Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Présidence de M. Julien Borowczyk, président de la mission d'information
Le président M. Julien Borowczyk. Mes chers collègues, nous auditionnons M. Louis Gautier, au titre de ses fonctions de secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale de 2014 à 2018. Nous avons évoqué à plusieurs reprises, au cours de nos travaux, la question des stocks stratégiques et de la disponibilité des équipements de protection individuelle, ainsi que la doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire, élaborée par le SGDSN, en mai 2013. C'est pourquoi nous avons décidé de vous auditionner, ainsi que M. Francis Delon et Mme Claire Landais, vos prédécesseur et successeure.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « je le jure »
( M. Louis Gautier prête serment)
Alors que le monde n'en finit pas de surmonter une crise exceptionnelle liée à la Covid-19 et que la France, comme d'autres pays européens ou du pourtour méditerranéen, est confrontée à une flambée de l'épidémie, je vous apporterai mon témoignage sur les situations que j'ai eu à gérer en tant que SGDSN, durant une période qui a été marquée par différentes crises, notamment par une vague d'attentats. Le procès des auteurs de l'attentat de « Charlie Hebdo » se déroulant ces jours-ci, je ne peux qu'avoir une pensée pour les victimes.
Mon mandat a été marqué par la vague d'attentats qui a déferlé sur la France à partir de 2015 : ceux de Charlie Hebdo, de l'Hypercacher, de Saint-Quentin-Fallavier, du Thalys, du Stade de France, du Bataclan, de Magnanville, de Nice et de Saint-Étienne-du-Rouvray. Des attentats qui ont été l'occasion, alors que notre organisation de sécurité était éprouvée, d'actualiser, de modifier, de réformer, d'améliorer les processus et les outils de gestion de crise. Non seulement dans le domaine particulier de la lutte contre le terrorisme, mais aussi dans celui de la biosécurité, après l'attentat de l'usine de Saint-Quentin-Fallavier.
Cette période a également été marquée par des cyberattaques – contre TV5 Monde en 2015, les virus informatiques NotPetya et Wanacry en 2017 –, l'ouragan Irma, les crues de la Seine de 2016 et de 2018, ou encore la nécessité d'une protection lors de l'élection présidentielle… De sorte que le système de planification et de gestion de crise a dû être déployé durant de très longues séquences.
La cellule interministérielle de crise (CIC) a été activée 125 fois, à la demande du Premier ministre, par le SGDSN ; les plans de sécurité et les directives nationales de sécurité ont été affinés ; des exercices ont été conduits.
La première crise que j'ai eu à gérer a été celle du virus Ébola, qui a débouché sur l'adoption d'un plan en novembre 2014, l'implantation d'une task force spécifique au ministère de la santé et la désignation d'un coordonnateur unique, le professeur Delfraissy. À cette occasion, je me suis inspiré du plan Pandémie grippale que nous avons, bien entendu, adapté.
J'ai, par ailleurs, mené, durant, mon mandat, des réflexions sur deux thématiques importantes. La première concernait la doctrine de la variole, les stocks varioliques et les décisions conservatoires qui ont été prises. La seconde était relative au domaine de la biosécurité, qui a connu des évolutions majeures liées au génie génétique ou à la biologie de synthèse.
Enfin, le réchauffement climatique, la fonte du permafrost et le risque de libération de virus disparus depuis très longtemps ont également été au cœur de nos préoccupations.
Mais, contrairement à Francis Delon et à Claire Landais, mon mandat n'a pas été marqué par un épisode de type pandémie grippale. Il n'empêche que lors de l'élaboration puis de l'adoption, en novembre 2014, du plan Ébola, je me suis penché sur les précedents concernant les pandémies grippales, notamment sur le plan national de prévention et de lutte contre une pandémie grippale, élaboré en 2009 et révisé en 2011. D'abord, parce que je préside le conseil d'administration de l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), ensuite, parce que j'ai participé à la rédaction du Livre blanc de 2013 de la Commission européenne.
