L'audition débute à neuf heures cinq.
Madame, monsieur, je vous remercie de votre venue.
Chers collègues, nous accueillons ce jour, pour leur audition dans le cadre de notre mission d'information relative aux freins à la transition énergétique, M. Damien Siess, directeur de la stratégie et de la prospective de l'Union française de l'électricité (UFE).
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et fera l'objet d'un compte rendu.
Nous vous remercions d'avoir sollicité cette audition et sommes heureux de vous rencontrer.
Les objectifs de cette mission d'information sont d'identifier les freins à la transition énergétique, de se donner une méthode et d'apporter au Gouvernement les moyens d'accélérer la transition énergétique dans son ensemble.
Dans un premier temps, nous nous focaliserons sur la production des nouvelles énergies et, dans un second, sur les économies d'énergie. Nous voulons tout à la fois examiner les aspects législatifs, réglementaires et fiscaux, mais aussi les aspects sociétaux : les freins dans la population, mais aussi les freins qui pourraient venir de grands groupes structurés sur le « monde du pétrole », si je puis dire, qui doivent aujourd'hui imaginer leur futur dans un monde différent.
Telles sont les quelques pistes que je vous livre rapidement pour vous mettre dans l'ambiance de notre mission.
La mission est très large et ambitieuse. J'essaierai d'être relativement clair et concis dans mes propos, sans être exhaustif et en laissant du temps à la discussion.
La première question à se poser est de savoir quels retards sont d'ores et déjà enregistrés par rapport aux différents objectifs de la transition énergétique. Le retard le plus remarquable, le plus grave et le plus urgent, concerne les émissions de gaz à effet de serre, et ce pour différentes raisons.
Premièrement, il s'agit d'un objectif qui s'impose à nous : nous ne pouvons décider d'arbitrer différemment la contrainte climatique. Or, aujourd'hui, nous sommes manifestement en retard par rapport aux objectifs fixés de baisse des émissions de gaz à effet de serre en France.
Deuxièmement, en recherchant plus spécifiquement les secteurs à l'origine de ces retards, il apparaît que les secteurs les plus émetteurs sont ceux du bâtiment et des transports. Pour le dire brièvement, au cours des dix dernières années, la baisse des émissions de dioxyde de carbone (CO2) constatée en France a tenu essentiellement au secteur énergétique, et notamment aux fermetures programmées de centrales à fioul ou de centrales à charbon. La baisse a été notable également dans l'industrie, malgré les effets de crise économique qui peuvent malheureusement y être liés. Mais nous la constatons très peu dans le bâtiment et le transport, dont les émissions en 2017 ont même augmenté par rapport à 2016. Tout récemment, en s'appuyant sur les statistiques tout à fait publiques du ministère de l'environnement, des organisations non gouvernementales (ONG) ont lancé un observatoire sur les émissions de CO2, qui a mis en évidence ces retards.
Mon propos s'attachera donc plus particulièrement à ces deux secteurs : bâtiment et transports. Ce faisant, je réponds sans doute plus à votre deuxième interrogation, portant sur l'efficacité énergétique qu'à la première, relative à la production, sur laquelle nous pourrons revenir si vous le souhaitez.
Le troisième sujet que je souhaiterais évoquer, et qui constitue un frein évident, est l'accompagnement social de la transition. Il touche, en fait, plusieurs domaines.
Pour prendre un exemple très récent qui concerne l'UFE de près, j'évoquerai le cas des fermetures de centrales électriques. Dans le projet de loi de finances communiqué ce lundi, est apparu un mécanisme de compensation fiscale s'adressant aux collectivités locales dans lesquelles sont implantées des centrales électriques qui fermeraient. Il s'agit d'une forme d'accompagnement des collectivités en raison des pertes de recettes fiscales qu'elles connaîtraient. Mais il n'existe pas d'équivalent pour l'accompagnement social des entreprises et des salariés directement ou indirectement touchés par ces fermetures.
L'an dernier, lors de l'examen du PLF pour 2018, un amendement avait été déposé sur le prix du carbone, qui aurait amené à fermer des centrales à charbon ; il a finalement été retiré, toute l'attention s'étant portée sur les dockers et ceux qui travaillent dans les ports d'approvisionnement de ces centrales.
La question de l'accompagnement social est un véritable sujet. Je pourrai éventuellement y revenir par la suite, mais je vais à présent développer les aspects relatifs au bâtiment et aux transports.
De tous les secteurs en retard, c'est-à-dire restant au-dessus de leur cible par rapport aux objectifs carbone et aux objectifs de quota maximum alloués aux différents acteurs de l'économie française, le bâtiment est le plus éloigné des objectifs. Il est aujourd'hui 27 % au‑dessus de ses objectifs. Les travaux en cours de la Stratégie nationale bas carbone font apparaître qu'il sera non seulement en retard pour 2018, mais également pour 2023, car ce retard ne se rattrapera pas en quelques années. Au mieux, l'espoir serait de se recaler sur la bonne trajectoire dans dix ans. Encore faut-il pour cela corriger les différents freins à la transition énergétique. Votre mission est particulièrement bienvenue à cet égard.
