Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Réunion du jeudi 3 juin 2021 à 10h00

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COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences

Jeudi 3 juin 2021

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

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Nous reprenons aujourd'hui les travaux de la commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences en tenant notre douzième session d'auditions.

Les auditions de la semaine prochaine seront consacrées à la situation et à la gestion de l'eau en Guadeloupe.

Dans un premier temps, nous allons tenir deux tables rondes consacrées à la gestion de l'eau à La Réunion. À cette occasion, je souhaite la bienvenue à nos collègues députés de La Réunion qui vont se joindre à nous pour ces auditions.

La première table ronde réunit :

– Mme Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE) ;

– M. Christian Léger, président de la Société d'études ornithologiques de La Réunion (SEOR) ;

– M. Pascal Hoareau, co-secrétaire de Sud Telecom Réunion-Mayotte et co-secrétaire du Parti de Gauche de La Réunion.

Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire de cinq minutes environ, qui précédera notre échange sous forme de questions/réponses. Vous pourrez bien évidemment compléter vos déclarations par écrit. Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc mesdames et messieurs à lever la main droite et à dire « je le jure ».

Mme Bernadette Le Bihan Ardon, M. Christian Léger et M. Pascal Hoareau prêtent serment.

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

J'ai pris connaissance du questionnaire que vous nous avez transmis. Bien évidemment, il ne sera pas possible, en cinq minutes, de traiter l'ensemble des questions. Néanmoins, je tenais à vous faire partager quelques remarques et observations, qui balaieront l'ensemble de ces dernières, à l'exception de celles qui portent sur la consommation et le prix. En effet, les représentants des consommateurs pourront s'exprimer sur ces sujets.

La Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE), qui fête son 50ème anniversaire cette année, est une association crée en application de la loi de 1901. Elle est représentée au conseil d'administration de l'office de l'eau depuis plusieurs années : je suis d'ailleurs vice-présidente du comité de l'eau et de la biodiversité, depuis sa mise en place. Je contribue donc largement aux réunions et aux actions liées au schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), lequel est actuellement soumis à consultation publique, et au plan de gestion des risques d'inondation (PGRI).

Selon les statistiques issues des directives européennes sur l'eau, 56 % des masses d'eau, qu'elles soient souterraines ou en bordure littorale, ne sont pas en bon état. En complément, le déficit en eau est inévitable, du fait :

– des effets du changement climatique, qui sont d'ores et déjà annoncés à La Réunion ;

– de la scission du territoire de La Réunion en deux parties différentes.

Si aucune mesure complémentaire au SDAGE n'est prise, aux fins de faire évoluer les usages, La Réunion ne manquera pas de connaître de vrais problèmes, concernant l'alimentation en eau. Aujourd'hui malheureusement, la population est maintenue dans l'ignorance de la réalité de la situation.

Il est donc indispensable :

– d'exposer la réalité telle qu'elle est ;

– de faire évoluer les habitudes de consommation et le prix de l'eau ;

– de développer une plus grande sobriété dans les usages des citoyens, du monde agricole et du monde industriel.

La ressource est pour l'heure abondante et excède nettement les besoins, qui représentent 220 millions de mètres cubes par an. Malheureusement, la situation ne restera pas en l'état.

S'agissant de la gestion de la ressource, je rappelle simplement que les communes et les intercommunalités doivent assurer l'approvisionnement de leurs populations. En la matière, l'agence régionale de santé (ARS) a commis, en 2019, un rapport très explicite, qui dresse un état des lieux de chaque commune.