J'ai donc lu ce plan, extrêmement détaillé, fourni et travaillé, qui a donné lieu en 2009 et 2013 à des exercices qui ont prouvé sa robustesse. Révisé en 2011, il a été très largement diffusé par Francis Delon, tout comme la doctrine du 16 mai 2013 relative à la protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire, élaborée par le SGDSN. Il a d'ailleurs reçu des réponses très détaillées de tous les ministères, notamment de la Protection civile et du ministère en charge de l'agriculture, montrant que le plan était intégré et que la nouvelle doctrine allait être suivie d'effet.
En juillet 2013, une directive a été émise par les ministres de la santé et de l'intérieur, réglant la question de la distribution des stocks d'équipements de protection et la manière dont les opérateurs – notamment l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) et les agences régionales de santé (ARS) – étaient chargés de mettre en œuvre le plan Pandémie grippale et la nouvelle doctrine.
En février 2016, j'ai décidé de relancer l'ensemble des ministères. Je vous lis un extrait du courrier envoyé aux administrations : « L'importance de cette doctrine au regard des enjeux qui ont conduit à son adoption nécessite d'être rappelée, aussi je vous remercie de bien vouloir vous assurer, non seulement de sa diffusion, mais surtout de sa mise en œuvre, tant au sein de votre ministère que des secteurs d'activité placés sous votre autorité. ».
Enfin, en 2017, peu de temps avant de quitter mes fonctions, j'ai programmé, avec l'approbation du Premier ministre, un exercice de crise « pandémie », qui s'est tenu en 2019.
Pour conclure, je reviendrai sur les fonctions du SGDSN. D'abord, il ne s'agit pas d'une institution très importante en nombre d'agents. Si les documents budgétaires font état de mille agents, seuls quarante-cinq à cinquante d'entre eux gèrent les questions de sécurité. Les 850 autres travaillent à l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Lors de mon arrivée, une seule personne était en charge de la problématique santé, j'ai donc pris la décision de recruter un conseiller santé, M. Christophe Schmit, médecin urgentiste.
Ensuite, il ne faut pas se méprendre sur ses fonctions : les responsabilités opérationnelles, notamment la gestion des stocks, reviennent, selon les articles L. 1141-1 à L. 1141-8 du code de la défense et l'article L. 53-11-1 du code de santé publique, au ministre de la santé. Le SGDSN ne dispose d'aucun moyen d'intervenir sur les stocks. Cela serait d'ailleurs contraire à sa mission et créerait un désordre dans la gestion des responsabilités.
Les fonctions du SGDSN sont les suivantes : il intègre de l'expertise – il est en contact avec pratiquement tous les centres d'alerte ; il acculture l'ensemble de l'administration aux problématiques spécifiques de chacun des ministères en matière de sécurité – il est en contact avec les services opérationnels ; il a un rôle important dans la coordination interministérielle pour la mise en œuvre du plan ; enfin, il prépare les arbitrages, les dossiers et les décisions.
Le SGDSN dispose de personnes ressources très rares, dans les domaines du nucléaire, de la chimie, de la biologie et bien d'autres. Ces experts émettent des avis et leurs décisions sont déclinées sur les territoires par les administrations qui en ont la charge – ministères de la santé et de l'intérieur, notamment.
Le président M. Julien Borowczyk. Certains interlocuteurs nous ont indiqué qu'après 2010, et plus encore après 2015, bien entendu, la France aurait délaissé la préparation au risque de pandémie pour se concentrer sur le risque terroriste – attentats, attaques bactériologiques, etc. Le confirmez-vous ?
