Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Réunion du mercredi 13 octobre 2021 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Table ronde réunissant des représentants d'organes de presse écrite : M. François‑Xavier Lefranc, rédacteur en chef de Ouest France, et M. Séverin Husson, rédacteur en chef adjoint de La Croix

La séance est ouverte à 14 heures 05.

Présidence de M. Xavier Breton, président.

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Après avoir abordé la question de la communication politique et du déroulement de la campagne audiovisuelle officielle, notamment avec l'audition du président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, nous recevons aujourd'hui les représentants de plusieurs organes de presse écrite. Nous avions invité les huit rédacteurs en chef de quotidiens nationaux qui ont le plus fort tirage, ainsi que celui de Ouest France. Deux d'entre eux seulement ont répondu à notre invitation : M. François-Xavier Lefranc, rédacteur en chef de Ouest France, et M. Séverin Husson, rédacteur en chef adjoint de La Croix. Nous vous remercions vivement pour votre participation à nos travaux. Cette table ronde est ouverte à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale et fera également l'objet d'un compte rendu. Je vous propose de nous faire part de votre analyse de l'abstention lors d'un propos liminaire, puis nous procéderons à un échange de questions et de réponses.

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François-Xavier Lefranc, rédacteur en chef de Ouest France

Je dirige la rédaction de Ouest France qui a pour propriétaire une association « loi de 1901 » : l'association pour le soutien des principes de la démocratie humaniste. Nous croyons beaucoup au rôle des médias dans la démocratie et à la participation des citoyens. Par conséquent, nous regardons cette question de l'abstention avec gravité. Il s'agit également de nous remettre en question. Nous avons connu il y a quelques mois un épisode particulièrement alarmant, notamment concernant l'abstention des jeunes. Nous ne construirons pas l'avenir de ce pays sans les jeunes. Or neuf jeunes sur dix n'ont pas voté lors du dernier scrutin. La question est grave et nous préoccupe. Nous avons probablement un rôle à jouer quant à ce mal profond qui menace la vitalité de notre système politique.

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Séverin Husson, rédacteur en chef adjoint de La Croix

Je vous remercie de nous avoir conviés, car il s'agit aussi pour nous de réfléchir à nos pratiques et à ce que nous pouvons améliorer. Je souscris aux propos de mon confrère : nous sommes également attachés aux principes démocratiques et à la vitalité de notre démocratie. Le niveau d'abstention lors des dernières élections demeure un sujet d'inquiétude. Nous rédigeons régulièrement des articles sur l'abstention et beaucoup de ces analyses paraissent au moment des élections. Nous nous interrogeons sur les causes de l'abstention. Cependant, il est possible que nous n'allions pas suffisamment et de manière structurée au-devant des abstentionnistes. Nous ne leur donnons pas assez la parole et nous ne cherchons pas à nous adresser à eux comme nous le pourrions. Nous réalisons des enquêtes de manière incidente. En ce moment, nous avons lancé une enquête dans laquelle nous racontons la campagne présidentielle depuis Reims. Nous allons au-devant des électeurs, nous présentons leur état d'esprit. Nous essayons de croiser les données de Reims avec un moment de la campagne. Nous avons publié un article sur la déclaration des candidatures et la question des primaires. Cet exemple est symptomatique. Nous avons choisi Reims, car c'est une métropole où les résultats ont été similaires à ceux de l'ensemble du corps électoral en 2017 au premier tour. En effet, les principaux candidats ont obtenu le même score à Reims qu'au niveau national. En revanche, nous ne nous sommes pas posé la question du taux d'abstention. Est-ce une ville où il existe un fort taux d'abstention ? Nous sommes tournés vers le vote, les partis, les rapports de force, les programmes. De temps en temps, nous publions des articles sur l'abstention afin de l'analyser. Cependant, au long cours, l'abstention et les abstentionnistes passent sous nos radars. Nous sommes arrivés à cette conclusion en préparant à cette rencontre. C'est pour nous une interrogation et une piste d'évolution.

