Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Réunion du jeudi 25 mars 2021 à 12h00

Résumé de la réunion

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  • amortissement
  • délégataire
  • eaux
  • grenoble
  • régie
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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences

Jeudi 25 mars 2021

La séance est ouverte à douze heures.

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition de M. Jacques Tcheng, ancien directeur général de la société des eaux de Grenoble (1997 – 2001), ancien directeur général de la régie des eaux de Grenoble (2001 – 2016).

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Mes chers collègues, nous concluons notre matinée en auditionnant M. Jacques Tcheng, ancien directeur général de la société des eaux de Grenoble de 1997 à 2001 et ancien directeur général de la régie des eaux de Grenoble entre 2001 et 2016. Cette audition nous permettra de compléter l'exposé de M. Raymond Avrillier, ancien vice-président de la communauté d'agglomération grenobloise chargé de l'assainissement et des eaux pluviales, qui a eu lieu il y a deux semaines.

Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

M. Jacques Tcheng prête serment.

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Jacques Tcheng

Je vous remercie pour votre invitation. J'ai débuté ma carrière au ministère de l'Équipement et du logement, où j'ai rejoint l'inspection générale. J'ai ensuite occupé un poste de commissaire du gouvernement et j'ai été amené à traiter un certain nombre de dossiers, dont l'affaire des fausses factures du sud-est à Grenoble. J'y ai ensuite pris la direction générale de l'office local d'habitation à loyer modéré (HLM). Le maire qui a succédé à M. Alain Carignon m'a alors demandé de prendre en charge le complexe dossier de l'eau. Dans ce cadre, j'ai eu l'occasion d'expérimenter différents statuts.

En premier lieu, nous avons utilisé durant deux ans un statut de société d'économie mixte (SEM) afin de sortir de la délégation de service public sans devoir verser de colossales indemnités de rupture de contrat à la Lyonnaise des eaux. J'ai occupé la direction générale de cette SEM, qui était en réalité une structure très légère, puisque l'essentiel du personnel restait logé dans la Société grenobloise d'eau et d'assainissement (SGEA) une filiale de la Lyonnaise des eaux. Cette situation a duré six mois, le temps d'organiser la fusion absorption le cette filiale par la SEM.

Enfin, en janvier 2001, à l'initiative de Raymond Avrillier, nous avons transformé la SEM en SEM à majorité absolue, contrôlée à 66 % plus une voix par la ville de Grenoble, puis en régie à personnalité morale. Enfin, en 2014, avec la création de la métropole, en application du second volet de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », nous avons créé une société publique locale (SPL), qui a fusionné en janvier 2015 avec la SPL créée par le Syndicat intercommunal des eaux de la région grenobloise (SIERG), qui regroupait trente-trois communes, pour créer la SPL Eaux de Grenoble.

La création de cette structure a permis de disposer d'une plate-forme technique unique et de mieux mutualiser nos moyens. Cette structure a attiré dans les six mois suivant sa création de nombreuses petites communes confrontées à des difficultés. Au final, la SPL a regroupé soixante-trois communes.

J'apprécie le titre de votre commission d'enquête, qui constitue à la fois un constat et une question. Ce titre démontre la complexité politique, économique, écologique et sociétale de ce secteur, mais pose également la question de son organisation. En effet, si le modèle économique de l'eau est désormais connu, la réalité du terrain se caractérise par une grande diversité. Les acteurs institutionnels, ainsi que les 33 000 communautés organisatrices, agissent en effet dans un cadre réglementaire complexe, mais en l'absence d'une véritable régulation.

De ce fait, les usagers observent de multiples typologies de tarification. Une quarantaine d'autorités organisatrices ont ainsi pu expérimenter une tarification sociale, dont les résultats sont plus ou moins satisfaisants. En particulier, certains opérateurs privés ont fortement communiqué sur des dispositifs qui, transposés à Grenoble, auraient abouti à majorer les prix appliqués aux consommateurs les plus pauvres.

