrées à Bamako m'ont expliqué qu'elles demandaient à leur premier fils de partir vers l'Europe car c'est le seul moyen d'assurer la survie de la famille.
La question de l'aide au développement et de la puissance économique se pose donc pour moi avant la question militaire. Je crois même que le sous-développement est une des causes premières du terrorisme.
Or, à aucun moment de votre exposé, néanmoins très riche, vous n'avez exposé la richesse du sol de ces pays, comme l'uranium, abondant dans le Sahel, dont profite Areva. Mais ces pays en profitent-ils ? Comment les accompagner dans leur exploitation pour qu'ils puissent en profiter, en termes d'emplois comme de progression de leur produit intérieur brut ? J'ai eu le sentiment que la première intervention militaire française dans le Sahel visait à protéger les mines. On a mis en effet beaucoup moins de temps à aller dans le Sahel qu'à descendre jusqu'à Bamako, où une crise avait lieu.
Le terrorisme ne doit pas être une excuse pour mettre la main sur l'Afrique et retomber dans la Françafrique.
Je trouve aussi qu'on devrait analyser, et même juger, les décisions politiques et leurs conséquences. Il en va ainsi de la décision d'intervenir en Libye, avec l'argument de l'intervention humanitaire, ce qu'on l'ingérence humanitaire, un concept qu'un ancien ministre des Affaires étrangères avait développé, peut-être avec de bonnes intentions. Quand on en voit les conséquences, par exemple en termes de parachutages d'armes dont on ne sait pas qui va s'en saisir, je me dis qu'on devrait, à l'échelle de l'Union européenne, avoir une forme d'autocontrôle.
J'ai connu la Libye et j'en ai discuté avec les Tunisiens qui rêvaient du niveau de vie de ce pays. Les Maliens rêvaient d'aller y faire leurs études. C'est cela qui fait que nous faisons face aujourd'hui à une déstabilisation.
On a peut-être raison de penser qu'il y a nécessité à intervenir dans certains cas, mais il faut que ces interventions soient ponctuelles et visent simplement à sauver des vies, et on ne doit pas aller jusqu'à tuer des chefs d'État comme on l'a fait avec Saddam Hussein ou Kadhafi. Je n'ai aucune sympathie pour ces deux individus, mais les conséquences de ces interventions appellent une analyse approfondie.
Je plaide donc encore et toujours en faveur de l'accompagnement économique et l'aide au développement. Tous les militants de la paix ou de la solidarité internationale savent que la coopération décentralisée est d'une efficacité redoutable, parce qu'il y a un autocontrôle. Or, cette aide est en diminution, bien qu'il y ait des résultats.
Je retiens trois points.
J'essaye d'avoir toujours une vision positive de la situation. Dans le Sahel, il y a également des opportunités et le président Ibrahim Boubacar Keïta mentionnait à la Haute Représentante que le haut delta du Niger est une zone très riche pour l'agriculture, qu'ils sont en train de développer pour pouvoir nourrir la population.
Le deuxième aspect est la sécurité. Pour que les communes puissent mettre en oeuvre des projets de coopération décentralisée quelque part, il faut que la sécurité y soit garantie. Je suis allé en Afghanistan où j'ai assisté à la mise en place d'une coopération entre les militaires et la coopération espagnols, pour que le développement puisse avoir lieu dans la sécurité.
Je comprends ce que vous dites mais la sécurité est de toute façon fondamentale. Personne ne peut aller sur place si sa vie n'est pas garantie.
Mais je partage cette vision positive de cette région. La situation n'est pas catastrophique et il faut encourager les Sahéliens qui travaillent beaucoup, alors que nous parlons de pays parmi les plus pauvres du monde. Le PIB de ces cinq pays est de seulement cinquante milliards d'euros. Vous imaginez leur besoin financier.
Vous avez parlé de beaucoup de choses, je voudrais quelques éléments plus précis sur les plans d'action que vous allez mettre en place, pour voir quel impact auront notre intervention et celle de l'Union européenne sur la sécurité, la gouvernance, l'économie. Avez-vous un plan d'action ?
Deuxième question, avez-vous un scénario noir ? On sait qu'en 2050, la moitié de la population du Niger aura moins de 20 ans. On voit que c'est aussi dans cette bande que les effets du réchauffement climatique seront le plus importants.