Pourtant, assez paradoxalement, il est très rare aujourd'hui de trouver dans la politique du bâtiment et la politique énergétique du bâtiment, l'ambition de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cela semble même être un gros mot. Très récemment, le projet de loi ELAN a été examiné en commission mixte paritaire. Sur le sujet de la rénovation du tertiaire, qui est un serpent de mer que l'on attend depuis le Grenelle, soit depuis dix ans, les textes évoquent une rénovation en énergie. Or, il est tout à fait possible que ces rénovations permettent certes d'économiser de l'énergie, mais qu'en changeant d'énergie on augmente les émissions de CO2 d'un bâtiment tertiaire qui serait rénové en application de ce texte. Mais lors des discussions sur ce sujet, pour de nombreux acteurs, c'est presque une grossièreté que d'affirmer que la politique du bâtiment devrait être une politique énergétique… et climatique !
Si une partie de l'économie d'énergie a des effets sur les émissions de CO2, je tiens à préciser que ce n'est pas toujours le cas, et que ce n'est pas suffisamment le cas. Pas toujours, car on peut très bien faire des rénovations en changeant de mode énergétique et augmenter les émissions de CO2 d'un bâtiment ; pas suffisamment, car au vu des moyens financiers, publics et privés, dont dispose la France et de l'ampleur de l'ambition des engagements climatiques de la France, optimiser les efforts consentis en économie d'énergie là où elles sont également synonymes du maximum de baisse de CO2 représente une différence très sensible économiquement. On préfère les faire un peu partout, en se disant que, globalement, tout cela va dans le bon sens et qu'il importe peu que ce soient de grands pas, de petits pas ou des pas minuscules.
À titre d'illustration, l'UFE a produit voici deux ans une étude qui comparait les coûts économiques d'une transition énergétique centrée sur le critère CO2 ou en s'attachant à tenir absolument tous les objectifs de la transition énergétique au même niveau. La différence entre ces deux approches, dont l'une amenait à tenir les objectifs carbone du plan Climat sans atteindre tout à fait l'efficacité énergétique – mais en réalisant une économie d'énergie de 17 % là où la loi fixe un objectif de 20 % –, coûtait globalement 500 milliards d'euros sur quinze ans. Malgré quelques variations, toutes les études convergent vers cet ordre de grandeur. Chercher de surcroît à réaliser toutes les économies d'énergie, y compris celles qui représentent très peu d'économie en matière de carbone et ne changent pas l'atteinte de l'objectif CO2, coûterait 650 milliards d'euros. La différence d'approche représente donc 150 milliards d'euros sur quinze ans, soit 10 milliards d'euros supplémentaires à trouver annuellement, public et privé confondus. L'enjeu économique est donc énorme. C'est la raison pour laquelle cet aspect devrait être central dans le bâtiment.
Autre exemple : comme vous le savez, des travaux sont lancés pour préparer la prochaine réglementation environnementale du bâtiment, et passer d'une réglementation thermique à une réglementation environnementale. Donc, dans les intentions, on affiche que l'on veut prendre en compte le CO2, et que l'on veut également le prendre en compte sur un cycle de vie. Pour l'instant, parmi les méthodes testées, cela reste assez fictif : la logique du double critère montre qu'il suffit de tenir le critère énergie pour tenir le critère carbone. Le critère carbone n'est donc pas un vrai critère et, de ce fait, ne représente pas du tout une priorité dans ce qu'il faudrait vraiment faire.
Le deuxième frein dans le bâtiment dont je donnerai un exemple est celui, particulièrement regrettable, des certificats d'économie d'énergie (C2E). Ce frein ne concerne pas seulement le bâtiment ; c'est donc aussi un point de transition avec ce que je dirai par la suite à propos du transport. Les C2E sont un instrument budgétairement plus lourd que le crédit d'impôt de la transition énergétique. La nouvelle période des certificats d'économies d'énergie représente quelque 3 milliards d'euros sur la facture des consommateurs d'énergie qui vont vers des actions d'économie d'énergie. Le crédit d'impôt, dans ses meilleures années, représentait environ 1,5 milliard d'euros – sans parler des futurs arbitrages qui reverront probablement le dispositif à la baisse. En ordre de grandeur, le soutien aux énergies renouvelables représente 6,5 milliards d'euros. Nous parlons donc de 3 milliards d'euros par an, payés par des consommateurs, allant à certains consommateurs et à certains gestes d'économie d'énergie, mais posant un vrai sujet : la crainte bien réelle que, d'ici la fin de la période, d'ici à 2020, nous ne soyons pas du tout au rendez-vous des objectifs.
Les trajectoires selon lesquelles sont délivrés jusqu'à présent les C2E sont très en retard par rapport à ce qui conviendrait pour atteindre les objectifs. Ce sujet devrait tous nous mobiliser. Nous pourrions considérer que, pour les entreprises, il s'agit d'un sujet purement financier puisque, si elles n'atteignent pas leurs objectifs, elles paient une pénalité. Mais du point de vue de l'atteinte d'une politique d'économie d'énergie, le fait que l'outil principal – car c'est bien l'outil principal de financement des gestes d'efficacité énergétique – ne soit pas au rendez-vous pose un réel problème. Je ne parle pas des multiples questions qui se posent ; un rapport de la cellule de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) est paru voici quelques mois, et les enquêtes régulières de l'UFC-Que choisir montrent l'incompréhension de ce dispositif par les consommateurs. Cela devrait fortement nous mobiliser.