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Vos propos rejoignent des observations que nous avons pu établir lors de nos premières auditions, notamment avec les instituts de sondage. Peu d'enquêtes qualitatives sont réalisées quant à la masse des abstentionnistes. Vous interrogez-vous dans votre ligne éditoriale sur la manière dont vous couvrez les campagnes électorales ? Ce phénomène de l'abstention vous amène-t-il à revoir vos méthodes ? Disposez-vous de pistes pour engager une remobilisation du corps électoral ?

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François-Xavier Lefranc, rédacteur en chef de Ouest France

Il s'agit d'une question sur laquelle nous travaillons activement dans la perspective de l'élection présidentielle. Nous essayons de comprendre la forte abstention aux derniers scrutins régionaux et départementaux où il était question de sujets de proximité. Lors de la dernière échéance, nous avons souhaité analyser ce phénomène. Nous regardons le mouvement de l'abstention sur le temps long. Aux élections départementales de 1988, le taux d'abstention était de 51 %. La participation n'a jamais été élevée pour les scrutins départementaux, toutefois elle demeurait correcte pour les élections régionales. À partir de cette analyse, nous engageons un certain nombre d'éléments. Nous pouvons vite être entraînés à parler de questions qui nous semblent importantes, ensemble, journalistes et élus en nous tenant loin du terrain.

La défiance des médias signifie que beaucoup de nos concitoyens se sentaient oubliés, voire méprisés y compris par les médias. Ouest France comprend 600 journalistes. Pendant les élections, nous sommes nombreux à être mobilisés. Nous avons rédigé des milliers d'articles, y compris pour la plateforme numérique. Nous avons essayé d'aborder les thématiques qui relevaient des compétences des régions et des départements : les transports, la formation, le développement économique… La carte de l'abstention dans l'Ouest de la France indique une forte abstention. Statistiquement, on vote moins dans les zones disposant d'un fort dynamisme démographique d'une population jeune par rapport à des secteurs où la population est plus âgée. Dans l'Ouest, le littoral attire des personnes à la retraite qui ont un rapport détaché au territoire.

Le taux de participation des jeunes est inacceptable. Nous ne pouvons pas accepter que neuf jeunes sur dix ne votent pas. Notre jeunesse parle de politique du matin au soir, mais elle ne vote pas, car elle estime que cela ne sert à rien. Quand nous cherchons à savoir ce qui préoccupe les jeunes, la question climatique revient très souvent. L'environnement les angoisse. Il existe des enquêtes internationales assez sinistres à ce sujet. L'une d'entre elles, réalisée auprès de 10 000 jeunes dans différents pays, montre bien cela : 60 % des jeunes interrogés qualifient leur avenir d' « effrayant ». Ont-ils, à l'occasion des élections régionales et départementales, suffisamment entendu parler des territoires ? La réponse est non. Il s'agit d'une partie de l'explication au phénomène de l'abstention. Avons-nous suffisamment parlé de ces sujets ? La question du climat est internationale et locale. Il existe donc un décalage énorme entre ce que les jeunes électeurs attendent et ce qu'ils trouvent dans les médias.

Les jeunes sont très mobiles. Il est complexe pour eux d'aller s'inscrire sur les listes électorales lorsqu'ils travaillent ou étudient loin de leur lieu d'origine.