Un des piliers de l'alliance pour le Sahel du 13 juillet 2017 est la coordination renforcée sur l'ensemble des secteurs clefs, comme l'augmentation des ressources dédiées à la sécurité, mais également la stabilisation à court terme et l'augmentation des investissements dans la région pour produire des changements visibles mais surtout mesurables à court terme au niveau local.
Ces changements devront intervenir dans l'emploi des jeunes, le développement rural, le climat, l'accès à l'énergie verte et l'eau, la gouvernance et l'appui à un retour des services de base sur l'ensemble des territoires, y compris au travers de la décentralisation.
Est-ce qu'il va y avoir une évaluation indépendante et régulière, notamment pour accroître les investissements du secteur privé, afin que les jeunes échappent aux sirènes jihadistes et ne meurent pas en essayant d'atteindre l'Europe.
Le scénario devant nous n'est pas blanc. Nous avons un plan d'action, celui que j'ai décrit tout à l'heure avec quatre voies d'action.
La question du réchauffement est certes importante et la population du Sahel, notamment touareg, est clairement affectée par ce problème.
Aller au-delà des instruments que nous avons développés est cependant difficile.
Concernant un processus d'évaluation, ce texte a été signé le 13 juillet. Il doit y avoir une coresponsabilité, et celle-ci vient du fait que les pays destinataires mettent sur la table leurs propres biens. Je reviens donc à l'importance de l'appropriation. C'est à eux de nous dire quels sont leurs besoins.
Pour les instruments d'évaluation et leur fonctionnement, les choses sont encore récentes. Nous avons ainsi eu un débat sur les moyens de faire fonctionner l'assemblée pour le Sahel.
Ma question concerne la stratégie économique. Concernant le volume en termes financiers, connaissez-vous la répartition entre sécurité et développement économique ? Quelle est la stratégie économique de l'Union européenne dans cette région ? Comment se décline-t-elle pays par pays, chaque pays ayant se spécificité propre ? Il faut en effet une vraie stratégie économique. La question démographique, par exemple, n'est pas une crise en soi. La démographie est une donnée neutre mais peut être une bombe s'il n'existe pas de stratégie appropriée.
Concernant l'appropriation, il ne peut y en avoir que si les institutions ont une capacité d'absorption suffisante. Comment fait-on pour l'améliorer ?
J'ai deux interrogations.
Sur le développement économique, est-ce qu'une réflexion est née sur l'efficience des politiques de développement telles que nous les connaissons, et des circuits économiques mis en place depuis des années dont on voit les limites ? Ce sont des circuits publics complexes qui manquent d'efficacité sur le terrain, alors que c'est en agissant directement avec les entreprises qu'on peut être efficace. Est-ce qu'il y a de votre côté une réflexion sur les moyens de les mobiliser, ce qui impliquerait non pas nécessairement des aides directes, mais plutôt des incitations fiscales ?
La seconde : j'aimerais vous entendre à nouveau sur la Libye. C'est un point de fragilité majeur. Si elle s'effondre, tous nos efforts au Sahel seront vains. J'aimerais donc vous entendre à nouveau sur la stratégie de l'Union européenne vis-à-vis de ce pays, et peut-être aussi le rôle de l'Égypte.
Sur la sécurité et le développement, on a environ 3,5 milliards de l'Union européenne à travers le FED, 2,8 milliard du Fonds fiduciaire, et 8 milliards en tout, en comptant les contributions des États membres.
L'Union Européenne a des limitations dans le domaine sécuritaire du fait des traités. Il y a un débat aujourd'hui sur le « train and equip », c'est-à-dire sur les moyens de fournir des équipements non létaux et de contribuer, par exemple par la formation, aux politiques de sécurité.
Ces limitations sont de plus en plus difficiles en raison de l'importance croissante de l'aspect sécuritaire, bien qu'il aille de pair avec le développement.
On peut citer l'exemple du Fonds fiduciaire. Au début, il servait à financer le Fonds d'Action régionale de l'Union européenne pour le Sahel. Il y a alors eu la terrible crise migratoire et d'un seul coup, le Fonds fiduciaire s'est concentré surtout sur l'aspect migratoire.
On ne sait pas encore combien de gens meurent dans le désert. Ces gens sont abandonnés et nous demandons aux autorités locales de prendre des mesures, ce que fait par exemple le Niger.
Il est donc de plus en plus difficile de différencier ces deux aspects. L'aspect sécuritaire est en train de s'associer de plus en plus étroitement à l'aspect développement.
