Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du mercredi 15 septembre 2021 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • agroalimentaire
  • fragilité
  • résilience
  • souveraineté
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  En Marche    Agir & ex-LREM  

La réunion

Source

MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mercredi 15 septembre 2021

La séance est ouverte à dix-sept heures

(Présidence de Mme Sereine Mauborgne, vice-présidente de la mission d'information)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'autonomie alimentaire de la France est peut-être passée au second plan ces dernières décennies, mais cet enjeu a repris de la vigueur avec la crise sanitaire du covid-19. Par ailleurs, certains secteurs de production nationale connaissent une lente érosion qui pourrait devenir en un lourd handicap en cas de crise grave.

Dans le cadre de cette mission, nous nous intéressons à la manière dont notre pays est en mesure de résister et de se réorganiser face à un choc majeur. Dans cette perspective, la souveraineté alimentaire est une donnée essentielle, car nous avons tous besoin de manger pour vivre.

Permalien
Victoire Perrin, responsable des affaires publiques de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA)

L'ANIA rassemble 30 syndicats de métiers et 17 associations régionales représentatives des 15 000 entreprises alimentaires maillant le territoire français. Nous représentons le premier secteur industriel en France en termes de chiffre d'affaires – 196 milliards d'euros – et d'employés – plus de 400 000 personnes.

Les entreprises agroalimentaires jouent un rôle clé dans l'aménagement du territoire. Elles transforment 70 % de la matière première agricole française ; par ailleurs, 90 % de leurs produits consommés en France ont été fabriqués dans notre pays. Aussi l'implantation sur les territoires et les relations avec le monde agricole sont-elles vraiment dans l'ADN de notre secteur.

L'ampleur de la crise sanitaire n'avait été anticipée par personne, industries agroalimentaires, citoyens, consommateurs ou administrations.

En mars 2020, au début du confinement, nous avons reçu deux missions du Président de la République : protéger les salariés et continuer à approvisionner les Français. Sur ce dernier point, nous pouvons nous féliciter collectivement, car nous sommes parvenus à continuer à nourrir les Français grâce à une solidarité exceptionnelle dans la chaîne alimentaire.

Certes, quelques pénuries ponctuelles sont survenues dans certains magasins, sur certaines catégories de produits spécifiques (pâtes, légumes en conserve). Ces situations ont été générées par le comportement de consommateurs qui constituaient des stocks de produits, parfois pour un an et demi ! Mais cela n'était pas représentatif de la consommation habituelle. Même au plus fort de la crise, nous avons réussi à éviter les pénuries alimentaires.

Cependant, avec cette crise sanitaire, nous avons tout de même constaté trois points de fragilité sur la chaîne alimentaire.

Premièrement, le maintien de l'approvisionnement a été obtenu au prix de sacrifices humains importants : sur toute la chaîne alimentaire, des salariés ont accepté très rapidement de travailler en équipes de trois fois huit, sept jours sur sept, week-ends compris, pour compenser des situations de chômage partiel, d'absentéisme et de travailleurs détachés ne pouvant plus venir en France.

Le deuxième point de fragilité concerne l'interdépendance primordiale entre tous les maillons de la chaîne alimentaire. De fait, au-delà des aspects liés à la transformation des produits, nous ne pouvons pas approvisionner les Français sans les agriculteurs, la distribution, le transport et la logistique.

Nous avons bénéficié d'une mobilisation exceptionnelle de la part de tous les acteurs de cette chaîne alimentaire, mais cette exception recouvre une fragilité : en effet, si l'un des maillons de la chaîne était mis à mal, l'approvisionnement des Français serait menacé. Par conséquent, il faut réfléchir à la manière dont nous pouvons assurer la fluidité des rapports entre tous les maillons de la chaîne en cas de crise.

Le troisième point de fragilité porte sur la dépendance à certains flux d'approvisionnement d'intrants – emballages, stocks d'énergie, matières premières –. Ce fait est très visible dans cette période de reprise, avec les difficultés que l'on connaît sur le fret maritime, sur la disponibilité de certaines matières et de certains emballages. Et encore, notre secteur est l'un des plus autonomes s'agissant des approvisionnements.