Par ailleurs, les élections régionales et départementales sont incompréhensibles. Si vous interrogez la population pour savoir quelles sont les compétences de la région ou du département, peu de personnes pourront vous répondre. L'action et l'organisation des collectivités sont illisibles aujourd'hui pour les citoyens français. La somme des budgets des régions françaises correspond au budget de la Catalogne ou à la moitié de celui de la Bavière. Ont-elles les moyens de mener des actions suffisamment lisibles dans leurs domaines de compétence ? Ce pays jacobin doit regarder ses citoyens dans leur vie quotidienne. La démocratie ne peut être compliquée. Nous devons rendre le vote simple. Aux élections régionales et départementales, nous votions pour des éléments importants de la vie de nos territoires. Or il n'a été question que de politique nationale. Les candidats à la présidence d'une région sont intervenus sur des thèmes de politique nationale. Sans doute existe-t-il un décalage par rapport à la situation des citoyens, des journalistes et des politiciens. Une fois ce constat établi, il demeure nécessaire d'agir.

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Séverin Husson, rédacteur en chef adjoint de La Croix

Nous remettons en question notre ligne éditoriale lors de chaque campagne. Nous choisissons de ne pas réaliser de sondage : nous ne commandons pas de sondage, tandis que nous n'analysons pas de sondage publié par nos confrères, même si nous reprenons parfois un sondage pour illustrer un point dans un article.

Dans notre ligne éditoriale, nous cherchons à ne pas nous engager dans une personnalisation à l'extrême. Nous essayons de nous attacher aux idées et aux programmes. Par conséquent, nous rédigeons peu d'articles sur la vie des partis politiques ou sur leurs stratégies. De manière générale, nous cherchons à nous extraire de l'écume de la vie politique. Ainsi, parfois, nous sommes quelque peu en retard sur certains événements. Toutefois, nous préférons avoir du recul plutôt que de rebondir sur un sujet qui occupera l'antenne pendant 24 heures avant de disparaître.

Concernant les élections régionales et départementales, nous avons rédigé des articles expliquant les compétences et les objectifs des organes institutionnels concernés. Ces documents ont été publiés sur le site internet de notre quotidien. Dans le journal, pour le scrutin régional, nous avons rédigé deux articles par région : l'un portait sur un enjeu politique, l'autre sur une thématique structurelle (compétences de la région sur les transports, les lycées…).

Je souscris aux propos de mon confrère. Le taux d'abstention à ces élections demeure préoccupant, sans doute pour des raisons liées au mode de scrutin. Cela dit, je pense que ce très fort niveau d'abstention sera reconduit, dans une moindre proportion, à l'élection présidentielle. En effet, depuis plusieurs années, les taux de participation aux différents scrutins ne s'orientent pas dans une direction positive. Par conséquent, nous aurions tort d'accuser uniquement la lisibilité d'un mode de scrutin en particulier.

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Je suis très heureux de cette audition. Nous, députés, lisons la presse écrite chaque matin. Il s'agit d'une source importante d'informations. Je félicite M. Séverin Husson pour l'initiative portée par son journal La Croix en faveur de la possibilité d'accéder à un débat nuancé, respectueux et portant sur le fond des sujets.

Je partage avec vous ce sentiment d'inquiétude au regard de la baisse de la participation électorale depuis 1974. Ce phénomène s'inscrit durablement et progresse scrutin après scrutin. Après avoir formulé ces constats, quelles leçons pouvez-vous tirer des dernières élections ? Que proposez-vous comme amélioration du traitement de l'information pour les prochaines élections ? Il s'agit en effet d'un scrutin majeur, prisé par les Français. Je suis moins inquiet pour cette élection, car nos concitoyens y sont particulièrement attachés. Cependant, je demeure vigilant quant au scrutin législatif, d'autant plus que ce dernier est organisé plus tardivement qu'à l'habitude. Qui plus est, le calendrier électoral nous mènera à expliquer de nouveau les tenants et aboutissants de chaque scrutin. Ainsi que M. François-Xavier Lefranc l'expliquait, lors des élections régionales, le travail de chacun a été de présenter les compétences de ces institutions. Or, régulièrement, le débat portait sur d'autres thématiques.

La responsabilité est partagée, car nous avons évoqué la question de sécurité qui n'appartient pas aux compétences des conseils régionaux. Tous les candidats ont inséré ces éléments de langage dans leur discours. Par conséquent, nous n'arrivions plus à parler des autres sujets.