Par ailleurs, le plan Pandémie grippale, révisé en 2011, était-il à jour et adaptable à la situation que nous avons à affronter ? Vous avez notamment estimé qu'il aurait dû être déployé plus tôt. Plusieurs professionnels de santé ont, eux, indiqué, outre le défaut de réactivité, qu'il aurait été préférable que les différents services disposent d'une certaine fluidité plutôt que d'un « carcan opérationnel ».
La mobilisation qui s'est opérée sur la question du risque terroriste ne signifie pas que nous avons été indifférents aux autres problèmes que nous avons eu à traiter – ouragan, cyberattaques… En revanche, il est vrai que nous travaillons par cycle. C'est la raison pour laquelle, j'ai reprogrammé, en 2017, différents exercices visant à tester le plan Pandémie de 2011. L'actualisation des plans est un travail très lourd, qui mobilise l'administration à tous les niveaux.
Par ailleurs, le plan Ébola a été actif jusqu'en 2016 date de sa levée par l'Organisation de la santé (OMS) ; il était prêt à être déployé en cas de contamination. En outre, n'oublions pas que nous venions de sortir d'un cycle long d'élaboration du plan Pandémie grippale. J'ai évoqué le plan de 2009, mais le premier plan date de 2005. Il a fallu toutes ces années de travail pour aboutir à cette dernière mouture du plan, qui est d'une étonnante précision et d'une grande clarté.
Vous me demandez ensuite si, à travers la planification, il n'y aurait pas une certaine bureaucratisation de la sécurité. Ce n'est pas le but d'un plan. Il ne doit pas être respecté à la lettre et surtout, en cas de crise, il doit aussitôt être actualisé : la covid-19 n'est pas le virus H1N1 ni le H5N1.
Pour les décideurs, ce type de plan est une check-list, même pas un plan de vol. Nous savons tous qu'en politique, même si les responsables ont bien élaboré leur plan de vol, ils rencontreront des aléas, des difficultés. Il s'agit cependant d'une check-list utile. Ainsi, nous avons pu vérifier les moyens, les capacités, la mise en alerte des chaînes administratives…
Par ailleurs, à travers les plans se définissent des procédures, des gestes réflexes, un vocabulaire commun et compris, ainsi que diverses phases d'alerte, de vigilance et de remédiation mais ils peuvent ne pas traiter tous les sujets. Le plan Pandémie grippale 2011 n'aborde pas, par exemple, la question du confinement général, qui a été appliqué dans le monde entier.
Vous avez parlé de fluidité et de flexibilité. La flexibilité est dans l'ordre de l'opérationnel. C'est la raison pour laquelle ceux qui arment la cellule interministérielle de crise ne sont pas ceux qui gèrent le volet opérationnel de la crise. Ces derniers ne peuvent pas non plus être sur tous les fronts : celui qui gérera l'aspect santé n'aura pas le temps de briefer les recteurs, les préfets, etc.
La période 2014-2018 m'a poussé à sortir d'une culture dans laquelle le SGDSN était surtout attaché à des problématiques d'ordre militaire ou de politique internationale pour investir l'ensemble du champ de la sécurité, en coordination avec d'autres acteurs. Il est un élément de soutien d'une communauté interministérielle qui s'approprie des problématiques qui ne sont pas, au départ, nécessairement nées dans son champ de compétences.
Le 28 janvier vous avez déclaré ne pas comprendre pourquoi le plan Pandémie grippale n'avait pas encore été déclenché, que nous perdions un temps précieux, les risques de contagion étant très élevés : « ce virus semble très problématique, nous devrions donc appliquer tout de suite, en France, les premières phases du plan ». Cette vision d'anticipation, qui nous a cruellement fait défaut, était tout à fait pertinente. Quels éléments vous ont conduit à cette analyse ?