Concernant la Libye, elle n'est pas dans mon mandat mais il est vrai qu'elle est la clef de voûte de ces situations. Tant qu'on n'aura pas trouvé une solution dans ce pays, la situation dans le Sahel sera fragilisée.
Le problème migratoire est dû au fait qu'il y a pratiquement une autoroute, mais à péages, du fait de l'activité des groupes armés, entre le Sahel et la Méditerranée. Tant que nous n'aurons pas d'interlocuteur fiable de l'autre côté, nous aurons ce problème.
Le G5 travaille cependant sur la question des frontières intérieures et l'Union européenne cherche à faire en sorte que la frontière Sud de la Libye rentre dans ce processus, en travaillant notamment avec le Tchad et le Niger. Le Mali, pays d'origine et de transit, est aussi conscient du problème.
Quant à l'Egypte, il est intéressant de noter qu'elle assiste parfois comme observateur aux réunions des ministres de la défense du G5.
Je souhaite évoquer ce beau projet qu'est la grande muraille verte, conçu en partenariat avec l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Il vise à agir sur l'une des causes des migrations en luttant contre l'avancée du désert, grâce à une politique de gestion durable des terres. Ce projet a été adopté en 2005 par les chefs d'Etat de de gouvernement des onze pays concernés, de la Mauritanie à l'Erythrée, et endossé par l'Union Africaine. Ne pensez-vous pas que ce projet soit une partie importante de la solution au problème des migrations et une réponse efficiente aux enjeux environnementaux et climatiques ? Si oui, un accompagnement européen ne serait-il pas justifié, et de nature à créer de l'emploi durable et un niveau de vie honnête pour les populations de cette région ? C'est là le vrai enjeu des migrations, et le temps presse.
J'ai noté votre grande sensibilité à la situation du Nigéria, que justifie votre expérience en tant qu'ambassadeur dans ce pays. A partir du Nigéria, Boko Haram a déstabilisé les pays environnants que sont le Niger, le Tchad et le Cameroun. Certes, ce pays est sous la bande sahélienne, mais nous ne pouvons pas l'ignorer : sa démographie et ses ressources en font un acteur incontournable dans cette région. Quelle action préconisez-vous à cet égard ? Nous savons par ailleurs que la problématique du terrorisme et celle de la gestion de l'eau sont très liées dans cette zone, avec l'assèchement du lac Tchad. Comment l'Europe pourrait-elle apporter un soutien au projet transaqua, qui vise à drainer de l'eau à partir des affluents du fleuve Congo vers le lac Tchad, mais qui s'est toujours pas concrétisé depuis les années 1980 ? Cela règlerait pourtant beaucoup de problèmes…
La grande muraille verte est un projet très important sur lequel il faut avancer : dans le delta du Niger, on pourrait produire pour tout le Sahel ! En général, l'Union européenne travaille en étroite collaboration avec l'OIM, notamment à Agadez, au Niger, où les deux institutions gèrent conjointement les retours volontaires.
J'ai été pendant cinq ans ambassadeur d'Espagne au Nigéria. C'est effectivement, avec ses 190 millions d'habitants, un pays clé dans la région. C'est la première puissance économique, mais c'est aussi la principale origine des migrations.
Le National security adviser me disait encore récemment qu'il fallait remettre de l'eau dans le lac Tchad, qui a perdu 90% de son volume. Mais cette vision n'est pas partagée par tous : l'assèchement du lac libère des terres très fertiles pour l'agriculture.
Boko Haram a eu des effets dévastateurs dans la région, de tous points de vue : économique, social, etc. Ses capacités ont néanmoins été fortement amoindries grâce à une action concertée des pays concernés réunis au sein de la Force multinationale mixte (FMM), sous l'égide du Nigéria. Cette force a servi d'exemple à la force du G5 Sahel, qui est très bien acceptée par le Nigéria.
A vous entendre, j'ai l'impression qu'il existe deux Sahel : les cinq pays du G5 d'un côté, l'Erythrée et le Soudan de l'autre. Cette séparation est-elle voulue ou induite ? On sait que le Soudan peut être une terre de repli pour les organisations djihadistes ; je pense notamment à ce ressortissant français qui avait été transféré du Tchad vers le Soudan. Par ailleurs, j'ai bien entendu que vous preniez en considération la problématique des migrations. En tant que député du calaisis, je ne peux que constater la transformation des migrations qui s'est opérée depuis deux ans : auparavant, les migrants venaient majoritairement du Moyen-Orient, souvent de Syrie ou d'Afghanistan. Aujourd'hui, ils viennent exclusivement d'Afrique subsaharienne, principalement du Soudan et de l'Erythrée. Je me demande donc s'il ne serait pas judicieux de mieux intégrer ces pays de la frange orientale dans la stratégie Sahel de l'Union européenne, ce qui permettrait peut-être de traiter plus efficacement la question migratoire.