En tant qu'association de protection de l'environnement, la SREPEN-RNE a identifié trois points de préoccupation majeurs :

– le transfert des eaux de l'est vers l'ouest de l'île : le projet Irrigation du littoral ouest (ILO) a pour objectif de prélever les abondantes ressources en eau de l'est pour les transférer à l'ouest de l'île. Il n'aurait jamais dû être mis en œuvre. Du fait des effets du changement climatique ainsi, la partie est connaît aujourd'hui un réel déficit en eau ;

– le gaspillage de la ressource : au-delà des fuites observées, EDF rejette, dans le cadre de ses activités industrielles des millions de mètres cubes d'eau dans la mer : en effet, la biodiversité, dans les années 80, n'était malheureusement pas prise en compte. En réutilisant cette eau, il sera possible d'alimenter toutes les agglomérations du nord et de l'est, jusqu'à Saint-Denis ;

– la nécessité d'aller vers l'autonomie partielle pour l'approvisionnement d'une partie de la population : bien évidemment, cet objectif sera difficile à atteindre pour les personnes qui résident dans des immeubles. En revanche, il peut l'être beaucoup plus facilement pour celles qui résident dans des maisons individuelles. Les concernant, il est indispensable de mettre en œuvre des systèmes de récupération des eaux de pluie. Par le passé, les habitants de La Réunion avaient développé des pratiques en lien avec la nature, lesquelles se sont perdues au fil du temps. Il convient désormais d'équiper les maisons de citernes et de déployer, en regard, des aides financières et des dispositifs d'incitation fiscale. En effet, environ 40 % de la population réunionnaise se trouve en deçà du seuil de pauvreté.

Par ailleurs, la SREPEN-RNE est membre du conseil d'administration de l'office de l'eau, dont les membres participent au comité de l'eau et de la biodiversité. Cette structure constitue, sur le plan de la gestion de la ressource, un outil important, sur lequel les communes et les intercommunalités s'appuient depuis plusieurs années. En complément, une quarantaine de personnes travaillent pour l'office de l'eau, qui joue un rôle important, s'agissant de la gestion de l'eau, de la connaissance, des alertes et de la qualité de l'eau, avec des relevés qui permettent notamment d'évaluer la présence de pesticides.

Puisque « l'eau paie l'eau » toutefois, il nous faut élargir la gestion de cette ressource au volet biodiversité. Ainsi, la directive-cadre du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau recommande l'atteinte d'un bon état des masses d'eau. Qu'est-ce qu'un « bon état » au sein d'un milieu insulaire tropical, marqué par un relief très particulier, comme peut l'être La Réunion ?

L'eau est un milieu vivant : elle ne se résume donc pas à un liquide destiné à la population. Or le poids accordé à la biodiversité est, dans les politiques de gestion de la ressource, extrêmement limité, puisqu'il se résume à 2 % des financements (4 % des financements régionaux) : pourtant, la biodiversité est étroitement liée à la vie et à la santé, en témoigne la crise sanitaire actuelle.

La SREPEN-RNE participe à l'élaboration du SDAGE. Ce travail est accompagné par la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), qui en assure le secrétariat, et l'office de l'eau, en charge de l'exécution des préconisations et des demandes du comité de l'eau et de la biodiversité (CEB).

Le SDAGE est actuellement à la consultation publique. Les institutions devront se positionner d'ici le mois d'août. Lors des réunions de travail dédiées à l'élaboration du SDAGE, les élus des communes et des intercommunalités, auxquelles l'État a donné la faculté de gérer la ressource en eau, sont très souvent sous-représentés. À l'inverse, les techniciens sont très présents. Il est indispensable de déployer des outils pour permettre aux usagers de s'approprier la question de la ressource en eau : en l'état en effet, elle relève d'une problématique très complexe. Il est donc nécessaire de faire acte de pédagogie, en communiquant des éléments simples. En l'espèce, la consultation est proprement inaudible.

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Christian Léger, président de la Société d'études ornithologiques de La Réunion (SEOR)

Je m'associe pleinement à ce qui vient d'être dit. À titre personnel, je suis davantage un spécialiste de la biodiversité que de l'eau. Néanmoins, les oiseaux ne pourront survivre que si les milieux aquatiques sont de qualité.

Je ne peux que confirmer les propos de Mme Le Bihan Ardon sur la qualité de l'eau et la ressource en eau. La SEOR participe au comité de l'eau et de la biodiversité. Elle est également représentée au sein du conseil d'administration de l'office de l'eau.