Par ailleurs, les 33 000 tarifs de l'eau différents appliqués en France se caractérisent par un écart compris entre un et dix selon l'Union fédérale des consommateurs (UFC) – Que Choisir mais sans doute plus important dans la réalité. Or la loi NOTRe incitait les métropoles qui étaient créée à harmoniser leur prix de l'eau dans un délai de cinq ans, renouvelable une fois. Cette règle ne concernait cependant pas la métropole du Grand Paris, ce qui traduit une conception étonnante du principe d'égalité des usagers devant le service public.

Le principe selon lequel l'eau paie l'eau connaît également des contradictions, puisque le budget des agences de l'eau est depuis 2015 ponctionné chaque année par l'État à hauteur de 500 millions d'euros. De la même manière, malgré le principe du pollueur payeur, les industriels et les agriculteurs paient à peine 15 % du montant des redevances collectées par les agences de l'eau. Ces éléments posent la question de la régulation du secteur.

Les intérêts privés sont en réalité présents à tous les niveaux. Concernant les points de captage à fin privé, la situation des producteurs d'eau minérale est spécifique. En revanche, l'intervention des intérêts privés en matière d'alimentation en eau potable est plus surprenante, puisque les collectivités organisatrices ont pour mission de porter l'intérêt général. En la matière, les rapports d'inspection successifs des chambres régionales des comptes et de la Cour des comptes pointent systématiquement des situations anormales, souvent reprises dans la presse, mais restent souvent sans effet.

Par ailleurs, les industriels formulent parfois des demandes particulières en matière d'usage de l'eau. Ainsi, en 1996, dans la vallée du Grésivaudan, la Silicon Valley française, les industriels ont demandé le doublement d'une conduite sur 30 kilomètres, un projet dont le coût était estimé à 30 millions d'euros. Le commissaire enquêteur avait formulé un avis favorable, expliquant qu'en l'absence d'un tel équipement, un industriel ne pourrait pas installer une seconde unité de production. Pour ma part, je considérais que les volumes mentionnés étaient surestimés et j'avais présenté un devis limité à 20 millions d'euros pour le même aménagement. Sur la base de mes arguments, le conseil général a refusé de se porter caution à l'emprunt nécessaire à la réalisation du projet. Ce dernier a été abandonné, et il est possible de se féliciter d'une telle économie, car il apparaît avec le recul qu'il a été possible à l'industriel de construire et de faire fonctionner sa seconde unité sans difficulté.

Cet exemple démontre combien les autorités organisatrices doivent être attentives. À ce titre, il me semble que les élus devraient bénéficier d'une formation spécifique, notamment en début de mandat, afin de se voir rappeler leurs responsabilités en matière de préservation de l'intérêt général et de modération de la facture des usagers. En effet, les intérêts privés se manifestent en effet autant dans le cadre d'une gestion directe que dans le cadre d'une gestion déléguée ou mixte.

À titre personnel, je milite pour la gestion directe, qui permet d'éviter les intermédiaires entre les élus et les usagers. Au contraire, la gestion déléguée ou mixte conduit à ériger deux paravents entre ces derniers. Le premier correspond aux équipes de l'opérateur privé. Le second correspond au contrat, un élément déterminant pour permettre au délégataire de créer de la valeur, mais aussi pour maîtriser les savoir-faire des équipes intervenant sur le terrain.

Enfin, je pense que la séance de questions-réponses me permettra d'évoquer les changements qu'il me semble nécessaire d'apporter au modèle économique général de l'eau en France.

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Je vous invite à développer votre propos concernant ce dernier sujet.

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Jacques Tcheng

Je milite pour un changement rapide du modèle de l'eau. Le nouveau modèle devrait être plus inclusif, alors que le dispositif actuel exclut les usagers de la gouvernance et de la fixation du prix de l'eau, qui connaît de fortes variations selon les territoires.

