La réunion débute à dix heures quinze.
Nous auditionnons maintenant la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) avec Sylvain Mathieu, délégué interministériel, Jérôme d'Harcourt, adjoint au délégué interministériel, et Georges Bos, directeur du pôle migrants - accès au logement des réfugiés.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Sylvain Mathieu, M. Jérôme d'Harcourt et M. Georges Bos prêtent serment.)
Nous sommes impatients de vous entendre. En effet, des travaux que nous avons menés jusqu'ici il est ressorti qu'un travail collectif devait être construit entre les ministères sur la question des migrations, de l'accueil et de l'intégration des personnes étrangères. Nous mesurons que cet exercice est extrêmement difficile.
La DIHAL a été créée en 2010. Elle était alors composée de cinq à sept personnes et centrée sur la mise en œuvre et le pilotage des politiques d'hébergement et d'accès au logement. De nouvelles missions lui ont été confiées par la suite : la commission interministérielle pour le logement des populations immigrées – CILPI -, l'accès au logement des réfugiés et à l'hébergement des personnes en situation de migration. Désormais, la DIHAL compte plus de cinquante personnes travaillant à cinq missions : l'hébergement, l'accompagnement, l'accès au logement, la CILPI et la résorption des campements et des bidonvilles.
Les différents champs d'action de la DIHAL rejoignent les préoccupations de votre commission d'enquête. Il s'agit d'un point clé de notre action. Vous évoquiez le caractère interministériel de la DIHAL. Son approche est effectivement profondément transversale et interministérielle. Si la DIHAL dépend du Premier ministre, je suis également mis à disposition, dans les mêmes termes, de la ministre chargée du logement et du ministre de l'Intérieur. Même si en réalité, j'ai davantage de références avec la ministre du logement, pour autant, nous sommes totalement impliqués dans les actions menées par le ministère de l'intérieur impliquant le logement.
La stratégie prioritaire de la DIHAL porte sur le plan « le logement d'abord » lancé en 2017 par le président de la République. Ce plan s'appuie sur des actions lancées en 2010, dont la création de la DIHAL par Benoist Apparu. Le plan « le logement d'abord » vise l'accès le plus rapide possible à un logement pour les personnes en difficulté. Il s'agit d'éviter un passage par l'hébergement, autant que faire se peut, et de penser un accompagnement adapté aux besoins.
Le « service public de la rue au logement » a été mis en place le 1er janvier 2021. Il est le cadre d'action de la mise en œuvre du plan « le logement d'abord », qui repose sur un plan quinquennal. De ce point de vue, notre sujet est donc bien l'hébergement, l'insertion et l'accès au logement des personnes vulnérables. Par conséquent, les migrants et les réfugiés font partie des publics visés.
Dans le cadre du « service public de la rue au logement », la DIHAL a récupéré les financements et les compétences correspondants au programme 177 doté de 2,9 milliards d'euros en 2021. En effet, la création de la DIHAL visait à bâtir un pont administratif entre la direction générale de la cohésion sociale et la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages. Une démarche de projets très cohérente est ainsi rassemblée au sein de la DIHAL.
Je tiens à préciser que la DIHAL n'est pas organisée comme une administration « classique ». Elle ne compte ni directeur, ni directeur adjoint, ni chef de bureau. Elle fonctionne de manière resserrée, le travail est partagé et cette organisation nous permet d'être plus réactifs. Cela explique que nous soyons aujourd'hui trois personnes auditionnées.
Cette réactivité s'est très clairement manifestée dans la gestion de la crise migratoire dès 2015. En l'absence de « pôle migrants » au sein de la DIHAL, nous avons pris l'initiative de créer une plateforme nationale de relogement des réfugiés. L'objectif était de lister l'ensemble des logements proposés par les collectivités territoriales après la mort d'Alan Kurdi et d'organiser leur appareillement c'est-à-dire la correspondance entre un logement et les familles. Le fonctionnement s'est progressivement élargi, y compris en 2017, par l'expérimentation de « l'hébergement citoyen » à des bénéficiaires d'une protection internationale (BPI).