La qualité de l'eau et la ressource en eau pourraient poser de vraies difficultés dans les prochaines années, du fait du changement climatique et de l'accroissement important de la population réunionnaise, laquelle devrait prochainement atteindre les 8 millions d'habitants. À ce titre, il est indispensable que les populations fassent évoluer leurs habitudes, en s'efforçant d'économiser une ressource qui semblait intarissable. Depuis peu de temps, La Réunion parvient à traiter les eaux usées de manière correcte : cela reste toutefois une vraie problématique. Enfin, l'accroissement de la population et des intrants agricoles pose de vraies difficultés sur le plan de la qualité de l'eau et de son traitement.

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Pascal Hoareau, co-secrétaire de Sud Telecom Réunion-Mayotte et co-secrétaire du Parti de Gauche de La Réunion

Je partage l'analyse de Mme Le Bihan Ardon, concernant la gestion de la ressource.

Pour le Parti de Gauche de La Réunion, la délégation de la gestion de l'eau permet aux élus de se reporter leurs responsabilités sur Veolia ou la Cise, qui sont les deux principaux acteurs de la gestion de l'eau à La Réunion. Lorsqu'ils sont interpelés par les citoyens ainsi, les maires se défaussent de leurs responsabilités sur ces derniers. Désormais, les communes ne diligentent plus aucun contrôle. Les intercommunalités ne possèdent plus les experts techniques, qui permettraient aux élus de prendre des décisions politiques éclairées.

Pour résider à Saint-André, à l'est de La Réunion, je ne peux que constater les effets du changement climatique, avec des coupures d'eau et des arrêtés municipaux venant interdire l'arrosage ou le lavage des véhicules. Du fait de la sécheresse, du projet ILO et du désinvestissement des intercommunalités dans la gestion des ressources, La Réunion va rencontrer de fortes difficultés sur le plan de l'eau potable.

L'office de l'eau permet de disposer d'un certain nombre de données factuelles. À titre d'exemple, le taux de rendement, à La Réunion, est limité à 60 %. Il y a deux semaines de surcroît, j'ai pu observer des fuites considérables dans des canalisations de captages installées à la montagne : de fait, l'eau captée est véritablement gaspillée. En tout état de cause, les problèmes de cette nature, pour être réglés, nécessitent des décisions politiques.

Enfin, la population qui réside à l'est de La Réunion est aujourd'hui persuadée que ses difficultés sont liées au projet de basculement d'est en ouest, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui, mais le sera à l'avenir. Pour le Parti de Gauche, ledit projet consiste simplement à prendre de l'eau à la partie la plus pauvre de l'île, pour la redistribuer au secteur le plus riche, ce qui n'est pas acceptable.

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Mme Le Bihan Ardon a précédemment signalé que le projet susmentionné ne devrait pas être mis en œuvre. Quelles sont les motivations de ce dernier ? Quelles en sont les modalités de financement ? À quels acteurs devrait-il bénéficier ?

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Pascal Hoareau, co-secrétaire de Sud Telecom Réunion-Mayotte et co-secrétaire du Parti de Gauche de La Réunion

Le projet a été initié par le département, en charge de la gestion de l'agriculture à La Réunion. Du fait de la pression de l'habitat sur le foncier et de la baisse du foncier agricole, le département était à la recherche de foncier : l'idée semblait être, en développant l'irrigation à l'ouest, d'accroître les rendements, ainsi que les surfaces agricoles dédiées à la culture de la canne. Pour information, le projet a été financé par le département, le fonds européen de développement régional (FEDER) et l'État.

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

Il s'agit d'un projet très ancien, qui date de plus de 20 ans et que je suis depuis son origine. Pour information, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) avait produit un rapport estimant que le projet évoqué ne faisait aucun sens : la SREPEN-RNE avait donc dénoncé ce dernier, en saisissant le tribunal administratif pour le bloquer momentanément.