Aujourd'hui, nous faisons partie des acteurs qui demandent qu'un véritable plan de concertation politique sur cet objet précis fasse le point des retards et trouve des leviers, à l'image des groupes de travail qui ont été mis en place pour étudier où nous en étions sur l'éolien, le photovoltaïque, la méthanisation, et savoir pourquoi nous n'étions pas forcément au niveau des rendez-vous.
Dans le domaine des transports, pour citer quelques exemples de freins très précis, puisque le PLF pour 2019 fait l'actualité, je commencerai par le domaine fiscal.
En matière de fiscalité, subsistent un certain nombre de freins. Nous sommes favorables à la trajectoire qui a été développée d'augmentation de la contribution carbone. Il existe encore des niches fiscales très importantes en faveur des consommations d'énergies fossiles. Le montant consacré, de l'ordre de 7 milliards d'euros par an, représente plus que ce qui est prévu pour le développement des énergies renouvelables, plus que pour l'efficacité énergétique. Or ces niches fiscales sont amenées à augmenter : puisque la fiscalité « normale », si je puis dire, des énergies fossiles augmente avec la contribution carbone, les taux réduits dont bénéficient un certain nombre de secteurs sont plafonnés en montant et ne vont pas augmenter – même s'il est proposé de le baisser sur le gazole non routier, il reste de nombreux autres secteurs ; il ne s'agit donc pas d'un petit segment. Une des pistes consiste donc à aller plus loin sur la remise en cause des niches fiscales favorables aux énergies fossiles.
Des dispositions peuvent également être prises pour soutenir l'investissement et l'acquisition de véhicules propres. Ainsi, l'une des dispositions attendues dans la future loi d'orientation sur les mobilités, qui aurait pu aussi trouver place dans la loi de finances mais que nous n'avons pas vue dans le projet déposé, consisterait à étendre les dispositifs de suramortissement pour les entreprises en cas d'acquisition de véhicules électriques. Aujourd'hui, les incitations concernent surtout, pour ne pas dire uniquement, le biodiesel ou le gaz. Finalement, les véhicules électriques sont essentiellement achetés par des particuliers. Or, globalement, les entreprises achètent de nombreux véhicules ; il faut donc aussi penser aux incitations en termes de flottes professionnelles.
Enfin, pour faire le lien avec le sujet de l'accompagnement social que j'évoquais au début de mon intervention, je pense que le sujet du transport est un sujet de visibilité et d'acceptabilité par rapport à l'augmentation du signal « prix carbone » qui peut être ressentie comme une injustice ou une punition. Il est besoin de voir l'ensemble des recettes prises sur les carburants et des dépenses qui les accompagnent. Aujourd'hui, les dispositifs sont assez épars, entre l'aide à l'acquisition, le bonus-malus, les péages différenciés, et nous aurons probablement prochainement une augmentation du taux de réfaction, lié au coût supporté par le public pour l'installation de bornes de recharge électrique. Il serait bien d'avoir un paquet budgétaire homogène, sous la forme, par exemple, d'un compte d'affectation spéciale comme il en existe pour la transition énergétique. Il n'existe pas d'équivalent pour la mobilité propre. Nous estimons que c'est gênant et que cela freine l'acceptabilité des mesures fiscales dans le domaine des transports.
Monsieur le rapporteur, avant de vous céder la parole, permettez-moi de poser une question.
Monsieur Siess, vous disiez qu'un des premiers leviers consistait à jouer sur les secteurs émetteurs de gaz à effet de serre, citant notamment ceux des transports et du bâtiment. Vous avez indiqué que l'industrie avait bougé plus rapidement. Cette mission s'intéressant non seulement aux freins mais aussi aux accélérateurs, quels sont, de votre point de vue, les éléments clés saillants adoptés par l'industrie pour accélérer sa transition énergétique ?
Ma première question aura trait aux certificats d'économie d'énergie.
J'ai constaté, pour ma part, que c'est un dispositif très complexe pour un faible retour. J'en ai deux exemples. Tout d'abord, en tant que vice-président de la fédération départementale de l'énergie du Pas-de-Calais, j'ai constaté que les systèmes administratifs des organismes avec lesquels nous avions contracté étaient très complexes et que nous rencontrions de grandes difficultés pour guider et aider les communes dans tous ces dispositifs de récupération de C2E. Puis, en tant que maire, je dois dire que, sur un projet de rénovation et d'extension d'une école de 700 000 euros, l'énergie dépensée pour récupérer 2 000 euros de C2E s'est révélée phénoménale.
Je pense donc qu'une vraie réflexion est nécessaire en la matière. Pourriez-vous nous en dire plus ?
S'agissant de l'industrie, plusieurs facteurs ont joué sur les baisses d'émissions.
Un certain nombre est structurel, c'est-à-dire hors énergie. Je pense au volume d'activité et à la tertiarisation de l'industrie dont les effets jouent structurellement sur la baisse d'énergie et la baisse d'émissions carbone. Le secteur tertiaire n'a pas la même intensité carbone que le secteur secondaire.