Le futur modèle devrait ensuite promouvoir la sobriété au niveau des investissements et la durabilité au niveau des achats. Or il est actuellement prévu d'investir entre un et deux milliards en Île-de-France pour traiter une eau de parfaite qualité selon la direction générale de la santé et l'agence régionale de la santé. Ces investissements, qui généreront des investissements complémentaires, des coûts d'entretien et qui devront être renouvelés dans une vingtaine d'années, me semblent excessifs au regard de la situation économique de la France. Or dans le même temps, le syndicat concerné a différé les travaux de renouvellement du réseau dans certaines zones du territoire du Grand Paris, alors que l'investissement induit était bien moins important.

Ces éléments démontrent un problème au niveau de la gestion des priorités. En effet, les investissements programmés permettront surtout aux majors de se doter d'une vitrine technologique au niveau mondial. Le syndicat concerné vient d'ailleurs de se doter d'une section internationale. Je m'interroge concernant la légitimité de ces ambitions, alors que l'intérêt public commande de desservir au mieux un territoire. Or les ressources alimentant le Grand Paris sont gérées de manière indépendante par les opérateurs. Pire, les opérateurs publics ont adopté des comportements inspirés par les opérateurs privés. Ces travers ont été sanctionnés par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui a prononcé des condamnations pour abus de pouvoir ou abus de position dominante. Malheureusement, ces pratiques commerciales et techniques se poursuivent, alors même que le rapport d'inspection du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) stipulait que les changements induits par la loi NOTRe ne devait pas provoquer d'entraves à la solidarité entre territoires et, surtout, ne pas générer des dépenses inutiles.

Enfin, en matière de gouvernance, il me semble que les statuts de la métropole du Grand Paris devraient être identiques à ceux des autres métropoles. Par ailleurs, la coordination des producteurs d'eau, en vue d'une utilisation sobre, raisonnable et organisée en cas de crise. En effet, alors que les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) démontrent clairement que Paris sera impacté par les variations climatiques, il est indispensable d'améliorer la coordination et la régulation. En la matière, il convient de respecter le principe de libre administration des collectivités locales, mais en évitant que son application s'oppose à un objectif de régulation acceptable par tous. En effet, aucun élément ne justifie qu'une famille pauvre parisienne paie son eau à un prix différent de celui appliqué à une famille pauvre grenobloise.

Ma dernière proposition concerne la mission d'appui du partenariat public-privé (MAPPP), qui a pour mission de rapprocher les intérêts privés et les intérêts des collectivités locales organisatrices, et qui dans les faits contribue à renforcer la force commerciale des grands groupes. Je propose pour ma part d'élargir les missions confiées à la MAPPP, qui dépend de la direction du Trésor, à l'appui aux partenariats public-public. En effet, au sein de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), j'ai participé à la création de France Eau Publique. Cette organisation, qui repose sur la solidarité entre collectivités, est très efficace. Cependant, elle repose sur le volontariat, alors que la MAPPP, qui bénéficie du travail de fonctionnaires de la direction du Trésor de qualité, soutient les intérêts privés.

Enfin, je considère que les sociétés publiques locales (SPL) constituent un modèle pour l'avenir. En effet, ces structures ne mobilisent pas de fonds privés et permettent aux petites collectivités locales, qui ne peuvent financer le recours à de l'ingénierie privée, de porter des projets cohérents. La seule contrainte est que les SPL, qui regroupent au moins deux autorités organisatrices, afin de ne pas constituer une régie, doivent nommer un seul président, ce qui implique parfois de se doter d'une gouvernance tournante.

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Vous parlez souvent de « gisements financiers » contenus dans les tarifs de l'eau appliqués en France. Pouvez-vous citer des exemples précis ?

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Jacques Tcheng

Le prix de l'eau couvre les dépenses destinées au service des usagers du service de l'eau et les dépenses engagées au titre du patrimoine. Le premier relève du compte d'exploitation, le second de la section investissements.

