Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • PNSE
  • interlocuteur
  • médicament
  • perturbateurs
  • perturbateurs endocriniens
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La réunion

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L'audition débute à neuf heures trente.

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Dans le cadre de notre enquête sur les politiques publiques en matière de santé environnementale, nous accueillons M. Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé (C2DS).

Le C2DS est une association qui rassemble les acteurs du soin et de l'accompagnement sur le thème du développement durable, avec pour objectif d'informer les acteurs du secteur sur les bonnes pratiques environnementales. Elle compte plus de 500 adhérents, établissements sanitaires et médico-sociaux de tous types d'activité et de tous statuts juridiques.

(M. Olivier Toma prête serment.)

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Cette commission d'enquête cherche à établir un bilan des politiques publiques sur la santé environnementale, à en déterminer les points forts et les points faibles. Nous avons déjà entendu la parole institutionnelle et nous auditionnons maintenant les experts, les associations et la société civile pour recueillir d'autres approches complémentaires. Quelle est la place du C2DS sur ces questions ?

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Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé

Madame la présidente, je vous remercie de nous donner la parole. Nous sommes très heureux de participer à cette audition car nous travaillons sur ces sujets depuis presque vingt ans.

Le C2DS est une association, actuellement présente dans toutes les régions de France, qui est née en 2005 pour fédérer des établissements publics et privés, sanitaires et médico-sociaux, pour identifier les bonnes pratiques en matière de responsabilité sociale et sociétale et en matière de santé environnementale et pour les diffuser au plus grand nombre. Nous diffusons les bonnes pratiques et nous dénonçons les mauvaises pratiques lorsque nous les constatons.

Au-delà du C2DS, j'insiste sur la chance d'avoir un plan national santé environnement (PNSE) dans notre pays. Nous avions participé à la création du premier plan et j'essaierai de vous décrire les forces et les faiblesses de ce dispositif. En effet, le PNSE, s'il est une chance, n'est, hélas, pas évalué, pas financé et pas piloté.

Nous abordons au quotidien de nombreux sujets, à commencer par la problématique des perturbateurs endocriniens, des risques chimiques ou encore des risques émergents liés à l'exposition aux champs magnétiques ou aux nanoparticules. Nous travaillons aussi sur les cosmétiques, notamment pour les mamans et les bébés, dans les maternités et les crèches. Je vous parlerai également de la politique d'achat hospitalière, avec ses forces et ses faiblesses. Ensuite, il nous faudra évoquer la qualité de l'air intérieur, qui pose des problématiques en termes de dépenses de santé et de mal-être des professionnels de santé et des patients. J'aborderai également la question des changes pour nouveau-nés et l'absence de réponse à ce sujet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), du ministère chargé de la santé et de toutes les tutelles qui se renvoient la balle depuis des années. J'évoquerai la convention signée en 2016 entre toutes les fédérations hospitalières et l'État pour engager le secteur de la santé dans un grand programme de développement durable, hélas sans aucun moyen ni évaluation ; et enfin la formation initiale et continue des acteurs qui est actuellement mal adaptée aux problématiques de terrain.

Nous avons identifié, grâce à notre réseau de plus de 550 établissements sur le terrain, des solutions. Nous vous proposerons des pistes pour optimiser les dépenses de santé, réduire les externalités négatives des activités humaines sur l'environnement, réduire les impacts négatifs de l'environnement sur la santé humaine et enfin, redonner du sens aux métiers de la santé. Je crois qu'il y en a bien besoin !

Il y a quatre problématiques majeures en santé environnementale. Le premier est, à notre sens, qu'il n'existe pas d'incitation pour les acteurs à agir. Les acteurs les plus engagés, les plus vertueux, ne sont ni soutenus, ni financés, ni reconnus. C'est dommage, car cela ne donne pas envie aux autres d'agir. En second lieu, le problème de la formation initiale et continue est central, puisque nos professionnels ne sont aujourd'hui pas assez formés sur ces thématiques. Troisièmement, nous avons de nombreuses lois dans notre pays, mais elles ne sont ni appliquées, ni contrôlées. De ce fait, ceux qui agissent ne sont pas reconnus et ceux qui n'agissent pas ne sont pas sanctionnés. Enfin, la mutualisation des bonnes pratiques n'est pas organisée et il faudrait intensifier les échanges entre les régions. Lorsqu'une action extraordinaire en termes de santé environnementale est conduite en Nouvelle-Aquitaine par exemple, elle n'est ni mesurée ni dupliquée dans les autres régions de France.

Pour résumer, nous avons la chance d'avoir une véritable politique de santé environnementale avec le PNSE mais cette politique n'est ni financée, ni pilotée, ni structurée et donc, hélas, la perte d'énergie est colossale.

J'ajouterai que nous nous demandons depuis quinze ans à qui nous devons nous adresser. Nous avons une multitude d'interlocuteurs. Ces interlocuteurs ne se parlent pas entre eux, ce qui fait que nous n'avons de réponse à aucune des questions que nous posons. Je vous ai apporté des courriers que nous avons écrits depuis dix ans, adressés aux ministères chargés de la santé et de l'environnement, à la DGCCRF, à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Nous n'avons de réponse de personne. Des hauts fonctionnaires au développement durable sont présents dans tous les ministères, il existe des agences régionales de santé dans toutes les régions mais, malgré cette multitude d'acteurs, il n'y a malheureusement pas d'acteur identifié qui puisse répondre aux problématiques de terrain.

Nous avons donc d'un côté une politique parfaitement construite – le PNSE est un formidable outil – mais, en face, nous n'avons ni les moyens ni les interlocuteurs pour mettre en œuvre cette politique sur le terrain.

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Je vous remercie pour cette présentation. Vous soulignez l'avantage que constitue le fait d'être doté d'un PNSE, qui pourrait être un outil efficace s'il était accompagné de moyens et d'une meilleure gouvernance. Nous y reviendrons, car les échos que nous avons eus sur le PNSE jusqu'à présent ont été plus nuancés, notamment de la part des deux inspecteurs du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) qui ont réalisé une évaluation du PNSE 3.

J'entends l'attente que vous exprimez, qui est celle du secteur du soin, fer de lance d'une politique efficace en santé-environnement sur le terrain, d'autant plus que le PNSE 4 aura pour vocation de territorialiser davantage les politiques de santé environnementale.

Avant de rentrer plus dans le détail, une question fondamentale : quelle est votre définition de la santé environnementale ? Ensuite, j'aimerais que vous nous disiez, selon vous, quel rôle les établissements de santé doivent avoir sur les questions de santé-environnement ? Enfin, pouvez-vous nous présenter quelques-unes des initiatives que mène votre association, avec les 500 établissements qui y sont associés ?

Par ailleurs, vous dites n'avoir pas eu d'interlocuteur au sein des administrations, et n'avoir pas été entendus, accompagnés, ou aidés. N'y aurait-il pas un lien entre ce silence des institutions et votre statut d'entreprise privée ? Il faudrait que vous nous explicitiez le fonctionnement de cette association, qui ressemble à une entreprise privée. N'y aurait-il pas un problème relationnel, lié à votre statut, qui limiterait votre crédibilité ou l'intérêt que portent les administrations à vos propositions, malgré le nombre extrêmement important de participants inscrits à votre association ?

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Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé

Notre définition de la santé environnementale est celle de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). La santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux et psychosociaux de notre environnement. Cette définition accorde également une place à la prévention des facteurs environnementaux susceptibles d'affecter la santé des générations actuelles et futures.

Votre deuxième question porte sur les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, que je regrouperai sous le terme générique d'hôpital. Le rôle de l'hôpital est majeur dans notre pays : il assure la prise en charge de la santé humaine et de la dépendance. L'hôpital doit être exemplaire et il doit avoir les compétences et les moyens de garantir la santé d'aujourd'hui et la santé de demain. Mettre la santé au cœur de l'économie, par exemple, permettrait certainement à cet égard d'obtenir demain de meilleurs résultats qu'aujourd'hui, comme nous le voyons avec la crise de la covid-19.

L'hôpital est très engagé puisque, en dix ans, de nettes évolutions ont eu lieu, surtout dans certaines régions. Pour être efficace, il faut avoir le soutien des agences régionales de santé (ARS). Les différentes agences régionales de santé en France n'ont pas le même niveau d'engagement, puisqu'il n'existe pas de pilote national du PNSE. Cela dépend donc des directions des agences régionales. En particulier, les ARS de Nouvelle-Aquitaine, de Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) et d'Occitanie sont les trois ARS les plus engagées dans le pays, et même en Europe. Il n'existe nulle part en Europe l'équivalent de ce qui a été fait dans ces trois régions.