Au départ, le projet bénéficiait d'un financement du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et était destiné à l'agriculture. Pour rappel, l'ouest de l'île accueille les populations les plus aisées. L'idée était double :

– transférer de l'eau de l'est vers l'ouest de l'île, aux fins de permettre l'arrosage des pelouses et le remplissage des piscines ;

– transférer de l'eau aux agriculteurs, et notamment à un grand propriétaire spécialisé dans la production de bourbon.

La route des Tamarins va emporter la transformation de terres agricoles en lotissements, ce qui favorise la spéculation foncière.

In fine, la SREPEN-RNE a réussi à faire admettre par les techniciens que le projet de basculement évoqué était « mauvais » : il est toutefois trop tard aujourd'hui. Les pédologues ont rappelé que les terres de l'ouest n'étaient pas en capacité de recevoir de l'irrigation, pour n'avoir pas été arrosées depuis longtemps : en effet, cette pratique vient déstructurer les sols. Par surcroit, le rendement de la production de cannes a beaucoup progressé, passant de 40 à 110 tonnes par hectare, par le truchement de l'irrigation. Dans l'ouest de l'île, le monde agricole pratique l'irrigation par aspersion.

Le projet a été à l'origine d'une urbanisation absolument catastrophique de l'ouest, qui se caractérise par des problèmes d'écoulement, un programme de lutte contre les inondations et la mise en danger du littoral qui accueille le lagon.

L'eau arrive de l'est, à 400 mètres d'altitude, à Mon Repos, dans la commune de Saint-Paul. Elle est envoyée gravitairement et arrive à 100 ou 150 mètres, ce qui nécessite de l'énergie.

La côte est devrait, selon le schéma d'aménagement régional, accueillir des pôles de développement, aux fins de rééquilibrer le territoire : or le développement ne peut se faire sans eau.

Pour information, le projet Merene a pour objectif de capter de l'eau à 250 ou 300 mètres d'altitude, pour la renvoyer par tunnel : pharaonique, il vise à réalimenter en eau le secteur est, qui a été spolié de son eau. À Saint-André désormais, l'eau n'est plus potable. Les hydrogéologues ne connaissent pas la ligne de partage des cours d'eau, ce qui crée de vrais risques pour le milieu hydrographique. Comme mentionné précédemment, EDF rejette des millions de mètres cubes d'eau dans la mer, à Sainte-Rose. La situation, de fait, est désespérante. Elle se caractérise en effet par une totale absence de continuité dans les projets.

Encore une fois, les premiers financements du projet étaient destinés à l'activité agricole, avant d'être « détournés » au bénéfice des piscines et des pelouses. Il est donc absolument indispensable de jouer sur le prix de l'eau.

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Quel est le nom du grand propriétaire auquel vous avez précédemment fait allusion ?

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

La Réunion a d'abord développé une économie exportatrice (café, épices), avant de se tourner vers la culture de la canne à sucre. Celle-ci était cultivée dans l'ouest de l'île, par les Sucreries de Bourbon, qui ont donné naissance à CBo Territoria, qui exerce des activités immobilières. CBo Territoria ne cultive plus la canne à sucre que sur 5 000 ou 6 000 hectares.

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Quel a été le coût du projet de basculement ?

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

Il a couté quelques milliards d'euros.

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Pascal Hoareau, co-secrétaire de Sud Telecom Réunion-Mayotte et co-secrétaire du Parti de Gauche de La Réunion

Il a couté un milliard d'euros.

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

Au départ uniquement. Depuis lors, s'y sont ajoutés des dépenses d'entretien et divers surcoûts.

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Christian Léger, président de la Société d'études ornithologiques de La Réunion (SEOR)

Le projet débattu a des conséquences majeures sur la biodiversité marine. En effet, l'eau transférée de l'est vers l'ouest, utilisée pour l'irrigation, se retrouve assez rapidement dans le lagon. Or le développement de l'agriculture cannière, qui s'appuie sur des intrants agricoles, emporte une eutrophisation du lagon et nuit à la biodiversité.