Selon nous, l'accompagnement social était essentiel au vu de notre expérience de propositions ne correspondant pas aux besoins, d'une part, et pour nous assurer de la qualité des offres, d'autre part. L'accompagnement social est d'autant plus important que le mécanisme administratif français est complexe pour une personne étrangère rencontrant des difficultés à parler la langue. Il ne devait donc pas être reporté sur la famille d'accueil, dont le rôle est de se concentrer sur l'accueil et le relationnel pour permettre d'accélérer l'insertion des personnes.
Sur le logement des réfugiés, nous agissons donc désormais selon les principes suivants :
- l'équilibre territorial. Nous recherchons la meilleure péréquation possible des efforts en matière d'accueil des réfugiés. En effet, certaines zones sont extrêmement tendues du point de vue de l'accès au logement et de l'hébergement ;
- la non-concurrence entre les publics vulnérables. Paradoxalement, l'accès au logement des réfugiés s'est ajouté à d'autres « segments » du public de la DIHAL et a augmenté l'offre. Nous n'avons donc pas constaté de concurrence au sens où des personnes issues de la rue verraient leur offre d'accès au logement réduite ;
- la mobilisation de logements adaptés à des besoins diversifiés (personnes isolées, de moins de 25 ans, familles monoparentales, familles nombreuses, personnes en situation de handicap).
- l'accompagnement social. Son absence retarde l'accès d'un ménage à l'emploi, la scolarité et la santé. Une enveloppe spécifique de 11 millions d'euros au sein du programme 177 a donc été mise à disposition pour faire levier sur des actions dans les territoires. Le budget total de 2,9 milliards d'euros comprend également des dispositifs d'accompagnement de droit commun.
En termes de bilan, entre 2018 et juin 2021, la DIHAL a directement contribué à l'accès au logement de 70 000 réfugiés. Avant 2018, il n'existait pas réellement de politique d'accès au logement complètement coordonnée. Le rythme mensuel de logements mobilisés était alors de l'ordre de 300 à 400 contre plus de 1 000 désormais.
Nos dispositifs d'accompagnement ont également permis de susciter des dispositifs sur le terrain. Nous estimons que l'enveloppe de 11 millions d'euros permet l'accompagnement de près de 8 000 réfugiés. Il s'agit toutefois uniquement de la partie visible, car les bénéficiaires ne sont pas tracés.
Nous recherchons une approche globale, ce qui recoupe le sujet de l'interministérialité. La DIHAL est profondément interministérielle ; elle est composée d'agents provenant de nombreux ministères (intérieur, santé, travail et éducation nationale). De fait, ses politiques publiques sont coordonnées du mieux possible avec les autres ministères.
En termes d'articulation avec la direction générale des étrangers en France (DGEF), avec la délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés (DIAIR) ou la direction de l'asile, la DIHAL est intégrée à l'ensemble des discussions. Elle les intègre également dans ses actions.
Vous recevrez par la suite mon prédécesseur, Alain Régnier. Nous nous connaissons bien et vous pourrez comprendre les synergies à l'œuvre. Lors de la création de la DIAIR, nous avons acté que la DIHAL assurait le volet logement pour les réfugiés. D'autres sujets relevant de la DIAIR, en lien avec les collectivités territoriales, comme les contrats territoriaux d'accueil et d'intégration des réfugiés (CTAIR), font l'objet d'une coordination. La DIHAL reste toutefois en charge du volet logement.
Nous ne sommes pas toujours en accord, mais nous disposons de programmes communs. Des crédits ont été redirigés pour permettre une approche globale. Pour exemple, le programme « Agir contre le sans-abrisme » est cofinancé par la DIHAL. La plateforme nationale de logement des réfugiés gérée par le groupement d'intérêt public habitat et interventions sociales (GIP HIS) l'est également via la DGEF.
Pourrions-nous développer encore l'interministérialité ? La question de la capacité à réaliser des accompagnements d'approche globale sur le terrain se pose. Dès le début, nous avons acté que les accompagnements financés ne devraient pas simplement s'assurer de la bonne gestion du logement. Il s'agit paradoxalement de l'élément nous intéressant le moins. A contrario, les questions d'accès à la scolarité, de santé et d'emploi sont centrales.