Permalien
Stéphane Dahmani, directeur économie de l'ANIA

Le diagnostic sur notre souveraineté alimentaire a été nourri par de nombreuses études publiées récemment et le constat est clair : la France est globalement souveraine en matière de production agroalimentaire, avec une part des intrants étrangers dans la production alimentaire limitée à 13,4 %, soit une proportion quatre ou cinq fois plus faible que celle observée dans d'autres secteurs industriels, comme l'électronique.

Nous avons observé quelques tensions ponctuelles, avec des risques qui ont été identifiés sur le secteur des protéines, les emballages et le soja. Néanmoins, de manière globale, l'industrie agroalimentaire est plutôt résiliente.

Dans la crise sanitaire, l'industrie agroalimentaire a mieux résisté que les autres industries, avec une diminution de la production de 3 %, soit trois à quatre fois moins que d'autres industries.

Le secteur agroalimentaire est protéiforme, avec des impacts hétérogènes selon les secteurs et les circuits de distribution. Il n'est donc pas facile d'en avoir une lecture globale. On peut néanmoins indiquer que les TPE-PME sont globalement les entreprises qui ont le plus souffert de la crise sanitaire, parce qu'elles sont largement positionnées sur les segments de la restauration hors domicile, qui ont connu des pertes de chiffre d'affaires allant jusqu'à 50 ou 60 %.

La réponse des pouvoirs publics a été très appréciée pour sa réactivité. Les mesures d'urgence économique adoptées – chômage partiel, fonds de solidarité – ont permis de sauver la trésorerie des entreprises.

À partir de septembre 2020, les entreprises ont pu bénéficier d'un plan de relance ambitieux, avec 100 milliards d'euros injectés sur plusieurs années dans l'économie, dont 34 milliards d'euros sur des segments essentiels à la transition écologique et numérique.

Nous pouvons constater que l'agroalimentaire a été l'un des secteurs les mieux représentés dans les appels à projets. Ainsi, 70 % de nos entreprises agroalimentaires ont eu des projets d'investissement s'inscrivant dans France Relance, avec près de 800 millions d'euros injectés et près de 2 000 créations nettes d'emplois.

Par conséquent, nous pouvons retenir de cette crise sanitaire le fait que le secteur alimentaire est resté debout, au prix toutefois d'impacts économiques assez importants pour les TPE-PME. Il a également été au rendez-vous de la relance, en s'inscrivant pleinement dans les mesures de France Relance et en investissant de manière offensive pour le renouvellement de ses capacités de production et la transition numérique et écologique. Ce dernier point me semble essentiel pour le renforcement du secteur et son potentiel de croissance à moyen et long terme.

Nous avons le sentiment que nos entreprises sont désormais à la croisée des chemins, avec de forts enjeux en termes de souveraineté alimentaire et de politique industrielle. De ce point de vue, les mesures de France Relance s'inscrivent dans une bonne dynamique, et nous allons suivre avec attention les mesures liées au plan d'investissement France 2030, qui permettront d'amplifier cette action. Dans cette perspective, l'agroalimentaire est déjà identifié comme un secteur incontournable, avec un marché clé sur l'alimentation durable et favorable à la santé.

Permalien
Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération paysanne

La résilience est définie comme la capacité d'un individu ou d'un groupe à se rétablir après avoir subi une perturbation extérieure ; c'est aussi la capacité d'un système à continuer à fonctionner en cas de panne. Au-delà de la résilience, à la Confédération paysanne, nous considérons qu'il est important de nous interroger sur les conditions de la multiplication de ces crises, qui renvoient aux fondamentaux de nos orientations agricoles et alimentaires. Ce sont les effets de l'activité agricole et, plus largement, de l'activité humaine sur la biodiversité qui entraînent la multiplication des crises, notamment sanitaires.

Nous critiquons sévèrement la direction prise par le modèle agricole, avec une course au volume et aux prix bas, stimulée par le libéralisme économique européen et mondial.