Ainsi, en PACA, 170 établissements de santé sont accompagnés par l'agence régionale de santé pour les faire monter en compétence sur la santé environnementale et la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Dans d'autres régions, on ne retrouve pas du tout ce niveau d'engagement, puisqu'il faut piloter ce qui se passe sur le terrain et avoir des moyens. Cela dépend donc des régions, en fonction de l'engagement d'un directeur ou d'une directrice d'agence régionale de santé.

Vous faites bien de souligner notre statut. Le C2DS est une association, et je m'occupe aussi, professionnellement, d'une agence d'experts. J'ai créé avec 25 collaborateurs une agence, dans laquelle j'ai embauché des ingénieurs et des professionnels de santé, qui fait de l'accompagnement de stratégie RSE auprès des établissements de santé.

Lorsque nous intervenons auprès des ministères, de la DGCCRF ou de toute entité publique ou représentant de l'État, nous nous adressons à eux avec toute la dynamique du C2DS et, en plus, avec celle de notre société, qui est une société à mission. J'insiste sur ce point. La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) a créé le statut de société à mission. Une telle société détermine des objectifs et une raison d'être, que reflètent ses statuts. Ce statut est, comme celui d'association créé en 1901, une importante étape. Pourtant, aujourd'hui, ces sociétés à mission ne sont pas reconnues. L'État a créé la loi mais n'a pas créé le référentiel des sociétés à mission, et nous ne sommes pas capables d'évaluer réellement une société à mission. Ce n'est pas sérieux, et il n'est pas sérieux non plus de ne pas nous répondre parce que nous avons un statut qui ne plairait pas aux autorités.

Je suis choqué que lorsque des citoyens, associations ou entreprises s'adressent à des institutions comme les ministères chargés de la santé ou de l'environnement ou la DGCCRF pour lancer une alerte, par exemple, sur le fait que les laits artificiels donnés aux nouveau-nés français comportent des perturbateurs endocriniens ou des nanoparticules de dioxyde de titane, nous n'obtenions jamais de réponse. Je ne le comprends pas et je pense même que, dès lors que nous avons conscience de cela, c'est une faute grave de ne pas répondre. L'exposition des nouveau-nés à des perturbateurs endocriniens, six à sept fois par jour, via leur alimentation, leurs couches ou les cosmétiques appliqués sur leur peau est un fait grave. Il ne me paraît pas cohérent que ces entités ne répondent pas à nos sollicitations sur un tel sujet, et c'est d'autant plus inacceptable si elles se fondent sur le caractère inhabituel de notre statut pour ne pas répondre.

Je ne le comprends pas et personne ne le comprend dans notre entourage. Je ne suis pas le porte-parole de toutes les institutions françaises mais je travaille avec beaucoup de praticiens, de médecins, de sociétés savantes ou de fédérations professionnelles. Ils n'ont pas plus de réponses. Nous n'avons aucune réponse aux questions que nous nous posons. Je vous donne un exemple qui date de cet été. Nous sommes actuellement face à une crise qui engendre des milliers de tonnes de déchets, notamment les masques jetables à usage unique. Comment est-il possible de ne pas promouvoir des masques lavables, écoconçus, biosourcés, répondant aux normes de l'Association française de normalisation (AFNOR) ? Pendant la crise de la covid-19, nous avons même reçu des directives selon lesquelles les établissements de santé français pouvaient stocker des déchets infectieux puisque les prestataires de déchets d'activité de soin à risque infectieux (DASRI) étaient complètement saturés. Là non plus, ce n'est pas raisonnable. Nous n'avons pas de réponse à ces ambiguïtés. J'ai sollicité quantité d'institutions en demandant : pouvez-vous clarifier les faits sur le masque chirurgical, sur le masque grand public ? Nous n'avons aucune réponse.

Il est important, par le biais de cette commission que vous animez, d'essayer de comprendre pourquoi nous n'avons ni interlocuteur ni réponse face à ces problématiques complexes, face à ces acteurs du terrain qui s'engagent sur ces sujets. Pourtant, la politique de santé environnementale du PNSE déclinée grâce aux plans régionaux (PRSE) est parfaite. Nous sommes le seul pays d'Europe à avoir une telle politique. Même les Canadiens sont bien moins avancés que nous sur la santé environnementale.

Je le redis, nous avons d'un côté une politique bien établie et, de l'autre côté, une absence de pilotage, de moyens et de structuration. Je trouve dommage que des actions exemplaires comme celles qui existent en Nouvelle-Aquitaine ne soient pas dupliquées dans toutes les régions. La Nouvelle-Aquitaine a une stratégie extraordinaire pour la petite enfance qui est très vulnérable face à ces risques environnementaux. Comment est-il possible d'avoir une telle perte de chance selon que l'on est mère en Nouvelle-Aquitaine ou en Île-de-France ? Les informations et les préventions auxquelles ces mères ont accès ne sont pas les mêmes, ce n'est pas cohérent. Je pense qu'il faut restructurer et avoir des pilotes dûment désignés.

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Ne pensez-vous pas que l'absence de réactivité de vos interlocuteurs des ministères provient de l'ambivalence de votre situation ? Vous êtes le président d'une association extrêmement active, qui a montré sa capacité à intervenir sur le terrain et, en même temps, un chef d'entreprise qui vit du conseil qu'il apporte aux établissements de santé. Dès lors, vos interlocuteurs du ministère ne savent pas toujours qui prend la parole. Est-ce le président d'association ou le directeur d'entreprise ? Je pense qu'il existe une ambiguïté. Quand vous signalez les problématiques de cosmétiques dans les maternités ou de présence de perturbateurs endocriniens dans les établissements de santé, qui prend la parole ? Je vous renvoie la question, ce qui est peut-être, en même temps, une forme de réponse à vos propres interrogations.

Pour ce qui concerne la filière des masques, je retrouve un vieux réflexe de gestionnaire d'hôpital. Nous avons à un moment donné investi énormément dans tout ce qui était à usage unique dans les établissements de santé et nous avons donc réduit toutes les chaînes relatives à la prise en charge des vêtements, des tissus. Je pense que les chaînes de nettoyage et de stérilisation adaptées n'existent plus et n'ont plus de personnel pour prendre en charge les masques réutilisables, comme c'est le cas pour l'alimentation pour laquelle nous sommes passés à des produits alimentaires déjà tout prêts à consommer et avons réduit les pratiques dans les cuisines hospitalières qui n'ont plus de personnel ni d'outils. Cette explication n'efface pas pour autant la pertinence de votre interrogation qui est partagée par bon nombre de députés. Nous sommes très inquiets de toute cette profusion de déchets de types nouveaux que nous observons un peu partout dans notre environnement. Nous nous interrogeons sur l'urgence à mettre en place une filière adaptée à ces masques jetables.

En ce qui concerne la gouvernance de la santé-environnement, je trouve une contradiction dans votre propos : vous affirmez que le PNSE est un outil extraordinaire tout en soulignant son inefficacité. Si c'est un outil intéressant, pourquoi en dénoncez‑vous le manque chronique d'opérationnalité et d'impact ? À vous entendre, en fait, la santé environnementale dans les établissements de santé relève davantage d'initiatives locales, de bonnes volontés et d'individus, que d'une organisation portée clairement par une institution bien identifiée. Pourtant, vous nous dites que nous avons beaucoup de chance d'avoir le PNSE et les PRSE. Expliquez-moi pourquoi l'existence de ces plans vous paraît être une avancée en matière de santé environnementale, et en quoi ils manquent d'efficacité.

Les deux inspections des ministères chargés de la santé et de l'environnement, qui ont évalué la mise en œuvre du PNSE 3 car leurs ministères sont ceux qui en assurent le pilotage, ont été, lorsque nous les avons auditionnées, extrêmement critiques quant au manque d'utilité et à l'inefficacité de ce plan. Ces failles résulteraient notamment, à les entendre, du manque de critères et d'indicateurs de performance et de l'absence d'une gouvernance clairement établie. Les inspections nous ont dressé, globalement, un bilan extrêmement négatif de la situation, en suggérant que la situation n'est pas différente de ce qu'elle aurait été s'il n'existait pas de politique nationale de santé environnementale en France.

