Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Réunion du jeudi 15 avril 2021 à 16h00

Résumé de la réunion

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  • DSP
  • SDEA
  • assainissement
  • régie

La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences

Jeudi 15 avril 2021

La séance est ouverte à seize heures.

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition de M. Christophe Lime, président du réseau France eau publique (FEP), vice-président de Grand Besançon métropole, M. Dan Lert, président de la régie Eau de Paris, adjoint à la maire de Paris, vice-président du réseau FEP, et M. Nicolas Juillet, président du Syndicat départemental des eaux de l'Aube (SDDEA), président de la communauté de communes de l'Orvin et de l'Ardusson, maire de Saint-Lupien, vice-président du réseau FEP, M. Joseph Hermal, directeur général du Syndicat des eaux et de l'assainissement d'Alsace-Moselle, et Mme Séverine Gorszczyk, chargée de mission au sein du réseau FEP.

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Nous allons entendre les représentants du réseau France eau publique (FEP), créé en 2012 et regroupant plus de 90 collectivités et opérateurs publics en charge de l'alimentation en eau potable et de l'assainissement.

Je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Les personnes auditionnées prêtent serment.

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Christophe Lime, président du réseau France eau publique (FEP), vice-président de Grand Besançon métropole

Les collectivités membres de notre réseau desservent aujourd'hui environ 14 millions de citoyens. Avant la création de France eau publique en 2012 au sein de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), le secteur public de l'eau en France ne disposait pas d'un représentant, tel que la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E) qui défend les intérêts du secteur privé.

Notre réseau entretient des liens avec l'association européenne Aqua Publica Europea. De nombreux textes règlementaires relatifs à l'eau et l'assainissement proviennent de directives européennes. En Europe comme dans le monde, la gestion publique de l'eau prédomine, à plus de 80 %. La France constitue une exception.

Nous visons l'efficacité et l'excellence par la coopération interne. L'isolement de la gestion publique constituait l'un de ses points faibles. FEP y remédie en facilitant les échanges.

La gestion publique de l'eau en France tend à se généraliser. Paris, Nice, Lyon, Bordeaux et d'autres collectivités plus petites ont ainsi opté pour la gestion publique de leur eau, sans qu'aucune ne l'ait depuis regretté. Nous accompagnons les structures qui souhaitent passer en gestion publique afin d'assurer leur réussite pour une meilleure satisfaction des élus, des salariés et des usagers. Nous privilégions les investissements à long terme à la baisse des tarifs.

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Joseph Hermal

Le Syndicat des eaux et de l'assainissement d'Alsace-Moselle (SDEA) fédère 737 communes en milieu tant urbain que rural. Nous impliquons les élus dans notre gestion du petit et du grand cycle de l'eau par le biais de commissions locales organisées selon les périmètres des communes, des anciens syndicats ou des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), mais aussi au niveau territorial, des bassins, en vue d'une mutualisation des bonnes pratiques.

Nous définissons enfin, à un niveau global, des politiques publiques en cohérence avec celles des collectivités et des EPCI, auxquels nous nous substituons pour faire face aux enjeux de l'eau. Notre gouvernance s'exerce au plus près du terrain. Nous desservons 99 % des usagers par un point d'accueil à moins de trente minutes de leur domicile. Les élus, les salariés et les parties prenantes associatives et institutionnelles construisent ensemble nos plans d'action puis évaluent en concertation nos résultats.

Nous avons le souci d'une performance durable. Nous réinvestissons chaque euro économisé dans l'amélioration continue et la durabilité du patrimoine et du service rendu. La chambre régionale des comptes et le prix français de la qualité ont salué notre démarche. Nous œuvrons au service de l'intérêt général tout en veillant à la gestion de notre performance.

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Dan Lert, président de la régie Eau de Paris, adjoint à la maire de Paris, vice-président du réseau FEP

L'eau est gérée par la régie Eau de Paris depuis sa remunicipalisation en 2009. J'aimerais illustrer, par mon témoignage, les atouts de la gestion publique de l'eau en matière d'innovation, de protection de la ressource et d'accès de tous à l'eau.