Nous avons également bénéficié d'une tendance longue : dans l'industrie, on cherche à baisser ses coûts, on fait des efforts et on investit régulièrement. Donc, en fait, nous sommes sur un trend assez régulier, qui ne s'est pas particulièrement accéléré mais qui n'a pas non plus ralenti, de gains d'efficacité énergétique de 1,5 % par an, systématiquement. Cela ne signifie pas que cela va se poursuivre facilement et sans effort car, au fur et à mesure que l'on avance, il devient de plus en plus difficile d'atteindre les « gisements » suivants.
Le sujet essentiel dans l'industrie, qui pourrait être un frein pour les prochaines étapes, c'est la visibilité, c'est-à-dire la pérennité pour un acteur industriel. Quand les temps de retour deviennent de plus en plus longs, l'industriel se dit qu'il n'est pas sûr d'être encore « vivant » dans dix ans. Il ne répond pas à la même logique qu'une collectivité qui sait qu'elle aura, malgré tout, une école, un hôpital ou autre, même si, pour certaines, des questions se posent. En tout cas, ce n'est pas le même sujet et nous allons connaître de plus en plus de freins de ce type. Donc, bien que nous ayons constaté pour l'instant une trajectoire assez continue, il est vrai qu'il faudra s'interroger, notamment sur les questions de déconsolidation d'investissement, par exemple, par rapport à la visibilité pour des industries d'investir dans ce qui n'est pas forcément leur cœur de métier, c'est-à-dire leurs lignes de production.
Les C2E, vous avez raison, sont particulièrement complexes et ne sont pas toujours très incitatifs en montant. Pour notre part, nous appelons à une refonte assez complète du dispositif : que veut-on faire des C2E, et quelle est leur efficacité ?
Aujourd'hui, l'hétérogénéité entre les niveaux de soutien que représentent les C2E en fonction des différentes actions engagées est très marquée. Certes, il y a une certaine logique puisqu'en théorie, les C2E sont censés rémunérer l'économie d'énergie de la même façon, quelles que soient les actions. Cependant, dans de nombreux cas, il s'agit d'un effet d'aubaine, car soit l'aide est trop peu incitative et n'a en rien accéléré la décision – ce ne sont pas les 2 000 euros qui vous ont fait prendre une décision que vous auriez prise de toute façon ; il s'agit donc d'un dispositif qui vient s'ajouter – ; soit, dans d'autres cas extrêmes, l'aide est tellement élevée qu'en étant dimensionnée de façon différente elle resterait malgré tout incitative.
Donc, à mesure que l'on arrive dans le « dur » des objectifs et que l'on atteint des montants très élevés, il faut regarder la situation en face et être capable de se poser des questions qui, pour certaines, reviennent à l'origine des C2E, à leur objectif initial. Au départ, c'était un dispositif annexe qui, souvent, pour les particuliers notamment, venait s'ajouter au crédit d'impôt : quand vous faisiez un geste, vous pouviez bénéficier d'une aide de 2 000 euros par le crédit d'impôt, et ce qui était accordé au titre du C2E, c'était le « passager embarqué » ! Si la situation s'inverse, que le crédit d'impôt est réduit sur un certain nombre d'actions et que l'on considère qu'il revient au consommateur d'énergie de payer l'efficacité plutôt qu'au contribuable, la question doit forcément être traitée différemment.
Nous avons un certain nombre de pistes de réflexion mais, honnêtement, nous ne sommes pas sûrs de détenir toutes les réponses. La question est trop complexe. Il faut mettre tout le monde autour de la table pour traiter de ces sujets.
Je suis députée de la Moselle. Je voulais connaître votre avis sur le train à hydrogène d'Alstom, qui a, me semble-t-il, emmené ses premiers passagers cet été. Je sais que Nicolas Hulot, et je pense que François de Rugy maintiendra cette direction, avait décidé d'engager des financements pour soutenir l'hydrogène. J'aimerais connaître votre avis sur ce train et, surtout, savoir comment les professionnels du secteur de l'électricité voient cette avancée.
Je suis députée de Polynésie française. Je souhaitais savoir si vous pouviez nous donner les grandes masses globales du marché de l'énergie : quelle part est aujourd'hui consacrée à la transition ? Quel pourcentage du budget représente l'effort de soutien à la transition énergétique en termes de production et en termes d'économies d'énergie ?
À propos des certificats d'économie d'énergie, vous nous parlez d'un dispositif complexe et insuffisamment incitatif. Pourriez-vous préciser les moyens qui devraient être mis en œuvre pour assouplir ou faciliter leur utilisation ? Pourriez-vous être plus précis sur les solutions visant à améliorer le fonctionnement des C2E ?
Vous avez évoqué la question du soutien à l'investissement concernant les véhicules propres, et un dispositif de suramortissement qu'il faudrait mettre en œuvre. Pouvez-vous préciser cela ?
D'autre part, tout le monde s'interroge sur l'efficacité des C2E. En avez-vous ciblé certains qui vous semblent totalement inutiles, voire contre-productifs ?
S'agissant de l'hydrogène, le projet de train d'Alstom correspond à un usage pertinent. Il nous paraît important de rappeler, notamment dans le plan présenté il y a quelques mois par Nicolas Hulot, la hiérarchie des usages de l'hydrogène et leur maturité.