Des programmes tels que ceux « engagés pour la mobilité et l'insertion par le logement et l'emploi » (EMILE) ont donc été développés. Leur but est d'accompagner des personnes des personnes vivant en Île-de-France, en difficulté d'insertion professionnelle et mal-logées, vers une nouvelle vie, dans des territoires présentant de forts besoins en main d'œuvre et disposant de logements vacants. Si le programme EMILE semble être évident, il est très compliqué à mettre en œuvre en raison du travail interministériel conséquent qu'il suppose et des nombreuses actions à mener avec les collectivités territoriales. Par conséquent, la DIHAL joue un rôle d'intégrateur des différentes compétences.
Il faut ajouter que des freins périphériques existent en termes d'insertion et d'intégration des bénéficiaires de la protection internationale (BPI).
Premièrement, les délais relatifs à un certain nombre de démarches d'état civil, d'ouvertures de droits, etc. sont un réel sujet. Outre un gain pour l'insertion, une amélioration des délais éviterait certains coûts. De fait, les bénéficiaires restent en partie soutenus financièrement par les différents pouvoirs publics.
Deuxièmement, il reste difficile de mobiliser des logements en dehors du contingent préfectoral. Bien que le logement soit une compétence partagée, les collectivités territoriales ne sont pas assez impliquées dans la mise à disposition de ces logements. Alain Régnier y travaille avec les CTAIR. Malheureusement, l'ampleur n'est pas celle que nous attendions. Pour 2021, nous avons fixé un objectif de mise à disposition de 14 000 logements à des BPI, après un objectif de10 000 logements en 2020. À date, l'objectif est atteint à 50 %.
Troisièmement, la question de la maîtrise du français se pose. Son apprentissage doit démarrer le plus tôt possible, au même titre que les démarches. Sans qu'elles soient explicitement financées, des initiatives existent dans des centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA). Si le traitement des demandes d'asiles est évidemment trop long, nous souhaiterions au moins que ce temps soit optimisé pour préparer la sortie des personnes de ce parcours.
S'agissant des pistes de progrès, nous souhaitons travailler à l'intégration de l'ensemble des dispositifs permettant l'insertion. Le programme « Agir contre le sans-abrisme » débutera en 2022 et nous étudierons son fonctionnement. Nous constatons souvent un éclatement des compétences alors que les besoins des réfugiés sont multiples.
Enfin, ce que nous réalisons pour les réfugiés constitue un élément assez fort pour faire réfléchir à l'ensemble des questions d'intégration et d'insertion. Des débats existent, y compris au sein des publics de la DIHAL, sur l'action particulière à destination des BPI. Ma réponse est systématiquement que les avancées en termes de simplification des démarches, de meilleure articulation des dispositifs, d'amélioration de l'accès au logement profitent à tous.
Vous avez peu évoqué le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et vous semblez y signaler un problème. Comment votre position interministérielle vous permet-elle de travailler avec ce ministère ?
Je vous remercie d'exprimer avec franchise les difficultés rencontrées pour mieux appréhender ces questions. Nous avons reçu des associations nous ayant aussi expliqué les différentes situations dans lesquelles peuvent se trouver des familles.
Quel est votre retour vis-à-vis des cohabitations solidaires ? Quel est votre jugement sur ce programme ? Comment l'améliorer ?
Bien que vous ayez en partie répondu, quelles évolutions proposez-vous pour améliorer l'accès au logement des réfugiés ?
Je vous remercie pour votre intervention qui m'intéresse particulièrement en tant que famille d'accueil au titre de l'association Jesuit refugee service (JRS). Les périodes d'accueil durent six semaines, dans la limite d'un an. Nous nous sommes trouvés en fin de parcours d'accueil avec une personne ne disposant pas de solution de logement, ce qui a été très compliqué.
Vous évoquiez l'accompagnement social. Y travaillez-vous avec les associations ? Ces dernières peuvent-elles constituer des passerelles ?
Plus tôt, nous recevions des chercheurs travaillant à un projet d'académie pour la participation des réfugiés. La DIHAL réfléchit-elle à la place qu'elle pourrait donner aux réfugiés pour travailler avec elle ? Ils sont finalement les plus connaisseurs du sujet.
Enfin, certains réfugiés essaient d'obtenir la nationalité française, ce qui s'avère compliqué. Bien que cela soit hors de vos compétences, pensez-vous qu'un travail pourrait être mené sur le sujet ?