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Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé

Je répondrai d'abord sur la problématique de l'articulation entre l'emploi et l'engagement associatif. Je ne suis pas le président de l'association. J'en suis l'un des adhérents, administrateur et porte-parole. J'ai le droit, à côté, d'exercer un métier. Je reviens d'ailleurs sur la logique des sociétés à mission. Je suis assez étonné que, en France, certains appels à projets ou des appels à manifestation d'intérêt soient exclusivement réservés au monde associatif. J'en ai encore découvert un la semaine dernière : Impact 2024 pour mettre le sport, le développement durable et la santé à l'honneur dans notre pays. Cet appel est exclusivement réservé à des associations ayant au moins deux salariés. Pourquoi privilégie-t-on des associations dès lors qu'elles ont deux salariés ? Pourquoi des entreprises qui ont des experts-comptables, des commissaires aux comptes et des organismes tiers indépendants qui viennent vérifier leurs données, leurs chiffres et l'atteinte de leurs objectifs sont-elles exclues systématiquement du système ? C'est un grave problème qui explique certains des blocages que connaît notre pays.

Je ne comprends pas pourquoi, pour la conception des PNSE et PRSE, nous n'avons pas autour de la table des experts qui soient des gens compétents, qui puissent être chefs d'entreprises, responsables de collectivités ou responsables d'associations. Nous sommes face à un dogmatisme qui, à mon sens, bloque le pays. Je pense qu'adhérer à une association et être chef d'entreprise sont deux activités compatibles. Ce sont surtout les entreprises qui, dans notre pays, créent des emplois.

En ce qui concerne les masques, les établissements de santé ont privilégié l'usage unique depuis des années parce qu'il existe dans le monde de la santé des lobbys très puissants qui privilégient l'usage unique et qu'il n'existe pas, en face, de lobby éthique et citoyen qui permet de promouvoir l'usage multiple, comme le font d'autres pays. C'est le « reprocessing » qui fonctionne très bien en Allemagne. Nous sommes tout à fait en mesure aujourd'hui de laver les masques. J'ai des masques lavables ; vous voyez que je porte un masque lavable offert par l'ARS Occitanie. Cela permet de faire à peu près trente fois moins de déchets que des masques jetables, qui se retrouvent partout dans nos poubelles et au fond des océans. La seule réponse qui m'est faite est que l'efficacité des masques lavables n'a pas été évaluée. C'est se moquer du monde ! L'efficacité des masques jetables fabriqués en Asie n'est pas évaluée non plus, ils n'ont la plupart du temps même pas de certificat de conformité. Ce sont encore une fois des affirmations et des erreurs regrettables. Nous participons avec de telles décisions à la fabrication des nuisances et des impacts de demain.

Enfin, en ce qui concerne la gouvernance des politiques de santé environnementale, il n'y a aucune contradiction dans mes propos. C'est en effet une chance d'avoir un plan national santé-environnement. C'est une chance d'en avoir eu trois versions depuis quinze ans, et d'en avoir des déclinaisons régionales. Ces plans sont très bien faits, ils contiennent toutes les thématiques à prendre en considération pour réduire les impacts sur la santé humaine et animale et sur l'environnement. En revanche, ils ne sont pas pilotés ni financés.

Le problème de fond du PNSE, c'est en effet l'absence de budget, d'interlocuteur et de pilote. J'ai eu des rendez-vous au ministère chargé de l'environnement sur ces sujets. Je n'en ai eu aucun au ministère chargé de la santé, où il n'y a pas d'interlocuteur consacré à ces sujets. Paradoxalement, à chaque fois que nous avons un rendez-vous au ministère chargé de l'environnement pour parler de ces sujets afférents à la santé, après nous avoir écoutés poliment pendant une heure, l'interlocuteur nous apprend que, puisque notre sujet concerne la santé, il nous faut aller au ministère chargé de la santé. Si demain nous définissions un pilote pour diriger les actions nationales et régionales, nous aurions des résultats. La preuve en est que les régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et PACA ont des résultats probants de réduction de déchets, de réduction d'impact, d'amélioration du bien-être et de la santé des collaborateurs dans les établissements. Dès lors que le plan est piloté, dès lors que les budgets sont mis en place, les résultats sont présents. Nous pouvons faire de la France un pays exemplaire en la matière à cette triple condition-là.

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Je suis sensible à vos propos, monsieur Toma, parce que je suis médecin de santé publique, et particulièrement investie dans tout ce qui concerne la prévention. Nous retrouvons les problèmes que vous pointez dans la politique de prévention et je pense d'ailleurs que les deux sujets sont très liés, parce que la santé environnementale fait partie de la prévention et réciproquement. La volonté politique est présente et formalisée puisque nous avons un PNSE, même si elle n'est ni suffisamment efficiente ni suffisamment efficace. De la même façon, un des quatre piliers de la stratégie de la réforme « Ma santé 2022, un engagement collectif » est la prévention. Jusqu'à présent, aucune stratégie ne pointait explicitement l'enjeu majeur de la prévention.

Nous nous confrontons à cette difficulté que vous décrivez très bien. Chaque ministère est mandaté pour un aspect particulier de la question et, au fond, nous n'avons pas de pilote. Personne n'est garant que nous travaillons ensemble, que nous tenons les objectifs ou au moins essayons de les tenir. Je voudrais entendre votre expérience sur la situation dans d'autres pays européens ou outre-Atlantique. Comment est appréhendée la santé environnementale ? Avons-nous des modèles qui donnent des lignes directrices vers lesquelles nous devrions tendre ? Ces modèles pourraient-ils nous aider à ne pas tout recommencer, à nous appuyer sur des bonnes pratiques ?

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Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé

Je pense que nous sommes l'un des pays les plus engagés dans ce domaine. Je n'ai pas vu l'équivalent de ce que nous avons impulsé en France, en dehors de la Suisse et de la Suède. Certains pays ont agi ponctuellement mais pas de manière globale. C'est, par exemple, le cas de la Suisse ou de la Suède sur les résidus médicamenteux. Nous sommes très mauvais sur ce sujet en France, et je vous engage à lire les rapports de l'Académie nationale de pharmacie de décembre 2008 et de 2019, qui sont étonnants. Ils expliquent que nous avons des résidus de médicaments – cytotoxiques, œstrogènes, antiépileptiques – dans l'eau que nous buvons tous les jours. La Suisse a mis en place dans les stations d'épuration des filtres à xénobiotiques, et elle a réussi à réduire de façon considérable ces résidus de médicaments. La Suède a créé l'indice des substances persistantes, bioaccumulables et toxiques (PBT) : tous les médicaments sont classés de 0 à 9 en fonction du taux de rejet dans les urines de molécules médicamenteuses. Depuis vingt ans, le C2DS milite pour que la France adopte et adapte l'indice PBT. Cela signifierait que, lorsqu'un médicament est prescrit et délivré, seraient pris en compte non seulement l'efficacité du médicament, mais aussi ses impacts environnementaux.

D'autres pays ont réussi à être en autoconsommation énergétique. En France, aucun travail n'est réalisé sur la transition énergétique du secteur hospitalier. Cela fait partie de nos demandes, mais la transition énergétique n'est pas en cours et n'est pas financée. Le monde de la santé ne pourra pas atteindre les objectifs du Grenelle de réduction de 40 % des gaz à effet de serre dans dix ans. Nous le savons d'ores et déjà puisque le financement et l'accompagnement sur ce sujet ne sont pas prévus. Par comparaison, le système de santé anglais a déjà réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 25 % à l'aide d'un fonds pour la rénovation énergétique du secteur, que nous demandons depuis dix ans.

Chaque pays a réussi à mettre en œuvre une action phare, mais aucun pays au monde n'a réussi à mettre en place une politique globale comme celle dont nous avons la chance de disposer. Cette politique n'est juste pas appliquée, pas financée, pas structurée, pas pilotée, mais elle existe. Il s'en faut de peu pour que, demain, nous parvenions à véritablement coordonner cette politique.

Je vous donne un autre exemple, qui va vous choquer. Je pense que la santé a trop de moyens, trop d'argent. Nous avons tellement d'agences, tellement de plans mais nous n'avons aucune coordination entre ces plans. Le plan santé au travail (PST) et les plans régionaux santé au travail (PRST) n'ont aucune coordination avec le plan national santé-environnement. Le plan national sur les résidus de médicaments dans l'eau n'a pas de connexion avec le PNSE. La déclaration d'Ostrava, il y a deux ans, dans laquelle les ministres chargés de la santé et de l'environnement réunis ont pris des engagements forts, n'a pas de connexion avec le PNSE. Le plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), quant à lui, n'a aucune connexion avec les programmes précédents.