Par ailleurs, les délégations de service public obéissent à une comptabilité commerciale, alors que les régies relèvent de la comptabilité publique. Or il existe des différences majeures entre ces deux dispositifs. En particulier, un tuyau d'une durée de vie de soixante-quinze ans est amorti sur la durée du contrat dans le cadre d'une délégation de service public, par exemple vingt ans, alors qu'il sera amorti durant une soixantaine d'années dans le cadre d'une régie. Ce rapport de un à trois permettra à une régie de multiplier par trois l'effort d'investissement. C'est ce que nous avons constaté à Grenoble à la fin de la délégation accordée à la Lyonnaise des eaux, et cette tendance a également été confirmée dans les autres collectivités ayant transformé une délégation de service public en régie.

Enfin, des exemples précis permettront par ailleurs d'illustrer la thématique des « gisements financiers ». Ainsi, dans le cadre du passage en régie, nous avons découvert que les voitures de service étaient louées à une société filiale de la Lyonnaise des eaux. Le fauteuil qui se trouvait dans mon bureau avait été acheté par le biais d'une centrale d'achat filiale de la Lyonnaise. L'informatique était également gérée par une filiale de la Lyonnaise des eaux. Plus généralement, les financements de la société transitaient par un compte courant d'associés rémunérés. Or le retour à un schéma de financement traditionnel, associé à une diminution du cash-flow, a permis de diviser par dix le montant des frais financiers supportés par le prix de l'eau.

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Je vous remercie pour votre intervention très intéressante. Pouvez-vous expliquer comment le passage d'une délégation de service public à une régie a permis de multiplier par trois les investissements ?

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Jacques Tcheng

J'ai évoqué l'impact d'une multiplication par trois de la durée d'amortissement.

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En théorie, la durée de vie des équipements n'est pas soumise à interprétation. Existe-t-il des différences de pratiques en matière d'amortissement entre une régie et une délégation de service public ?

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Jacques Tcheng

La durée d'amortissement dépend de la nature des travaux engagés, mais aussi de la comptabilité utilisée.

Ainsi, la comptabilité publique ne connaît pas l'amortissement de caducité, qui est utilisé dans le cadre d'une délégation. Dans ce cas de figure, le contrat conclu avec une collectivité permet d'imputer à l'usager des provisions qui ne sont pas forcément utilisées par le délégataire dans le cadre des travaux. Le problème est que les contrats ne stipulent pas systématiquement les modalités financières de retour des biens à la collectivité.

Concrètement, les compteurs sont juridiquement propriété des usagers. Or dans les faits, si le renouvellement du contrat conduit à désigner un nouveau délégataire, ce dernier rachète à son prédécesseur le parc de compteurs, alors que ce dernier a déjà été payé à travers les locations.

Or, en application de la jurisprudence découlant de l'arrêt du Conseil d'État Commune d'Olivet, les délégations de service public signées avant 1995, et dont le terme était prévu après 2015, sont considérées comme nulles. De ce fait, tous les délégants peuvent renégocier leurs contrats. C'est pourquoi les usagers ne devraient plus être ponctionnés au titre de biens déjà amortis.

Je note également qu'aucun délégataire n'a répercuté au profit des collectivités et des usagers la réduction de leur masse salariale obtenue dans le cadre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

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Néanmoins, dans le cadre d'une régie ou d'une délégation de service public, un amortissement est basé sur la durée de vie du bien. Avez-vous mis en évidence des anomalies en matière de durée d'amortissement dans le cadre de la délégation de service public que vous avez connue à Grenoble ?

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Jacques Tcheng

La règle selon laquelle la durée de l'amortissement dépend de la durée de vie d'un équipement s'applique au niveau de la comptabilité de l'autorité organisatrice. En revanche, dans le cas d'investissements confiés contractuellement à un délégataire, ce dernier amortira cet investissement sur la durée du contrat dans le cadre de la redevance.

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L'amortissement dans le cadre de la durée du contrat de certains investissements, dont la durée de vie est en réalité bien plus élevée, aboutit donc à limiter la capacité d'investissement du délégataire dans d'autres domaines.