M. Bos reviendra sur le dispositif Cohabitation solidaire qui repose uniquement sur les associations. Je voudrais juste dire que l'association JRS avait été contactée par la DIHAL, mais elle n'entre pas totalement dans notre modèle. En effet, l'offre que nous proposons est bien supérieure à six semaines et nous la centrons sur les BPI.
Sur la question de l'accompagnement et des difficultés que vous avez pu relever, il s'agit de notre cœur de sujet. Nous ne voulons pas laisser les familles gérer seules des sujets demandant du temps, une connaissance du tissu administratif et des compétences professionnelles. Nous cherchons à mettre en place une relation la plus clarifiée possible sans aller vers une dépendance trop forte. Nous souhaitons vraiment éviter les impasses. Par conséquent, au-delà de « cohabitation solidaire », des dispositifs de suivi existent pour organiser le lien lorsqu'aucune solution n'a émergé.
En creux, vous évoquez la formation des travailleurs sociaux et la capacité des associations à accompagner les personnes. En 2015, j'avais longuement discuté avec les fédérations associatives pour expliquer qu'un accompagnement social « classique » ne convenait pas aux BPI. En effet, ils vivaient précédemment une vie classique dans leur pays d'origine. L'accompagnement devait donc être adapté. La situation a évolué et une professionnalisation est intervenue. Des marges de manœuvre existent toujours toutefois. Nous sommes engagés avec l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et la DGEF sur la formation des gestionnaires des différentes structures du DNA en matière d'accès au logement. La question du continuum de parcours est effectivement essentielle. Les éléments de rupture administrative doivent le moins possible être portés par les ménages pris en charge. Il s'agit d'un élément qui est permis par l'interministérialité.
La DIHAL adhère à la démarche de participation. Il s'agit d'un point clé que nous développons et nous encourageons d'ailleurs le recours aux travailleurs pairs. Un axe de développement portant sur ce sujet a été publié avec la fédération des acteurs de la solidarité (FAS). La participation des réfugiés est toutefois plus compliquée à mettre en place. En effet, au-delà du problème de la barrière linguistique, le travail mené par la DIHAL avec les réfugiés, dans le cadre de la cohabitation solidaire par exemple, est beaucoup plus dispersé sur le territoire.
Enfin, s'agissant des améliorations possibles, la question de l'orientation des demandeurs d'asile sur le territoire est essentielle. Par exemple, les installations en Île-de-France doivent être évitées au maximum. Une prise en charge dans le DNA en Île-de-France créera une rupture pour s'installer ensuite en province, au-delà même des éventuelles représentations capitale/province, en termes de développement de relations ou de soutien éventuel par un réseau de personnes de même nationalité. L'orientation première est extrêmement importante pour résoudre les problèmes par la suite.
La question de la chaîne apparaît aussi dès le début avec l'orientation vers des dispositifs d'accès à l'emploi ou au logement qui correspondent aux personnes. Cela demande évidemment d'engager un certain nombre d'actions en amont, ce qui reste toujours un sujet pour des demandeurs d'asile qui ne sont pas encore bénéficiaires de la protection internationale. En effet, il faut décider jusqu'où, comment et selon quelles conditions on investit dans des formations, y compris linguistiques, et dans le diagnostic afin de préparer la suite, sans savoir si le statut de BPI sera finalement accordé.
Le programme « cohabitation solidaire » a pour origine la crise syrienne qui avait suscité beaucoup d'émotions. La population s'était rapidement proposé d'accueillir des personnes au sein de leur famille. C'est à nouveau le cas aujourd'hui face avec la crise afghane qui a entraîné de nombreuses adhésions au dispositif.
Le programme est géré via un appel à projets cofinancé par la DIHAL et la DGEF pour plus d'un million d'euros. Depuis 2017, vingt associations se sont mobilisées à la recherche de foyers d'accueil et des logements pour organiser cette cohabitation avec des réfugiés. À date, près de mille réfugiés ont été accueillis dans ce cadre.
En termes de résultats, 70 % des sorties se font vers un logement. Ce dispositif transitoire permet aux réfugiés de s'intégrer, d'apprendre la langue et de se faire aux codes sociaux plus rapidement. De ce point de vue, le dispositif est très intéressant mais il est limité par le fait qu'il repose sur le volontariat. Entre les crises syriennes et afghanes, les remontées ont été très peu nombreuses malgré le travail fait par les associations.