Les hauts fonctionnaires au développement durable des ministères, mis en place voilà une dizaine d'années, n'ont aucuns moyens et sont invisibles. Entendez le haut fonctionnaire au ministère chargé de la santé, qui est très engagé mais n'a, hélas, aucun moyen. Je me répète : nous avons trop d'interlocuteurs et trop de plans. Il faut un guichet unique. Mutualisons et créons une entité unique qui puisse piloter la santé environnementale dans notre pays. Mettons donc de la coordination, de la structure, des pilotes, des experts aux commandes de ces sujets, et la France sera le pays le plus engagé et le plus exemplaire. C'est tout à fait accessible.

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Vous avez parlé de régions, telles que la région PACA, dans lesquelles cela fonctionne. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

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Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé

J'ai cité trois régions : Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et PACA. Pourquoi cela fonctionne-t-il ? La seule raison, c'est l'engagement du directeur de l'ARS sur ces sujets. Il a désigné des collaborateurs chargés de ces sujets qui ont mis en place des budgets pour accompagner les établissements. Nous avons donc une volonté stratégique à la tête du système avec des collaborateurs désignés et des budgets pour financer les actions. Ce qui manque, c'est la mutualisation de ces bonnes pratiques.

J'ai proposé cet été un sujet sur les achats responsables aux ministères chargés de la santé et de l'environnement et à tous les acteurs en place. Le système hospitalier affiche près de 17 milliards d'euros de dépenses par an de consommables. Je peux vous affirmer qu'il n'existe pas de politique d'achats responsables dans ce pays. Voici trois ou quatre ans, 130 groupements hospitaliers de territoire (GHT) chargés de cette question ont été créés mais ils n'ont même pas d'outil de mutualisation pour leurs achats. Par exemple, il nous a été demandé de travailler sur l'analyse des cosmétiques distribués dans les maternités de la région PACA. Nous avons donc analysé tous les cosmétiques contenant des perturbateurs endocriniens dans les crèches et maternités de PACA et de Nouvelle-Aquitaine puis incité les établissements à supprimer ces produits. Ce travail ne peut même pas être mutualisé avec les autres régions.

J'ai écrit au ministère chargé de la santé, expliquant que nous avions créé un outil pour mutualiser ces analyses et souhaitions le mettre à sa disposition, de façon à ne pas être dans une dynamique de chiffre d'affaires et de facturation, dans une région, d'un travail qui aurait été fait dans une autre région. Nous proposions de le donner. Nous n'avons même pas reçu de réponse. C'est tout de même incroyable que nous puissions proposer, sans avoir de réponse ou d'interlocuteur, de résoudre sur le terrain des problèmes qui ne devraient d'ailleurs pas exister, puisque c'est l'État qui devrait faire ce travail d'analyse des cosmétiques contenant des nanoparticules ou des perturbateurs endocriniens dans les maternités et les crèches. Si nous existons, c'est bien du fait de l'absence de pilotage de l'État sur ces sujets.

Nous venons d'être chargés de travailler sur la définition de critères de choix de couches écoconçues, biosourcées et sans produit dérivé de pétrole pour les maternités. Nous avons donc conçu ces critères pour un GHT. Maintenant que ces critères existent, je ne veux pas les vendre mais les donner, conformément à la logique de l'entreprise à mission. Toutefois, il faudrait des interlocuteurs, une plateforme. Nous sommes allés jusqu'à créer cette plateforme et elle est à disposition mais nous n'avons pas d'interlocuteur à qui l'offrir. Vous voyez qu'il ne manque pas grand-chose. En réalité, sur le terrain, tout est fait et fonctionne. Il suffit de cartographier ce qui fonctionne bien et de mutualiser ces actions exemplaires.

La région Nouvelle-Aquitaine nous a par exemple mandatés pour travailler à l'identification des risques issus de l'utilisation des produits chimiques dans les maternités, pour réduire ce risque, réduire les effluents liquides, réduire les quantités de stockage, réduire les déchets, réduire les composés organiques volatils de ces produits. Ce travail est déjà fait dans cette région. Nous associons en France désinfection et la chimie, ce qui est une erreur : la désinfection n'est pas forcément chimique. Les infectiologues vous diront que le balayage avec de la microfibre à l'eau sur les revêtements de sol a exactement le même résultat que des produits chimiques désinfectants. En revanche, avec du balayage humide, vous divisez par sept les impacts négatifs. Cela n'intéresse personne. Aucun lobby ne se trouve derrière le fait de balayer avec de l'eau et de la microfibre alors que, en face, les lobbys de la chimie sont très puissants. Ce travail a été réalisé pour les maternités de la région Nouvelle-Aquitaine. Mettons-le dans une plateforme pour que l'ensemble des établissements français puissent bénéficier de ce travail puisqu'il a déjà été réalisé.

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À la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, lorsque nous avons travaillé sur le projet de loi sur l'économie circulaire, nous avons eu toutes les peines du monde à travailler avec le ministère chargé de la santé. À chaque fois que nous avons essayé d'ouvrir des portes, elles se sont refermées. Je l'ai vraiment regretté. Nous avons travaillé notamment sur la délivrance du médicament à l'unité. Nous avions des sujets sur les DASRI, car je suis infirmière de métier, et je sais que des produits sont jetés dans les DASRI alors qu'ils n'ont pas à y être jetés. Ce que vous dites me consterne, parce que cela montre bien que la politique publique de la santé est en France finalement une sorte de pré carré, avec très peu de travail interministériel.

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Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé

Un des problèmes de fond est l'absence de politique à long terme et de budget pluriannuel. Le monde de la santé nécessite aujourd'hui des investissements importants avec des répercussions dans une ou plusieurs décennies. Nous sommes capables de financer à horizon 2050 des projets aérospatiaux, mais nous ne sommes pas capables de connaître le tarif d'un hôpital, d'une clinique ou d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) en janvier 2021. C'est très compliqué, sur le terrain, de piloter et d'investir sur des projets sans budget pluriannuel. Sur l'ensemble des thématiques que j'évoque, il faudrait investir aujourd'hui du temps, de l'expertise et des moyens pour réduire les impacts de demain. Sans une vision à long terme, pluriannuelle, sans savoir quels sont nos objectifs de santé publique en 2030, c'est beaucoup plus compliqué.

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Il se pose en outre une question de culture : dans chaque ministère se trouvent des hauts fonctionnaires mandatés au développement durable, mais existe-t-il une véritable culture partagée ? Par exemple, nous avons souvent le mot « prévention » à la bouche, mais ce que cela recouvre et la façon de le promouvoir ne sont pas forcément bien connus ni partagés. Que pensez-vous de ces problématiques de formation et de partage des connaissances ?

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Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé

Sur le sujet de la culture, je pense que nous ne sommes en fait pas dans le monde de la santé mais dans le monde de la maladie. Le système, tel qu'il existe aujourd'hui, est basé sur le fait que plus il existe de malades, plus tout le monde gagne de l'argent. C'est très direct mais c'est terrible. En fait, qui a intérêt à agir ? Ce sont les lobbys organisés. Nous avons donc un problème de culture parce que nous ne sommes pas dans une culture de l'anticipation et de la prévention dès le premier âge. Par exemple, dans certaines régions dans les Outre-mer, nous sommes à 30 % de population diabétique. Où est la culture de l'éducation à la nutrition ? En voyant ce que mangent les enfants dans certaines régions, nous pouvons être très inquiets sur leur état de santé dans les années à venir.