Aujourd'hui, il existe déjà des consommations importantes d'hydrogène dans l'industrie qui utilise de l'hydrogène fossile produit par vapocraqueur, par craquage de gaz et, donc, assez fortement émetteur de gaz à effet de serre. Un des usages les plus mûrs, et l'urgence, serait de remplacer cet hydrogène fossile par de l'hydrogène décarboné produit, par exemple, par de l'électricité renouvelable. C'est le premier gisement, parce qu'il s'agit déjà d'un usage mature. Chimiquement, c'est la même chose ; il s'agit finalement, côté production, de remplacer un produit par un autre. La seule question qui se pose est la question économique, notamment celle du prix du carbone à fixer pour atteindre l'équilibre financier.
Le deuxième usage, qui arrive juste après en termes de maturité, concerne les transports, notamment le transport lourd et certains transports mal adaptés à des batteries. Typiquement, il en existe des exemples dans le cadre de la mobilité fluviale mais aussi ferroviaire, s'agissant de lignes trop peu utilisées pour qu'il soit rentable de les électrifier complètement. Plusieurs projets sont engagés, dont des projets à batterie. Il me semble qu'une communication a encore été faite hier sur l'un d'entre eux. L'hydrogène, à condition qu'il soit propre, est tout à fait pertinent pour générer une propulsion électrique sur un segment de ligne sans caténaires. C'est une meilleure solution que d'utiliser un train au fioul, c'est donc un bon projet.
Différentes solutions peuvent être mises en concurrence : hydrogène ou batterie. Il reviendra aux constructeurs spécialistes du secteur de les tester et de faire des propositions. Pour notre part, nous nous y intéressons afin d'anticiper les quantités totales d'hydrogène qui seraient potentiellement produites à partir de l'électricité et les intégrer dans les prospectives électriques. Si les quantités peuvent être, au début, minoritaires, elles pourraient bien devenir significatives à un horizon à moyen terme. De plus, un tel dispositif présenterait l'avantage d'être aisément « pilotable » à des moments intéressants dans le système électrique.
En revanche, ce qui est bien moins mûr aujourd'hui, et pourtant parfois évoqué en premier quand on parle de l'hydrogène à plus long terme – il importe donc de bien préciser qu'il s'agit d'un usage plus lointain –, c'est l'hydrogène utilisé pour répondre à des besoins de flexibilité du système électrique, pour du stockage intersaisonnier d'énergie, en convertissant par exemple les excédents d'électricité estivaux en hydrogène, puis en méthane, afin de les réutiliser en hiver pour produire de l'électricité. En fait, cette solution n'interviendrait qu'à un horizon bien plus lointain et n'émergerait que si nous avions des taux de renouvelables variables dans le système électrique dépassant les 80 %. Or, nous en sommes loin.
Mais, pour ce qui est de la mobilité, l'usage de l'hydrogène serait très adapté.
S'agissant des budgets de l'énergie, je ne sais pas quelle est la bonne unité entre budgets publics ou privés. Aujourd'hui, pour un certain nombre d'acteurs de l'énergie, dans les pays développés qui n'ont pas de problème massif d'accès à l'énergie et dont les consommations sont déjà importantes, les perspectives sont celles d'une relative stabilité, voire d'une baisse des consommations énergétiques. Chacun cherche à se positionner comme un acteur de l'efficacité énergétique et à proposer un service pour mieux consommer l'énergie. C'est une réorientation importante de l'ensemble des groupes industriels.
Budgétairement parlant, il existe plusieurs dispositifs. Les C2E, sur lesquels vous vous interrogez, représentent aujourd'hui plusieurs points de pourcentage au sein des factures d'énergie. Nous pourrions refaire les calculs plus précisément mais, dans certains cas, le poids des C2E répercuté sur le consommateur représente de l'ordre de 6 % à 7 % de la facture d'énergie, pourcentage qui est amené à augmenter.
Pour évoquer un sujet très spécifique relatif à l'électricité, le mouvement à la hausse de janvier dernier des tarifs réglementés de l'électricité est quasiment exclusivement imputable aux certificats d'économie d'énergie. En relatif, je précise bien qu'il ne s'agit pas de l'intégralité du poids des tarifs d'électricité, mais de l'intégralité de la hausse qui était quasiment due aux C2E.
Deux questions ont été posées sur les pistes à explorer concernant les C2E.
Tout d'abord, comme je l'ai dit, une concertation longue et profonde sur les différents dispositifs serait sans doute nécessaire. Mais on peut d'ores et déjà critiquer le manque de visibilité et de transparence du dispositif. Je vous ai donné des estimations mais, en fait, savoir combien valent les C2E aujourd'hui et quel est exactement leur poids se révèle compliqué, et ce n'est pas bien partagé. Il manque un indice des prix transparent, régulier et rapide sur le poids des C2E. Car savoir comment varient les cours donne une idée de la tension sur le marché et de la tension a priori pour atteindre les objectifs en fin de période. Cela, nous ne l'avons pas, bien que nous le demandions depuis un an. C'est la croix et la bannière pour introduire dans les registres administratifs des C2E les modifications, a priori relativement simples, qui le permettraient.