Le mode de scrutin des élections départementales qui portent sur des binômes dotés de remplaçants n'est pas clair pour nos concitoyens. Pensez-vous que des élections départementales construites sur le même schéma que les élections régionales seraient une solution contre l'abstention ? Un scrutin de liste avec une prime majoritaire à 25 % serait-il préférable ? D'un point de vue départemental, nos compétences sont différentes, mais nous agissons sur un périmètre donné.

Chacun a sa part de responsabilité, car chacun tient un bout de la démocratie à travers son droit de vote. Serait-il opportun de renforcer les initiatives telles que les « classes presse » ? Les lecteurs de La Croix ou de Ouest France ont une conscience politique, ils cherchent à s'informer et iront voter pour la plupart. Comment toucher d'autres publics ? Il est également important pour vous d'accéder à d'autres lecteurs. À ce titre, la « classe presse » est un outil performant pour apprendre aux enfants à lire la presse et ainsi les aider à devenir des citoyens éclairés. Je considère que nous devons travailler sur l'intégralité du parcours citoyen. Comment la presse dans son ensemble peut-elle contribuer à l'évolution de ces parcours citoyens ? Que pensez-vous de la défiance vis-à-vis des politiques et de la presse ?

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François-Xavier Lefranc, rédacteur en chef de Ouest France

La question du travail que nous pouvons engager avec le monde scolaire afin d'amener les enfants à s'intéresser aux médias et à disposer d'un regard critique sur ces derniers demeure essentielle. Cet effort doit commencer dès le plus jeune âge. Nous sommes très investis dans ce processus depuis plusieurs années, mais cela ne suffit pas.

Se pose également la question de la proximité avec les lectrices et les lecteurs. Lorsqu'un journal affiche le prix quotidien de deux ou trois euros, il devient un produit de luxe qui exclut une partie de la population. Or nous savons que les personnes qui n'arrivent plus à remplir le réservoir d'essence à la fin du mois n'ont pas envie d'aller voter. L'accès à l'information est un enjeu essentiel. Le modèle économique doit permettre que la presse soit accessible. Nous devons proposer un accès gratuit aux médias à notre jeunesse. C'est le cas de Ouest France. Les jeunes de 18/25 ans disposent d'un an d'abonnement gratuit. Nous travaillons également à cette accessibilité pour des populations défavorisées. Ainsi, l'administration pénitentiaire mène de nombreuses actions pour que les détenus votent. Nous distribuons le journal gratuitement dans les prisons, car nous pensons que l'accès à l'information aide à la réinsertion et qu'il s'agit d'un bien commun. L'information n'est pas gratuite à produire, l'enquête et le reportage ont un coût. Toutefois, nous pouvons mener ce type d'initiatives auprès d'un public ciblé. Nous offrons également un accès à notre quotidien à de nombreuses associations fréquentées par une population qui n'a pas les moyens d'acheter la presse.

La solution sera aussi en grande partie numérique. Aujourd'hui, l'accès à l'information est d'abord numérique, y compris au sein des couches défavorisées de la population. Nous devons nous déplacer vers le lecteur en proposant des innovations. Comment parler à ces personnes qui ne nous lisent pas ? Nous devons effectuer le premier pas, adopter de nouvelles formes de langage journalistique en utilisant de nouvelles technologies. Les médias doivent investir pour parler au plus grand nombre. En ce qui concerne les jeunes, nous devons être présents sur leurs canaux : réseaux sociaux, data, story, son, vidéo…

La proximité passe également par les thèmes que nous abordons. Il est primordial d'évoquer les préoccupations de la population. Cette pratique permettra de lutter contre la défiance envers les médias. La méfiance n'existe pas sans cause. Nous devons mériter la confiance en écoutant nos lecteurs. Nous avons créé un service avec cinq journalistes dont le travail est d'être en permanence en lien avec les lecteurs. Des éléments remontent ensuite à la rédaction et nous permettent de percevoir des sujets qui n'attiraient pas notre attention. C'est notamment l'histoire des Gilets jaunes. Or il n'est pas acceptable que la population ait besoin de bloquer des ronds-points alors que notre pays compte autant de journalistes. Le journalisme correspond à un temps de qualité passé avec la population. Nous devons retrouver ce temps.