Ce programme mériterait une communication plus forte, notamment de la part des acteurs politiques. Les familles accueillantes ont l'assurance d'un suivi d'une durée a minima d'un an lorsqu'un réfugié entre dans le dispositif, ce qui permet le règlement de questions administratives.
En réponse à votre question sur le ministère de la cohésion des territoires et sur les relations avec les collectivités territoriales, il faut préciser que le sujet du logement relevait précédemment du ministère de la cohésion des territoires via le ministre délégué chargé de la ville et du logement. Les liens avec la DIHAL sont évidents et elle participe au plan national Action cœur de ville, via la mobilisation de logements.
Pour autant, ce type de programme ne ciblent pas spécifiquement les réfugiés. Les mises à disposition de logements visent plus globalement des personnes sortant de la rue ou de centres d'hébergement. Les opérations de réhabilitation d'immeubles permettent la remise de logements sur le marché.
Nous essayons également de nous connecter aux dispositifs de l'agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (Anah) tels que « maprimerénov'». Il n'est toutefois pas évident de proposer aux propriétaires un package allant d'une aide à la rénovation jusqu'à une proposition du logement à des réfugiés. Cela se fait via des conventions Anah, mais il n'existe pas d'action spécifique pour les réfugiés. Le flot de logements mobilisés n'est donc pas important.
S'agissant de la répartition des réfugiés sur le territoire, éviter Paris vous semble capital. Nous nous sommes récemment rendus à Briançon dans un centre d'hébergement recevant essentiellement des Afghans arrivés avant la vague actuelle. Lors de la réunion qui a suivi en Préfecture de Gap, il est apparu que les demandes d'asile doivent être réalisées à Marseille. Les réfugiés souhaitent donc s'installer au plus près des centres administratifs, soit à Marseille ou à Paris.
Nous comprenons parfaitement la problématique de tension sur le logement, mais les voies d'entrée administratives orientent systématiquement les réfugiés vers les grandes villes. Comment gérez-vous cette situation ?
Sa gestion relève principalement des services territoriaux de l'État. Nous connaissons bien la situation particulière de Briançon au regard de son caractère frontalier. Il s'agit initialement d'une initiative citoyenne visant à assurer une prise en charge après la traversée de la frontière. Pour autant, il existe une problématique globale de proximité des services. Bien que cela ne relève pas de mes compétences, je précise que l'OFII ou l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFRPA) effectuent des missions itinérantes. Cette option pourrait être davantage étudiée. Il me semble, en effet, difficile de multiplier les implantations de directions territoriales. Les centres d'accueil et d'orientation (CAO), missions itinérantes qui réalisaient les premières démarches de demande d'asile, avaient montré que la méthode fonctionnait.
Je m'exprime toutefois avec humilité et précaution, le sujet pouvant paraître simple vu de l'extérieur, mais étant, en réalité, beaucoup plus complexe. La DIHAL est assez favorable à un regroupement temporaire des personnes, sur le territoire, dans les premiers moments. Il permettrait de gagner du temps en concentrant les expertises et facilitant les démarches ultérieures.
En région parisienne, la tension est évidente pour les français. Pourquoi ne le serait-elle pas pour des réfugiés ? Lorsque nous nous sommes rendus à Briançon puis à Nice, nous avons échangé avec des réfugiés. Ils disaient ne pas savoir où déposer leur demande d'asile. Par conséquent, ils se rendent à Paris, destination connue à l'étranger. Une démarche insuffisamment proactive aux points d'entrée sur le territoire a pour conséquence une concentration des réfugiés là où la tension immobilière est la plus forte. Nous aimerions donc trouver des solutions pour sortir de cette mécanique.
Nous vous rejoignons complètement. Cependant, la situation demande une approche globale. Entre 2015 et 2017, la DIHAL avait développé des « modules de formation » destinés aux familles syriennes. L'objectif était d'expliquer que la France ne se résumait pas à Paris. Différentes destinations avec des logements disponibles étaient proposées avec une présentation de la ville-centre. Le dispositif fonctionnait plutôt bien, mais nécessitait en complément un développement du soutien, un accompagnement des démarches et un sentiment de proximité.