Ensuite, de nombreuses autres questions se posent. Pour n'en citer qu'une, je parlerai des programmes. Pour le dire rapidement, dans les C2E, vous pouvez avoir des fiches standards, des opérations spécifiques dans l'industrie ou des programmes, qui ne sont pas nécessairement directement de l'économie d'énergie, mais dont les effets indirects génèrent des économies d'énergie. Il peut s'agir de programmes d'information ou de sensibilisation. Les certificats sont délivrés en fonction du financement de ces programmes. Aujourd'hui, ce dispositif est géré au cas par cas, à très courte échéance, avec une visibilité insuffisante sur la part globale de volume allouée aux programmes et sur la façon de les lancer, car ce sont des opérations qui sont longues à être mises en place et l'on découvre tardivement le retour des propositions des professionnels. Il reste donc beaucoup à faire en la matière.
Enfin, pour préciser ce que j'appelais le suramortissement des véhicules électriques pour les entreprises, il existe des dispositifs, notamment comptables, au titre de l'amortissement accéléré qui est étendu aujourd'hui à toutes les mobilités propres pour les entreprises. Mais il existe un dispositif supplémentaire de suramortissement qui n'est, pour l'instant, valable que pour du gaz naturel véhicule et du biodiesel. C'est un manque d'incitation et de neutralité technologique entre les moyens de mobilité propres auxquels peuvent recourir les entreprises. Nous souhaiterions que ces dispositions soient étendues aux achats de véhicules électriques.
J'aimerais revenir sur l'hydrogène. Aujourd'hui, il me semble que l'on produit ou consomme en France un peu plus de 900 000 tonnes d'hydrogène produit à partir d'hydrocarbures. La première des priorités ne serait-elle pas de produire ces 900 000 tonnes de façon verte, par hydrolyse à partir d'énergies renouvelables ? Ne serait-ce pas un moyen de démarrer la filière de façon sûre, puisqu'il existe une consommation assurée ?
Je peux vous répondre tout de suite : je suis totalement d'accord avec vous ! Cela permettrait effectivement de lancer une filière en électrolyse qui peut potentiellement trouver d'autres débouchés pour cet hydrogène propre. Toutes les conditions techniques sont réunies. L'industriel qui veut de l'hydrogène cherche seulement à ce que cela revienne au même prix, mais il lui est égal que son approvisionneur ait obtenu l'hydrogène en ayant craqué des hydrocarbures ou ayant fait tourner un électrolyseur. Il manque seulement une incitation ou une contrainte signifiant qu'il s'agit d'une priorité. Nous avons là un gisement assez susceptible, de surcroît, d'avoir des effets positifs dans d'autres secteurs, notamment si des modes de mobilité utilisant l'hydrogène se développaient ; c'est ainsi qu'une filière d'électrolyse serait mise en place.
Il ne manque plus que le signal ou réglementaire ou économique – a priori, plutôt économique, en répercutant, par exemple, le coût de la tonne de CO2 dans le coût de l'hydrogène fossile alors qu'il n'aurait pas d'incidence sur le coût de l'hydrogène non fossile ; cela créerait un différentiel entre les deux. Mais peut-être faudrait-il également réfléchir à des aides à l'investissement pour les premières installations d'hydrolyseurs. Cela mérite d'être étudié de près.
Mais il est certain que c'est le premier gisement à traiter, parce qu'il n'y a pas d'incertitudes quant à la consommation : elle existe !
Pour revenir au bâtiment, qu'il s'agisse de construction ou de rénovation énergétique, quel est votre avis sur la domotique et sur le fait de généraliser les sujets de domotique ? Comment peut-on inciter à y avoir recours ? Je pense également à la notion d'individualisation des compteurs : avez-vous des données sur le sujet ? Savez-vous dans quelle trajectoire on se situe ?
Je ne pourrai pas répondre à votre deuxième question, n'ayant pas de données particulières sur l'individualisation des compteurs. Je ne sais où l'on en est, ni quels en sont les effets. Le mouvement est engagé, des délais ou des exceptions ont été fixés, mais je ne dispose pas d'éléments statistiques particuliers en la matière. Nous regarderons si nous en avons.
Toutefois, cette option va effectivement dans le sens d'une responsabilisation des consommateurs. Comme je le disais, se rendre compte des conséquences de tel ou tel comportement – comme ouvrir la fenêtre ou ne pas l'ouvrir, par exemple – est la première étape. Cela s'inscrit dans un mouvement général d'appropriation de l'énergie qui sera de plus en plus facile dans la mesure où les données seront de plus en plus accessibles. Encore faut-il pouvoir se dire que l'on est responsable et non pas noyé dans une masse collectivement responsable où l'on se sent moins concerné.
La domotique et tous les moyens de ce que j'appelle l'optimisation active des consommations constituent, il est vrai, un levier extrêmement intéressant, d'autant plus intéressant à étudier et à actionner en matière d'incitation que l'on touche à l'enveloppe des bâtiments en termes d'isolation et de performance passive. La différence de consommation qui peut exister entre deux bâtiments selon le mode d'occupation – logement ou tertiaire –, selon la capacité à gérer l'éclairage et les consommations de fluides diverses, devient d'autant plus importante en relatif que l'on a baissé tout le reste.
C'est donc un levier extrêmement intéressant, qui n'est pas toujours bien pris en compte aujourd'hui parce que la logique, dans le bâtiment, est de se dire que la façon dont il sera occupé peut varier dans le temps. Il paraît donc parfois compliqué d'intégrer dans des réglementations la vraie vie du bâtiment et de favoriser la gestion dynamique des consommations. Mais il importe vraiment de traiter ce sujet et d'accorder la même place aux moyens d'optimisation des consommations qu'aux moyens « en dur » – en demandant évidemment des garanties quant au fait que le bâtiment sera performant non seulement parce qu'il est bien isolé, mais aussi parce que des détecteurs de présence ou des moyens permettant de vérifier et d'ajuster finement la température auront été installés.