La situation de certains médias qui réduisent leurs effectifs est préoccupante. Je considère qu'il s'agit du début de la fin de la démocratie. Les journalistes doivent pouvoir effectuer leur métier en dégageant du temps pour aller au plus près des citoyens, entendre, comprendre ce qui se dit et si possible établir un lien avec les politiques. Il nous revient de montrer l'action des élus. Les élus locaux travaillent énormément. Proposons des débats de qualité qui font avancer les choses. La réflexion de long court n'entraine pas d'audience. Nous avons tendance à penser qu'un affrontement verbal entre deux candidats rencontrera un public plus large que des sujets sur le prix de l'essence, le chômage, etc. Or une élection présidentielle est l'occasion d'aborder ces thèmes. Si nous procédons ainsi, nous pourrons peut-être inviter nos lecteurs à voter.

L'international est également un sujet d'importance. Il est nécessaire d'expliquer les grandes actions internationales qui ont des conséquences sur nos vies.

La Croix conduit un observatoire depuis des années. La pandémie a marqué un tournant : les citoyens se sont tournés vers les médias quand de nombreuses informations circulaient. À mon sens, cette période a permis de créer de nouveau un lien de confiance entre la population et les médias. Il nous revient de nous assurer que ce phénomène perdure.

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Séverin Husson, rédacteur en chef adjoint de La Croix

Jusqu'à présent quand deux élections étaient organisées en même temps, la participation était meilleure. En dehors des questions sanitaires et conjoncturelles, nous pouvons nous interroger sur les raisons de ce rendez-vous manqué. Une des pistes tient aux modes de scrutin très différents qui ont été mis en place. Ces derniers se sont brouillés, ils se sont « cannibalisés ». Une situation en théorie favorable s'est transformée en configuration défavorable. Une des solutions, comme vous l'avez proposé, serait de rapprocher les modes de scrutin.

Concernant les « classes presse », nous participons à des initiatives engagées par des associations pour inviter des journalistes en milieu scolaire. Nous essayons également de mettre notre journal entre les mains de publics ciblés. Le journal papier est distribué dans des universités et nous offrons des abonnements numériques aux jeunes. Malheureusement, nous ne disposons pas de moyens suffisants pour aller plus loin. Je vous conseille d'interroger nos confrères de la presse jeunesse du groupe Bayard. Ils participent beaucoup à l'éducation aux médias. Lors de chaque élection, ils rédigent des articles d'éducation civique pour expliquer les scrutins et l'intérêt du vote.

La défiance vis-à-vis du politique est une thématique que nous ressentons dès que nous sommes en reportage. Dans un article paru la semaine dernière, j'ai retenu deux citations, une femme indiquant : « Je ne sais pas si j'irai voter. Je n'en trouve pas un de bien. Leur propagande m'énerve alors qu'ils ne tiennent pas leurs promesses. On ne prend pas les mêmes, mais à chaque fois les mêmes choses recommencent. » ; un autre précise : « Je connais beaucoup de gens comme moi qui vivent au jour le jour et ne se projettent plus. » Dans ce second cas, il ne s'agit pas de défiance vis-à-vis des politiques, mais d'une des causes de l'abstention. En effet, une partie de la population vit au jour le jour et ne se projette plus vers une forme de collectif. Vos discours comme les nôtres ne sont pas audibles par ces publics que nous avons des difficultés à rencontrer. Je souscris aux propos de mon collègue : ce que nous publions doit leur parler.