S'agissant de la doctrine du 16 mai 2013, tous nos interlocuteurs, qu'ils soient représentants d'établissement public de santé, d'établissement sanitaires ou médecins libéraux, nous ont indiqué ne pas la connaître. Or, lors du débat sur les masques, l'État a évoqué cette doctrine, rappelant qu'il appartenait aux employeurs d'assurer la protection de leurs salariés en toute circonstances. Une interprétation qui n'est pas partagée par tous. Quelle lecture faites-vous de cette doctrine et pourquoi votre prédécesseur et vous-même n'en avez pas assuré la diffusion ?
Enfin, je suis étonné par vos propos relatifs à la faiblesse des moyens du SGDSN sur les questions sanitaires. S'agit-il d'un défaut structurel, d'anticipation ou d'organisation ?
Effectivement, j'ai tenu des propos de citoyen, devant des journalistes lors d'une rencontre qui n'avait rien à voir avec la crise sanitaire. Ces propos non officiels ont été repris dans le courant du mois de mars, après le confinement, par les uns et par les autres. Je précise que connaissant la difficulté à gérer une crise, je me suis abstenu de tout commentaire sur ce point, y compris sur ces propos. Je me suis ensuite de nouveau exprimé sur la situation, après le confinement, dans le journal Ouest France, faisant part de l'état de ma réflexion sans revenir d'ailleurs sur mes propos précédents. Donc je le redis devant vous, un plan est un plan ; il doit être adapté et la responsabilité in fine est politique.
La doctrine du 16 mai 2013 a été largement diffusée, d'abord par mon prédécesseur. Je vous lis l'extrait d'une réponse qu'il reçue après la transmission de la doctrine aux administrations : « Comme suite à votre demande d'un complément des informations précédemment transmises, je vous précise que la note relative à la doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire a été transmise, etc. » Tous les ministères ont, non seulement accusé réception, mais ont indiqué de façon concrète avoir fait suivre cette note, même si certains en ont fait une application plus réelle et immédiate que d'autres.
Ensuite – je vous ai lu un extrait – j'ai procédé à un rappel de cette doctrine le 18 février 2016. Nous ne pouvons donc pas dire que cette doctrine était ignorée des administrations. Il leur appartenait d'assurer les relais vers leurs opérateurs et les milieux professionnels.
Concernant mon appréciation de la doctrine, il me semble que le SGDSN – mais vous poserez la question à Francis Delon – a prêté sa plume et son habitude de la discussion interministérielle pour, à partir de l'avis du Haut conseil de la santé publique (HCSP), élaborer un document permettant de clarifier et de rendre opérationnelle une doctrine qui serait partagée par tout le monde, et qui ne serait limitée au domaine de la santé.
La doctrine ne change pas la réalité du droit, il s'agit bien de protéger les travailleurs comme le précise le code du travail : les employeurs, publics et privés, sont chargés de la protection de leurs personnels. Elle ne change pas non plus la notion de stocks stratégiques, qui sont constitués pour les malades et leur entourage.
Cela signifie que les stocks de masques, pour les services d'intervention ou les services de secours qui ont une mission publique, sont à la charge des administrations et des opérateurs publics. Et cette doctrine rappelle aux opérateurs privés leur responsabilité de protéger leurs personnels.
De nouvelles orientations, d'autres textes – mais je ne possède pas cette documentation qui, si elle existe, n'avait pas été transmise au SGDSN lors de mon mandat –, ont pu être élaborés au ministère de la santé, sur la manière de gérer les stocks, d'accompagner la transformation de l'EPRUS en Santé publique France ou, par exemple, de répondre à la question des stocks tampons. La doctrine n'évoque que les stocks stratégiques.
Si des adaptations ont eu lieu, elles sont sans doute venues du ministère de la santé qui avait de toute façon à s'interroger sur la protection de ses personnels, notamment dans les hôpitaux. Il a certainement pris des mesures relatives aux stocks stratégiques, mais aussi aux stocks de soutien aux établissements de santé, au niveau national comme sur ses plateformes décentralisées en région, notamment dans les zones de défense. C'est d'ailleurs ce qu'évoque la circulaire cosignée par les ministères de la santé et de l'intérieur : c'est bien cette chaîne qui est censée assurer le lien entre le stock national et les stocks régionaux.