Nous pensons que la crise sanitaire a mis en évidence et a accentué certaines fragilités ou dépendances. Elle a mis en lumière les externalités négatives générées par la course au volume et à la baisse des prix, lesquelles ne sont pas assumées financièrement par ceux qui les créent, mais sont assumées collectivement par l'État et les citoyens.

La deuxième fragilité renvoie à la gestion en flux tendus, avec des stocks alimentaires et agricoles réduits. Dans ce contexte, le moindre caillou dans les rouages peut complètement paralyser le système ; on l'a bien vu avec le blocage du porte-container dans le canal de Suez, récemment.

Troisième fragilité, notre dépendance à une main-d'œuvre pas chère et notre incapacité à rémunérer l'acte de production du monde paysan. Cela rejoint notre dépendance à un travail saisonnier – dont l'un des avantages est qu'il est peu rémunéré –, qui a suscité des difficultés importantes, avec la fermeture des frontières, pendant la crise.

La crise a aussi mis en évidence la dualité de l'agriculture et de l'alimentation, avec une précarisation encore plus importante d'une partie de la population – étudiants et habitants des quartiers populaires en particulier – qui ne parvient plus à accéder à une alimentation de qualité.

Le constat de ces fragilités doit nous obliger à repenser l'enjeu agricole et alimentaire. Il ne faut pas se satisfaire du fait que ces secteurs aient tenu le choc lors de la crise sanitaire, si l'on persiste dans le même modèle économique.

Il a été largement question de souveraineté alimentaire. Ce concept est développé depuis longtemps à la Confédération paysanne et à la Via Campesina, l'organisation internationale dont nous faisons partie. Cette dernière a déposé dès 1999 le « droit à la souveraineté alimentaire » à l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ; il désigne le droit des populations à choisir leur alimentation et leur politique agricole et alimentaire, le cas échéant en faisant évoluer les lois et le contexte économique, dans le but d'acquérir cette souveraineté alimentaire et de faire que celle-ci ne soit pas descendante ou acquise par l'exportation.

Cette souveraineté alimentaire doit être pensée en prenant en compte l'enjeu de la relocalisation. L'engouement pour la vente directe et les marchés pendant la crise a témoigné d'une volonté des Français de se reconnecter à l'agriculture, de nouer des liens avec les producteurs et de connaître la manière dont les produits sont cultivés.

Cette évolution doit nous conduire à mettre en question nos fondamentaux autour de trois piliers. Le premier est celui de l'installation des paysans : si nous souhaitons disposer d'une souveraineté alimentaire, il faut que les paysans soient plus nombreux.

Le second pilier concerne la protection économique des acteurs agricoles face aux accords de libre-échange et au contexte européen qui stimule la course au moins-disant. Cela nous expose à une concurrence sur les prix dévastatrice, notamment de la part de l'Espagne. Cette situation ne permet pas à la France de maintenir son tissu agricole et d'organiser les transitions souhaitables, par exemple en réduisant l'utilisation des pesticides.

Le dernier pilier concerne la socialisation de l'enjeu agricole et alimentaire, qui repose sur la restauration du lien entre paysans et citoyens. Nous devons parvenir à « faire société » autour de cet enjeu ; c'était d'ailleurs l'esprit initial de la politique agricole commune (PAC). Les questions agricoles et alimentaires ne doivent pas être uniquement traitées dans le cadre du microcosme agricole ; chacun doit pouvoir contribuer aux choix sur ce qu'on mange, la manière dont la production s'opère, la rémunération des paysans et la prise en charge des externalités négatives.

Avec d'autres acteurs, nous avons travaillé sur un projet de sécurité sociale de l'alimentation qui doit permettre de supprimer la dualité de la politique alimentaire, avec une politique orientée vers les plus fortunés qui peuvent choisir leur alimentation, et une autre qui est subie par les plus précaires, issue des surplus de l'agriculture productiviste et industrielle.

L'objectif est de « co-construire » l'agriculture et l'alimentation, en partant de la demande et non de l'offre, comme c'est le cas actuellement. Il faudrait peut-être remettre en place un conventionnement entre la chaîne alimentaire et les citoyens, pour un certain volume d'alimentation mensuelle ou annuelle, sur la base d'une discussion démocratique menée entre l'ensemble de ces acteurs.