Nous nous heurtons à une absence d'étude sur l'abstention. Nous ne savons pas où rencontrer les abstentionnistes pour rendre compte de leurs motivations profondes. Certes, ces dernières sont plurielles et les profils des abstentionnistes sont multiples. Nous ne réalisons pas de micro-trottoir. De fait, nous avons besoin de nous appuyer sur des données sociologiques qui n'existent pas suffisamment.

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Nous avons lancé une consultation en ligne sur le site internet de l'Assemblée nationale qui rencontre un beau succès. Nous souhaitons que les abstentionnistes nous indiquent leurs motivations. Nous serions heureux de pouvoir partager les résultats. Je ne peux que vous encourager à parler de cette consultation dans vos colonnes.

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J'étais adolescente dans les années 90. Il était alors question du chômage de masse, du trou dans la couche d'ozone, du SIDA et des sectes. J'ai grandi dans une période où les médias ont commencé à proposer un discours plus intense sur des sujets angoissants. Vous témoignez aujourd'hui des préoccupations des jeunes pour le climat. Ce sujet est essentiel, ils en entendent énormément parler, tandis que beaucoup de personnalités publiques de leur âge font les gros titres sur ce thème. Ne faudrait-il pas dans le discours que nous portons être plus objectifs et davantage positifs ? Un article doit demeurer percutant pour être lu. Ne devrions-nous pas transmettre des messages sur des sujets positifs ? Lorsque j'étais adolescente, il existait le Journal des bonnes nouvelles. Il est paru pendant un an avant que l'édition ne soit arrêtée. Quelle est votre vision d'un discours plus apaisé ?

Les jeunes s'informent désormais sur les réseaux sociaux, notamment via Twitter. Nous allons auditionner les représentants des réseaux sociaux en France. Nous y trouvons tout et son contraire de manière non identifiée. Ne devrait-on pas chercher à identifier des articles certifiés avec un code couleur par exemple ? Il s'agirait d'informer les jeunes de manière à ce qu'ils se sentent concernés et qu'ils souhaitent voter.

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Nous avons constaté un taux d'abstention préoccupant lors des dernières élections. La presse locale est très présente pour couvrir ce type d'élections tout au long de l'année ; elle demeure proche des élus locaux. Nous avons parfois l'impression qu'il s'agit d'une presse d'opinion. Hormis les élus locaux, les autres élus éprouvent des difficultés pour s'exprimer. La situation que nous avons vécue était contradictoire. Comment pouvez-vous envisager l'élection présidentielle qui sera nationale ? Comment assurerez-vous une pluralité nécessaire pour que les citoyens votent ? Sans pluralité, il n'existe pas de débat d'idées. Lors des élections régionales et départementales, le débat était national et peu fourni en informations réelles. Les citoyens en ont peut-être assez de cette offre politique qui oppose le niveau national au niveau local. Que préconisez-vous pour que le débat pluriel puisse vivre dans la presse régionale ?

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Les chiffres de la presse écrite ne sont pas bons. Réalisez-vous un parallèle entre la baisse de vos ventes et l'abstention ? Quel est l'âge moyen de vos lecteurs ? L'âge moyen des lecteurs de presse écrite est souvent avancé. Lorsque le lecteur décède, l'abonnement n'est pas repris. Lors des campagnes présidentielles, la vente de la presse écrite augmente. Est-ce un constat valable pour chaque élection ? Cette augmentation des ventes a-t-elle également lieu lors des élections locales ?

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Vous avez évoqué la difficulté pour nos concitoyens de comprendre les compétences des différentes institutions. Vous avez également mentionné la proximité. Nous avons fusionné les régions, la taille de certaines éloigne le citoyen de sa région. Un phénomène similaire existe pour les départements. Des binômes de suppléants ont été mis en place pour des territoires plus vastes. Je me souviens du petit canton avec son conseiller que tout le monde connaissait. Les réformes de nos institutions n'ont-elles pas éloigné nos concitoyens de leurs territoires et des compétences qui y sont liées ?