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Jacques Tcheng

Effectivement. Cet élément explique pourquoi les investissements réalisés par un délégataire privé sont en moyenne limités à 0,5 % de la valeur du bien, alors que le taux optimal devrait être de 1 %. Pire, les provisions constituées en vue du renouvellement, mais non utilisées, ne sont jamais rendues à la collectivité au terme du contrat.

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Quelles différences faites-vous entre une gestion déléguée et une gestion en régie publique ? Quel modèle privilégiez-vous ?

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Jacques Tcheng

Dès lors qu'un contrat de délégation est signé, le délégataire bénéficie d'une garantie de recette actualisée durant toute la durée du contrat. Cependant, à la signature d'un contrat de délégation, le maître d'ouvrage a souvent le sentiment que le coût d'une régie serait supérieur. La raison est qu'une régie doit équilibrer son budget, alors que le délégataire calcule la rentabilité sur l'ensemble de la durée du contrat. Cet élément explique pourquoi la Cour des comptes cherche à diminuer la durée des contrats, afin de limiter l'accumulation des bénéfices par le délégataire et d'accélérer la remise en concurrence. En effet, une telle procédure permet d'enregistrer une diminution du prix de la prestation comprise entre 8 % et 40 %. De tels taux démontrent que le point d'équilibre d'un contrat est atteint aux alentours de la dixième année.

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Pensez-vous que les collectivités disposent d'outils adéquats permettant de contrôler l'exécution des conventions de délégations de service public ? Ainsi, les commissions municipales jouent-elles effectivement leur rôle ? Les commissions utilisent-elles le plein potentiel des outils de contrôle ?

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Jacques Tcheng

Les collectivités cherchent généralement à déléguer la gestion de l'eau afin de ne pas assumer directement cette charge. Le problème est que le cahier des charges est souvent rédigé par une assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO), puis amendé dans le cadre des échanges avec le délégataire.

À titre personnel, j'ai eu l'occasion de réaliser une mission en Bolivie, dans le cadre d'une demande de l'équivalent de la Cour des comptes de ce pays, afin d'examiner les contrats en vigueur en matière de gestion de l'eau et d'assainissement. J'ai découvert à cette occasion que ces derniers étaient structurés de la même manière que ceux dont j'avais eu connaissance à Grenoble, preuve que ces contrats sont en réalité rédigés par le service juridique du délégataire.

L'expertise des collectivités n'est donc pas à la hauteur de celle de leurs interlocuteurs au sein des groupes privés. Or l'absence de certaines rubriques, des rédactions sujettes à interprétation, ou encore la complexité de certains montages, rendent difficile le contrôle par les collectivités. Ainsi, la Cour des comptes a estimé que la présentation incomplète des éléments patrimoniaux rendait difficile l'évaluation des amortissements, qui pourtant représentent 70 % des charges du Syndicat des eaux d'Île-de-France (SEDIF). Cet élément explique pourquoi ce syndicat doit réviser à la baisse ses tarifs tous les trois ans afin de ne pas voir l'écart se creuser avec les opérateurs publics parisiens.

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Quel a été l'impact de la directive européenne 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l'attribution des contrats de concession sur la gestion déléguée et sur la gestion en régie publique ?

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Jacques Tcheng

Cette directive n'avait pas eu d'effets particuliers pour la structure que je dirigeais à Grenoble. Surtout, cette directive ne concernait pas principalement le secteur de l'eau.

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Pensez-vous que des faits semblables à ceux ayant permis d'établir l'existence d'un pacte de corruption liant le maire de Grenoble Alain Carignon et la Lyonnaise des eaux pourrait se reproduire aujourd'hui, malgré les évolutions législatives, notamment l'adoption de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite « loi Sapin I », et de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin II ».