J'ai constaté que plusieurs pays du Sahel avaient rappelé leur ambassadeur du Qatar, conséquence de la crise qui oppose ce pays à l'Arabie Saoudite. Est-ce le signe que l'Arabie Saoudite exerce une forte emprise sur ces pays ? L'Union européenne est-elle attentive à cette question ?
La scission géographique opérée, au sein de l'Union européenne, entre les pays du G5 Sahel d'un côté, le Soudan et l'Erythrée de l'autre, ne relève pas de mon choix, mais résulte d'une répartition des tâches sur laquelle je n'ai pas de prise. Vous avez pourtant raison : le Tchad a des liens très forts avec le Soudan, un pays sahélien du point de vue géographique, mais aussi avec la République centrafricaine. Cela dit, le fonds fiduciaire de l'Union européenne, qui s'adresse à la fois aux pays du Maghreb, du Sahel et de la Corne de l'Afrique, aborde conjointement la problématique migratoire sur ces zones géographiques. En outre, je travaille en relation étroite avec le représentant spécial de l'Union européenne pour la Corne de l'Afrique, M. Alexander Rondos. Il est envisagé de de mettre en place, dans la Corne de l'Afrique, une stratégie parallèle à celle que nous entreprenons avec le G5 Sahel, ce qui permettrait d'avoir vraiment une approche globale. Mais cette question dépasse ma compétence.
La question des relations du Golfe avec les pays du Sahel est éminemment politique. J'ai pu constater cela de près, ayant officié pendant trois ans comme ambassadeur d'Espagne au Koweït. Les pays du Golfe sont préoccupés par l'explosion démographique du Sahel, qui risque de rendre dominant l'islam de rite malékite, majoritairement pratiqué dans cette région, et jugé non conforme par les pays du Golfe, qui pratiquent l'islam wahhabite. Nous devons analyser de qui est en train de se passer à l'aune de cette grille de lecture, mais cela dépasse également ma compétence.
La démographie des pays du Sahel pourrait bien constituer une « bombe à retardement ». Pensez-vous que les chefs d'Etat de ces pays en sont conscients ? Est-il concevable, vis-à-vis des populations locales, d'introduire un contrôle de la natalité ? L'Union européenne a-t-elle une action spécifique à cet effet ?
Je vous remercie pour votre exposé et vous félicite pour la qualité époustouflante de votre expression en français. Nous avons peu parlé d'agriculture. Pourtant, dans le monde, ce secteur emploie 42 à 43% des actifs, soit 1,4 milliards de personnes. 500 millions d'entre elles travaillent en agriculture manuelle, sans engrais, sans semence améliorée, sans produit de protection des plantes. On les trouve essentiellement en Afrique et dans la zone sahélienne. Ce sont les agriculteurs les plus pauvres du monde. Globalement, les agriculteurs représentent 80 % des affamés, alors que l'on compte 2 milliards de malnutris et un peu moins d'un milliard de personnes souffrant de sous-alimentation, que l'on trouve aussi principalement dans cette zone. On ne peut donc pas parler de développement économique et espérer stopper les migrations sans développement agricole. Dans cette zone, on produit en moyenne 1 tonne par agriculteur et par an. Ces personnes sont obligées de migrer et de s'entasser dans des camps de réfugiés. Elles sont directement en concurrence avec des bandes armées et avec des cultivateurs qui produisent 2 000 tonnes par an, ce qui correspond à la moyenne mondiale. Aussi, il me semble que votre action au Sahel, qui est essentielle de tous points de vue – humain, éthique, économique, géostratégique – entre directement en contradiction avec les négociations commerciales conduites par l'Union européenne. L'Union est la meilleure élève des négociations internationales commerciales lorsqu'il s'agit de démanteler les protections douanières. Or, cette action frappe de plein fouet les paysanneries les plus pauvres, ce qui affecte grandement les populations du Sahel, dont 60 à 80 % dépendent des revenus de l'agriculture. Comment assurez-vous la cohérence entre votre action et celle de l'Union européenne dans les négociations internationales ? Entretenez-vous des relations étroites avec les commissaires européens sur ce sujet ?