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François-Xavier Lefranc, rédacteur en chef de Ouest France

Il demeure essentiel que les médias puissent mettre en lumière des éléments qui fonctionnent et se construisent. Quand nous parlons du climat, le diagnostic est terrifiant. La question climatique nous amène à revoir notre façon de vivre et de consommer. Il existe d'ores et déjà des réponses à ce sujet. Il est intéressant de diffuser les idées, parfois originales, concernant la question climatique. De nombreuses rédactions sont sensibles à ce phénomène. Nous devons montrer les choses au plus près de la vérité. Or certaines d'entre elles sont positives et nous devons communiquer sur ces sujets.

Il est important d'être sur les réseaux sociaux. Cette présence nous permet de nous approcher d'un nouveau public. Les réseaux sociaux ont, en quelque sorte, libéré la parole. Or il est important que tous puissent s'exprimer en démocratie. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les réseaux sociaux appartiennent à des milliardaires, tandis qu'ils sont des machines à publicités.

Nous célébrions au mois de juillet le cent quarantième anniversaire de la loi de 1881 qui consacre la liberté de la presse. Cette loi met les journalistes devant leur responsabilité, et leur offre un cadre de travail clair. Si tous les propos publiés sur les réseaux sociaux étaient responsables, nous n'en serions pas là aujourd'hui. Dans la presse, lorsqu'un journaliste dérape, il tombe sous le coup de la loi. Les réseaux sociaux constituent un outil démocratique, mais surtout des produits permettant à leurs propriétaires de gagner énormément d'argent. Or ces derniers observent un positionnement désastreux face aux droits voisins.

Concernant la pluralité, les médias existent pour faire vivre les débats. Lorsque nous comprenons les avis contraires, nous comprenons le débat. Un média a besoin d'un lectorat critique et actif. Lorsque nos lecteurs ne sont pas d'accord, ils nous le disent. En étant en conversation permanente avec nos lecteurs, nous pouvons opérer de meilleurs choix. Au moment des élections, nous avons un rôle important à jouer pour expliquer les enjeux et les thématiques. Il s'agit de donner aux citoyens des éléments pour qu'ils puissent choisir. Le pluralisme correspond à la diversité des expressions.

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Vous nous indiquez que le journaliste fournit les éléments du choix. Pourquoi ne pas organiser des débats avec les élus nationaux qui proposent des idées qui ne sont pas nécessairement identiques ? Nous sommes inquiets que cette confrontation d'idées à partir de la presse locale et régionale n'existe pas.

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François-Xavier Lefranc, rédacteur en chef de Ouest France

Vous faites sans doute référence à des choses concrètes dont je n'ai pas connaissance. Nous considérons que nous avons un rôle important. Les opinions qui se confrontent doivent toutes avoir voix au chapitre. Il nous revient d'animer un débat organisé.

Si les chiffres de diffusion papier sont partout à la baisse, y compris à l'international, les audiences numériques explosent. Nous n'avons jamais eu autant d'abonnés. Dans le cas de Ouest France, 70 % de notre audience est réalisée en dehors de notre zone historique et 7 % hors de France. Nos lecteurs ne nous lisent plus uniquement pour l'information locale. Il y a trois semaines, les articles les plus lus dans Ouest France concernaient l'Afghanistan. Nos lecteurs souhaitent disposer de l'information à la fois sur leur commune et sur le monde. Cela permet de comprendre que notre lectorat est extrêmement exigeant. Notre modèle économique est l'abonnement puisque nous n'avons pas d'actionnaires. Un abonnement avec des éléments futiles ne fonctionnerait pas. Nous avons tout intérêt à ne pas l'oublier.