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Jacques Tcheng

Lorsque j'exerçais à Grenoble, nous avions saisi le président du tribunal de grande instance, qui avait mandaté deux experts judiciaires pour enquêter sur les dépenses dépassant le cadre normal de la gestion de l'eau que nous avions constatées. Cette démarche avait pour objectif de calculer le juste prix de l'eau qui aurait dû s'appliquer. Je dispose donc d'une certaine expertise concernant les dérives susceptibles d'apparaître.

Désormais, alors que Grenoble a été la première municipalité à avoir « remunicipalisé » la gestion de l'eau, de nombreuses collectivités font appel à mon expertise. Or je constate sur le terrain, notamment dans les départements et collectivités d'outre-mer (DOM-COM), certains éléments qui m'interpellent. Cependant, je n'ai pas pour mission d'enquêter sur ces sujets. Je peux simplement signaler aux collectivités organisatrices certaines anomalies.

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Pouvez-vous citer des exemples précis d'anomalies identifiées dans les DOM-COM ?

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Jacques Tcheng

La Martinique comprend trois communautés de communes, au sud, au nord et dans le centre de l'île. Les ressources en eau se trouvent principalement dans le nord, mais le centre dispose également de forages. Ces unités sont gérées par la Veolia ou par Suez. Cependant, alors que les coûts facturés aux collectivités au titre de l'exploitation et de vente d'eau me semblent supérieurs à ce qu'ils devraient, les éléments pris en compte pour calculer ces coûts ne m'ont pas été communiqués.

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Au titre de quelle fonction aviez-vous demandé ces informations ?

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Jacques Tcheng

J'étais missionné d'une part par l'Office de l'eau (ODE) de la Martinique, d'autre part par la communauté d'agglomération du Centre de la Martinique (CACEM) et de son opérateur.

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Quel bilan tirez-vous de la remunicipalisation de l'eau à Grenoble ? A-t-elle permis d'améliorer la qualité du réseau, tout en contenant les coûts ?

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Jacques Tcheng

La remunicipalisation réalisée à Grenoble a permis d'améliorer les réseaux. En réalité, dans la mesure où une grande partie du réseau date des années 1970, période de développement urbanistique de la ville dans la foulée des Jeux olympiques de 1968, et qu'une canalisation a une durée de vie d'environ 70 ans, j'avais fait établir un prévisionnel concernant les investissements à réaliser chaque année. Sur la base de cet élément, le comité d'usagers a accepté d'appliquer une majoration des prix proposés par les élus afin de provisionner les montants nécessaires au renouvellement. Partager l'information avait permis de mettre en œuvre une gestion saine, caractérisée par des tarifs modérés et un taux de renouvellement permettant d'anticiper le vieillissement du réseau.

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Quels sont vos commentaires concernant la thématique de la réversibilité des contrats ?

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Jacques Tcheng

Les collectivités ont rarement conscience que, s'ils peuvent en théorie choisir un autre délégataire au terme du contrat, voire interrompre une délégation de service public en cours de contrat, de nombreux systèmes propriétaires, par exemple les compteurs ou les outils de télé-relève et de radio-relève, les rendent dans les faits totalement dépendants de leur fournisseur.

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Au regard de l'écart d'expertise qui peut exister en matière d'établissement d'un contrat de délégation de service public entre les multinationales de l'eau et des collectivités, quelles clauses devraient être interdites ou mieux encadrées par la réglementation ?

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Jacques Tcheng

Je conseille aux petites collectivités d'avoir recours aux réseaux d'opérateurs publics regroupés au sein de la FNCCR, ainsi qu'à France eau publique, qui regroupe une grande partie des opérateurs publics français. J'ai participé à la création d'un outil comparable au niveau européen avec Aqua Publica Europea. Enfin, j'ai déjà eu l'occasion d'indiquer que je militais pour que la mission de la MAPPP évolue afin de faciliter les partenariats public-public et d'aider les collectivités confrontées à la fin de leur délégation de service public à prendre en compte les remarques formulées par la Cour des comptes et par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD).

L'audition s'achève à treize heures.