Eau de Paris a démontré la force de son modèle d'opérateur public dans le domaine de la recherche et du développement. Son laboratoire a joué un rôle moteur, à la fois dans la mise au point de techniques de détection du Sars-Cov-2 dans les eaux usées, et dans la création du réseau Obépine – Observatoire épidémiologique dans les eaux usées.

La Commission européenne cite en exemple ce réseau de surveillance de plus de 150 stations d'épuration, pour sa méthode de suivi non onéreux de la pandémie de Covid-19. La mise en place par Eau de Paris du premier dispositif d'observation de l'épidémie remonte à avril 2020. Des laboratoires privés ayant emboîté le pas au secteur public facturent à présent des services de même nature. Financé par le ministère de la Recherche, Obépine rend ses données accessibles à tous.

Eau de Paris occupe, par ses appels à projets, une place notable dans l'écosystème parisien de l'innovation. La régie s'appuie sur son patrimoine et sur des solutions de basse technologie, sobres à tout point de vue, pour contribuer au rafraîchissement de Paris, au moyen, entre autres, de fontaines brumisantes.

Voilà qui prouve que la recherche et le développement ne sont pas l'apanage des grands groupes privés. Une idée reçue voudrait que les opérateurs publics ne disposent pas de la taille critique pour innover, or notre agilité et notre capacité à coopérer, au service de l'intérêt commun, démontrent le contraire.

Innover, c'est aussi ne pas céder à la tentation de la course à la technologie. Les techniques de traitement de l'eau développées par de grands opérateurs privés, telles que l'osmose inverse basse pression, apparaissent sujettes à caution. Énergivore, cette technique suppose des investissements colossaux qui se répercuteront forcément sur le prix de l'eau, et produit des rejets qu'il faudra traiter, à l'origine d'importantes pertes d'eau.

Notre démarche pionnière de protection de la ressource en eau, engagée dans les années 1990, a franchi un nouveau cap l'an dernier, quand la Commission européenne a autorisé Eau de Paris à mettre en place son propre régime d'aide agricole. Nous souhaitons accélérer la transition agro-écologique dans nos aires d'alimentation de captage, qui couvrent 240 000 hectares sur tout le bassin parisien, dont 80 000 hectares de zones prioritaires, afin de mieux prévenir les pollutions des aquifères à la source et, ainsi, éviter, limiter ou retarder des traitements coûteux. Je salue d'ailleurs le soutien indispensable de l'agence de l'eau Seine-Normandie. En un an, plus de 50 agriculteurs se sont engagés à protéger près de 8 200 hectares supplémentaires.

Eau de Paris a enfin mené une action exemplaire innovante de développement des filières de débouchés en aval avec nos amis d'Eau du bassin rennais.

Rappelons que l'innovation et la transition écologique ne se conçoivent pas sans progrès social. Les coupures d'eau ont été proscrites à Paris bien avant la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, dite loi Brottes. La régie Eau de Paris a volontairement contribué à hauteur de 600 000 euros au Fonds de solidarité pour le logement (FSL), en plus d'accompagner des populations modestes dans le parc privé et social avec des associations partenaires. Nous soutenons des associations d'aide aux sans domicile fixe et aux migrants, et fournissons des accès d'urgence à l'eau avec une réactivité exemplaire. Eau de Paris a enfin contribué à l'établissement d'un centre d'hébergement d'urgence géré par Emmaüs à Ivry.

La reconnaissance de nos engagements en 2017 par le prix des Nations unies pour les services publics dans la catégorie « intégrité, transparence et responsabilité » nous distingue du secteur privé.

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Nicolas Juillet, président du Syndicat départemental des eaux de l'Aube (SDDEA), président de la communauté de communes de l'Orvin et de l'Ardusson, maire de Saint-Lupien, vice-président du réseau FEP

J'aborderai la gestion durable de la ressource en eau. Notre stratégie d'adaptation au changement climatique vise l'horizon de 2100 et porte sur l'ensemble des territoires. Eau de Paris dispose de sources dans notre département. Un partenariat avec la régie parisienne assure la desserte de collectivités locales, dont une unité agroalimentaire.

Nous œuvrons à la solidarité entre urbain et rural dans notre département essentiellement rural, dont la ville de Troyes, qui a transféré sa compétence en eau au SDDEA, constitue le centre. Nous nous occupons de l'eau pour les besoins humains, les milieux naturels, l'agriculture et l'industrie. Un territoire sans eau est un territoire sans vie.