Les ventes du journal papier augmentent le lendemain d'une élection pour les résultats, les commentaires et les analyses. En amont de l'élection, les fluctuations des ventes et des consultations demeurent difficilement lisibles. La politique intéresse beaucoup la population ; il nous revient d'aborder les bons sujets pour être lus.

La réforme n'a-t-elle pas éloigné les électeurs ? Dans certaines régions, cette réforme avait du sens, en Normandie par exemple. Il demeure essentiel que les citoyens connaissent leurs élus. Or, désormais, nombreux sont ceux qui n'identifient pas leurs représentants. Ce lien me paraît essentiel. Les journalistes ont une devise : « Il est bien de rester à portée d'engueulade ». Le citoyen veut participer à la vie publique et son abstention n'est pas tant du désintérêt qu'un cri de colère.

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Séverin Husson, rédacteur en chef adjoint de La Croix

Il est absolument essentiel de raconter des histoires positives même si elles concernent des phénomènes microscopiques. Il est totalement indispensable de fournir des nouvelles positives quand elles sont importantes. Cette idéologie est au cœur de la ligne éditoriale de La Croix. Notre ancien directeur Bruno Frappat nous disait « d'aller chercher le rayon de lumière sous la porte ». Dans tous nos articles, nous essayons d'insuffler du positif, de l'espérance chrétienne. C'est un combat quotidien avec les journalistes pour qu'ils rédigent des textes qui ne désespèrent pas nos lecteurs.

Concernant les réseaux sociaux, j'insiste sur le risque qu'ils font peser sur la démocratie. Nous demeurons au centre d'un paradoxe. L'information n'a jamais été aussi accessible, gratuite et multiple. Toutefois, les électeurs ne comprennent pas les modes de scrutin dont ils sont mal informés. La population est submergée d'informations non hiérarchisées. Elles l'enferment dans une bulle éditoriale puisque les algorithmes lui fournissent toujours le même type d'informations. La pluralité de l'expression est alors plus difficilement accessible. Il s'agit d'un risque que nous devons prendre sérieusement en compte. Comment les réguler ? Comment les obliger à retirer plus rapidement des contenus haineux ? Là est l'une des solutions au problème qui nous rassemble aujourd'hui.

Une labélisation des articles sur les réseaux sociaux poserait problème, car comment distinguer un média acceptable d'un autre qui ne le serait pas ? Je ne suis pas certain que cette solution doive être retenue.

Il existe une baisse des ventes des journaux papier. Cependant, la vente des médias en général augmente. Les quotidiens ont trouvé un modèle économique, celui de l'abonnement payant désormais accepté par les lecteurs. L'ensemble des quotidiens connaît des tendances positives en termes de diffusion.

L'âge moyen de nos lecteurs est élevé comme toujours, toutefois il n'augmente pas. Nous perdons des lecteurs, mais nous en gagnons également. Notre défi reste de baisser l'âge moyen de notre lectorat. En ce sens, nous avons lancé un magazine de fin de semaine avec une offre éditoriale pour un lectorat plus jeune. Nous nous efforçons également de recruter des abonnés numériques, qui sont effectivement plus jeunes.

Lors de chaque élection, nous subissons une vague de désabonnement de lecteurs qui nous reprochent une ligne éditoriale trop à droite ou trop à gauche. Pourtant, nous nous situons en dehors des clivages politiques et, sauf exception, le journal ne donne pas de consigne de vote. Les ventes augmentent pendant les périodes électorales, car la politique intéresse.

Je n'ai pas de réponse précise quant à la réforme des institutions et des grandes régions.

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Je vous remercie pour ces échanges très riches.

La séance est levée à 15 heures 20.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Bruno Bilde, M. Xavier Breton, Mme Isabelle Florennes, Mme Monique Iborra, M. Gérard Leseul, Mme Jacqueline Maquet, Mme Muriel Roques‑Etienne, M. Benoit Simian, M. Stéphane Travert