En tout état de cause, il me semble que la résilience n'a pas été renforcée par cette crise sanitaire. En effet, nous n'avons pas appris suffisamment. Nous avons pointé les enjeux clés, mais nous n'avons pas vraiment changé les données fondamentales. Pour la PAC, les mêmes orientations prévalent ; elles sont axées sur les hectares et le volume, sans prendre en compte les paysans. De même, le plan de relance agricole est uniquement orienté vers l'investissement productif, sans remettre en question le modèle, sans véritable transformation. Enfin, les syndicats agricoles réclament une loi foncière pour répondre à l'enjeu des installations paysannes, et cette demande n'a toujours pas été entendue.

Aussi, aucune réponse n'a, à ce jour, été apportée à l'urgence sociale, alimentaire, démocratique et écologique, alors que c'est cela qui nous permettrait de sortir par le haut de la crise.

Permalien
Henri Biès-Péré, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

Alors que le modèle agricole était considéré comme condamné et qu'il était cloué au pilori, force est de constater qu'il a tenu bon lors de la crise sanitaire, comme cela a été reconnu par les représentants de l'ANIA.

Les agriculteurs ont été présents et ils n'ont pas cessé de produire durant la crise. Ils ont été au rendez-vous, tant en termes de qualité que de quantité. Les Français n'ont pas été contraints de réduire leur consommation de produits alimentaires.

Les agriculteurs et une partie de l'agroalimentaire se sont adaptés aux mesures de restriction sanitaire, en ouvrant de nouveaux circuits de distribution, en déployant la vente directe, en organisant de nouveaux marchés ou encore des drive.

Mais nous devons faire attention à ce que la tendance actuelle de montée en gamme comme seule politique pour l'avenir de l'agriculture ne mette pas à mal les capacités productives et la réactivité des filières. Cette montée en gamme doit se faire à un rythme qui tienne compte de la nécessité du maintien de la capacité productive des exploitations agricoles et de la réactivité des filières.

En outre, le surcoût engendré par cette transformation de l'agriculture doit être raisonné et ne pas décourager l'envie de l'agriculteur d'entreprendre, de prendre des risques et d'être présent comme il l'a été lors de la crise sanitaire. Nous devons veiller à ce que les agriculteurs et les filières alimentaires produisent pour tous les segments de marché, et pas seulement pour une alimentation qualitative.

Les produits locaux sont fortement demandés, tant par les collectivités territoriales que par les consommateurs, qui n'hésitent pas à dépenser davantage pour en bénéficier. Ce marché progressera sans difficulté, au fur et à mesure de la hausse de la demande des consommateurs.

S'agissant des produits bio, les agriculteurs se convertissent de plus en plus. Cependant, dans certaines filières, l'équilibre entre la production et la consommation a été atteint, et il convient d'être vigilant à ce sujet. Si la production dépassait le niveau de la demande, nous connaîtrions une baisse des prix. Par conséquent, il faut faire attention à préserver, sur chaque segment de marché, le bon équilibre entre capacités de production et demande.

Les filières longues et l'exportation, particulièrement vilipendée actuellement, sont moins bien traitées. Or, certains territoires, y compris dans l'hexagone, n'ont pas la capacité de tout produire en quantité et en qualité, parce qu'ils sont fortement peuplés ou parce qu'ils n'ont pas les surfaces qui permettent de développer toutes les productions nécessaires. À l'inverse, d'autres territoires ont les espaces requis, mais pas de lieux de consommation. La résilience et la robustesse des filières sont liées à la prise en compte de ces différenciations territoriales, avec une prise en charge des volumes produits par des filières de transformation, pour qu'ils soient vendus dans tout le territoire.

Et même si la vocation première de notre agriculture n'est pas l'exportation, celle-ci permet de maintenir les outils de production, de stockage et de transformation. S'il fallait limiter la production française à la consommation des concitoyens, ces capacités seraient réduites, ce qui diminuerait la résilience du secteur en période de crise.