Mais un stock stratégique, ça vit. Il n'y a pas écrit sur un masque « stock stratégique » et sur un autre « stock tampon ». Une gestion intelligente des stocks veut qu'ils tournent et soient utilisés. D'ailleurs, certaines administrations n'ont pas rencontré de problème de continuité, quand d'autres services publics ont éprouvé des difficultés.
Dans un pays très hiérarchisé, ces problèmes renvoient à la responsabilité de chacun : les régions, les départements, les ARS, les opérateurs, les établissements…
Vous minorez l'importance de cette doctrine, quand d'autres la présentent comme une évolution très forte. De même, vous nous assurez que les ministères en avaient connaissance, alors que nos interlocuteurs nous ont dit ne pas la connaître.
Vous nous confirmez donc qu'il appartenait au ministère de la santé – au travers des ARS notamment – de protéger les personnels de santé de tous les hôpitaux de France, donc de vérifier auprès d'eux qu'ils disposaient bien des équipements de protection individuelle ?
Tout à fait, c'est ce qu'indique l'article L. 153-11-1 du code de santé publique et c'est aussi ce qui figure dans le champ de compétences des ARS. Maintenant, des adaptations de la doctrine, au sein du ministère de la santé ou des ARS, ont peut-être prévalu. Nous voyons bien que la maladie émerge dans des clusters ou des zones géographiques, nous pouvons donc avoir besoin de mobiliser des stocks pour aider une région en difficulté. Je ne suis pas au courant de cette doctrine de gestion des stocks par le ministère de la santé ou par Santé publique France.
S'agissant de la faiblesse du SGDSN sur les questions de crises sanitaires, il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un secrétariat général, et que l'ANSSI est un opérateur de sécurité. Le personnel est expert en gestion de crises, en armement des structures telles que la cellule interministérielle de crise mais quand la crise est, par exemple, sanitaire, des experts en ce domaine, comme les membres du HCSP, sont consultés. L'expert du SGDSN fera le lien avec la réglementation et la législation françaises ou internationales et sera l'élément de relais avec les administrations opérationnelles ou les opérateurs d'importance vitale.
Prenons l'exemple d'un médecin libéral qui travaille seul. Était-il concerné par la doctrine de 2013 ?
Oui, il doit avoir connaissance de cette doctrine et posséder, pour lui-même et son assistante, les équipements de protection. Certains en avaient. Cependant, il est vrai que lors d'anciennes crises sanitaires, des masques avaient été distribués aux praticiens libéraux : ces derniers ont pu penser que c'était la règle.
Je me permets d'insister : la doctrine de 2013 ne fait que traduire le code du travail et la recommandation du HCSP.
En dehors de vos propos du mois de janvier, vous avez dit que la CIC aurait dû être activée plus tôt, dès les premiers cas déclarés à Wuhan ; pourquoi cette déclaration ? Existait-il un défaut d'expertise ou d'organisation ?
Est-ce par souci d'économie que nous nous sommes engagés dans la direction prise par la directive 2013 qui a totalement changé le paradigme sur lequel l'EPRUS a été construit ? Cette rupture a très bien été décrite dans le rapport Delattre : « La France s'est appauvrie à partir de 2014, jusqu'en 2017, avec la diminution de l'autonomie, de l'indépendance de l'EPRUS. »
Je rappelle que l'EPRUS était sous la direction du ministère de la santé et qu'il s'agissait d'un lieu de stockage de médicaments et de matériels médicaux. De 2014 à 2018, il a perdu ses compétences, jusqu'à sa fusion avec Santé publique France, en 2018. Vous l'avez d'ailleurs rappelé, monsieur Gautier, avant 2013, l'État avait distribué des équipements de protection à chaque médecin libéral.