À ce titre, nous expliquions que d'autre membres de leur communauté ou de même nationalité étaient installés dans les différents endroits présentés. Une action particulière avait notamment visé les réfugiés tibétains pour lesquels le sentiment de communauté est très fort. J'ai souvenir d'orientations très réussies en Loire-Atlantique, dans de petites villes, car la mobilisation citoyenne y était plus forte que dans l'anonymat de grandes villes. Ce doit faire l'objet d'une explication aux réfugiés, dont les parcours sont généralement durs et qui ont parfois subi des violences.
La vision qu'ont les réfugiés de la France est la tour Eiffel, donc Paris. Les Syriens ont pour modèle leur pays où les services administratifs sont concentrés dans la capitale ou dans les très grandes villes. Un travail de formation est à réaliser pour expliquer que la France n'est pas Paris et le désert français et que l'administration est beaucoup plus répartie sur le territoire.
Pour autant, ce travail est rendu possible si des diagnostics sur la situation des réfugiés sont effectués (compétences professionnelles, souhaits, projets). Ils ne doivent pas être installés là où il n'existe pas de possibilité d'insertion professionnelle leur correspondant. Il s'agit d'une territorialisation extrêmement accompagnée, intelligente et informée quant à la situation des personnes.
. Je vous remercie pour cette audition extrêmement riche.
Ne pensez-vous pas que l'une de nos difficultés réside dans un problème insuffisamment pris à la racine ? Pour avoir expérimenté l'un des premiers CADA en milieu rural, je rejoins vos propos sur la nécessité de convaincre de l'existence d'un maillage santé/écoles/travail.
Ne pensez-vous pas aussi que le cœur du sujet est le laps de temps souvent trop long entre l'arrivée d'un réfugié en France, l'obtention du statut de réfugié, et par extension l'orientation vers un territoire donné ? Aurions-nous beaucoup à gagner à renforcer l'orientation vers la diversité de notre territoire de façon proactive et positive dès l'arrivée sur le territoire national ? Nous n'y parvenons pas du tout.
Je rejoins l'intervention de ma collègue par mon expérience en tant qu'enseignante d'une unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A). Une famille syrienne accueillie a mis beaucoup de temps pour obtenir le statut de réfugiée. Lorsque ce fut le cas, il lui a été proposé de s'installer en Bretagne. Or cette famille n'a pas souhaité quitter Bois-Colombes, car après plusieurs années d'errance, leur enfant était enfin scolarisé et stabilisé.
Je rappelle que Stella Dupont a été maire de Chalonnes-sur-Loire durant une dizaine d'années. Elle parle donc par expérience. Il en est de même pour Bénédicte Pételle. Ces auditions nous permettent aussi de sortir de nos expériences personnelles afin de disposer d'une vision plus large et plus globale du sujet.
Je vous rejoins sur la question des cohabitations solidaires. J'ai retenu votre idée d'une communication beaucoup plus forte. Comme je l'expliquais lors de l'audition précédente, avec la parution de la photo du petit Alan Kurdi, un grand nombre de personnes étaient prêtes à accueillir des réfugiés. À l'inverse, après une expérience malheureuse, vous souhaitez que tout le monde reparte. Ce constat est extrêmement simple, mais c'est celui de l'opinion publique. La politique migratoire n'échappe pas à ce manque de vérité et de chiffres et nous sommes d'accord sur la complexité du sujet.
J'aimerais toutefois savoir jusqu'où, selon vous, il est possible de pousser l'interministérialité en matière d'immigration. Si la tête de dispositif est plus politique, elle peut être capable d'obtenir des financements, de faire respecter les administrations, etc. Devons-nous aller jusqu'à un commissariat ou une agence ?
Sur la période précédant 2007, la majorité des personnes que nous avons interrogées ont confirmé que chacun des ministères, qu'il s'agisse des affaires étrangères ou de l'intérieur, jouait son rôle. Pour autant, les sujets de la santé, du logement et du travail ne doivent pas être ignorés. Il faut donc prendre en considération ces cinq compétences ministérielles. Il est important d'être orienté et accueilli dès l'arrivée, avec une démarche globale. Nous avons parlé du français, des compétences et de la médiation culturelle. Nous appuierons certainement le développement de cette dernière, comme en Belgique ou dans les pays anglo-saxons.