Nous avons noué un partenariat avec Eau de Paris sur la qualité gustative et olfactive de l'eau. La collaboration au sein du réseau FEP permet à l'ensemble des territoires de bénéficier des avancées technologiques propres à chaque régie. Elle se poursuit malgré les obstacles que la pandémie oppose aux rencontres, depuis un an.

Si, demain, la qualité de l'eau dans l'Yonne diminue, les Parisiens en pâtiront. Au-delà de toute doctrine politique, nous veillons ensemble, très pragmatiquement, à la qualité de l'eau en prenant en compte l'interdépendance de nos territoires.

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La loi nᵒ 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, transfère les compétences eau et assainissement aux EPCI à fiscalité propre. Quel impact aura-t-elle selon vous sur la répartition entre régies publiques et concessions privées ?

Des économistes nous ont expliqué ce matin que la complexité de certaines situations incitait au recours à la délégation de service public (DSP) plutôt qu'à la régie.

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Christophe Lime, président du réseau France eau publique (FEP), vice-président de Grand Besançon métropole

La gestion publique est adaptable à tous les territoires. Il revient aux élus de construire les leurs. Diverses possibilités s'offrent à eux : les EPCI, les syndicats et les sociétés publiques locales (SPL). Un grand nombre de collectivités ont opté pour une gestion publique de l'eau et de l'assainissement depuis la promulgation de la loi NOTRe du 7 août 2015.

Les communes rurales se montrent réticentes à réaliser un tel transfert de compétences au bénéfice d'EPCI. La gestion publique prédominait dans la plupart des petites collectivités. Leurs élus, s'ils acceptent, certes à contrecœur, le transfert de compétences, ne veulent pas renoncer, en revanche, à la gestion publique. Ils exigent au moins la création d'une régie communautaire au sein d'un EPCI dans l'idée d'une extension de celle-ci d'ici à ce que le contrat parvienne à échéance.

À Besançon, nous nous sommes donné dix ans, à compter du 1er janvier 2018, pour intégrer les fins de contrat de délégation de service public. Nous voyons dans la loi NOTRe du 7 août 2015 une opportunité de développement de la gestion publique sur l'ensemble des territoires.

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Nicolas Juillet, président du Syndicat départemental des eaux de l'Aube (SDDEA), président de la communauté de communes de l'Orvin et de l'Ardusson, maire de Saint-Lupien, vice-président du réseau FEP

Nous œuvrons à l'échelon départemental, supérieur à la communauté de communes. La ville de Troyes et son maire, François Baroin, ont opté pour un transfert de compétences au syndicat départemental des eaux, de même que la quasi-totalité des communes de l'Aube. Nous prenons en compte l'interdépendance des territoires dans une approche globale du département. Seule une volonté politique peut y parvenir, à condition de s'appuyer sur l'arsenal technique et le pilotage de notre syndicat. Des zones ne comptant qu'une quinzaine d'habitants par kilomètre carré, qu'il faut toutefois desservir aussi, obligent à la solidarité.

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Faut-il mettre fin à la DSP dans le domaine de l'eau ?

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Christophe Lime, président du réseau France eau publique (FEP), vice-président de Grand Besançon métropole

La question se pose en effet. J'aime personnellement mieux laisser le choix que d'imposer. La DSP a, selon moi, vécu. Nous respectons toutefois trop les territoires dans leurs spécificités pour préconiser son interdiction. La durée des contrats de délégation soulève un problème. Quelle était la situation climatique de la France voici douze ans ? L'accélération du changement climatique oblige nos structures à s'adapter au jour le jour. Or l'adaptation d'un contrat de délégation passe par des avenants. J'y vois l'une de leurs faiblesses. Nous disposons pour notre part d'un plan pluriannuel d'investissement et de fonctionnement révisé chaque année. La gestion publique a donc pour elle l'avantage de la souplesse.

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La DSP n'apparaît-elle pas mieux adaptée que la régie publique à certains cas de gestion de l'eau ?

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Christophe Lime, président du réseau France eau publique (FEP), vice-président de Grand Besançon métropole

Je ne le pense pas. L'efficacité de la régie publique réside dans le lien qu'elle assure, au quotidien, entre les services et les élus, sans lequel ceux-ci ne sauraient implémenter de décisions en matière de gestion d'eau.