Au plan écologique de fait, le projet a été catastrophique. Il pose d'autant plus de problèmes que l'eau, en plus d'être utilisée par les agricultures, l'est également pour remplir des piscines ou arroser des pelouses, ce qui crée des pollutions quasiment irréversibles pour le lagon et le récif corallien.

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Pascal Hoareau, co-secrétaire de Sud Telecom Réunion-Mayotte et co-secrétaire du Parti de Gauche de La Réunion

Les Sucreries de Bourbon étaient détenues par la famille de Chateauvieux. Elles ont cédé la place à CBo Territoria, qui est propriétaire d'un patrimoine foncier de 3 000 hectares, dont 240 hectares aménagés ou en cours d'aménagement. En pratique, ledit patrimoine foncier se trouve en très grande partie dans l'ouest de l'île. Lorsque j'étais enfant, l'un de mes oncles résidait à Saint-Gilles, où il n'était pas possible d'arroser ou de laver une voiture. Aujourd'hui, l'est de l'île en est réduit à cette situation.

Pour information, la gestion des captages a été confiée à un acteur privé, la Société d'aménagement hydro-agricole de l'île de La Réunion (SAPHIR). En 2013, comme précisé dans un document du département, celle-ci facturait le mètre cube d'eau 8 centimes d'euros pour les irrigants et 30 euros pour la population.

Ces simples chiffres démontrent qu'un acteur privé a tout intérêt à s'occuper de la potabilisation de l'eau, plutôt que de l'irrigation.

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Une plainte a été déposée par l'Union fédérale des consommateurs (UFC) – Que Choisir, contre la Cise Réunion, filiale de la Société d'aménagement urbain et rural (Saur), qui continuerait à facturer et à distribuer de l'eau insalubre à plus de 80 000 personnes. Quel est votre sentiment sur le sujet ?

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

J'ai abordé la question de l'eau potable au sein de l'office de l'eau et du CEB. En cas de pluie faible ou d'aléas, des habitants doivent désormais aller acheter des bouteilles d'eau. Je n'ai pas manqué de rappeler aux élus que la population finirait par réagir et porter plainte. En pratique, les plaintes à l'encontre des fermiers devraient se multiplier.

Cela pose la question de la parole. Doit-elle être détenue par les techniciens ou par les élus ? Elle doit être portée par les élus, en tant que représentants de la société civile.

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Christian Léger, président de la Société d'études ornithologiques de La Réunion (SEOR)

Je m'associe à cette intervention. Certaines communes rencontraient des problèmes de qualité de l'eau depuis quelques années. Cela étant, le nombre de citoyens rencontrant ce type de difficulté n'a de cesse de croître. Au nord de l'île ainsi, il n'est plus rare d'être confronté à une eau non potable ou d'aspect douteux, qui peut engendre des infections.

Au regard de l'ensemble de ce qui précède, de plus en plus de plaintes devraient être déposées contre les fournisseurs d'eau : il serait utile que les élus se préoccupent davantage des pratiques de ces derniers.

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Pascal Hoareau, co-secrétaire de Sud Telecom Réunion-Mayotte et co-secrétaire du Parti de Gauche de La Réunion

La plainte évoquée vient conforter mon analyse. Elle a été déposée contre un acteur privé, mais pas contre les élus. Malheureusement, ces derniers ont complètement délaissé la question de l'eau. Par le passé, celle-ci était l'un des enjeux politiques majeurs des élections municipales, ce qui n'est absolument plus le cas aujourd'hui.

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Le déficit en eau s'aggrave pendant la saison des basses eaux. En 2020 par exemple, la pluviométrie a diminué de 13 %. La Réunion va-t-elle bientôt manquer d'eau ?