C'est un sujet extrêmement important, qui s'est heurté des années durant à une opposition entre deux types d'efficacité énergétique, « passive » et « active », pour reprendre les termes employés par certains. Je pense qu'il faut dépasser cette opposition ; il est extrêmement important de favoriser cette efficacité énergétique active, d'autant que souvent – pas toujours, mais souvent –, certains gestes actifs se révèlent très efficaces. Ce sont ceux qui ont le meilleur temps de retour sur investissement : cela coûte relativement peu cher à installer et, dans bien des cas, on part de tellement loin en termes de pratiques que c'est rapidement efficace. On peut gagner énormément et avoir des temps de retour économique ou des coûts d'abattement en énergie et en CO2 rapportés à l'investissement extrêmement intéressants en prêtant attention, par exemple, aux appareils qui continuent de fonctionner inutilement ou à l'absence de personnes dans un bâtiment. Dans de nombreux cas, ce sont les premiers gestes à faire. Il est vrai aussi que, parfois, certains bâtiments sont tellement mal isolés que l'isolation peut générer des temps de retour très courts. Pas toujours, mais souvent, il peut être extrêmement intéressant de le faire.
Il faut vraiment arriver à traduire cela, par l'incitation ou la contrainte, dans l'ensemble des outils du bâtiment. Les querelles de chapelle que l'on constate parfois sont assez regrettables.
Dans la même dynamique, en ce qui concerne les infrastructures, quels sont les freins à l'adaptation des réseaux électriques vers des réseaux intelligents ? Que peut-on en attendre en termes de gains sur la partie CO2 et en termes financiers ?
C'est un sujet dont je n'ai pas parlé puisque j'ai davantage abordé le second aspect de votre mission, relatif à l'efficacité énergétique, que celui de la production. Mais l'adaptation des réseaux est un sujet important, notamment l'adaptation à l'évolution de la production électrique qui devient à la fois plus variable et plus décentralisée, c'est-à-dire implantée sur de nouveaux endroits du territoire, mieux répartie, et non plus concentrée sur un certain nombre de centrales électriques.
Être capable d'injecter ces puissances nécessite des adaptations du réseau électrique. L'un des sujets majeurs pour le développement des renouvelables est la capacité à transformer le réseau électrique, à effectuer des procédures de raccordement relativement rapidement et à planifier cela au niveau régional, dans les schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables. C'est l'un des freins importants à l'heure actuelle. Dans la mesure où les coûts industriels des renouvelables ont beaucoup baissé, les coûts de raccordement deviennent, relativement, élevés. Les délais sont également un des points d'attention pour les producteurs d'énergies renouvelables. Il reste beaucoup à faire en matière de consommation, mais selon moi l'urgence concerne surtout la production.
Plusieurs solutions peuvent être envisagées. Cet exemple ne couvrira sans doute pas tous les cas mais disons que, dans certains cas de figure, il pourrait être plus intéressant, tant du côté réseau que du côté producteur, d'avoir un raccordement qui ne soit pas à 100 % de la puissance, qui n'injecte pas 100 % de la puissance produite par une installation, mais qui soit dimensionné légèrement en dessous. Se raccorder ainsi, à un endroit différent, certes plus contraint, du réseau pourrait permettre de gagner en coût et en délais.
Cela ne nous est pas permis aujourd'hui. Il est possible de le faire en expérimentation, mais cela ne peut pas être généralisé, car il s'agit de modifications qui relèvent du domaine réglementaire. En Vendée se déroule actuellement une expérimentation de smart grid, de réseau électrique intelligent, en lien avec le raccordement des énergies renouvelables. Cela permet, en échange de la garantie de pouvoir injecter 90 % ou 95 % de la puissance maximum, de se raccorder à un point du réseau plus contraint plutôt qu'à un point plus éloigné où l'on pourrait injecter systématiquement 100 % de la puissance, mais qui demanderait deux ans supplémentaires de travaux et coûterait plus cher. C'est aux producteurs qu'il revient d'opérer ce choix.
Des adaptations sont donc possibles. Cela demande des changements de logique par rapport à la logique « château d'eau », comme on le dit parfois en caricaturant. Cette logique « château d'eau » est celle où vous avez des moyens de production très centralisés et des autoroutes à sens unique conduisant aux moyens de consommation, serait top down, en gestion descendante. Maintenant, c'est un peu plus foisonnant, un peu plus « internet », les moyens de production seront de plus en plus répartis. Cela suppose d'être capable, et d'accepter de modifier un certain nombre de pratiques, notamment cette garantie d'injection de puissance. Il existe effectivement des solutions, que nous étudions de près puisque l'UFE regroupe, parmi ses adhérents, aussi bien les producteurs – EDF Renouvelables, Engie, le Syndicat des énergies renouvelables –, que les gestionnaires de réseau – Réseau de transport d'électricité (RTE), Enedis et les établissements locaux de distribution. C'est donc un sujet essentiel pour nous.