Je m'étonne toujours des réticences de certains élus à s'occuper de gestion d'eau et d'assainissement : ils se chargent de tâches autrement plus complexes, comme l'urbanisme ou la voirie, qu'ils ne délèguent pas.

Notre efficacité vient de notre réactivité et de notre capacité à réaliser des investissements adaptés aux besoins, plutôt qu'en fonction de technologies développées par certaines entreprises. Les sociétés gestionnaires de DSP disposent de filiales vendant aux collectivités du matériel. Leurs conseils sont-ils désintéressés ? J'estimerais presque normal qu'ils privilégient leurs propres procédés.

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Des universitaires nous ont démontré, études statistiques et économétriques à l'appui, que la DSP prévaut en général là où un traitement complexe de l'eau s'avère nécessaire.

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Christophe Lime, président du réseau France eau publique (FEP), vice-président de Grand Besançon métropole

Je ne le pense pas, du fait de l'extrême diversité de la gestion publique, présente dans des territoires de toutes tailles, et qui ne me paraît pas à la traîne. Rennes et Brest ont opté pour la gestion publique malgré la pollution des eaux en Bretagne. Les DSP se sont à vrai dire plutôt implantées dans des zones urbaines, où elles obtiennent de meilleurs rendements.

Passer d'une DSP à une gestion publique s'avère très simple : la reprise obligatoire de l'ensemble du personnel évite toute déperdition de compétences. Nice a mis fin à sa DSP au profit de la gestion directe. Certains anciens cadres de Veolia m'ont depuis confié avoir retrouvé du sens à leur métier. Ces ingénieurs avaient dû laisser de côté leur souci de la qualité de l'eau et des relations aux usagers pour se lancer dans une course à la rentabilité.

Voici dix ans, lorsque nous dénoncions une différence de tarif de 30 % entre gestion publique et privée, on refusait de nous croire. Or les tarifs baissent aujourd'hui de 20 à 30 % lors des renouvellements de DSP. Les dépenses techniques et de personnel des entreprises n'ont pourtant pas diminué. Elles cèdent simplement à la pression des tarifs en gestion publique, car notre exemple amène l'ensemble des élus à se poser la question d'un retour à la gestion publique.

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Les petites collectivités en régie publique peinent à réunir l'expertise nécessaire pour communiquer leurs données au système d'information des services publics d'eau et d'assainissement (SISPEA). Comment l'expliquer ? Comment y remédier ?

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Christophe Lime, président du réseau France eau publique (FEP), vice-président de Grand Besançon métropole

La petite taille d'une régie joue sans doute un rôle déterminant dans ces difficultés, bien que cette petite taille permette par ailleurs de garder un lien étroit avec la population et les élus. Sans doute aussi existe-t-il une réticence à s'atteler à des problématiques administratives.

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Joseph Hermal

Le SDEA fédère 737 communes, aussi bien rurales que de l'Eurométropole de Strasbourg. Notre modèle assure la solidarité par la mutualisation des services de proximité, aussi bien en termes de gouvernance que d'opérationnalité, tout en permettant à de petites entités, parfois défaillantes par le passé, de progresser grâce à la capacité d'ingénierie technique et financière du SDEA.

L'obligation pour les élus de travailler tous ensemble donne en outre lieu à une forme d'émulation dans la gouvernance. Nos outils de pilotage, de cartographie numérique, de gestion patrimoniale, de modélisation ou de simulation financière les assistent dans leurs décisions, en garantissant par ailleurs aux zones rurales un niveau de service égal à celui des grandes agglomérations. Toutes les collectivités du SDEA bénéficient d'une économie d'échelle. Notre culture d'excellence est bien ancrée chez nos salariés.

Le SDEA comprend aujourd'hui des collectivités autrefois gérées en DSP. La simple mutualisation de leurs coûts s'est traduite, pour l'ensemble de nos membres, par des économies d'échelle de 20 à 30 %, réinvesties localement. Les syndicats départementaux ou interdépartementaux renforcent en outre l'implication des salariés et leur sens du service public. Il apparaît plus motivant de réaliser des efforts dans l'intérêt de la collectivité que dans celui d'actionnaires. L'usager bénéfice d'un meilleur service à moindre coût. En somme, tout le monde y gagne.