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Christian Léger, président de la Société d'études ornithologiques de La Réunion (SEOR)

Il est tout à fait possible que La Réunion vienne à manquer d'eau potable, du fait du déficit de pluviométrie. La commission Ressource en eau qui a été mise en place dans le cadre de l'élaboration du SDAGE 2022-2027 va devoir s'emparer de cette problématique.

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

La Réunion a connu plusieurs années de sécheresse, ce qui n'a pas permis de reconstituer les réserves en eau. En parallèle, la population progresse, ce qui accroît mécaniquement la consommation d'eau.

À ce stade, les ressources en eau restent suffisantes : ainsi, elles excèdent encore les besoins. Il n'en demeure pas moins indispensable d'aller vers des usages plus sobres de l'eau. En effet, la population n'est pas consciente de la menace qui pèse sur la ressource en eau : par le passé, il lui fallait aller en chercher à la ravine ou à la rivière. Ma génération, d'ailleurs, a connu cette situation. Aujourd'hui, l'eau est directement acheminée dans les foyers. Or les habitants ne sont ni conscients des effets du changement climatique sur la ressource en eau, ni conscients des conséquences des sécheresses observées. Certes, de très fortes pluies ont été enregistrées cette année : elles n'ont toutefois pas été suffisantes pour reconstituer les réserves.

Par ailleurs, les intrants issus du monde agricole et les mauvaises habitudes de la population ont dégradé la qualité de l'eau. Il m'apparaît primordial d'intégrer, dans les règlements des plans locaux d'urbanisme, des dispositions relatives à l'imperméabilisation des sols et aux réserves d'eau. Les aménagements présents sur la côte ouest sont surdimensionnés et le plan de gestion du risque d'inondation est contraire au SDAGE.

En tout état de cause, les élus doivent s'approprier l'ensemble des sujets susmentionnés, aux fins de veiller à ce qu'il y ait, sur le plan de l'eau, une vraie équité. Ainsi, l'eau doit être partagée de manière équitable. Puisque 40 % de la population de La Réunion vit sous le seuil de pauvreté, il est nécessaire d'aménager le prix de l'eau. Pour l'heure, la ressource en eau reste suffisante : elle va toutefois en se réduisant.

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Quelle est la qualité de l'eau apportée par les réseaux de distribution ?

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Christian Léger, président de la Société d'études ornithologiques de La Réunion (SEOR)

La plainte déposée par l'UFC – Que Choisir démontre que la qualité de l'eau distribuée est perçue, par une large part des citoyens, comme étant plutôt mauvaise. Les eaux souterraines risquent de pâtir de l'utilisation intempestive d'intrants par le monde agricole et par les habitants eux-mêmes. Quoi qu'il en soit, la qualité de l'eau n'est pas très bonne au sein de La Réunion

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Un risque microbiologique (parasite dans l'eau) a été détecté dans 8 communes en 2018. Quelles réponses ont été apportées à ce risque ?

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

Il s'agissait de matières fécales. En conséquence, des périmètres de protection ont été mis en place. Depuis de nombreuses années, la SREPEN-RNE demande que les forages et puits s'assortissent de périmètres de protection : or tous les captages n'en disposent pas, ce qui constitue une vraie faiblesse dans le cadre de la préservation de la qualité de l'eau.

Comme mentionné précédemment, l'ARS a mené une mission dédiée à la qualité microbiologique de l'eau à La Réunion. Le rapport afférent revient sur le plan d'actions dédié à l'eau potable sur la période 2016-2022. S'agissant de la commune de Petite-Ile, il stipule : « Qualité microbiologique non maîtrisée pour 100 % de la population ». Depuis lors cela étant, des usines de potabilisation ont été mises en place et des travaux engagés. Il serait donc utile de se rapprocher de l'ensemble des communes, pour disposer d'informations sur l'état d'avancement des travaux engagés aux fins d'assurer la potabilisation de l'eau.