En Égypte, au Caire, place Tahrir, il existe le Mougamma : un immense bâtiment regroupant l'ensemble des administrations de l'État. Comme vous l'exprimiez, les réfugiés n'ont pas une culture de la décentralisation dans leur pays d'origine. Par conséquent, les médiateurs culturels et une formation adaptée dès l'arrivée en France sont importants. Cela rejoint les propos de Stella Dupont et Bénédicte Pételle sur un gain de temps afin que les réfugiés soient accueillis et accompagnés le plus rapidement possible, etc.
J'aimerais vous entendre préciser les limites et les avantages de l'interministérialité.
Au sein de la DIHAL, un certain nombre de personnes accueillent des réfugiés chez elles. Nous avons donc connaissance d'aspects très opérationnels. Par des politiques très territorialisées, la DIHAL essaie de tenir l'ensemble des maillons de la chaîne. Et elle mène une action très opérationnelle de mobilisation des logements et d'accompagnement qui permet parfois de mesurer les difficultés réelles des dispositifs.
Ainsi, lorsque la DIHAL accompagne des familles, il lui arrive d'affronter les rigueurs de l'administration telle qu'elle est vécue au quotidien. Cela constitue un enrichissement pour la DIHAL et fournit des pistes d'amélioration.
Concernant les questions de longueur des procédures et de la territorialisation de l'accueil des personnes, c'est effectivement un énorme sujet. Plus on va vite, mieux c'est. Cet objectif est d'ailleurs régulièrement évoqué. On ne parvient pas à respecter le délai maximum de six mois pour traiter une demande d'asile. Cela s'explique par des procédures complexes, mais également par les possibles recours. Néanmoins, de notre point de vue, aller vite est évidemment important.
Nous sommes très favorables à l'orientation directive mise en place dès la demande d'asile. Elle se pratique plutôt bien dans la plupart des pays. Nous nous y intéressons notamment pour parvenir à une gestion territoriale équilibrée et ne pas ajouter des tensions aux tensions à certains endroits.
Le raccourcissement des procédures et l'orientation des réfugiés dès leur arrivée nous paraissent donc extrêmement importants aussi pour qu'une solidarité s'exprime entre les territoires évitant la concentration des difficultés. L'orientation précoce des réfugiés est un sujet clé pour penser un équilibre entre territoires. Lorsque les enfants sont scolarisés, lorsque les parents commencent à avoir des contacts professionnels après avoir obtenu le statut de réfugié, il est difficile de demander à une famille de se déplacer de 400 kilomètres.
Vous évoquiez des situations compliquées lors d'accueils chez l'habitant. Au-delà de la générosité exprimée, nous constatons effectivement des échecs et parfois des conflits. En ce sens, l'accompagnement par un tiers est une clé pour les éviter.
Je nuancerai toutefois vos propos, madame la rapporteure. Si la perception des familles d'accueil change, c'est parce que nous n'avons pas aidé à résoudre le conflit. Par conséquent, la présence d'un tiers est très importante.
Votre question sur un organisme unique est très complexe. J'y suis réticent. Dans le domaine social, il existe une tentation de tout mettre dans tout et réciproquement. Pour autant, une segmentation entraîne un risque de perte d'expertise et d'opérationnalité. J'ignore où placer le curseur. Pour les réfugiés afghans, dans le cadre de l'opération Apagan, nous avons développé une vraie coopération entre l'ensemble des services. Pour autant, avoir quelqu'un à la tête de l'opération ne signifie pas que les administrations et partenaires publics s'aligneront comme un seul homme pour fonctionner parfaitement ensemble. Selon moi, l'action dépend beaucoup des initiatives de terrain. Je ne suis donc pas en mesure de dire jusqu'où aller dans la coordination et la mutualisation. Faut-il l'institutionnaliser et jusqu'où ?