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La mutualisation va-t-elle jusqu'à l'accompagnement au renseignement des bases de données nationales comme celle du SISPEA ?

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Joseph Hermal

Tout à fait. Le SDEA compte 220 commissions locales au plus près des territoires : 180 s'occupent d'eau et d'assainissement et 40, de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI).

Nous produisons des données relatives à chacun de ces périmètres. Des supports de présentation accompagnent nos 180 rapports annuels versés au dispositif SISPEA. Il ne s'agit pas seulement de s'acquitter d'une obligation réglementaire mais de suivre une logique d'information citoyenne et de démocratie environnementale pour qu'élus et usagers disposent de données pertinentes sur l'efficience et la qualité de nos services. La valeur ajoutée de ces rapports, de qualité, vient de leur maillage très fin du territoire et de leur transparence en matière de finances, sans commune mesure avec ceux des délégataires, dont la cour des comptes a maintes fois dénoncé le manque de précision.

Les grands syndicats départementaux et interdépartementaux présentent enfin l'avantage d'accompagner la transformation d'échelle de la gestion de l'eau et de l'assainissement, qui relève, depuis la loi NOTRe du 7 août 2015, des communautés de communes. Nos modèles de gouvernance agiles et souples facilitent l'ajustement entre différentes échelles techniques et institutionnelles. Toute la difficulté relative au cycle de l'eau vient de ce que les découpages administratifs correspondent rarement aux bassins, versants ou d'alimentation.

Nos commissions locales, en s'adaptant à la diversité des situations, rendent plus acceptable, politiquement et socialement, le transfert de compétences aux EPCI. L'adhésion de nouveaux membres à nos syndicats débouche, qui plus est, sur de plus grandes économies d'échelle.

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Pourquoi estimez-vous plus motivant pour des salariés d'œuvrer à l'amélioration d'un service public que d'accroître la rentabilité d'une entreprise privée ?

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Joseph Hermal

Le projet politique et stratégique du SDEA a été bâti en commun par les élus et les salariés au travers de séminaires et par un travail d'animation des équipes. Un projet auquel on contribue motive forcément plus qu'un projet imposé.

Nos organisations servent l'intérêt général. Telle est leur raison d'être. Les jeunes générations mettent plus volontiers en question le sens de leur engagement professionnel. L'engagement de longue date du SDEA dans une démarche de responsabilité sociétale et environnementale, reconnue comme exemplaire dès 2008, vise à l'équilibre entre le souci de l'environnement, de gains économiques et de nos salariés. J'estime le service public en avance par rapport à la DSP sur ce point. La régie publique nous apparaît comme la voie de l'avenir, dans la mesure où elle nous semble la plus à même de susciter l'adhésion de l'ensemble des parties prenantes.

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Lors des transferts de compétences d'une DSP vers une régie publique, les salariés continuent-ils à bénéficier des mêmes opportunités de rémunération, de carrière et d'intéressement ?

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Christophe Lime, président du réseau France eau publique (FEP), vice-président de Grand Besançon métropole

Une boutade annonce la multiplication du nombre de fonctionnaires, due aux transferts en gestion publique. Je ne partage pas les préjugés négatifs qu'elle sous-tend. Les anciens salariés des DSP conservent en réalité un statut d'employés du secteur privé. La préparation du transfert de compétences passe par des négociations avec les organisations syndicales assurant au personnel de conserver ses acquis.

La mutualisation des employés issus de services régis par des accords d'entreprise différents oblige à une extrême vigilance. Nous estimons nécessaire d'accompagner le basculement d'une DSP en régie publique très en amont. Dès qu'une collectivité s'y résout, nous lui conseillons de rencontrer les représentants du personnel. La négociation prend du temps. Les salariés redoutent par nature le changement. Il faut les rassurer en leur fixant un cap.

Nice vient tout juste de décider de reprendre la gestion de son assainissement, après celle de son eau. J'ai accompagné, voici quelques années, le transfert de compétences en eau d'une petite collectivité du territoire de Belfort, décidé à une majorité d'une seule voix. Trois ans plus tard, le transfert de l'assainissement en gestion publique a été voté à l'unanimité.