Au total, l'agriculture française dispose actuellement d'une robustesse qui permet de satisfaire à la fois le client local et le client parisien.

Pour maintenir et renforcer cette résilience, il est important de continuer à investir dans la recherche et l'innovation, pour prendre en compte l'environnement et le changement climatique, réduire les émissions de gaz à effet de serre, et parvenir à capturer le carbone et les gaz à effet de serre émis par les autres secteurs.

Ces évolutions doivent s'opérer sans limiter la production, car nous avons besoin de ces volumes. Pour cela, il faut investir dans la recherche, qui permet par exemple de développer des plantes plus résistantes et moins consommatrices d'intrants, et dans l'innovation.

Le deuxième élément pour renforcer la résilience concerne les facteurs de production. Un débat a lieu actuellement au ministère de l'agriculture sur les retenues et le stockage de l'eau ; il faudra impérativement développer ce stockage ; il me semble que c'est un point que votre mission devra souligner.

Par ailleurs, nous devons impérativement progresser sur les solutions biosourcées à même de remplacer les éléments chimiques. Nous sommes favorables à la réduction de l'utilisation des produits chimiques mais, si nous ne disposons pas de solutions alternatives, nous serons incapables de maintenir une agriculture productive.

Enfin, l'appareil industriel autour de l'agriculture a besoin d'être modernisé, il a besoin d'investissements. Bref, il est temps de relancer des grands projets d'investissement et d'avenir pour renforcer encore la résilience de l'agriculture.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je remercie les agriculteurs d'avoir répondu aux besoins pendant la crise, et je salue les efforts déployés par les industries agroalimentaires pour se réorganiser afin de continuer à produire. Nous pouvons nous féliciter d'avoir traversé la crise sanitaire de manière assez sereine, pour ce qui concerne l'alimentation, même si des fragilités ont pu apparaître.

Au-delà de vos différences de points de vue, je crois que, pour être résilient, il faut combiner différents types de production, alliant la compétitivité, pour répondre aux besoins du pays sans dépendre des importations, et les circuits courts, ou encore le bio. C'est bien cette diversité qui me semble être un facteur de résilience.

En réalité, je constate que votre secteur est résilient en situation de crise s'il fonctionne bien en situation normale. Aussi, des paramètres tels que le prix, l'installation des jeunes agriculteurs ou encore de l'irrigation permettent, en contribuant à la vitalité du secteur agricole, de garantir le fait que ce secteur sera en mesure de continuer à fonctionner en cas de crise.

J'aimerais approfondir la question de la résilience à l'échelle des territoires. Nous savons que les territoires sont spécialisés : la filière porcine en Bretagne, le blé en Beauce, etc. En cas de difficultés d'acheminement, ces spécialisations pourraient générer certaines difficultés. On bâtit aujourd'hui des plans alimentaires territoriaux. Quel regard portez-vous sur cet enjeu ?

Enfin, vous avez tout de même évoqué des situations de quasi-ruptures pendant la crise sanitaire. Par conséquent, ne voyez-vous pas tout de même certaines fragilités à corriger pour que ces ruptures ne se produisent pas, dans l'éventualité de crises à venir, qui pourraient être plus intenses ?

Permalien
Henri Biès-Péré, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

Les projets alimentaires territoriaux sont une tellement bonne idée qu'on se demande pourquoi on ne l'a pas eue plus tôt. À la FNSEA, nous avons constaté que 80% des produits servis dans les cantines scolaires étaient issus de l'importation ! Cela semblait de bon sens de privilégier les produits locaux, en concertation avec les élus, les agriculteurs et les consommateurs, afin d'éviter que les produits ne partent à Rungis pour revenir ensuite dans les territoires. Ces projets pourraient permettre de relancer l'activité des maraîchers, qui s'est érodée parce qu'elle s'est heurtée à la concurrence des légumes importés.

S'agissant des points de vigilance, il ne faut pas baisser la garde sur la recherche et l'innovation ; actuellement, le manque de moyens est parfois un peu désespérant de ce point de vue. Les budgets doivent être préservés et utilisés afin de répondre aux nouvelles attentes, en particulier dans les domaines climatique, environnemental et de la biodiversité.