Nous avons, voilà dix ans, fait une expérimentation à l'échelle d'une ville, à Béziers. Nous avons dépisté, avec l'hôpital, l'assurance-maladie et la maternité privée, l'amblyopie, qui est une myopie d'un œil chez les nouveau-nés. Elle se détecte à neuf mois et non à la naissance comme la surdité. Nous avions lu dans la presse que 14 enfants sur 1 000 naissaient amblyopes dans le monde et nous avons fait un test à l'échelle de la ville. Nous avons trouvé exactement ce chiffre à Béziers. Sur 3 000 naissances, une trentaine d'enfants étaient amblyopes. Le dépistage de l'amblyopie coûte 30 euros et n'est pas organisé dans le pays. Cela signifie que, si nous investissions 30 euros par naissance à neuf mois, à multiplier par 700 000 naissances par an, nous dépisterions 14 enfants sur 1 000, ce qui leur éviterait d'avoir toute leur vie des problèmes de lunettes. Lorsqu'un enfant n'a pas été dépisté, il ne sait pas lire en CP, il a des troubles de l'équilibre et cela enclenche quantité de problématiques dans sa vie. J'ai été reçu par le ministre chargé de la santé pour présenter ces résultats, avec le directeur de la sécurité sociale et le directeur général de l'offre de soins. Nous avions proposé de rendre systématique ce dépistage de l'amblyopie à neuf mois. La réponse a été : qu'est-ce que cela nous rapporte à court terme pour les présidentielles ? J'ai prêté serment et j'insiste là-dessus. C'est la réponse qui nous a été faite à l'époque. Dix ans plus tard, le dépistage de l'amblyopie n'existe toujours pas et, chaque année, 14 enfants sur 1 000 naissent amblyopes et auront des lunettes toute leur vie. Pourquoi n'avons-nous pas cette culture ? Je ne peux pas vous répondre. Ce n'est pas dans la politique française de santé.

Je passe à la sensibilisation et à la formation. Les professionnels français de santé ne sont pas formés à la santé environnementale, à la RSE et au développement durable, ni en formation initiale ni en formation continue. Cela fait plus de quinze ans que nous en parlons et que, là non plus, nous n'avons pas d'interlocuteur, quels que soient les partis politiques au pouvoir. Aujourd'hui, si une femme enceinte ou une jeune mère veut avoir des informations sur ce qu'elle peut manger, boire, mettre sur sa peau ou sur la façon d'alimenter son nouveau-né, elle ne s'adresse pas à son gynécologue, son pédiatre ou sa sage-femme. Elle s'informe sur Google ou Yuka. Lors d'audits ou d'accompagnements, à la question « Êtes-vous formé pour vendre des produits sans perturbateurs endocriniens ? », certains pharmaciens me répondent « Oui, nous avons téléchargé Yuka pour nos collaborateurs. » C'est aujourd'hui la réponse en France, alors que nous ne savons pas qui est derrière Yuka et que ce n'est pas cohérent, car les applications de ce type ne prennent pas en compte la nature du contenant et du contenu. Nous avons des problèmes à cause des contenants, et c'est la raison pour laquelle nous retrouvons dans des laits infantiles des nanoparticules, des phtalates et des benzènes qui sont présents dans les contenants.

Nous avons donc un problème de formation majeur. Nous ne pouvons pas en vouloir aux professionnels de santé de ne pas être formés. Certains établissements ont décidé de mettre en place des plans de formation, mais cela dépend des gérants. C'est lié à la volonté d'un homme ou d'une femme qui a conscience du problème. Notons qu'ils n'ont pas toujours le budget pour le faire. Chacun fait comme il peut, et c'est dommage. Il suffirait, encore une fois, que ces actions soient structurées et pilotées pour que les résultats soient très rapides.

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Le problème essentiel que vous soulignez est celui du pilotage. Au niveau national, nous ne savons pas qui est le pilote et vous n'avez pas de réponse quand vous tentez d'avoir des interlocuteurs. Il me semble pourtant que la Haute Autorité de santé (HAS) avait parlé en 2010 de développement durable dans les établissements de santé, même si le sujet de la santé environnementale n'était pas encore abordé. Les directeurs d'établissements connaissaient encore mal le sujet du développement durable ou étaient réticents parce qu'ils craignaient des surcoûts. Que sont devenues ces directives de la HAS ? Est-il encore fait mention de démarches de développement durable dans les guides d'accréditation ? Des démarches de santé environnementales ont-elles été ajoutées ? Que pensez-vous du rôle possible de la HAS comme éventuel pilote ou interlocuteur ? Est-ce à votre avis un mauvais interlocuteur ? Faudrait-il s'organiser autrement ? Enfin, connaissez-vous le groupe santé environnement (GSE) ? C'est un groupe interministériel, où sont invités des représentants des entreprises, du monde de l'économie, des agences, des chercheurs, dont le rôle est, au travers de groupes de réflexion, de faire avancer le contenu des PNSE.

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Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé

Je n'ai pas connaissance du GSE. Ma connaissance théorique des PNSE est qu'ils doivent être fabriqués avec des parties prenantes et que les PRSE doivent être fabriqués avec des établissements de santé. En pratique, j'ai fait un test qui a duré dix ans. Dans toutes les villes dans lesquelles je passe en France lorsque je fais une conférence ou une formation, je demande systématiquement, à des interlocuteurs qui sont engagés sur la RSE et la santé environnementale : « Avez-vous déjà participé à la déclinaison régionale de votre PRSE ? » En dix ans, je n'ai jamais rencontré une seule personne qui ait été sollicitée. Je ne sais donc pas qui fait quoi parce que c'est totalement opaque.

En ce qui concerne la Haute Autorité de santé, c'est à mon avis un point clef. C'est elle qui a permis de structurer les démarches qualité dans le monde de la santé, en plusieurs étapes. Ce fut d'abord, avec le professeur Yves Matillon, la création en 1990 d'une association, l'Agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale (ANDEM), qui s'est ensuite transformée en un établissement public administratif, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) créée en 1997, puis en 2004 en une autorité administrative indépendante, la HAS.

Il y a eu, dans la certification V2014, 45 items sur le développement durable, mais avec deux problèmes de fond que je préciserai tout de suite. Si nous réglons ces deux problèmes de fond, la HAS sera un acteur clef pour la suite. Sinon, elle ne le sera pas. Le premier problème est que ces 45 items étaient optionnels. Cela signifie que tout ira vers le bas, parce que les établissements les plus engagés en France, ceux qui mènent des actions fortes sur ces sujets, ne sont pas audités sur ces points lors de la visite de certification. Il n'existe pas d'incitation, pas de mise en lumière des acteurs les plus vertueux. Ceux qui ne font rien ne sont pas non plus sanctionnés puisqu'ils ne seront de toute façon pas interrogés sur le sujet. En réalité, cette façon de travailler soutient les moins vertueux du système. Le deuxième problème, dont nous avions parlé à la HAS dès 2014, c'est que les visiteurs experts ne sont pas formés sur les items de la RSE. Vous pouvez être auditionné par des visiteurs experts qui en savent moins que vous sur ces sujets. Cela ne fonctionne pas. Pour que cela puisse fonctionner demain, les critères RSE et santé environnementale de la Haute Autorité de santé dans la certification V2020 à sortir – elle a presque un an de retard – doivent être obligatoires et non optionnels. La RSE et la santé environnementale ne peuvent pas être une option. Il faut de plus que les visiteurs experts aient un cursus de formation, avec des modules sous forme de formation en ligne ouverte à tous (MOOC) ou autre, pour qu'ils soient parfaitement efficaces et comprennent les enjeux. Nous manquons de pédagogie sur ces sujets.

Si nous résolvons ces deux problèmes, la HAS sera un acteur clef de l'avancée et de l'évolution de la santé environnementale et de la RSE dans les entreprises françaises. J'ai dit « entreprises » parce que, même si nous parlons aujourd'hui du monde de la santé, les sujets de RSE et de santé environnementale concernent tous les secteurs, toutes les collectivités, toutes les organisations. Aujourd'hui s'ouvrent à nous des acteurs nouveaux : des offices du tourisme, des théâtres, des opéras s'adressent à nous pour que nous leur donnions des protocoles que nous mettons en œuvre dans la santé. Le monde du tourisme et le monde de l'événementiel s'ouvrent à l'écoconception des décors, à la réduction des risques chimiques dans les lieux recevant du public, dans l'hôtellerie, la restauration.

La thématique de la santé environnementale est centrale pour l'ensemble des organisations. Nous voyons bien, avec la covid-19, que la sécurité sanitaire et la sécurité environnementale vont de pair. Lorsque je vois que, dans certaines villes, le sable a été nettoyé à l'eau oxygénée ou que des biocides ont été pulvérisés dans les classes alors qu'elles étaient inoccupées depuis trois mois, au-delà de l'inutilité de l'action, des dépenses engendrées et des impacts sur l'environnement, c'est tout simplement un délit pénal. Je crois qu'il est temps de remettre du bon sens sur ces sujets. La Haute Autorité de santé peut avoir un impact bien au-delà des frontières du monde de la santé, avec des préconisations qui peuvent s'appliquer dans tous les secteurs de l'économie.