Nous recevons de plus en plus de candidatures, dans nos structures publiques, de salariés issus du privé.

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De quelles compétences et modalités de financement dispose le SDEA ?

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Joseph Hermal

Le SDEA, syndicat à la carte, assure la production et la distribution d'eau potable à 410 communes, la collecte, le transport et le traitement des eaux usées de 525 communes, et enfin la compétence GEMAPI et la prévention des coulées boueuses, ce que nous appelons « grand cycle de l'eau », pour 667 communes.

La fiscalité locale finance la compétence GEMAPI alors que des redevances financent l'assainissement. Le tarif eau et assainissement reste une prérogative locale. Il en existe donc autant que de commissions locales au sein du SDEA. Certaines fusionnent lors du transfert de compétences à des entités intercommunales. La volonté d'impliquer et de responsabiliser les élus locaux, saluée par la chambre régionale des comptes, a conduit notre syndicat à pratiquer des tarifs distincts, déterminés localement par l'histoire et la géographie, ce qui n'empêche pas leur mutualisation progressive au gré des regroupements de périmètres et des projets communs.

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Je pensais que l'osmose inverse améliorait la qualité de l'eau. Pourquoi, monsieur Dan Lert, vous y opposez-vous ?

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Dan Lert, président de la régie Eau de Paris, adjoint à la maire de Paris, vice-président du réseau FEP

Nous ne voulons pas nous lancer dans une course dispendieuse à la technologie, qui conduirait à une surenchère d'investissements se répercutant mécaniquement sur le prix de l'eau. Nous préférons intervenir à la source plutôt que de traiter l'eau. Nous préconisons la protection de la ressource par des politiques de transition agro-écologique dans les aires d'alimentation des captages. Les processus de traitement de l'eau comme l'osmose inverse consomment de l'énergie et nuisent à la protection de l'environnement.

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D'aucuns voient dans ce passage à une écologie lourde la volonté de dresser un obstacle, relevant de l'accès aux technologies, au transfert en régie.

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Dan Lert, président de la régie Eau de Paris, adjoint à la maire de Paris, vice-président du réseau FEP

Il n'en est rien à la régie Eau de Paris. La distribution de l'eau à Paris a souffert, avant sa reprise en gestion publique, d'un sous-investissement. Les délégataires se réservaient des marges bénéficiaires conséquentes. Nous réinvestissons chaque euro économisé. Les vertus de la gestion publique, à Paris en tout cas, ne laissent aucun doute.

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Le délégataire ne recourt-il pas à l'osmose inverse par souci d'empêcher le passage en régie publique, dans la mesure où des technologies aussi lourdes supposent de considérables investissements constituant un obstacle au transfert de compétences ?

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Christophe Lime, président du réseau France eau publique (FEP), vice-président de Grand Besançon métropole

Les délégataires cherchent avant tout à vendre du matériel. Nous ne traitons pas les problèmes, nous en supprimons les causes, ce qui demande du temps. Une usine, aussi belle soit-elle, ne supprime pas la pollution. Elle se contente de la stocker, de la concentrer. Nous cherchons, nous, à protéger l'environnement.

Aujourd'hui, plus personne ou presque ne pêche dans la Loue. Notre travail sur la qualité de l'eau bénéficiera également au tourisme. Nous menons une politique globale.

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J'ai le sentiment, à vous écouter, que la gestion publique de l'eau a le vent en poupe. Les investissements que vous préconisez sont-ils toujours compris par les collectivités ? Certains élus se montrent-ils réticents à vos suggestions ? Votre gouvernance, qui se veut de proximité, a-t-elle fait l'objet de contestations, voire de tentatives de déstabilisation ?

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Christophe Lime, président du réseau France eau publique (FEP), vice-président de Grand Besançon métropole

Le passage en régie publique suscite la tentation de baisser les tarifs, or à coût égal, nous privilégions les investissements. La principale économie réalisée par nos usagers vient de ce qu'ils peuvent boire désormais de l'eau du robinet. Aujourd'hui, 90 % des habitants de ma collectivité affirment boire essentiellement de cette eau, ce qui représente 300 à 400 euros d'économies par an. En matière de tarifs, nous visons un alignement sur l'inflation afin de préserver le pouvoir d'achat de nos concitoyens.

La réunion s'achève à dix-sept heures.