Il existe, concernant la gestion de l'eau, une véritable faiblesse. Le SDAGE en est à sa troisième version : alors que les financements sont présents, les projets ne sont pas nécessairement prêts. Les intercommunalités souffrent d'un déficit de personnel et, peut-être, de problèmes d'organisation. Il serait donc utile de veiller à ce qu'elles soient prêtes lorsque se profile un nouveau projet de SDAGE.

La commission d'attribution des chantiers de l'office de l'eau devra prochainement distribuer 42 millions d'euros : or ces crédits ne seront nécessairement pas donnés aux communes qui en ont le plus besoin, mais à celles qui seront « prêtes ». Or une intercommunalité, que je ne citerai pas, estime ne pas pouvoir avancer, faute des moyens requis pour procéder à des recrutements.

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Les investissements dans les réseaux d'eau sont-ils suffisants, dans la mesure où les taux de rendement associés s'établissent à 60 % environ ?

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Christian Léger, président de la Société d'études ornithologiques de La Réunion (SEOR)

Je participe, aux côtés de Mme Le Bihan Ardon, aux réunions de la commission de financement de l'office de l'eau. Il est possible de mobiliser des financements de l'État, de l'office de l'eau ou de l'Union Européenne : encore faut-il, pour cela, avoir défini des projets et manifester la volonté politique de financer l'eau (eau potable, assainissement, etc.). Les Réunionnais, trop souvent encore, considèrent que l'eau ne peut pas venir à manquer, du fait des fortes pluies observées. Or l'eau doit être rendue potable. De surcroît, elle doit être assainie, avant qu'elle crée de la pollution.

Encore une fois, il est tout à fait possible de trouver des financements : il faut toutefois, avant cela, manifester une vraie volonté politique de s'emparer de la question de l'eau, en investissant, par exemple, dans les réseaux. En pratique, la mauvaise qualité de ces derniers est compréhensible, puisque La Réunion est une île volcanique. Elle connaît donc des mouvements de terrain fréquents. De plus, il est beaucoup plus difficile d'entretenir des réseaux en montagne qu'en plaine. Il serait utile, par conséquent, de se pencher sur des techniques innovantes qui permettraient de minorer les pertes d'eau.

Dans le cadre du dernier programme d'intervention de l'office de l'eau, il a fallu, pour inciter les intercommunalités à investir, accroître la participation de l'office de l'eau, ce qui a donné naissance à quelques projets. Or le processus devrait se dérouler de manière inverse : ainsi, les projets devraient être définis avant que des financements soient débloqués.

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Quel bilan tirez-vous de la délégation de service public (DSP), qui a été retenue par 80 % des communes de La Réunion ?

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Pascal Hoareau, co-secrétaire de Sud Telecom Réunion-Mayotte et co-secrétaire du Parti de Gauche de La Réunion

Une DSP permet aux élus de se dégager de leurs responsabilités en cas de problème. D'ailleurs, la plainte évoquée précédemment ne cible pas des élus, mais la Cise. Il serait utile d'inciter les élus à prendre et à assumer toutes leurs responsabilités. Malheureusement, d'aucuns préfèrent se concentrer sur des sujets qui leur rapportent peut-être plus de voix.

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En déduisez-vous qu'il serait utile de passer, concernant la gestion de l'eau, en régie directe ?

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Pascal Hoareau, co-secrétaire de Sud Telecom Réunion-Mayotte et co-secrétaire du Parti de Gauche de La Réunion

Sur le plan des prix et des rendements, le passage en régie ne change pas beaucoup de choses. Une régie a toutefois le mérite :

– de responsabiliser les élus, qui sont alors contraints de recruter des techniciens compétents ;

– de mettre les élus sous pression directe des citoyens.

Comme mentionné précédemment enfin, la gestion de l'eau n'est désormais plus l'un des enjeux majeurs des élections municipales : elle n'est d'ailleurs pas du tout abordée au sein des communes qui ne pratiquent que le fermage.

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

Les citoyens sont des usagers. Les élus, pour leur part, doivent jouer un rôle d'exécutant.