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Nous avons donc identifié une piste de portage de la gouvernance au niveau national, dans le secteur des établissements de santé.

Vous parlez de mutualisation des bonnes pratiques. Pour ne pas y avoir été étrangère, j'ai connaissance de la mise en ligne, à l'intention des élus locaux, d'une boîte à outils pour se lancer dans des démarches de transition écologique. Parmi les volets de cette boîte à outils se trouve tout un chapitre sur la santé environnementale. Cela date de six mois environ et a été porté par le GSE, qui est une instance informelle et fort méconnue, comme vous venez de nous le confirmer. Nous avons dans un premier temps ciblé les élus locaux mais j'entends avec beaucoup d'intérêt qu'il existe une plateforme. La boîte à outils dont je vous parle a été portée par le ministère chargé de l'environnement, avec une coordination sur le volet typiquement sanitaire de la santé environnementale. C'est une piste. Nous pourrions le mettre en place très rapidement et cela pourrait peut-être être porté par le GSE. Je voulais partager avec vous cette information plutôt positive. Puisque nous avons réussi à le faire pour les élus locaux, pourquoi ne le ferions-nous pas à l'échelle des établissements de santé ?

Cette boîte à outils est disponible sur le site du ministère chargé de l'environnement, à destination des élus locaux. Comme vous le disiez, Monsieur Toma, il existe des actions mais elles se font de façon assez désordonnée. Le site de l'Agence nationale de santé publique, « Agir pour bébé » est également très bien fait. Le ministère chargé de la santé ne communique pas encore de façon intensive sur ce site et je me trouve souvent face à des élus locaux auxquels je vante le grand intérêt de ce site, qui donne des indications pratiques aux futurs parents qui souhaitent protéger leur bébé. Ces deux sites sont sortis récemment à l'initiative du GSE. Il y a donc des choses nouvelles même si elles mériteraient d'être mieux structurées.

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Monsieur Toma, quelles sont pour vous les deux urgences majeures en santé environnementale ? Que faut-il prioriser ?

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Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé

J'aurais du mal à ne vous donner que deux priorités. C'est un exercice compliqué.

La première priorité, à mon sens, est d'avancer vers la suppression de l'exposition aux perturbateurs endocriniens des enfants, dans le monde de la santé, dans les écoles, les crèches et les maternelles. Nous sommes actuellement en contact avec les perturbateurs endocriniens de quatre manières : dans ce que nous mangeons, dans ce que nous buvons, dans ce que nous mettons sur la peau et dans ce que nous respirons. Cela signifie qu'il faut parler de la qualité de l'air intérieur, de la qualité sanitaire des matériaux de construction, de la problématique des cosmétiques. Celle-ci qui est large, puisqu'elle concerne même les cosmétiques spécifiques pour les mamelons des mamans allaitantes – nous sommes à la limite du complément alimentaire. Dans ces produits qu'un enfant ingère quasiment huit fois par jour se trouvent des allergènes, des perturbateurs endocriniens, de tout !

Je vous ai apporté des documents très intéressants sur des cosmétiques pour fillettes. Ces produits ne sont soumis à aucune autorisation de mise sur le marché. Il existe des gels intimes, des lingettes intimes pour petites filles à partir de deux ans, des déodorants pour garçonnets. Nous en avons fait l'analyse, nous avons décortiqué les compositions. Il faut que nous travaillions à exiger des autorisations de mise sur le marché pour ces produits. Ce n'est pas normal de pouvoir mettre sur les muqueuses d'un enfant de tels produits qui contiennent 6, 7, 8, 9 ou 10 substances suspectées de toxicité. Le ministère chargé de la santé dispose de ces documents, je vous ai apporté tous les courriers que nous lui avons adressés.

L'impact des perturbateurs endocriniens est aussi présent dans l'alimentation des enfants. Comment se fait-il que le plastique à usage unique soit interdit en restauration collective pour les adultes depuis la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim) mais que les biberons à usage unique des maternités soient tous en plastique ? L'année dernière, 9 millions de nourrettes, de collerettes et de tétines ont été jetées alors que, il y a quelques années, ces biberons jetables étaient en verre et bénéficiaient de circuits de revalorisation. Les industriels se sont entendus pour passer au plastique, et ce plastique contient des perturbateurs endocriniens qui migrent dans les laits infantiles. Nous avons les éléments de preuve à ce sujet, et nous les avons adressés aux ministères chargés de l'environnement et de la santé et à la DGCCRF il y a déjà deux ans.

Nous respirons également ces perturbateurs endocriniens à cause des matériaux de construction ou de rénovation qui émettent des composés organiques volatils. Pourquoi les faux plafonds français émettent-ils du formaldéhyde ? Pourquoi n'existe-t-il pas d'autorisation de mise sur le marché pour ces produits, qui composent nos crèches, nos écoles, nos maternités ?

L'une des premières priorités doit être de réduire l'exposition des Français aux perturbateurs endocriniens. Ils sont nombreux et identifiés et les règles sont connues. Ce n'est pas la dose qui fait le poison mais la récurrence dans le temps de doses infinitésimales. Pourtant, j'ai des dizaines de courriers de personnes qui expliquent respecter les seuils prévus dans les textes, qui manquent donc le sujet.

Le plus incroyable provient du centre de transfusion sanguine : les poches de recueil de produits sanguins contiennent des phtalates. Pour celui qui reçoit le sang, lorsque cela lui sauve la vie, il est évident que les phtalates sont une question annexe mais cela me gêne plus pour les donneurs de plasma. Je suis donneur de sang et il m'a été proposé de donner du plasma. J'ai accepté, sous réserve que les poches ne soient pas à base de phtalates. Le centre de transfusion sanguine répond que, à chaque fois que quelqu'un donne du plasma et que ses globules lui sont réinjectés, ce donneur reçoit une dose de phtalates. C'est connu. J'ai été reçu par la direction de l'Établissement français du sang qui dit ne pas avoir le choix parce que les industriels n'ont pas de poche sans phtalate. Où sont la recherche et le développement ? C'est cela qu'il faut accélérer avec le plan de relance.

Pour la deuxième priorité, j'ai beaucoup de mal à répondre. C'est peut-être la réduction des résidus de médicaments dans l'eau et l'application de l'indice persistance, bioaccumulation, toxicité (PBT) pour prescrire les médicaments les moins polluants pour la santé humaine et l'environnement, sujet qui appelle une sensibilisation et une formation des professionnels.

Par exemple, la chimiothérapie est interdite en ambulatoire en médecine vétérinaire depuis 2008, par décret, alors que la chimiothérapie en médecine humaine est développée à 80 % en ambulatoire, bientôt à domicile. Il n'existe plus de chimiothérapie hospitalière. Auparavant, lorsque les patients étaient hospitalisés, il était possible de traiter les excrétats qui contiennent des cytotoxiques extrêmement dangereux pour la santé humaine. C'est la raison de l'interdiction en ambulatoire en médecine vétérinaire. Il faudrait donc en théorie récupérer les excrétats à domicile, comme sont récupérés les DASRI à domicile, ce qui n'était pas fait il y a quinze ans. Il faudrait même conseiller aux aidants de se protéger pendant 48 heures en cas de chimiothérapie parce que tous les excrétats, y compris la sueur et les postillons, sont dangereux pour les aidants. L'impact des médicaments sur la santé humaine est un véritable chantier.

Toujours sur la même question, savez-vous qu'il n'existe pas de circuit de traitement des médicaments périmés pour les hôpitaux ? Il existe un éco-organisme, Cyclamed, dont le seul objet est de récupérer les médicaments périmés des ménages. Il suffirait de changer l'objet pour viser les établissements de santé aussi bien que les ménages. De ce fait, les établissements de santé français n'ont pas de filière de traitement et nous ne savons pas où vont leurs médicaments périmés. La plupart du temps, ils vont dans les DASRI, alors que Cyclamed existe et est financé. Il faut étendre ces filières. L'impact du médicament sur l'environnement et sur l'eau fait donc à mon avis partie des priorités.