Quelle réforme visant à remédier à ces dysfonctionnements préconisez-vous pour la prochaine crise – car malheureusement, il y en aura d'autres ?
Étions-nous prêts à affronter une telle crise ? Nous avons parfois le sentiment que ce n'était pas le cas, l'état des stocks de masques en est un exemple édifiant.
S'agissant de la doctrine, visiblement il y a eu un problème dans la diffusion des modifications, puisqu'un certain nombre d'acteurs n'étaient pas au courant de son évolution.
Enfin, pouvez-vous nous décrire le rôle du SGDSN au cœur de la crise ? Vous nous avez bien dépeints celui des experts et celui des politiques, mais il s'agit d'une question qui nous a été posée à plusieurs reprises, notamment par le colonel Allione, qui s'interrogeait sur la pertinence de confier la gestion de crise à des spécialistes.
Le président M. Julien Borowczyk. Quelles sont vos suggestions pour que nous puissions améliorer notre préparation face à ce type de crise ?
Concernant la diffusion de la directive, je ne peux répondre à la place de ceux qui ont eu à gérer les crises avant mon arrivée – ni sur l'élaboration du plan Pandémie grippale de 2011 et de la directive de 2013 – ni à la place de ceux qui ont à gérer la crise de la covid-19.
La Direction générale de la santé (DGS), le 2 mai 2013, écrit à mon prédécesseur : « Au mois de février, vous m'avez indiqué être en attente d'une réponse formelle de la direction générale du travail (DGT)… Compte tenu de l'actualité épidémiologique internationale, il me semble nécessaire que cette diffusion puisse être organisée rapidement. » C'est bien la DGS qui a demandé que la diffusion de la doctrine soit accélérée. Ce que mon prédécesseur a fait le 16 mai 2013. Et, comme je vous l'ai indiqué, tous les ministères ont accusé réception et s'apprêtaient à la mettre en œuvre. Par ailleurs, j'ai procédé à une piqûre de rappel en février 2016.
S'agissant de l'organisation de la gestion de crise, vous avez raison de souligner qu'il convient de distinguer les plans ; et, dans ces plans, d'identifier les responsabilités. D'abord, celle des experts – qui est préalable. Selon les spécialités, les avis seront divergents. Prenons l'exemple de la crue de la Seine : le météorologue, qui prévoit la pluie, et l'hydrologue, spécialiste de la nappe phréatique, ont toujours eu des avis divergents, uniquement pour des problèmes épistémologiques.
Dans le cas de la covid-19, dès le 10 janvier, quand les Chinois communiquent à l'Institut Pasteur l'identité du virus, les virologues ont de quoi s'inquiéter quant au risque de dangerosité de ce virus. En revanche, les épidémiologistes, qui travaillent sur des données faussées – les Chinois n'ayant manifestement pas communiqué l'intégralité des informations – ne sont pas forcément inquiets.
Il est donc indispensable d'organiser un réseau d'expertises, afin de ne pas improviser à chaque fois. Par ailleurs, il est important que les avis divergents soient connus, car ils sont tous utiles. Enfin, la responsabilité opérationnelle du DGS, est pleine et entière : il est sur tous les fronts, il ne faut donc pas « charger sa barque » et lui demander d'être également le pilote d'une coordination ministérielle. Comment voulez-vous qu'il ait le temps de discuter de la problématique des ressortissants français à l'étranger, par exemple ?
La coordination ministérielle va s'appuyer sur les plans, les exercices, les directives et la réglementation qui a été préparée, ainsi que sur la cellule de crise – présidée par le Président de la République ou le ministre intéressé. Cette CIC réunit les responsables ministériels et fait le relais avec les échelons déconcentrés – qui font remonter les informations. Le ministre des transports, par exemple, est immédiatement impliqué, afin que des filtrages des passagers et des relevés de température soient instaurés.