En début de crise syrienne, le fonctionnement était satisfaisant parce qu'il repose aussi sur la volonté de faire, l'engagement et le caractère prioritaire du dossier. Il ne faut pas oublier que les effectifs de l'État ne sont pas si importants sur le terrain. Ils traitent également des questions de l'hébergement, de la lutte contre la pauvreté et de l'accueil des réfugiés. Par conséquent, le problème est parfois celui du nombre de personnes en mesures de traiter de ces sujets.
Je ne pense pas que nous résolvions tout par une unification à la tête. Selon moi, une approche globale est nécessaire.
Je suis élu de la Haute-Garonne. J'évoque l'exemple d'une plateforme qui permet aux associations de renseigner des informations lorsqu'un squat est évacué. Les associations ne le font pas, ce qui fait râler la préfecture. Quelles relations avez-vous avec les départements ?
La DIHAL à une action très territorialisée. Chaque membre de la délégation a obligation de se rendre sur le terrain a minima une fois par mois. Les relations avec les territoires sont assez fluides et nous sommes très informés. La DIHAL a développé une relation très serrée avec les départements. Le statut de délégation a permis de nous affranchir de l'organisation classique du niveau national parlant aux régions qui parlent ensuite aux départements. La DIHAL communique directement avec l'ensemble des échelons territoriaux.
La direction entretient également des relations très directes avec les services des collectivités. En effet, la mise en œuvre accélérée du plan « le logement d'abord » porte sur 45 territoires, soit 35 % de la population française. Les représentants de ces territoires seront prochainement reçus par la DIHAL conjointement avec les services départementaux de l'État. Ces échanges permettent de formuler des propositions et de faciliter les articulations sur le terrain.
Pour autant, le préfet reste le représentant de l'État sur un territoire. La DIHAL le tient donc informé et se positionne dans ses pas pour certaines actions.
Nous n'avons pas évoqué les campements et bidonvilles. Il est à préciser que la DIHAL a exclusivement la charge des campements et bidonvilles des ressortissants de l'Union européenne, essentiellement de Roumanie et de Bulgarie. Elle mène des actions très directes dans les territoires. À ce titre, j'ai récemment participé à une négociation avec le président d'une intercommunalité aux côtés du préfet. Du point de vue budgétaire, je rappelle que les crédits de la DIHAL, qui je le rappelle sont de 2,9 milliards d'euros, sont versés aux préfets de régions et de départements. Le dialogue de gestion est donc très serré afin de s'assurer de l'efficacité de l'utilisation de l'argent public.
Enfin, j'ai omis de dire que la DIHAL cherche réellement à mesurer l'impact des actions menées par des evidence based policies. Elles ne sont malheureusement pas toujours possibles. Après l'expérimentation « un chez-soi d'abord », nous avons démontré que l'accès direct au logement était la solution la plus forte, tant pour les personnes accueillies que pour les finances publiques. Les politiques menées par la DIHAL étant essentiellement départementales, il est plus aisé de les mesurer. De ce point de vue, notre dialogue est constant.
Premièrement, je me réjouis que 70 000 réfugiés aient eu accès à un logement.
Deuxièmement, je remarque que vos noms sont très franco-français. Je me fais la porte-parole de chercheurs reçus plus tôt en espérant que, bientôt, la DIHAL comptera d'anciens réfugiés. S'il est bon de recourir à des médiateurs culturels, inclure des réfugiés aux instances de décision en faisant appel à leurs compétences serait intéressant.
Le chiffre de 70 000 logements ne concerne que l'action de l'État. Des réfugiés trouvent également des logements par eux-mêmes.
S'agissant de votre seconde remarque, je la reçois un peu difficilement. Premièrement, les effectifs de la DIHAL sont féminins à 60 % et la diversité est bien présente au sein de la direction. Deuxièmement, je ne peux pas m'empêcher d'évoquer brièvement mon parcours. Je suis né en Seine-Saint-Denis. J'ai commencé à travailler à 17 ans. J'ai également une petite expérience de la rue et des situations de pauvreté. Je ne pense pas qu'être à la tête d'une administration obère complètement son histoire. A la DIHAL, je réponds personnellement de l'engagement de tous.
Merci beaucoup. Les échanges ont été fluides, directs et passionnants. Je ne peux accepter que l'on se base sur des apparences pour en tirer des conclusions. Vous avez bien fait de le rappeler, monsieur Mathieu.
La réunion s'achève à onze heures trente.