J'ajoute une troisième priorité sur la problématique des nanoparticules, notamment des nanoparticules de dioxyde de titane. Nous avons la chance d'être dans un pays où elles sont interdites depuis janvier 2020 dans l'alimentation, et c'est une très grande avancée. En revanche, nous retrouvons des nanoparticules de dioxyde de titane dans les cosmétiques, dans les médicaments et dans les matériaux de construction. Cela n'a pas de sens. Pourquoi prescrire à une mère un médicament contenant du dioxyde de titane sous forme nanoparticulaire alors que nous savons que c'est toxique et dangereux ? La problématique des nanoparticules est une urgence ; nous en mettons partout. Je vois par exemple des matériaux de construction avec des allégations mensongères du type « revêtement de sol autonettoyant » parce que, soi-disant il se produirait un effet photocatalytique entre les ultra-violets (UV) et le dioxyde de titane qui tuerait les germes. Montrez-moi où les UV, ici à l'intérieur, tapent sur le revêtement de sol : nulle part ! Des allégations mensongères sont utilisées par les industriels, et il n'existe pas d'autorisation de mise sur le marché de ces matériaux de construction qui peuvent être toxiques lors de l'utilisation, de la pose, de la fabrication, et de l'enlèvement dans quelques années, puisque ces déchets sont considérés comme des déchets amiantés.

Ce sont les trois urgences. J'ajoute deux idées. D'abord, sur l'écoconditionnalité des financements : dans le cadre du plan « Hôpital 2007 », qui date de 2003, l'allocation de 10 milliards d'euros pour la rénovation hospitalière était conditionnée au fait que les établissements suivent la norme Haute qualité environnementale (HQE). Cette écoconditionnalité des subventions n'existe plus aujourd'hui. Pourquoi ne pas privilégier les établissements engagés dans une dynamique à très haute qualité sanitaire, sociale et environnementale pour donner envie d'agir ? C'est un point-clef.

Par ailleurs, les incitations financières à la qualité (IFAQ) qui existent – et c'est très bien, nous le demandions depuis très longtemps – permettent de reconnaître les établissements engagés dans une démarche qualité. Sept thématiques sont prises en compte et nous proposons de créer un huitième thème sur la RSE et la santé environnementale, de sorte que les établissements les plus engagés soient également soutenus financièrement sur ce sujet.

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Cette intervention est extrêmement riche et préoccupante. Je rejoins nombre de vos questions. Nous les avions d'ailleurs posées dans le cadre du rapport de la mission d'information parlementaire sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastiques alimentaires cosmétiques et pharmaceutiques. Nous soulevions les points que vous venez d'évoquer et nous avons formulé de nombreuses recommandations. Certaines ont été entendues, c'est plus compliqué pour d'autres et le travail doit continuer.

Je constate aujourd'hui, en tant que parlementaire, aussi bien dans le cadre du rapport que de la loi Egalim, des difficultés en matière de transparence autour des composants et des substances utilisées dans différents produits. Au niveau européen, le règlement Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques (REACH) du Parlement européen et du Conseil, adopté le 18 décembre 2005, est en train d'être révisé. C'est l'occasion d'avancer sur la transparence et sur l'interdiction pure et simple de certaines substances. Il faut que nous soyons, en tant que parlementaires, mobilisés sur le sujet. Je serais curieuse de vous entendre sur cette dimension européenne de la question.

J'ajoute qu'il faut aussi se préoccuper de l'information du consommateur. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) évoquait un « Toxi-score ». Cet indicateur, inspiré du Nutri-score, permettrait au consommateur de savoir que le produit qu'il achète – contenant ou contenu – peut présenter un danger pour la santé au regard des substances utilisées. Cela fait partie des recommandations que nous portons.

Enfin, vous avez évoqué un autre sujet qui m'est cher, celui de ces bâtiments publics – crèches, écoles, hôpitaux – qui utilisent quotidiennement des substances très inquiétantes, pour leur construction, leur fonctionnement ainsi que dans les produits délivrés aux usagers et aux patients. L'exemplarité commence par la puissance publique et il faut que nous avancions sur ce sujet.

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Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé

Je ne suis hélas pas compétent sur le sujet européen. Je sais que c'est une piste, mais je n'ai pas assez d'informations. Ce qui me fait peur avec l'Europe, ce sont les délais à la mise en place des procédures. Je pense que REACH doit en effet parvenir à interdire des substances et non simplement déterminer des seuils.

Prenons l'exemple de la taurine dans les laits infantiles. Nous avons eu une ministre, il y a quelques années, qui a expliqué que la taurine est dangereuse pour les adolescents et qu'il faut la supprimer des boissons énergisantes, tandis que de la taurine de synthèse est ajoutée dans tous les laits infantiles. J'ai des courriers du ministère qui me répond que c'est normal puisque le lait maternel contient de la taurine, mais je pense que la taurine fabriquée par une mère et la taurine de synthèse fabriquée en Chine ou en Inde sont différentes. Toutefois, les lobbys du lait et le ministère m'ont fait la même réponse – à la phrase près.

La logique des seuils n'est pas cohérente. Lorsque des laits contiennent des phtalates ou des benzènes ou des nanoparticules de dioxyde de titane, il faut l'indiquer. Sur une barre chocolatée, est indiquée la présence de traces de produits à coques. De la même manière, il devrait être indiqué « Attention, traces de perturbateurs endocriniens, de phtalates et de benzènes ». Il faut une transparence absolue sur la composition des produits que nous consommons. Pourquoi n'est-il pas obligatoire d'afficher la composition des couches et des parfums ? J'ai récemment vu des parfums pour fillettes : ils contiennent des phtalates et notamment du phtalate de dihéxil (DHP). Si l'Europe peut nous aider à ce sujet, c'est par une interdiction des produits et non pas par des seuils. Avec les seuils, nous sommes au cœur de l'exposition aux perturbateurs endocriniens par des doses récurrentes infinitésimales. Même si tous les industriels sont de bonne foi en respectant les seuils, si vous accumulez à la fin de votre journée ce que vous avez bu, mangé, respiré et mis sur votre peau, vous avez un effet cocktail et une multi-exposition qui n'en finit pas.

Nous avons écrit un document dans lequel nous avons décliné les objectifs de développement durable (ODD) de l'Organisation des Nations unies (ONU) pour le secteur de la santé. Nous avons essayé de faire un résumé très synthétique avec 17 propositions. Si nous les appliquions dans le pays, je pense que nous serions un exemple pour l'Europe. Ce document contient tout ce que j'ai évoqué aujourd'hui, notamment la formation des acteurs et l'interdiction de certaines substances.

Je voudrais attirer votre attention sur un problème que nous devrons résoudre dans les mois qui viennent, celui de la vaccination liée à la covid-19. C'est un devoir républicain que de promouvoir la vaccination mais nous allons être confrontés à des débats entre les défenseurs de la vaccination et ceux qui y sont hostiles. J'attire votre attention sur le fait qu'il existe une troisième voie, qui existe en médecine animale et a été testée sur des volontaires dans des hôpitaux parisiens : la sérologie vaccinale. Il s'agit de mesurer les anticorps lors d'une prise de sang et de vacciner les personnes qui n'ont pas d'anticorps. C'est une vaccination personnalisée et non une vaccination de masse. Vous imaginez bien la position des lobbys, puisque les vaccins sont tout de même une belle rente pour les laboratoires. Je pense que cette troisième voie pourrait, le moment venu, apaiser les débats, parce que la gronde commence. Nous savons qu'il faudra l'affronter et je vous soumets cette possibilité. Je ne suis pas médecin et je n'irai pas plus loin. Je connais des médecins qui ont travaillé sur ce sujet puisqu'une expérimentation a été faite dans un hôpital parisien où cent collaborateurs qui devaient faire des rappels ont accepté de faire cette sérologie sur eux-mêmes. 73 % avaient encore des anticorps et pouvaient donc décaler la date du rappel. Cela signifie moins de déchets et moins de dépenses et car la sérologie coûte moins cher que le vaccin.

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Je reviens sur le problème de la gouvernance. Vous nous avez dit à plusieurs reprises que le PNSE est bon, mais qu'il manque un pilotage et des financements, ce qui en limite les impacts. Vous nous avez dit vos difficultés à trouver un interlocuteur dans les administrations, alors que vous représentez le monde de la santé. Le PNSE a toutefois d'autres cibles que le monde hospitalier et j'aimerais savoir comment vous envisagez une amélioration de la gouvernance nationale. Vous parlez de la difficulté à trouver un interlocuteur au sein du ministère chargé de la santé, mais plusieurs ministères sont concernés par le PNSE, en particulier les ministères chargés de l'environnement, du travail, de la recherche, de l'éducation nationale et de l'agriculture.