La CIC peut être activée à tout moment. Normalement, elle l'est quand la crise éclate, mais elle peut l'être un peu avant, ce qui permet de bénéficier des remontées de terrain.
Enfin, le dernier échelon est éminemment politique. Sont responsables le Gouvernement et les ministres concernés, tandis que les arbitrages du Parlement permettent d'uniformiser les décisions. Lors de la crise Ébola, le Président Hollande réunissait régulièrement, dans le salon vert, un conseil de défense et de sécurité nationale. Depuis l'été 2016, ils ont lieu toutes les semaines.
Réserviste sanitaire à l'ARS de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur durant la crise, j'ai eu à concourir à la préparation du plan de décès massif. J'ai ainsi pu constater que seuls 5 à 10 % des médecins étaient capables de rédiger les certificats de décès par voie électronique, demandés par l'administration.
Par ailleurs, nous avons eu beaucoup de mal à savoir, de la part de la CIC, s'il existait un stock de certificats papiers dont nous aurions pu nous servir en cas d'attaque hybride – cyber et physique. L'imprimerie aurait-elle été en capacité de nous en fournir ?
Face à l'afflux des professionnels de santé qui souhaitaient apporter leur aide via la réserve sanitaire – 25 000 la première semaine – les ARS ont repris la main sur le placement de ces professionnels en lien avec les différents ordres professionnels.
Quelle est votre vision de l'armement du plan de décès massifs auprès du ministère de l'intérieur ? Quel est le meilleur outil pour armer une réserve sanitaire digne de ce nom ?
Vous avez déclaré que l'OMS était sous influence chinoise et qu'elle est « si mal en point, qu'elle est incapable de jouer un rôle quelconque dans les désordres ». Vous avez également regretté que le Conseil de sécurité ne se soit pas réuni dans l'urgence. Pouvez-vous développer ces assertions ? Une refonte en profondeur de l'OMS est-elle nécessaire ?
Vous évoquez la nécessité de s'appuyer sur les élus. En effet, leur rôle est primordial dans la gestion des crises. Dans le Bas-Rhin, par exemple, les services déconcentrés de l'État en sont à leur troisième rédaction d'un arrêté sur le port du masque dans la rue. Les deux autres, élaborés sans aucune concertation, ont fait l'objet de recours par différents mouvements de citoyens.
S'agissant du plan Pandémie grippale, il aurait certainement fallu l'actualiser, sa dernière mouture datant de 2011.
La doctrine du 16 mai 2013 concerne notamment une nouvelle répartition entre les stocks stratégiques et les stocks tactiques. Il est aisé de comprendre l'objectif d'être au plus près du terrain et plus rapide dans la distribution d'équipements de protection, notamment aux professionnels de santé. Vous nous dites que la doctrine a été diffusée à tous les ministères. Nous pouvons néanmoins regretter qu'aucune évaluation n'ait été effectuée sur sa déclinaison en aval.
Je partage par ailleurs les interrogations de mon collègue sur la constitution trop tardive de la CIC, le 17 mars, alors que le 23 janvier nous savions que onze millions de Chinois étaient confinés à Wuhan, et que le 30 janvier l'OMS a déclaré l'urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) – sans oublier les mesures de confinement prises en Italie. Nous pouvions donc tout à fait imaginer que cette vague allait emporter la France.
Enfin, vous avez émis des doutes quant aux chiffres livrés par les Chinois. Disposez-vous d'estimations plus précises ?
Non, je ne dispose d'aucune information précise. Si nous avions eu plus de chiffres, ils auraient été communiqués plus tôt mais il est vrai qu'il reste un chaînon manquant dans l'enquête non pas sur le virus, mais en matière épidémiologique. Le fait que les Chinois aient transmis l'identité du virus relativement tôt prouve qu'ils étaient désemparés. Aucun pays n'avait jusque-là réalisé de progrès importants dans la recherche de vaccins. D'ailleurs, cette crise a permis la création, par l'ANRS et le réseau REACTing de l'Institut national de la santé et de la recherche médical (INSERM), d'un pôle Maladies émergentes, qui manquait farouchement. Il s'agit d'une évolution importante.