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Si je comprends bien, vous souscrivez à l'intervention de M. Pascal Hoareau.

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

Oui.

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Quels sont les dispositifs de tarification sociale de l'eau en vigueur à La Réunion ? Vous n'en avez pas connaissance ?

Avez-vous connaissance d'exemples précis et circonstanciés de collusion entre les services de l'État ou des collectivités territoriales et des entreprises privées ?

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

Je n'en ai pas connaissance.

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Vous avez évoqué, au gré des débats, d'un problème de non-potabilité de l'eau en cas de fortes pluies. Pourriez-vous étayer cette affirmation ? Comment la situation pourrait-elle s'améliorer sur ce plan ?

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Christian Léger, président de la Société d'études ornithologiques de La Réunion (SEOR)

La pluviométrie est en baisse. En cas d'épisode pluvieux important, l'eau, qui est boueuse, n'est plus potable. En effet, les pluies peuvent être extrêmement abondantes à La Réunion et les eaux superficielles donnent lieu à de très nombreux prélèvements. Certes, des prélèvements pourraient être effectués dans les eaux souterraines : ils ne seraient toutefois pas suffisants.

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

Il y a de nombreuses années, l'association avait milité pour la mise en place de réservoirs complémentaires, pour prélever davantage les eaux de pluie.

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À quelle date le rapport du BRGM dédié au projet de basculement des eaux a-t-il été publié ?

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

Il date des années 80. Je vous le transmettrai si vous le souhaitez. Pour rappel, les projets majeurs font l'objet, en amont, d'avant-projets sommaires.

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Pourquoi, en dépit du rapport négatif du BRGM et des alertes émises par les citoyens et les associations, le projet a-t-il été mis en œuvre ?

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Bernadette Le Bihan Ardon, présidente de la Société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement – Réunion nature environnement (SREPEN-RNE)

Vous venez de pointer du doigt l'un des problèmes de fonctionnement de l'État français. Les services de l'État s'appuient beaucoup sur les associations, sans leur donner de moyens.

La SREPEN-RNE ne vit pas de subventions. Néanmoins, si les associations disposaient des moyens requis, elles iraient plus régulièrement devant le tribunal administratif pour s'opposer à certains projets. Pour ma part, j'ai pu faire bloquer le projet débattu durant plusieurs mois : je n'aurais pas eu les moyens financiers d'aller plus loin. Enfin, il serait utile de faire évoluer la représentation au sein des différentes commissions. En effet, certaines d'entre elles accueillent 15 personnes, dont trois seulement représentent la société civile : aussi les votes de cette dernière ne comptent-ils finalement pas. Il est indispensable de veiller à ce que la composition des commissions soit beaucoup plus représentative.

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Christian Léger, président de la Société d'études ornithologiques de La Réunion (SEOR)

Je me désole, effectivement, de la très faible participation des élus aux différentes commissions, sachant que les représentants de l'État – DEAL, préfecture, etc. – votent systématiquement de la même manière. En la matière, la réforme de la fonction publique n'a rien arrangé, bien au contraire : par le passé, certains services mettaient en avant des problèmes spécifiques. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas et le pouvoir décisionnaire est entre les mains de l'État. En règle générale de surcroît, les représentants du monde industriel, qui ont des préoccupations financières, votent dans le même sens que l'État, par convergence d'intérêts. In fine, les populations ne sont défendues que par des associations et des représentants de la société civile, les élus brillant par leur absence.

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Pascal Hoareau, co-secrétaire de Sud Telecom Réunion-Mayotte et co-secrétaire du Parti de Gauche de La Réunion

Encore une fois, la volonté politique est une véritable nécessité. À mon sens, le lobby exercé par l'agriculture cannière a joué, par le passé, un rôle important.

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Je vous remercie d'avoir pris le temps de participer à cette audition. Je vous invite à compléter nos échanges en répondant par écrit aux questionnaires qui vous ont été adressés il y a quelques jours.

La séance est levée à onze heures cinq.