Permalien
Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération paysanne

Les plans alimentaires territoriaux sont effectivement un bon outil démocratique, de territorialisation et de co-construction de l'alimentation sur les territoires. Ils doivent inciter à cesser de spécialiser les territoires.

Pour autant, cela ne suffit pas. Il faut aller plus loin et faire preuve d'imagination, par exemple en créant des ceintures vertes autour des grandes agglomérations pour la production de produits frais, pas forcément uniquement pour vendre en circuit court – nous ne sommes pas le syndicat des circuits courts et de la vente directe ! Ces nouveaux canaux de distribution permettraient de faire vivre des filières relocalisées. À titre d'exemple, je suis producteur de lait à comté, une production plutôt haut de gamme, néanmoins consommée majoritairement dans le secteur de la Franche-Comté, où elle génère bien plus d'emplois en amont et en aval que le lait produit en Bretagne ou aux Pays-Bas.

Aussi, je pense que la clé pour être résilient face aux crises, c'est l'emploi dans les différents secteurs. À la différence de M. Henri Biès-Péré, je ne pense pas que l'intelligence artificielle, la numérisation ou la robotisation nous rendront plus résilients, car elles renforceront au contraire notre dépendance à des matériaux produits dans d'autres pays.

La résilience résultera de l'innovation humaine, de nos savoir-faire techniques, de notre faculté d'adaptation permanente, en relation les uns avec les autres, pour répondre aux urgences alimentaires et écologiques. La première urgence me semble donc sociale.

Permalien
Stéphane Dahmani, directeur économie de l'ANIA

Les échanges autour de cette table ronde ont mis l'accent sur la recherche et l'innovation sur fonds publics, mais nous devons aussi restaurer notre capacité à investir et à créer de la valeur au sein de notre secteur alimentaire.

Tout notre business model est à retravailler pour mettre un terme à la destruction de valeur dans l'alimentation ; le plan de relance va nous y aider.

Permalien
Victoire Perrin, responsable des affaires publiques de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA)

Le secteur alimentaire est en réalité dual. Lors de la crise, le secteur spécialisé dans la vente aux cafés, hôtels et restaurants s'est avéré bien plus fragile, car il n'a pas pu écouler ses volumes de production ni les reporter dans la grande distribution. Et pour bénéficier des dispositifs d'aide gouvernementale, cela a été compliqué, car on avait tendance à considérer que l'alimentaire se portait bien de manière générale ; cette dualité est ainsi en soi une source de fragilités.

Dans le cadre de l'appel à projets « soutien à l'investissement industriel dans les territoires » du plan de relance, qui vise à moderniser l'outil de production et à développer l'implantation des sites industriels dans les territoires, les industries alimentaires sont représentées à hauteur de 20 %, ce qui montre que nous travaillons activement à la résilience des territoires.

Permalien
Stéphane Dahmani, directeur économie de l'ANIA

Je pense qu'il nous manque encore un diagnostic global de ce qu'implique la souveraineté alimentaire, en partant de l'assiette des Français et en évaluant ce que cela suppose dans les différentes filières. Ce diagnostic permettrait d'actionner les bons leviers.

Permalien
Henri Biès-Péré, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

Il faut en effet évaluer les politiques de régulation, pour faire en sorte que les producteurs ne restent pas avec leur production dans leurs hangars parce qu'ils ne peuvent pas la vendre aux restaurants.

Enfin, il ne faut pas oublier que l'agriculture peut elle aussi apporter des solutions pour améliorer notre souveraineté en matière d'énergie, notamment grâce aux carburants verts.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je partage tout à fait ce point de vue ; l'agriculture peut en réalité produire davantage d'énergie qu'elle n'en consomme. L'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a d'ailleurs consacré une note à cette question.

La réunion se termine à dix-huit heures dix.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. - M. Thomas Gassilloud, Mme Sereine Mauborgne

Excusés. - M. Alexandre Freschi, M. Jean Lassalle