Ma réflexion n'était pas plus aboutie que cela, à l'exception de la connaissance, dans les milieux scientifiques, d'une alerte forte sur la problématique des coronavirus et de la covid-19 en particulier.
Les organisations internationales vont mal et cette crise a démontré que le système risquait de se briser. Il a sans aucun doute manqué de réactivité. Le Conseil de sécurité, à savoir le directoire mondial, ne s'est pas réuni en urgence, alors même qu'aucun conflit, depuis la Seconde Guerre mondial, n'a eu – en termes économiques et humains – des conséquences de cette importance. Les organisations internationales, non seulement ont manqué le rendez-vous, mais ont eu du mal à se ressaisir.
L'OMS n'a fait que donner un certain nombre d'éléments de transparence sur la manière dont les décisions ont été prises. L'Organisation mondiale du commerce (OMC), elle, était déjà totalement bloquée avant la crise économique majeure que nous vivons. Le système mondial a besoin d'être rebâti. Heureusement que l'Union européenne a réagi, même si les réactions ont été très nationales au début de la crise.
Concernant la diffusion de la doctrine, je n'ai rien à ajouter : elle a été diffusée, d'abord, par mon prédécesseur, puis par moi, en 2016. Et je rappelle que le plan Pandémie grippale, tout comme le plan Ébola, sont publics : ils ont vocation à sensibiliser tous les acteurs, ainsi que les citoyens, les premiers responsables de leur sécurité.
Je ne peux qu'encourager toutes les mesures préventives mais nous savons que l'éducation des citoyens à un plan de sécurité prend du temps. Il en a fallu pour que le plan Vigipirate soit efficace, pour que les citoyens, par exemple, signalent un bagage abandonné. De même, l'application des mesures de distanciation et le port du masque prendront du temps. La France n'est pas un grand pays de santé publique et de prévention, d'autres le font beaucoup mieux et de manière systématique, les habitudes ayant été prises bien avant.
Les élus ont effectivement leur rôle à jouer, ils sont l'échelon le plus proche des citoyens. C'est la raison pour laquelle j'invitais régulièrement les élus à assister aux exercices de scénario de crise.
S'agissant des suggestions, j'en ai plusieurs à vous livrer. D'abord, je l'ai dit, l'alerte et l'expertise sont primordiales : si nous n'anticipons pas suffisamment, nous perdons du temps. Ensuite, le reporting. Les plans de continuité d'activité, par exemple, contrairement aux plans de sécurité des opérateurs, ne font pas l'objet d'une obligation de reporting, au motif qu'il en va de la responsabilité ministérielle. Or les remontées sont précieuses.
Les problématiques de bioterrorisme avaient été l'une de mes priorités au cours de mon mandat, notamment le cadre du contrat général interministériel (CGI), contrat qui a pris fin en 2019. Il permettait au SGDSN de vérifier que les crédits fléchés dans les budgets des ministères, notamment pour acquérir des tenues spécifiques, du matériel, des équipements, des caissons, pour les services d'urgence, avaient bien été utilisés.
Enfin, les exercices, comme ceux que j'ai planifiés en 2017 sont nécessaires. Ils permettent de vérifier que tout fonctionne et, au besoin, d'actualiser les plans.
Madame la députée, je ne peux répondre à vos questions relatives à la réserve sanitaire et aux certificats de décès, car je découvre la réalité du problème avec votre question. Vous devriez interroger les ministères de la santé et de l'intérieur.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Réunion du mardi 15 septembre 2020 à 18 h 30
Présents. - M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Sereine Mauborgne, M. Jean-Pierre Pont
Assistaient également à la réunion. - M. Nicolas Démoulin, Mme Martine Wonner