Pour en revenir au transport, nous avons parlé de trains à hydrogène et de voitures électriques. Certains constructeurs, comme Renault, partent vers le tout-électrique, d'autres, comme Toyota, envisagent aussi des voitures à hydrogène. Pour la puissance nécessaire aux tracteurs ou aux camions, on parle plutôt de gaz naturel pour véhicules (GNV). Quid de l'éthanol ? Quid du diester ? Bien d'autres solutions encore sont possibles. Ce foisonnement de solutions peut aussi être un frein pour les industriels, pour savoir dans quelle direction s'investir. Certains ont fait des choix, d'autres n'en font pas. Mais ne pas choisir, c'est prendre le risque de se retrouver avec une offre d'infrastructures en stations-service pléthorique, voire de n'en avoir aucune.
Voilà pour ce qui est du domaine terrestre. Quant au domaine maritime, nous ne voyons pas grand-chose se dessiner. On parle d'un bateau autonome, hydrogène, solaire et éolien. Mais à ce jour, on ne voit pas grand-chose pour remplacer la masse de diesels maritimes.
Comment envisagez-vous les perspectives futures d'énergie relatives à la mobilité ?
Concernant le secteur maritime, je ne suis pas à même de vous répondre puisqu'il s'agit d'un segment où, assez naturellement, l'électrique n'est pas le mieux placé. Nous regardons par curiosité. Je pense que des acteurs de l'hydrogène, spécifiquement ceux du gaz naturel, pourraient, plus que moi, vous dire quelles sont les perspectives. Des solutions existent sans doute.
Pour ce qui est de la notion de foisonnement ou de la complémentarité des solutions, il importe d'avoir les idées claires. Dans les transports, nous allons passer d'un système « tout-pétrole » pour tous les moyens de transport, partout et tout le temps, à un système pouvant offrir plusieurs énergies. Pour autant, je ne pense pas qu'il soit réaliste de penser qu'il existerait un foisonnement de solutions pour chaque segment de transport. En fait, sur chaque segment, une solution sera majoritaire parce que plus adaptée.
Ensuite, effectivement, des effets industriels d'infrastructures empêcheront que tout soit développé en même temps. Il faut, je pense, rester en lien étroit avec les constructeurs pour voir sur quoi ils misent. S'agissant de la mobilité individuelle, pour la voiture, a priori, ce sera plutôt l'électrique. On peut se faire plaisir en disant qu'il existe plein d'autres solutions mais, aujourd'hui, la grande majorité des constructeurs parie sur l'électrique. Cela peut d'ailleurs ne pas concerner seulement la batterie. Cela peut nécessiter des compléments, des range extenders, pour avoir des rayons d'action plus importants. L'hydrogène est aussi envisageable mais, aujourd'hui, personne ne parie sur le gaz, et le seul acteur à miser sur l'hydrogène, c'est Toyota. L'immense majorité des constructeurs pensent à l'électrique.
Pour les bus, a priori, ce sera aussi l'électrique. Il existe aujourd'hui autant de bus électriques dans la ville de Shenzhen qu'en France, et les distances parcourues sont tout à fait compatibles avec le mode électrique.
Les transports lourds longue distance sont typiquement le domaine où l'usage du gaz peut être pertinent. Quant aux niches captives, du type camion-benne, il semblerait pertinent d'utiliser l'hydrogène.
Mais, en dépit de la vision selon laquelle il existerait pléthore de solutions, il ne faut pas penser que plusieurs solutions seront proposées sur chaque segment. Ce serait dramatique en termes de coûts, notamment d'infrastructure, et ce ne serait pas réaliste. Même industriellement, pour les constructeurs, une fois qu'une solution émerge, les volumes augmentent et les coûts baissent du fait que la solution devient majoritaire.
En conclusion, comme je l'ai indiqué au début de mon audition, le premier frein à la transition énergétique, le premier retard concerne les aspects climatiques. Il faut donc insister sur les freins, même si d'autres objectifs de la loi de transition énergétique mériteraient d'être, chacun, étudiés. Mais il se trouve que nous nous sommes fixé la plupart des autres objectifs comme moyen d'en atteindre d'autres, que l'on peut tout à fait débattre de leur portée et les discuter. Le critère climatique est celui sur lequel nous sommes le plus en retard et qui s'impose à nous, celui sur lequel nous n'avons pas le choix. Nous ne sommes pas aujourd'hui le seul pays en retard par rapport à nos objectifs d'émissions de carbone, mais si chaque pays est en retard, l'emballement climatique s'accélérera. Nous en voyons régulièrement les effets. Or, quand on en voit les effets, c'est trop tard ! Quand on se plaint de la canicule, c'est déjà trop tard : elle est le fruit de l'accumulation d'énergie dans l'atmosphère depuis des dizaines d'années.
L'audition s'achève à dix heures.
Membres présents ou excusés
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique
Réunion du jeudi 27 septembre 2018 à 9 heures
Présents. – M. Éric Alauzet, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bolo, Mme Jennifer De Temmerman, M. Bruno Duvergé, M. Christophe Jerretie, Mme Mathilde Panot, Mme Véronique Riotton, Mme Maina Sage, Mme Nathalie Sarles, Mme Nicole Trisse
Excusés. – Mme Nathalie Bassire, M. Christophe Bouillon, M. Guy Bricout, M. Stéphane Buchou, M. Julien Dive