Quel serait à votre avis le meilleur pilotage national pour que ce PNSE prenne du sens et de l'efficacité et surtout qu'il puisse chapeauter la trentaine de plans sectoriels ? Quelle gouvernance suggérez-vous ensuite à l'échelle territoriale ? Vous nous avez beaucoup parlé du travail porté par certaines ARS mais, comme vous l'avez dit, cela dépend des individus. Pensez-vous que c'est le bon niveau de gouvernance territoriale ? Nous avons aussi entendu parler des conseils régionaux, des départements et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Enfin, comment associer la société civile et le monde associatif ? Vous dites que vous n'avez pas été officiellement associés à la définition du PRSE.

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Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé

Ce sont des questions très difficiles. Ma réponse ne peut être que très polémique mais, puisque je suis ici, autant que cela serve à nourrir le débat.

Je pense que, sur ces sujets, une solution intéressante serait la fusion des ministères chargés de la santé et de l'environnement. Nous en sommes loin, mais nous voyons bien que toutes les décisions prises nécessitent une analyse bénéfices-risques. Par exemple, la réduction de la vitesse sur les routes peut être expliquée de deux façons : soit en faisant comprendre aux automobilistes, en mettant des radars partout, qu'ils sont des vaches à lait et paieront des amendes, soit en expliquant, comme des médecins me l'ont dit – et cela a changé mon attitude au volant – que réduire de 30 % la vitesse dans les agglomérations et autour des agglomérations permet de réduire les particules fines, et que cela réduit de 30 % les maladies cardiovasculaires. C'est ce qu'il faut expliquer, mais ce n'est jamais expliqué.

Il faut donc une transversalité dans les politiques publiques et il faut que les acteurs se parlent. J'entends bien qu'une véritable fusion entre les deux ministères ne sera jamais possible, parce que trop d'intérêts et trop d'egos sont en jeu. Peut-être faut-il investir dans une agence ou un guichet unique pour traiter ces sujets. Ce guichet unique pourrait aussi servir d'agence de recherche et développement en santé, ce qui n'existe pas. Il est étonnant que toutes les actions sur le terrain qui engendrent des résultats ne soient pas évaluées, que nous ne parvenions pas à faire ce travail de recherche et développement. Il faut certainement, en termes de gouvernance, regrouper des agences pour réussir à travailler de façon transversale.

J'en viens à l'échelon territorial. Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) est très structurante pour les sociétés. Elle permet aux organisations de définir leur raison d'être, d'avoir des objectifs et de faire en sorte que ces objectifs soient contrôlés par un tiers indépendant. Si ces dispositions sont bien appliquées, elles verront la fin de l'éco-blanchiment (« greenwashing ») dans notre pays. En ce qui concerne les territoires, nous prévoyons de faire une opération pilote à Montpellier fondée sur l'idée du territoire à mission, une adaptation de la dynamique de société à mission. Il s'agit de regrouper des acteurs – associations, collectivités, entreprises, citoyens – et de définir un objectif commun, de façon à ce que toutes les organisations y travaillent en commun. Nous n'avons pas encore les financements mais nous avons déjà quelques pistes, et j'ai rencontré le maire de Montpellier vendredi dernier. Nous proposerons, dans ce territoire à mission, de mener une action sur la qualité de l'air intérieur, et de supprimer les perturbateurs endocriniens dans les organisations impliquées.

Cela signifie de mutualiser les bonnes pratiques. C'est donc positif en termes de coûts, puisque lorsque nous avons réussi à le faire dans une structure, toutes les autres en bénéficient. Nous avons déjà prévu une plateforme pour mutualiser les données entre les différents territoires. Cela se fait sans l'État ; c'est le terrain qui s'organise. Le problème de fond est que cela sera long et compliqué puisque nous n'avons pas de moyens. Mais cela ne demande que peu de moyens. Un territoire à mission demande deux équivalents temps plein (ETP), ce qui vous donne une idée du budget. Ce n'est rien du tout ; je ne parle pas de créer des agences avec de nombreux effectifs. Il s'agit juste d'avoir des personnes qui identifient les bonnes pratiques, les cartographient, les mutualisent et que nous puissions échanger au niveau des territoires pour le mettre en œuvre.

Je propose donc, pour la gouvernance au niveau national, un guichet unique et un pilote unique. Au niveau des territoires, lançons une expérimentation, sur la logique des territoires à mission, pour que toutes ces actions mises en œuvre sur le terrain puissent bénéficier au plus grand nombre. Ne comptons pas que sur l'État pour le faire. Appuyons-nous sur les acteurs engagés dans les territoires et sur la société civile. Je prends un exemple : ce soir, nous animons à Béziers une réunion avec une vingtaine d'entreprises qui veulent s'engager dans l'amélioration de la qualité de l'air intérieur de leur organisation pour protéger leurs clients et leurs collaborateurs. Nous leur donnerons ce soir les outils pour protéger la santé de leurs parties prenantes. Nous mesurerons la réduction des impacts dans un an. Une fois que c'est fait dans un endroit, nous le donnons ensuite pour le dupliquer à un autre endroit. Il suffit d'avoir les moyens de coordonner ces actions.

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Dans cette démarche avec la ville de Montpellier, quels sont les acteurs qui se sont mobilisés ? Vous nous avez présenté des démarches extrêmement intéressantes au niveau de certaines régions, mais vous agissez là dans le cadre d'une grande métropole. Comment pourrions-nous à votre avis nous organiser au niveau des territoires ? Cela passe-t-il par une contractualisation entre l'État et les acteurs locaux ? Quels sont ces acteurs ? Le portage et la dynamique varient en fonction des personnes présentes sur le terrain.

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Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé

Pour cette opération pilote à laquelle nous travaillons depuis un an, nous avons comme contacts d'une part des établissements de santé, dont le centre hospitalier universitaire (CHU) de Montpellier, des cliniques et des EHPAD, et d'autre part le mouvement des entreprises de France (MEDEF) et la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) qui sont les réseaux de l'ensemble des entreprises parties prenantes. Nous avons contacté les organismes de collecte des fonds de formation, dits opérateurs de compétence (OPCO), puisque ces acteurs peuvent financer des plans de formation globaux. Nous avons créé des formations en ligne ouvertes à tous, qui nous permettent de former, à un instant donné, de cent à quatre cents personnes et même d'éditer un certificat pour prouver que les gens ont été formés. Nous nous sommes aussi appuyés sur les différents réseaux tels que les associations : le centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD), la Jeune Chambre économique française (JCEF), la Fédération internationale de la construction, de l'urbanisme et de l'environnement (COBATY), qui sont des réseaux très actifs.

Je constate sur le terrain que, pendant dix ans, les acteurs nous ont demandé pourquoi il fallait se lancer dans de telles démarches et, depuis six mois environ, les acteurs ne demandent plus pourquoi mais comment. À partir du moment où la société civile se demande comment s'engager, je pense que nous avons gagné. Il faudra une décennie de plus mais j'espère que nous en reparlerons en 2030, Madame la Présidente, et que nous pourrons dire que nous y avons participé, que nous avons réussi à mettre en œuvre des actions et à les mutualiser.

Pour ce qui concerne notre expérience montpelliéraine, nous avons contacté les têtes de pont, qui sont tous volontaires, et nous sommes maintenant à la recherche de financements pour cette opération pilote. Nous espérons pouvoir dire dans un an que nous avons réussi à atteindre les objectifs. J'ai pris un engagement très fort avec le maire de Montpellier, en lui disant que si nous animions une telle dynamique, nous aurions les premiers résultats en dix-huit mois. Il ne s'agit pas de faire une énième commission ni de signer une charte. Des territoires ont signé la charte « Villes et territoires sans perturbateurs endocriniens » qui ne contient ni objectif, ni formation, ni moyens ; cela ne sert à rien. Avec un territoire à mission dans lequel les acteurs définissent une raison d'être commune et un plan d'action commun, nous aurons dans dix-huit mois les premiers résultats, tangibles, mesurables et duplicables.

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Nous terminons donc cette audition sur cette note tonique et pleine d'espoir. Je vous remercie pour tout ce que vous nous avez apporté avec beaucoup de détails et pour votre engagement personnel. Nous essaierons de tirer le maximum de profits de toutes vos propositions.

L'audition s'achève à onze heures.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 9 heures 30

Présents. - Mme Bénédicte Pételle, Mme Laurianne Rossi, Mme Nathalie Sarles, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Élisabeth Toutut-Picard

Excusés. - M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Jean-Louis Touraine