J'avais participé, il y a quelques années, à des missions de la Banque mondiale au Niger et au Mali, avant que le problème terroriste n'y prenne l'ampleur qu'on lui connait aujourd'hui. Pouvez-vous me dire quelles sont aujourd'hui les actions conduites par cette institution, avec laquelle vous devez être amené à travailler, dans les pays du Sahel ?
La démographie est en effet un sujet très délicat car il touche à la culture de ces pays. Il est pourtant inévitable. On observe une grande différence entre les milieux rural et urbain. Dans les campagnes, la polygamie est généralisée ; les enfants sont une richesse, et certaines enquêtes révèlent qu'au Niger, les hommes veulent onze enfants en moyenne, quand les femmes en veulent sept. La moyenne s'établit à 7,6. Les dirigeants des pays du Sahel sont conscients du fossé qui se crée entre l'accroissement exponentiel de la population et l'accroissement de la richesse, qui ne peut être qu'arithmétique. Nous avons abordé cette question avec le Président Issoufou, qui l'a d'ailleurs introduite dans son programme, avec toute la subtilité qui s'impose. Nous continuerons à agir en ce sens, mais nous devons le faire avec beaucoup de tact.
Concernant l'agriculture, je ne dirais pas qu'il existe une contradiction avec la politique commerciale de l'Union, mais plutôt une tension, que l'on observe aussi, du reste, au sein de l'Union européenne. Par ailleurs, j'attire votre attention sur le fait que la France, l'Allemagne, la Banque mondiale, le PNUD et la Banque africaine de développement travaillent conjointement au sein de l'Alliance pour le Sahel. Des grands projets sont lancés, mais notre capacité d'action sera limitée sans le soutien du secteur privé. Cela nous ramène au problème sécuritaire. Le secteur privé est indispensable pour qu'émerge une classe moyenne, à même de créer de la richesse et d'apporter de la stabilité. En tout état de cause, il est certain que nous devons miser sur le potentiel agricole de la région.
Je pense qu'on observe actuellement une réorientation de la politique commerciale internationale. On revient progressivement des accords de libre-échange (ALE), considérant qu'il vaut mieux viser l'autosuffisance alimentaire de l'Afrique, plutôt que d'y exporter des produits alimentaires subventionnés qui ont d'ores et déjà détruit une bonne partie de l'agriculture familiale. Il nous faut la reconstruire. C'est dans ce sens que nous devons repenser nos politiques de développement ; elles doivent faciliter la création d'un potentiel de croissance et de développement durable. Il faut changer de paradigme, sortir de la logique de subvention et créer un partenariat avec les pays africains, au service du développement de l'Afrique.
Monsieur le Représentant spécial, je vous remercie pour cet échange nourri, passionnant et engagé, sur cette partie du monde qui est pour nous essentielle.
La séance est levée à dix-huit heures trente.
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Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 18 juillet 2017 à 16 h 30
Présents. - M. Frédéric Barbier, M. Hervé Berville, Mme Valérie Boyer, M. Pierre Cabaré, Mme Annie Chapelier, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Frédéric Descrozaille, M. Christophe Di Pompeo, M. Benjamin Dirx, Mme Laurence Dumont, M. Pierre-Henri Dumont, M. Michel Fanget, M. Bruno Fuchs, Mme Anne Genetet, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Claude Goasguen, M. Christian Hutin, M. Yves Jégo, M. Bruno Joncour, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Sonia Krimi, Mme Amal-Amélia Lakrafi, M. Jérôme Lambert, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, M. Maurice Leroy, M. Jacques Maire, Mme Jacqueline Maquet, M. Jean François Mbaye, M. Ludovic Mendes, Mme Monica Michel, M. Sébastien Nadot, M. Christophe Naegelen, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-François Portarrieu, Mme Isabelle Rauch, M. Bernard Reynès, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Marielle de Sarnez, M. Joachim Son-Forget, Mme Valérie Thomas
Excusés. - Mme Clémentine Autain, M. Moetai Brotherson, M. Olivier Dassault, M. Philippe Gomès, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, M. Mounir Mahjoubi, M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Michèle Tabarot
Etait également présente. - Mme Delphine O